Question de M. SAUTAREL Stéphane (Cantal - Les Républicains-A) publiée le 15/06/2023

M. Stéphane Sautarel attire l'attention de M. le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion concernant le recours à des intérimaires par des sociétés d'abattoirs.
En effet, il est alerté par une entreprise de son département, le Cantal, sur les difficultés que celle-ci rencontre pour avoir recours à des salariés de sociétés intérimaires. L'entreprise Covial est spécialisée dans le secteur d'activité de la transformation et conservation de la viande de boucherie.
Suite à un contrôle dans ses locaux, l'inspection du travail a jugé que les salariés de différents prestataires intérimaires auxquels l'entreprise Covial avait recours seraient un prêt illicite de main-d'oeuvre habillé en contrat de sous-traitance, ce qui constituerait un délit de marchandage au sens de l'article L. 8231-1 du code du travail. Le risque de requalification des contrats touche l'ensemble des abattoirs de la filière qui ont eux aussi recours à des salariés de prestataires intérimaires.
L'article 1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, modifié par l'ordonnance n° 2010-307 du 28 octobre 2010, dispose que « la sous-traitance est l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l'exécution de tout ou partir du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage ». Cette définition a été complété par la jurisprudence
L'article L. 8241-1 du code du travail dispose en son alinéa 1er que : « Toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d'oeuvre est interdite. » La jurisprudence précise que le prêt de main-d'oeuvre est licite lorsque la prestation demandée est nettement définie (Cass. Crim., 19 mars 1985), lorsque le prêt de main-d'oeuvre n'est que la conséquence nécessaire de la transmission d'un savoir-faire ou de la mise en oeuvre d'une technicité qui relève de la spécificité propre de l'entreprise prêteuse (Com. Soc., 9 juin 1993) et lorsque le prestataire assume la responsabilité de l'exécution des travaux et encadre le personnel qui l'effectue (Cass. Crim., 21 janv. 1986).
Or, si l'entreprise Covial fait appel aux salariés de prestataires extérieurs c'est parce qu'elle ne dispose pas malheureusement de la main-d'oeuvre qualifiée pour certaines missions spécifiques, et ce malgré les recrutements effectués. En effet, en 2020 l'effectif moyen s'établissait à 83,66 salariés alors qu'au 30 avril 2022, l'effectif en contrat à durée indéterminée (CDI) était à 93 salariés. Il lui est donc nécessaire pour son activité de faire appel à ces salariés de prestataires extérieurs. Par ailleurs, les salariés de ces prestataires extérieurs bénéficient d'une rémunération et d'avantages supérieurs à ce que l'entreprise Covial serait en capacité de proposer pour un tel poste.
Alors que les dispositions juridiques, réglementaires et la jurisprudence peuvent prêter à confusion, il semble qu'il n'existe aucune disposition spécifique à ces sociétés d'abattoirs.
Il lui demande de préciser les dispositions applicables pour ces sociétés d'abattoirs ou, à défaut, de prendre les dispositions nécessaires, afin que celles-ci ne soient pas pénalisés en faisant appel à des prestataires extérieurs ayant des salariés avec certaines compétences qu'elle n'arrive pas à recruter.

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Réponse du Ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion publiée le 03/08/2023

Il n'appartient pas au Gouvernement de se prononcer sur un cas spécifique ou des contrôles en cours. Le Gouvernement souhaite toutefois rappeler que la lutte contre le travail illégal est une de ses priorités et que les infractions de marchandage et de prêt illicite de main-d'oeuvre viennent sanctionner des opérations de fourniture illicite de main d'oeuvre et qu'elles n'entravent pas le recours à de la main-d'oeuvre extérieure réalisé dans le respect des dispositions légales. L'article L. 8241-1 du code du travail, relatif au délit de prêt illicite de main-d'oeuvre, interdit toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d'oeuvre effectuée en dehors des cas autorisés par la loi. Le travail temporaire constitue l'une de ces exceptions prévues par la loi. Aussi, cette disposition ne fait pas obstacle aux opérations réalisées conformément aux dispositions du code du travail relatives au travail temporaire, seules les opérations réalisées en méconnaissance de celles-ci pouvant être qualifiées de prêt illicite de main d'oeuvre. L'article L. 8231-1 du code du travail, relatif au délit de marchandage, interdit quant à lui toute opération à but lucratif de fourniture de main-d'oeuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu'elle concerne ou d'éluder l'application de dispositions légales ou de stipulations d'une convention ou d'un accord collectif de travail. Le contrat de sous-traitance est, par nature, licite. La sous-traitance est définie par l'article 1er de la loi n° 75-1334 comme toute « opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l'exécution de tout ou partie du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage ». De même, les contrats de prestation de services sont par nature licites. Seule la fourniture prohibée de main d'oeuvre à but lucratif masquée sous l'apparence d'un contrat de sous-traitance ou d'un contrat de prestation de services peut en conséquence être sanctionnée. La qualification donnée par les cocontractants à leur contrat ne lie en effet pas le juge qui recherche, à partir des constatations de fait, quelle est la véritable nature des conventions litigieuses (Cass. Crim. 26 mai 1988, n° 86-91.989). Dans le cadre de cette appréciation souveraine, les juges tiennent notamment compte de la nature de la prestation fournie, de l'encadrement des salariés ainsi que de leur mode de rémunération. Ainsi, la prestation n'est licite que si le prestataire accomplit un travail déterminé, lequel, mais seulement à titre accessoire, implique pour sa réalisation, la présence de ses salariés chez le client. Un contrat de prestation de services suppose par ailleurs que l'exécution du contrat s'effectue sous la responsabilité et la direction du prestataire, qui demeure l'unique employeur des salariés. Même si le prestataire apporte les capacités ou la technicité de sa main d'oeuvre, la prestation ne saurait avoir pour objet de mettre cette main d'oeuvre à disposition du client, une telle opération à but lucratif relevant exclusivement du cadre légal du travail temporaire, avec des garanties spécifiques pour les travailleurs mis à disposition. Si la prestation avait pour objet la mise à disposition de main d'oeuvre auprès du client, l'entreprise prestataire méconnaîtrait les dispositions relatives aux conditions d'exercice de l'activité de travail temporaire. Cette infraction est passible de sanctions pénales (amende de 3 750 euros, la récidive étant punie d'un emprisonnement de six mois et d'une amende de 7 500 euros). L'inspection du travail dispose des outils juridiques pour constater les infractions et proposer des poursuites contre les entreprises qui ne respecteraient pas la législation applicable à l'intérim. En conséquence, il n'existe aucune disposition spécifique applicable aux entreprises exploitant des abattoirs et qu'il ne semble pas opportun de prendre de dispositions sectorielles. J'insiste sur le fait que ces entreprises peuvent, d'ores et déjà, faire appel à des prestataires extérieurs ou à des salariés temporaires dans le respect des dispositions légales. Les services du ministère chargé du travail et de l'emploi sont à disposition de ces entreprises pour rechercher des solutions leur permettant de pourvoir au mieux à leurs besoins de main d'oeuvre.

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