Question de M. BENARROCHE Guy (Bouches-du-Rhône - GEST) publiée le 08/02/2024

M. Guy Benarroche attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur les financements octroyés à la Tunisie.
Dès le début d'année 2023, alors que le Sénat français commençait ses travaux sur le projet de loi n° 304 (Sénat, 2022-2023) pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, le président tunisien déclarait dans un communiqué qu' « il existe un plan criminel pour changer la composition du paysage démographique en Tunisie », relayant la théorie complotiste trop répandue du grand remplacement. Lors d'un conseil de sécurité national convoqué sur le sujet, il avait même évoqué des « hordes de migrants clandestins » dont la présence en Tunisie serait, selon lui, source de « violence, de crimes et d'actes inacceptables ».

Ces déclarations se sont inscrites alors que les discussions du pacte européen sur l'asile et l'immigration se tenaient au niveau européen.
C'est à l'occasion d'une visite à Tunis du ministre de l'intérieur, avec le ministre de l'intérieur allemand, que l'annonce a été faite d'une aide bilatérale par la France pour soutenir la lutte contre l'immigration clandestine.

Depuis, la Tunisie a mené des campagnes massives d'arrestation et d'expulsion de migrants, notamment depuis la ville de Sfax (point de départ de personnes migrantes vers l'Europe). Ces migrants, emmenés et abandonnés par des forces de police vers la région frontalière avec la Libye et l'Algérie, dans des zones désertiques, sans eau, ni nourriture ont subi la chaleur et ont trop souvent trouvé la mort.
« Nous sommes profondément préoccupés par l'expulsion de migrants, réfugiés et demandeurs d'asile de Tunisie vers les frontières avec la Libye, et aussi avec l'Algérie », avait déclaré le porte-parole adjoint du secrétaire général des Nations unies à ce sujet à l'été 2023.

Ces épisodes ignobles interrogent donc sur le financement annoncé par le ministre de l'intérieur. Aussi le sénateur souhaiterait-il connaître le cadre précis de ce financement annoncé comme destiné à permettre d'« acquérir les équipements nécessaires et organiser des formations utiles, notamment des policiers et garde-frontières tunisiens pour contenir le flux irrégulier de migrants et favoriser le retour de ces migrants ».
Aucune aide ne peut se faire sans contrôle, d'autant plus que la Tunisie a récemment interdit la tenue d'une mission parlementaire du Parlement européen.

Aussi, il souhaiterait connaître le cadre légal utilisé, pour cet accord bilatéral de financement, le calendrier de financement, la nature des équipements qui ont pu être acquis grâce à cette aide de notre pays, le type de formations qui auraient été dispensées dans ce cadre, et surtout, si le ministère a prévu des garanties telle une clause de suppression en cas de violation grave et systématique des droits humains notamment des personnes migrantes tel qu'hélas rapporté par de nombreux acteurs.

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Réponse du Ministère auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer publiée le 20/03/2024

Réponse apportée en séance publique le 19/03/2024

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, auteur de la question n° 1074, adressée à M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer.

M. Guy Benarroche. Madame la ministre, je souhaitais attirer l'attention de M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur les financements octroyés à la Tunisie.

Dès le début de l'année 2023, alors que notre assemblée commençait ses travaux sur le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, le président tunisien déclarait dans un communiqué qu'« il existe un plan criminel pour changer la composition du paysage démographique en Tunisie », relayant la théorie complotiste trop répandue du grand remplacement.

Lors d'un conseil de sécurité nationale convoqué sur le sujet, il avait même évoqué des « hordes de migrants clandestins », dont la présence en Tunisie serait, selon lui, source de « violence, de crimes et d'actes inacceptables ». Ces déclarations ont été faites alors que se tenaient, à l'échelle de l'Union européenne, des discussions au sujet du pacte sur la migration et l'asile.

C'est à l'occasion d'une visite à Tunis du ministre français de l'intérieur, avec son homologue allemand, que l'annonce a été faite d'une aide bilatérale octroyée par la France à la Tunisie pour soutenir la lutte contre l'immigration clandestine.

