Question de M. SOUVET Louis (Doubs - RPR) publiée le 15/01/1998

M. Louis Souvet attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur le fonctionnement de l'organe de règlement des différends et le contenu des arbitrages rendus dans ce cadre. Une analyse globale des rapports des groupes spéciaux et des rapports de l'organe d'appel adoptés met en lumière une hégémonie croissante de l'un des acteurs du commerce mondial, à savoir les Etats-Unis. Des exemples précis ne peuvent que renforcer les préventions à l'égard de la teneur des arbitrages : il s'agit, d'une part, du rapport du groupe spécial sur le régime applicable à l'importation, à la vente et à la distribution des bananes, rapport qui fait d'ailleurs l'objet d'un appel et, d'autre part, sur le problème de l'importation des viandes et produits carnés hormonés. Est-il utile de rappeler qu'en ce qui concerne le dossier bananes les Etats-Unis, bien que pays non producteur, ont été autorisés à figurer parmi les plaignants. De plus, il est inquiétant de constater que, par le biais de l'application d'une législation interne, les Etats-Unis veulent imposer leur droit à des entreprises d'autres pays (lois Helms, Burton et d'Amato). Dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, et plus particulièrement de l'organe de règlement des différends, il est une règle intangible qui tend à résoudre les différends sur la base du droit, la France et la Communauté européenne doivent veiller à ce que ces différends ne soient pas résolus sur la base du droit du plus fort. Il demande si d'une part les pouvoirs publics sont conscients d'un tel état de fait et de ses répercussions sociales à terme, d'autre part si la France appuiera ou initiera avec ses partenaires communautaires une renégociation des règles, qui trois ans après leur ratification, prouvent leurs limites, du moins face aux moyens de pression énormes dont dispose un Etat membre.

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Réponse du ministère : Économie publiée le 04/06/1998

