Question de Mme LUC Hélène (Val-de-Marne - CRC) publiée le 09/03/2006

Mme Hélène Luc tient à faire part à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche de sa vive inquiétude, partagée avec les acteurs du système éducatif, concernant le devenir des zones d'éducation prioritaire (ZEP). Les difficultés sociales et scolaires importantes dans lesquelles se retrouvent de nombreux enfants, avec les conséquences lourdes que l'on connaît au plan humain, familial et économique, appellent une politique ciblée de grande envergure. L'objectif de départ des ZEP, dont les résultats, même contrastés, comme en atteste l'académie de Créteil, sont indéniables, était de remédier à ces situations. Le redéploiement massif annoncé des aides dégagées à cet effet au bénéfice d'un nombre limité d'établissements pénaliserait fortement la grande majorité des élèves. C'est pourquoi, elle lui demande, en lieu et place d'une politique des ZEP régressive, de mettre en oeuvre un plan ambitieux, accompagné d'une programmation des moyens et inscrit dans la durée, visant à offrir l'égalité réelle des chances de réussite aux élèves des établissements situés en ZEP.

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Réponse du Ministère délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche publiée le 05/04/2006

Réponse apportée en séance publique le 04/04/2006

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc, auteur de la question n° 975, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Hélène Luc. Monsieur le ministre, ma question s'adressait à M. de Robien, mais, en tant que ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche, vous êtes directement concerné par les questions que je vais poser au sujet de l'échec scolaire et du CPE.

Monsieur le ministre, après neuf jours et neuf nuits de débats, samedi et dimanche compris, lorsque nous avons achevé l'examen du projet de loi pour l'égalité des chances - l'objectif était de terminer cette discussion avant le mardi 7 mars, jour de la très grande manifestation pour le retrait du CPE - j'ai dit au Gouvernement et aux sénateurs de la majorité ceci : vous avez réussi à faire adopter un projet rejeté par les jeunes, les enseignants, les parents, les salariés et un grand nombre d'élus ; c'est maintenant la rue qui vous obligera à le retirer. La réalité de ce mouvement a été plus importante encore que je ne l'imaginais.

Le discours du président de la République n'a rien changé et toutes les combinaisons qui visent à créer un autre CPE n'ont pas plus de chance d'aboutir.

Ne nous y trompons pas, la mission de M. Sarkozy est non pas d'enterrer le CPE, mais d'en sauver tout ce qui peut l'être, en retardant le débat parlementaire pour épuiser la contestation.

Hier, je suis allée consulter les lycéens du lycée Guillaume Apollinaire de Thiais. Leur avis était unanime : il faut retirer le CPE !

Hier après-midi, je me suis rendue à Paris-XII, la faculté de Créteil. Dans un amphithéâtre bondé, le propos était également unanime : M. Sarkozy n'a pas plus de chance que M. de Villepin d'obtenir notre accord pour le CPE.

Depuis des semaines, monsieur le ministre, les lycéens et les étudiants, avec leurs familles, les salariés et tous nos concitoyens sont mobilisés pour leur avenir. Ils sont portés par une incroyable envie de réussir à s'insérer professionnellement et d'apporter au pays le meilleur d'eux-mêmes. Le Gouvernement, par l'entremise des ministres et des parlementaires de la majorité, porte de terribles coups aux conditions mêmes de leur réussite.

Le CPE doit être définitivement abrogé, selon le voeu d'une majorité de nos concitoyens. C'est ce que montre la puissante mobilisation d'aujourd'hui, qui fait suite à toutes les manifestations qui le rappelaient avec force, dans un grand esprit de responsabilité.

Mais il faut également agir dans bien d'autres domaines, monsieur le ministre. Si la politique d'éducation prioritaire n'est pas remise en cause, nous assisterons à une régression généralisée d'un dispositif qui a fait ses preuves et qui porte ses fruits. Cette année est pourtant censée être celle de l'égalité des chances.

