Question de M. REICHARDT André (Bas-Rhin - UMP) publiée le 28/11/2013

M. André Reichardt attire l'attention de M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social sur les difficultés dont souffrent les producteurs de légumes depuis plus de dix ans, en raison des pratiques anticoncurrentielles de leurs voisins européens qui ne cessent d'étouffer la compétitivité des entreprises françaises.

La mise en place d'un marché unique, sans harmonisation sociale européenne, révèle ses effets désastreux et des pratiques de « dumping » social, à nos frontières, qui viennent mettre à mal les entreprises et les emplois. La réunion des ministres européens du travail, le 15 octobre 2013, sur la directive « Détachement » a permis de mettre en évidence des abus importants sur l'utilisation de la main d'œuvre détachée, en matière de coût du travail et de règlementation sociale. Mais l'absence de compromis conduit à inciter l'Union européenne à prendre conscience de la nécessité : de lutter contre le « dumping » social par une véritable convergence européenne ; de donner des moyens aux autorités de contrôle nationales, via une procédure harmonisée et de mettre fin aux détournements de la règlementation sociale européenne ; de mettre en place un salaire minimum européen ; enfin, d'assurer des pratiques sociales harmonisées dans le marché unique européen.

Relayant les producteurs de légumes qui s'inquiètent de la situation, il lui demande des précisions sur la stratégie politique du Gouvernement sur cette question et la politique que va mener la France auprès de l'Union européenne.

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Réponse du Ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social publiée le 05/02/2014

Réponse apportée en séance publique le 04/02/2014

M. André Reichardt. Monsieur le ministre, la mise en place d'un marché unique sans harmonisation sociale européenne révèle jour après jour ses effets désastreux, notamment à travers des pratiques de dumping social qui mettent à mal nos entreprises et nos emplois, tout particulièrement dans les régions frontalières comme l'Alsace.

Le 15 octobre 2013, la réunion des ministres européens du travail portant sur la directive Détachement avait ainsi permis de mettre en évidence des abus importants quant à l'utilisation de la main-d'œuvre détachée en matière de coût du travail et de réglementation sociale, mais elle s'était soldée par une absence de décisions. Fort heureusement, les ministres des Vingt-Huit se sont enfin mis d'accord, lundi 9 décembre 2013, pour réguler le détachement des travailleurs d'un pays à l'autre de l'Union européenne. Il a notamment été décidé que chaque gouvernement sera libre de définir les mesures de contrôle qu'il jugera nécessaires pour combattre les fraudes.

C'est ainsi, monsieur le ministre, que vous avez signé voilà à peine deux semaines une instruction avec les ministres chargés des transports, de la concurrence, des douanes, du redressement productif et de l'intérieur pour renforcer l'action de contrôle contre le dumping social dans les transports routiers. Je me félicite de cette action.

Toutefois, il est tout aussi urgent d'agir en faveur d'autres secteurs, très directement concernés, comme le bâtiment ou la production de légumes, dont les acteurs ne cessent de nous interpeller.

Ainsi, pouvez-vous nous dire quelles mesures le Gouvernement compte prendre à l'égard de ces derniers ?

Outre la nécessité de donner des moyens aux autorités de contrôle nationales et de mettre fin au détournement de la réglementation sociale européenne via une procédure harmonisée, il est à mon sens absolument nécessaire, si l'on veut lutter contre le dumping social en faisant preuve d'une véritable convergence européenne, d'une part, de mettre en place un salaire minimal européen - vaste programme s'il en est ! -, d'autre part, de prévoir des pratiques sociales harmonisées dans le marché unique européen.

Les acteurs des différents secteurs concernés s'inquiètent naturellement des mesures qui seront prises à cet égard et ils souhaiteraient obtenir des précisions sur la stratégie du Gouvernement sur cette question, tout particulièrement sur la politique que va mener la France auprès de l'Union européenne.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le sénateur, votre question, qui est en fait double, rejoint une même préoccupation, celle de la lutte contre le dumping social dans l'espace européen.

Ce dernier doit être un espace de progrès social, et non de régression sociale, surtout lorsqu'il est question de la violation des règles qui sont censées s'imposer à tous, quel que soit le secteur concerné. Nous ne pouvons tolérer cette exploitation scandaleuse de salariés, quand bien même viendraient-ils d'autres pays européens que le nôtre, exploitation dont les conséquences en termes de concurrence déloyale peuvent de surcroît être destructrices pour notre tissu économique, que ce soit dans les domaines du transport, du bâtiment, de l'agroalimentaire ou de la production agricole, en l'occurrence légumière.

