Question de M. SOUVET Louis (Doubs - RPR) publiée le 05/02/1998

M. Louis Souvet attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à l'industrie sur les fermetures des bureaux de poste en milieu rural. Avec la caducité du contrat de plan, les élus locaux sont en droit de se poser des questions quant à la pérennité du service postal en milieu rural. Service postal qui est souvent l'unique service public encore en activité dans de nombreuses communes, service public qui permet à de nombreuses personnes isolées et âgées, ne disposant pas d'un moyen de transport autonome d'effectuer un certain nombre d'opérations bancaires (par exemple retrait d'une pension). La restriction des heures d'ouverture participe de cette même logique de désengagement, des horaires minimaux et inadéquats entraîneront une moindre fréquentation, amoindrissement statistique qui provoquera à terme une décision de fermeture, aggravant ainsi le phénomène de désertification. Dans le même temps, il est procédé dans le cadre du dispositif emplois-jeunes à un certain nombre d'embauches. Il lui demande si le coût de ces nouvelles mesures n'accélérera pas encore plus les fermetures de bureaux du fait d'un accroissement général des frais de fonctionnement. Il convient de rappeler fort à propos que, pour les emplois-jeunes, " sont exclues les activités correspondant à leurs compétences traditionnelles " (ici celles des préposés).

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Réponse du ministère : Petites et moyennes entreprises publiée le 01/04/1998

Réponse apportée en séance publique le 31/03/1998

M. Louis Souvet. Le bureau de poste constitue souvent le dernier service public fonctionnel dans de nombreux villages
ruraux, en particulier en zone de montagne, alors même que sont mis en place les regroupements pédagogiques et que les
derniers commerces de proximité ont baissé leur rideaux depuis malheureusement quelques années.
Il est de notoriété publique qu'il est de plus en plus question, à des fins de rentabilité et de productivité, d'aménager les
heures d'ouverture de ces bureaux de poste, dans le meilleur cas, voire, en dépit de toutes les assurances ministérielles, de
fermer tel ou tel bureau. Pour les personnes âgées, qui souvent ne disposent pas de véhicule personnel ou se déplacent
difficilement, les bureaux permettent d'avoir accès aux service de base de La Poste, qu'il s'agisse de retraits en numéraire,
de placements ou d'expéditions.
Le président de La Poste a été très clair sur ce point : le moratoire relatif à la fermeture des bureaux de poste s'est achevé
avec le contrat de plan, soit le 31 décembre 1997.
Les élus locaux dans leur ensemble peuvent légitimement être inquiets quant au contenu du futur contrat de plan qui
devrait être dévoilé prochainement.
Ce contrat de plan, document générique par excellence, ne mentionnera peut-être pas de façon explicite cette logique de
rentabilité et de fermeture, mais, madame le secrétaire d'Etat, pouvez-vous me garantir de façon formelle que les
directives et autres instructions qui accompagneront ce document n'en seront pas les dépositaires, à moins que la direction
de La Poste n'ait anticipé le contrat de plan et que des instructions de fermeture soient déjà élaborées par les services
centraux compétents.
Ces réaménagements horaires sont effectués dans un souci d'économie. La logique purement économique l'emporte sur
les considérations d'aménagement du territoire, les paramètres sociaux et la notion de service public.
Mais, dans le même temps, pour sacrifier aux objectifs du plan « nouveaux services - nouveaux emplois », La Poste est
priée de procéder à la création de 5 000 emplois-jeunes. Il n'est pas inutile de rappeler que, dans les conditions d'accès
au dispositif imposées aux utilisateurs des emplois-jeunes, « sont exclues les activités correspondant à leurs compétences
traditionnelles ».
Sans pousser la caricature jusqu'à évoquer la tâche de certains employés japonais de grandes surfaces ou des liftiers dans
les ascenseurs, qui se contentent à longueur de journée d'ouvrir et de fermer les portes en disant bonjour, on peut
s'interroger sur le contenu des emplois-jeunes dans les bureaux de poste.