Lors de la discussion de la « loi Fillon », j'avais cité l'exemple de l'école de Gennevilliers, dont les classes avaient des effectifs de dix à quinze élèves, selon les nécessités.

Depuis la création des zones d'éducation prioritaire, les ZEP, voilà plus de vingt ans, l'ensemble des acteurs du système insistent sur ce point, que corroborent toutes les données en matière de violence et d'échec scolaire : une croissance régulière des moyens humains et matériels aurait été nécessaire à la pleine efficacité des mesures prises.

Or vous décidez un véritable redéploiement-démantèlement. C'est le démantèlement d'un réseau d'établissements dans lesquels les équipes ont construit, année après année, avec abnégation et dévouement, dans des conditions souvent périlleuses, des projets de réussite, et mené des actions éducatives innovantes et utiles aux enfants et aux familles, en étroite coopération avec l'environnement social et humain.

Les groupes d'aide psychopédagogique, les GAPP, qui avaient la responsabilité du suivi d'élèves d'un groupe d'écoles de quartier, en maternelle ou en primaire, ou des collèges du quartier, ont été remplacés par les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté, ou RASED, qui doivent assurer la prise en charge de 5 000 élèves.

Je vous livre ce témoignage d'un membre du collège de l'académie de Créteil, témoignage plein d'espoir qui résume, à lui seul, une réalité majoritaire. « Il y a cinq ans, notre collège a été confronté à de rudes problèmes de violence. Pour résoudre les difficultés, nous avons fait le pari de l'exigence de haut niveau dans toutes les disciplines.

« Avec 54 heures de dotations supplémentaires, nous avons mis en place la coanimation de classes, des travaux en petits groupes, de l'aide aux devoirs.

« Au bout de cinq ans, on constate l'amélioration des relations adultes-élèves, de meilleurs résultats au brevet, des passages en seconde plus satisfaisants, une stabilisation des équipes. »

Les moyens, monsieur le ministre, servent à combattre la violence, grâce, en particulier, à des enseignements artistiques que l'on considérerait comme des enseignements à part entière et à des heures d'éducation physique plus nombreuses. Mais, pour ce faire, il faut augmenter le nombre de postes au CAPES pour les étudiants en sciences et techniques des activités physiques et sportives.

M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche. On s'éloigne complètement du sujet !

Mme Hélène Luc. Non, monsieur le ministre, il s'agit du même problème !

M. le président. Veuillez conclure, madame Luc ! Vous avez déjà largement dépassé le temps de parole qui vous était imparti.

Mme Hélène Luc. À Créteil, trois cents étudiants passent leurs examens. Que vont-ils devenir si le nombre de postes au CAPES n'augmente pas ? À quoi cela va-t-il servir ? Voilà comment vous désespérez les étudiants, qui se préparent pourtant à une profession merveilleuse.

Les moyens servent à combattre la violence, mais pas avec des agents de police dans les lycées ou les collèges ! À Choisy-le-roi, à la suite de graves problèmes, un important travail sur la violence avait été réalisé. Les enseignants ont oeuvré avec Didier Deschamps, Joël Quiniou, arbitre international, et Marcel Desailly.

Les moyens sont la condition nécessaire pour rendre efficace la politique de l'éducation prioritaire : d'une part, par l'allègement des effectifs, l'individualisation, la présence d'adultes référents, le développement du travail en équipe, le financement d'actions pédagogiques diversifiées permettant des ouvertures culturelles et artistiques, l'utilisation des nouvelles technologies, la scolarisation possible des enfants de deux ans et, d'autre part, par le développement de classes préparatoires aux grandes écoles accessibles à tous les jeunes qui en ont la capacité, et pas seulement dans les lycées d'élite.

C'est seulement de cette façon qu'il faut agir, c'est-à-dire à l'opposé des mesures de redéploiement que vous prenez. Dans le Val-de-Marne, c'est très clair : vous enlevez des moyens à des établissements situés en zone d'éducation prioritaire pour en donner davantage à d'autres, le collège de Fontenay et le collège Elsa Triolet de Champigny.

