Question de M. MADRELLE Philippe (Gironde - SOC) publiée le 08/11/2007

M. Philippe Madrelle appelle l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les graves conséquences de la réforme arbitraire de la carte judiciaire en Gironde. Il lui rappelle que, dans ce département, quatre tribunaux d'instance et un tribunal de commerce sont supprimés sans aucune concertation préalable. C'est ainsi que la sous-préfecture de Blaye vient de perdre à la fois le tribunal de commerce et le tribunal d'instance, alors que ce dernier affichait une activité en hausse constante. Portant un coup fatal aux communes rurales, cette suppression d'institutions de proximité va aggraver la cassure entre les citoyens et la justice. Cette poursuite inquiétante du démantèlement des services publics va à l'encontre des efforts effectués par tous les élus des communes frappées par ces décisions de suppression. En conséquence, il lui demande de bien vouloir reconsidérer la décision de fermeture du tribunal d'instance de Blaye.

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Réponse du Ministère de la Justice publiée le 19/12/2007

Réponse apportée en séance publique le 18/12/2007

M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle, auteur de la question n° 95, adressée à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice

M. Philippe Madrelle. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous en conviendrez, rarement une réforme gouvernementale n'a suscité un tel front de mécontentement ! Tous les professionnels de la justice se sont rassemblés pour crier leur incompréhension, leur indignation, leur révolte face à cette réforme de la carte judiciaire décidée arbitrairement et sans concertation aucune, au mépris des avis des chefs de cour et des autorités préfectorales, sans parler de celui des élus.

Synonyme de régression, cette réforme n'est en fait qu'un vaste plan de fermeture des tribunaux. Après la suppression des bureaux de poste, des hôpitaux de proximité, des trésoreries et des brigades de gendarmerie, la suppression des tribunaux porte une nouvelle et grave atteinte au service public.

En Gironde - département le plus étendu de France en superficie -, les tribunaux d'instance de Bazas, de Lesparre, de La Réole et de Blaye sont ainsi rayés de la carte.

En ce qui concerne la sous-préfecture de Blaye, la sentence de suppression est double puisque, à la suppression du tribunal de commerce, vient s'ajouter la liquidation du tribunal d'instance. Ressentie comme un non-sens absolu par l'ensemble de la profession et de la population, la suppression du tribunal de Blaye a de quoi surprendre.

En effet, cette décision va à l'encontre de l'évolution même de la structure, car ce tribunal affiche, ces dernières années, une activité en hausse constante, illustrée notamment par une forte augmentation des affaires liées au surendettement, par de très nombreuses procédures de tutelle, par des déclarations de pacte civil de solidarité... Il faut également rappeler que le budget de fonctionnement est de seulement 20 000 euros, avec des locaux mis gratuitement à disposition par la municipalité.

La suppression de ce tribunal va entraîner l'obligation pour les justiciables de se rendre à Libourne ou à Bordeaux, alors que le secteur de la Haute Gironde reste très mal desservi par les lignes de transport en commun : il n'y a pas de ligne ferroviaire, les bus sont très rares pour Bordeaux et inexistants pour Libourne.

La disparition d'un tel service de proximité va aggraver considérablement l'asphyxie des tribunaux de Libourne et de Bordeaux, allonger les délais de délibéré, accroître les distances et créer des coûts de déplacement.

Cette réforme pénalise lourdement les plus faibles et les plus vulnérables. Pourquoi supprimer ainsi un service public qui fonctionne ?

Au-delà d'un coût de fonctionnement très modeste, de l'efficacité reconnue des services rendus, il faut savoir, monsieur le secrétaire d'État, que près de 80 000 justiciables dépendent du tribunal de Blaye, que toutes les professions travaillent de concert et en proximité. Si nous sommes d'accord pour que la nouvelle carte judiciaire s'inscrive à la fois dans une logique de territoires et de services, nous ne pouvons pas accepter qu'elle méconnaisse l'évolution démographique des cantons concernés et les réalités de ce territoire. Ces critères plaident au contraire en faveur du maintien du tribunal d'instance de Blaye.

Vous me permettrez, monsieur le secrétaire d'État, de déplorer les graves conséquences de l'approche technocratique et financière de cette réforme qui va injustement compliquer la vie des justiciables de la Haute Gironde. Une nouvelle fois, la ruralité verse un lourd tribut à la disparition du service public.

Les motions votées à l'unanimité par les élus des conseils municipaux de toutes les communes concernées, quelles que soient les étiquettes politiques, les pétitions signées par plus d'un millier de personnes illustrent bien la volonté politique de tout un territoire qui ne peut se résoudre à voir disparaître le tribunal d'instance.

