Question de M. HAMEL Emmanuel (Rhône - RPR) publiée le 19/04/2001

M. Emmanuel Hamel attire l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur l'avis du Conseil économique et social sur le rapport intitulé " La contribution de la France au progrès des pays en développement ", adopté au cours de la séance de cette même assemblée du 28 février 2001, et dans lequel ses auteurs souhaitent, à la page I-26, " que la France plaide, en concertation avec l'industrie pharmaceutique, avec force devant les institutions internationales en faveur d'une réorganisation des grands marchés pharmaceutiques tenant compte du niveau de vie des populations déshéritées ". Il lui demande son avis sur cette suggestion, souhaiterait savoir si elle recueille son approbation, celle du Gouvernement, et s'il est favorable à sa réalisation.

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Réponse du ministère : Affaires étrangères publiée le 01/11/2001

Aujourd'hui, près d'un tiers de la population mondiale n'a toujours pas accès aux médicaments essentiels. Alors que la population des pays en voie de développement (PED) représente 83 % de la population mondiale, le marché pharmaceutique de ces pays est évalué à 15 % seulement du marché pharmaceutique mondial. Aussi, plus de 10 millions de personnes décèdent chaque année dans les PED d'infections communes chroniques contre lesquelles on dispose pourtant de médicaments. La situation pharmaceutique mondiale est indissolublement liée à la situation sanitaire mondiale, qui dépend elle-même de la situation socio-économique. On peut identifier trois types de marchés pharmaceutiques : les marchés solvables des pays développés, qui constituent le principal débouché pour les entreprises pharmaceutiques basées sur la recherche. Ces marchés présentent trois caractéristiques essentielles : un niveau élevé de protection de la propriété intellectuelle ; l'existence de systèmes de protection sociale dans lesquels les patients ne supportent pas directement le coût des traitements, largement mutualisé ; des mécanismes administratifs de fixation des prix, souvent négociés entre les industriels et les autorités publiques ou les assurances. Ce système tend à des niveaux de prix élevés : les pays émergents dans lesquels coexistent une majorité pauvre obligée de recourir à un système de santé publique souvent délabré et une minorité aisée - parfois importante (plus de 50 millions de personnes en Inde ; 15 à 20 % de la population en Afrique du Sud, représentant la minorité blanche et la classe moyenne de couleur) ayant accès aux soins de qualité du secteur privé ; les pays les plus pauvres, et notamment les pays les moins avancés (PMA), où n'existe pas de véritable marché de la santé et où l'accès aux traitements coûteux relève essentiellement, à ce jour, d'une logique compassionnelle qui ne touche qu'une infime minorité de la population (ainsi, l'accord récemment conclu entre les laboratoires pharmaceutiques et le Sénégal, en dépit de l'affichage d'une très importante réduction de prix, n'a bénéficié jusqu'à présent qu'à un faible nombre de malades...). Le développement exponentiel de l'épidémie de sida dans les pays en voie de développement aboutit aujourd'hui à une crise sanitaire majeure, notamment en Afrique subsaharienne. Cette crise a mis en évidence une défaillance du marché d'autant plus choquante qu'il existe désormais des molécules susceptibles de prolonger la vie des personnes infectées, à défaut de les guérir. Cette défaillance de marché est liée à de multiples facteurs et ne se limite pas à l'action des laboratoires pharmaceutiques, détenteurs des brevets. De même, attribuer à la protection de la propriété intellectuelle - nécessaire au maintien d'une industrie pharmaceutique basée sur la recherche - la responsabilité exclusive de cette défaillance de marché pour conclure à la nécessité d'une remise en cause de l'accord sur les aspects de propriété intellectuelle touchant le commerce (ADPIC), relèverait d'une analyse partielle. Cet accord offre en effet des flexibilités non dénuées d'intérêt (licences obligatoires, importations parallèles, transfert de technologie) aux pays en développement et ne s'appliquera aux PMA qu'en 2006. Le ministère des affaires étrangères, à la demande des Etats et au nom de la solidarité internationale, soutient et appuie la conversion des circuits pharmaceutiques nationaux avec l'aide de tous les partenaires et notamment de l'industrie pharmaceutique française. La France favorise le développement d'actions qui orientent, pour les prochaines années, le cadre des politiques pharmaceutiques en privilégiant la zone de solidarité prioritaire, selon trois axes : améliorer la disponibilité et l'accessibilité des médicaments essentiels par l'harmonisation des procédures d'enregistrement entre les Etats, le développement d'une collaboration entre le secteur public et le secteur privé dans le cadre d'une instance paritaire, la promotion de la production locale et la généralisation de l'autonomie de gestion des centrales publiques d'approvisionnement en vue d'accroître leur efficacité. L'appui de la France a permis par exemple l'élaboration d'un cahier type d'appel d'offres international et d'un référentiel pour l'harmonication de l'enregistrement des médicaments génériques ; renforcer les administrations sanitaires en développant leurs capacités de concertation et d'échange, en mettant en place des laboratoires de contrôle de qualité et en formant des pharmaciens à l'inspection et au contrôle de qualité au sein d'un corps de pharmaciens inspecteurs assermentés. Ceci a notamment été réalisé à Madagascar, avec la création de l'agence malgache du médicament et plus récemment au Bénin, Mali et Togo avec la formation de pharmaciens inspecteurs en partenariat avec l'Union européenne ; promouvoir les médicaments essentiels génériques et l'usage rationnel des médicaments par : la mise en place de programmes nationaux information, éducation, communication (I.E.C.) sur l'utilisation des médicaments essentiels génériques (MEG), le renforcement du rôle des associations professionnelles et des instances ordinales en matière de pratiques professionnelles, la création d'un cadre national de concertation entre l'administration, les institutions de formation et les organisations professionnelles, et l'intensification de la lutte contre le marché illicite des médicaments dans le cadre d'une collaboration régionale. En outre, le ministère apportera son concours au développement et à la production des médicaments. En effet, les endémies tropicales classiques voient leur arsenal thérapeutique se rétrécir avec la disparition progressive de molécules majeures. La plupart des produits utiles pour ces pathologies ont été découverts il y a plus de trente, parfois cinquante ans (Arsobal 1947, Chloroquine 1941) et la mauvaise rentabilité, en termes de marché, écarte tout espoir de recherche et de développement pharmaceutique. A cet effet, un projet de 5 650 000 F permettra de soutenir le développement et de maintenir la production de médicaments destinés aux maladies tropicales, d'étudier et de promouvoir un cadre réglementaire et économique adapté ainsi que de favoriser la conduite d'essais cliniques en Afrique. Enfin, il convient de souligner la stratégie ambitieuse que l'Union européenne élabore sur la question fondamentale de l'accès aux soins et aux médicaments. Le conseil développement a en effet adopté une résolution le 10 novembre 2000, qui constitue un des principaux succès de la présidence française. Sur la question spécifique du prix des médicaments contre le sida, la commission s'est fortement engagée dans la promotion d'une stratégie de prix différenciés, où les laboratoires pharmaceutiques s'engageraient à facturer leurs produits à des prix réduits - proches du coût de fabrication - pour les pays les plus pauvres (PMA), en échange de certaines garanties sur leur non-réexportation vers les marchés solvables des pays développés ou émergents et le respect de la propriété intellectuelle. L'approche développée par la commission - fortement axée sur la réduction du prix des traitements, selon une logique commerciale - présente le grand mérite d'être à la fois très concrète et cohérente mais requiert la coopération des entreprises pharmaceutiques. Cette approche mérite d'être soutenue politiquement.

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