C'est ainsi que nous pourrons endiguer le gâchis que représente l'échec scolaire et créer des dynamiques de réussite et de véritables ambitions qui rejailliraient sur tout l'environnement économique et social de nos territoires.

Monsieur le ministre, l'éducation prioritaire n'est pas une variable d'ajustement comptable à la baisse, comme vous le faites, et ce dans un pays où pourtant les profits des entreprises du CAC 40 explosent. L'éducation prioritaire doit être une grande ambition humaine, une volonté, un engagement et un investissement sûr pour l'avenir de la jeunesse de France.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche. Madame la sénatrice, vous venez de brosser un tableau de la société contemporaine, mais je crains que l'école picturale à laquelle vous appartenez ne se distingue pas par son réalisme.

M. le ministre de l'éducation nationale étant absent, il m'a prié de vous communiquer sa réponse à la question que vous aviez initialement posée et qui concernait l'éducation prioritaire.

Le plan de relance de l'éducation prioritaire est une politique de renforcement de l'aide aux élèves qui rencontrent le plus de difficultés.

Il s'agit en effet de créer les conditions d'acquisition des savoirs fondamentaux pour tous les élèves, dès l'école primaire, dans un environnement de réussite, de réduire la fracture culturelle, de créer les conditions d'une orientation positive et ambitieuse, s'ouvrant notamment sur les filières d'excellence.

Il s'agit également de stabiliser et d'aider les équipes pédagogiques, de piloter le dispositif d'éducation prioritaire et de l'évaluer.

Il s'agit enfin d'allouer vraiment plus à ceux qui en ont véritablement besoin, par une action ciblée sur les réseaux « ambition réussite », et de donner ainsi une réalité au principe d'égalité des chances, auquel nous sommes fondamentalement attachés.

Pour mettre en oeuvre ce plan, les moyens dévolus à l'éducation prioritaire sont en augmentation, contrairement à ce que vous venez de déclarer, madame la sénatrice.

Les 249 collèges connaissant les difficultés les plus importantes qui ont été retenus forment, avec les écoles de leur secteur, des réseaux « ambition réussite », constituant le premier niveau de la nouvelle architecture de l'éducation prioritaire, ou niveau EP1.

Dès la rentrée 2006, 1 000 professeurs supplémentaires seront affectés à ces réseaux, et 3 000 assistants pédagogiques viendront en renforcer les équipes...

Mme Hélène Luc. Mais on en supprime 20 000 ailleurs !

M. François Goulard, ministre délégué. ...pour assurer, notamment, l'aide aux devoirs et faire du soutien scolaire.

Ces collèges se verront par ailleurs dotés d'un principal adjoint, quand ils n'en ont pas, et d'au moins une infirmière à plein-temps. Des dispositifs relais s'y développeront en priorité.

Quant aux autres établissements, qui sont classés aux niveaux EP2 et EP3, ils demeurent bien entendu en éducation prioritaire. Leurs élèves connaissent aussi des difficultés sociales et scolaires, même si celles-ci sont objectivement moins lourdes que dans les réseaux « ambition réussite ».

Tous ces collèges et écoles continueront donc de bénéficier, à la prochaine rentrée, des moyens affectés à l'éducation prioritaire et, en plus, des mesures communes de relance de l'éducation prioritaire.

Permettez-moi de citer quelques-unes de ces mesures communes de relance de l'éducation prioritaire.

Je mentionnerai le renforcement du tutorat : 100 000 étudiants des grandes écoles et des universités s'engagent dans l'accompagnement de 100 000 élèves de l'éducation prioritaire, afin de les préparer à entrer dans l'enseignement supérieur dans les meilleures conditions.

Je citerai l'augmentation des bourses au mérite, dont le nombre passera de 28 000 à 100 000 à la rentrée 2006.

Nous renforçons la formation et le pilotage. Les équipes des établissements scolaires en éducation prioritaire bénéficieront en effet d'un accompagnement renforcé, notamment par les corps d'inspection et les dispositifs académiques de formation et d'innovation.

