Question de M. MOULY Georges (Corrèze - RDSE) publiée le 03/03/2005

M. Georges Mouly appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les enjeux importants de la réforme des tutelles, maintes fois annoncée. Le calendrier de mise en oeuvre reste à préciser, laissant personnes vulnérables, familles et associations dans la perplexité, voire dans le doute quant à une réelle volonté de faire aboutir la réforme. Alors que certains aspects du projet de loi dévoilés lors du colloque de décembre 2004 recueillent l'adhésion des associations, chacun s'interroge sur les capacités de la réforme à garantir un accompagnement individualisé des personnes fragilisées. Seule une présentation du projet de loi serait de nature à rassurer sur la volonté de s'engager à restaurer les capacités et les droits des personnes vulnérables tout en assurant leur protection. Il lui demande donc si le projet de loi de réforme des tutelles est prêt à être soumis à l'examen du Parlement.

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Réponse du Secrétaire d'Etat aux droits des victimes publiée le 04/05/2005

Réponse apportée en séance publique le 03/05/2005

M. Georges Mouly. Deux textes législatifs sont à l'origine du dispositif de protection des majeurs : il s'agit de la loi du 18 octobre 1966, relative à la tutelle aux prestations sociales, et de la loi du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs. Depuis lors, ce dispositif est confronté non seulement à l'évolution démographique et sociale, mais aussi à l'évolution législative, notamment avec les textes importants de 2002 - loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale et loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale -, le plan Psychiatrie et santé mentale 2005-2008 et la loi de février 2005. Ces évolutions ont engendré de nouvelles attentes, modifié l'approche de la prise en charge des personnes vulnérables et introduit de nouvelles pratiques de protection des majeurs.

Des réflexions ont été menées, notamment dans le cadre de missions d'inspections générales en 1997, d'un groupe de travail interministériel en 1999, et d'assises des tutelles. La réforme des tutelles a été maintes fois annoncée, sans que nous disposions à ce jour d'éléments concrets.

Dans une réponse donnée sur ce sujet à la fin du mois de décembre 2003, les services du ministère de la justice indiquaient : « le Gouvernement, soucieux d'adapter le dispositif de protection des majeurs en considération des évolutions économiques et sociales intervenues depuis la loi du 3 janvier 1968, a entrepris une réforme globale du droit des majeurs vulnérables. L'un des objectifs de la réforme est de rendre plus efficients les principes de nécessité et de subsidiarité (...). En outre, il est prévu d'introduire dans notre droit le mandat de protection future (...). Il est envisagé d'instituer la fonction de délégué à la protection actuellement exercée par des associations tutélaires, des gérants de tutelle, privés ou hospitaliers. De nouvelles règles relatives au statut, à la formation et aux modalités de financement des intervenants extérieurs à la famille seront élaborées afin de garantir à la fois le recrutement de personnes qualifiées au service des majeurs vulnérables et la reconnaissance de l'activité par elles menée. »

Lors du colloque de décembre 2004 sur la représentation tutélaire en Europe, un projet de loi a été annoncé pour 2005. Certains de ses aspects, qui ont été dévoilés à cette occasion, recueillent, me semble-t-il, l'adhésion des associations du secteur. Cependant, chacun s'interroge sur les capacités de la réforme à garantir un accompagnement individualisé des personnes fragilisées, à permettre la mise en place de l'évaluation médico-sociale préalable à la mesure de tutelle, ainsi que la formation des délégués à la tutelle. La question du financement de cette réforme est également posée.

Le calendrier de mise en oeuvre reste à préciser, les différentes parties concernées - personnes vulnérables, familles et associations - s'interrogeant aujourd'hui sur l'aboutissement du projet de réforme. Dans ces conditions, une présentation du projet de loi serait, à mon avis, de nature à nous rassurer sur votre volonté de restaurer les capacités et les droits des personnes vulnérables, tout en assurant leur protection.

Les enjeux, chacun le sait, sont importants : est-il besoin de rappeler que 600 000 personnes, soit 1 % de la population française, sont sous tutelle ou sous curatelle et que ce chiffre est susceptible d'augmenter considérablement avec le vieillissement de la population et la progression des maladies liées au grand âge ? L'exercice des mesures de protection devient périlleux : les services de tutelle sont submergés et les juridictions sont envahies de demandes de protection.

