Question de M. LEFÈVRE Antoine (Aisne - Les Républicains) publiée le 19/05/2016

M. Antoine Lefèvre attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement sur la crise qui frappe les producteurs laitiers depuis plus d'un an en France. À quelques jours de la seizième édition de la journée mondiale du lait, force est de constater qu'ils doivent faire face à l'endettement et aux maigres revenus. Plusieurs causes expliquent cette crise : la fin des quotas des laitiers qui a, en partie, contribué à la chute du prix du lait ; une production en Europe ayant augmenté de 2 % en moyenne en 2015 ; l'embargo russe établi depuis juin 2014 ; mais aussi la baisse de la consommation dans les pays asiatiques, en Chine notamment.
Ce déséquilibre entre la production et la demande nécessite une politique de régulation, afin d'en limiter les conséquences financières. Or, à l'inverse, l'industrie agro-alimentaire et les coopératives agricoles ont mal vécu les négociations de 2016 avec la grande distribution dont elles dénoncent les méthodes, pires qu'en 2015. Face aux baisses de consommation et à l'embargo russe, il est nécessaire d'élaborer un programme temporaire de réduction de la production au niveau européen, afin de stabiliser les prix. Les pays de l'Union européenne devraient pouvoir s'unir pour que les producteurs ne cèdent pas aux intimidations des distributeurs. Si les prix se stabilisent, ces derniers ne pourront plus menacer d'aller s'approvisionner ailleurs, dans le nord de l'Europe par exemple, où le lait est moins cher et où les importations ont bondi de 16 % en 2015. Par conséquent, il lui demande s'il est possible d'envisager une révision de la répartition des marges entre les différents acteurs de la filière laitière et la mise en place de nouveaux mécanismes européens qui permettront une régulation des prix.

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Réponse du Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt publiée le 01/09/2016

