Question de M. SUEUR Jean-Pierre (Loiret - SOCR) publiée le 28/05/2020

M. Jean-Pierre Sueur appelle l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la restitution des avoirs illicites issus de la corruption transnationale aux pays et aux populations spoliés. Lors de condamnations par la justice au motif de corruption internationale en France, l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) assure la gestion des biens saisis et l'affectation de l'argent saisi. Il existe aujourd'hui quatre destinations pour les fonds provenant des avoirs confisqués : l'indemnisation des parties civiles, l'abondement de fonds spéciaux, l'autofinancement de l'AGRASC et l'abondement du budget général de l'État. Celles-ci ne se traduisent donc pas par l'affectation des avoirs illicites confisqués au profit des pays et des populations spoliés. Pour remédier à cet état de choses, une proposition de loi a été adoptée à l'unanimité du Sénat visant à mettre en place un fonds dédié à l'affectation des avoirs qui pourraient ainsi être restitués aux pays d'origine et aux populations spoliées. Suite à l'adoption de cette proposition de loi, le Premier ministre a confié une mission à deux parlementaires sur « la réforme du système de privation, de gestion et de restitution des avoirs criminels ». Dans leur rapport, les députés proposent de créer « un dispositif législatif, budgétaire et organisationnel ad hoc et pragmatique permettant la restitution des avoirs confisqués ». Ils proposent notamment de transférer l'argent saisi à l'agence française de développement (AFD), sur une ligne budgétaire dédiée. L'AFD aurait par la suite la responsabilité d'élaborer et de mettre en œuvre des projets de développement dans les pays concernés. Il lui demande, en conséquence, quelles dispositions concrètes elle compte prendre et dans quels délais suite à l'adoption de la proposition de loi par le Sénat et à la remise du rapport précité.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 17/06/2020

Réponse apportée en séance publique le 16/06/2020

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question n° 1197, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame le garde des sceaux, les biens mal acquis représentent une corruption transnationale scandaleuse. Selon l'ONU, elle atteint près de la moitié du montant des aides au développement !

Il est donc très important d'œuvrer pour que les biens déclarés mal acquis par la justice reviennent aux populations spoliées. L'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) accomplit un travail éminent en la matière, mais n'a pas les moyens d'assurer cette restitution.

C'est pourquoi j'ai eu l'honneur de présenter une proposition de loi devant le Sénat, en mai 2019. Cette proposition de loi a été adoptée par notre assemblée à l'unanimité. Là-dessus, le Gouvernement a décidé de confier à deux députés le soin de travailler sur le sujet, ce qui est en effet une possibilité. Ces députés ont rendu leur rapport.

Ainsi donc, vous avez en votre possession une proposition de loi adoptée à l'unanimité par le Sénat et un rapport de deux députés : quand allons-nous prendre des décisions concrètes ? Votre collègue Amélie de Montchalin, siégeant au banc du Gouvernement lors de l'examen de cette proposition de loi, avait pris l'« engagement formel et solennel » que les dispositions seraient définitivement adoptées dans le cadre de la loi de finances pour 2020.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Sueur, la restitution des avoirs criminels confisqués dans le cadre des procédures pénales dites des biens mal acquis est effectivement un enjeu majeur ; elle participe à l'œuvre de justice en faveur des populations lésées.

En l'état de notre droit, les règles de restitution ou de partage ne prévoient pas un retour systématique et intégral de ces biens aux États et populations lésés. En effet, aucun mécanisme de contrôle ne garantit le bon emploi des fonds restitués, notamment leur redistribution aux populations civiles.

Inspirés notamment par les réflexions du Sénat, nous sommes conscients de la nécessité de doter la France d'un dispositif efficace de restitution des avoirs criminels. C'est pourquoi le Premier ministre a désigné les députés Warsmann et Saint-Martin pour examiner la pertinence d'un dispositif innovant de restitution des biens mal acquis.

Sur la base de ces travaux, des échanges sont en cours depuis plusieurs semaines entre les ministères de l'économie et des finances, des affaires étrangères, de l'action et des comptes publics et de la justice en vue d'établir un tel mécanisme, tout en assurant un contrôle des fonds retournés.

Nous travaillons sur deux options pour assurer la restitution effective aux populations spoliées du produit de la corruption internationale confisqué par les juridictions françaises : créer un fonds de concours géré par l'Agrasc ou affecter chaque année à l'Agence française de développement les sommes correspondant aux biens mal acquis, avec un fléchage vers le pays concerné.

Vous n'ignorez pas les enjeux budgétaires et diplomatiques qui doivent être pris en compte. Du point de vue judiciaire, nous devons également veiller à bien délimiter le champ des infractions et à articuler le futur dispositif avec les règles habituelles d'indemnisation des victimes.

Monsieur le sénateur, je puis vous assurer de mon engagement pour trouver les modalités les mieux adaptées permettant de mettre en œuvre dans les meilleurs délais un dispositif de restitution des biens mal acquis, articulé de manière satisfaisante avec l'ensemble de nos impératifs.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour la réplique.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame le garde des sceaux, je prends acte de votre réponse, tout en répétant que le dispositif proposé par le Sénat a été adopté à l'unanimité.

Les deux orientations que vous avez présentées sont tout à fait recevables. L'important, c'est que les fonds ne reviennent pas systématiquement aux États. En effet, comme vous le savez, une juridiction de Paris a considéré que ces sommes, issues de corruptions au plus haut niveau de certains États, devaient revenir aux populations spoliées.

Je souhaite qu'un dispositif soit inscrit dans la loi le plus rapidement possible. Devant le Sénat, je le répète, le Gouvernement s'était engagé pour le mois de décembre de l'année dernière…

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