Question de M. LORIDANT Paul (Essonne - CRC) publiée le 22/05/2003

M. Paul Loridant appelle l'attention de Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies sur la situation critique que traversent la source de neutrons ORPHEE et le laboratoire mixte CEA-CNRS Léon-Brillouin (LLB). Ces deux centres constituent un très grand équipement de recherche (TGE), implanté sur le plateau de Saclay, dont l'avenir semble remis en cause. En effet, les organismes de tutelle, durement touchés par les diminutions budgétaires, ont fait part de leur intention soit de se retirer totalement (CNRS), en rupture avec les engagements de la convention en vigueur, soit de diminuer considérablement les coûts (CEA). Sans solution de financement pour 2004, cette installation serait fermée fin 2003. La fermeture de LLB et d'ORPHEE serait un coup sérieux pour l'avenir de la recherche française et son rayonnement, n'entraînant que des économies dérisoires à court terme. C'est pourquoi il l'interroge pour savoir quelles mesures elle entend prendre pour assurer la pérennité de ce très grand équipement de recherche.

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Réponse du Ministre délégué à la recherche et aux nouvelles technologies publiée le 04/06/2003

Réponse apportée en séance publique le 03/06/2003

M. Paul Loridant. Madame la ministre, je me fais l'écho des vives inquiétudes de la communauté scientifique du plateau de Saclay concernant la situation critique que traversent la source de neutrons ORPHÉE et le laboratoire mixte CEA-CNRS Léon-Brillouin, le LLB. Ces deux unités de recherche forment un très grand équipement de recherche dont l'avenir est menacé.

En effet, les organismes de tutelle, le CNRS et le CEA, eux-mêmes durement touchés par les diminutions budgétaires, ont fait part de leur intention, soit de se retirer totalement du financement de ces laboratoires, pour ce qui est du CNRS, soit de diminuer considérablement sa contribution pour réduire ses coûts de fonctionnement, pour le CEA. Sans solution de financement pour l'année 2004, cette installation serait fermée à la fin de l'année 2003.

Il s'agit pourtant d'un outil indispensable pour l'étude de la matière dans des domaines tels que la physique, la métallurgie, la chimie, les sciences de la vie. Il est complémentaire des sources de lumière synchrotron LURE, puis Soleil ; son existence avait d'ailleurs été l'un des arguments retenus pour l'implantation du projet Soleil dans le département de l'Essonne.

Ce laboratoire est le seul centre scientifique national d'utilisation des neutrons, exploité par plus de quatre cents équipes par an, dont environ 30 % sont hors du territoire national - Europe et pays d'Europe centrale et orientale.

Il est par ailleurs soutenu par l'Union européenne, à travers le programme cadre de recherche et de développement technologique, le FP5.

Outre l'impact immédiat sur l'activité scientifique, la fermeture du seul équipement national dans ce domaine semble s'opposer au développement du pôle scientifique d'Ile-de-France Sud que vous connaissez bien, madame la ministre, pour vous y rendre très souvent.

Par ailleurs, à long terme, cette fermeture induirait une perte de compétences scientifiques et techniques dans le domaine de la diffusion neutronique. La France se trouverait alors en position de faiblesse lorsque la décision de nouvelles installations européennes sera prise ; et tout cela pour réaliser des économies dérisoires au regard des enjeux scientifiques et du rayonnement international de la France.

Madame la ministre, pouvez-vous aujourd'hui me donner des éléments de nature à rassurer la communauté scientifique et industrielle de l'Essonne sur l'avenir de ce très grand équipement de recherche ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies. Monsieur le sénateur, vous appelez mon attention sur la situation de la source de neutrons ORPHÉE et sur le laboratoire mixte CEA-CNRS Léon-Brillouin.

Ces entités font actuellement, vous le savez, l'objet d'interrogations, comme c'est le cas depuis de nombreuses années. Je le dis, car je voudrais séparer le problème que vous soulevez du contexte budgétaire que nous connaissons.

Le budget de 2003 du LLB-ORPHÉE en coût complet est de 19 millions d'euros, dont un million provient de recettes européennes ou industrielles. Il est pratiquement identique à celui de 2002, dont les montants sont non négligeables.

Depuis de nombreuses années, le CEA et le CNRS, les deux organismes de tutelle de ce laboratoire créé en 1974, s'interrogent sur la pertinence du maintien en fonctionnement d'ORPHÉE, ce réacteur à neutrons dont la première divergence a eu lieu en décembre 1980. Depuis, il a fait l'objet d'un programme continu de rénovations, avec par exemple la modernisation des sources froides en 1995 et le remplacement du caisson de coeur en 1997. Les rapports sur l'activité du LLB font état, dès 1995, d'interrogations répétées quant à l'opportunité de maintenir ce réacteur en fonction en même temps que le réacteur international de l'institut Laue-Langevin à Grenoble, dont la convention vient justement d'être renouvelée avec l'Allemagne et la Grande-Bretagne pour une durée de dix ans. Le CNRS a dénoncé, en décembre 1996, par anticipation, la convention qui le liait au CEA jusqu'en 1998. Actuellement, nous nous trouvons dans le cadre d'une convention signée en 2001, qui prendra fin au 31 décembre de la présente année, ce qui motive notre interrogation.

