Rapport n° 293 (2000-2001) de M. Henri REVOL , fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, déposé le 2 mai 2001

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N° 3033

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

N° 293

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale

Annexe au procès-verbal de la séance du

le 3 mai 2001

2 mai 2001

OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

RAPPORT

sur

LA POLITIQUE SPATIALE FRANÇAISE : BILAN ET PERSPECTIVES,

par

M. Henri REVOL,

Sénateur.

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale

par M. Jean-Yves LE DÉAUT

Vice-Président de l'Office.

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Henri REVOL

Président de l'Office .

Espace.

Le Rapporteur souhaite exprimer ses plus sincères remerciements aux membres du comité de pilotage qui l'ont assisté pour l'élaboration de cette étude et dont les conseils lui ont été infiniment précieux :

M. José ACHACHE, directeur général-adjoint scientifique du CNES,

M. Silvano CASINI, ancien président de l'Agence Spatiale Italienne et consultant chez Fiat Avio,

M. le Professeur André LEBEAU, ancien président du CNES et de Météo-France.

INTRODUCTION

L'objet de ce rapport est d'examiner la nécessité d'une politique spatiale française et d'analyser les questions que pose la définition de cette politique.

Nature de la politique spatiale

La signification du terme qui désigne l'objet du rapport, « politique spatiale française », mérite une réflexion préliminaire.

On peut définir la politique spatiale comme l'expression d'une volonté de l'Etat qui s'exprime par des objectifs et s'accomplit par la mise en oeuvre de moyens financiers, institutionnels et réglementaires .

Cette définition étroite s'applique parfaitement à ce que pouvait être la politique spatiale aux origines, il y a de cela quelques décennies. L'activité spatiale s'identifiait alors au programme spatial financé par la puissance publique et la politique qu'elle exprimait répondait à des enjeux à long terme susceptibles d'être exprimés en termes très généraux : acquérir une capacité autonome d'accès à l'espace, maîtriser les applications émergentes, donner à la communauté scientifique les moyens d'exister dans ce nouveau domaine. Dans le court terme les enjeux politiques et la dimension économique étaient, pour un pays comme la France, pratiquement absents même s'ils étaient déjà présents, sous la forme d'enjeux de défense, pour les Etats-Unis et l'Union soviétique. La définition d'une politique spatiale française destinée principalement à préserver un avenir assez lointain était alors une tâche relativement simple. Il s'agissait, pour l'essentiel, d'acquérir les savoir-faire fondamentaux. Cette politique mettait en jeu un nombre très limité d'acteurs, les agences spatiales, et des moyens modestes par rapport à ceux que mobilisent les activités spatiales actuelles.

Le problème est aujourd'hui complètement transformé.

- Un renversement est intervenu dans l'importance relative des enjeux à court terme et à long terme . Le court terme s'est chargé d'enjeux politiques et économiques majeurs ; c'est une situation nouvelle dont tout indique qu'elle est promise à perdurer. Les enjeux à long terme n'ont pas pour autant disparu mais ils demeurent éloignés et de nature incertaine.

- Des acteurs nouveaux sont apparus du fait même des efforts menés en France et en Europe : une industrie spatiale structurée à l'échelle de l'Europe et des organisations qui, comme Eutelsat, Eumetsat ou Spotimage, rassemblent les utilisateurs.

- Une fraction importante des activités spatiales , tout ce qui concerne les télécommunications civiles, a pris le caractère d'une activité commerciale et relève de l'initiative du secteur privé.

- Les modes d'action de l'Etat se sont diversifiés et ne se résument plus, comme ce fut le cas à l'origine, au financement de projets par de l'argent public.

C'est ainsi par exemple que la préservation des intérêts industriels et commerciaux, dans un contexte international où les Etats-Unis occupent une position dominante, requiert une présence efficace et cohérente dans les organisations internationales où se débattent les questions de normes techniques, d'allocations de fréquences et de positions orbitales et de pratiques commerciales. Une attention accrue au rôle régulateur de l'Etat est donc requise .

Par ailleurs, les options prises en matière de politique spatiale portent leurs effets dans un large domaine qui touche aux attributions de nombreux départements ministériels : industrie, défense, télécommunications, aménagement du territoire, agriculture, transports, recherche, politique européenne, relations extérieures, etc.

- Le contexte international dans lequel s'inscrit la politique spatiale de la France s'est profondément transformé . Dans la mesure où l'espace, par sa nature même, concerne des enjeux globaux et des activités transfrontières, une politique spatiale ne peut se définir sans référence à ce contexte. Le processus de mondialisation, qui s'est substitué à l'affrontement bipolaire de la guerre froide, et qui allie étroitement coopération et compétition, forme le nouveau cadre global qui s'impose à la politique spatiale.

Compte tenu de ces éléments de complexité et de la diversité d'acteurs qu'ils impliquent, une conception plus large de la politique spatiale s'ajoute utilement à celle qui la définit étroitement comme une action de l'Etat.

Elle consiste à la considérer comme le produit d'une réflexion collective, portant sur les enjeux, sur les objectifs et sur la stratégie, qui offre à une diversité d'acteurs un cadre commun et cohérent sur lequel puissent converger leurs efforts et leurs initiatives.

Enjeux et objectifs

Une difficulté essentielle à laquelle se confronte la définition d'une politique spatiale tient à la dualité des objectifs.

Deux lignes d'action coexistent dans l'entreprise spatiale et entretiennent des relations difficiles. L'une concerne la maîtrise des enjeux politico-économiques à court terme ; pour l'autre, l'espace est conçu comme le prolongement de l'aventure humaine, l'ouverture de nouveaux territoires, une nouvelle frontière. Elle se prête à des entreprises dont la charge émotionnelle est forte et elle établit, avec le pouvoir politique, une relation dont la rationalité n'est plus d'ordre stratégique ou économique mais d'ordre symbolique. C'est naturellement dans les vols habités que s'investit cette expression de l'esprit d'aventure. Concilier ces deux lignes d'action est une difficulté majeure, rendue plus aiguë par le fait qu'elles sont partiellement indissociables. Dans un domaine comme la navigation maritime, les diverses branches d'activité, du transport à la navigation de plaisance en passant par la marine militaire, ont des existences largement autonomes. Il n'en va pas ainsi pour l'activité spatiale qui tend à se présenter comme un tout, qu'il s'agisse des moyens d'accès à l'espace, des savoir-faire industriels ou des institutions. La cohabitation dans ce tout de deux composantes de nature différente pose donc inévitablement de difficiles problèmes d'arbitrage.

De l'analyse des enjeux politico-économiques qui s'attachent à la maîtrise de tel ou tel secteur des applications de l'espace émerge un phénomène global : la dépendance de la société civile à l'endroit de la disponibilité de moyens spatiaux . Comme on le verra dans le corps de ce rapport, de nombreux secteurs de l'activité socio-économique dépendent, pour leur fonctionnement quotidien, souvent de façon absolue, de cette disponibilité. A cela s'ajoute le rôle de la technique spatiale dans le système de défense et dans le développement de domaines majeurs de la recherche scientifique. La diversité des formes que revêt cette dépendance ne doit pas occulter son unité. Elle procède exclusivement de l'usage de la technique spatiale à des fins informationnelles ; elle constitue ainsi l'un des outils de la transformation majeure qui marque notre époque et qui fait de la maîtrise de l'information un enjeu dont l'importance connaît une croissance explosive. Dans l'immense majorité des cas, le satellite n'a d'autre fonction que celle d'acquérir, de traiter et de transmettre de l'information. De ce fait, la technique satellitaire qui reflète le progrès des technologies de l'information évolue de façon extrêmement rapide. A ce progrès technologique répond une diversification des usages qui accroît et diversifie le phénomène de dépendance. C'est dans ce phénomène de dépendance de la société que se situent les enjeux proprement politiques de l'espace qui sont l'objet central de ce rapport . L'examen des formes et des conséquences de cette dépendance constitue donc un préalable nécessaire.

La dépendance stratégique

La dépendance stratégique peut se définir comme l'effet des facteurs objectifs qui restreignent l'autonomie du pouvoir politique et mettent en cause sa capacité d'établir, par ses choix, des différences entre la société qu'il gouverne et les autres ensembles démocratiques. Dans la mesure où l'interdépendance des entités géopolitiques est sans cesse croissante, et où la mondialisation des échanges se développe rapidement, l'autonomie politique ne peut être totale et tout débat sur ce sujet est par nature un débat de degré : jusqu'à quel point le pouvoir politique doit-il aliéner son autonomie ou se donner les moyens de la préserver dans un monde interdépendant ? Le concept de dépendance stratégique englobe ainsi tout ce qui concerne la préservation de l'identité sociétale.

Les modes de dépendance s'organisent en quatre grands domaines :

- la disponibilité des moyens dont les gouvernements doivent disposer pour exercer leurs activités propres, notamment en matière de sécurité des biens et des personnes et de conduite des relations internationales ;

- la préservation des intérêts économiques nationaux et du dynamisme économique, ce qui implique une maîtrise de la relation au marché ;

- la préservation de la personnalité culturelle , qui englobe non seulement la culture au sens traditionnel du mot, mais aussi la connaissance scientifique fondamentale ;

- la défense , c'est-à-dire le contrôle de tout ce qui pourrait menacer l'intégrité ou l'existence d'une entité géopolitique.

C'est dans ce contexte que doit s'apprécier la place de la technique spatiale.

Chacun des secteurs de la technique spatiale peut être mis en relation, comme on le verra, avec un ou plusieurs modes de dépendance. C'est ainsi que l'on peut associer, sans que ces relations aient rien d'exclusif, la navigation, la météorologie et l'observation de la Terre à l'information gouvernementale, les télécommunications à la préservation des intérêts économiques, la diffusion de l'information télévisuelle et la recherche fondamentale à l'enjeu culturel et l'ensemble des secteurs à la défense. La disponibilité d'un accès à l'espace se place évidemment en facteur commun à ces quatre dimensions.

L'importance des techniques spatiales dans le développement des dépendances liées à la maîtrise des techniques informationnelles tient pour l'essentiel à trois spécificités :

- leur aptitude à établir, à partir d'un projet et d'un investissement unique, un système à couverture mondiale contrôlé depuis un centre unique. De ce fait, elles se prêtent à la constitution de monopoles mondiaux dont l'archétype est G.P.S. ;

- leur capacité à faire pénétrer un service sur un territoire national sans enfreindre la souveraineté nationale et en contournant la ligne de défense essentielle de cette souveraineté : le contrôle des intrusions matérielles ;

- l'absence, dans de nombreux cas, d'alternative à l'usage de la technique spatiale et le caractère radicalement nouveau du service fourni.

Dans le contexte ainsi tracé, les enjeux de dépendance stratégique relèvent pour l'essentiel de la relation entre le pôle européen et les Etats-Unis. Les relations avec les autres pôles de développement : Russie, Japon, Inde, Chine, peuvent constituer des aspects très importants de la politique spatiale, mais ces partenaires ne sont pas susceptibles d'engendrer, dans un avenir prévisible, une dépendance unilatérale de l'Europe.

L'analyse de la démarche américaine constitue donc un élément important de toute réflexion sur la politique spatiale de l'Europe.

La politique spatiale des Etats-Unis

Une réflexion sur la politique spatiale peut utilement s'éclairer de l'analyse de la réponse américaine à ce problème, et le choix d'une politique spatiale pour la France ou pour l'Europe de l'analyse de ce qui se passe aux Etats-Unis ; il ne s'agit pas, naturellement, de pratiquer un suivisme taillé à la mesure des moyens européens. L'examen du passé montre que l'Europe a connu ses plus grands succès dans les domaines où - comme ce fut le cas pour le projet Ariane - elle a su s'écarter intelligemment des choix américains.

L'importance et la diversité des enjeux politiques à court terme comporte le risque d'une appréciation erronée qui s'exprime fréquemment et par laquelle on en viendrait à considérer que la technique spatiale a atteint une maturité telle qu'une politique spatiale globale n'est plus nécessaire, qu'on peut laisser chaque secteur des applications spatiales à l'initiative des acteurs - utilisateurs et producteurs - directement concernés.

Une telle conception se place aux antipodes de l'analyse américaine qui appréhende la technique spatiale comme un outil de pouvoir de portée globale, au service de leur hégémonie mondiale . Pour la nation qui exerce un leadership mondial, l'objectif de la politique spatiale ne s'exprime pas en termes de contrôle de la dépendance stratégique, il s'exprime en termes d'accroissement de la dominance ( 1 ( * ) ) mondiale.

L'objectif de « dominance spatiale » qui est affiché par les Etats-Unis s'inscrit comme une composante d'un objectif plus général et non moins explicite, de « dominance informationnelle » .

Le document National Space Policy émis par la Maison Blanche en 1996 affirme ainsi que « l'accès à l'espace et son usage jouent un rôle central dans la préservation de la paix, la protection de la sécurité nationale des Etats-Unis et de leurs intérêts civils et commerciaux ». Une section particulière consacrée à l'espace commercial dispose que l'objectif de l'action gouvernementale, dans sa relation avec le secteur privé commercial, est de « renforcer la compétitivité économique des Etats-Unis dans les activités spatiales tout en protégeant leur sécurité nationale et les intérêts de leur politique étrangère ».

D'innombrables documents officiels montrent de façon tout à fait claire que les Etats-Unis considèrent l'espace comme l'un des outils stratégiques majeurs par lesquels s'exprime leur puissance politique dans le monde en même temps que comme l'axe autour duquel s'organise leur puissance militaire.

Ce choix politique, qui a fait l'objet d'une approbation bipartisane du Congrès, est confirmé et renforcé par la nouvelle administration du Président George W. Bush. Il comporte des conséquences pour l'Europe. S'il est naturel que les Etats-Unis poursuivent une politique d'hégémonie, l'absence de réaction européenne entraînerait des conséquences qu'il faut bien mesurer.

Conséquences pour l'Europe

Toute la démarche américaine conduit à l'établissement, au niveau mondial, de monopoles de fait , situation qui est déjà atteinte dans le domaine de la navigation par satellites. Un monopole mondial, fondé sur une industrie nationale, établit une dissymétrie complète entre le pouvoir politique, qui dispose d'un contrôle de ce monopole, et tous les autres.

Dans le domaine des télécommunications, la constitution de monopoles de fait serait un puissant mécanisme d'affaiblissement de tous les pouvoirs politiques à l'exception d'un seul. Plus généralement, la notion même de monopole est inséparable, comme nous l'a enseigné le passé, de celle d'abus de ce monopole.

Le contexte européen

On doit admettre, dès le début de cette réflexion, que l'ambition spatiale de la France ne peut s'épanouir que dans le cadre de l'Europe et observer que l'ambition spatiale de la France s'est voulue, dès l'origine, le moteur d'une ambition européenne ; les progrès de la construction européenne, comme ses lacunes et ses retards, constituent de ce fait un élément essentiel du contexte.

