Question de M. CAPUS Emmanuel (Maine-et-Loire - Les Indépendants) publiée le 06/04/2023

M. Emmanuel Capus attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur la généralisation des cours criminelles départementales (CCD).

Définies par l'article 63 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, les CCD sont compétentes pour juger des personnes majeures accusées d'un crime puni de 15 ou 20 ans de réclusion lorsque l'état de récidive légale n'est pas retenu. Composées de cinq magistrats professionnels, elles ne possèdent pas de jury populaire et ont pour objectif de désengorger les cours d'assises en récupérant la moitié des affaires aujourd'hui jugées par cette juridiction.

Les CCD sont généralisées à tout le territoire national depuis le 1er janvier 2023 par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.

Cependant, de nombreux professionnels jugent cette généralisation rapide, l'expérimentation n'ayant pas livré tous ses enseignements. Ils craignent que la justice s'éloigne du citoyen, le jury populaire étant garant d'une certaine indépendance, ainsi que la mise en place implicite d'une justice spécialisée dans les violences sexuelles sans pour autant bénéficier d'une réelle spécialisation ou formation.

Ils mettent en avant le manque de moyens financiers et humains qui risquent de paralyser cette réforme.
Surtout, ils craignent que la procédure soit aussi longue que celle des cours d'assises, notamment en raison du recours aux expertises et que les gains de temps espérés ne soient pas au rendez-vous.

Aussi, il lui demande de bien vouloir lui indiquer si les expérimentations ont permis d'évaluer les gains d'efficacité et de temps.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 07/12/2023

Afin d'assurer un traitement plus rapide des procédures criminelles et de limiter la pratique de la correctionnalisation, la loi de programmation pour la justice du 23 mars 2019 a prévu l'expérimentation de la cour criminelle départementale, à compter du 5 septembre 2019, dans quinze départements pilotes. Composée de cinq magistrats professionnels, la cour criminelle départementale siège sans juré et juge les crimes encourant au maximum la peine de vingt ans de réclusion criminelle. La cour d'assises avec jurés reste ainsi compétente pour les crimes punis des plus lourdes peines, tels que le meurtre et l'assassinat, et pour juger tous les crimes en appel. L'article 9 de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire a généralisé la cour criminelle départementale (CCD) à l'ensemble du territoire national, à l'exception de Mayotte. La cour criminelle départementale cohabite donc avec la cour d'assises depuis le 1er janvier 2023, selon des modalités précisées par la circulaire du 7 décembre 2022 relative aux dispositions procédurales applicables à la cour criminelle départementale. La décision de généralisation de la CCD s'est accompagnée de la création, par décret du 7 janvier 2022, d'un comité d'évaluation et de suivi, lequel a rendu un rapport en octobre 2022 permettant notamment d'analyser et de comparer un grand nombre de données relatives à l'activité de ces cours et aux cours d'assises. Il ressort de ce rapport qu'entre le 5 septembre 2019, date du premier arrêt d'une cour criminelle départementale, et le 14 juin 2022, date du dernier arrêt analysé par le comité d'évaluation et de suivi, 387 affaires ont été jugées, concernant 455 accusés. Si 81 % des accusés l'ont été dans des affaires de viol, les cours criminelles départementales ont jugé diverses autres crimes, tels que les tortures ou actes de barbarie, le vol avec arme, l'enlèvement ou la séquestration, ou encore les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. La CCD n'apparait dès lors pas pouvoir être qualifiée de juridiction spécialisée dans les violences sexuelles criminelles, ce d'autant que ces faits sont en tout état de cause soumis aux cours d'assises en cas d'appel. Il convient en outre de rappeler que l'ensemble des magistrats bénéficient de formations relatives au traitement de ce contentieux particulier, au titre de la formation initiale comme de la formation continue dispensées par l'Ecole nationale de la magistrature. Quant à la durée de la procédure, il est possible d'indiquer, en s'appuyant sur les données statistiques fournies par le service du casier judiciaire national analysées dans le rapport du comité d'évaluation et de suivi, que lorsque l'accusé est détenu, le délai d'audiencement global des affaires peut être 2 à 3 fois plus élevé devant une cour d'assises que devant une CCD, notamment en raison de la difficulté des cours d'assises à résorber un stock croissant. Le rapport indique en outre que le temps d'audience devant une CCD serait, à contentieux identique, environ 12 % moins long que celui devant une cour d'assises. Ainsi, au total, le temps d'audience devant les CCD pour les 387 affaires analysées a été de 863 jours (soit, en moyenne, 2 jours par affaire), alors qu'il aurait fallu 982 jours d'audience aux cours d'assises pour juger ces mêmes affaires (2 jours et demi par affaire). S'agissant par ailleurs du déroulement et de la qualité des débats, il convient de rappeler que les dispositions relatives aux modalités de délibération et de vote à bulletin secret sont applicables à la cour criminelle départementale, de mêmes que la règle de la majorité pour les décisions relatives à la culpabilité de l'accusé et à la peine. Le format procédural criminel est en outre parfaitement respecté. Les principes demeurent en effet ceux de l'oralité des débats et du contradictoire, à travers la citation des témoins et experts nécessaires à la compréhension du dossier. Enfin, sur les huit premiers départements expérimentés, prés de 60 % de crimes ont été jugés en plus grace aux cours criminelles départementale. Au regard de ces éléments, et en l'état des analyses menées par le comité d'évaluation et de suivi, il apparait que la création des cours criminelles départementales a permis de répondre à l'objectif fixé consistant à réduire la durée des audiences, ce qui participe de la résorption du délai d'audiencement des dossiers criminels, tout en garantissant une justice exigeante et conforme aux grands principes de la procédure pénale. Par décision n° 2023-1069/1070 QPC, le Conseil Constitutionnel a, par ailleurs, déclaré les dispositions relatives à la cour criminelle départementale, conformes à la Constitution.

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