Pour vous répondre, je me permettrai de développer deux grands sujets, mais très rapidement, afin de rester dans les limites du temps qui m'est imparti.

Nous entendons tout d'abord lutter contre les abus considérables commis en matière de détachement de travailleurs européens en France. Comme vous le savez, monsieur le sénateur, de nombreux travailleurs français sont aussi détachés à l'étranger, et il me semble que vous êtes tout autant que nous attaché à la libre circulation, à condition qu'elle s'exerce dans le respect des règles qui ont été fixées par l'Union européenne. Or tel n'est pas le cas aujourd'hui.

Après de nombreuses années, nous avons enfin pu obtenir, le 9 décembre dernier, un accord largement majoritaire de l'ensemble des États européens. Cet accord permettra à chaque pays de mettre en place des mesures de contrôle. En effet, les règles régissant le travail diffèrent d'un pays à l'autre, de même que les documents nécessaires pour justifier du respect de ces règles. Chaque État pourra donc exiger une liste ouverte de documents permettant de vérifier le respect du droit du travail.

Nous avons aussi le devoir de rendre solidairement responsables le donneur d'ordre et les différentes entreprises sous-traitantes concernées, même si cela vaut peut-être moins dans le domaine légumier, où l'abus est parfois simplement dû au lien entre une exploitation et un pourvoyeur de main-d'œuvre. Toutefois, encore faut-il que la règle existe au plan européen et, en l'occurrence, cet accord a permis de la renforcer.

Viennent ensuite les décisions nationales. Dans quelques semaines, mesdames, messieurs les sénateurs, vous aurez à examiner une proposition de loi qui vise à intégrer dans le droit français les conséquences de l'accord européen, ce qui nous permettra de disposer de l'outil juridique nécessaire pour poursuivre un certain nombre de situations illégales.

Enfin - vous l'avez remarqué à propos du transport routier, monsieur le sénateur, mais je le fais dans beaucoup d'autres domaines -, j'ai demandé à mes services, en collaboration avec ceux de l'URSSAF et du ministère de l'intérieur, de renforcer les contrôles effectifs sur le terrain. Ces contrôles, qui sont à la fois dissuasifs et curatifs, devraient permettre de faire utilement reculer les abus dans ce domaine.

Au-delà, vous avez raison d'inscrire votre question dans le champ plus large d'une Europe sociale, une Europe qui contribue à élever le socle des protections plutôt qu'à l'abaisser vers le niveau le plus bas. C'est un enjeu décisif et, grâce à la coopération entre l'Allemagne et la France, nous avons justement pu relancer une vraie Europe sociale. Étant un élu d'Alsace, vous êtes bien placé pour savoir que la perspective de la mise en place d'un SMIC en Allemagne est considérée comme un véritable progrès, non seulement pour les travailleurs allemands, mais aussi pour de nombreux secteurs en France qui pâtissent aujourd'hui de l'absence de salaire minimal.

Ce retour de l'Europe sociale me paraît extrêmement bénéfique. Nous devons maintenant aller plus loin, passer aux mesures concrètes et faire en sorte qu'un socle de droits minimaux s'applique véritablement sur l'ensemble du territoire européen. Voilà, monsieur le sénateur, une belle bataille que nous pouvons mener ensemble !

M. le président. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre, et me permettrai deux observations.

Tout d'abord, s'agissant des contrôles, tout particulièrement dans la région que vous avez bien voulu citer, il est indispensable de développer la même énergie dans le secteur du bâtiment, dans lequel les entreprises locales éprouvent de nombreuses difficultés du fait de ces pratiques. Je n'oublie pas non plus les producteurs de légumes, que j'ai également évoqués.

Pour ce qui concerne l'harmonisation sociale, vous avez raison d'indiquer qu'il convient d'aller vers une élévation du socle de prestations qui devra obligatoirement se traduire par une modification, à terme, de la directive européenne pertinente. Il faudrait désormais que s'appliquent, non seulement les règles de droit du travail du pays d'accueil, mais également les règles sociales. En d'autres termes, il faudrait aussi que les travailleurs détachés soient amenés, le cas échéant, à participer à une contribution sociale dans le pays d'accueil, ce qui permettrait de régler une grande partie des difficultés actuellement liées à ce dumping social.

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