La question des institutions spatiales européennes, de leur évolution et de leur cohérence avec les institutions nationales revêt une importance capitale dans la définition d'une politique spatiale française.

Le caractère incomplet et en devenir de la construction politique de l'Europe, le retard pris dans certains domaines, et singulièrement dans le domaine militaire, créent des contraintes dont doit s'accommoder la politique spatiale de la France.

Tout cela fait qu'une réflexion sur la politique spatiale française ne peut être dissociée d'une réflexion sur la politique spatiale de l'Europe. Au cours des décennies passées, la France a constamment occupé la position de leader parmi ses partenaires de l'Union européenne ; c'est souvent à son initiative qu'ont été entrepris les projets majeurs qui ont structuré les activités spatiales de l'Europe. Une telle situation n'a rien que de satisfaisant. Il faut toutefois garder à l'esprit que cette place de leader n'a de sens que pour autant qu'elle permet d'exercer un effet d'entraînement sur les partenaires européens ; une démarche qui consisterait à la maintenir ou à l'accentuer aux dépens de la solidarité européenne serait intrinsèquement incohérente .

Projets et institutions

Un programme spatial se compose, pour une fraction importante de son volume, de grands projets qui le structurent fortement et dont la durée est importante. Il y a donc lieu de porter une grande attention, dans les processus décisionnels, à la cohérence entre ces projets et les objectifs que l'on assigne à la politique spatiale.

Par ailleurs, l'adaptation des institutions qui exercent des responsabilités dans le domaine spatial à un contexte changeant exige une attention permanente. Plusieurs éléments se conjuguent dans l'évolution de ce contexte :

- La maturité des applications de l'espace implique une diversité croissante d'acteurs politiques et administratifs.

- L'industrie spatiale, devenue largement capable de propositions et d'initiatives, doit maîtriser une double relation avec la puissance publique et avec le marché.

- Les agences spatiales, enfin, affrontent tout à la fois les effets de l'émergence de nouveaux acteurs et ceux des progrès de la construction européenne.

Ce rapport s'attache à analyser ces deux dimensions, programmatique et institutionnelle, de la cohérence politique.

PREMIÈRE PARTIE :L'ACCÈS À L'ESPACE ET LES VEHICULES SPATIAUX

I. LANCEURS ET CAPACITÉ D'ACCÈS À L'ESPACE

A. LES LANCEURS

1. Rappel historique et aspects stratégiques

Origines historiques du lanceur européen Ariane

La décision de construire le lanceur Ariane a été prise en 1973, par la Conférence spatiale européenne, en même temps que la décision de créer une Agence spatiale européenne unique, l'ESA, en fusionnant ESRO ( 2 ( * ) ) et ELDO ( 3 ( * ) ) .

Cette décision, qui s'inscrit dans la suite de l'échec d'ELDO et de l'abandon du projet de lanceur Europa, témoigne que l'Europe a pris conscience, à cette époque, de l'importance capitale d'un accès autonome à l'espace. Elle a été largement facilitée par l'abus que les Etats-Unis ont fait de leur monopole en mettant, comme condition à la fourniture de lanceurs Thor Delta pour les satellites franco-allemands Symphonie, l'interdiction de toute utilisation opérationnelle de ceux-ci.

La position de monopole dont disposaient les Etats-Unis a complètement disparu non seulement du fait d'Ariane mais aussi de celui de la disparition de l'Union soviétique, de l'ouverture des marchés russe et ukrainien et de l'apparition de capacités de lancement dans plusieurs pays : Chine, Japon, Inde, etc. La situation internationale n'est donc plus celle qu'affrontait l'Europe au début des années 70. Il est désormais possible, dans la plupart des cas, d'acquérir un lancement sur le marché commercial mondial.

Toutefois, en l'absence d'une volonté européenne de maintenir une capacité autonome, le risque de reconstitution d'une situation de monopole mondial - ou d'une situation dans laquelle l'Europe n'aurait pas la liberté de développer tous les usages de l'espace qu'elle jugerait nécessaires - demeure présent.

Les Etats-Unis ont clairement indiqué leur volonté de reconquérir la position dominante sur le marché des lanceurs consommables que leur a fait perdre la Navette spatiale. La tâche est confiée au ministère de la Défense (DoD) par la directive de politique spatiale de 1996 et l'amiral David Jeremiah, successeur de l'actuel secrétaire d'Etat à la défense, Donald Rumsfeld, à la présidence de la Commission du Congrès chargée de la sécurité spatiale des États-Unis ( 4 ( * ) ) , a sans ambiguïté indiqué, en janvier 2001, qu'« en matière spatiale, l'Europe est plus une rivale qu'une partenaire ». Cette démarche s'inscrit très clairement dans une politique d'ensemble qui fait de la maîtrise de l'espace un enjeu stratégique.

Compte tenu des enjeux qui s'attachent aux technologies de l'information, la conjonction d'une position dominante des Etats-Unis et de liens exclusifs entre les Etats-Unis et la Russie menacerait la liberté de l'Europe de mener sa propre politique si elle ne disposait pas d'une capacité autonome .

En d'autres termes, le contexte s'est transformé, il est devenu plus complexe, mais les enjeux qui s'attachent à la maîtrise de l'accès à l'espace sont de même nature et d'importance plus évidente que ce qu'ils étaient à l'origine du programme Ariane.

2. Le marché

a) La capacité de lancement

Le caractère d'enjeu stratégique de l'accès à l'espace et le coût élevé des programmes de développement de lanceurs comportent deux conséquences directes :

- les développements sont financés, le plus souvent en totalité, par de l'argent public ;

- les Etats qui s'engagent dans cette voie cherchent à alléger leur charge financière en commercialisant des lancements. L'Europe, avec Ariane, a connu un succès exceptionnel dans ce domaine en acquérant le premier rang mondial dans les lancements commerciaux.

Les succès commerciaux ne doivent cependant pas occulter le caractère fondamentalement stratégique de l'entreprise.

L'imbrication d'une activité commerciale et de financements publics a deux conséquences :

Une concurrence faussée

La moitié des activités mondiales de lancement répondent à des besoins gouvernementaux. Sur 207 lancements réalisés de 1997 à 1999, ces besoins représentaient 49 % (soit 26 % pour la défense, 14 % pour la science et 9 % pour l'observation et la météo). Les autres lancements concernaient les constellations (18 %) et les besoins commerciaux (33 %) de satellites de télécommunication en orbite géostationnaire).

Les constructeurs américains disposent, dans ce contexte général de concurrence faussée, d'un certain nombre d'avantages spécifiques :

- le marché des lancements gouvernementaux leur est formellement et exclusivement réservé. Ce marché représente 70 % de leur chiffre d'affaires alors qu'Ariane dépend à 90 % de son chiffre d'affaires du marché commercial ouvert. Il n'existe d'ailleurs, en sa faveur, aucune politique de « préférence européenne » qui réponde à l'exclusivité dont bénéficient les lanceurs américains ;

Lancements 1997-1999 - Répartition par secteur (en %)


Secteur

Lanceurs américains

Ariane

%

%

Défense

54

5

Observation et météo

3

3

Science

12

3

Constellations

12

0

Commercial GEO

19

83

La partie grisée correspond au marché gouvernemental protégé des Etats-Unis.

Source : Arianespace

- l'utilisation des bases de lancement américaines est financée en quasi-totalité par le gouvernement fédéral , ce qui représente une subvention d'environ 12 millions de dollars par lancement.

Une surcapacité globale de lancement

L'intervention du financement public conduit inéluctablement à créer une capacité qui n'est plus régulée par l'offre et donc à une surcapacité de lancement.

Selon les dernières prévisions d'Euroconsult, le futur marché sera dominé par les satellites géostationnaires qui représenteront 41 % de la totalité des satellites lancés jusqu'en 2008, ce qui constitue un élément favorable pour le lanceur Ariane 5.

MARCHÉ DES LANCEMENTS DE 2000-2009

Nombre de satellites (mini-maxi)

657-894

Moyenne annuelle (mini-maxi)

66-89

Valeur (mini-maxi)

34,6-41,6 Md$

RÉPARTITION DU MARCHÉ MINIMAL

RÉPARTITION PAR TYPES D'ORBITE :

- orbite basse

- orbite moyenne

- orbite géostationnaire

- exploration lointaine


11 %

15 %

71 %

3 %

RÉPARTITION PAR TYPES D'OPÉRATEUR :

- commercial

- gouvernemental (civil)

- gouvernemental (militaire)

61 %

23 %

16 %

RÉPARTITION PAR TYPES DE MARCHÉ : ( 5 ( * ) )

- marché ouvert

- marché captif

- marché contracté

42 %

25 %

33 %

* Sans les constellations en orbite basse.

Source : Euroconsult

Toutefois, la caractéristique essentielle de ce marché sera une offre largement supérieure à la demande, c'est-à-dire une surcapacité de lancement.

Le graphique ci-après évalue le risque de surcapacité sur le marché commercial des services de lancement à l'horizon 2005 à un facteur de l'ordre de 2. Bien entendu, ce schéma ne prend pas en compte les marchés gouvernementaux, en particulier pour les États-Unis.

Ariane 5 : 12-14 Sat. (6-7 A5)

Atlas V : 8 Sat.

Delta IV : 8 Sat.

Proton : 8 Sat.

Sea Launch : 4-6 Sat.

C.Z + H2A : 6-8

Source : Arianespace

En prenant en compte la capacité de lancement globale, y compris les lancements gouvernementaux, on aboutit pour la deuxième partie de la décennie au tableau suivant :

Lanceur

Capacité totale de lancement prévue

Estimation marché gouvernemental

Reste marché commercial

Equivalent satellites

Ariane 5

8

1-2

6-7

12-14

Atlas 5

12-14

4-6

8

8

Delta 4

12-14

4-6

8

8

Proton

12

4

8

8

Sea Launch

4-6

0

4-6

4-6

Longue marche + H2A

12

4-6

6-8

6-8

On peut souligner le cas des deux lanceurs américains mentionnés dans ce tableau pour lesquels sont prévus les investissements nécessaires à la mise en oeuvre d'une capacité de lancement de 12 à 14 tirs par an, voire plus si le marché le nécessite. Le marché gouvernemental américain pour ces classes de lanceurs est estimé à une dizaine de lancements par an, soit 4 à 6 tirs par an pour chacun d'eux.

En Russie, durant les cinq dernières années, une moyenne de cinq tirs gouvernementaux par an a été observée, alors que la capacité de production du lanceur Proton est estimée à douze annuellement.

Le développement d'une surcapacité est encore accentué par le fait que les Etats-Unis maintiennent, dans les programmes en cours, une « concurrence » interne entre Lockeed Martin et Boeing.

Cette situation de surcapacité traduit simplement le fait que l'objectif fondamental du maintien d'un accès autonome à l'espace n'est pas, pour les pays engagés dans cette voie, la rentabilité commerciale mais la liberté de poursuivre leurs objectifs stratégiques à plus ou moins long terme.

b) Le marché des lancements

S'il convient de ne pas ignorer complètement les lanceurs développés par des pays tels que la Chine (Longue Marche), le Japon (H2), l'Inde (GSLV), le Brésil (VLS), il ne faut pas perdre de vue que la concurrence pour Ariane provient de façon presque exclusive des lanceurs américains de la prochaine génération et des lanceurs russes commercialisés par des « joint-ventures » créés à l'initiative de Boeing et Lockeed Martin.

TYPE DATE DES VOLS SATELLITES MASSE CU (KG)

TYPE DATE DES VOLS SATELLITES MASSE CU (KG)

Arianespace

AR 501/V88 04/06/96 Cluster (4) 5 723*

AR 502/V101 30/10/97 Maquette 4 887

AR 503/V112 20/10/98 Maquette/ARD 5 400

AR 504/V119 10/12/99 XMM 3 918

AR 505/V128 21/03/00 Asiastar/Insat-3B 5 740

AR 506/V130 25/07/00 Astra-2B/GE-7 5 969

AR 507/V135 15/11/00 PAS-1R/Amsat 6 313

AR 508/V138 21/12/00 Astra-2D/GE-8 ?

? 2002 Anik-F2 5 900

9 2002 Telstar-8 5 500

? début 2002 ? 5 700

Delta-3 (3,8 t en GTO)

1 26/08/98 Galaxy 10 3 876 *

2 05/05/99 Orion-3 4 300 *

3 23/08/00 Maquette 4 300

4 2001 ? ?

5 2001-2002 ? ?

Cinq lanceurs 2002 ICO 2 750

Deux lanceurs 2002 Skybridge ?

International Launch Services

Atlas-3A (4,0 t en GTO)

1 25/05/00 W-4 3 190

2 été 2001 ? ?
Atlas-3B (4,5 t en GTO)

1 3 ?2001 ? ?

Atlas 3 début 2002 Asiasat-4 ?

Atlas-5/400 (4,9 à 7,9 t en GTO)

401 mars 2002 ? ?

Atlas-5/500 (3,9 à 8,6 t en GTO)

? sept. 2002 ? ?

Atlas-5 2003 Teledesic ?
Proton M/Breeze-M (5,5 t en GEO)

1 nov. 2000 Ekran-M16 ?

2 2001 Intelsat--901 5 080

3 2001 GE-2A 5 500

Trois lanceurs 2003 Teledesic ?

Delta-4M (4,1 à 6,6 t en GTO)

1 (5,4 m) 4 ?2001 Vol commercial ? ?

2 mai 2002 DSCS ?

Quatre lanceurs 2002 Skybridge

Delta-4H (13,2 t en GTO)

1 2002-2003 Maquette ?

2 fin 2003 satellite militaire ?

Chine

LM-38 (5,1 t en GTO)

1 14/02/96 Intelsat-708 3 650 *

2 19/08/97 Agila-2 ?

3 16/10/97 Apstar-2R 3 700

4 30/05/98 Chinastar-1 ?

5 18/07/98 Sinosat-1 ?

6 fin 2001 DFH-3C ?

Japon

H-2A202 (4,1 à 5,0 t en GTO)

Boeing

Sea Launch

1 28/03/99 Maquette 4 900

2 10/10/99 DirecTV-1R 3 450

3 12/03/00 ICO-1 2 750 *

4 28/07/00 PAS-9 3 659

5 21/10/00 Thuraya-1 5 108

6 déc. 2000 XM-1 4 450

7 fév. 2001 XM-2 4 450

8 mi-2001 Galaxy-3C ?

1 fév. 2001 Maquette ?

2 fév. 2002 Maquette ?

3 août 2002 Adeos-2 ?

H2A212 fév. 2003 ETS-8 5 800

? août 2003 ALOS-1 ?

