Question de M. GONTARD Guillaume (Isère - GEST) publiée le 01/02/2024

M. Guillaume Gontard interroge M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur les pratiques salariales illégales du groupe La Poste.

Le 27 décembre dernier, la Poste de Grenoble a licencié un facteur intérimaire. L'information lui est parvenue par SMS, la veille pour le lendemain, sans motif précis, en plein milieu des fêtes. Contestable sur la forme, ce licenciement l'est encore plus sur le fond, qui semble dû à la participation de cet employé à une grève contre la réforme des retraites. Plusieurs autres facteurs précaires sont dans la même situation, qui s'apparente à un non-respect flagrant du droit de grève.

Ce licenciement en dit long sur l'évolution du métier de facteur, de plus en plus « uberisé ». Ainsi, pour les nouvelles embauches, la Poste n'offre plus le statut de facteur, mais recourt à des intérimaires ou à des personnels en contrat à durée indéterminée (CDI) avec des « groupements d'employeurs logistiques » (GEL). Ces « groupements d'employeurs logistiques », imaginés pour les salariés d'Amazon, d'IKEA, Mondial Relay ou Carrefour, sont régis par la convention collective des transporteurs routiers, peu protectrice. Alors que les frais de transport ne sont pas pris en charge, les salariés ne peuvent refuser un emploi dans un rayon de 50 kilomètres.

A travail égal, les salariés en GEL ont des paies plus faibles, ne touchent pas les primes, n'ont pas droit aux formations ou au maintien de salaire pour s'occuper ponctuellement de leurs enfants. La Poste a donc un système à deux vitesses, qui lui permet de faire des économies et de diviser les salariés pour empêcher qu'ils se coordonnent. C'est justement pour éviter ce scénario qu'il est normalement interdit de recourir à ces contrats pour « un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ». Une règle violée par la Poste.

Enfin, la loi est contournée d'une dernière manière : les contrats GEL sont gérés par des associations loi 1901, qui ne peuvent réaliser de bénéfices. Pourtant, l'association GEL Gebara, qui regroupe le Grand-Est, la Bourgogne et Auvergne-Rhône-Alpes, reverse 15 % de son chiffre d'affaires à l'entreprise privée D2L, pour diverses prestations. Cet «acteur majeur de la flexisécurité» engrange donc des bénéfices sur le dos des précaires !

Suite à ces pratiques visiblement illégales, le syndicat Sud-PTT a porté plainte pour « prêt illicite de main-d'oeuvre » et « marchandage » et l'inspection du travail mène une enquête. En attendant son verdict, comment accepter que la Poste, qui reçoit 500 millions d'euros de subvention de l'État chaque année et réalise des bénéfices, ait de telles pratiques ?

Il l'interroge donc sur les actions qu'il compte prendre pour faire respecter les droits des travailleurs au sein de la Poste, notamment en mettant fin aux embauches en contrat GEL.

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Transmise au Ministère du travail, de la santé et des solidarités


Réponse du Ministère auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargé des personnes âgées et des personnes handicapées publiée le 08/03/2024

Réponse apportée en séance publique le 07/03/2024

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, auteur de la question n° 1059, transmise à Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

M. Guillaume Gontard. Madame la ministre, le 27 décembre dernier, La Poste de Grenoble a licencié un facteur intérimaire. L'information lui est parvenue par SMS, la veille pour le lendemain, sans motif précis, au beau milieu des fêtes.

Contestable sur la forme, ce licenciement l'est encore plus sur le fond : il semble dû à la participation de cet employé à une grève contre la réforme des retraites. Plusieurs autres facteurs précaires sont dans la même situation, qui s'apparente à un non-respect flagrant du droit de grève.

Ce licenciement en dit long sur l'évolution du métier de facteur, de plus en plus ubérisé. Ainsi, pour les nouvelles embauches, La Poste n'offre plus le statut de facteur, mais recourt à des intérimaires, des sous-traitants ou des CDI en contrats « groupements d'employeurs logistiques » (GEL).

