Question de M. AUTEXIER Jean-Yves (Paris - CRC) publiée le 02/04/2003

M. Jean-Yves Autexier interroge M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les risques de déstabilisation d'entreprises françaises appartenant à des secteurs stratégiques. Est-il exact qu'Altran Technologies, fournisseur de nos industries stratégiques, ait connu une baisse du cours de son action de 70 % suite à une rumeur lancée par une firme de courtage sur l'existence d'engagements financiers hors bilan ? Est-il exact que l'entreprise Gemplus, leader mondial de la carte à puces, ait, elle aussi, connu une déstabilisation de son conseil d'administration ? Est-il exact que le fonds d'investissement Texas Pacific Group appuyé par le groupe familial Quandt ait déstabilisé les fondateurs français pour prendre le contrôle de cette entreprise ? Dans ce contexte, il lui demande quelle politique le Gouvernement compte mettre en oeuvre pour éviter la déstabilisation d'entreprises vitales pour le développement de notre pays ainsi que celui de l'Union européenne. La fermeté française face aux Etats-Unis lors de la crise irakienne et les possibles réactions américaines sur le plan commercial ne doivent-elles pas entraîner la mise en oeuvre rapide d'une nouvelle politique d'influence économique pour notre pays ? Afin de renforcer la protection du patrimoine scientifique et industriel américain, l'administration Clinton avait lancé, dès 1993, le Programme national de sécurité industrielle. Les attentats du 11 septembre n'ont fait que renforcer les liens entre l'Etat américain et les entreprises. La doctrine de sécurité économique américaine renferme un volet offensif qui repose sur trois mots clés : interception, influence et manipulation. Il compte aussi un volet défensif, permettant notamment de rendre publique toute prise de participation étrangère de plus de 5 % du capital, pour les industries de défense. Le gouvernement français envisage-t-il des mesures similaires pour nos industries stratégiques ?

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Réponse du Ministère délégué au commerce extérieur publiée le 07/05/2003

Réponse apportée en séance publique le 06/05/2003

M. Jean-Yves Autexier. Monsieur le ministre, ma question porte sur les mesures qu'envisage le Gouvernement pour faire face aux risques de déstabilisation qui pèsent sur certaines entreprises françaises du secteur stratégique.

Ma question est d'actualité au lendemain de la guerre d'Irak et de l'intervention des Etats-Unis. L'administration américaine, par la voix de la conseillère pour la sécurité, Mme Condolezza Rice, ou par celle du secrétaire d'Etat, Colin Powell, a fait état de sanctions possibles.

Toutefois, avant même la guerre d'Irak, nous avions été préoccupés par certains agissements. Ainsi, la société Altran Technologies avait été l'objet d'une campagne d'information erronée, on le saura par la suite, menée par la firme de courtage Merrill Lynch et faisant état d'engagements financiers hors bilan, campagne qui a abouti à une baisse de 70 % du cours de l'action d'Altran permettant son rachat à prix bradé.

Le groupe Gemplus, célèbre pour la fabrication et la commercialisation des cartes à puce, mais aussi fournisseur de Giat-Industries, d'Arianespace, de EADS, a également fait l'objet d'une tentative de déstabilisation de son conseil d'administration, menée sur l'initiative du fonds d'investissement Texas Pacific Group, appuyé par le groupe familial Quandt. Elle a abouti à la nomination d'un directeur général américain dont on s'apercevra par la suite qu'il avait occupé des fonctions importantes à In-Q-Tel, fonds de capital-risque financé par la CIA. Les risques sont considérables.

La stratégie de prise de contrôle est toujours la même : déstabiliser les équipes dirigeantes pour conserver les compétences et les ingénieurs.

L'administration Clinton avait développé un programme national de sécurité industrielle qui comportait une partie défensive dont nous serions avisés de nous inspirer et une partie offensive que nous ne devons pas ignorer et qui pouvait aller jusqu'à la dépénalisation de l'acquisition illégale d'informations.

