b) Des tensions internes, politiques et sociales, avivées par la récession

Au sein de l'ensemble du Sud Est asiatique, la situation birmane est particulièrement alarmante 33 ( * ) . Alors que la junte militaire est toujours au pouvoir en Birmanie, les atteintes aux droits de l'homme pratiquées dans ce pays sont tristement connues : ainsi Amnesty International estimait qu'en 1997, la Birmanie comptait 1.200 prisonniers politiques, tandis qu'un rapport de l'Organisation internationale du travail d'août 1998 soulignait l'existence de " travail forcé, souvent accompli par des personnes âgées, des femmes et des enfants ... pour le portage, la construction, l'entretien et le service des camps militaires ".

Sans s'appesantir sur le cas des Etats à l'histoire douloureuse comme le Laos et, surtout, le Cambodge ou le Vietnam , force est de constater que la crise asiatique a également fragilisé certains des Etats les plus prometteurs, d'ores et déjà classés parmi les "tigres ", comme la Thaïlande , les Philippines ou l' Indonésie , la Malaisie 34 ( * ) , faisant peser nombre d'incertitudes sur l'avenir de la zone.

Le cas indonésien, déjà brièvement évoqué, est à cet égard très révélateur : il a été particulièrement bien analysé dans un rapport d'information récent de la Commission des Affaires étrangères du Sénat, qui a mis en lumière les hypothèques pesant sur l'évolution politique et économique de ce pays 35 ( * ) . L'instabilité politique de l'Archipel, menant à une situation couramment qualifiée de " volcanique " ou d' " explosive " menace en effet, compte tenu du poids démographique et économique de ce pays, mais aussi de son rôle longtemps pivot au sein de l'ASEAN, l'équilibre de l'ensemble régional.

Au-delà de ses conséquences politiques, la crise a eu aussi des conséquences sociales.

Alors que la croissance soutenue des décennies d'avant-crise avait permis une forte réduction de la pauvreté en Asie du Sud-Est, cette tendance a été remise en cause par la période 1997-1998. L'impact social de la crise a été inégalement réparti, entre pays, régions et classes sociales, accroissant des inégalités : en particulier, les catégories défavorisées, urbaines et les moins qualifiées, ont été les principales victimes des ajustements de prix et d'effectifs.

Jusqu'en 1997, le " miracle asiatique " générait des taux de croissance records, qui ont profité à l'ensemble des couches de la population. Entre 1987 et 1998, le taux de pauvreté 36 ( * ) est passé en Asie de l'Est de 27 % à 15 %. Aucune région n'est parvenue à réduire ses inégalités avec une telle célérité et une telle ampleur : en Asie du Sud, par exemple, la proportion de démunis est restée élevée (40 % en 1998 contre 45 % en 1987), alors qu'elle a stagné en Amérique latine (de l'ordre de 15 %).

Pendant cette décennie, la région a effectué un bond spectaculaire, grâce notamment aux actions des pouvoirs publics, qui ont facilité l'accès à l'éducation et à l'aide sociale et sanitaire . Ainsi, l'espérance de vie en Asie de l'Est est passée de 59 ans en 1985 à 69 ans en 1995 et le taux de mortalité infantile a diminué sur la même période à 34 pour mille en moyenne, contre 76 auparavant.

La crise économique s'est au contraire traduite par une recrudescence de la pauvreté (cette dernière augmentant plus rapidement en phase de récession qu'elle ne se réduisait en phase de croissance). En Indonésie, il est estimé que le taux d'accroissement de la pauvreté était à peu près de 10 fois supérieur à celui de la baisse de la consommation par habitant. Selon la Banque Mondiale, plus de 23 % de la population en Indonésie vivait, après la crise, sous le seuil de un dollar par jour (contre 11 % en 1996). Si les effets de la crise ont touché l'ensemble des pays de la région, des différences sont toutefois apparues : l'Indonésie a été le plus profondément affectée, suivie par la Thaïlande (en particulier au nord est et au sud), la Corée et la Malaisie. Les Philippines ont été moins touchées, tout en accusant une détérioration du niveau de vie global. Ce sont, globalement, les populations urbaines à faibles revenus et qualifications qui ont été les plus concernées.

* 33 Voir par exemple l'article de Philippe Richer : " Myanmar, une dictature ouvertement contestée " dans l'ouvrage collectif précité " Crises en Asie du Sud Est ", Presses de Sciences-Po, 1999.

* 34 Les procès et la crise politique consécutive à l'affaire Anwar ont accentué les clivages internes et quelque peu décrédibilisé le gouvernement du Dr Mahatir.

* 35 " L'Indonésie après Soeharto : de la crise économique au changement politique ", Sénat n° 457, 1997-1998 ; par MM. Xavier de Villepin, Michel Alloncle, André Boyer, Jean-Pierre Demerliat, André Dulait et Mme Danielle Bidard-Reydet.

* 36 Part de la population disposant de moins d'un dollar par jour

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