Question de Mme SOUYRIS Anne (Paris - GEST) publiée le 02/11/2023

Mme Anne Souyris interroge Mme la ministre de la culture sur le projet de reconstruction en plomb de la flèche et de la couverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Après l'incendie de la cathédrale en avril 2019, le Président de la République a fait connaître son souhait que l'édifice soit reconstruit à l'identique de l'architecture d'Eugène Viollet-le-Duc. La commission nationale du patrimoine et de l'architecture, dans un avis de juillet 2020, interprétait le parti de restauration proposé par les architectes en chef des monuments historiques, en charge du chantier de Notre-Dame de Paris, comme intégrant le respect des matériaux d'origine, chêne pour la charpente et plomb pour la couverture.

Elle a pris connaissance de la vigilance du ministère de la culture concernant les risques sanitaires liés à l'emploi du plomb lors du chantier et les demandes formulées à l'établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, rappelée dans les réponses aux questions écrites n°17289 d'une sénatrice de la Marne (publiée au Journal officiel le 16/07/2020) et n°31895 d'un député du Loiret (publiée au Journal officiel le 18/08/2020) lors de la 15e législature.

Elle remarque cependant que le ministère ne faisait pas état dans les réponses susmentionnées d'une évaluation des risques sanitaires du choix, réalisé selon des critères structuraux, esthétiques et décoratifs, de restaurer la cathédrale Notre-Dame de Paris au moyen du plomb. Elle souhaite ainsi l'interroger sur les conclusions des différentes évaluations des effets sur la santé humaine que pouvaient avoir l'installation de 400 tonnes de plomb dans ce lieu touristique, conformément à l'article 5 de la charte de l'environnement de 2004. Elle attire son attention sur les qualifications en matière de santé publique et de santé-environnement des autorités et conseils saisis dans le cadre de ces évaluations.

Elle souhaite rappeler que le plomb est un matériau notoirement toxique, sans effet de seuil, c'est-à-dire toxique y compris à très faible dose. Il cause pathologies cardiovasculaires, neurologiques, rénales, hépatiques, hématologiques, cancers et perte de quotient intellectuel chez les jeunes enfants et pollue l'environnement. Selon une étude pilotée par la Banque mondiale, publiée le 12 septembre 2023 dans The Lancet Planetary Health, le plomb serait responsable de cinq millions de décès chaque année dans le monde.

Dans le cas où aucune évaluation sérieuse n'aurait été menée à ce jour et au regard des connaissances scientifiques mentionnées, elle lui demande d'interrompre urgemment le chantier de la cathédrale Notre-Dame de Paris le temps qu'une autorité sanitaire émette un avis circonstancié, de sorte à prévenir une atteinte majeure à la préservation de l'environnement et à la santé humaine. Elle transmet les remarques de l'association des familles victimes de saturnisme concernant l'usage d'alternatives au plomb dans des chantiers patrimoniaux, en l'espèce les cathédrales de Strasbourg et de Metz.

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Transmise au Ministère de la culture


