M. Aymeri de MONTESQUIOU

Madame, Monsieur,

Le budget du ministère de l'intérieur, hors collectivités territoriales 1 ( * ) , progresse de 4,3 % à périmètre identique en 2005 (contre 1,8 % pour le budget général). Alors même que le nombre total des créations d'emplois incluses dans le projet de loi de finances pour 2005 est, pour l'ensemble des services de l'Etat, de 3.023, il est prévu 1.000 emplois nouveaux dans la police nationale.

Les crédits pour la sécurité s'inscrivent pleinement dans la logique de la troisième année d'application de la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure n ° 2002-1094 du 29 août 2002 (LOPSI).

Pour autant, ces éléments ne sauraient suffire à considérer comme excellent le budget du ministère de l'intérieur pour 2005.

En effet, il est grand temps, à la veille de la mise en oeuvre complète de la loi organique n ° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), de passer d'une culture de moyens à une culture de résultats.

Un budget qui augmente et prévoit des créations d'emplois n'est satisfaisant que si, parallèlement, les moyens alloués -c'est-à-dire l'argent des contribuables- sont utilisés « au mieux », avec des résultats tangibles pour les citoyens.

A cet égard, les ministères « favorisés » en allocation de moyens, loin d'être exemptés d'une politique rigoureuse, doivent faire preuve d'une gestion exemplaire.

Tel est l'esprit dans lequel votre rapporteur spécial a examiné le présent budget.

SYNTHÈSE DES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

- Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport sur la gestion de l'exercice 2003, les effectifs de fonctionnaires de la police nationale ne sont pas connus avec une exacte précision , ce qui traduit certaines difficultés dans la gestion des ressources humaines ;

- La sous-estimation récurrente des crédits pour dépenses de justice , en particulier les frais liés à la mise en jeu de la responsabilité de l'Etat (consommation de 153 % des crédits en 2003), altère la sincérité de la présentation des crédits . Il conviendra de remédier rapidement à cette situation, d'autant que ceux-ci, aujourd'hui évaluatifs, deviendront limitatifs dans le cadre de la LOLF à partir du 1 er janvier 2006 ;

- La globalisation des moyens des préfectures , destinée à accorder aux préfets une gestion plus souple mais plus responsable, sera pratiquement étendue à l'ensemble du territoire en 2005, ce dont il faut se féliciter ;

- Un effort particulier est engagé cette année pour renforcer sensiblement les moyens de la sécurité civile (+ 20 %) . Il fallait en effet combler certains retards et répondre à une attente croissante de nos concitoyens ;

- La progression des moyens accordés pour la police nationale se justifie, elle aussi, par rapport à l'attente d'une meilleure sécurité pour tous. A cet égard, la baisse générale des chiffres de la délinquance , pour satisfaisante qu'elle soit, ne peut laisser penser que l'objectif est déjà atteint . Certaines formes de délinquance grave continuent d'augmenter sensiblement. Ainsi, les crimes et délits contre les personnes , qui peuvent être considérés comme la forme d'insécurité la plus lourde, « progresse » de 6,85 % au premier semestre 2004 , par rapport au premier semestre 2003 (10.000 crimes et délits supplémentaires en six mois). L'effort doit donc impérativement être poursuivi ;

- Les conditions de versement de la « prime au mérite », opportune dans son principe, doivent être rendues plus transparentes, de telle manière qu'elle soit effectivement comprise par les fonctionnaires de police comme la récompense de l'effort accompli . Telle est la condition de son succès ;

- Le travail accompli dans l'élaboration des objectifs et indicateurs de performance doit être salué. Pour autant, subsistent quelques motifs d'interrogation. Ainsi, l'aboutissement de l'élaboration de quelques indicateurs est encore attendue et certains d'entre eux apparaissent trop complexes . La construction puis l'alimentation régulière de plusieurs indicateurs risque de générer des études et rapports complémentaires, avec leurs conséquences en termes d'efficacité et, peut-être, d'emplois publics. Il faut donc espérer du dialogue proposé par le gouvernement au Parlement qu'il permette une finalisation optimale ;

- Une analyse de l'utilisation par le ministère de l'intérieur de l'outil informatique démontre que celui-ci a su en faire un levier pour l'aboutissement de nombreux projets, tant pour la sécurité publique que pour le rapprochement entre l'administration et les citoyens . Il est regrettable que certaines mesures de régulation budgétaire aient pu retarder des projets et/ou entraîner des surcoûts . Enfin, une priorité doit être fixée pour la mise en place d'un réseau unique de communication entre toutes les forces qui concourent à la sécurité publique (policiers, gendarmes, sapeurs-pompiers).

I. LA GESTION 2003 CONFIRME UNE DIFFICULTÉ D'APPRÉHENDER EXACTEMENT LES EFFECTIFS

Le projet de budget du ministère doit être analysé en tenant compte des difficultés rencontrées lors du dernier exercice clos (2003).