Quelles réponses entend y apporter le Gouvernement ? Aux Etats-Unis, par exemple, toute entreprise travaillant pour les industriels de défense doit publier les prises de participation égales à au moins 5 % du capital par une société étrangère.

Des mesures de ce type sont-elles envisagées et, plus généralement, quelles dispositions le Gouvernement envisage-t-il de prendre face à cette situation nouvelle ?

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur. Monsieur le sénateur, je suppose que vous ne nous donnez pas en modèle l'expérience américaine, mais que vous interrogez plutôt le Gouvernement sur ses réactions par rapport aux effets que risque d'avoir cette politique sournoise pour notre pays.

Vous m'avez d'abord interrogé, monsieur le sénateur, sur la situation particulière de deux entreprises françaises connues pour leur avance technologique et, plus généralement, sur celle des entreprises dont l'activité relève de secteurs stratégiques.

J'observerai que les entreprises que vous avez citées sont des sociétés privées cotées en bourse, dans la vie desquelles le Gouvernement n'a pas vocation à interférer. Vous souhaitez savoir si elles ont subi des manoeuvres de déstabilisation. En réponse, je vous ferai remarquer que ces entreprises ou certains de leurs actionnaires ont saisi les autorités judiciaires ou de régulation, en l'espèce la Commission des opérations de bourse, un tribunal de commerce et le parquet. De ce point de vue, les entreprises disposent donc d'outils juridiques puissants, qu'il leur appartient d'utiliser si elles estiment être l'objet, de la part de leurs concurrents, de manoeuvres de déstabilisation.

S'agissant de secteurs sensibles mettant en jeu des technologies de souveraineté pouvant induire des dépendances stratégiques pour tout ou partie de notre économie, soyez assuré que les pouvoirs publics ne se désintéressent nullement de la question et restent très attentifs à la protection de notre patrimoine scientifique et technique.

Le Gouvernement a d'ailleurs plusieurs outils à sa disposition. La loi du 14 février 1996 relative aux relations financières avec l'étranger en ce qui concerne les investissements étrangers en France prévoit que si ceux-ci sont de nature à mettre en cause l'ordre public, la sécurité publique ou encore la santé publique, ils doivent faire l'objet d'une autorisation préalable de la direction du Trésor. Toutefois, il est apparu que ces dispositions méritaient d'être complétées pour s'appliquer plus explicitement à la défense nationale, dans le souci de mieux protéger nos technologies de souveraineté. Un amendement allant dans ce sens a été déposé dans le cadre de l'examen du projet de loi de sécurité financière.

Enfin, le Premier ministre est parfaitement attentif à ce sujet puisqu'il a confié en janvier dernier une mission sur l'intelligence économique à M. Bernard Carayon, député du Tarn. Ce dernier remettra son rapport en juin prochain. Je ne doute pas que la maîtrise des technologies de souveraineté et la réduction des dépendances stratégiques de notre pays seront au coeur de ses propositions.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Autexier.

M. Jean-Yves Autexier. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Le parlementaire que vous avez cité est parfaitement informé des réalités et des défis auxquels nous sommes confrontés. Compte tenu de l'urgence, je souhaite que les propositions qu'il formulera soient suivies d'effets.

A cet égard, j'évoquerai un autre exemple, celui de France Télécom, qui s'apprête à vendre les 23 % du capital d'Eutelsat qu'elle détient. Les sociétés américaines sont naturellement tout à fait intéressées : on voit bien quelle marge de manoeuvre leur offrirait une position d'actionnaire dominant s'agissant d'Arianespace ou du système Galileo. L'enjeu est considérable, et notre vigilance en matière d'intelligence économique doit être absolument constante et concerner tous les secteurs de la vie économique nationale.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. François Loos, ministre délégué. Les questions orales n'ont pas pour objet l'examen dans le détail des dossiers particuliers, mais, en ce qui concerne Eutelsat, je puis vous indiquer, monsieur le sénateur, qu'il existe aussi des acheteurs potentiels français et européens, notamment italiens. Bien évidemment, nous suivons ce dossier avec la plus grande attention.

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