Inde

GSLV

1 fév. 2001 Gramsat-1A 1 600

2 2002-2003 Gramsat-1B ?

Source : Air & Cosmos (24.11.2000)

* Echec

• Les lanceurs russes fiables et peu coûteux, sont essentiellement commercialisés en coopération avec les opérateurs occidentaux.

L'Europe a misé sur deux fusées russes :

- Rockot, commercialisée par Eurockot est un lanceur léger très bon marché (18 millions de dollars au maximum) qui peut lancer quelques centaines de kilos en orbite basse.

- Soyuz est le plus fiable des lanceurs, avec un taux de réussite de 99,4 %. Sa commercialisation et son exploitation sont en partie assurées par la société Starsem, créée en 1996 par Aérospatiale Matra (35 %), Arianespace (15 %), Rosaviacosmos (25 %) et Ts SKB-Progress (25 %).

Starsem effectue depuis Baïkonour des lancements de fusées dérivées du Soyuz initial : Soyuz-Ikar, Soyuz-Fregat et bientôt Soyuz-ST, en orbite basse, haute et héliosynchrone.

Les États-Unis ont également montré un vif intérêt pour les capacités spatiales russes :

ILS (International Launch Services), filiale commune de Lockheed Martin et Krunichev, est l'opérateur de la fusée russe Proton.

La filiale de Boeing, Sea Launch, en association avec le russe Energuia et l'ukrainien Yuzhnoye, lance la fusée Zenith à partir d'une plate-forme off shore positionnée sur l'Equateur en plein Pacifique.

Ces lanceurs, capables d'emporter des charges lourdes en orbite géostationnaire, constituent de sérieux concurrents pour la fusée Ariane.

Ainsi, en 2000, ILS a effectué quatorze lancements, et Sea Launch vise, à terme, une douzaine de lancements annuels depuis l'Equateur.

La nouvelle génération de lanceurs lourds américains EELV (Evolved Expandable Launch Vehicule) s'est vu assigner l'objectif de reconquérir le marché et, le cas échéant, de s'en assurer un quasi monopole.

Les États-Unis ont désormais compris combien le choix historique du « tout navette » s'était révélé désastreux sur le plan commercial et ils ont repris l'offensive. Le ministère américain de la Défense a confié à Boeing et Lockheed Martin le soin de mettre au point deux familles de lanceurs lourds, respectivement Delta 4 et Atlas 5. Ces deux firmes, qui ont reçu pour ce programme une aide totale d'un milliard de dollars du gouvernement, disposent d'un marché captif de 180 lancements jusqu'en 2020. Elles développent des fusées simplifiées et donc plus économiques. Le lanceur Delta 4 sera décliné en plusieurs versions capables de placer entre 2,7 et 13,2 tonnes en orbite de transfert géostationnaire, le lanceur Atlas 2 AS, décliné jusqu'à la version 5 AS, pouvant quant à lui emporter de 3,7 tonnes à 13,1 tonnes.

Le Delta 4 M de Boeing (4,1 à 6,6 t en GTO) et l'Atlas 5/400 de Lockeed Martin (4,9 à 7,9 t en GTO) effectueront leurs vols inauguraux en fin 2001 et début 2002, respectivement.

Quant au lanceur lourd Delta 4 H, après un vol de qualification financé par le Pentagone (141 millions de dollars), il devrait faire des tirs doubles de 2 satellites de 6,5 t à partir de 2003, c'est-à-dire 3 ans avant l'Ariane 5/ESC-B.

Ces lanceurs seront des concurrents directs d'Ariane 5. Leur développement résulte d'une volonté américaine clairement affirmée de suprématie, voire de monopole, dans le domaine spatial et notamment dans le secteur stratégique des lanceurs. Ainsi que l'annonce David Schweikle, Directeur de la division des lanceurs Delta de Boeing : « Grâce à notre gamme de lanceurs, nous visons de 30 à 50 % du marché mondial des lancements commerciaux » 6 ( * ) , c'est-à-dire la moitié du marché, l'autre moitié étant occupée par Lockeed.

Lanceur stratégique conçu à l'origine pour libérer l'Europe du monopole américain des lancements de satellites et de l'abus qu'ils en faisaient, Ariane a eu la chance de bénéficier d'une conjoncture extrêmement favorable. La qualité intrinsèque du lanceur européen, conjuguée à l'absence de concurrence américaine - les Etats-Unis ayant fait l'erreur de privilégier la coûteuse navette et de renoncer aux lanceurs consommables - a permis à Ariane de prendre la première place mondiale sur le marché commercial des lanceurs.

Toutefois, il faut avoir bien conscience que cette situation exceptionnelle, qui n'avait nullement été envisagée, ni même espérée à l'origine du programme, touche à sa fin ; les pouvoirs publics doivent consentir aux efforts nécessaires pour que le lanceur européen demeure disponible pour permettre aux Etats européens d'accéder à l'espace, ce qui fut, et demeure, l'objectif permanent du programme .

De plus, et comme le montre l'évolution comparée des financements de la filière Ariane, les montants issus de l'exploitation commerciale des lanceurs (chiffres d'affaires d'Arianespace) dépassent depuis 1995 le montant des financements publics. Depuis cette date, cet écart n'a cessé de croître pour atteindre en 2000 un rapport de 64 % pour les montants commerciaux contre 36 % pour les financements publics. Cette évolution, qui était supportable dans une situation où la concurrence était assez peu active, doit être considérée avec la plus grande attention au moment où une concurrence sévère prend de la consistance tant en Russie qu'aux Etats-Unis. La publication par la société Arianespace de résultats financiers pour la première fois négatifs en 2000, après 20 années consécutive de bénéfices, doit à cet égard constituer un signa, même si les surcoûts liés à l'exploitation simultanée d'Ariane 4 et d'Ariane 5 pendant la phase de transition contribuent à ce déficit.

B. PRÉSERVER LA CAPACITÉ EUROPÉENNE D'ACCÈS À L'ESPACE

L'autonomie de l'Europe repose sur la disponibilité conjointe de deux éléments : des lanceurs et un centre de lancement, Ariane et le centre de Guyane .

La préservation de cette autonomie d'accès à l'espace implique la pérennisation de ces deux éléments qui, dans une très large mesure, sont indissociables. Cela n'exclut pas le recours à des capacités non européennes et à des coopérations internationales dont Starsem est un excellent exemple, mais compte tenu de la nature et de l'importance des intérêts en jeu et du faible niveau des capacités existantes autres qu'américaine, russe ou chinoise, il n'existe aucune garantie que l'Europe puisse, dans la durée, répondre à ses besoins et satisfaire à ses ambitions, qu'elles soient civiles ou militaires, si elle ne dispose pas d'un accès autonome à l'espace.

Les questions d'ordre politique que posent les lanceurs d'une part, le centre de lancement d'autre part ne coïncident pas exactement ; il y a lieu de les considérer séparément.

1. Produire des lanceurs bien adaptés aux futurs marchés et développer des installations de lancement

a) Améliorer Ariane 5

Le marché du lancement des satellites est conditionné par trois facteurs : l'évolution de la masse des satellites commerciaux, le coût du kilogramme mis en orbite et le nombre de lancements à effectuer. Le premier paramètre a une influence directe sur l'architecture des lanceurs.

Depuis dix ans, les satellites géostationnaires de télécommunications n'ont cessé de s'alourdir et compte tenu de leurs nouvelles fonctions (téléphonie mobile, multimédia...) ils vont devenir de plus en plus massifs. On estime qu'en 2006, 50 à 60 % des satellites à lancer pèseront plus de 5 tonnes. La capacité actuelle d'emport d'Ariane 5, plafonnée à 6,5 tonnes de charge utile (contre 4,8 tonnes pour Ariane 4) n'est plus suffisante.

L'un des éléments clés de la compétitivité du système Ariane réside dans sa capacité, à ce jour non partagée, à emporter simultanément deux satellites par lancement, ce qui permet de répartir entre les deux clients le coût du lancement. Compte tenu de l'augmentation de masse des satellites de télécommunication, il est impératif d'accroître les capacités d'emport d'Ariane 5 pour conserver cette capacité de lancement double. De plus, la diversité accrue des missions demandées par les clients (commerciaux ou gouvernements européens) impose de développer les capacités et la versatilité des étages supérieurs. Il est en particulier nécessaire aujourd'hui de les doter d'une capacité de réallumage, c'est-à-dire l'aptitude, pour l'étage supérieur, à enchaîner au cours de la mission plusieurs phases propulsées réparties dans le temps permettant d'atteindre plusieurs orbites distinctes. Plusieurs étapes sont déjà prévues par le programme Ariane 5 Plus.

En 2001, Ariane 5 Evolution, grâce à une amélioration du composite inférieur de la fusée, permettra de placer des satellites de 7,3 tonnes en orbite GTO. Puis le lanceur sera doté d'un moteur Vulcain 2 aux performances accrues de 20 %.

L'étage supérieur de la fusée, qui fonctionne actuellement avec des ergols liquides classiques, sera remplacé par un étage cryotechnique (oxygène-hydrogène liquides) plus puissant, l'ESC décliné sous deux variantes.

L'ESC-A, équipé du moteur cryotechnique de l'actuelle Ariane 4 permettra, à l'horizon 2002, de placer 10 tonnes en orbite GTO.

Fin 2005, Ariane 5 sera dotée d'un étage supérieur cryotechnique ESC-B. Cet étage sera équipé du nouveau moteur Vinci développé spécialement et qui portera sa capacité d'emport à 12 tonnes en orbite de transfert géostationnaire avec une capacité de réallumage.

Cette dernière capacité conférera à Ariane 5 ce qu'on appelle la « versatilité » : la possibilité de réallumages multiples, permettant de remplir des missions complexes. Grâce à cette souplesse, Ariane 5 desservira aussi bien l'orbite géostationnaire des gros satellites de télécommunications que les orbites moyennes ou basses, plus souvent requises par les constellations de satellites et certains satellites scientifiques. Elle pourra également injecter directement en orbite géostationnaire et non plus seulement en orbite GTO (orbite de transfert géostationnaire) les futurs satellites à propulsion électrique.

Ces développements sont indispensables, d'une part, pour améliorer l'accès d'Ariane 5 au marché, et, d'autre part, parce qu'un programme de lanceurs ne se pérennise que si, à côté de l'activité des productions, existe une activité de développement. Seule cette continuité de l'effort de développement permet d'éviter la dispersion des équipes qui détiennent l'expertise.

Le programme Ariane 5 Plus représente une enveloppe financière de 1164 M€ -dont 100 M€ viennent d'Arianespace- qui correspond au développement :

- de l'étage supérieur cryotechnique ESC-A,

- de la versatilité de l'étage à propergols stockables,

- du moteur cryotechnique réallumable Vinci,

- de l'étage supérieur cryotechnique ESC-B équipé du nouveau moteur Vinci.

Il convient de souligner que, si les trois premiers éléments de ce programme ont été lancés en 1998 et confirmés à la Conférence ministérielle de l'ESA de 1999, le quatrième élément est en suspens. Il est essentiel qu'il soit approuvé lors du prochain Conseil ministériel prévu en novembre 2001.

b) Diminuer les coûts de production industrielle du lanceur

Il s'agit d'un enjeu vital pour l'avenir de la filière Ariane et l'ensemble des acteurs est conscient de la nécessité d'atteindre dans les trois années à venir un coût de lancement inférieur à 15 000 $ le kilo.

Cet effort implique l'ensemble des partenaires, qu'ils soient gouvernementaux ou industriels. La problématique est résumée dans le tableau ci-après. Un certain nombre de résultats ont été atteints à ce jour, en particulier lors de la négociation du contrat d'achat du 2 ème lot de lanceurs Ariane 5 appelé P2 (-35 % environ par rapport à P1).

Impérieuse nécessité de réduire fortement les coûts de lancement

... et notamment les coûts de production,

pour faire face à la concurrence

lot P1 (lanceurs 503 à 516) négocié en 1995

lot P2 (lanceurs 517 à 536) - 35 % effet de cadence annuelle
effets d'apprentissage
quelques évolutions techniques

le lot P3 (àpartir de 2005) vise « P1 - 50 % », mais il faudra probablement anticiper

Lot P3/ Ariane 5-ECB Division par quatre
du coût au Kg
par rapport à P1/ Ariane 5

Les constructeurs du lanceur européen doivent être prêts à faire de réels efforts pour relever le défi. Cette nécessaire réduction des coûts de production passe aussi bien par des aménagements de l'organisation de la filière de production que par des solutions techniques. Il s'agit d'abord en effet, aujourd'hui, de repenser l'organisation de la filière Ariane, que ce soit celle en place pour mener les développements ou celle liée à la production.

L'enjeu est bien d'accroître l'efficacité d'un système dont l'organisation a principalement été façonnée depuis 1973 par des contraintes d'ordre politique matérialisées dans les fameuses règles de retour géographique qui s'imposent aux programmes développés dans le cadre de l'Agence spatiale européenne. La conséquence en est la multiplication des circuits de décisions et des interfaces, ce qui génére une perte d'efficacité et des coûts additionnels. Il faut donc simplifier les schémas contractuels. A cet égard les mouvements de concentration industrielle auxquels on assiste aujourd'hui en Europe (avec en particulier la création d'EADS) devraient constituer une occasion de rationaliser les processus de fabrication d'Ariane.

Le rapprochement des organisations en place pour les développements et la production est une deuxième voie prometteuse pour s'assurer que les évolutions du lanceur Ariane répondent à la fois au besoin du marché et prennent en considération les impératifs économiques de coût de production du lanceur. La création de la Direction des développements Ariane (équipe mixte CNES-Arianespace) en 1998 constitue une avancée dans cette direction. Il faut sans doute poursuivre dans cette voie.

Par ailleurs, les techniques mêmes de fabrication vont être modifiées. Plusieurs voies sont envisagées :

- l'utilisation de nouvelles technologies, notamment pour simplifier l'architecture du lanceur à tous les niveaux ; citons par exemple le remplacement des protubérances métalliques dotées de protections thermiques, coûteuses en fabrication et au montage, par des capots monoblocs en composite, plus économiques ; le collage des gouttières électriques des boosters ; le remplacement, dans la case à équipements, de la structure d'aluminium par du matériau nid d'abeille pour gagner plus de 150 kg ; le remplacement des joints mécaniques des boosters par des joints soudés.