Réponse du Ministère de la culture publiée le 07/03/2024

Le ministère de la culture est pleinement conscient des enjeux de prévention des risques autour du chantier de conservation et de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. De manière générale, les risques relatifs à la conservation du plomb dans les monuments historiques, où il est présent sous de multiples formes, sont pris en compte de longue date par le ministère de la culture et par l'ensemble des propriétaires publics et privés. Le plomb est très présent dans le patrimoine culturel, immobilier comme mobilier, et son usage multiséculaire fait appel à des techniques spécifiques, souvent rares, qui concernent de nombreux corps de métiers et de nombreuses entreprises, notamment celles qui interviennent sur les monuments historiques. Largement employé dans la construction, le plomb reste présent de façon permanente et sous de multiples formes dans les immeubles antérieurs à la seconde moitié du XXe siècle. De nombreux biens culturels se trouvant également dans les monuments historiques, les musées de France, les archives ou les bibliothèques sont composés, de manière constitutive, de plomb. Dans le domaine des monuments historiques, il n'est pas toujours employé sous forme laminée, mais peut aussi, de manière traditionnelle, être utilisé en tables coulées sur sable (la différence concerne le processus de fabrication), à l'exemple des cas suivants : Ouvrages de toitures en plomb métallique (couverture, ornements de toiture, épis de faîtage, terrasses, ouvrages d'étanchéité, chéneaux, gouttières, descentes d'eau) : de nombreux monuments en Europe, et parmi eux les plus grandes cathédrales, ont été, dès l'origine, couverts en plomb : la Sainte-Chapelle, le Val de Grâce, les Invalides, le Panthéon et Notre-Dame à Paris, les cathédrales de Reims, Rouen, Clermont-Ferrand ou Beauvais, le château de Versailles… Aujourd'hui, le plomb occupe une place importante dans les toits patrimoniaux et contribue à l'identité visuelle des centres urbains anciens ; Terre cuite vernissée, céramique émaillée : la technique de glaçure plombifère est utilisée pour les tuiles, les crêtes et les épis de faîtage dès le Moyen Âge (tuiles vernissées de Bourgogne : couverture des hospices de Beaune) ; Réseaux de plomb des vitraux du XIIe au XXe siècle : la France a le privilège et la charge de conserver plus de vitraux antérieurs à la Révolution que tous les autres pays du monde réunis et le corpus des vitraux posés aux XIXe et XXe siècles forme également un patrimoine immense. En France, plus de 50 000 m2 de vitraux antérieurs à la Révolution ont été déposés à la veille de la Seconde Guerre mondiale et les verrières des XIXe et XXe siècles se comptent par dizaines de milliers. Trésors du patrimoine national mais aussi universel, plusieurs monuments célèbres pour leurs vitraux sont inscrits sur la liste du Patrimoine mondial (UNESCO), tels Amiens ou Chartres ; Tuyaux et éléments constitutifs des orgues (alliage plomb-étain) : plus de 1 600 orgues sont classés ou inscrits au titre des monuments historiques sur plus de 8 000 orgues recensés en France ; Réseaux hydrauliques des fontaines et statues des jardins : c'est l'exemple des bassins et fontaines conservées et présentées au public dans le parc du château de Versailles et Saint Cloud ; Scellements et joints dans la maçonnerie : ils assurent, depuis le Moyen Âge, une interface protectrice et absorbante entre des éléments en pierre et ceux en métal ; Objets mobiliers relevant du patrimoine technique, sceaux (collections sigillographiques des archives, bibliothèques et musées, etc.). Le recours au plomb est justifié par les qualités uniques de ce métal très lourd. Sa malléabilité, son aspect esthétique, sa durabilité, très supérieures à celle du zinc et du cuivre, mais aussi à celles d'autres matériaux de couverture, permettent à ce matériau de se prêter à la réalisation d'ornements délicats, comme les lanternons du château de Chambord ou les flèches de la Sainte-Chapelle, de la cathédrale Notre-Dame de Paris ou de la cathédrale d'Amiens. Il présente également une grande résistance aux eaux pluviales, du fait de ses qualités d'imperméabilité et de résistance à la corrosion. L'utilisation de ce matériau dans la restauration des bâtiments anciens permet de perpétuer un procédé de fabrication millénaire, employé dès la construction des édifices et reconduit à chaque restauration. La préservation de ce mode de fabrication, dans la lignée des bâtisseurs médiévaux et modernes, puis des restaurateurs des XIXe et XXe siècles, est garante de la sauvegarde et de la transmission d'un savoir faire, de techniques de fabrication et de mise en oeuvre, et de métiers rares. Les ouvrages et les oeuvres concernés par le plomb comme matériau constitutif présentent un haut intérêt patrimonial. Ni son élimination systématique ni sa substitution par un autre matériau ne sont donc recherchées, au regard des règles de conservation-restauration des monuments historiques et du patrimoine culturel en général, qui intègrent le respect des matériaux constitutifs du bien, en accord avec les chartes internationales du domaine du patrimoine culturel. Le recours à un matériau de substitution risquerait d'ailleurs de mettre en cause l'identité architecturale de nombreux bâtiments à l'occasion des restaurations et, de ce fait, l'intérêt d'art ou d'histoire qui a justifié la protection au titre des monuments historiques. Le choix d'un matériau de substitution dans le domaine du vitrail ou des orgues n'est, en outre, techniquement pas envisageable. Les oeuvres d'art constituées de plomb, tels que les statues, les sceaux ou les céramiques