Question de Mme DUMAS Catherine (Paris - UMP) publiée le 24/04/2008

Mme Catherine Dumas attire l'attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur les distorsions entre les législations européennes relatives au recel d'œuvres d'art.
Des infractions contre les biens culturels sont commises dans toutes les régions du monde. En Europe, les chiffres ne cessent d'augmenter et témoignent malheureusement de l'intérêt croissant que les malfaiteurs portent aux œuvres d'art. Des centaines d'œuvres sont ainsi dérobées chaque année en France, en Italie, en Allemagne ou encore en Belgique. Ces œuvres sont le plus souvent revendues à des particuliers amateurs d'art, les rendant ainsi à leur insu coupables de recel.
Si l'arsenal juridique interne apparaît satisfaisant pour rechercher et punir les personnes de nationalité française, coupables de recel sur le territoire national, de nombreuses incertitudes liées aux disparités entre les législations des États membres apparaissent lorsque le délit de recel est le fait de ressortissants étrangers.
Dans une affaire récente portant sur des faits de recel ayant eu lieu en Belgique et aux Pays-Bas et portant sur des œuvres volées en France, la Cour de Cassation a rendu le 26 septembre 2007 un arrêt se fondant sur les dispositions de l'article 113-2 du code pénal qui précise qu' « il suffit, pour que l'infraction soit réputée commise sur le territoire de la République, qu'un de ses faits constitutifs ait eu lieu sur ce territoire », et a statué en faveur de la compétence des juridictions françaises en matière de recel d'œuvres d'art à l'étranger.
Cet arrêt traduit l'urgence d'harmoniser les législations des États membres de l'Union européenne, afin d'améliorer la prévention et la répression du trafic illicite d'œuvres d'art et de biens culturels qui font la richesse de nos pays. La prochaine présidence de l'Union européenne pourrait permettre à la France de porter des initiatives fortes sur ce sujet.
Elle souhaiterait qu'elle lui indique les mesures internes et communautaires pouvant être prises pour renforcer la lutte contre le recel, ainsi qu'elle lui précise les initiatives que la France entend porter sur ce sujet à l'occasion de la Présidence de l'Union européenne.

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Réponse du Ministère de la culture et de la communication publiée le 28/08/2008

