M. Philippe DALLIER

III. LA QUESTION DU ZONAGE DE LA POLITIQUE DE LA VILLE

Votre rapporteur spécial souhaite évoquer, en conclusion du présent rapport spécial, le problème du zonage de la politique de la ville.

A. LE ZONAGE DE LA POLITIQUE DE LA VILLE STRICTO SENSU

1. Deux zonages concurrents

La politique de la ville stricto sensu repose sur deux zonages concurrents :

- celui des zones urbaines sensibles (ZUS), qui comprennent les zones de redynamisation urbaine (ZRU), qui comprennent les zones franches urbaines (ZFU) ;

ZUS, ZRU et ZFU

ZFU ZRU ZUS

- celui, plus large, des quartiers prioritaires des contrats de ville .

Dans son rapport public particulier relatif à la politique de la ville (2002), la Cour des comptes estime que cette coexistence de deux zonages « n'améliore pas la lisibilité du dispositif pour les citoyens ».

2. Un zonage ZFU déjà ancien

Cette situation est d'autant plus contestable que le zonage ZFU est déjà ancien.

L'article 2 de la loi du 14 novembre 1996 précitée prévoit que les ZFU sont créées dans « des quartiers de plus de 10.000 habitants particulièrement défavorisés au regard des critères pris en compte pour la détermination des zones de redynamisation urbaine ».

Ainsi, deux critères sont pris en compte :

- dans un premier temps, on classe les ZRU par ordre de difficultés décroissantes, en fonction notamment de l'indice synthétique qui a servi à les définir ;

- au sein de ces ZRU, un ou plusieurs quartiers, comprenant chacun au moins 10.000 habitants, peuvent constituer la ou les ZFU.

a) Un indice synthétique établi à partir des données du recensement de 1990

L'indice synthétique est défini par le décret n° 96-1159 du 26 décembre 1996. Il est obtenu en multipliant la population de chaque ZUS par le taux de chômage, la proportion de jeunes de moins de vingt-cinq ans et la proportion de personnes sans diplôme déclaré, et en divisant ce produit par le potentiel fiscal par habitant de la commune concernée.

Comme notre collègue Eric Doligé le soulignait dans son avis sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine 18 ( * ) , « cet indice présente l'inconvénient d'être évalué, comme le prévoit ce décret, à partir du recensement général de la population de 1990 et des valeurs utilisées pour la répartition de la dotation globale de fonctionnement de 1996 , qui sont aujourd'hui anciens ».

L'ancienneté des critères retenus pour la définition des ZRU, et donc des ZFU, a également été critiquée par la Cour des comptes, dans son rapport public particulier précité relatif à la politique de la ville.

L'ancienneté des critères retenus pour la définition des ZRU, selon la Cour des comptes

« L'utilisation de critères objectifs pour définir des ZRU rend difficile le maintien du zonage d'origine, sans vérification que le classement initial est encore justifié. Le recensement de 1999 fournit des informations nouvelles sur la population et les taux de chômage, qui permettent d'actualiser les chiffres du recensement de 1990. (...)

Une adaptation du nombre et des périmètres des ZUS et des ZRU risque toutefois de provoquer une extension des zones concernées. En effet, les expériences passées montrent qu'il est très difficile, malgré l'image négative attribuée en général à ces différents zonages, de faire sortir des quartiers de la géographie prioritaire, les apports financiers et les mesures spécifiques dont ils bénéficient rendant leur classement attractif pour de nombreux acteurs ».

Source : Cour des comptes, rapport public particulier sur la politique de la ville, 2002

b) Une liste fixée par la loi

Bien que les critères devant servir à la détermination de la liste des ZFU soient inscrits dans la loi, celle-ci a été fixée par la loi elle-même, au I de l'annexe de la loi n° 96-987 du 14 novembre 1996 précitée.

Le décret en Conseil d'Etat ne fait que délimiter les ZFU ainsi définies 19 ( * ) .

B. LE ZONAGE DE LA DOTATION DE SOLIDARITÉ URBAINE

Au double zonage de la politique de la ville stricto sensu s'ajoute celui de la dotation de solidarité urbaine (DSU).