L'avenir du LLB doit être envisagé en tenant compte de l'évolution des sources de neutrons en Europe et dans le monde.

L'Allemagne vient d'autoriser le nouveau réacteur FRM II de Münich à entrer en fonctionnement. Ce réacteur disposera d'instruments modernes et d'un flux supérieur à celui du LLB.

La source pulsée à spallation ISIS de Grande-Bretagne sera équipée d'une deuxième cible qui en fera un instrument scientifique puissant, dans un excellent environnement instrumental.

Hors d'Europe, deux sources de neutrons pulsées sont en construction. Il s'agit, d'une part, du SNS, qui a été construit à Oak Ridge, aux Etats-Unis ; les Allemands se préparent à décider la construction d'un instrument autour de cette source. Les Français ont également été sollicités pour y participer.

Il s'agit, d'autre part, du J-Parc, une source pulsée japonaise en construction à Tokai, dont le choix s'est porté sur un faisceau de protons à buts multiples.

Ces sources ont l'ambition d'être les plus performantes au monde à la fin de la décennie.

Récemment, les directions du CEA et du CNRS ont saisi le ministère de la question de la poursuite d'activité d'ORPHÉE, en raison du contexte international que je viens d'évoquer et de l'évolution des techniques d'investigation de la matière, notamment avec les puissantes sources de rayonnement synchroton. Certes, les neutrons représentent un mode aternatif et la question est de savoir quelle place il faut réserver à ce moyen spécifique.

Le ministère a demandé aux deux organismes et au comité des très grands équipements rattachés à la direction de la recherche du ministère de rassembler les éléments d'un débat constructif. Au vu de la pertinence scientifique des projets qui pourraient être attachés spécifiquement à ORPHÉE et des autres équipements de même nature, en France et en Europe, qui sont disponibles maintenant ou qui le seront dans les prochaines années, nous avons demandé d'examiner trois hypothèses.

La première hypothèse, c'est la poursuite d'activité d'ORPHÉE pour une durée minimale de dix ans, avec les conséquences financières en termes de maintenance, d'entretien, de sécurité et de fonctionnement qu'elle implique. La deuxième hypothèse a trait à la poursuite de l'activité jusqu'à ce que les travaux de mise en sécurité en cours à l'institut Laue-Langevin soient validés par les autorités de sûreté, soit deux à trois ans. La troisième hypothèse qu'il convient d'envisager est la fermeture à brève échéance d'ORPHÉE, avec des conséquences, bien entendu, sur l'engagement du démantèlement. Pour l'heure, soyez assuré qu'aucune hypothèse n'est privilégiée. La réflexion a lieu entre les organismes et le ministère.

Il appartient à la communauté scientifique utilisatrice de fixer ses priorités dans le contexte national et européen que j'ai rappelé. Aujourd'hui, il ne semble pas que des partenaires internationaux soient intéressés à augmenter leur participation au LLB. Les nouvelles perspectives, notamment en Grande-Bretagne, en Allemagne et aux Etats-Unis, retiennent en priorité leur attention.

Monsieur le sénateur, telle est la situation. Je ne manquerai pas de vous tenir informé de l'évolution de la réflexion en cours avec les organismes de tutelle.

M. le président. La parole est à M. Paul Loridant.

M. Paul Loridant. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Vous avez confirmé l'existence de trois hypothèses, dont l'une, hélas !, est la fermeture du labaratoire.

Madame la ministre, j'ajouterai simplement deux remarques. D'une part, je n'ai nullement l'intention de remettre en cause la nécessité d'équipements européens et internationaux. Il me semble toutefois qu'un équipement national pourrait compléter la palette de ceux qui existent déjà en matière de sources de neutrons.

D'autre part, madame la ministre, vous fréquentez régulièrement le département de l'Essonne, en particulier le plateau de Saclay, et vous connaissez aussi bien que moi la complémentarité de ces équipements. A force de « détricoter » les laboratoires les uns après les autres, nous mettons en péril la synergie et le rayonnement, si je puis dire, du plateau de Saclay.

C'est pourquoi je me permets d'attirer votre attention, madame la ministre, sur la nécessité de préserver un espace scientifique dans lequel la recherche est si intense, et qui contribue au rayonnement de notre pays et de l'Europe.

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