Question de Mme HARRIBEY Laurence (Gironde - SER) publiée le 19/11/2020

Mme Laurence Harribey attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'arrêt n°20-83 273 rendu par la Cour de cassation le 14 octobre 2020. Cet arrêt entraîne une confusion inquiétante sur la qualification d'un acte en « viol » ou « agression sexuelle », ce qui remet en question la définition même de viol.

En mai 2017, une jeune femme de 19 ans a dénoncé les actes de son beau-père qui lui avait fait subir, à de nombreuses reprises, des violences sexuelles incestueuses dès ses 13 ans. À travers le récit de la victime, la chambre criminelle de la Cour de cassation n'a finalement pas retenu le chef d'accusation de viol à l'encontre de l'accusé. Cet arrêt est jugé très « problématique » par de nombreux avocats spécialistes des violences sexuelles.

Face à la clarté des propos de la victime, la Cour de Cassation répond en niant « un acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit » comme inscrit dans l'article 222-23 du code pénal qui définit le viol. Dans cette affaire, la chambre criminelle de la Cour de cassation estime que pour qualifier les faits de viol, il faut une pénétration, qui plus est « d'une profondeur significative ». Cela signifie qu'avec cet arrêt, la justice crée un précédent qui redéfinit le viol en prenant en compte la mesure d'une profondeur, élément subjectif et objet de toutes les interprétations, aussi fallacieuses que douteuses.

Ainsi, la Cour de cassation a qualifié ces faits « d'agression sexuelle incestueuse par personne ayant autorité sur la victime » et cela a permis le renvoi de l'accusé devant le tribunal correctionnel. Or, les faits de viols doivent être jugés en cour d'assises car ce sont des crimes alors que les faits d'agressions sexuelles sont un délit et doivent passer devant un tribunal correctionnel. En conséquence, les peines sont différentes et les délais de prescription aussi. Le temps d'écoute de la victime diffère également, ce qui peut représenter une atteinte morale à la victime. Tous ces paramètres peuvent avoir de graves conséquences tant sur la victime que sur la nature de la condamnation de l'accusé.

Cet arrêt ouvre la voie à de multiples interprétations de la définition et des modalités de qualification d'un viol. Elle lui demande de proposer rapidement un projet de loi pour modifier et clarifier l'article 222-23 du code pénal, un telle insécurité juridique pour les victimes étant inacceptable.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 28/01/2021

La lutte contre les violences sexuelles est une préoccupation constante du ministère de la justice et du Gouvernement, s'inscrivant dans le prolongement du discours tenu le 25 novembre 2017 par le Président de la République à l'occasion de la journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes. Cette préoccupation s'est notamment traduite par l'adoption des lois du 3 août 2018 et du 30 juillet 2020. La loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a conduit à des évolutions significatives de notre arsenal législatif, en allongeant le délai de prescription des crimes sexuels commis sur mineur, en précisant la notion de contrainte morale, en élargissant la définition du viol, désormais caractérisé en cas de pénétration sexuelle sur la personne de l'auteur, ainsi que la définition du délit d'atteinte sexuelle du mineur de quinze ans, dont les peines ont en outre été aggravées. La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales comporte également des dispositions concernant les infractions sexuelles commises au préjudice des mineurs. Ainsi, les infractions de mandat de viol et d'agression sexuelle ont été créées et le domaine d'application de la loi pénale française dans l'espace a été étendu afin de rendre possibles les poursuites, comme complices, à l'encontre de Français domiciliés en France, qui commanditent de tels faits, sans exigence d'une condamnation de l'auteur principal. Au-delà de cet engagement législatif, le plan de lutte contre les violences faites aux enfants annoncé par le secrétariat d'État en charge de l'enfance et des familles le 20 novembre 2019, à l'occasion des 30 ans de la Convention internationale des droits de l'enfant, prévoit la généralisation sur le territoire national des unités d'accueil pédiatrique enfance en danger (UAPED), qui ont vocation à améliorer les conditions du recueil de la parole de l'enfant et à favoriser une prise en charge pluridisciplinaire. La procédure judiciaire ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour de cassation du 14 octobre 2020 n'est pas achevée, l'affaire étant renvoyée devant le tribunal correctionnel qui a vocation à statuer au fond dans les mois à venir. Le ministre de la justice ne peut commenter une telle décision. Il est néanmoins possible de préciser que l'office du juge de cassation est de contrôler l'application de la règle de droit par les juridictions du premier et second degré, qui, elles, statuent en fait et en droit et disposent d'un pouvoir d'appréciation souverain des faits. A ce titre, la Cour de cassation vérifie la suffisance de la motivation de la décision contestée. En l'occurrence, c'est uniquement cet examen qui a conduit à l'arrêt de la chambre criminelle. Dans cette affaire, la Cour de cassation reprenant l'ensemble des constatations de fait énoncées par la chambre de l'instruction, et non uniquement l'absence « de précision en termes d'intensité, de profondeur, de durée ou encore de mouvement », a ainsi considéré que les circonstances de l'espèce appréciées souverainement par le juge du fond, ne permettaient pas de caractériser suffisamment les éléments constitutifs de l'infraction de viol. Ainsi, par cet arrêt, la Cour de cassation ne propose pas une interprétation nouvelle et restrictive des éléments constitutifs du viol. Elle s'est limitée à considérer que la chambre de l'instruction avait par ses motivations et l'appréciation souveraine des faits, légalement justifié sa décision. En conséquence, une réforme législative motivée par le prononcé de ce seul arrêt, alors même que les éléments constitutifs du viol répriment d'ores et déjà « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit », n'apparaît ni opportune, ni nécessaire.

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