Les filières agricoles, en particulier d'élevage, traversent une période très difficile principalement due à des prix bas qui ne permettent plus la rémunération d'une partie des éleveurs et grèvent les trésoreries des exploitations, parfois déjà fragilisées depuis plusieurs années. Cette situation s'explique en partie par des tensions sur les marchés européens et mondiaux, mais elle trouve sa source également dans les difficultés structurelles d'organisation des filières et dans des relations commerciales peu équilibrées au détriment des producteurs. Le Gouvernement répond à cette crise, de dimension européenne, à la fois par la mise en place de mesures de soutien d'urgence au plan national, mais aussi par la mise en œuvre de mesures de nature plus structurelle, permettant d'apporter des réponses plus durables aux difficultés rencontrées. La France formule des propositions en parallèle, et ce depuis plusieurs mois, auprès de la Commission européenne et des États membres, afin que l'Union européenne prenne toute la mesure de la crise agricole et y réponde avec les outils de régulation des marchés qui sont à sa disposition. La première question qui est posée au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt est celle des prix qui ont atteint des niveaux ne permettant plus toujours une rémunération décente des producteurs. L'été dernier, le ministre en charge de l'agriculture a réuni à plusieurs reprises l'ensemble des acteurs des filières, dans les secteurs de la viande bovine, du porc et du lait, alors que les prix baissaient partout en Europe. Si le droit de la concurrence interdit des accords de prix, ces tables rondes auront eu le mérite de faire échanger les acteurs sur l'ampleur de la crise. En France, les prix du porc et du lait ont diminué moins fortement qu'ailleurs, par la simple prise de conscience que la crise que traversent les éleveurs ne pouvait pas être ignorée. De la même manière, le Gouvernement, lors des négociations commerciales pour 2016 qui se sont achevées fin février, a solennellement appelé les entreprises de transformation et de la grande distribution à davantage de responsabilité et à un esprit de solidarité au regard de la situation des éleveurs. Le Gouvernement a par ailleurs décidé d'accentuer la pression de contrôles pour cette campagne de négociations. Au-delà des négociations commerciales de cette année, tous les acteurs des filières doivent aussi prendre leur part de responsabilité et le Gouvernement sera toujours là pour les y aider. En effet, l'un des grands enjeux auxquels doivent faire face les filières d'élevage est celui d'une meilleure capacité d'organisation, notamment par le renforcement des organisations de producteurs, le développement de systèmes de contractualisation améliorés, une protection accrue face à la volatilité des marchés et une meilleure organisation collective face à la concurrence mondiale. Le Gouvernement a renforcé les organisations de producteurs dans la loi d'avenir pour l'agriculture, a permis de mieux prendre en compte les coûts des matières premières dans les contrats dans la loi relative à la consommation, a renforcé les sanctions pour pratiques commerciales illégales dans la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, a mis en avant, plus récemment, des formes de contractualisation innovantes qui permettent à l'ensemble des acteurs de sécuriser leurs débouchés et approvisionnements, à des prix plus stables qui permettent d'envisager l'avenir de manière plus sereine. Il convient maintenant aux opérateurs économiques de saisir ces opportunités et d'instaurer des relations de confiance pour avancer ensemble dans un environnement très concurrentiel. Pour aboutir à des relations commerciales plus transparentes avec les producteurs, le Gouvernement a formulé des propositions très concrètes dans le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Le texte issu de la première lecture au Parlement comporte des dispositions permettant des avancées importantes pour les agriculteurs. Elles visent à assurer une meilleure répartition de la valeur ajoutée au sein de la filière alimentaire grâce à des relations commerciales plus transparentes et à une contractualisation rénovée entre, d'une part, les producteurs agricoles et les entreprises agroalimentaires et, d'autre part, les entreprises agroalimentaires et les distributeurs. Ainsi, pour les filières soumises à contractualisation écrite obligatoire, le texte prévoit la mise en place d'un accord-cadre entre les acheteurs (transformateurs) et les organisations de producteurs ou associations de producteurs afin de renforcer le pouvoir de négociation des producteurs. Il est également prévu de prendre en compte de manière obligatoire les prix de vente des produits transformés pour la fixation des prix payés aux agriculteurs, afin d'assurer une juste répartition de la valeur. Par ailleurs, l'article 30 du projet de loi interdit la cession à titre onéreux des contrats laitiers entre producteurs, pour une durée de 7 ans, afin de ne pas nuire à la compétitivité de la filière, à l'installation des jeunes agriculteurs et à l'investissement. Dans le même temps, les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale et confirmées par le vote du Sénat, prévoient de rendre obligatoire l'indication, dans les contrats commerciaux entre industriels et les distributeurs, du prix prévisionnel moyen payé au producteur pour les filières soumises à contractualisation obligatoire. Un amendement du Gouvernement adopté par les deux assemblées prévoit également la possibilité pour les entreprises et les distributeurs de négocier des contrats pluriannuels pour une période maximale de trois ans, afin que les parties au contrat puissent disposer d'une meilleure visibilité sur leurs prix et leurs volumes. Ces contrats intégreront une clause obligatoire de révision des prix qui pourra s'appuyer sur des indices publics de coûts de production. En outre, l'amélioration de la situation des producteurs passera également nécessairement par une meilleure qualité des produits et des cahiers des charges de production permettant la signature de contrats générateurs de valeur, autour de la mise en avant de l'origine France. L'État s'est engagé très concrètement à recenser tous ses marchés d'achat alimentaire afin de faire davantage appel aux produits issus de filières ancrées dans nos territoires. Un ensemble d'outils à destination des donneurs d'ordre de la restauration collective publique, État et collectivités, a également été développé pour traduire concrètement la priorité du Gouvernement pour l'ancrage territorial de la production, de la transformation et de la commercialisation des produits. Enfin, les autorités françaises ont notifié à la Commission européenne un projet de décret obligeant, à titre expérimental en France, l'étiquetage de l'origine des viandes et du lait utilisés comme ingrédients dans les produits transformés (l'étiquetage pour les viandes fraîches est déjà obligatoire depuis le 1er avril 2015). Le Commissaire européen en charge de la consommation a répondu par courrier du 4 juillet 2016 aux autorités françaises que rien ne s'opposait au lancement d'une expérimentation telle que proposée par la France. Le projet de décret du Gouvernement est actuellement en cours d'examen au Conseil d'État. Par ailleurs, au-delà de ces actions nationales, le ministre en charge de l'agriculture mène, depuis plusieurs mois, avec le soutien du Président de la République et du Premier ministre, une véritable bataille au niveau européen pour obtenir de la Commission européenne qu'elle reconnaisse la gravité de la crise qui touche les agriculteurs européens et qu'elle prenne les mesures de régulation des marchés qui s'imposent. Ces négociations ont débouché sur la mobilisation de crédits européens d'urgence à hauteur de 500 millions d'euros, dont 420 millions d'euros répartis entre les États membres. La France était le deuxième pays bénéficiaire de cette enveloppe avec près de 63 millions d'euros. Malgré ces crédits d'urgence et les mesures de stockage privé obtenues, les marchés restent dans une situation de tension, en particulier pour le lait et le porc. Le ministre en charge de l'agriculture a donc demandé au Commissaire européen à l'agriculture, en lien avec d'autres États membres, d'étudier de nouvelles mesures qui permettent de réguler davantage les marchés et apportent une réponse durable au déséquilibre de l'offre et de la demande, au nom des producteurs français. Ces demandes ont débouché sur les mesures qui ont été décidées lors du Conseil des ministres de l'agriculture du 14 mars 2016, permettant notamment aux acteurs de planifier collectivement et de manière temporaire la production de lait par dérogation au droit de la concurrence, mettant en place des mesures complémentaires d'aide au stockage privé des produits laitiers et du porc et doublant les volumes de lait écrémé en poudre et de beurre pouvant être mis à l'intervention publique à prix fixe. Le Gouvernement porte désormais tous ses efforts pour mobiliser les acteurs européens afin qu'ils se saisissent des outils disponibles pour stabiliser le marché. Une position commune a d'ailleurs été obtenue avec l'Allemagne et la Pologne lors de son déplacement à Varsovie le 9 juin 2016 afin de solliciter une incitation financière européenne pour encourager la réduction volontaire de la production laitière. Cette étape est importante pour préparer le prochain Conseil des ministres de l'agriculture de l'Union européenne du mois de juillet.

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