Question de M. KAROUTCHI Roger (Hauts-de-Seine - Les Républicains) publiée le 07/07/2022

M. Roger Karoutchi attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur la prolifération des appels à la violence ou à la haine dans les productions musicales et sur l'impunité dont bénéficient leurs auteurs.

Le parquet a classé sans suite l'enquête ouverte contre un rappeur originaire de la cité du Champy à Noisy-le-Grand pour « apologie de crime d'atteintes volontaires à la vie aggravée », concernant son clip intitulé « Doux pays », et dans lequel il indiquait « J'ai baisé la France jusqu'à l'agonie », et mettait en scène l'assassinat d'une jeune femme.

Il avait déjà été condamné à une amende de 5 000 euros avec sursis, pour un clip intitulé « Pendez les blancs », dans lequel il appelait à tuer « des bébés blancs » dans les crèches. « Attrapez-les vite et pendez leurs parents, écartelez-les pour passer le temps, divertir les enfants noirs de tout âge petits et grands », poursuivait-il.

Ce n'est pas le seul rappeur qui use d'une forme d'impunité pour proférer des chants de haine. Plus récemment encore, un rappeur franco-marocain, ancien humoriste, indiquait à propos des différentes polémiques sur le voile islamique : « Si tu reparles de nos femmes on fera pleurer les douilles (...) ».

Quelle crédibilité donner aux luttes contre toutes les formes de racisme, de sexisme, d'homophobie, lorsqu'aucune sanction n'attend les premiers attiseurs de haine, ceux qui sous couvert de liberté artistique, profèrent les pires horreurs, qui résonnent comme des appels aux plus jeunes et aux plus influençables à commettre le pire.

Il lui demande donc comment le Gouvernement souhaite répondre à la prolifération des chants de haine en France et y mettre un terme.

- page 3288


Réponse du Ministère de l'intérieur et des outre-mer publiée le 02/03/2023

En application de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881, la provocation à commettre des infractions, lorsqu'elle n'est pas suivie d'effet, est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende, outre les peines complémentaires d'affichage et de stage de citoyenneté. Cette infraction se définit comme une incitation directe à commettre des atteintes à la vie, des atteintes volontaires à l'intégrité des personnes, des agressions sexuelles, des vols, extorsions, destructions, dégradations, détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, et des crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. L'élément intentionnel de l'infraction réside dans " la volonté ou la conscience de l'auteur, quels qu'aient été son mobile et son but final, de créer, par un acte de provocation, l'état d'esprit propre à susciterla commission de l'une de ces infractions " (TGI Paris, 17ème ch. 24 janvier 2014). Concernant les propos des artistes incitant à commettre des actes de violences, la jurisprudence s'est prononcée lorsqu'ils visent les forces de l'ordre. S'agissant du rap, les tribunaux tiennent compte du « caractère volontairement provocateur du langage dans ce mode d'expression musical » (Rouen, 14 décembre 2005) et de la liberté de création qui doit pouvoir s'exprimer sur des sujets qui heurtent, choquent ou inquiètent. Mais ils n'entendent pas laisser aux rappeurs une liberté absolue et exigent en conséquence une certaine distanciation inhérente à l'œuvre de fiction. En effet, les juges ont pu considérer que « le tribunal doit notamment déterminer si, s'agissant d'une œuvre de l'esprit, son auteur établit une distanciation suffisante entre l'imaginaire et le réel, entre lui-même et les propos ou actions de ses personnages ». Les juges entrent en voie de condamnation dès lors « qu'aucun élément ne permet de comprendre le caractère fictionnel de l'appel aux meurtres » (TGI Paris, 19 mars 2019). Il s'agit donc, pour les tribunaux de déterminer une limite au-delà de laquelle l'inspiration musicale laisse place à une volonté pénalement répréhensible. Cette application au cas par cas a conduit les tribunaux à des solutions variées, sanctionnant des actes de provocation directe créant un état d'esprit propre à susciter des atteintes à l'intégrité, mais relaxant un chanteur lorsque le public peut prendre conscience de la distanciation entre l'artiste et le personnage (affaires Orelsan c/ Associations « Planning familial », « Chiennes de garde » et autres). Le ministère est fortement impliqué dans la lutte contre toutes les formes de contenus haineux et pour soumettre aux tribunaux et aux parquets les œuvres qui abusent de la liberté de création en portant atteinte à la dignité ou à la sécurité des forces de l'ordre, chaque fois qu'une qualification pénale peut être envisagée. Plusieurs affaires pénales initiées par le ministre sont ainsi pendantes devant les tribunaux, suite à des signalements venus des préfectures ou des Directions générales de la gendarmerie nationale ou de la police nationale. Cet objectif doit toutefois être concilié avec les prérogatives du procureur de la République auquel appartient le pouvoir et l'opportunité des poursuites, en vertu des articles 40 et 40-2 du Code de procédure pénale. En vertu du principe de la séparation des pouvoirs, le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer n'a pas compétence pour interférer dans les décisions de l'autorité judiciaire. Par ailleurs, depuis la loi du 25 juillet 2013, l'article 30 du Code de procédure pénale dispose expressément que le garde des Sceaux, ministre de la Justice, ne peut adresser aucune instruction particulière dans des affaires individuelles. Néanmoins, en vertu de l'article 40-3 de ce code, le plaignant dont la plainte est classée sans suite dispose d'un recours auprès du procureur général. Dans le dossier auquel il est fait référence dans la question écrite, il est indiqué que l'artiste a déjà été condamné, ce qui démontre que des poursuites sont mises en œuvre chaque fois que cela est possible et juridiquement pertinent.

- page 1558

Page mise à jour le