Ces contrats imaginés pour les salariés d'Amazon, d'Ikea ou encore de Carrefour sont régis par la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport, peu protectrice. Les frais de transport ne sont pas pris en charge et les salariés ne peuvent pas refuser un emploi dans un rayon de cinquante kilomètres.

À travail égal, les salariés en contrat GEL ont des paies plus faibles, ne touchent pas les primes, n'ont pas droit aux formations ou au maintien de salaire pour s'occuper ponctuellement de leurs enfants.

La Poste a donc un système à deux vitesses, qui lui permet de faire des économies et de diviser les salariés pour empêcher qu'ils ne se coordonnent. C'est justement pour éviter ce scénario qu'il est normalement interdit de recourir à ces contrats pour « un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise », une règle violée par La Poste.

Enfin, la loi est contournée d'une autre manière : les contrats GEL sont gérés par des associations de la loi de 1901, qui ne peuvent pas réaliser de bénéfices. Pourtant, l'association GEL dont il est question dans cette affaire reverse 15 % de son chiffre d'affaires à l'entreprise privée D2L. Celle-ci, acteur majeur de la flexisécurité, engrange donc des bénéfices sur le dos des précaires.

Face à ces pratiques visiblement illégales, le syndicat Sud-PTT prépare une plainte pour prêt illicite de main-d'oeuvre et marchandage, et a alerté l'inspection du travail.

En attendant des suites judiciaires, comment accepter que La Poste, propriété de l'État et de la Caisse des dépôts et consignations, qui reçoit 500 millions d'euros de subvention par an et réalise des bénéfices, s'adonne à de telles pratiques ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Fadila Khattabi, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, chargée des personnes âgées et des personnes handicapées. Monsieur le sénateur Gontard, vous appelez l'attention du Gouvernement sur certaines pratiques salariales au sein du groupe La Poste.

Tout d'abord, il ne m'appartient pas de commenter des procédures judiciaires en cours. Toutefois, je peux vous rappeler l'état du droit.

Vous avez évoqué le licenciement d'un travailleur temporaire mis à la disposition du groupe. Sans statuer sur l'éventuel caractère abusif de cette décision, je vous indique qu'une entreprise de travail temporaire doit proposer au salarié, sauf faute grave de ce dernier ou cas de force majeure, un nouveau contrat de mission prenant effet dans un délai maximum de trois jours. À défaut, elle doit assurer au salarié une rémunération équivalente à celle qu'il aurait perçue jusqu'au terme du contrat.

Par ailleurs - j'insiste sur ce point -, la participation à une grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf en cas de faute lourde, ni donner lieu à aucune mesure discriminatoire. De plus, en cas de litige, le salarié peut bien sûr saisir les prud'hommes.

Vous contestez le recours par La Poste à des salariés d'un groupement d'employeurs et alléguez une méconnaissance du principe d'égalité de traitement. Ce groupement ne respecterait pas non plus le principe de non-lucrativité de son activité.

La loi autorise les groupements d'employeurs, afin de mettre des salariés à disposition de leurs membres. Les contrats de travail conclus par le groupement doivent garantir l'égalité de traitement en matière de rémunération, d'intéressement, de participation et d'épargne salariale entre les salariés du groupement et les salariés des entreprises auprès desquelles ils sont mis à disposition.

Il est donc expressément interdit aux groupements d'employeurs - j'y insiste, monsieur le sénateur - d'être à but lucratif. En cas de litige, là encore, le salarié peut se tourner vers les prud'hommes.

En conclusion, la lutte contre le travail illégal est une priorité de notre gouvernement. Nos contrôles prennent bien en compte le développement de nouvelles formes de travail. Nous restons naturellement vigilants quant aux dérives que nous pourrions constater.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.

M. Guillaume Gontard. Je compte sur vous, madame la ministre, ainsi que sur le Gouvernement, pour faire pression sur La Poste. Nous sommes de toute évidence face à une situation de contournement de la loi.

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