- l'analyse des coûts et le recours à des sous-traitants pour les réduire. SNECMA, par exemple, maître d'oeuvre de la propulsion, fait largement appel à la sous-traitance (50 % de la fabrication d'un moteur) et a recours à plus de 200 fournisseurs. La simplification des procédures d'achat a permis d'abaisser de 20 à 30 % les coûts en quatre ans ;

- la réduction des cycles de fabrication : ils doivent passer de quarante à trente mois, voire vingt-cinq mois, de l'ébauche des premières tôles à la livraison de l'étage complet. Dans cette optique, EADS Lanceurs a mis en place trois équipes « plateau » associant opérateurs, contrôleurs, préparateurs, équipes de bureaux d'études et de qualité. Le montage peut s'effectuer en trois phases (bâti moteur, jupe avant, étage complet) avec des objectifs de délais et de coûts pour chaque lanceur.

SNECMA met en place des unités de production autonomes et procède à une remise à plat des processus qui devrait déboucher sur une réduction de 30 à 40 % du cycle de fabrication (fabrication par lots de quatre à six unités, assemblage de moteurs en parallèle, etc.).

La demande des Etats membres de l'ESA d'une réduction de 10 % du coût du programme Ariane 5 Plus a conduit SNECMA à envisager, au début de l'année 2000, une alliance avec l'entreprise américaine Pratt & Witney pour développer un nouveau moteur cryogénique, le SPW 2000, pouvant équiper à la fois le lanceur européen et les deux nouveaux lanceurs américains, Delta 4 (Boeing) et Atlas 5 (Lockeed Martin). Cette coopération posait de réels problèmes : le transfert de technologie devait être accepté par le département d'Etat américain. Il fallait ensuite obtenir l'accord des Etats membres de l'ESA et, enfin, un accord entre les industriels européens. De plus, pour éviter une dépendance vis-à-vis des Etats-Unis, il fallait obtenir que les parties critiques du moteur restent en Europe.

Le Conseil de l'ESA a repoussé cette solution en juin 2000. Compte tenu notamment de l'opposition de l'Allemagne, c'est la voie purement européenne du moteur Vinci qui a été choisie.

Cet épisode illustre les conflits que peut susciter la conciliation des objectifs d'autonomie et de réduction des coûts.

c) Améliorer les conditions de lancement

Comme on l'a déjà relevé, une distorsion considérable du marché des lancements est induite par le fait qu'aux Etats-Unis les frais occasionnés par les tirs sur les bases de lancement sont financés par l'US Air Force alors que, pour les lancements européens, c'est à l'organisme souhaitant mettre son satellite en orbite qu'incombent ces frais. Les clients d'Arianespace sont donc pénalisés par rapport à ceux qui choisissent des lanceurs américains, cette pénalisation s'élevant à 12 millions de dollars par lancement.

Le financement public aux champs de tirs US est de l'ordre de 450 millions de dollars ; il est nettement supérieur au financement total du Centre de Guyane, voisin de 300 millions de dollars dont près de la moitié est supportée par les utilisateurs alors que leur participation au financement des champs de tirs US est, comme le montre le tableau ci-après, à peu près négligeable.

Financement des bases de lancement aux États-Unis

millions de dollars

Source : Arianespace

Il serait donc souhaitable, pour rétablir des conditions de concurrence équitables, de consacrer des fonds publics au financement des bases de lancement.

d) Adapter les installations de lancement

Il est essentiel, pour satisfaire au mieux aux contraintes des utilisateurs, que les cycles de lancement d'Ariane 5 soient courts.

En 2003, la plate-forme ELA-2 d'Ariane 4 sera démantelée tandis que la plate-forme ELA-3 d'Ariane 5 tournera à la cadence de huit tirs par an.

Ariane 5 est un lanceur lourd qui, pour une masse de 750 tonnes au décollage, embarque près de 180 tonnes d'ergols cryogéniques et dispose de deux boosters à ergol solide de 27 mètres de haut pesant chacun 240 tonnes. Sa conception nouvelle a entraîné la mise en oeuvre d'installations spécifiques de lancement.

La campagne de lancement est très différente de celle d'Ariane 4 :

- alors que l'assemblage d'Ariane 4 s'effectue dans un bâtiment unique, celui d'Ariane 5 s'apparente beaucoup plus à un processus industriel : les installations de production des ergols, les bâtiments de stockage des segments de propulseurs et des boosters à ergols solides, le bâtiment d'intégration lanceur (BIL) et le bâtiment d'assemblage final (BAF), d'où sort le lanceur pour être transféré sur son pas de tir via 3 kilomètres de voie ferrée, constituent une ligne de production.

- le chevauchement des phases d'assemblage et d'intégration doit permettre de faire passer la campagne Ariane 5 de 35 jours à 20 jours.

De plus, tant pour satisfaire aux exigences des utilisateurs que pour éviter que des retards de livraison de satellites, comme ce fut le cas en 1999, bloquent pendant plusieurs mois les lancements, il est souhaitable de pouvoir intégrer sur place plusieurs satellites en parallèle. De même, il est essentiel de raccourcir la durée des campagnes de préparation des satellites et de mettre en place les moyens de traiter les très grosses charges utiles telles que l'ATV ( Automated Transfer Vehicle : véhicule européen ayant pour mission le support logistique de la Station Spatiale Internationale).

C'est pourquoi un nouveau bâtiment S5 pour la préparation des charges utiles (réception, intégration, remplissage en ergol des satellites) va bientôt être mis en service.

Doublant la capacité des installations existantes, il permet d'accueillir simultanément des satellites plus volumineux mais aussi, éventuellement, des satellites en constellation dont les lancements s'effectuent en grappes.

L'intégration de quatre satellites en parallèle permet une plus grande flexibilité : le premier satellite prêt est le premier mis en orbite (FIFO, First In First Out ). S'affranchir ainsi des retards de livraison de satellites et réduire les délais d'attente est d'autant plus important qu'Ariane 5, dans une configuration optimale, met en orbite deux charges utiles provenant de clients différents.

e) Définir une gamme de lanceurs européens en consolidant l'alliance avec la Russie.

Le sujet de la gamme de lanceurs européens a été abordé en juin 2000 par le Conseil ministériel de l'ESA, qui a voté à l'unanimité une résolution sur la stratégie européenne des lanceurs.

Celle-ci établit que les Etats membres doivent apporter leur soutien au programme Ariane 5 Plus pour lui permettre de garder sa place sur le marché mondial.

Elle précise ensuite que la gamme de lanceurs européens devra être complétée par des lanceurs petits et moyens fabriqués en Europe. Ces lanceurs seront constitués d'éléments communs (étages, sous-systèmes, technologies, usine de production et infrastructure opérationnelle) et pourront bénéficier des nouvelles techniques de propulsion à ergols solides.

En ce qui concerne le petit lanceur, la situation s'est débloquée au dernier trimestre 2000. L'ESA a pris officiellement la décision de développer un lanceur léger, Vega, comme le souhaitait l'Italie.

Le financement de ce programme est actuellement assuré à 85 %, soit 20 % pour certains Etats membres de l'ESA (Suède, Espagne, Hollande, Suisse, Belgique) et 65 % pour l'Italie qui coopère avec la France. En effet, afin d'optimiser les investissements à réaliser pour le lanceur Vega (2,2 milliards de francs, soit 335 millions d'euros), la France et l'Italie vont travailler sur un programme appelé P 80 (pour 800 millions de francs, soit 123 millions d'euros), dont la technologie (moteur à poudre) serait utilisable pour différentes applications : elle pourrait être utilisée pour améliorer les performances des fusées d'appoint à poudre d'Ariane 5 et en abaisser les coûts de production comme pour constituer le premier étage de Vega.

Le premier tir de Vega est prévu en 2005. Ce lanceur pourra mettre des satellites de 1500 kg en orbite polaire à 700 km. Il pourrait assurer quatre tirs par an et lancer des satellites scientifiques ou des satellites d'observation de la Terre. Il pourrait remplacer à terme les missiles balistiques russes et ukrainiens qui sont actuellement convertis en lanceurs de satellites.

Ce n'est pas encore le cas et l'Europe dispose actuellement, par l'intermédiaire de la société germano-russe Eurockot, formée par Khrounitchev à 49 % et Astrium GmbH à 51 %, du petit lanceur Rockot.

Le vol inaugural de ce petit lanceur commercial a eu lieu en mai 2000 à Plessetsk. C'est un missile intercontinental SS 19 doté d'un étage supérieur réallumable Breeze-KM. Le prix de Rockot varie de 12 à 18 millions de dollars selon les versions. Il peut lancer de très petits satellites de télécommunications en orbite géostationnaire (tels qu'Interspoutnik-M1 et M2 en 2003) ainsi que les petits satellites du CNES de la classe Proteus ou de l'ESA (programme Earth Explorer) en orbite basse.

Rockot fait partie de la gamme des lanceurs européens aux côtés de Soyuz. Eurockot a d'ailleurs conclu en juin 2000 un accord de partenariat avec Starsem, qui commercialisera le lanceur Rockot.

En ce qui concerne le lanceur moyen, le Conseil de l'ESA de juin 2000 a évoqué la possibilité d'en développer un, en utilisant des éléments dérivés d'Ariane 5 (P 230) et du petit lanceur Vega (P 80 et troisième étage), pour le marché des constellations.

On peut s'interroger sur l'intérêt d'un tel développement qui entrerait en concurrence avec la démarche consistant à intégrer Soyuz dans la gamme européenne par l'intermédiaire de la société Starsem ou de toute structure industrielle qui pourrait en dériver.

Soyuz est en effet un lanceur fiable, réactif et peu coûteux. Sa campagne de lancement, du début de l'assemblage de la fusée au tir est de moins de 20 jours, et son prix varie entre 35 millions et 50 millions de dollars en fonction de la mission à réaliser, contre 45 millions de dollars au minimum pour celui d'une Delta 2 américaine. Starsem achève la remise à niveau des lanceurs Soyuz. Aérospatiale a ainsi développé, de 1996 à 1998, le « disperseur » de charges utiles Ikar, qui permet des lancements multiples de satellites. De plus, le nouvel étage supérieur, Frégate, autorise le lancement de charges utiles plus lourdes et volumineuses vers un plus grand nombre d'orbites grâce à la possibilité de réallumages multiples (jusqu'à vingt). Dans un avenir proche, apparaîtra le nouveau lanceur Soyuz/ST, doté d'un étage supérieur Frégate, d'une coiffe plus volumineuse, de 4 mètres de diamètre, inspirée de celle d'Ariane 4 et d'une nouvelle avionique numérique.

L'Europe dispose ainsi d'une gamme complète de lanceurs, avec Ariane 4 (jusqu'en 2003), Ariane 5, Soyuz, et Rockot remplacé à terme par Vega. Cette offre de lanceurs devrait être gérée globalement par Arianespace afin d'éviter toute incohérence de politique commerciale.

A cette gamme de lanceurs européens devrait correspondre un marché gouvernemental européen. En effet, de même que le Congrès américain a institué l'obligation légale de lancer tous les satellites gouvernementaux, c'est-à-dire de défense, de science, d'observation et de météo avec des lanceurs américains, l'Union européenne devrait institutionnaliser la notion de préférence européenne systématique pour les lancements non commerciaux.

Dans ce cadre, chaque lancement gouvernemental européen doit, en fonction des impératifs du moment, préserver l'intérêt de la communauté spatiale européenne et sa capacité de lancement.

Tous les satellites gouvernementaux de télécommunication à lancer en orbite géostationnaire doivent évidemment utiliser Ariane 5 puisqu'elle est parfaitement adaptée à ce type de lancement. On peut citer par exemple le futur satellite militaire français de télécommunication Syracuse III.

Quant aux satellites d'observation, le problème peut se poser en termes d'opportunité politique européenne. Ainsi, le satellite militaire français d'observation Hélios B pourrait sans doute techniquement être lancé par un Soyuz. Encore convient-il d'examiner si nos partenaires européens sont préparés à comprendre que le Gouvernement français fasse appel, pour des satellites de défense, à un lanceur qui est tiré à partir d'un pays étranger.

2. Assurer la pérennité du Centre de lancement de Guyane

Le Centre spatial guyanais est indispensable au succès d'Ariane et plus généralement à l'autonomie européenne d'accès à l'espace. Il est non moins indispensable à l'équilibre socio-économique de la Guyane. L'examen général des actions nécessaires pour assurer cet équilibre excède le cadre de ce rapport, mais ce qui est certain, c'est que l'interruption des activités du Centre spatial guyanais engendrerait une déstabilisation socio-économique majeure de ce département français dont l'économie est étroitement liée au spatial.

De ce fait la pérennité du centre guyanais s'inscrit dans une double préoccupation politique ; politique spatiale : l'autonomie européenne, politique générale : la stabilité du département guyanais.

La dépendance de la Guyane à l'endroit des activités spatiales est mesurée en première approximation par deux chiffres :

- le secteur spatial représente 25 % du PIB du département et 50 % de la production locale ;

- 24 % des emplois : 1600 emplois directs et 12 000 emplois indirects sont générés par l'activité spatiale.

Un lancement d'Ariane injecte 100 MF dans l'économie locale.

On peut penser qu'un tel degré de dépendance à l'endroit du seul secteur spatial est un facteur de fragilité et de déséquilibre qui doit être corrigé. C'est pourquoi le Contrat de Plan Etat-Région (7 milliards de francs dont 30 % financées par l'Union européenne) a pour objectif de créer 25 000 emplois non spatiaux en 7 ans. Le CNES s'implique résolument dans ce programme. Il a créé en 1999 la « Mission Guyane » et a signé en mai 2000 une annexe au Contrat de Plan Etat-Région 2000-2006 allouant une somme supplémentaire de 175 millions de francs aux crédits prévus par le CPER dans le but de créer 1 000 emplois non spatiaux. Plusieurs pistes sont explorées, et notamment la création d'une technopole régionale avec une université, élément essentiel du dispositif, un centre de recherche et de nouvelles entreprises ( 7 ( * ) ).

La Mission Guyane a aussi pour objectif de dégager des synergies rendues possibles par la présence de très nombreux centres de recherche tels que l'Institut Pasteur, l'IRD, le Cirad, l'INRA, l'Ifremer, le BRGM, l'INSERM, etc...

Aussi louables que soient ces efforts, il est raisonnable de ne pas en attendre d'effets quantitatifs immédiats dans un département qui compte 25 % de chômeurs sur une population de 170 000 habitants.

La pérennisation de l'activité spatiale est donc, dans le moyen et le long terme, un enjeu politique capital.

Les atouts du site

Le site guyanais possède des atouts importants qui en ont fait, jusqu'à une époque très récente, le seul site équatorial disponible pour les lancements commerciaux (si l'on excepte le site brésilien d'Alcantara qui ne dispose pas, aujourd'hui, des moyens nécessaires pour accueillir des lanceurs et des satellites lourds).