Le présent rapport spécial se rapporte aux agrégats ci-après du ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieur et des libertés locales :

- administration territoriale

- administration générale

- sécurité civile

- police nationale.

Il ne traite donc pas de l'agrégat collectivités locales 2 ( * ) , objet du rapport spécial de notre collègue Michel Mercier.

Enfin, il convient de souligner que le projet de loi de finances pour 2005 est le dernier à être présenté et soumis au vote selon l'ancienne nomenclature, la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) étant pleinement applicable à compter du 1 er janvier 2005, et donc pour le prochain projet de loi de finances, celui pour 2006.

A. LA GESTION 2003 VUE PAR LE CONTRÔLEUR FINANCIER

Exécution du budget 2003 par titre par par agrégat

 
 
 
 
 
 
 
 

(en millions d'euros)

Source : rapport du contrôleur financier du ministère de l'intérieur sur la gestion 2003

Le contrôleur financier du ministère de l'intérieur a noté, dans son rapport sur la gestion 2003, une nette amélioration du taux de consommation des crédits de fonctionnement du titre III (hors personnel) 93,3 % en 2003 au lieu de 87,7 % en 2002, ce qui reflète une gestion plus efficace et plus tendue des crédits.

En revanche, pour les crédits de personnel, le solde de crédits non consommés a quadruplé en 2003, évolution qui témoigne de la nécessité d'une meilleure appréciation des dépenses en personnel.

S'agissant du titre V, la baisse du taux de consommation enregistrée entre 2002 et 2003 (49 % en 2003 et 84 % en 2002), alors même que les crédits de paiement enregistrent un taux de consommation de plus en plus élevé est soulignée par le contrôleur financier : « cet effet de ciseau est révélateur de la régulation des crédits de paiement par les autorisations de programme afin de garantir la soutenabilité budgétaire des opérations d'investissement ».

Le contrôleur financier relève aussi que le suivi budgétaire et comptable des crédits budgétaires a été rendu particulièrement difficile sous l'effet de la multiplicité des mesures de régulation budgétaire.

Au cours de l'exercice, 17 mouvements de régulation ont affecté les principaux chapitres des crédits de fonctionnement et l'intégralité des chapitres d'investissement.

Les chapitres évaluatifs (33-90 : cotisations sociales et 37-91 : frais de contentieux et réparations civiles) connaissant des taux de consommation supérieurs à 100 % 3 ( * ) .

S'agissant du chapitre 33-90, la dotation initiale était manifestement sous dotée, « aucune remise à niveau n'ayant été opérée afin de corriger la dérive de la masse salariale ». Pour le chapitre 37-91, le dépassement de crédit est intervenu dès le 1 er trimestre.

La LOLF confèrera à ces chapitres un caractère limitatif dès le projet de loi de finances pour 2006. Votre rapporteur spécial demande, par souci de sincérité budgétaire, que, à cette occasion, les crédits soient établis de manière plus conforme à la réalité.

B. LE REGARD DE LA COUR DES COMPTES

Les principales observations relatives à l'utilisation des crédits du ministère de l'intérieur, formulées par la Cour des comptes dans son rapport publié en juin 2004 sur l'exécution des lois de finances pour 2003, portent sur les effectifs de la police nationale .

La politique de résorption des surnombres (3.190 emplois en surnombre de gradés et gardiens de la paix autorisés depuis 1998) a connu en 2003 un coup d'arrêt puisqu'au cours de l'exercice seuls 45 emplois ont été résorbés, laissant un solde de 2.117 emplois non régularisés. Selon le ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, ces emplois seront résorbés par intégration dans les effectifs budgétaires pendant la période 2004-2007 d'application de la loi d'orientation pour la sécurité intérieure (LOPSI n° 2002-1094 du 29 août 2002). Selon la Cour des comptes, la question se pose de savoir si les créations d'emplois prévues par la LOPSI serviront à résorber les surnombres existants ou à créer des emplois supplémentaires.

L'effectif réel des adjoints de sécurité (ADS) est passé de 16.011 en 2000 à 11.692 en 2003 . En loi de finances initiale (LFI) pour 2004, le nombre d'emplois d'ADS autorisés a été réduit à 11.300, contre 20.000 autorisés en LFI pour 2000. Les emplois d'ADS, désormais détachés du dispositif des emplois jeunes, ont été pérennisés et le ministère est autorisé à procéder aux recrutements selon les conditions initiales.

L'impossibilité de pourvoir les emplois initialement autorisés et la diminution de l'effectif réel des ADS contredisent les perspectives d'évolution envisagées par le ministère. Celui-ci considère en effet que l'apport en terme d'effectifs d'ADS est indispensable au fonctionnement des services de police .