Depuis lors, la Tunisie a mené des campagnes massives d'arrestation et d'expulsion de migrants, notamment depuis la ville de Sfax, point de départ de personnes migrantes vers l'Europe. Ces migrants sont emmenés par des forces de police vers la région frontalière avec la Libye et l'Algérie ; ils y sont abandonnés dans des zones désertiques, sans eau ni nourriture ; ils y subissent la chaleur et y ont trop souvent trouvé la mort.

« Nous sommes profondément préoccupés par l'expulsion de migrants, réfugiés et demandeurs d'asile de Tunisie vers les frontières avec la Libye, et aussi avec l'Algérie », avait déclaré le porte-parole adjoint du secrétaire général des Nations unies à l'été 2023.

Ces épisodes ignobles suscitent des interrogations sur le financement annoncé par le ministre de l'intérieur.

Aussi, je souhaiterais connaître le cadre précis de ce financement destiné, selon lui, à permettre d'« acquérir des équipements nécessaires et organiser les formations utiles, notamment des policiers et gardes-frontières tunisiens », pour « contenir le flux irrégulier de migrants » et « favoriser le retour de ces migrants ». Aucune aide ne peut être octroyée sans contrôle, d'autant que la Tunisie a récemment interdit la venue d'une mission parlementaire du Parlement européen.

Je voudrais donc connaître le cadre légal de cet accord bilatéral de financement, le calendrier de ce financement, la nature des équipements qui ont pu être acquis grâce à cette aide de notre pays, le type de formations qui auraient été dispensées dans ce cadre ; surtout, je souhaiterais savoir si le ministère de l'intérieur a prévu des garanties, telle une clause de suppression en cas de violation grave et systématique des droits humains, en particulier de ceux des personnes migrantes, comme cela a, hélas ! été rapporté par de nombreux acteurs.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Guévenoux, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargée des outre-mer. Monsieur le sénateur Benarroche, vous constatez à raison que les importants flux migratoires en provenance d'Afrique subsaharienne constituent un défi majeur pour la Tunisie, à laquelle la France tient à assurer sa solidarité et son soutien dans les efforts qu'elle déploie pour gérer ces flux et renforcer la stabilité régionale.

L'objectif du Gouvernement est de prévenir ce phénomène migratoire en fournissant l'acquisition d'équipements nécessaires, ainsi qu'en organisant des formations ciblées, notamment au profit des policiers et gardes-frontières tunisiens, afin de contribuer à la maîtrise des flux irréguliers de migrants et de favoriser leur retour dans leur pays d'origine.

À ce titre, une convention entre Civipol, opérateur du ministère de l'intérieur et des outre-mer, et le ministère de l'intérieur tunisien a été signée le 13 décembre 2023, de même qu'un contrat entre Civipol et Idemia, expert mondial des systèmes biométriques de sécurité, ayant pour objet la mise à niveau du système biométrique et le renforcement de la police technique et scientifique tunisienne.

Cette opération, dont le coût global s'élève à 8,9 millions d'euros, monsieur le sénateur, est financée à hauteur de 5 millions d'euros par la France. Elle couvre la livraison de matériels et de licences, ainsi qu'un service de maintenance assuré jusqu'en 2025. Le parc d'équipements mobiles sera également élargi ; il comprendra le renouvellement des huit stations d'identification dans les consulats tunisiens en France, favorisant l'identification accélérée des Tunisiens à l'étranger.

Le ministère de l'intérieur et des outre-mer est particulièrement attentif au strict respect des droits humains dans le déploiement de cette aide. Aussi une clause a-t-elle été intégrée à cet effet au contrat passé entre Civipol et Idemia.

Les intervenants sur ce projet ont par ailleurs été sensibilisés et formés sur les sujets relatifs aux droits de l'homme et sont par conséquent à même de lancer une alerte si le système est utilisé d'une façon non conforme au contrat.

Enfin, Civipol, responsable du suivi de l'exécution du projet, fera un point spécifique à chaque réunion du comité de pilotage ; la première est prévue en mars 2024.

Vous voyez donc, monsieur le sénateur, que le Gouvernement s'engage dans le contrôle que vous appeliez de vos voeux dans votre question.

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