Ou bien les jeunes rempliront des tâches utiles et, dans ce cas-là, ces emplois seront en contradiction avec le dispositif et
les recommandations gouvernementales, car ils correspondent à des compétences traditionnelles - envoi de mandats ou
de lettres recommandées - ou bien les jeunes n'apporteront pas un réel service aux usagers. L'inutilité pour les usagers se
conjuguera alors avec l'absence de motivation des intéressés. Je me demande, dès lors, comment et selon quels critères
ces jeunes seront un jour titularisés.
Il n'est pas logique, d'un côté, de supprimer ou du moins de restreindre le service public postal en milieu rural et, de
l'autre, de procéder à des embauches dont l'utilité reste à démontrer. Les économies réalisées au détriment des usagers
n'étaient certainement pas destinées à couvrir ces embauches. D'ailleurs, le permettront-elles ?
Pour ma part, je vois là une incohérence manifeste.
Madame le secrétaire d'Etat, pouvez-vous nous dire, d'une part, à combien se montera pour La Poste le budget
nécessaire à ces embauches et, d'autre part, à combien vous estimez les économies que réalisera La Poste du fait des
restructurations prévues, en contradiction complète avec la logique de solidarité et d'aménagement de l'espace rural
affichée par le Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat.
Monsieur le sénateur, La Poste a effectivement reçu, par la loi du 2 juillet 1990, mission de contribuer à l'aménagement du
territoire, et je suis heureuse de vous répondre en présence du ministre qui a la charge de l'aménagement du territoire.
Avec 17 000 points de contact - soit, en moyenne, un pour 3 500 habitants - La Poste est présente sur l'ensemble du
territoire et constitue l'un des services publics les mieux implantés.
Dans le cadre du contrat d'objectifs et de progrès portant contrat de plan de La Poste, actuellement en cours de
discussion, le Gouvernement donnera des orientations qui marqueront clairement le rôle fondamental du réseau postal
comme élément pivot de la présence et de la permanence du service public de proximité, ce que citoyens et élus locaux
rappellent chaque jour.
Compte tenu de l'importance légitimement accordée par les maires et les élus locaux - dont vous vous faites ici le
porte-parole - à la présence postale, une consultation est engagée auprès des associations qui les représentent. Elle
concerne les principes d'évolution possible de la présence postale, thème sous-jacent de votre question. Ces principes
sont au nombre de trois.
Premier principe : conforter le service public dans les zones rurales fragiles. La Poste, dans le cadre de l'autonomie de
gestion que lui confère la loi, devra chercher, avec les collectivités locales qui le souhaiteront et d'autres services publics, à
mettre en oeuvre des partenariats équilibrés et équitables et explorer toutes les possibilités offertes par les nouvelles
techniques de l'information pour enrichir le service offert.
Deuxième principe : renforcer la présence postale dans les zones urbaines sensibles, en créant de nouveaux points de
contact, de manière à y offrir les mêmes services que sur le reste du territoire.
Sans même parler de « zones urbaines sensibles », force est de constater que beaucoup de quartiers nouveaux n'ont pas
de service public postal parce que l'Etat n'a pas toujours suivi l'urbanisation des périphéries de ville.
Le réseau postal s'est ainsi insuffisamment adapté aux évolutions démographiques et économiques : 60 % des bureaux
sont situés dans des communes de moins de 2 000 habitants et desservent le quart de la population. En revanche, on
constate un certain sous-équipement des villes et, surtout, des banlieues ; certains quartiers comptant jusqu'à 100 000
habitants n'ont pas de bureau de poste !
Le Gouvernement, par cette orientation donnée à La Poste, entend inscrire clairement le service public dans ses missions
de contribution à la solidarité et à l'équitésociale.
Troisième principe : faire en sorte que la concertation soit l'instrument privilégié de la politique de La Poste dans l'exercice
de ses responsabilités en matière d'aménagement du territoire.
Dans cet esprit, le Gouvernement a demandé au président de La Poste que toutes les évolutions projetées soient, toujours
et partout, précédées d'une concertation avec les élus, les associations d'usagers et les partenaires sociaux, pour aboutir à
un vrai consensus.