Malgré les observations précédemment présentées par la Cour des comptes, l'appréciation de la capacité opérationnelle des forces de police reste incertaine . Les effectifs réels communiqués par le ministère (134.603 hors ADS) sont réduits à 133.608 équivalents temps plein (ETP), si l'on prend en compte les temps partiels. Il faudrait cependant décompter en outre, d'une part, les personnels statutairement indisponibles pour le service (mise à disposition ou en situation de décharge syndicale) et, d'autre part, la perte de capacité opérationnelle théorique liée à la réduction du temps de travail.

Une politique de redéploiement des effectifs de personnels actifs a été mise en place depuis le conseil de sécurité intérieure du 27 janvier 1999, afin de les renforcer prioritairement dans 26 départements dits sensibles. Cependant, l'évolution des effectifs des fonctionnaires et agents de police nationale par département sensible n'est pas homogène. Certains de ces départements avaient, le 1 er janvier 2004, un effectif inférieur à celui du 1 er janvier 1999.

D'une manière générale, pour l'année 2003, la direction générale de la police nationale ne disposait pas d'outil d'information centralisé permettant de suivre la répartition des effectifs de la police et les tâches auxquelles sont affectés les fonctionnaires de manière opérationnelle.

C. QUELQUES RÉPONSES DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

Sur la politique de résorption des surnombres

Le nombre de gradés et gardiens de la paix excédentaires sur les circonscriptions sur-dotées peut être globalement estimé à 742 fonctionnaires. Il est toutefois insuffisant pour compenser le déficit des circonscriptions sous-dotées, ce qui engendre un déficit global pour la métropole de 789 fonctionnaires de ce corps.

Cette appréciation est fondée sur une comparaison pour chacune des circonscriptions de sécurité publique, entre le niveau d'effectifs constaté au 1 er janvier 2004, et les effectifs de référence issus des anciens objectifs de police de proximité réévalués en fonction des besoins nouveaux résultant des extensions réalisées en 2003 dans le cadre du redéploiement, ou des renforts décidés par la direction générale de la police nationale. Ces effectifs de référence ont un caractère moins impératif que les objectifs de police de proximité auxquels ils succèdent, mais restent le seul indicateur actuellement disponible par la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) pour apprécier les besoins en effectifs d'une circonscription donnée.

Toutes les circonscriptions excédentaires ne sont pas sur-dotées par l'effet des opérations de redéploiement, certaines d'entre elles ayant bénéficié de renforts ponctuels décidés par l'autorité ministérielle et d'autres, uniquement pour ce qui concerne l'Ile de France, ayant profité de la latitude accordée aux directeurs départementaux notamment pour détachement au sein des unités à vocation départementale.

Par ailleurs, certaines circonscriptions appelées à être renforcées dans le cadre d'une extension programmée en début d'année 2004 (5 janvier et 2 février) se trouvaient provisoirement en position de sur dotation de fait.

Les circonscriptions provisoirement excédentaires verront leur effectif se rééquilibrer par l'effet des départs en retraite qui ne seront pas remplacés.

Sur l'effectif des adjoints de sécurité (ADS)

Le ministère de l'intérieur fait valoir que la suppression des emplois jeunes l'a conduit à demander la pérennisation des ADS. Celle-ci a été obtenue, mais à un niveau inférieur à celui souhaité.

Sur la répartition des effectifs selon le critère de sensibilité des départements

Le constat établi par la Cour des comptes aux termes duquel la politique de redéploiement des personnels en faveur des départements les plus sensibles n'est plus effective depuis 2002 s'explique :

d'une part, en raison de la faible valeur d'efficacité opérationnelle de la classification tripartite des départements (non sensibles, sensibles, très sensibles) et du peu d'intérêt pratique pour une gestion centralisée des personnels dont les outils d'analyse empiriques se sont révélés insuffisants ;

d'autre part, en raison de la dispersion des moyens puis du coup d'arrêt aux renforts en effectifs programmés pour la dernière étape de la généralisation de la police de proximité.

A la combinaison de ces deux facteurs s'ajoutent des explications plus conjoncturelles liées à l'augmentation sensible des flux de départs de retraite à partir de 2002 et aux délais nécessaires au recrutement et à la formation des effectifs de substitution puis de 6.500 policiers supplémentaires prévus par la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure n° 2002-1094 du 29 août 2002 (LOPSI), à l'évolution de la politique des emplois jeunes et aux effets du redéploiement police/gendarmerie.

* 1 Le présent rapport spécial « sécurité » comprend les agrégats administration territoriale, administration générale, sécurité civile et police nationale. Quant à l'agrégat collectivités territoriales, il est traité dans le rapport spécial « décentralisation » par notre collègue Michel Mercier.

* 2 Dont ces crédits figurent aux titres IV et VI.

* 3 Respectivement 102,5 % et 153,3 %.