Les atouts naturels sont nombreux :

- une très large ouverture sur l'océan Atlantique autorise toutes les inclinaisons de l'orbite avec des lancements aussi bien vers l'Est (pour l'orbite géostationnaire) que vers le Nord (pour l'orbite polaire), et avec un minimum de risques pour les biens et les personnes. La faible densité de population a permis, dès le début, de réserver une surface de 850 km², avec 52 km de côtes. Sur les collines avoisinantes, on a pu installer les moyens de poursuite (radars et antennes de télémesure) ;

- la proximité de l'équateur (5,3°N) permet de bénéficier tout à la fois au maximum de l'effet de fronde dû à la rotation de la terre (460 m/s) et de la moindre correction d'angle pour l'orbite géostationnaire. Le gain total par rapport à Cap Kennedy est de l'ordre de 17 % pour cette orbite ;

- cette zone est à l'abri des cyclones et des tremblements de terre. Elle présente une faible activité orageuse ;

- le site, à proximité des îles du Salut, a un climat très supportable malgré sa position équatoriale.

A ces atouts naturels s'ajoute la disponibilité d'installations techniques pour l'accueil des satellites qui sont considérées, par les utilisateurs, comme les meilleures du monde.

Cette qualité de l'accueil s'est conjuguée aux qualités du lanceur Ariane pour bâtir une image extrêmement positive auprès des utilisateurs et faciliter ainsi la tenue du marché.

Au-delà du maintien de cette réputation de qualité et de l'accueil des lanceurs européens, qu'on peut considérer comme allant de soi, la pérennisation de l'activité spatiale de la Guyane pose une question essentielle : faut-il accueillir en Guyane des lanceurs étrangers et rompre ainsi la relation quasi exclusive qui s'est établie, au fil des ans, entre le programme Ariane et le Centre de lancement ?

La réponse à cette question est à rechercher dans la stratégie de coopération internationale que l'Europe peut adopter pour asseoir sa politique d'autonomie de l'accès à l'espace.

3. Une démarche de coopération internationale à l'appui de l'objectif d'autonomie européenne d'accès à l'espace : Soyuz en Guyane

L'autonomie d'accès à l'espace de l'Europe repose sur la disponibilité conjointe et indissociable de deux éléments : des lanceurs et un centre de lancement.

A l'endroit de cet objectif essentiel, une stratégie internationale concerne pour l'essentiel deux partenaires : les Etats-Unis et la Russie.

S'agissant des Etats-Unis, il ne fait aucun doute que la démarche des deux grands acteurs industriels : Boeing et Lockeed-Martin, vise à reprendre une position dominante, voire un monopole, sur le marché des lancements commerciaux et à éliminer Ariane de ce créneau. Il n'est pas douteux non plus que le Gouvernement américain ne verrait pas d'un mauvais oeil cette évolution qui augmenterait la dépendance stratégique de l'Europe.

La stratégie que l'on voit s'amorcer comporte trois éléments :

- le développement de gammes de lanceurs compétitifs (que nous avons déjà décrit) ;

- la création de sites équatoriaux dont le premier est Sea Launch ;

- l'établissement d'une relation avec la Russie, qui vise à devenir exclusive et qui crée une concurrence à Ariane fondée sur les lanceurs Proton et Zénith (Sea Launch).

S'il n'est sans doute pas impossible d'établir entre les firmes européennes et américaines des coopérations ponctuelles (comme a tenté de le faire la SNECMA) à bénéfice mutuel, il est tout à fait clair que les objectifs stratégiques divergents de la politique américaine et de la politique européenne excluent, de la part des Etats-Unis, l'établissement d'une relation de dépendance mutuelle, ce que résume le propos de l'amiral Jeremiah ( 8 ( * ) ) : « En matière spatiale, l'Europe est plus une rivale qu'une partenaire »).

La situation de l'Europe vis-à-vis de la Russie est complètement différente et n'exclut nullement une base d'intérêts mutuels. La coopération amorcée avec la création de la société Starsem, qui commercialise des Soyuz lancés de Baïkonour et qui a procédé à des améliorations importantes du lanceur russe, constitue une expérience extrêmement positive. C'est donc une base sur laquelle on peut bâtir. Mais l'avenir de cette entreprise est menacé par l'échec, au moins provisoire, des programmes de constellations qui constituaient un marché d'une importance critique pour Starsem. L'accord entre les partenaires de Starsem est soumis à renouvellement en juillet 2001. C'est dans ce contexte que Boeing a offert à l'Agence spatiale russe, dans le cadre d'un projet intitulé « Soyuz by Boeing », d'implanter Soyuz sur un pas de tir équatorial (île Christmas), contrôlant ainsi l'utilisation du seul moyen de desserte de l'ISS en dehors de la Navette et créant une concurrence spécifique à Ariane. L'acceptation de cette offre accroîtrait le risque d'encerclement d'Ariane par les initiatives des Etats-Unis et surtout elle instaurerait, avec la fin de Starsem, une coopération exclusive entre Etats-Unis et Russie.

C'est dans ce contexte que doit être examinée la réponse qu'il convient d'apporter à la demande officielle du Gouvernement russe d'installer un pas de tir Soyuz en Guyane.

Des prises de position diverses, et souvent extrêmes, se sont exprimées à l'endroit de cette offre sans que, semble-t-il, les éléments d'une décision aient été, jusqu'à très récemment, examinés de façon approfondie et objective.

Tout indique qu'il ne s'agit pas d'une simple péripétie tactique mais d'une décision stratégique majeure dont les conséquences à court et surtout à long terme doivent être soigneusement pesées.

Il existe naturellement des difficultés de mise en oeuvre d'ordre juridique ou institutionnel d'une telle démarche. Ces difficultés sont certainement solubles et ne peuvent pas occulter les enjeux essentiels qui doivent déterminer la décision politique.

Un premier inventaire des avantages et des inconvénients peut s'établir comme suit :

- du côté des inconvénients est mise en avant, pour l'essentiel, la création d'une concurrence à Ariane 5 pour les satellites de la classe 1,5 t en orbite géostationnaire (soit environ 3 t en orbite de transfert géostationnaire) ; la maîtrise de cette concurrence ne peut résulter que d'une négociation avec le partenaire russe, négociation qui, dans ce cadre, est parfaitement concevable.

- du côté des avantages :

• la pérennisation de la coopération initiée avec Starsem qui pourrait se développer dans l'avenir et s'étendre à d'autres domaines. Le jugement très positif que nos partenaires russes portent sur cette coopération est un élément dont l'importance ne doit pas être sous-estimée ;

• l'élargissement de la base d'activité du centre guyanais avec la potentialité d'effets positifs sur les coûts d'exploitation d'Ariane 5 par le biais de synergies opérationnelles ;

• la possibilité d'offrir aux utilisateurs, pour certaines classes de satellites, une « double source » sur le même site ;

• un élargissement de la gamme dont disposerait l'Europe pour affronter la concurrence.

Par ailleurs, les menaces que constituerait l'installation d'un site équatorial Soyuz contrôlé par Boeing seraient écartées. Il s'agit d'une part d'une concurrence sur les lancements commerciaux en orbite géostationnaire, concurrence dont les termes ne seraient plus négociables, d'autre part d'une concurrence directe avec les vols Ariane 5/ATV vers la station spatiale internationale.

Dans l'hypothèse d'une décision positive, il va de soi que la gestion des lancements Ariane 5 et Soyuz de Guyane devrait être confiée à un opérateur unique qui ne peut être qu'Arianespace. Il est non moins évident que l'adhésion de nos partenaires européens doit être obtenue.

Il ne s'agit pas, ici, de formuler sur ce sujet une conclusion définitive. On relèvera cependant qu'il serait extrêmement dommageable qu'une décision stratégique d'une telle importance soit prise par défaut , soit du fait des lenteurs européennes, soit parce que certains aspects essentiels n'auraient pas fait à temps l'objet d'une étude approfondie et objective. Il serait naïf en effet de sous-estimer la capacité d'un concurrent comme Boeing de manoeuvrer de façon rapide et efficace au mieux de ses intérêts.

Parmi les aspects du problème qu'il semble essentiel d'approfondir très rapidement, on relèvera :

- l'établissement par Arianespace d'un « business plan » fondé sur la présence de Soyuz en Guyane,

- l'exploration, avec les partenaires russes, de leurs intentions quant au transfert de certaines activités de Baïkonour vers Kourou ; il y a là, à l'évidence, un domaine ouvert à négociation.

- l'examen des prolongements que cette coopération pourrait connaître dans d'autres domaines de l'activité spatiale ou dans des domaines voisins de l'activité industrielle comme l'aéronautique. L'avis des industriels concernés sur cette dimension de la question revêt évidemment une importance essentielle.

- l'étude du financement des installations nécessaires en Guyane et de la contribution que les parties concernées  - ESA, industriels, partenaires russes - pourraient apporter à ce financement.

Enfin, la cohésion avec nos partenaires européens doit être préservée ; à cet égard, le mandat que l'ESA a reçu des autorités françaises revêt une importance majeure.

Il ne fait pas doute qu'une démarche d'ouverture du Centre spatial guyanais à un lanceur russe s'inscrit en rupture de l'attitude d'isolement et d'autarcie sur laquelle l'Europe a fondé, avec un succès exceptionnel, sa politique d'accès à l'espace depuis les origines.

Les difficultés psychologiques qui peuvent s'attacher à cette mutation ne sont pas négligeables, mais il ne faudrait pas qu'elles conduisent à commettre une lourde erreur stratégique.

C. LES LANCEURS DE L'AVENIR

La réflexion sur les lanceurs du futur à moyen et long termes s'organise autour de deux thèmes :

- les améliorations d'Ariane au-delà des programmes déjà engagés ou identifiés, c'est le thème Ariane 2010 ,

- les lanceurs fondés sur des technologies nouvelles et notamment les concepts de lanceurs réutilisables .

1. Ariane 2010

Ce concept, sur lequel la réflexion est menée par le CNES, identifie les efforts et catalogue les améliorations qui contribueront à la compétitivité future ; il est fondé sur une synergie étroite avec l'existant et se place dans le prolongement d'Ariane 5.

Ariane 10 est un « lanceur-image » virtuel, sur lequel doivent se greffer les efforts français et européens en matière de recherche technologique.

Le but est d'atteindre les lancements doubles de quinze tonnes en orbite géostationnaire et/ou de réduire de 30 % le coût d'un lancement de douze tonnes (par rapport à Ariane 5-ESC-B).

On s'appuie sur une logique de démonstrateur qui permet de valider les technologies, d'engager les développements sur des bases plus sûres et de mieux évaluer leur coût.

Un objectif essentiel est de bien ancrer cette démarche dans le cadre européen en fédérant les actions technologiques européennes, publiques ou privées, autour d'objectifs communs convergeant sur la préparation d'un programme de l'ESA.

Ariane 2010 doit aussi être l'occasion de favoriser et de structurer des coopérations bilatérales en matière de recherche. D'ores et déjà la direction des Lanceurs du CNES a mis en place plusieurs programmes de recherche de ce type : stabilité haute fréquence en combustion (Allemagne-France), écoulements d'arrière-corps (Allemagne-Suède-France), mouvements des ergols cryotechniques en impesanteur.

2. Les lanceurs réutilisables

La réflexion sur les lanceurs réutilisables doit s'organiser autour de deux objectifs parfaitement distincts :

- la maîtrise de la capacité de ramener de l'espace jusqu'à la surface de la Terre une charge utile ou un astronaute ;

- la recherche d'une réduction importante du coût d'accès à l'espace.

Les voies à suivre pour atteindre ces deux objectifs n'ont aucune raison d'être identiques . La seule tentative concrète pour atteindre simultanément l'un et l'autre fut la Navette spatiale, dont on sait qu'elle échoua dramatiquement -d'un facteur 100 par rapport aux espérances initiales- à réduire les coûts d'accès. Il n'est en outre nullement démontré qu'elle constituait le système optimum pour le premier, c'est-à-dire pour le transport des astronautes.

a) Le retour de l'espace

En l'absence de toute perspective de développement d'activités de production dans l'espace, activités qui créeraient la nécessité de ramener des charges utiles de l'espace vers la Terre, c'est le retour des astronautes qui dimensionne les systèmes de retour du futur. Le véhicule ramenant des astronautes peut être conçu pour être réutilisable bien que, à l'exception de l'orbiter de la Navette spatiale, ce n'ait pas été le cas des capsules utilisées à ce jour (Mercury, Gemini, Apollo, Vostok, Soyuz). Ce véhicule n'est en général qu'une très petite fraction de la masse du lanceur qui l'a placé en orbite.

L'examen des besoins futurs dans ce domaine montre qu'ils se réduisent à moyen terme à ceux créés par la Station spatiale.

L'ISS ne dispose, pour le retour des astronautes, que de deux systèmes, l'un et l'autre insuffisants, la capsule Soyuz et l'Orbiter de la Navette spatiale.

- Soyuz, avec une capacité de trois passagers, est trop petit ; il est en outre brutal et soumet ses passagers à des accélérations importantes ; il ne possède pas de capacité de déport latéral par rapport à l'orbite, ce qui peut retarder un retour urgent ;

- l'Orbiter de la Navette n'a aucune de ces limitations mais son séjour dans l'espace est limité à un maximum de 17 jours.

Il manque donc à la panoplie un engin de retour (CRV, Crew Return Vehicle) adapté à la station. C'est, ou c'était, l'objet du programme X-38.

Dans le développement de ce véhicule, les Etats-Unis, compte tenu des enjeux pour l'ISS, conserveront sans aucun doute une responsabilité centrale. Ils peuvent chercher à en alléger le coût par des coopérations. La question qui se pose à la France et à l'Europe est de savoir si, compte tenu des savoir-faire acquis à l'occasion du programme Hermès, leurs industriels peuvent utilement coopérer à une entreprise sous leadership américain et s'il est de l'intérêt del'Europe qu'ils le fassent .

La technologie centrale est celle de la rentrée aérodynamique en régime hypersonique, pour laquelle Dassault Aviation et EADS ont proposé un programme de démonstrateur.

b) La réduction des coûts d'accès à l'espace

Il n'existe actuellement aucun concept de lanceur réutilisable destiné à réduire le coût d'accès à l'espace qui soit largement reconnu comme viable.

L'arrêt des programmes X-33 et X-34 a sonné le glas du concept SSTO (Single Stage to Orbit : Etage unique en Orbite) dont la faisabilité, en l'état actuel de la technologie, a toujours été sujette à interrogation. En tout état de cause, il s'agissait de mettre des astronautes en orbite basse et nullement de réduire le coût d'accès à l'espace pour les applications.

- Le X-33, piloté par Lockeed-Martin était un modèle à l'échelle ½ du futur Venture Star, le lanceur réutilisable prévu pour remplacer la Navette, dont le coût est estimé à 5 milliards de dollars ;

- Le X-34, développé par Orbital Sciences, était destiné à tester les aspects opérationnels d'un petit véhicule ; son coût était estimé à 95 millions de dollars.

