Question de M. LORRAIN Jean-Louis (Haut-Rhin - UC) publiée le 11/02/1998

M. Jean-Louis Lorrain attire l'attention de Mme le ministre de la culture et de la communication sur les conséquences pour les bibliothèques publiques de l'application de la directive européenne no 92-100/CEE du 19 novembre 1992. Cette directive, qui vise la protection des droits d'auteurs, demande aux bibliothèques publiques de payer un droit de prêt et seuls certains établissements peuvent être exemptés dudit paiement par les Etats membres. La France n'a pas appliqué ce droit de prêt dans la mesure où le Centre national du livre, fondé en 1946, aide les auteurs et les éditeurs. De plus, la loi du 11 mars 1957 protège les droits d'auteur par rapport à l'éditeur et à la diffusion de ses oeuvres. Afin d'éviter l'alourdissement des charges des municipalités qui participent majoritairement aux frais de fonctionnement des bibliothèques, serait-il possible que le ministère de la culture adopte la dérogation prévue à l'article 5 de la directive européenne, pour les documents imprimés, prêtés ou consultés sur place dans les bibliothèques publiques ? Ces dernières verraient, par l'application d'un droit de prêt, leur budget d'achat de livres grevé par cette nouvelle contrainte. En outre, du fait de leur développement récent, les bibliothèques ne disposent pas encore toutes d'un service de lecture et de documentation.

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Réponse du ministère : Culture publiée le 08/04/1998

