Question de M. BERTHOU Jacques (Ain - SOC-A) publiée le 18/10/2012

M. Jacques Berthou attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le délai de prescription applicable en matière prud'homale et ses conséquences sur les actions en réparation engagées par les victimes de l'amiante à l'encontre de leurs employeurs.

En effet, la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile réduit à cinq ans au lieu de trente ans le délai de la prescription extinctive pour toute action personnelle. Ainsi, toutes les actions tendant à l'indemnisation des préjudices d' « anxiété », de « bouleversements dans les conditions d'existence », de la « perte de chance de mener une carrière normale » menées devant les conseils des prud'hommes contre les employeurs ayant exposé leurs salariés à l'amiante seront prescrites le 17 juin 2013, cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi.

Ces préjudices ne sont reconnus devant les cours de justice que depuis 2011, et les procès ne font que commencer. Les associations de défense de victimes rappellent que sans accès à l'ensemble des listings de salariés ayant exercé sur des sites amiantés, le recensement et l'information de toutes les personnes potentiellement contaminées restent très difficiles. À l'heure actuelle, les employeurs n'ont aucune obligation d'information envers leurs anciens salariés sur la contamination et l'importance du suivi post professionnel, les associations soulignent qu'un grand nombre de ces personnes n'ont pas connaissance du danger auquel elles ont été exposées, et l'apprennent souvent fortuitement en rencontrant un ancien collègue malade. Après 2013, il sera malheureusement trop tard pour engager une action en réparation devant les prud'hommes.

En France, contrairement à d'autres pays européens et notamment à l'Italie, la responsabilité pénale des entreprises dans les affaires liées à l'amiante n'est pas reconnue, les procès au civil sont donc les seules possibilités d'obtenir des condamnations.

La loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011 a allongé le délai de prescription, pour les demandes au FIVA (Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante), de quatre à dix ans.

Aujourd'hui il semble nécessaire d'affirmer une véritable volonté politique afin de donner également tous les moyens nécessaires aux victimes de demander réparation devant les prud'hommes.

Aussi, il lui demande quelle mesure le Gouvernement pourrait envisager afin que la prescription prévue en 2013 ne mette pas un terme prématuré à un grand nombre de contentieux potentiels.

- page 2278


Réponse du Ministère de la justice publiée le 07/03/2013

La garde des sceaux, ministre de la justice, est particulièrement sensible à la nécessité d'apporter une réponse juste et efficace aux demandes légitimes des victimes du drame de l'amiante. À cet égard, les règles de prescription applicables aux actions en réparation ne paraissent pas, en l'état du droit, de nature à mettre en péril la situation de ces victimes. En effet, il convient de rappeler que ces règles diffèrent selon que le préjudice allégué résulte ou non d'une atteinte corporelle. Lorsqu'un préjudice tel que le préjudice d'anxiété est la conséquence d'une pathologie déclarée, la prescription de l'action en réparation est de dix ans en application de l'article 2226 du code civil, issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, et selon lequel « l'action en responsabilité née à raison d'un évènement ayant entraîné un dommage corporel [...] se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ». Le point de départ de ce délai étant la date de la consolidation du dommage, en pratique l'action de la victime pourra être engagée, dans bien des cas, plus de dix ans après l'apparition de la pathologie. En revanche, lorsqu'une personne exposée à l'amiante subit un préjudice spécifique d'anxiété qui ne résulte d'aucune atteinte à l'intégrité physique, l'action en réparation est soumise à la prescription quinquennale de droit commun prévue à l'article 2224 du code civil et selon lequel « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ». Il résulte toutefois également de ces dispositions que la prescription ne court pas contre celui qui n'est pas à même d'agir. Or le juge a un large pouvoir d'appréciation pour mettre en œuvre ce principe, tant s'agissant des faits nécessaires à l'exercice du droit que s'agissant de leur connaissance par son titulaire. Il doit apprécier, au cas par cas, en fonction des éléments produits aux débats et de la situation individuelle de chacune des victimes, la date à retenir pour faire courir ce délai de prescription en envisageant également les faits qui seraient susceptibles d'interrompre ou de suspendre la prescription, ou d'en reporter le point de départ. Notamment, il résulte des dispositions de l'article 2241 du code civil que la demande en justice, telle que la constitution de partie civile dans le cadre d'une information pénale, interrompt le délai de prescription, même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure. Dans ces conditions, on ne peut considérer que l'ensemble des actions en réparation de ce préjudice d'anxiété seront prescrites à compter du 17 juin 2013 sans préjuger des décisions qui pourraient être rendues à l'avenir. S'il n'apparaît donc pas nécessaire de prévoir une nouvelle règle de prescription dérogatoire au bénéfice des victimes de l'amiante, il paraît en revanche essentiel de veiller à l'information des personnes concernées, pour qu'elles soient en mesure de faire valoir leurs droits dans les meilleurs délais. Ce à quoi, le Gouvernement s'attachera.

- page 812

Page mise à jour le