Question de M. ESTIER Claude (Paris - SOC) publiée le 16/05/2003

Question posée en séance publique le 15/05/2003

M. Claude Estier. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

M. René-Pierre Signé. Va-t-il répondre ?

M. Claude Estier. Il y a quelques jours, monsieur le Premier ministre, vous avez dit que ce n'est pas la rue qui gouverne. Mais la rue, c'est bien cette France d'en bas qui vous est chère ! Quand elle se remplit aussi massivement que ce fut le cas mardi dernier dans toutes les villes de France pour dénoncer votre projet de réforme des retraites, vous ne pouvez pas ne pas en tenir compte !

M. René-Pierre Signé. Très bien !

M. Claude Estier. Le porte-parole du Gouvernement, M. Copé, affirme qu'il faut expliquer, expliquer, expliquer. Mais sans qu'ils aient eu besoin de recevoir beaucoup d'explications, les Français ont vite compris l'essentiel, à savoir que vous leur demandez de travailler plus longtemps pour toucher une retraite diminuée.

M. René-Pierre Signé. Cela, c'est clair !

M. Claude Estier. Ils ont compris aussi que le financement de votre réforme des retraites n'est nullement assuré, puisque vous tablez surtout sur un accroissement des cotisations résultant d'un taux de chômage ramené, au cours des prochaines années, à 5 % ou 6 %, ce qui reste plutôt incertain.

Le MEDEF, qui a par ailleurs inspiré largement votre réforme,...

M. René-Pierre Signé. Le baron ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Claude Estier. ... considère lui aussi cette hypothèse comme un voeu pieux.

Méfiez-vous de ce type de prévision ! Voyez, par exemple, ce qu'il en est aujourd'hui du déficit des comptes sociaux !

M. René-Pierre Signé. Eh oui !

M. Claude Estier. Au cours de la nuit dernière, MM. Fillon et Delevoye ont fait, sous forme de quatorze propositions, quelques concessions sur l'accessoire - certaines ne trouveraient d'ailleurs application que dans plusieurs années -, mais ils n'ont rien cédé sur l'essentiel, ce qui n'a permis aucun accord, y compris, ce que vous espériez, avec les organisations syndicales les plus enclines à négocier.

C'est la philosophie même de votre projet qui est contestable et contestée, car celui-ci est profondément injuste. De plus, outre l'incertitude de son financement, il comporte de nombreuses incohérences.

Je prendrai quelques exemples.

Vous voulez que l'on travaille plus longtemps, mais vous n'entendez pas ce que disent, par exemple, les enseignants, les personnels soignants et bien d'autres encore à propos de la difficulté qu'ils rencontrent à exercer leur métier au-delà de soixante ans.

Vous ne dites rien non plus des entreprises qui multiplient les plans de licenciement et les préretraites pour les personnes âgées de cinquante-cinq ans. Vous voulez que les seniors, comme on dit, restent en place au-delà de soixante ans, ce qui n'est pas de nature à résoudre l'un des plus graves problèmes de notre pays, à savoir l'importance du chômage des jeunes.

Vous voulez ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, ce qui réduira certes les dépenses de l'Etat, mais apportera autant de cotisations en moins, tout en affectant de nombreux services publics.

M. le président. Posez votre question, monsieur Estier !

M. Claude Estier. Qu'il faille régler le problème des retraites, nous en sommes tous conscients.

M. Jean Chérioux. Ah bon ? On ne le dirait pas !

M. Jacques Dominati. Cela fait vingt ans que j'entends cela !

M. Claude Estier. Mais, en pensant que vous pouviez faire passer ce projet en force, vous vous êtes engagés dans une impasse puisque, nous venons de l'apprendre, une nouvelle réunion avec les partenaires sociaux est prévue cet après-midi. La sagesse dont vous vous réclamez souvent, monsieur le Premier ministre, ne serait-elle pas aujourd'hui de remettre les choses à plat...

M. Nicolas About. Cela fait quinze ans que ça dure !

M. Claude Estier. ... et, plutôt que de lâcher petit bout par petit bout, d'engager enfin une véritable négociation sur l'ensemble des solutions possibles ?

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Réponse du Premier ministre publiée le 16/05/2003

Réponse apportée en séance publique le 15/05/2003

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le sénateur, j'ai beaucoup de respect pour vos engagements et d'estime pour votre personne, j'ai donc écouté avec beaucoup d'attention votre intervention.

