2. Égalité des chances

• Dans l'utilisation d'un outil.

La pratique des outils nouveaux de l'information est aujourd'hui encore un épiphénomène de privilégiés dans les usages familiaux, alors qu'elle entre à grande vitesse dans l'univers professionnel. Cette disparité37 reproduit des inégalités sociales déjà fortement ancrées. Les familles aujourd'hui équipées en ordinateurs multimédia sont essentiellement des familles aisées à niveau culturel supérieur. Leurs enfants sont assurés de l'accès à un outil auquel la grande majorité des autres ne peut prétendre.

Dans ces conditions -et très nombreux sont les interlocuteurs qui l'ont souligné- la mise à disposition d'ordinateurs dans les écoles est une chance pour permettre à tous les enfants d'accéder à cet outil. Cette exigence première de l'Education nationale -fournir à tous les jeunes la même chance à une formation initiale de qualité- est renforcée par le usages possibles et les perspectives imaginables en terme d'amélioration qualitative des pratiques scolaires : l'ordinateur, associé à des apprentissages précoces (avant 6 ans) contribue à une lutte efficace contre les discriminations sociales, il constitue un élément déterminant de la lutte contre l'illettrisme [38] .

L'association Enseignement Public et Informatique (EPI) relève parfaitement cet enjeu : " Devant les carences du système éducatif, les familles socio-économiquement les plus favorisées s'équipent et ont recours aux services de clubs extra-scolaires payants, franchisés d'une société américaine à l'occasion. Le fossé continue à se creuser entre les élèves, entre l'école et les familles aisées qui ont compris le " plus " offert à leurs enfants en leur permettant l'accès aux technologies. (...) L'EPI ne pourra jamais accepter que l'informatique et les technologies associées soient réservées de fait à une minorité. L'impérieux devoir du système éducatif est de tout faire pour compenser - là comme ailleurs et là plus qu'ailleurs - les inégalités . " [39]

L'équipement des écoles catholiques [40] : la presse a largement fait écho au partenariat entre Apple et les écoles catholiques. Au-delà de l'intérêt d'un partenariat entre institution scolaire et fabricant de matériel, la volonté affirmée par l'enseignement catholique d'équiper toutes les écoles, et prioritairement les classes de collège, répond à la nécessité de ne pas rater l'introduction des techniques de l'information. La démarche pédagogique proposée semble être de favoriser le mélange d'un apprentissage inductif et déductif : laisser les enfants faire la découverte des ordinateurs et, quand ils sont confrontés à un blocage, l'enseignant doit être là pour pouvoir y répondre.

La priorité donnée à l'équipement des collèges pose question ; ce choix répond évidemment à une stratégie imposée par des limitations économiques. Selon M. CHÉREAU, il s'agit de rendre l'outil accessible à une catégorie d'enfants ne devant pas échapper au contact avec l'ordinateur. L'ambition semble au demeurant de poursuivre cette action pour toucher ensuite les classes de lycée.

N'est-ce pas, pour le service public, une cause de retard supplémentaire ?

Hors système éducatif, ce risque de l'accès différencié aux technologies, est accru par des propositions " marchandes " de sociétés franchisées : la société Futurekids [41] propose des formations aux technologies de l'information à un prix horaire supérieur à 100 F, aux enfants à partir de 3 ans et aux adultes à tout âge. Ces sociétés s'installent aujourd'hui dans les quartiers les plus favorisés ; contenus des exercices et pédagogie semblent messagers de la culture américaine.

• Dans l'accès aux sources documentaires.

Les meilleurs manuels, les meilleurs supports pédagogiques, les meilleures bibliothèques ne seront plus réservés aux privilégiés admis à fréquenter les établissements les mieux dotés. A terme, la numérisation des fonds documentaires les plus riches, leur mise en réseaux, permettra à tous d'accomplir un parcours d'apprentissage personnalisé .

Le réseau (qu'il s'agisse de Renater, d'Internet...) permet le libre accès à ces sources documentaires infinies. Cette richesse potentielle constitue une opportunité de premier ordre pour le système éducatif. Elle implique rigueur et méthodologie pour apprendre à y accéder comme à l'utiliser ; elle exige la ma»trise d'un travail à l'analyse du contenu [42] . L'ordinateur est un nouveau support d'informations, complémentaire et concurrent de la presse écrite, audiovisuelle, du livre....

Cette richesse documentaire en réseau devient un atout pour tous les acteurs éloignés des centres documentaires classiques. Le réseau devient un élément d'aménagement du territoire ; il renforce les chances de ceux qui vivent éloignés des pôles universitaires ; il atténue les conséquences des dispersions en milieu rural. Les réseaux Buissonniers, réunissant plus de cent écoles du Vercors sur un même réseau ouvert sur l'Internet, permettent l'enseignement à distance de lycéens de haut niveau sportif ; c'est un exemple concret et convaincant de l'utilisation de cet outil.

Les réseaux, loin de constituer un phénomène de mode, inscrivent leur logique dans une démarche profitable à la pédagogie : les serveurs mis en place par les académies mettent de plus en plus de documentation en ligne susceptible d'enrichir et de diversifier le travail des enseignants ; les " forums " organisent de nombreux débats sur le thème de l'éducation et des technologies, et favorisent la mise en commun des expériences, encouragent les synergies ; les serveurs étrangers, notamment québécois, sont riches en documentations pédagogiques... La prochaine Banque de Programme et de Services (BPS) mise en place par la Cinquième, aujourd'hui seulement expérimentée, permettra aux enseignants, par l'intermédiaire du réseau, d'accéder à une documentation audiovisuelle susceptible d'accompagner leur enseignement. Ces quelques éléments ne sont plus des perspectives ; ils constituent déjà la réalité du réseau.

Une véritable explosion documentaire se produit actuellement. Cette richesse doit être accessible au plus grand nombre si l'on veut assurer l'égalité des chances, mission essentielle de l'école.

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Les contributions des NTIC à la diffusion des informations, des données et des connaissances, les utilisations de l'ordinateur et réseaux de plus en plus importantes et, semble-t-il de moins en moins évitables dans les activités professionnelles, pour la formation personnelle de chacun et pour l'exercice de ses responsabilités citoyennes sont des données de la civilisation de cette fin de siècle ; les initiatives et les décisions déjà prises dans de nombreux Etats européens, au Canada et aux États-Unis, ne peuvent être négligées. Sont-elles exemples à suivre ?

L'entrée de l'usage des NTIC dans l'éducation en France para»t nécessaire : l'ordinateur communicant devient un instrument banal dans la société française comme dans celles du reste du monde. Les élèves de France, pour qu'ils aient des chances égales, doivent-ils, tous, pouvoir bénéficier d'une formation adaptée, et sans rupture, tout au long de leur scolarité ? Seront-ils ainsi préparés à réussir, dans les meilleures conditions possibles, leur insertion dans la société informationnelle du XXIe siècle ?

Cela suppose des décisions, et en premier, la mise en route d'un plan réfléchi, précis, financé et organisé de la formation des ma»tres à leur nouvelles responsabilités et à l'équipement des écoles. Faut-il l'envisager ? Dans quels délais et avec quels moyens ? Est-ce la priorité d'un Ministère de l'Education nationale ? Quels sont ses partenaires possibles, inévitables ? Quelle est son urgence ?