En mars 2001, la NASA a abandonné les projets X-33 et X-34 après avoir dépensé 912 millions de dollars sur le projet X-33, et 205 millions de dollars sur le projet X-34. L'Agence américaine a conclu que les bénéfices potentiels qu'elle retirerait en faisant voler ces deux démonstrateurs ne justifiaient absolument pas leur prix et a mis fin à ces programmes.

L'Europe a lancé en mai 1999 le programme FLTP (Future Launcher Technology Program) de l'ESA, non souscrit par l'Allemagne et qui fait suite au programme FESTIP. Son coût est de 70 millions d'euros, dont seulement 54 millions d'euros ont été confirmés.

Il semble que les objectifs que peut se fixer l'Europe dans ce domaine sont encore mal identifiés.

Si l'on considère que l'Europe ne peut envisager d'occuper une position centrale dans un projet de véhicule de retour lié à l'ISS et qu'elle doit se borner, dans ce domaine, à une éventuelle coopération avec les Etats-Unis, il subsiste deux domaines qui appellent une réflexion sur le long terme et une action :

- l'identification d'une conception de lanceur réutilisable orientée vers une réduction des coûts d'accès à l'orbite ;

- l'identification des technologies critiques et une action à long terme sur leur développement.

S'agissant du premier domaine, il convient de garder à l'esprit le fait que 90 % du coût d'un lanceur provient du premier étage. On ne saurait donc échapper, si l'objectif est de fonder la réduction du coût sur la réutilisation, à la nécessité de récupérer le premier étage et de le réemployer. C'est un problème technique difficile et complètement différent de celui que pose la récupération d'un véhicule orbital.

c) Recherche et technologie

L'effort technologique répond en tout état de cause à une double nécessité : d'une part il permet de maintenir des équipes industrielles au niveau international, d'autre part il fournit, quelle que soit la forme que prendront les systèmes de lancement du futur, les outils qui seront indispensables à leur réalisation.

Il convient à cet égard de ne pas oublier les leçons du passé et de se souvenir que, sans l'effort de recherche et de technologie poursuivi pendant plus de dix ans -et sans qu'aucun projet particulier soit en vue- sur la propulsion cryotechnique, la conception et la réalisation d'Ariane n'auraient pas été possibles.

Le progrès de la propulsion demeure l'enjeu central ; on trouvera en annexe une description des voies qu'il est nécessaire aujourd'hui d'explorer et des avancées qui semblent accessibles ( 9 ( * ) ) .

Il faut se préparer à une rupture technologique par l'acquisition de connaissances et de savoir-faire. Le processus engagé avec le programme FLTP doit être prolongé dans le temps. La première phase de ce programme consiste à étudier les concepts de véhicules et à évaluer les technologies associées. La deuxième phase aurait pour objectif principal de réaliser des démonstrateurs de systèmes réutilisables et de les tester en vol.

La conception de ces nouveaux systèmes de lancements se fonde sur un très haut degré d'innovation technologique et sur des connaissances approfondies dans plusieurs domaines scientifiques.

Un programme cohérent de R&T lanceurs, décliné au niveau européen, devrait répondre à ces enjeux. Il faudra lui associer la réalisation et la mise en oeuvre de prototypes définis avec l'aide des dernières avancées en matière de modélisation.

L'innovation dans le domaine des systèmes de lancements fait appel à un programme de R&T qui recherche le maximum de cohérence et qui est fondé sur sept principes :

- Focaliser les activités sur les évolutions des lanceurs (conventionnels ou réutilisables)

- Respecter un équilibre entre Science, Technologie et Applications

- Définir une stratégie de démonstration

- S'appuyer sur la prospective pour préparer les ruptures technologiques

- Partager de façon équilibrée les risques et les coûts entre les acteurs institutionnels et industriels (50/50 sur les coûts)

- Promouvoir la coopération européenne au travers de recherches thématiques

- Développer la coopération internationale sur des thèmes scientifiques et quelques actions technologiques.

La cohérence du programme repose sur une logique de rebouclage permanente et sans solution de continuité entre les études de concepts, les actions de R&T, les démonstrateurs technologiques et les applications sur des développements nouveaux.

Les sujets de recherche se rassemblent autour de 8 axes :

• la dynamique (vibrations, acoustique, chocs)

• l'aérodynamique (externe ou interne)

• le contrôle du vol (guidage, pilotage, navigation)

• la propulsion par ergols liquides

• la propulsion à propergols solides et la pyrotechnie

• les structures

• les systèmes électriques et l'avionique

• les systèmes au sol.

Tous les thèmes liés à ces axes font l'objet de coopérations bi ou multilatérales avec des centres nationaux ou européens ainsi qu'avec des industriels.

Les principaux partenaires dans le cadre des systèmes de lancements sont le CNES et l'ONERA en France et le DLR en Allemagne ; on peut aussi citer le CIRA en Italie, l'INTA en Espagne et le FFA en Suède.

II. LES SATELLITES

La gamme des futurs satellites se caractérise par des évolutions notables aux deux extrémités de la chaîne, celle des très petits et celle des très gros satellites.

A. LES MINI, MICRO, NANO ET PICOSATELLITES

A l'opposé du marché des grands satellites, se développe celui des petits engins :

- minisatellites (100 kg à 1 tonne),

- microsatellites (10 à 100 kg),

- nanosatellites (1 à 10 kg),

- et picosatellites (moins de 300 g).

1. Les minisatellites

La filière des minisatellites complète celle des satellites scientifiques classiques. Elle offre des engins plus légers, moins coûteux et de fabrication plus rapide, qui permettent à la communauté scientifique de disposer de moyens propres pour accéder à l'espace.

Le CNES, par exemple, a développé avec Alcatel Space Industries, depuis 1996, la plate-forme Proteus (Plate-forme Reconfigurable pour l'Observation de la Terre Et les Usages Scientifiques), base de réalisation de minisatellites dans une gamme de masse de l'ordre de 500 kg. La première application est Jason (500 kg), destiné à succéder à Topex-Poseidon (2 tonnes) pour l'étude des océans, en coopération avec la NASA. La seconde sera Corot , destiné à étudier la structure interne des étoiles.

Quant à la société Astrium, elle développe la plate-forme Leostar .

2. Les microsatellites

Les microsatellites ont pour objectif de réaliser des missions avec des masses (donc des coûts) et des délais encore plus réduits, afin de favoriser l'accès à l'espace de plusieurs sortes d'utilisateurs :

- les nations qui n'ont pas les moyens dont disposent les grandes puissances et qui ont recours aux microsatellites pour faire leurs premiers pas dans l'espace ( 10 ( * ) ) :

Ce type de satellite peut être d'un grand secours pour les pays en développement souhaitant assurer la surveillance et la gestion des catastrophes naturelles, comme le montrent certains services offerts par le Centre spatial de Surrey, spécialisé dans les microsatellites depuis 1985 :


SATELLITE

(CLIENT, PAYS)


CARACTÉRISTIQUES

DE LA MISSION (ORBITE)


ETAT D'AVANCEMENT

DU PROGRAMME

(LANCEMENT PRÉVU)

DMC Algérie ou Alsat-1

(CNTS, Algérie)

Disaster Monitoring Constellation

(orbite polaire à 772 km)

Microsatellite de 70 kg d'une constellation internationale

(1 ère moitié de 2002)

DMC Nigeria

(Ministry of Science & Technology, Nigeria)

Disaster Monitoring Constellation

(orbite polaire à 772 km)

Microsatellite de 70 kg d'une constellation internationale

(1 ère moitié de 2002)

DMC Thailand

(Mahanakorn University, Thailand)

Disaster Monitoring Constellation

(orbite polaire à 772 km)

Microsatellite de 70 kg d'une constellation internationale

(1 ère moitié de 2002)

DMC Tsinghua

(Tsinghua University, Chine)

Disaster Monitoring Constellation

(orbite polaire à 772 km)

Microsatellite de 70 kg d'une constellation internationale

(1 ère moitié de 2002)

( 11 ( * ) )

- La communauté scientifique qui a beaucoup de projets d'expériences mais ne peut accéder facilement à l'espace pour des raisons financières ;

- Les opérateurs de télécommunications, dans le cas d'applications de niches pour lesquelles le temps réel n'est pas nécessaire (certains types de transmission de données ou d'e-mails) ;

- Les agences spatiales et les industriels du secteur qui peuvent valider rapidement et à bon compte les technologies innovantes qui contribueront au succès de gros satellites commerciaux.

Les baisses de coûts rendues possibles par la filière des microsatellites, qui permettront de développer des services existants mais aussi d'assister à la naissance de services non encore imaginés, sont liées aux lancements et aux technologies utilisées pour les satellites eux-mêmes.

Ce coût de lancement peut être abaissé par le recours à d'anciens missiles convertis : la fusée Dniepr , par exemple (SS-18 modifié), peut placer 100 kg en orbite pour 1,5 million de $. Il peut également être abaissé par l'emploi du mode de passager auxiliaire (piggyback) à bord de lanceurs satellites de communications commerciaux comme le permet le plateau ASAP (as soon as possible) des fusées Ariane. On peut alors placer sur une orbite de transfert géostationnaire un microsatellite de 100 kg pour un million de dollars.

Le coût du satellite baisse également grâce à la croissance exponentielle des performances de l'électronique grand public. On peut regrouper les composants à haute intégration sur des cartes dont la taille se réduit de plus en plus. Le projet X-2000 de la NASA s'est ainsi fixé pour objectif la mise au point de chaînes fonctionnelles sur puces ( system on a chip ). De plus, le recours à des produits standardisés, mais qualifiés, les COTS (composants sur étagère), est évidemment un élément essentiel de la réduction de coût des microsatellites.

Les microsatellites sont développés depuis plus de 15 ans au centre spatial de l'Université du Surrey, qui continue à améliorer ses compétences en appliquant des méthodes très rationnelles : « faire simple, réutiliser ce qui fonctionne, penser modulaire et gérer le risque ». Il mène, en outre, une intéressante action de transfert de technologie en faveur de pays en développement, dont il accueille volontiers les équipes pour leur dispenser une formation.

D'autres fabricants de satellites développent cette compétence : en Allemagne, le groupe OHB System, en collaboration avec sa filière italienne Carlo Gavazzi, développe la plate-forme de microsatellites MITA ; on peut également citer INTA en Espagne (avec Nanosat), Yuzhnoye en Ukraine (avec une famille de plates-formes), INPE au Brésil (avec SACI), SATRec en Corée (avec KITsat).

Le CNES a lancé sa filière de microsatellites fin 1998, avec un objectif de missions scientifiques à coût réduit (50 à 100 millions de francs). Actuellement, neuf microsatellites sont en cours de développement ; en plus de leur mission principale, ils transportent parfois plusieurs expérimentations technologiques, comme les microsatellites de l'Université du Surrey :

- Demeter (110 kg, 78 W) aura pour principale mission la détection de signes avant-coureurs de séismes grâce à l'observation du champ électromagnétique terrestre et embarquera 5 expériences technologiques (contrôle d'orbite autonome, mémoire de masse à bas coût, allumage par laser d'un composant pyrotechnique, matériaux à mémoire de forme).

- Microscope (120 kg, 70 W) aura pour objectif de vérifier le principe d'équivalence entre la masse inerte et la masse pesante avec une précision de 10 -15 ;

- Picard (110 kg, 78 W) observera la variation du diamètre solaire, paramètre qui pourrait être corrélé à l'évolution du climat.

- FBM (110 kg, 90 W), microsatellite franco-brésilien aura pour mission l'observation scientifique du soleil et emportera neuf expériences de technique spatiale.

- Parasol (115 kg, 78 W) rejoindra en 2004 trois autres satellites dans une configuration de vol en formation pour constituer un observatoire d'étude des nuages et aérosols. Cette plate-forme bénéficiera des études techniques menées sur Demeter.

- Essaim est une petite constellation de quatre satellites militaires chargés d'analyser le rayonnement électromagnétique de la terre, dont la réalisation a été confiée à Astrium.

Le développement des microsatellites appelle deux remarques :

Dans la mesure où ces microsatellites sont financièrement plus accessibles, ils conduiront à une redondance des projets. Il convient donc de réfléchir dès maintenant à la possibilité de fédérer une communauté élargie d'utilisateurs, pour récupérer les données des missions, bénéficier d'une plus grande répétitivité et d'une plus grande durée de mesure, mais aussi pour contrôler d'éventuelles redondances de programmes ;

La deuxième remarque est relative au rôle du CNES dans la filière des microsatellites.

Les microsatellites offrent au CNES la possibilité de s'investir dans un domaine nouveau susceptible de développements féconds dans le domaine de la recherche pure comme dans celui du progrès technologique. Il ne semble pas souhaitable, toutefois, que le CNES cherche à retrouver, à cette occasion, une activité de maîtrise d'oeuvre interne . Son rôle devrait demeurer ce qu'il est, classiquement à l'endroit de la communauté scientifique, comme à l'égard de l'industrie :

- mener des expériences scientifiques en ayant recours en tant que de besoin aux microsatellites de faible coût existant sur le marché.

- développer des technologies innovantes pour les microsatellites et de faire en sorte que des maîtres d'oeuvre industriels puissent utiliser l'ensemble des outils de conception et de validation développés par le CNES afin de fournir des produits fiables à leurs clients. Le CNES doit aussi mener des recherches dans le domaine des nanosatellites.

3. Les nanosatellites et picosatellites

Les nanosatellites sont encore plus légers. Le SNAP-1, conçu par la Surrey Satellite Technology Ltd., pèse seulement 8,5 kg, mais pourra remplir un nombre important de missions. La principale sera d'inspecter à distance, grâce à une minicaméra, d'autres vaisseaux spatiaux. En l'occurrence Tsinghua-1 , microsatellite chinois de 49 kg avec lequel il a été lancé en juin 2000 par une fusée Cosmos. Ce rendez-vous implique des capacités de communication et de navigation (GPS embarqué) et de propulsion (chimique liquide), pour réaliser un vol en formation. Il est également équipé d'un second imageur d'observation terrestre et de moyens de communications large bande. Il fait appel à de nombreux composants du commerce, dont un processeur Strongarm à 220 MHz pour le calculateur de bord : sa durée de vie est d'au moins un an.

SNAP-1 a un diamètre et une hauteur de 330 mm et a été développé en neuf mois ! Les essaims de nanosatellites pourront être utilisés pour les télécommunications, la surveillance météorologique et la défense.

Les picosatellites ont des dimensions de l'ordre de 10 cm. Les techniques actuellement testées pour la mise au point des picosatellites ont pour vocation d'être utilisées pour la fabrication de nanosatellites.

