Question de Mme GOULET Nathalie (Orne - UC) publiée le 30/11/2023

Mme Nathalie Goulet attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur l''organisation actuelle de la coopération agricole. Celle-ci repose sur le haut conseil de la coopération agricole (HCCA) dont les missions sont notamment de définir et de mettre en oeuvre les politiques publiques en matière de coopération agricole, d'être le garant du respect des textes et des règles de la coopération et de définir les principes et normes de la « révision ». Cette révision, c'est le contrôle de la conformité du fonctionnement des coopératives aux principes et règles de la coopération. Elle s'exerce au travers d'une association nationale de la révision qui délègue les missions de contrôle à cinq fédérations de révision qui elles-mêmes entretiennent des liens de travail, voire capitalistiques, avec des sociétés d'audit, liens parfois croisés avec un acteur syndical de la coopération agricole, « la coopération agricole », anciennement « Coop de France », organisme par ailleurs enregistré au registre des représentants d'intérêts de la haute autorité de la transparence de la vie publique.

Or sont apparus au détour d'un dossier judiciaire civil récent des éléments pour le moins étonnants : le parquet général de la Cour d'appel de Paris a ainsi pu relever dans des réquisitions que l'entité syndicale et de lobbying « coopération agricole » était actionnaire de sociétés d'audit travaillant pour les fédérations de révision qui avaient délégation du HCCA pour exercer les prérogatives de puissance publique de contrôle des coopératives agricoles. Il apparaît pour le moins curieux que l'entité syndicale représentant les coopératives soit la propriétaire des acteurs qui ont pour mission de les contrôler.

Elle lui demande donc quels aménagements législatifs et réglementaires le Gouvernement va proposer afin de sortir de telles situations évidentes de conflit d'intérêt qui ont amené la justice dans le cas d'espèce cité à relever de ses fonctions un commissaire aux comptes du fait de ce mélange des genres.

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Transmise au Ministère de la justice


Réponse du Ministère de la justice publiée le 18/01/2024

Aux termes de l'article L.612-1 du code de commerce, les coopératives agricoles et les sociétés d'intérêt collectif agricole dépassant des seuils fixés par décret en Conseil d'Etat doivent nommer un commissaire aux comptes pour procéder à la certification de leurs comptes. Ce même article prévoit cependant que certaines d'entres elles peuvent, pour remplir cette obligation, avoir recours au service d'une fédération agréée pour la révision mentionnée à l'article L.527-1 du code rural et de la pêche maritime. Dans ce cas, l'article L.527-1-1 du même code prévoit que la certification des comptes est exercée, au sein et pour le compte de la fédération, par un commissaire aux comptes. Ce dernier peut, de façon dérogatoire au droit normalement applicable aux commissaires aux comptes, être salarié par la fédération, mais ne peut alors exercer d'autres missions de contrôle légal des comptes. Dans son avis n° 2014-03 du 27 mars 2014, le Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C) est venu rappeler que le commissaire aux comptes qui exerce une mission au sein d'une fédération de révision agricole agréée demeurait tenu de respecter les dispositions du titre II du livre VIII du code de commerce, en ce compris le code de déontologie. Il demeure également soumis au contrôle du H3C, qui devient à compter du 1er janvier 2024 la Haute autorité de l'audit. Ainsi, le commissaire aux comptes salarié d'une fédération de révision agricole doit, avant d'accepter une mission de contrôle légal des comptes d'une coopérative agricole ou d'une société d'intérêt collectif agricole, se livrer à une analyse de la situation dans laquelle il se trouve en vérifiant que celle-ci ne porte pas atteinte à son indépendance et à son impartialité (v. nota. art. L.823-31du code de commerce et art. 1, 4, 5, 19, 21, 29 du code de déontologie des commissaires aux comptes). Cette analyse tient notamment compte de son appartenance à un réseau et des éventuelles autres missions ou prestations exercées par lui-même ou son réseau au sein de l'entité contrôlée. Dans son avis précité, le H3C est venu préciser que des liens capitalistiques ou une clientèle commune entre une fédération de révision agricole employant un commissaire aux comptes, une société de commissaires aux comptes et une fédération syndicale étaient susceptibles de caractériser l'existence d'un réseau au sens du code de déontologie des commissaires aux comptes. Lorsqu'à l'issue de son analyse, le commissaire constate l'existence d'une situation à risque, l'article 5 III du code de déontologie prévoit qu'il « prend immédiatement les mesures de sauvegarde appropriées en vue, soit d'en éliminer la cause, soit d'en réduire les effets à un niveau suffisamment faible pour que son indépendance ne risque pas d'être affectée et pour permettre l'acceptation ou la poursuite de la mission ou de la prestation (…). Lorsque les mesures de sauvegarde sont insuffisantes à garantir son indépendance, il met fin à la mission ou à la prestation ». Le 22 mars 2023, le garde des sceaux a homologué deux normes de déontologie qui précisent à la fois les principes fondamentaux de comportement et la mise en oeuvre de la démarche « risques et sauvegarde » par le commissaire aux comptes. Ces normes de déontologie doivent naturellement être respectées par les commissaires aux comptes salariés au sein d'une fédération de révision agricole agréée. Ainsi, aux termes de ces dispositions, lorsqu'il constate que les liens entretenus par la fédération de révision agricole qui l'emploie avec une société de commissaire aux comptes ou une fédération syndicale sont de nature à caractériser l'existence d'un réseau faisant courir un risque en termes d'indépendance et d'impartialité pour l'exercice d'une mission de contrôle légal au sein d'une coopérative agricole ou d'une société d'intérêt collectif agricole, il doit prendre les mesures de sauvegarde adéquates ou à défaut, refuser ou mettre fin à la mission. Le manquement à ces dispositions par le commissaire aux comptes est constitutif d'une faute disciplinaire pouvant conduire à des sanctions.

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