Dans les dix académies qui regroupent le plus grand nombre d'établissements prioritaires, un inspecteur d'académie-inspecteur pédagogique régional sera missionné pour animer localement cette politique.

Le plan de relance de l'éducation prioritaire est à la fois ambitieux dans ses objectifs et juste par la répartition des moyens qu'il y affecte. Le but exclusif, c'est la réussite scolaire.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc.

Mme Hélène Luc. Comme vous vous en doutez, monsieur le ministre, je ne suis pas du tout satisfaite par votre réponse.

Tous les enfants doivent pouvoir apprendre à lire et à écrire au cours préparatoire et ne jamais redoubler cette classe. Car tous les enfants sont capables d'apprendre à lire et à écrire !

Mais, à un moment donné, lorsqu'un enfant rencontre des problèmes, il faut qu'une institutrice s'occupe personnellement de lui pendant une semaine ou quinze jours pour qu'il puisse suivre plus aisément en CE1 et en CE2.

Or, monsieur le ministre, vos propositions me confortent dans l'idée que les élèves les plus défavorisés seront encore plus en échec. Il importe de réparer ce gâchis humain. Pour ce faire, il faudrait prévoir deux années de formation en alternance ; je parle de ceux que vous voulez mettre en apprentissage à quatorze ans et faire travailler la nuit et le dimanche.

Hier, à Créteil, une personne appartenant à la chambre de commerce et d'industrie de Paris a indiqué que les entreprises n'avaient pas besoin de contrat première embauche, pas plus que d'apprentis junior. Elles veulent des jeunes qui apprennent un métier et qui aient un minimum d'instruction générale.

De plus, on constate une déréglementation tous azimuts, qu'il s'agisse des contenus ou des horaires sauvages que vous proposez, hors du cadre national, dans les zones d'éducation prioritaire, avec ce que vous appelez les « super-professeurs ». Pourtant, depuis la loi Fillon, le statut des instituts universitaires de formation des maîtres, les IUFM, n'est encore pas clarifié, et pour cause !

En réalité, vous concevez les zones d'éducation prioritaire comme un tremplin vers l'apprentissage junior à quatorze ans. Vous ne vous étonnerez donc pas que les jeunes se révoltent !

Nos enfants et nos petits-enfants ont la chance de vivre un formidable essor des capacités humaines. L'éducation doit relever les grands défis lancés par l'humanité au nord et au sud de notre planète pour ce XXIe siècle. L'école doit prioritairement axer son éducation sur la formation de l'humain en tant qu'individu et non pas aller dans le sens de Mme Parisot, qui table sur l'échec scolaire des jeunes dans les banlieues pour réserver à ces derniers l'apprentissage junior à quatorze ans.

Or, monsieur le ministre de la recherche, tout commence par la recherche fondamentale, à laquelle il faut octroyer tous les moyens et crédits nécessaires, et ne pas simplement s'attacher aux pôles de compétitivité.

Hier, j'ai eu la chance de représenter le président du Sénat, M. Poncelet, lors d'une conférence sur la santé, l'avenir et le citoyen avec l'ordre des dentistes, à laquelle participait Axel Kahn. Comme à son habitude, celui-ci a été extraordinaire, mais il m'a confié sa déception quant à la loi de programme pour la recherche, car celle-ci n'est pas du tout à la hauteur pour susciter un véritable mouvement de création d'emplois de toutes sortes et améliorer la santé.

Il ne faut pas que le citoyen se sente dépossédé de la science. Or c'est tout à fait ce que ressentent nos jeunes : ils se sentent privés de leurs possibilités d'apprendre et de travailler dans l'entreprise, et c'est ce qu'ils vous disent aujourd'hui, monsieur le ministre. Mais vous ne semblez pas les entendre ! Pourtant, il le faudra bien, car le mouvement qu'ils ont lancé ne s'arrêtera pas.

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