Question de M. BEL Jean-Pierre (Ariège - SOC) publiée le 14/12/2007

Question posée en séance publique le 13/12/2007

M. Jean-Pierre Bel. Madame la secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme, la France, forte de ses valeurs républicaines, est souvent une référence, une petite lumière faisant vivre l'espoir chez ceux qui, sous toutes les dictatures de la planète, luttent pour la liberté et la dignité.

Beaucoup de Français, par-delà les clivages politiques, ont pu se retrouver quand Nicolas Sarkozy, alors candidat, promettait d'être « le président de la France des droits de l'homme », ajoutant « qu'il ne croyait pas à la Realpolitik » et qu'il ne fallait jamais renoncer à ses valeurs pour gagner des contrats.

Pourtant, de contrats il a été largement question à l'occasion de la visite en grande pompe du colonel Kadhafi, dictateur libyen, dont le régime repose sur la pratique de la torture, une opposition bâillonnée, des liens ambigus avec le terrorisme.

M. Paul Blanc. Et Castro ?

M. Jean-Pierre Bel. M. Kadhafi est encore, à ce jour, à Paris, reçu avec un faste qui ne cesse de susciter en nous des interrogations, d'autant qu'au lieu d'exprimer des regrets sur ses exactions passées, il se permet toutes les provocations, la première d'entre elles consistant à s'ériger, chez nous, en donneur de leçons de démocratie.

Ce qui est choquant, ce n'est pas d'entretenir des relations avec la Libye, c'est tout ce qui pourrait donner le sentiment de lui délivrer une sorte de brevet d'honorabilité.

Ce qui est choquant, c'est ce changement quelque peu cynique de posture, qui peut conduire à une forme de complaisance, voire de connivence avec les dictateurs de la planète.

Madame la secrétaire d'État, je sais que vous partagez beaucoup de ce que je viens d'exprimer. Alors, je souhaite que notre échange puisse être utile, qu'il serve à nous éclairer.

S'il vous plaît, ne me renvoyez pas à ce qui s'est passé voilà vingt-trois ans, quand le président de la République de l'époque, François Mitterrand, est allé rencontrer Kadhafi à Malte pour le prévenir des conséquences qu'il y aurait pour lui à agresser le Tchad. La question n'est pas non plus de savoir comment il sera accueilli, demain, en Espagne.

Non, les questions qui nous importent en cet instant, ce sont celles qui nous concernent et qui vous concernent, vous qui avez vu le Président de la République féliciter chaleureusement Vladimir Poutine, vous qui n'avez pas eu le droit de participer au voyage présidentiel en Chine, vous que je respecte et que je suis prêt à entendre si vous voulez bien vous expliquer. Ces questions, les voici.

Premièrement, quelles garanties auriez-vous pu obtenir pour que le matériel militaire vendu à la Libye ne soit pas utilisé pour écraser l'opposition dans son pays ou pour déstabiliser des pays africains voisins ?

Deuxièmement, puisque j'ai entendu M. Kouchner expliquer que ce type de réception servait à amener les dictatures vers la démocratie, je voudrais savoir si vous envisagez d'accueillir en France le président iranien ou celui de la Corée du Nord.

M. Alain Gournac. Et qu'avait fait Mme Mitterrand avec Castro ?

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Bel.

M. Jean-Pierre Bel. Enfin, et surtout, vous qui avez déclaré que « le silence tue », comment allez-vous faire pour ne pas renforcer ce que vous dénoncez, pour que la France ne soit plus le paillasson sur lequel tous les dictateurs du monde vont venir s'essuyer les pieds ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - Mme Janine Rozier applaudit également.)