Pour réaliser ces picosatellites, les ingénieurs américains de l'Aerospace Corporation, en collaboration avec les militaires de la Defence Advanced Research Project Agency, étudient les MEMS ( micro-electro-mechanical systems ), système « lilliputiens » qui combinent électronique et mécanique. A peine visibles à l'oeil nu, les MEMS peuvent accomplir de très nombreuses tâches : certains servent à mesurer la température ; les microgyroscopes et les microaccéléromètres fournissent des informations sur la trajectoire et la vitesse des picosatellites ; des microréacteurs permettent même de les orienter...

Deux picosatellites ont été placés en orbite avec succès l'an passé par ces équipes, et une communication a pu être établie entre eux et la Terre via l'antenne parabolique de 50 mètres de Menlo Park, en Californie.

B. L'ÉVOLUTION DES SATELLITES GÉOSTATIONNAIRES

1. Le marché actuel

Sur ce marché, les groupes français Alcatel Space et européen Astrium ( 12 ( * ) ) ont obtenu d'excellents résultats grâce, en particulier, aux technologies innovantes qu'ils ont pu intégrer dans les satellites proposés à leurs clients et qui ont constitué des arguments souvent décisifs. Ces innovations sont issues d'un programme de satellites technologiques en télécommunications mené par le CNES, qui a abouti à un démonstrateur contenant 80 % d'équipements nouveaux ou modifiés par rapport à un satellite classique. C'est le programme Stentor ( 13 ( * ) ) .

En 2000, les groupes français Alcatel Space et européen Astrium ont obtenu 50 % des parts du marché commercial total.

Certes, le chiffre d'affaires des américains reste largement supérieur à celui des européens car le budget spatial de l'armée américaine (environ 10 milliards de $ par an) est trois fois plus important que le chiffre d'affaires mondial des satellites commerciaux (environ 3,5 milliards de $).

Mais sur le marché « ouvert », celui des satellites commerciaux de télédiffusion et de télécommunications, les européens ont su être efficaces : sur une trentaine de satellites civils vendus en 2000, Alcatel Space en a obtenu neuf, soit 40 % de plus qu'en 1999, tandis qu'Astrium en a vendu six.

Il convient que ces industriels soient en mesure de s'adapter aux évolutions du marché.

Le marché des satellites commerciaux ne sera pas modifié par l'apparition des constellations de télécommunication, compte tenu des faillites ou de l'arrêt de la plupart de ces projets. Il sera dominé par des satellites géostationnaires de télévision et de diffusion de données à haut débit via l'Internet.

Dans les années 80 et 90, les satellites de télédiffusion directe avaient contribué à l'essor du marché commercial des satellites, longtemps cantonnés aux marchés scientifique et militaire. Plus récemment, le développement de la télévision numérique, accompagné de la multiplication des programmes, a fait le succès des bouquets de chaînes de Canal+ et de BSkyB en Europe ou de DirecTV aux Etats-Unis.

La transmission de données représente 30 % de l'activité des satellites de télédiffusion, contre 10 % il y a encore quelques mois. Les opérateurs de télévision par satellites sont en train de développer dans l'espace l'infrastructure qui permettra de faire de la vidéo à la demande et de développer des services interactifs.

La nécessité de diffuser des données à haut débit via l'Internet va accroître le recours aux satellites géostationnaires.

Ces nouvelles applications ont nécessité la mise au point de plates-formes satellitaires plus sophistiquées et plus lourdes (Eurostar 3000 pour Astrium et Spacebus pour Alcatel Space).

Cette tendance va s'amplifier et, combinée à la raréfaction des positions en orbite géostationnaire, elle va entraîner l'apparition d'une nouvelle génération de satellites comportant un nombre de transpondeurs toujours croissant.

2. L'adaptation des satellites à l'évolution du marché des télécommunications spatiales à moyen terme (2005-2010)

• L'augmentation rapide des besoins en capacité de transmission des données (de 1 Gb/s à 5-7 Gb/s) nécessitera le développement de charges utiles complètement nouvelles , notamment en bande Ka pour des raisons de congestion des fréquences, et qui intégreront des fonctions complexes, modifiables et spécialisées en fonction des services.

Pour répondre à ces besoins de flexibilité et d'augmentation de capacité, les opérateurs auront besoin, dans un premier temps, de charges utiles transparentes (ne nécessitant pas de traitement à bord), minimisant les risques techniques et pouvant s'adapter à l'évolution des services.

Dans un second temps, ils auront vraisemblablement recours aux systèmes OBP ( On Board Processing ) permettant le traitement à bord des données, lorsque les technologies correspondantes auront été validées (calculateurs embarqués, antennes à faisceaux multiples, modes de commutation complexes). L'ensemble de ces nouveaux équipements à bord permettra, au cours de la vie du satellite (plus de 15 ans) de modifier en particulier les zones de couverture de façon très précise en fonction des besoins des utilisateurs. De plus, ces nouvelles charges utiles comporteront une multitude de canaux large bande, permettant de recevoir de nombreux programmes multimédia interactifs. Elles seront plus volumineuses et plus lourdes. Les satellites de cette génération pèseront environ 7 tonnes.

• Il sera nécessaire de développer des plates-formes nouvelles adaptées à des satellites de 30 à 40 kw, soit 2 à 3 fois plus puissantes que les plates-formes actuellement utilisées (5 à 15 kw).

Cette énergie électrique est en effet indispensable pour alimenter des charges utiles très puissantes qui permettront de diffuser les données directement à chaque utilisateur, par l'intermédiaire de petits terminaux.

• La propulsion devra s'adapter.

Une propulsion entièrement électrique est envisageable dès lors que le satellite est injecté sur une orbite suffisamment lointaine (au-delà de 20 000 km).

Un système propulsif électrique est beaucoup moins encombrant et lourd qu'un système chimique. Son utilisation a pour conséquence l'accroissement de la taille et donc des capacités de la charge utile, la réduction de la masse du satellite et donc de son coût de lancement, l'augmentation de sa durée de vie en orbite et donc de sa rentabilité.

3. La nécessité d'un programme énergique de recherche et technologie

La priorité doit être accordée à l'innovation technologique nécessaire aux futurs systèmes européens géostationnaires de forte capacité, permettant de fournir des services à large bande, fixes et mobiles.

Aux Etats-Unis, les industriels du spatial bénéficient de contrats captifs qui leur permettent de développer, dans une logique duale, les technologies spatiales dont ils ont besoin, tout en dégageant des marges bénéficiaires. Le programme Milstar (représentant à lui seul plus de 20 milliards de dollars d'investissement) a permis aux industriels américains de concevoir, développer et produire des plates-formes de très haute capacité, des technologies de charges utiles avancées (régénératives et hautes fréquences) et des systèmes multi-services à haut débit.

En Europe, un effort d'innovation technologique civil est donc nécessaire pour permettre l'émergence de solutions européennes répondant aux besoins de la société, donc du marché international et des industriels du secteur. En effet, malgré le succès à l'exportation de l'industrie spatiale franco-européenne, la pression de la concurrence impose des marges bénéficiaires très faibles, ne permettant pas aux industriels du secteur de préparer seuls, sans soutien de la puissance publique, les évolutions et encore moins les révolutions technologiques.

D'ores et déjà, certains appels d'offres satellites exigent des solutions techniques hors de portée du savoir faire actuel des industriels européens, notamment des plates-formes très puissantes, et des charges utiles d'un degré de complexité jamais atteint. Sur les plates-formes par exemple, les capacités des produits européens ne dépassent pas 4 à 5 tonnes pour une puissance électrique de 12 à 14 kW aujourd'hui, alors qu'il serait nécessaire de pouvoir proposer des plates-formes de 7 tonnes et 25 kW. La part relative de ces satellites "très haut de gamme " va croître de quelques unités actuellement à 25 % des parts de marché d'ici 2005.

Il convient que le CNES renforce dès maintenant son action dans ce domaine de la R&D télécommunications, pour soutenir l'innovation et la compétitivité, en cohérence avec les efforts des autres agences européennes.

La première étape est une amélioration à court terme des technologies existantes , sans remise en cause des concepts, permettant d'améliorer rapidement la performance des produits proposables sur le marché. Menées sans remise en cause du processus de production, ces recherches correspondent à un objectif commercial à court terme . Elles peuvent être traitées dans le cadre du financement national au titre du programme européen ARTES 3, conduit sous l'égide de l'ESA.

Des innovations plus profondes sont nécessaires en liaison avec la remise en cause des concepts (architecture, production, tests) et l'extrapolation des technologies de pointe existantes, afin d'en dériver à moyen terme des produits nettement plus performants et compétitifs. Elles correspondent aux prédéveloppements couverts au titre du programme TCS 21 (télécommunications spatiales du XXIème siècle du CNES).

Ces technologies plus avancées doivent être proposées aux opérateurs à compter de 2003-2004 et être intégrées dans les systèmes qui seront opérationels à partir de 2005-2006.

La recherche de ruptures totales, par le développement de technologies totalement émergentes , issues de laboratoires travaillant dans des domaines très amont ou par le transfert de technologies en provenance d'autres secteurs de l'industrie ou de la recherche est également importante. Ces technologies de rupture peuvent faire l'objet de recherches dans le cadre du plan pluriannuel de recherche et technologies du CNES .

Les principaux objectifs du programme de Recherche et Technologies en télécommunications sont la capacité, la flexibilité et l'accessibilité.

La croissance de la capacité est requise pour faire face à l'évolution des besoins de la Société de l'information et en particulier à la nécessité de disposer des services large bande diffusés et interactifs dans toutes les régions du monde.

La flexibilité est également indispensable pour permettre aux satellites conçus pour 15 ans de suivre en orbite l'évolution des services et des usages, et du trafic.

L' accessibilité recouvre tout ce qui permettra aux satellites de télécommunications de fournir plus aisément des services au plus grand nombre, et donc à moindre coût.

Les améliorations à rechercher concernent autant les charges utiles que les plates-formes ( 14 ( * ) ).

Les charges utiles doivent être de plus en plus puissantes, flexibles, et optimisées pour véhiculer des services haut débit, interactifs, à large bande, là où ils sont nécessaires à un instant donné et de manière économique. Ainsi, le besoin croissant en capacité à moindre coût, combiné à la limitation physique du spectre hertzien, demande de réutiliser au mieux les fréquences disponibles. Cette technique de réutilisation du spectre décuple la capacité d'un satellite, sans décupler son coût. Elle nécessite des technologies d'antennes actives ou semi actives très avancées multifaisceaux. Cette couverture des différentes zones terrestres par des « mini spots » engendre pour le satellite des besoins de connectivité entre les faisceaux couvrant les différentes zones, et de flexibilité dans la capacité (en bande passante et en puissance) allouée à chaque zone (les besoins de trafic locaux étant fluctuants et en partie imprédictibles).

Les plates-formes futures doivent permettre d'emporter en orbite géostationnaire ces charges utiles de plus en plus lourdes et consommatrices d'énergie. Elles doivent assurer une stabilité de pointage de plus en plus grande en raison des antennes à faisceaux fins multiples et très directives embarquées. Ces contraintes imposent de reconcevoir les sous-systèmes essentiels de la plate-forme (énergie bord, thermique, contrôle d'attitude ).

L'objectif d'accessibilité impose au segment de contrôle et de gestion d'optimiser l'usage de toutes les ressources limitées (spectre, puissance électrique, puissance radiofréquence, accès au satellite) pour permettre un coût d'usage individuel le plus bas possible. Ceci nécessite des travaux innovants dans le domaine des formes d'ondes, des protocoles, de la gestion du réseau, etc... Ces avancées doivent permettre la desserte d'un nombre croissant d'utilisateurs individuels, et une intégration plus naturelle des réseaux satellitaires dans les réseaux terrestres.

L'accessibilité impose également de poursuivre l'effort de réduction des coûts du segment sol utilisateur, afin que ceux-ci évoluent en sens opposé des capacités demandées toujours supérieures. Elle impose aussi de gros efforts de standardisation (DVB-RCS), de miniaturisation technologique, et d'intégration de technologies terrestres, voire grand public dans les systèmes spatiaux.

Ces objectifs sont ambitieux mais doivent impérativement être atteints car la maîtrise de ces nouvelles technologies conditionne la survie de l'industrie française et européenne du satellite.

Deux éléments sont indispensables à la réussite d'un tel programme :

- La coopération entre Alcatel Space et Astrium . Les deux groupes ont d'ailleurs mis en place une structure commune de réflexion chargée d'analyser la possibilité de concevoir, développer et produire ensemble une plate-forme de prochaine génération dénommée Alpha-bus.

Parallèlement, elles envisagent de soumettre au CNES une proposition de programme de démonstration de télécommunications par satellite : « @ sat ».

Ce programme viserait à développer et qualifier des équipements au sol fin 2003 afin d'aboutir à une démonstration en vol de la plate-forme Alpha-bus, et de nouvelles technologies de charges utiles fin 2006.

Cette démarche de coopération est une preuve de maturité qui doit être relayée par une attitude responsable des pouvoirs publics.

On peut par ailleurs envisager d'explorer une autre piste : la validation en vol de la plate-forme Alpha-bus et des nouvelles technologies de charges utiles a pour objet la démonstration de nouveaux services et applications par satellite. Dans ce contexte, il pourrait être intéressant d'associer un opérateur européen de satellites de télécommunications à leur mise en oeuvre, notamment sous forme de partage des coûts et des risques, en échange de l'accès à une partie des capacités de la charge utile . Une telle organisation permettrait en effet de garantir l'adéquation des développements aux besoins opérationnels des utilisateurs.

- Le financement du plan TCS 21 du CNES et sa réalisation dans les délais prévus . Les pouvoirs publics doivent reconnaître le caractère indispensable et prioritaire de cette action, et y consacrer les moyens financiers nécessaires.

La réussite de ce plan conditionne la survie de l'industrie des satellites en France et en Europe.

A l'heure où le programme STENTOR s'achève, il est urgent de mettre en oeuvre des actions d'une ampleur et d'une efficacité comparables, qui maintiendront la capacité d'innovation et la compétitivité des industriels franco-européens sur les marchés émergents. Les investissements dans ce secteur doivent être significatifs car le marché à capter l'est tout autant, et les enjeux sont considérables sur les plans économiques, notamment en terme d'emplois, mais aussi culturels et stratégiques compte tenu de la place que les télécommunications spatiales sont appelées à occuper dans l'avenir.

III. L'HOMME DANS L'ESPACE

A. LES STATIONS ORBITALES ET LE PROBLÈME SPÉCIFIQUE DE LA STATION SPATIALE INTERNATIONALE

L'établissement permanent d'une colonie humaine dans l'espace n'est pas une idée neuve. Dès 1869, l'écrivain américain Edward Everett Hale avait imaginé un satellite habité ayant pour mission d'aider la navigation maritime. En 1923, Hermann Oberth avait décrit une station spatiale servant de plate-forme de départ pour des missions habitées vers la Lune et Mars et Arthur Clarke proposait, en 1945, des stations de télécommunications en orbite géostationnaires occupées par des opérateurs humains.