L'enjeu est d'autant plus important que le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale , actuellement en cours de discussion, prévoit d'accroître le montant de la DSU de 120 millions d'euros par an de 2005 à 2009 , afin de le porter d'environ 600 millions d'euros à 1,2 milliard d'euros. Les sommes en jeu sont donc bien plus considérables que les crédits du budget de la ville et de la rénovation urbaine (423 millions d'euros dans le présent projet de loi de finances) ou le montant des exonérations en ZFU (469 millions d'euros en 2004 selon le « jaune » Etat récapitulatif de l'effort financier consacré à la politique de la ville et du développement social urbain annexé au présent projet de loi de finances).

1. Un zonage trop large

La DSU bénéficie à un trop grand nombre de communes.

Ainsi, en 2004, sur les 932 communes de plus de 10.000 habitants, 699, soit les trois quarts , ont bénéficié de la DSU.

La réforme proposée par l'article 59 du projet de loi précité de programmation pour la cohésion sociale ne modifie pas les critères d'éligibilité à la DSU.

En revanche, il propose de majorer la DSU pour les communes situées en ZUS et, parmi elles, pour celles situées en ZFU.

La majoration de DSU proposée par le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale

L'attribution de la DSU serait multipliée, pour chaque commune, par le coefficient ci-après :

[1 + (2 x population en ZUS/population DGF)] x [1 + (population en ZFU/population en ZUS)]

La progressivité de la DSU serait considérablement accrue, pour les seules communes disposant d'une ZUS ou d'une ZFU, d'une manière relativement indépendante du rang de classement DSU, comme l'indique le graphique ci-après.

Dotation DSU par habitant, en fonction du rang de classement DSU

(en euros par habitant)

Montant de la dotation par habitant

Rang DSU

Source : ministère délégué au logement et à la ville

On n'en peut pas moins s'interroger sur une éventuelle évolution , à plus ou moins long terme, des critères d'éligibilité à la DSU.

Par ailleurs, votre rapporteur spécial regrette que l'on n'ait pas profité du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale pour actualiser le zonage ZUS et ZFU qui, comme on l'a indiqué ci-avant, repose en partie sur des données datant de 1990.

2. Le problème des communes « pauvres » non éligibles à la DSU

Le caractère trop étendu du zonage DSU ne doit pas dissimuler le fait que certaines communes « pauvres », souvent urbaines, bénéficient insuffisamment des dotations de l'Etat aux collectivités territoriales.

Ce problème se pose avec d'autant plus d'acuité que le financement du doublement de la DSU d'ici à 2009 sera assuré par les communes non éligibles à la DSU. En effet, cette majoration se fera à enveloppe constante pour la DGF des communes et des EPCI. Toutes choses égales par ailleurs, les communes non éligibles à la DSU verront donc leurs autres dotations - dotation forfaitaire, ou autres composantes de la dotation d'aménagement - moins progresser qu'en l'absence de la mesure précitée.

Certes, à l'initiative de votre commission des finances, le Sénat a adopté une disposition selon laquelle, si la DGF des communes et des EPCI augmente de moins de 500 millions d'euros une année donnée, l'abondement de la DSU sera de seulement 24 % de cette augmentation. Il n'en demeure pas moins que l'abondement de la DSU pourrait mettre les finances de certaines communes à rude épreuve. Il pourrait être nécessaire, à moyen terme, d'abonder certaines composantes de la DGF des communes et des EPCI, sans que cet abondement soit financé par des redéploiements au sein de cette enveloppe.

C. DES PROBLÈMES ACCRUS PAR LE PRÉSENT PROJET DE BUDGET DE LA VILLE ET DE LA RÉNOVATION URBAINE

Le problème du zonage de la politique de la ville et de l'insuffisance des dotations de l'Etat à certaines communes urbaine « pauvres » est accru par le présent projet de budget de la ville et de la rénovation urbaine.

En effet, comme on l'a indiqué ci-avant, il est prévu de supprimer les crédits, de 20 millions d'euros, destinés à accorder une aide aux communes en grand projet de ville (GPV) et connaissant des difficultés financières. Cette mesure est présentée comme la contrepartie de la réforme de la DSU. Pourtant, elle pénalisera certaines communes ne bénéficiant pas, ou bénéficiant peu, de cette réforme.

* 18 Devenu loi n° 2003-710 du 1 er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine.

* 19 Décret n° 96-1154 du 26 décembre 1996, modifié par le décret n° 97-1323 du 31 décembre 1997 pour la France métropolitaine et par le décret n° 96-1155 du 26 décembre 1996, modifié par le décret n° 97-1322 du 31 décembre 1997, pour les départements d'outre-mer.