Il est vrai que le sujet est difficile. Il est vrai aussi que, si la réforme avait été engagée avant, je n'aurais pas à la mener aujourd'hui. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Roland Courteau. On a commencé !

M. René-Pierre Signé. Et Juppé ?

M. Jacques Dominati. Laissez M. le Premier ministre s'exprimer !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Il est vrai que cette réforme est difficile, mais je l'assume car je crois qu'elle est, pour le pays, très importante.

M. Raymond Courrière. Vous prétendez tout savoir !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Aujourd'hui, ce qui menace les Françaises et les Français,...

M. Raymond Courrière. C'est la droite !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. ... c'est que leur système social n'a pas été assuré pour l'avenir. Aujourd'hui, il faut sauver la retraite par répartition (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE) et nos concitoyens comprennent bien que, avec de moins en moins de Français qui paient et de plus en plus de Français qui touchent,...

Mme Marie-Claude Beaudeau. Et de plus en plus de chômeurs !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. ... la véritable impasse est là : elle est démographique, elle est inscrite dans notre histoire à l'horizon 2006, il faut bien la traiter avec courage et dignité.

Je pense qu'il est très important, aujourd'hui...

M. René-Pierre Signé. De supprimer les chômeurs de cinquante-sept ans !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. ... d'engager notre pays sur la voie de la réforme car, en fait, c'est la non-réforme qui menace les Français,...

Mme Nicole Borvo. C'est faux ! C'est votre réforme qui menace les Français !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. ... notamment les plus fragiles d'entre eux.

Prenez le cas d'un Français qui, toute sa carrière, a touché le SMIC, qui a connu des difficultés financières toute sa vie.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous diminuez l'impôt sur le revenu des plus riches !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Aujourd'hui, sa retraite correspond à environ 80 % de son salaire. Si nous ne faisons pas de réforme, elle ne sera que de 60 %.

M. Jacques Mahéas. Non !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Ainsi, vous le voyez, sans réforme, sa retraite s'effondrerait. Voilà la situation !

M. Jean-Claude Carle. Une situation que l'opposition nous a léguée !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. C'est pourquoi, avec François Fillon et Jean-Paul Delevoye, nous faisons un certain nombre de propositions pour éviter cette baisse des retraites.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais vous diminuez l'impôt sur le revenu des plus riches !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Cela étant, monsieur Estier, permettez-moi de relever une inexactitude dans vos propos. Nous proposons, en effet, de travailler plus, mais pour que tous les citoyens aient la même retraite ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Faites le calcul ! Ne trompez pas les Français ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

Lorsque ce débat viendra au Parlement, nous vous le démontrerons, chiffres à l'appui !

Mme Nicole Borvo. Ce n'est pas exact ! C'est vous qui trompez les Français !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Certains devront travailler deux ans et demi supplémentaires, afin que tous nos concitoyens aient la même durée de cotisation, à savoir quarante ans, et tout le monde pourra alors bénéficier d'un taux de retraite identique. (Les protestations redoublent sur les mêmes travées.)

Mme Nicole Borvo. C'est faux ! Il sera inférieur !

M. Jean-Marc Todeschini. A soixante-cinq ans ?

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. C'est cet esprit d'équité que nous voulons absolument développer, c'est cette convergence qui nous paraît très importante pour notre pays.

Vous avez parlé, monsieur Estier, des manifestations. Nous avons, bien évidemment, été très attentifs à ce mouvement d'inquiétude.

Mme Marie-Claude Beaudeau. On s'en doute !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Comment pourrions-nous ne pas entendre l'inquiétude des Français ?

M. Robert Bret. De la France d'en bas !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. C'est pourquoi, avec les forces sociales, nous poursuivons la discussion. Ainsi, cet après-midi, aura à nouveau lieu une réunion au ministère du travail avec M. François Fillon et M. Jean-Paul Delevoye.

Nous sommes fermes dans notre volonté de réforme, comme dans notre volonté de justice.

M. Bernard Piras. Vous ne faites aucune proposition !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Nous mènerons cette réforme jusqu'au bout, parce qu'elle est nécessaire pour la France. Et tous ceux qui veulent, avec nous, élaborer une réforme plus juste et apporter des contributions positives et responsables seront entendus, comme je l'ai toujours dit, jusqu'au dernier moment.

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