plombifères, ne peuvent pas davantage faire l'objet de substitution. Par ailleurs, un tel changement de pratique aurait des répercussions désastreuses sur l'activité des artisans et des restaurateurs qui portent en France ce savoir-faire ancestral, patrimoine culturel immatériel : une trentaine d'entreprises de couvreurs ornemanistes spécialisés dans la restauration des couvertures en plomb, 450 ateliers de maîtres-verriers, 80 entreprises de facture d'orgue. Les risques relatifs à l'emploi et à la conservation du plomb sont bien identifiés, notamment sur le chantier de Notre-Dame de Paris. Tous les chantiers de conservation et de restauration font l'objet de modes opératoires spécifiques, préparés entre la maîtrise d'oeuvre, le coordonnateur de sécurité et de protection de la santé et les entreprises, en lien avec l'inspection du travail qui les valide. Ces modes opératoires permettent de garantir la prévention des risques pour tous les intervenants présents sur les chantiers. Concernant le chantier de Notre-Dame, le projet de restauration de la cathédrale a été soigneusement étudié par la maîtrise d'oeuvre et l'établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, maître d'ouvrage. Le 9 juillet 2020, la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture a approuvé « à l'unanimité le parti de restauration proposé, consistant à rétablir l'architecture de Viollet-le-Duc, notamment en ce qui concerne la couverture et la flèche, dans le respect des matériaux d'origine : le chêne pour la charpente et le plomb pour la couverture ». Dans sa décision du 7 octobre 2022 portant autorisation de travaux sur un immeuble classé au titre des monuments historiques, relative aux travaux de couverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, le préfet de la région Île-de-France a conditionné son autorisation « à la réalisation conjointe, d'une part, d'un dispositif de recueil des eaux de ruissellement sur la toiture en plomb et, d'autre part, d'un dispositif de filtrage et de purification de ces eaux ». Concernant les risques de dissémination du plomb dans l'environnement, la première précaution concerne la protection incendie de la cathédrale, entièrement repensée par l'établissement public maître d'ouvrage et par la maîtrise d'oeuvre, en lien avec tous les bureaux d'étude compétents et les conseillers sécurité incendie du ministère de la culture : travées coupe-feu en métal installées aux jonctions de la charpente de la flèche et de celle des combles, système innovant de brumisation du comble dès détection d'une fumée, PC incendie 24h/24, locaux d'accès sécurisés à proximité des charpentes pour les pompiers en intervention, augmentation par « Eau de Paris » de l'alimentation en eau de l'île de la Cité pour améliorer les débits disponibles pour le système de brumisation et pour l'intervention des pompiers. S'agissant des eaux de ruissellement, l'établissement public a fait procéder aux travaux nécessaires au recueil des eaux pluviales ayant ruisselé sur les toitures en plomb et à leur acheminement à l'égout. À la suite des études menées pendant plus d'un an par le laboratoire Eau, Environnement et Systèmes urbains de l'École nationale des ponts-et-chaussées - ParisTech, les rejets annuels en plomb de la cathédrale ont été estimés à environ 10 kg/an. Grâce à ces données, l'établissement public a formalisé des objectifs à atteindre en matière de traitement des eaux. Ces objectifs et la méthode proposée ont fait l'objet d'une présentation à la Ville de Paris, en particulier à l'occasion d'une séance du comité plomb le 25 janvier 2022, ainsi qu'à l'Agence régionale de santé d'Île-de-France à la fin avril 2023, puis en juillet 2023. L'ensemble de ces dispositions seront mises en place pour la réouverture de la cathédrale au culte et à la visite en décembre 2024. Le ministère de la culture a réuni, le 7 octobre 2022, tous les acteurs et parties prenantes lors d'une journée professionnelle sur « Le Plomb dans les monuments historiques », à la suite de laquelle le ministère de la culture et le ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion souhaitent travailler, en lien avec les organismes de prévention et les organisations professionnelles concernées, à la révision des outils et guides d'accompagnement des entreprises, dans l'objectif de faciliter la mise en oeuvre des mesures de prévention applicables sur un chantier en présence de plomb. Les expériences acquises sur les cathédrales en France permettront également de produire un protocole national d'organisation d'un chantier en présence de plomb. Le ministère de la culture souhaite contribuer, d'une part, au lancement d'études de métrologie, sur les techniques de prélèvement et de mesure adaptées aux monuments historiques et au bâti ancien, avec l'appui, le cas échéant, de l'Association française de normalisation, et, d'autre part, à l'élaboration d'un protocole de remontée de données sur la surveillance des maladies professionnelles dans le secteur du patrimoine culturel. Ce dernier point a été soulevé dans la résolution européenne du Sénat du 26 août 2022 relative à la préservation des filières du patrimoine, notamment celles du vitrail, de la facture d'orgue, de la restauration et de la conservation des monuments et bâtiments historiques, des objets et oeuvres d'art et des biens culturels, menacées par l'interdiction du plomb ou par la procédure d'autorisation telles qu'envisagées par la révision du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006, dit « REACH », concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques (Résolution n° 150 SÉNAT 2021-2022).

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