Question de M. DESESSARD Jean (Paris - ECOLO) publiée le 10/04/2015

Question posée en séance publique le 09/04/2015

M. Jean Desessard. Monsieur le secrétaire d'État, dans notre monde, une personne sur neuf souffre encore de la faim. Des apprentis sorciers nous expliquent que c'est par manque de nourriture, et que ce sont des OGM qu'il nous faudrait pour nourrir les plus pauvres.

En réalité, les famines sont dues non au manque de nourriture mais aux conflits armés, au changement climatique, à la concurrence déloyale de nos pays développés et, surtout, au prix de la nourriture.

Non seulement le prix moyen des matières premières agricoles augmente constamment, mais il est de plus en plus volatil, c'est-à-dire qu'il connaît des pics brutaux et très élevés, dont les effets sont dévastateurs pour l'accès à la nourriture des populations les plus fragiles.

Cette volatilité des prix est la conséquence directe de la financiarisation des marchés alimentaires et agricoles. Dans l'une de ses études, la Banque mondiale a montré que « les activités des fonds indiciels de matières premières ont joué un rôle clé dans la flambée des prix alimentaires de 2008. »

Or qui propose ces fonds indiciels aux investisseurs ? Ce sont les banques, et en particulier les banques françaises. Dans un récent rapport, l'ONG Oxfam indique que BNP Paribas, la Société Générale et Natixis gèrent, à elles trois, 3,5 milliards d'euros d'actifs dans des fonds indiciels agricoles.

Monsieur le secrétaire d'État, dans le cadre de la loi bancaire, des amendements adoptés au Sénat, notamment sur l'initiative des écologistes, avaient introduit davantage de contrôle et de transparence sur la spéculation agricole. Pouvez-vous nous dire où en est l'application de ces mesures par l'Autorité des marchés financiers, l'AMF ?

Au-delà des dispositions légales, monsieur le secrétaire d'État, considérez-vous qu'il est politiquement acceptable que des banques françaises spéculent sur la faim ?

Une chose est sûre : à voir la facilité avec laquelle BNP Paribas a absorbé son amende américaine de 9 milliards de dollars, le monde des spéculateurs ne connaît pas la famine !

Le Gouvernement, qui vient de négocier pour les banques plusieurs milliards d'euros de rabais sur leur contribution au Fonds de résolution européen, ne peut-il pas user du rapport de force pour les ramener à la raison ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)

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Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère des finances et des comptes publics, chargé du budget publiée le 10/04/2015

Réponse apportée en séance publique le 09/04/2015

M. Christian Eckert,secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur, des dispositions importantes, vous l'avez rappelé, ont été introduites dans la loi bancaire en juillet 2013, en anticipation de ce que l'Union européenne met en place avec la directive sur les marchés d'instruments financiers, ou MIF.

Notre approche volontariste a été soutenue par le Parlement, y compris par des membres de votre groupe. En particulier, les pouvoirs de supervision de l'AMF sur les marchés financiers de matières premières agricoles ont été renforcés. Des limites de position ont été introduites sur les instruments financiers dont le sous-jacent est une matière première agricole. Ces limites permettent de s'assurer que les acteurs n'occupent pas sur le marché une position telle qu'ils auraient un impact important sur le cours des matières premières.

Les participants à ce marché des dérivés agricoles devront faire un reporting quotidien à l'AMF, afin qu'elle puisse s'assurer que les limites de position ne sont pas atteintes ou dépassées. Les banques intervenant sur ce marché ne pourront en outre pas détenir de stocks physiques de la matière première agricole sous-jacente dans le but d'influencer les marchés.

Par souci de cohérence, l'AMF a préféré attendre de connaître les standards techniques proposés au niveau de l'Union européenne concernant la méthodologie de calcul des limites de position et des modalités dereporting, évitant ainsi, autant que possible, de mettre en place un dispositif qui aurait dû être modifié profondément par la suite. C'est pourquoi elle a lancé sa consultation le 22 décembre, quelques jours seulement après que les standards techniques eurent été rendus publics.

Sur l'interdiction des fonds spéculatifs, la loi bancaire ne prévoit pas d'encadrement ad hoc des négociations sur les parts d'ETF, ou exchange-traded funds. Cependant, en tout état de cause, les ETF qui entendent répliquer les marchés des matières premières agricoles doivent prendre des positions sur le marché dérivé et se retrouvent donc dans le champ d'application de la loi bancaire. L'interdiction pure et simple de ces fonds n'aurait d'impact que si elle était décidée au niveau européen.

Enfin, en ce domaine comme dans d'autres, le Gouvernement marque son volontarisme. Je signale à votre attention, s'agissant d'un problème différent mais parallèle, l'adoption à l'Assemblée nationale de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, plus connue sous le nom de « proposition de loi Potier », qui responsabilise les entreprises et les donneurs d'ordre quant à l'utilisation de la main-d'œuvre dans les pays d'Asie du Sud-Est, notamment.(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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