De nombreuses inquiétudes ont été exprimées sur le trafic de biens culturels au sein de l'Union européenne et sur les distorsions entre les législations européennes relatives au recel d'oeuvres d'art. Cette situation permet à des trafiquants de biens culturels d'échapper aux règles strictes qui prévalent en France en matière de recel de biens culturels. La ministre de la culture et de la communication est convaincue de la nécessité de favoriser l'harmonisation des législations en la matière, qui apparaît à tous les acteurs concernés comme un préalable indispensable à la lutte contre le trafic de biens culturels dans l'Union européenne. De nombreux pays de l'Union européenne, privilégiant la liberté du commerce, ne disposent d'aucune réglementation permettant un contrôle du marché de l'art et une traçabilité des objets. Ces disparités juridiques existantes déterminent souvent les zones de transit ainsi que l'implantation géographique des trafiquants en Europe. Il est tout à fait souhaitable de rechercher une harmonisation des réglementations, et la diffusion de certains éléments présents dans la réglementation française qu'il faut maintenir tels que le livre de police ou la définition du recel comme un délit continu. Les caractéristiques des éléments de l'infraction et des procédures diffèrent dans chaque pays européen. Ainsi la prescription de l'infraction de recel s'avère variable d'un pays à l'autre : délit continu en France, le recel est prescrit après trois ou cinq années dans la plupart des pays européens ; l'établissement de la mauvaise foi du détenteur de l'objet et les règles d'indemnisation du possesseur de bonne foi obéissent également à des réglementations différentes selon les Etats membres. Depuis longtemps, les différentes administrations concernées (ministère de la culture et de la communication, ministère de l'intérieur, direction générale des douanes et droits indirects), ont pris conscience de l'importance de cette problématique. Elle est d'ailleurs souvent abordée au sein de l'Observatoire du marché de l'art et du mouvement des biens culturels, instance informelle créée à l'initiative du ministère de la culture et de la communication et rattachée à la ministre, réunissant des représentants de ces ministères et du marché de l'art, dont une des missions est de contribuer à la lutte contre les trafics illicites de biens culturels. L'Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC), qui y participe régulièrement, a souvent pointé cette disparité des législations en Europe comme une des difficultés majeures pour le travail des enquêteurs. Cette préoccupation a aussi été abordée lors de la table ronde consacrée à la sécurité du patrimoine que la ministre de la culture et de la communication a souhaité organiser le 20 décembre 2007, à laquelle Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, avait aussi participé. À cette occasion, les deux ministres ont annoncé conjointement dix mesures pour renforcer la sécurité des musées et des monuments et intensifier la lutte contre le trafic illicite des biens culturels, dont la première est la création d'une circonstance aggravante en cas de vol de bien culturel protégé en France. Au niveau de l'Union européenne, il est regrettable que la sensibilisation des différentes instances européennes n'ait pas encore permis d'aboutir à des prises de décisions permettant de s'orienter vers une convergence des législations : si des instruments communautaires existent, ils restent insuffisants pour lutter efficacement contre le trafic illicite, qui passe avant tout par une harmonisation des législations en matière de vol et de recel et une coopération renforcée entre les autorités policières, douanières et judiciaire chargées du contrôle des biens culturels, notamment par la mise en place d'une plate-forme commune d'échanges d'informations. Il est toutefois encourageant de noter que la prise de conscience progresse sur ces questions comme en témoigne, par exemple, une communication de la Commission européenne d'août 2006, visant « l'élaboration d'une stratégie globale et cohérente de l'Union européenne en vue de l'établissement de statistiques sur la criminalité et la justice pénale » à travers un plan d'action de l'Union pour 2006-2010 ; elle mentionne le trafic illicite de biens culturels, y compris les antiquités et oeuvres d'art, comme une forme grave de criminalité transfrontalière. La présidence française de l'Union européenne à partir du mois de juillet 2008 offre incontestablement l'occasion de donner une impulsion nouvelle à la promotion d'actions concrètes en ce sens. Les conclusions du groupe de travail interministériel formé par le ministère de la culture et de la communication dans la perspective de cette présidence font apparaître trois priorités d'action à mettre en oeuvre. La première action est l'élaboration d'une revue de droit comparé concernant la législation et les procédures applicables en matière de trafic illicite de biens culturels dans les différents pays de l'Union européenne, préalable indispensable à l'harmonisation des législations. Cette étude vient d'être initiée par le bureau du droit comparé à la Chancellerie auprès des magistrats de liaison et devrait faire l'objet d'une première restitution dès le mois de juillet. Ensuite, la création à l'échelle européenne d'une base de données des objets volés - sur le modèle de la base française TREIMA - ainsi que l'encouragement à l'uniformisation des règlements applicables en matière de protection du patrimoine public et de contrôle de la circulation des biens culturels (exportation et importation) représentent les deux autres actions complémentaires qui seront portées par le ministère. La question du trafic illicite des biens culturels et de la sécurité du patrimoine a été abordée lors d'une réunion informelle des ministres de la culture et de l'audiovisuel qui s'est déroulée les 21 et 22 juillet dernier pour contribuer à faire avancer la réflexion au niveau européen, l'enjeu de la prévention et les mesures à prendre pour lutter contre le vol dans les musées et les archives seront traités à l'occasion de deux colloques organisés par la direction des musées de France le 23 octobre 2008 et par la direction des Archives de France le 21 novembre 2008, réunissant les responsables européens des 27 États membres. Il convient enfin de souligner l'importance des travaux sur le marquage des collections publiques avec la publication d'un guide méthodologique dédié. La France est pionnière dans ce domaine, aucune expérience de cette ampleur n'ayant encore été réalisée en Europe, et pourrait devenir la référence en matière de marquage des biens culturels, qui constitue aussi un moyen de prévention efficace du trafic.

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