Je vous demande donc, madame la secrétaire d'Etat, de bien vouloir me dire où en est aujourd'hui le projet de loi de réforme des tutelles, s'agissant notamment du calendrier prévu et du financement.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes. Monsieur le sénateur, la réforme de la protection des majeurs vulnérables sera de très grande ampleur, à la mesure des enjeux démographiques et sociaux que soulève cette question.

Comme vous l'avez rappelé, plus de 600 000 personnes sont aujourd'hui placées sous tutelle ou sous curatelle et l'évolution de la démographie nous permet de prévoir une aggravation de cette situation. Nous avons tous conscience que cela n'est pas acceptable. Tout d'abord, les règles juridiques actuelles ne sont pas adaptées à la protection des personnes elles-mêmes ; ensuite, l'exécution des mesures est insuffisamment contrôlée ; enfin, les mesures de protection sont inadaptées aux personnes qui ne parviennent pas à gérer leurs ressources, non pas en raison de l'altération de leurs facultés mentales, mais à cause des difficultés sociales qu'elles rencontrent.

Face à cet enjeu, la réforme comportera trois volets.

Le premier volet sera juridique : le titre XI du code civil sera profondément remanié. Les principes de nécessité et de subsidiarité des mesures de protection juridique seront renforcés. Le texte traitera aussi de la protection de la personne et non plus seulement de celle de son patrimoine. Le contrôle et la révision régulière des mesures seront améliorés. Enfin, toute personne pourra, par un mandat de protection future, choisir la personne chargée de l'assister ou de la représenter le jour où elle ne sera plus en état d'agir seule.

Le deuxième volet sera social : une mesure d'aide budgétaire et d'accompagnement social sera créée pour aider les personnes qui mettent leur situation personnelle ou familiale en danger du fait des difficultés qu'elles rencontrent pour gérer leurs ressources. Cette mesure sera prise avec l'accord de l'intéressé, mais, en cas d'échec ou de refus, elle pourra être ordonnée par le juge. Elle remplacera ainsi la tutelle aux prestations sociales, qui a montré ses limites.

En outre, la réforme organisera la profession de « mandataire judiciaire de protection des personnes », qui regroupera toutes les personnes extérieures à la famille, lesquelles exercent aujourd'hui les mesures de protection selon des statuts juridiques différents. La réforme précisera les conditions d'accès, d'exercice et d'évaluation.

Enfin, le troisième volet sera financier : le mode de financement des mesures exercées par les professionnels extérieurs à la famille sera harmonisé. En ce domaine aussi, il existe des différences incompréhensibles et, il faut l'avouer, parfois injustes. Ainsi, la rémunération des mandataires de protection sera effectuée par un prélèvement progressif et plafonné sur les ressources de la personne vulnérable. En cas d'insuffisance de celles-ci, ce prélèvement sera, selon le cas, remplacé ou complété par un financement public.

Comme vous le voyez, monsieur le sénateur, il s'agit non pas « seulement » d'un projet de loi, mais d'une réforme globale de l'action en faveur des personnes vulnérables, qui doivent être protégées.

Je vous informe que le projet de loi, rédigé conjointement par les services de la Chancellerie et ceux du ministère des solidarités, de la santé et de la famille, a été soumis à la consultation des autres ministères et que les premiers arbitrages interministériels ont été rendus. Cet avant-projet de loi vient d'être transmis à l'Association des départements de France, pour consultation.

Cette réforme engage non seulement l'Etat, mais aussi les organismes de sécurité sociale, qui sont concernés par la réforme de la tutelle aux prestations sociales, ainsi que les départements, qui auront un rôle essentiel dans la mise en oeuvre des mesures d'accompagnement budgétaire et social. Le Gouvernement entend présenter un projet qui recueille l'assentiment de toutes les parties prenantes à cette réforme. Il est déterminé à y parvenir dans les meilleurs délais, pour saisir la représentation nationale de ce projet de loi avant l'été.

M. le président. La parole est à M. Georges Mouly.

M. Georges Mouly. Madame la secrétaire d'Etat, je souhaite vous remercier profondément et sincèrement, car, aux insuffisances actuelles que vous avez rappelées, sera apportée une solution qui, pour reprendre votre expression, sera de grande ampleur.

Je ne veux pas abuser davantage du temps qui nous est imparti ; en revanche, je tiens à vous dire que, après l'annonce qui vient d'être faite, une grande satisfaction sera sans nul doute ressentie sur le terrain.

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