Question de M. MASSON Jean Louis (Moselle - NI) publiée le 11/05/2023

M. Jean Louis Masson attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur le fait que le code monétaire et financier utilise dorénavant à de nombreuses reprises le mot « blanchiment » pour qualifier une potentielle infraction. Dans la mesure où le terme blanchiment ne correspond pas à une définition juridique précise, il lui demande comment l'infraction peut être qualifiée et délimitée en matière pénale.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 03/08/2023

Le blanchiment est défini par l'article 324-1 du code pénal qui prévoit que « le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect. Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit ». La jurisprudence est par ailleurs venue préciser l'analyse prétorienne à donner à la définition du blanchiment telle que prévue par le texte. Le blanchiment est une infraction distincte, générale et autonome. Cela signifie en premier lieu que si le blanchiment exige l'existence d'un délit ou d'un crime « d'origine », il n'est pas requis qu'une condamnation ait été prononcée ni que l'ensemble des éléments factuels de l'infraction principale soient démontrés (Crim. 16 mai 2012, n° 11-82.409). Le blanchiment est constitué dès lors que son auteur avait conscience de l'origine frauduleuse des fonds (Crim. 18 janvier 2017, n° 15-84.003). Cela implique également que tous crimes et délits sont susceptibles de constituer l'infraction primaire du délit de blanchiment, conformément aux exigences de la Convention de Strasbourg du 8 novembre 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, de la Convention des Nations Unies contre la corruption du 31 octobre 2003 et de la Convention de Varsovie du 16 mai 2005. La chambre criminelle de la Cour de cassation a eu l'occasion de le rappeler en de nombreuses occasions (notamment en matière de vol, d'abus de confiance, d'escroquerie, d'extorsion, de corruption, de banqueroute, de fraude fiscale, d'abus de biens sociaux, de travail dissimulé…). L'autonomie du blanchiment suppose enfin qu'il peut être constitué même en l'absence de poursuites préalables concernant l'infraction principale, dès lors que sont établis les éléments constitutifs de l'infraction principale (Crim. 20 février 2008, n° 07-.82.977, en matière de blanchiment de fraude fiscale). Les éléments constitutifs du blanchiment sont également bien définis aux termes de l'article 324-1 du code pénal et de la jurisprudence. L'article 324-1 du code pénal prévoit deux modalités s'agissant de l'élément matériel du blanchiment : Le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect (premier alinéa); Le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit (2e alinéa). L'élément moral est double : il consiste d'une part dans la conscience de l'acte de commission du blanchiment, mais également dans la connaissance de l'infraction principale, c'est-à-dire l'illicéité du produit blanchi. Il ressort de la jurisprudence que cet élément intentionnel peut se déduire des « circonstances actuelles objectives » (Crim. 7 décembre 1995, n° 95-80.888, Crim. 4 mai 2011, n° 10-84.456). Cet élément est présumé lorsque le prévenu est un professionnel. Il sera également rappelé que la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 a créé l'article 324-1-1 du code pénal qui institue une présomption de blanchiment des biens ou revenus dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus. Cet article facilite grandement l'action des services répressifs, libérés de la nécessité d'identifier l'infraction d'origine dès lors que le mis en cause n'apporte aucune justification plausible, et pouvant concentrer leurs moyens sur la répression du blanchiment davantage que sur la recherche de l'infraction initiale. Pour autant, et ainsi que le rappelle la circulaire du 23 janvier 2014 relative à la présentation de cette loi, le renversement de la charge de la preuve instituée par ce nouvel article ne dispense pas de démontrer les éléments constitutifs du blanchiment et n'implique pas une présomption de constitution de délit. A cet égard, la chambre criminelle a refusé de transmettre une QPC au Conseil constitutionnel en rappelant notamment que la présomption de l'article 324-1-1 n'est pas irréfragable (Crim. 9 décembre 2015, n° 15-90.019). Il apparaît ainsi que l'infraction de blanchiment est très clairement définie tant par le code pénal que par la jurisprudence de la Cour de cassation. Les dispositions du code monétaire et financier n'ont pas vocation à définir l'infraction de blanchiment mais y renvoient afin d'encadrer les différentes obligations auxquelles sont soumis certains organismes et professionnels (article L561-2 du code monétaire et financier) : obligations de vigilance à l'égard de la clientèle, obligation de déclaration et d'information (notamment auprès de TRACFIN), mise en place de procédures et de contrôle interne…Il peut enfin être souligné que la France s'est dotée d'un dispositif répressif très performant en la matière, en conformité avec les exigences internationales. A cet égard, les travaux du Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (COLB), auxquels participe mensuellement le ministère de la Justice sous l'égide du ministère de l'Economie, permettent de réaliser l'analyse nationale des risques en matière de lutte anti-blanchiment et de préparer l'évaluation de la France par le GAFI.

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