II. EN DÉPIT DE CERTAINS ÉLÉMENTS POSITIFS, LA DIMENSION SOCIALE DU PROJET DE LOI DOIT ÊTRE RENFORCÉE

A. UN PROJET DE LOI TROP MODESTE EN MATIÈRE SOCIALE

1. Le projet de loi d'orientation agricole est le fruit d'un long processus

C'est lors du cinquantième anniversaire de la FNSEA, en 1996, que le Président de la République, M. Jacques Chirac, annonça un projet de loi d'orientation pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Présenté comme un " acte majeur permettant de redéfinir un nouveau contrat entre les agriculteurs et la société et de préparer l'entrée de l'agriculture française dans le XXIème siècle ", le projet fut préparé par M. Philippe Vasseur, ministre de l'Agriculture, et présenté au Conseil économique et social les 22 et 23 avril 1997 (lettre du Premier ministre du 25 mars 1997). Le Conseil économique et social se prononça par un avis de Mme Christiane Lambert.

Cette première phase fut interrompue par la dissolution.

La déclaration de politique générale de M. Lionel Jospin, le 19 juin 1998, a lancé une deuxième phase : " En concertation avec les organisations agricoles, le Gouvernement conduira les travaux nécessaires à l'élaboration d'une loi d'orientation. Dans le même esprit, une modulation des aides sera recherchée en vue d'une plus grande équité dans leur répartition. Le Gouvernement poursuivra avec détermination la politique d'installation des jeunes agriculteurs. "

Il s'agit ainsi du deuxième texte important de la législature, après la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, dont une première version avait déjà été préparée par l'ancienne majorité. A l'inverse de Mme Martine Aubry -qui avait d'abord indiqué présenter un texte de " rupture " par rapport au projet de M. Jacques Barrot- M. Louis le Pensec, ministre de l'Agriculture et de la Pêche, notait le 10 juin 1998 devant les députés de la commission de la Production et des Echanges : " Le texte qui vous est proposé n'a pas voulu négliger le travail de réflexion qui avait été effectué avant mon arrivée rue de Varenne . "

La méthode d'élaboration a suivi l'orientation dégagée par le Premier ministre, en raison de la consultation en amont du débat interministériel des organisations et des professions agricoles et syndicales, des syndicats d'enseignants ou de salariés, ou encore avec les représentants de l'agro-alimentaire, des consommateurs et de l'environnement.

Un premier texte d'orientation a été envoyé par le Ministre en septembre 1997. Chaque partie en cause a pu faire connaître ses positions. Un groupe de travail a été constitué sous la présidence du Directeur de cabinet et s'est réuni du 2 octobre 1997 au 22 janvier 1998. Le débat avec les organisations professionnelles s'est poursuivi parallèlement aux réunions de travail interministérielles. Lors de la dernière séance de ce groupe de travail, présidée par le Ministre lui-même, le 22 janvier 1998, les avis de chacun ont été recueillis, pour arriver à l'élaboration d'un nouvel avant-projet. Le texte transmis à l'Assemblée nationale en constitue ainsi la dixième version.

L'avant-projet a été présenté au Conseil économique et social, par lettre du 23 avril 1998. Mme Christiane Lambert a émis de nouveau un avis (séances des 26 et 27 mai 1998). Le projet a été adopté en Conseil des ministres le 10 juin 1998.

Il a été discuté en première lecture par l'Assemblée nationale les 5, 6, 7 et 8 octobre 1998, avant d'être adopté le 13 octobre 1998.

2. La dimension sociale du projet de loi manque d'ambition et de cohérence

a) Un manque d'ambition

Les aspects sociaux du projet de loi étaient -à l'origine- très modestes. Il s'agissait avant tout d'articles déclaratifs et de rares dispositions normatives d'ampleur limitée.

Le champ de la politique agricole est étendu par la reconnaissance de la " fonction sociale " de l'agriculture

La conception du projet de loi est de définir une triple fonction de l'agriculture : une fonction économique, une fonction environnementale, une fonction sociale. Selon les termes du Ministre de l'Agriculture et de la Forêt, "la politique agricole ne sera légitime et durable que si elle contribue pleinement à l'accomplissement de ces trois fonctions, sans faire prévaloir l'une sur l'autre. "

La " fonction sociale " de l'agriculture apparaît la plus difficile à définir. Il semblerait que ce concept soit centré sur la priorité accordée à l'emploi : installation de jeunes agriculteurs, viabilité des exploitations existantes, transmission dans les meilleures conditions possibles. L'objectif de cette " fonction sociale " serait ainsi d'enrayer la chute des effectifs agricoles.

Les dispositions normatives du projet de loi

En matière sociale, les dispositions normatives du projet du Gouvernement étaient d'ampleur limitée. Il s'agissait principalement du statut du conjoint collaborateur d'exploitation et du titre emploi simplifié agricole, deux dispositions présentes dans le projet de loi Vasseur.

b) Un manque de cohérence

Si le projet de loi tient plus d'un texte portant diverses dispositions d'ordre social en matière agricole que d'un projet de loi d'orientation, ces dispositions sociales ne semblent pourtant pas répondre à une stratégie d'ensemble cohérente en faveur de l'agriculture.

Votre commission a en effet l'impression qu'en matière sociale le projet de loi n'a pas trouvé d'équilibre dans ses lignes directrices. Le Gouvernement semble hésiter entre un souci de pragmatisme et une démarche plus rigide, empreinte d'" étatisme ". Cette hésitation n'a pas été tranchée. Dès lors, les différentes dispositions sociales relèvent de logiques non seulement éparses, mais aussi parfois contradictoires.

Certains articles témoignent de la recherche de souplesse, d'une réelle écoute du terrain. C'est le cas, par exemple, de la création du titre emploi simplifié agricole, de l'institution du statut de conjoint collaborateur ou de mesures visant à simplifier le calcul des cotisations sociales des nouveaux installés.

En revanche, d'autres articles relèvent d'une logique " étatiste " et ne font que renforcer les contraintes existantes : la création de divers comités plus ou moins utiles mais qui auront pour conséquence inéluctable d'aggraver les charges pesant sur les agriculteurs, le renforcement parfois excessif des contrôles symbolisent la vision par trop administrée qu'a le Gouvernement de l'agriculture et de son avenir.