Réponse apportée en séance publique le 07/04/1998

M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'application d'un droit de prêt
prévue par la directive européenne n° 92-100 de la CEE du 19 novembre 1992 est sollicitée par le syndicat national de
l'édition.
Outre la complexité du calcul des recettes sur les prêts d'ouvrages et les lourdeurs de redistribution aux auteurs
concernés, ce nouveau prélèvement pèserait davantage sur les finances locales impliquées dans les frais de fonctionnement
des bibliothèques publiques.
Prétendre que les bibliothèques font du tort aux auteurs et aux éditeurs est erroné, et l'Observatoire de l'économie du livre
a procédé à une enquête en 1995 qui a établi que les bibliothèques municipales ont dépensé 466 millions de francs en
achats de livres, et les bibliothèques départementales 114 millions de francs.
Par ailleurs, bon nombre de petites communes n'assurent la présence du livre que par le biais de la bibliothèque locale et
du bibliobus.
Ma question vise donc à savoir, madame le ministre, s'il est envisageable d'adopter la dérogation prévue à l'article 5 de la
directive européenne précitée.
Sans vouloir abuser de l'intérêt que vous portez à ma question, vous serait-il possible de nous exposer la politique que
vous envisagez de mener en matière de lecture publique ?
Vous savez l'importance que nous attachons au développement de cette politique en milieux rural et urbain. La lecture
dans la rue est un moyen de lutter contre l'exclusion.
Pourriez-vous également nous informer sur la coordination que vous envisagez avec le ministre de l'éducation nationale
pour lutter en particulier contre l'illettrisme en développant précisément la lecture publique ?
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, la directive
européenne du 19 novembre 1992 a reconnu le droit exclusif pour un auteur, un artiste-interprète, un producteur de
phonogrammes ou un producteur d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles d'autoriser ou d'interdire le prêt de son
oeuvre et de percevoir, le cas échéant, une rémunération au titre de cette utilisation, le prêt n'englobant pas, au sens de ce
texte, la mise à disposition de documents à des fins de consultation sur place.
Sous la forme du droit de destination, qui permet aux ayants droit de céder autant de droits qu'il y a de modes d'utilisation
d'un support d'information, le droit français de la propriété intellectuelle s'est avéré sur ce point être d'ores et déjà en
pleine conformité avec la directive européenne.
Si l'existence et la légitimité du droit de prêt ne sont pas contestables sur le plan juridique, il n'en est pas moins vrai que la
question de son application par l'ensemble des organismes de prêt, particulièrement les bibliothèques publiques, est
demeurée entière.
Quoi qu'il en soit, je tiens à dire de la manière la plus nette que l'application du droit de prêt ne saurait en aucun cas, dans
l'esprit du Gouvernement, freiner l'essor de la lecture publique, qui est constamment encouragée par l'Etat, ni faire
obstacle à l'action que mènent les bibliothèques pour un égal accès de tous au livre.
Ce souci doit d'autant plus prévaloir que les études menées par mon ministère, en association avec les organismes
représentatifs des auteurs, des éditeurs, des libraires et des bibliothécaires, n'ont pas fait apparaître que l'emprunt en
bibliothèque concurrence ou décourage de manière significative l'achat de livres en librairie.
Attentif aux souhaits des ayants droit et aux préoccupations des libraires comme aux enjeux de lecture publique portés
par les élus et les professionnels des bibliothèques, le Gouvernement a choisi de conditionner l'examen des modalités
d'application du droit de prêt à un consensus entre les uns et les autres.
En vue de favoriser ce consensus et de permettre une étude sereine - car le débat est vif - et approfondie de cette
question du droit de prêt en bibliothèque, j'ai confié à M. Jean-Marie Borzeix une mission de réflexion et de concertation,
dont les conclusions devraient être connues d'ici à la fin du premier semestre.
J'ai souhaité que cette étude soit conduite car elle permettra non seulement d'élargir l'appréciation et l'analyse à
l'application de la directive, à un établissement éventuel du droit du prêt proprement dit, mais aussi de comprendre
comment se posent aujourd'hui les problèmes liés à la filière du livre, problèmes inclus dans les efforts que l'Etat fournit,
aux côtés des collectivités territoriales, pour développer la lecture publique.
Voilà quelques mois déjà, j'ai présenté en conseil des ministres une communication sur la politique de lecture publique. Je
pourrai vous en faire parvenir le texte.
Nous poursuivons les efforts entrepris et nous les développons, en particulier pour permettre aux
bibliothèques-médiathèques d'être des lieux de ressources d'informations, notamment grâce au multimédia, avec la mise
en réseau des bibliothèques, non seulement les bibliothèques régionales, mais aussi celles qui sont installées en zones plus
rurales.
Le développement de ce tissu de bibliothèques et des services rendus, qu'il convient de considérer également comme le
pivot des réseaux culturels qui desservent l'intégralité du territoire, est évidemment l'un des axes forts de la politique que je
conduis.
Nous allons poursuivre des investissements importants dans la réalisation de prochains projets, de même que nous avons
déjà signé avec des collectivités territoriales plusieurs contrats ville-lecture.
Nous travaillons également à réaménager « le Temps des livres » qui nous permettrait d'avoir en fait une manifestation plus
ramassée dans le temps, mais avec des rebondissements dans l'année afin de maintenir l'attraction que peut représenter le
livre, qu'il soit offert à la lecture en bibliothèque ou qu'il soit proposé à l'achat en librairie.
Nous souhaitons également bien lier et développer entre l'éducation nationale et le ministère de la culture tous les supports
et tous les moyens susceptibles de développer la lecture. Je pense aux livres scolaires, à toute la littérature, avec, par
exemple, des perspectives pour soutenir la poésie, ainsi qu'à la presse écrite et aux projets relatifs à son accès ou à son
usage dans le cadre pédagogique.
Par ailleurs, nous observons avec beaucoup d'intérêt, et nous les soutenons, les initiatives qui visent, dans le cadre de la
Banque de programmes et de services, la BPS, qui dépend de La Cinquième, chaîne pédagogique, à soutenir l'accès à la
connaissance au travers de la lecture de textes, en liaison aussi avec l'audiovisuel.
Je ne vous indique pas la totalité des actions entreprises, m'en tenant aux plus significatives et, peut-être, aux plus
originales. Ces actions montrent que nos efforts en faveur du développement de la lecture publique sont constants. Ils font
suite à l'effort considérable déjà consenti dans le passé en France au travers du lancement des bibliothèques de prêt
départementales et tous les relais de lecture publique, qu'ils soient fixes - dans les bibliothèques - ou mobiles - par
exemple dans les bus - ou qu'ils concernent encore les prisons ou les hôpitaux, car il y a aussi un travail de lecture
publique dans les milieux carcéral et hospitalier.
Nous souhaitons d'autant plus poursuivre et augmenter encore cet accès au livre que si nous laissons une partie de la
population coupée de l'accès à la culture par manque de « savoir-lire », par illettrisme ou par manque de connaissance de
l'usage des nouveaux supports et de la place qu'y tient l'image, nous aurons une société à deux vitesses.
Pour pouvoir utiliser un ordinateur et être tout à fait en phase avec le développement de la société de l'information, il faut
savoir lire. Cela reste un enjeu premier pour l'ensemble du Gouvernement.
M. Jean-Louis Lorrain. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse et je tiens à vous assurer que nous
serons très attentifs à la part que vous prendrez dans l'élaboration et la mise en oeuvre de la loi relative à l'exclusion ; cette
part devrait, selon nous, être très importante.

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