C. ANALYSE DES TRANSFERTS

L'analyse des transferts des métaux lourds dans les sols, par le haut (dans les plantes) ou par le bas (vers les nappes phréatiques) est essentielle à la détermination des risques pour la santé et l'environnement. Elle se heurte cependant à deux difficultés principales.

D'une part, les propriétés des sols se modifient sur des périodes de temps extrêmement longues, en tout cas beaucoup plus longues que les modifications sur l'eau et l'air, mesurables de façon quasi instantanée. Une durée qui exige une mise en perspective, un suivi scientifique rigoureux, sur plusieurs années, voire sur plusieurs générations. En d'autres termes, s'il est possible de connaître le volume et l'évolution des émissions atmosphériques, même sur de très longues périodes (par prélèvements et analyses de carottes des glaces), il n'est pas possible de connaître l'évolution d'une pollution des sols.

Ce handicap est d'autant plus grave que les capacités de mesure et surtout les éléments mesurés évoluent très vite avec les connaissances : le cadmium était inconnu au XIXème siècle, le radium était inconnu au début du XXème, le prion était inconnu il y a vingt ans !... Suivant la suggestion de quelques unes des personnes auditionnées, Votre rapporteur croit à la nécessité de disposer d'archives d'échantillons de sols qui permettront de suivre les évolutions.

Compte tenu de l'intérêt national de l'archivage, l'Office souhaite que les ministères concernés soutiennent et participent financièrement à un tel projet.

D'autre part, l'analyse des risques dépend des affectations et usages du sol. Bien évidemment, les risques ne sont pas les mêmes si un site pollué sert à construire un entrepôt ou un parking, s'il est utilisé pour des habitations ou une école, ou s'il se situe au-dessus d'une nappe phréatique. Or, ces affectations évoluent dans le temps.

Les considérations environnementales ne sont pas les seules à déterminer l'usage. Un sol est aussi un élément de capital et est donc soumis aux règles du marché. Bonnes et/ou mauvaises. Les restrictions d'usage, éventuellement définies par les pouvoirs publics dans une optique de précaution et de prévention des risques ont des répercussions foncières, immobilières, sociales. Les risques sont liés à l'usage. Et l'usage peut varier dans le temps.

1. Les métaux lourds, le sol et l'eau

a) Présentation générale

L'attention portée aux pollutions des sols est récente . Pendant longtemps, les sols ont été appréciés pour leurs qualités « auto épuratrices » : ils jouent un rôle de filtre et d « épurateur » pour les substances polluantes en transit. Il n'y avait, en vérité, pas d'analyse sérieuse de ce phénomène, mais on considérait que la terre absorbait et « digérait » tout.

Cette croyance naïve est aujourd'hui révolue :

- « soit la charge critique est dépassée et le sol ne joue plus son rôle tampon, de sorte que les polluants pénètrent jusqu'à la nappe phréatique et les fleuves,

- soit les polluants s'accumulent dans le sol jusqu'au point où un changement dans les conditions physiques et/ou chimiques, et/ou biologiques, entraînera un transfert des polluants... » (36 ( * ))

- soit enfin, parce que l'analyse a bien montré des cas de pollution avérée. Certes, les contaminations des nappes souterraines par les trois métaux lourds évoqués sont dans l'ensemble rares. Le mercure, volatile, se disperse pour l'essentiel dans l'atmosphère ; le plomb reste en surface ou dans les horizons supérieurs. Seul le cadmium peut faire exception, mais les quantités sont réduites. La contamination du Lot vient d'ailleurs plus du lessivage des sols pollués des anciens sites industriels, que de la lixiviation et de la contamination des nappes. A certains endroits, la nappe phréatique a cependant été touchée entraînant une contamination de l'eau potable.

Il existe cependant des cas de pollution manifeste : les pollutions aux nitrates, et, pour rester dans le domaine des métaux, ou plutôt, en l'espèce des métalloïdes, les pollutions au sélénium et à l'arsenic (voir ci-après).

Le processus de transfert (37 ( * ))

Les précipitations (pluie, neige) et l'irrigation sont les principales sources d'eau des sols. Une partie est évacuée par évaporation ou ruissellement de surface. Une partie pénètre dans le sol et se dirige alors soit vers les racines des plantes, soit, par gravité, vers les horizons profonds et les nappes phréatiques. Au cours de ces transports, l'eau se charge en éléments en traces dissous. Ce transfert d'éléments en traces d'un point à un autre du sol (en l'espèce des horizons de surface aux horizons profonds) a lieu soit par advection lorsque les éléments se déplacent à la même vitesse et selon les mêmes trajectoires que la masse d'eau, soit par diffusion lorsque le déplacement est retardé, le circuit est complexe.