La Poste s'est engagée dans le plan « emploi-jeunes », qui lui permettra de recruter 5 000 jeunes d'ici à la fin de 1998, sur
des activités en émergence non encore exercées par l'exploitant public. Il s'agit de répondre à des besoins en matière
d'accueil, d'information, d'orientation et de conseil et de contribuer ainsi à la réduction de l'attente. Plus de 2 000
recrutements ont déjà été effectués à ce titre.
Il s'agit également pour La Poste de renforcer son action de service public au profit de la solidarité et de la cohésion
sociale : des expériences concrètes vont être engagées avec ces jeunes, telles que la médiation sociale ou
l'accompagnement des agents de distribution dans les quartiers en difficulté. Vous savez que quelques cas d'arrêt de
travail ont été enregistrés à la suite de problèmes liés à ce que j'appellerai de « mauvaises relations sociales ».
Il s'agit enfin de développer des activités intégrant les nouvelles technologies de l'information et de la communication, avec
l'installation d'accès à Internet dans les bureaux de poste, par exemple. Ces accès à Internet répondent non seulement à
un souci de mettre à la disposition de tous cet outil de communication, mais aussi à la volonté d'offrir une possibilité
d'apprentissage de l'utilisation d'Internet : le bureau de poste peut-être un lieu ou l'on apprend à se servir des nouvelles
technologies.
La Poste bénéficie, pour mettre en oeuvre ce programme, des aides de l'Etat dans les conditions de droit commun. Aussi,
loin d'être un handicap, est-ce une opportunité exceptionnelle pour cette entreprise d'explorer des voies nouvelles et de
développer le service public.
Avec la concertation que j'ai évoquée, ces emplois-jeunes nous permettront de savoir si, dans tel ou tel type de fonction -
en particulier lorsque plusieurs services publics seront rassemblés en un même lieu, ce que nous espérons, dans certaines
zones où ils ne sont plus présents - les emplois-jeunes débouchent sur de nouveaux emplois, que ce soit dans les quartiers
urbains ou dans les zones rurales.
Il faudra tirer toute les leçons de cette expérience. Elle ne peut être qu'enrichissante à la fois pour le service public et pour
les jeunes, qui pourront ainsi non seulement mettre en oeuvre leurs connaissances technologiques, mais encore faire
l'apprentissage des relations sociales dans toute leur complexité. Ces jeunes disposeront alors d'un bagage suffisant pour
se lancer dans la vie.
M. Louis Souvet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Souvet.
M. Louis Souvet. Madame le secrétaire d'Etat, je vous remercie des réponses que vous avez bien voulu m'apporter. Si
je suis ici un porte-parole, c'est celui des maires de collectivités de montagne isolées - que connaît bien Mme Voynet,
d'ailleurs - dans lesquelles il n'y a presque plus rien, plutôt que des maires de cités nouvelles, où, j'imagine, on a tout de
même su, en général, prévoir à temps l'implantation d'un bureau de poste.
L'une de vos phrases a particulièrement retenu mon attention. Vous avez dit que, en vue de conforter le service public,
partenariat équilibré et équitable avec les collectivités locales serait recherché.
D'abord, je ne souhaite pas voir encore de nouvelles charges peser sur les collectivités locales, alors même que les
missions en question ne relèvent pas vraiment de leurs responsabilités, mais surtout, s'agissant de toutes petites
collectivités, je ne crois pas que ce soit de cette manière qu'une solution puisse être trouvée.
Vous affirmez que les décisions, notamment en matière d'aménagement du territoire, seront prises en concertation avec les
élus, les associations d'usagers et les partenaires sociaux. J'en prends acte. Mais je me permets de faire observer que,
jusqu'à présent, avec La Poste, la concertation n'a pas toujours très bien fonctionné.
En tout cas, je n'ai pas été totalement convaincu par votre réponse. Je partage l'inquiétude de mes nombreux collègues
maires de communes rurales quant au devenir des bureaux de poste, et je serais désolé que la nécessité de tenir un
engagement électoral, quelles qu'en soient les conséquences pour le pays et la vie de nos concitoyens, se traduise par une
accélération de la désertification, alors que, dans le même temps, des emplois peu qualifiants permettront aux services de
tourner malgré une situation de sous-effectifs.