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Réponse du Secrétariat d'État chargé des affaires étrangères et des droits de l'homme publiée le 14/12/2007

Réponse apportée en séance publique le 13/12/2007

Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des affaires étrangères et des droits de l'homme. Monsieur Bel, la visite en France du président Kadhafi reçoit, ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le préciser, le soutien de l'ensemble du Gouvernement. La Libye a réintégré la communauté internationale en 2003, elle a renoncé au nucléaire militaire ainsi qu'au terrorisme. Cela a été dit et sera redit autant que nécessaire. Bien sûr, on pouvait appréhender cette visite après les déclarations du colonel Kadhafi depuis Lisbonne et la coïncidence de sa venue avec la journée des droits de l'homme. Mais, depuis l'arrivée de notre hôte sur le sol français, le Président de la République s'est attaché avec constance et réussite à obtenir du chef d'État libyen des garanties dans ce domaine. M. Jean-Pierre Sueur. Il a dit le contraire ! Mme Rama Yade, secrétaire d'État. Finalement, ce jour de célébration des droits de l'homme aura été l'occasion de rappeler à Kadhafi nos convictions en cette matière. M. Bernard Piras. Langue de bois ! Mme Rama Yade, secrétaire d'État. Nicolas Sarkozy, Français Fillon et Bernard Kouchner l'ont fait. Le Président de la République, pour vous citer un exemple, a ainsi rappelé au colonel Kadhafi que les droits de l'homme étaient pour la France un impératif moral et politique. M. Jean-Pierre Sueur. Il a dit qu'il n'en avait pas parlé ! Mme Rama Yade, secrétaire d'État. Il l'a invité à condamner sans ambiguïté les attentats d'Alger ainsi qu'Al-Qaida, ce que le colonel Kadhafi a été amené à faire. Il lui a fait savoir que nous n'oubliions pas les victimes de l'attentat du DC 10 en annonçant à son hôte qu'il verrait cet après-midi les familles des victimes. À chaque remise en cause de nos principes, notamment sur le Darfour, la diplomatie française a réagi, ne reniant aucune de ses convictions. Il n'y a rien d'étonnant à cela puisque, en même temps qu'il a été le premier Président de la République à ériger la diplomatie des valeurs au premier plan,... M. Jean-Luc Mélenchon. Oh ! M. André Rouvière. Il ne faut tout de même pas exagérer ! Mme Rama Yade, secrétaire d'État. ...Nicolas Sarkozy a démontré à l'occasion de cette visite qu'il était le plus déterminé à mettre en adéquation ses paroles avec ses actes ou ses actes avec ses paroles. Et pas seulement avec le président libyen : il a été tout autant déterminé sur la question des principes en Chine, en Russie ou encore au Darfour. À la sincérité de l'engagement, monsieur le sénateur, il allie l'efficacité,... M. François Marc. Cela ne vous va pas ! Mme Rama Yade, secrétaire d'État. ...puisque c'est lui, et personne d'autre, qui a obtenu la libération des infirmières bulgares ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) C'est lui, également, qui a redonné espoir à la famille Betancourt pour la libération d'Ingrid ! Mme Raymonde Le Texier. Je préfère quand vous parlez en votre nom ! Mme Rama Yade, secrétaire d'État. C'est par le dialogue que nous souhaitons que la situation des droits de l'homme en Libye s'améliore. Ce que nous voulons, c'est encourager ce pays sur la voie d'une démocratie véritable, sans lui donner de chèque en blanc, afin d'éviter qu'il ne se jette dans les bras de l'extrémisme et de la haine de l'Occident. Nous faisons le pari que le choix de la coopération peut être payant, notamment à l'égard de pays comme l'Iran, que vous évoquiez tout à l'heure. C'est cela, la nouvelle politique étrangère de notre pays : fermeté sur les principes, défense de nos intérêts,... M. Jacques Mahéas. Les contrats ! Mme Rama Yade, secrétaire d'État. ...- eh oui, et nous n'avons pas à nous en excuser - et dialogue avec tout le monde ! (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées de l'UMP.) M. Jean-Pierre Sueur. Vous n'avez pas dit cela dans Le Parisien de lundi !

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