Ce n'est pas ainsi, monsieur le secrétaire d'État, en oubliant les citoyens, que l'on peut réformer l'État. Il faut absolument que le sort du tribunal d'instance de Blaye soit réexaminé favorablement.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Madrelle, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, retenue ce matin à l'Assemblée nationale et qui regrette de ne pouvoir répondre en personne à votre question.

Voici la réponse qu'elle m'a chargé de vous transmettre.

Vous avez souhaité l'interroger sur les modifications de la carte judiciaire envisagées dans le ressort de la cour d'appel de Bordeaux, notamment sur le devenir du tribunal d'instance de Blaye.

Comme vous le savez, monsieur le sénateur, le tribunal d'instance de Blaye est une juridiction de faible niveau d'activité avec seulement 495 affaires civiles nouvelles par an. Aussi, malgré une augmentation de l'activité civile qui n'a toutefois pas de corollaire en matière pénale, le tribunal d'instance de Blaye compte parmi les 187 tribunaux d'instance dont l'activité ne permet plus de justifier l'emploi d'un juge à plein temps.

Dans ces conditions, la continuité du service, l'accueil du justiciable et la sécurité du tribunal ne peuvent être assurés de manière acceptable.

Il n'est pas non plus concevable, et vous en conviendrez monsieur le sénateur, d'avoir des juges d'instance, souvent nommés à la sortie de l'École nationale de la magistrature, seuls dans leur tribunal, sans possibilité d'échanges avec des magistrats plus expérimentés. Nous avons éprouvé, par le passé, les erreurs auxquelles pouvait conduire ce type de situation.

Je tiens à vous préciser, monsieur le sénateur, puisque vous avez soulevé la question de la concertation, que la réflexion de Mme le garde des sceaux est le résultat de la concertation conduite du mois de juin 2007 jusqu'au 19 octobre 2007, date de l'annonce par Mme le garde des sceaux de la fermeture de cette juridiction lors de son déplacement en Aquitaine.

Mme le garde des sceaux a été notamment attentive aux observations des avocats des deux barreaux de Bordeaux et Libourne. Ceux-ci, par la voix de leur bâtonnier, lui ont fait connaître leur préférence pour un nouveau découpage des ressorts des tribunaux de grande instance de Bordeaux et Libourne permettant le rattachement des cantons composant le ressort du tribunal de Blaye au tribunal d'instance de Libourne plutôt qu'à celui de Bordeaux.

Ainsi, sur le plan de l'aménagement du territoire, il en résultera également un meilleur équilibre entre Bordeaux et Libourne.

S'agissant du tribunal de commerce de Blaye, comme vous le savez, monsieur le sénateur, son niveau d'activité est extrêmement faible : 73 affaires contentieuses nouvelles par an en moyenne entre 2003 et 2005, ce qui représente 12 dossiers par an pour chacun des 6 juges consulaires de cette juridiction, pour une charge moyenne nationale par juge consulaire proche de 60 dossiers.

Ainsi, la fusion de cette juridiction avec le tribunal de commerce de Libourne a été proposée par les chefs de la cour d'appel de Bordeaux. Elle est également conforme à la proposition faite par la conférence des juges consulaires de France.

Enfin, il convient de signaler que les greffes des deux juridictions sont, au demeurant, déjà rassemblés.

M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle.

M. Philippe Madrelle. Monsieur le secrétaire d'État, votre réponse ne saurait me satisfaire. Elle va à l'encontre des intérêts des justiciables. La présidente du tribunal d'instance de Blaye a une grande compétence et une très grande expérience. Les magistrats en poste ne sont pas de nouveaux venus.

Des raisons géographique et démographique plaident en faveur du maintien du tribunal d'instance de Blaye : d'abord, les justiciables de l'arrondissement de Blaye se trouveraient à quelque soixante-dix kilomètres de Libourne sans aucun moyen de transport en commun et, ensuite, 80 000 justiciables dépendent de ce tribunal d'instance.

Il faut également savoir que les personnes vulnérables, sans protection judiciaire, suivies par le juge des tutelles local - 970 personnes protégées sont suivies par le juge des tutelles du tribunal d'instance de Blaye en raison de leur déficience physique ou mentale - ne disposent pas de moyens de transport et sont incapables de se déplacer sur de longs trajets. Cette suppression rendrait virtuelle leur protection, ce qui serait en totale contradiction avec la réforme des tutelles qui va entrer en vigueur en janvier 2009.

Je ne peux donc accepter une telle réponse.

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