Je souhaite revenir quelques instants sur les emplois-jeunes dans les bureaux de poste.
Je connais de nombreux cas où les intéressés se demandent vraiment à quoi ils servent : accueillir quelqu'un pour lui dire
où s'adresser pour envoyer une lettre recommandée alors que la marche à suivre est déjà affichée, cela ne rime certes pas
à grand-chose, à moins d'avoir affaire à des gens qui ne savent pas lire !
Vous nous expliquez que certains de ces jeunes seront là pour apprendre à tout le monde à se servir d'Internet. On met
vraiment Internet à toutes les sauces ! Tout le monde n'a pas besoin d'utiliser Internet ! Vous savez, dans les villages de
montagne, Internet n'est pas la préoccupation essentielle des habitants ! (Sourires.)
Quant à la médiation sociale, vous me permettrez de douter que, compte tenu de leur âge, les titulaires des emplois-jeunes
puissent être capables de remplir véritablement une telle mission.
Vis-à-vis non seulement de nos concitoyens mais aussi des employés de La Poste, une situation aussi paradoxale devrait,
selon moi, être dénoncée. L'usager veut, et à juste raison, disposer d'un réel service postal de proximité. Or les nouveaux
emplois ne répondent pas à cette légitime exigence, au contraire, et leur coût financier obligera La Poste à accélérer des
restructurations pénalisantes, me semble-t-il, pour de nombreux usagers.
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Monsieur le sénateur, je comprends parfaitement votre argumentation.
Ma région, sans être de montagne - en Bretagne, nos montagnes culminent à 350 mètres ! - compte tout de même des
communes qui, parce qu'elles ont une population comprise entre 200 et 1 000 habitants, connaissent aussi ce type de
problèmes.
Si nous parlons de partenariats équilibrés et équitables, c'est parce que, dans de telles communes, on constate que des
bureaux de poste sont nécessaires, y compris pour ce qui est des services publics territoriaux. Bien sûr, on peut, par
exemple, prévoir d'embaucher une personne à mi-temps pour le service scolaire et, pour le reste du temps, l'utiliser à
d'autres tâches. Mais 99 % des maires que je rencontre ne veulent pas prendre en charge le service de l'Etat, et je pense
qu'ils ont parfaitement raison.
Par ailleurs, pour m'occuper des petites et moyennes entreprises ainsi que du commerce et de l'artisanat, je rencontre
beaucoup de commerçants, d'artisans et de responsables de PME qui souhaitent, avant d'être obligés de recourir à
Internet, disposer d'un lieu où apprendre à s'en servir.
Mme Voynet me glissait tout à l'heure à l'oreille que, autrefois, à la campagne, il n'y avait que le téléphone de la mairie ou
de la poste pour se familiariser avec cet appareil.
M. Louis Souvet. Mais, dans la journée, les gens travaillent !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Bien sûr, mais même des chefs d'entreprise peuvent se rendre à la poste
dans la journée, parce qu'ils savent que ces technologies nouvelles sont susceptibles de leur rendre des services.
Un certain nombre d'évolutions doivent donc être conduites, et cela correspond à une très forte demande. Je reste
persuadée que les emplois-jeunes doivent nous permettre de tester la nature exacte des besoins sur les différents points
du territoire.
Je suis, comme vous, monsieur le sénateur, profondément attachée au maintien de services publics en milieu rural, mais je
puis vous assurer que les services publics font également parfois défaut dans certains quartiers urbains : c'est le cas dans la
ville où j'habite.
Quoi qu'il en soit, si nous voulons que la ruralité vive, il faut un minimum de services, à défaut desquels aucune entreprise
ne peut demeurer ou s'implanter.
C'est un débat difficile parce qu'il touche à la mobilisation de l'argent public, mais ce débat reste ouvert et je vous
remercie de nous avoir donné l'occasion de l'aborder ce matin.

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