Question de M. MASSERET Jean-Pierre (Moselle - Socialiste et républicain) publiée le 11/02/2016

M. Jean-Pierre Masseret attire l'attention de M. le secrétaire d'État, auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger sur l'absence de prise en compte des avis formulés par l'Assemblée nationale et le Sénat dans la réforme du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États dans le traité de libre-échange transatlantique.

Le Sénat et l'Assemblée nationale ont adopté plusieurs résolutions qui pointent les risques inhérents aux négociations commerciales en cours, notamment le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement et l'accord entre l'Union européenne et le Canada (AECG). Pour prévenir les risques d' « atteinte aux droits fondamentaux des citoyens européens » et « à la capacité de l'Union européenne et des États membres à légiférer, particulièrement dans les domaines sociaux, sanitaires et environnementaux », il convient d'exclure de ces négociations le recours à un mécanisme spécifique de règlement des différends entre les investisseurs et les États.

L'actualité récente ne fait que renforcer cette demande. En effet, le 6 janvier 2016 la société TransCanada annonçait poursuivre l'administration des États-Unis devant un tribunal d'arbitrage pour avoir arrêté le projet d'oléoduc Keystone XL. À titre de dédommagement elle demande au gouvernement américain la somme de 15 milliards de dollars. Si la décision n'a pas été rendue, le risque de voir un gouvernement condamné pour avoir décidé d'abandonner un projet « climaticide » est bien réel et très préoccupant.

Contre ce risque, le gouvernement français a proposé une réforme à la Commission européenne qui a fait siennes une partie de ces propositions.

La réforme proposée n'est pas à la hauteur pour résoudre les failles observées dans le mécanisme d'origine. Le dispositif reste un mécanisme parallèle aux systèmes judiciaires de l'Union européenne et des États membres. Il continue d'offrir aux investisseurs étrangers le double privilège de choix de la juridiction et du droit applicable le plus favorable à leurs intérêts. La capacité de réguler des États n'est toujours pas garantie efficacement et les conflits d'intérêt des arbitres ne sont pas résolus, sans compter que la question même de la compatibilité d'un mécanisme d'arbitrage avec le droit européen n'a pas été traitée.

La proposition de la Commission européenne n'a pas été formellement soumise à l'avis du Parlement européen. Elle n'a pas non plus été débattue au Sénat et à l'Assemblée nationale.

Il lui demande ce que compte réellement faire le Gouvernement pour respecter la recommandation des parlementaires des deux chambres d'exclure tout mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États des négociations en cours entre l'Union européenne et les États-Unis et de l'accord avec le Canada.

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Réponse du Secrétariat d'État, auprès du ministère des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger publiée le 07/07/2016

Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États sous la forme de tribunaux d'arbitrage privés tel qu'il est prévu dans une série d'accords de commerce et/ou de protection des investissements était susceptible de faire obstacle au droit de la puissance publique à réglementer pour protéger la santé, la sécurité, les consommateurs, les travailleurs, l'environnement et la diversité culturelle. C'est pourquoi la France a refusé que ce type de mécanisme soit inclus dans le Partenariat commercial transatlantique. Il était indispensable d'inventer un mécanisme neuf qui garantisse à la puissance publique la capacité de conduire des politiques publiques légitimes. La France a ainsi engagé une démarche commune sur ce sujet avec plusieurs pays européens, dont l'Allemagne, afin de faire des propositions concrètes pour un nouveau dispositif conforme aux exigences démocratiques. La Commission européenne a présenté en septembre 2015 une nouvelle proposition de mécanisme de protection des investissements pour le Partenariat commercial transatlantique, qui reprend la plupart des propositions françaises. Cette proposition a été acceptée dans une très large mesure par le nouveau gouvernement canadien de Justin Trudeau dans le cadre de l'AECG/CETA (accord de libre-échange UE-Canada), sans contrepartie. L'AECG/CETA prévoit notamment l'établissement d'une cour bilatérale publique des investissements, composée de juges indépendants hautement qualifiés. Pour éviter les conflits d'intérêt, ces juges auront l'interdiction d'exercer en parallèle des fonctions de conseil dans d'autres procédures de règlement des conflits investisseurs-États. Cette cour publique sera par ailleurs dotée d'un mécanisme d'appel et d'annulation des décisions de première instance, à l'instar des procédures d'appel devant les cours nationales. Enfin, l'accord garantit le droit à réguler des États. Il contient une clause qui stipule que les dispositions relatives à la protection des investisseurs ne pourront empêcher l'adoption de mesures destinées à protéger l'environnement, la santé publique, les normes sociales, les consommateurs ou encore la diversité culturelle, et que les investisseurs ne pourront se prévaloir de ces dispositions au seul motif que la législation a évolué. À terme, l'ambition française et européenne est de créer une justice internationale des investissements : la Cour est un premier pas effectif et concret vers cette refondation nécessaire. Le Canada et l'Union européenne se sont engagés formellement dans l'AECG/CETA en faveur d'une cour multilatérale.  Cette proposition ambitieuse, qui vise à protéger efficacement et complétement le droit à réguler de la puissance publique, sera soumise, comme l'ensemble de l'AECG/CETA, à l'approbation du Parlement européen, et la ratification de l'accord devra être autorisée par les parlements des 28 États membres.

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