Réponse. - Les accords de l'Uruguay Round ont institué l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et introduit une procédure de règlement des contentieux contraignante, alors que le système précédent permettait au contrevenant d'éviter de se mettre en règle. Un premier bilan ne met pas en évidence de distorsions au bénéfice d'un membre ou au détriment d'autres. Sous l'ancien régime du GATT, le système de règlement des différends n'était pas contraignant. Il fonctionnait sur la base du consensus. Pour être exécutoires, les conclusions devaient être acceptées par toutes les parties. C'est pourquoi très peu de groupes spéciaux GATT ont été adoptés, les parties refusant de reconnaître leurs torts. A l'impuissance des règles internationales s'ajoutait le recours à l'unilatéralisme américain. Dans le cadre des procédures dites de " section 301 " et de " supersection 301 ", les Etats-Unis avaient recours à des mesures de rétorsion sans contrôle ni justification. C'est ainsi que tous les contentieux commerciaux transatlantiques (acier, soja, aéronautique) risquaient en permanence de dégénérer en guerre commerciale sous le coup des mesures unilatérales de rétorsion adoptées par les Etats-Unis. L'ambition des négociateurs du cycle de l'Uruguay a donc été de mettre en place un système contraignant de règlement des différends : les rapports adoptés par l'organe de règlement des différends (ORD), basés sur l'application des règles que les membres de l'OMC ont adoptées, sont automatiquement acceptés par ceux-ci, sauf dans l'hypothèse où l'ensemble des parties, plaignants, accusés, et partie tierce, s'opposent à son adoption. Les premiers cas jugés par l'O.R.D. montrent l'efficacité de ce nouveau système par rapport à l'ancien : le système de taxation du Japon sur les boissons spiritueuses, par exemple, avait été condamné par le rapport d'un groupe spécial du GATT en 1986. Le système de taxation était discriminatoire : il surtaxait les alcools importés, notamment les alcools français, pour protéger les alcools de riz locaux. Le GATT avait été impuissant à modifier la législation japonaise, le Japon ayant refusé l'adoption du rapport du groupe spécial. Un nouveau groupe spécial de l'OMC a condamné le Japon en 1995, qui s'est alors engagé à modifier sa législation et à supprimer toute discrimination. Par ailleurs, l'unilatéralisme de l'administration américaine est mieux encadré : depuis 1995, la mise en uvre des procédures " 301 " ou " super 301 " n'ont plus débouché sur des sanctions unilatérale mais sur des consultations bilatérales ou à l'OMC. L'administration américaine a ainsi accepté, sur le principe, de se ranger à l'arbitrage de l'ORD lorsqu'elle n'obtenait pas gain de cause par la discussion. Les lois à portée extra-territoriale votées par le Congrès font, elles, l'objet d'un groupe spécial à la demande de l'Union européenne et du Japon. La procédure de règlement des contentieux à l'OMC a été mise en place le 1er janvier 1995 et certaines tendances quantitatives se dégagent depuis 1995 : le nombre de contentieux est en croissance : 22 consultations ont été commencées en 1995, 42 en 1996 et 50 en 1997. Il y a, à ce stade, un peu moins de règlements à l'amiable que d'arbitrages définitifs : depuis le début, 20 contentieux ont été réglés à l'amiable alors que 27 groupes spéciaux ont été constitués, dont 9 ont fait l'objet de décisions définitives. Il est à noter que tous les rapports des groupes spéciaux ont fait l'objet d'un appel jusqu'à présent (9 cas). Du point de vue offensif, les Etats-Unis ont été prompts à utiliser ce mécanisme (fin 1996, ils avaient déjà porté plaine 11 fois contre 3 pour l'Union européenne), mais, depuis un an, la Communauté s'est constituée partie plaignante nettement plus souvent que les Etats-Unis (22 et 16 demandes de consultations respectivement en 1997). Du point de vue défensif, les Etats-Unis sont la première cible des plaintes déposées sur un nombre varié de domaines (ils ont été condamnés trois fois sur les neuf cas jugés). La Communauté l'est moins, mais les plaintes qui lui sont adressées relèvent essentiellement du domaine agricole et sont donc plus médiatisées. Sur le fond des sentences, il est trop tôt pour porter un jugement définitif : trop peu de procédures sont arrivées au stade des conclusions. Toutefois, il faut souligner que toutes les plaintes ont été déclarées, peu ou prou, recevables par l'ORD puis par son instance d'appel. Aucun pays condamné n'a refusé, à ce stade, de mettre ses pratiques en conformité. Les Etats-Unis sont le seul pays qui ait été impliqué suffisamment souvent (huit fois sur neuf, contre trois pour l'Union européenne, et deux pour le Canada, l'Inde et le Brésil) pour pouvoir se livrer à une analyse préliminaire. Les Etats-Unis ont obtenu gain de cause pour leurs cinq plaintes (deux fois contre l'Union européenne dans le domaine agricole, une fois contre le Japon pour les liqueurs, une fois contre le Canada sur la presse périodique et une fois contre l'Inde sur des brevets pharmaceutiques et agrochimiques), mais ont été condamnés trois fois sur plainte de pays tiers (Venezuela et Brésil sur l'essence, Costa Rica sur les restrictions à l'importation de tissu de coton et l'Inde sur une mesure de sauvegarde tarifaire). Dans tous les cas où ils ont été condamnés, les Etats-Unis se sont engagés à modifier leurs réglementations. Dans le cas de la législation américaine sur " l'essence reformulée ", qui fixait des critères environnementaux plus stricts pour l'essence importée et a été condamnée sur la base d'une plainte déposée par le Venezuela et le Brésil, ils ont même mis en uvre leur engagement et modifié leur législation en conséquence. Dans le cas où les Etats-Unis étaient plaignants, ils n'ont pas toujours obtenu totalement gain de cause : dans le cas " hormones ", par exemple, si la réglementation communautaire est bien condamnée, la décision de l'orlgane d'appel fait droit aux positions de la Communauté sur nombre de principes (charge de la preuve, consensus scientifique, analyse des risques, notion du risque ou encore droit souverain des Etats à déterminer leur niveau de protection sanitaire par exemple). Par ailleurs, les premières conclusions du groupe spécial sur les films photographiques au Japon (dit " Fuji-Kodak ") leur semblent également défavorables. Le mécanisme de règlement des différends est un acquis essentiel des accords de Marrakech. Il impose la voie multilatérale comme mode de règlement des différends et contribue à rendre le système commercial international plus juste et plus prévisible. Il n'a, à ce stade, pas montré de signe de partialité en faveur ou au détriment d'un pays. D'ailleurs, en dépit des déclarations des responsables politiques qui critiquent les décisions de l'organe de règlement des différends lorsque celles-ci ne sont pas conformes aux attentes ou aux intérêts d'une partie, les membres de l'OMC sont d'accord sur le fait que la revue de l'accord, prévue par les textes en 1998, ne devra pas remettre en cause le système de règlement des différends, ni les modalités de son fonctionnement.

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