L'importance de ces transferts est très variable selon la nature des sols et les métaux (perméabilité, acidité...)

Le dilemme entre contamination de court terme et de long terme

La question de la contamination dans les sols de cultures se heurte à un dilemme. Ou bien les métaux lourds sont mobiles, ne s'accumulent pas dans les sols, et vont être transférés vers les nappes phréatiques et les plantes, contaminant ainsi la population.

Ou bien les métaux ne sont pas mobiles, n'entraînent aucun risque immédiat pour la population, mais conduisent à une contamination durable, voire irréversible des sols. Il s'agit donc d'un choix entre le court et le long terme : ou bien les métaux lourds sont des sources de contamination immédiate, ou bien le problème est rejeté sur les générations futures.

Face à ce dilemme, le mieux est de ne pas en mettre du tout ou d'en mettre le moins possible.

L'archivage des échantillons de l'environnement : le projet ORQUE

Par M. Michel Astruc

Professeur de chimie analytique à l'Université de Pau, expert,

membre du comité de pilotage

Pour pouvoir évaluer avec certitude l'impact des activités humaines - quelles qu'elles soient- sur l'environnement il est indispensable de pouvoir effectuer des mesures non seulement sur l'état du moment de l'environnement mais aussi sur son état originel avant l'intervention humaine , ce n'est que par cette comparaison que l'on peut tirer des conclusions claires et incontestables.

La procédure la plus couramment employée consiste à rechercher des « archives » naturelles, c'est à dire des lieux privilégiés ou se sont entassés successivement les témoignages instantanés sur l'état de l'environnement. Les meilleurs exemples sont l'empilement des couches de sédiment dans un lac suffisamment profond pour que l'on puisse penser que ce matériau n'a pas été remanié au fil des années ou des millénaires ou encore l'empilement des couches de glace en Antarctique.

Le prélèvement en profondeur d'une « carotte » et son analyse par couches successives permet de retracer un historique, parfois sur des temps très longs (c'est par exemple ainsi que l'on met en évidence l'augmentation de la teneur en dioxyde de carbone de l'atmosphère ou les manifestations de la pollution globale par le plomb des essences de voitures).

Il est malheureusement rare de trouver de telles archives naturelles dans des sites soumis aux intenses phénomènes de pollution du monde moderne et il devient alors difficile de situer l'importance réelle de l'impact d'une activité humaine sur un environnement local déterminé.

La seule solution est donc de constituer des « Banques d'échantillons de l'environnement », prélevés de façon très soignée en des sites soigneusement sélectionnés pour leur représentativité, d'en analyser une partie au mieux des techniques analytiques actuelles et de stocker le reste dans des conditions de conservation extrêmement rigoureuses (actuellement :congelés dans l'azote liquide).

Par la suite il sera possible d'utiliser ces échantillons « historiques » :

- comme base de référence pour des comparaisons d'évolution temporelle de la teneur en certains polluants dans cet environnement ( impact d'une nouvelle implantation industrielle par exemple : avant de s'installer une nouvelle entreprise pourra faire un « état des lieux »qui pourra lui servir de base de défense contre des accusations injustifiées dans un futur proche ou lointain)

- lors de la mise en évidence future du risque associé à un nouveau polluant, dont le rôle n'est pas encore imaginé ou que l'on ne sait pas encore doser, il sera possible de comparer avec certitude et fiabilité - ce qui n'est pas le cas actuellement- les données de l'environnement futur à celui de notre époque ( ceci aurait été par exemple été très utile pour trancher le débat instauré autour de la pollution à la dioxine : les concentrations mesurées de nos jours sont-elles en augmentation ou non par rapport à ce quelles étaient il y a 30 ans quand la production d'électricité au charbon était majoritaire ?)

De telles « Banques » existent déjà dans quelques pays comme l'Allemagne. Il serait fort utile à notre pays d'en disposer également.

Un tel projet, baptisé ORQUE (Centre d'Observation et de Recherche sur la qualité de l'Environnement ) tente actuellement de se mettre en place en Aquitaine (PAU-BORDEAUX), avec un soutien financier de la Région Aquitaine, de l'Université de Pau et du CNRS, en attendant d'autres partenaires.

* (36) Jacques VARET, BRGM - Communication au colloque « Santé-Environnement, les risques cachés - 29 septembre 1999.

* (37) Voir notamment « contamination des sols par les éléments en traces » - Académie des Sciences n° 42 - août 1998.

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