Mais c'est à partir des années soixante-dix que les Etats-Unis et l'Union soviétique se sont intéressés concrètement aux séjours de longue durée de l'homme dans l'espace.

Les Américains ont dérivé du programme lunaire Apollo un laboratoire spatial de grande taille et pesant 100 tonnes, le Skylab. Trois équipages de trois astronautes s'y succédèrent entre mai 1973 et février 1974 pour des missions de 28, 59 et 84 jours.

Ces performances étaient très inférieures à celles que les Soviétiques réalisèrent sur leurs deux séries de laboratoires orbitaux habités Salyut, dont le premier fut lancé en 1971 et dont le septième permit à un cosmonaute de séjourner 237 jours dans l'espace.

L'expérience acquise avec les Salyut eut également pour résultat la maîtrise de la technique de ravitaillement en orbite avec les vaisseaux-cargos Progress.

En 1986 Mir, station spatiale de troisième génération, fut lancée en orbite à 400 km d'altitude. Il ne s'agissait plus d'un cylindre unique mais d'un ensemble composé de 5 modules ajoutés à l'élément de base entre 1986 et 1996 et ayant chacun une fonction. Mir accueillit dès l'origine plusieurs astronautes français et à partir de 1995, après la fin de la guerre froide, les Américains y séjournèrent dans le cadre du programme Mir-Navette qui leur permit de se familiariser avec les opérations de rendez-vous et de « docking » en orbite.

Symbole de la supériorité russe dans le domaine des séjours de longue durée dans l'espace, Mir a été désorbitée en mars 2001. Elle avait permis d'apprendre à travailler dans l'espace, à assurer la maintenance et le ravitaillement régulier de la station à l'aide de vaisseaux automatiques et à faire face à des modifications des programmes de vol. Sur Mir, les astronautes avaient également appris à résoudre des situations d'urgence (problèmes de stabilisation, perte d'étanchéité d'un module, incendie à bord, etc.).

La station spatiale russe a également été une plate-forme pour des expériences scientifiques : 31 000 expériences ont été réalisées sur 240 instruments par 104 astronautes dont 56 non russes (6 français) ( 15 ( * ) ) .

Il convient de distinguer clairement les questions générales que pose la présence de l'« homme dans l'espace » des problèmes spécifiques qui s'attachent au programme de Station Spatiale Internationale, qui est avant tout un élément de la politique et de la stratégie américaines.

Pendant la période où s'affirmaient les compétences russes, les Etats-Unis, en dehors des missions menées sur Mir à partir de 1995, devaient se contenter, avec la navette, de séjours limités en orbite (guère plus de deux semaines).

C'est pourquoi ils initièrent en 1984 un projet qui a finalement abouti à la Station Spatiale Internationale, dont les caractéristiques principales sont : une origine non scientifique, des coûts non maîtrisés et un avenir incertain.

La Station Spatiale Internationale est née d'une ambition politique et stratégique américaine. Sa construction a été décidée par Ronald Reagan en 1984, dans une période de regain d'affrontement idéologique avec l'URSS, dans la même lignée que l'IDS (Initiative de défense stratégique, aussi appelée « guerre des étoiles »). Son objectif principal n'était pas scientifique mais politique : il s'agissait, pour les Américains, d'être les premiers, pour des raisons de prestige et de rayonnement international, dans tous les domaines spatiaux y compris celui des séjours de longue durée dans l'espace. Ce programme permettait également de créer ou maintenir des emplois dans l'industrie. Le coût de la station spatiale - qui devait symboliquement s'appeler « Freedom » - était alors estimé à 8 milliards de dollars, et elle devait être terminée en 1992.

Cette estimation était totalement irréaliste. En 1987, lors de la passation des premiers contrats avec l'industrie, le constat fut rude : le projet de station Freedom avait pris deux ans de retard et son coût était passé à 14,5 milliards de dollars. De plus, les milieux scientifiques américains se mobilisaient contre ce projet « pharaonique » qui risquait de stériliser la recherche en concentrant trop de fonds publics. Face aux réactions des citoyens et du Congrès, l'administration américaine proposa en 1988 d'internationaliser le programme, pour réduire substantiellement le coût supporté par les Etats-Unis.

L'Europe - par l'intermédiaire de l'ESA -, le Japon, le Canada et le Brésil acceptèrent alors d'investir dans Freedom, devenue entre-temps la station Alpha. L'une des raisons pour lesquelles la France accepta de participer à ce projet, dont on pouvait légitimement craindre le gigantisme et le coût, fut le souci de tenir compte de la volonté allemande de rejoindre le projet, afin de ne pas rompre l'entente franco-allemande indispensable à la construction de l'Europe spatiale. Une autre était la crainte de se tenir à l'écart de la première coopération technique à l'échelle mondiale.

L'internationalisation de la station Alpha diminuait la charge financière supportée par les Etats-Unis et, parallèlement, opérait une ponction non négligeable sur les budgets spatiaux des puissances contractantes, réduisant ainsi leur capacité d'investissement dans d'autres secteurs de l'activité spatiale. Ainsi que le disait clairement un analyste américain : « Le vol spatial est POLITIQUE et DIPLOMATIQUE. L'aspect « spectacle » et le symbolisme ont toujours été les motivations majeures du financement des grands programmes par le gouvernement. L'objectif du projet Apollo, par exemple, démontrer la supériorité technologique américaine, a été complètement atteint. Aujourd'hui, la Station Spatiale Internationale est un outil diplomatique destiné à maintenir les concurrents potentiels dans un projet spatial conduit par les Etats-Unis » ( 16 ( * ) ) .

Ce courant de pensée est directement repris par le National Space Council : « Une coopération internationale accrue pourrait être recherchée, non seulement pour ses bénéfices programmatiques, mais aussi parce que c'est la meilleure façon d'exercer une influence sur l'orientation des entreprises spatiales futures dans le monde. » ( 17 ( * ) ).

Les gains apportés par cette internationalisation ne furent toutefois pas suffisants pour remédier aux dérives financières et aux difficultés techniques, et en 1993 le Président Clinton demanda à la NASA de revoir le projet à la baisse et de limiter à 17,4 milliards de $ le budget de la station, de 1994 à la fin de son assemblage.

Une alliance avec la Russie apparut alors comme une solution. En effet, avec l'effondrement de l'URSS, les fondements d'une logique d'affrontement entre les deux grands disparaissaient. La NASA, pratiquant la politique de la main tendue, proposa à la Russie de participer à la station, devenue la Station spatiale internationale. Cette collaboration devait permettre aux Etats-Unis de bénéficier de l'excellence des compétences russes en matière de stations orbitales et d'économiser le montant, évalué avec optimisme à 1,6 milliard de $, correspondant aux prestations fournies par les Russes.

Mais cette alliance accrut la complexité du programme et son gigantisme, compte tenu de la nécessité d'y intégrer les éléments russes. Les dérives de coûts et de dates de lancement continuèrent, notamment à cause des problèmes de financement de la Russie et des échecs inhabituels des lanceurs Proton.

Le General Accounting Office (GAO) américain avait donné, en 1995, une estimation du coût de la station : « Nous évaluons les besoins de financement américains pour la conception, le lancement, l'assemblage et le fonctionnement sur dix ans de la Station spatiale internationale à environ 94 milliards de $ : plus de 48 milliards pour réaliser son assemblage d'ici à juin 2002, et près de 46 milliards pour assurer son fonctionnement et conduire des recherches pendant une décennie ». La participation des partenaires étrangers devait, elle augmenter de 12,5 milliards de $.

En avril 1998, le rapport Chabrow indiqua que la station pourrait coûter encore 7,3 milliards de plus que le chiffre annoncé, et que sa construction ne pourrait être achevée avant 2005, et non en décembre 2003 comme il était prévu.

La NASA continua à défendre ce projet avec des arguments qui expriment avec limpidité la stratégie américaine : « Si nous abandonnons la Station spatiale internationale, nous abandonnerons les vols spatiaux habités. Si nous abandonnons ce programme, nous deviendrons une puissance de second ordre et cela aura des répercussions internationales ».

Ainsi s'exprimait l'Administrateur de la NASA, D. GOLDIN, devant le Congrès, en novembre 1998.

Et l'ISS commença à être assemblée.

A la fin de 1998, les deux premiers éléments, Zarya et Unity, furent lancés. En juillet 2000, avec beaucoup de retard par rapport au calendrier prévisionnel, le troisième module, Zvezda fut lancé et au cours du second semestre la station fut habitée par un premier équipage américano-russe.

Aujourd'hui, le coût approximatif de la Station est évalué à 100 milliards de dollars, et parallèlement les services qu'elle pourrait offrir ont été considérablement réduits par la seule volonté politique du Président des Etats-Unis.

Celui-ci a en effet décidé, en mars 2001, de privilégier le programme de défense américain de protection antimissile (NMD), dont le coût est estimé à 60 milliards de $, et de réduire le programme de la Station. Cette décision a été prise à l'occasion de la fixation du budget de la NASA et sans aucune concertation avec les partenaires des Etats-Unis. Sont ainsi arrêtés : les développements du module de propulsion assurant l'autonomie de manoeuvre de la Station (200 millions de $), du module d'habitation US hab (1,3 milliard de $) et de la chaloupe de sauvetage, le Crew Rescue Vehicle (CRV - 500 millions de $). Quant aux coûteux vols de navette, ils sont limités à 6 par an.

Ces mesures, si elles sont maintenues par le Congrès, comportent la menace d'une réduction de l'équipage présent en permanence dans la Station. La chaloupe de sauvetage (X 38) était prévue pour pouvoir ramener sur terre 7 astronautes. Elle serait remplacée par un Soyuz, amarré en permanence à la Station, qui ne peut avoir que 3 passagers. Maintenir une possibilité de retour pour 6 personnes suppose l'amarrage permanent de 2 Soyuz, sachant qu'ils ne peuvent demeurer plus de 6 mois en orbite et doivent être remplacés au delà de ce délai. Cette solution est coûteuse et suppose une capacité de production russe très performante. Paradoxalement, elle subordonnerait l'essentiel des moyens d'accès à la Station aux lanceurs russes. Elle ne semble pas envisagée actuellement.

La réduction à 3 astronautes de l'équipage présent en permanence dans l'espace, en dehors des visites temporaires de navettes américaines et de Soyuz russes, aurait une double conséquence.

Elle réduirait à une portion congrue les possibilités de vol des astronautes européens, qui devraient avoir recours à des vols « taxis » pour ne pas perdre leur entraînement.

Elle confinerait les trois astronautes « permanents » dans des tâches de maintenance et d'entretien de la Station. Les possibilités d'expérimentation scientifique seraient extrêmement réduites, alors qu'elles constituaient le motif officiel de construction de la station.

On peut encore espérer que les choses n'iront pas aussi loin que semble le craindre la représentante du Texas à la Commission scientifique du Congrès interrogeant la NASA sur une occupation de la Station réduite à « un concierge et un type regardant par le hublot »

Dans ces conditions, que peut faire l'Europe ? Sans aucun doute rester ferme en ce qui concerne ses engagements financiers tels qu'ils ont été définis en 1995 à Toulouse et n'accepter aucune augmentation de ceux-ci.

STATION SPATIALE INTERNATIONALE

PARTICIPATION DE L'EUROPE

• Décision de principe de l'Europe de s'associer au projet janvier 1985

• Confirmation du Conseil ministériel de l'ESA octobre 1995

• Accord intergouvernemental signé à Washington 29 janvier 1998

ENGAGEMENT FINANCIER DE L'EUROPE (c.e. courantes)

• Programme de développement :

3 milliards d' € sur la période 1995-2004

• Activités préliminaires et programme d'exploitation initiale :

700 millions d' € sur la période 2001-2004

ENGAGEMENT FINANCIER DE LA FRANCE

• Programme de développement : 27,6 %

• 5,4 milliards de francs sur la période 1996-2004

• Activités préliminaires et programme d'exploitation initiale :

• 1,15 milliard de francs sur la période 2001-2004

- 27,1 % des frais fixes

- 17,31 % des frais variables

Source : CNES

Par ailleurs, l'ESA, compte tenu notamment des difficultés d'exploitation du futur laboratoire européen Columbus liées à la réduction de l'équipage permanent, devra choisir avec soin les expériences qui seront menées à bord de la Station ..

B. L'UTILITÉ DE L'HOMME DANS L'ESPACE

1. La mise en oeuvre d'expériences scientifiques en microgravité

Il y a une quinzaine d'années, certains espéraient que la microgravité permettrait la production commerciale de matériaux : alliages métallurgiques, cristaux parfaitement purs ou de substances pharmaceutiques impossibles à obtenir sur Terre en raison des effets perturbateurs induits par la pesanteur. Cela ne s'est pas révélé viable et les travaux menés dans l'espace sont désormais exclusivement du domaine de la recherche et non de la production.

Les recherches en sciences de la matière et sciences de la vie en micropesanteur sont détaillées dans le chapitre consacré à la recherche scientifique spatiale.

En ce qui concerne l' « implication » de l'homme dans la mise en oeuvre des expériences, on peut faire deux remarques :

- Le coût de ces recherches est généralement élevé ; l'intervention des opérateurs humains en orbite est une ressource rare et coûteuse. Il convient donc d'utiliser systématiquement les moyens automatiques ou robotiques disponibles et d'utiliser les compétences humaines en complément de ceux-ci. Ainsi, la communauté scientifique qui étudie les sciences de la vie en microgravité a recours à deux types d'outils : les vaisseaux automatiques russes (Biocosmos, Photon) permettant de réaliser automatiquement des expériences de biologie cellulaire et du développement, de physiologie animale (primates, rongeurs, batraciens, etc.), de radiobiologie pour des missions de courte durée (15 jours en moyenne), mais aussi les systèmes habités avec présence d'astronautes à bord pour des durées de 7 jours à plusieurs mois (6 mois en moyenne), voire plus d'une année.

- Lorsque l'astronaute agit en tant qu'opérateur, le fait qu'il soit un être humain et non un robot constitue à la fois un avantage et un inconvénient.

Pour la plupart des expériences réalisées à bord de stations orbitales, l'intervention humaine est réduite (régler un thermostat, mettre une cartouche de produit dans un four, etc.) mais elle peut être, dans certains cas, indispensable : un astronaute français réussit ainsi, en rebranchant des câbles, à sauver une expérience au cours du vol LMS de Spacelab en juin 1996. De même, l'intervention de l'homme peut s'avérer indispensable pour placer et réparer des très grands équipements en orbite tels que les télescopes Hubble ou Chandra, à condition naturellement qu'ils soient sur une orbite accessible et qu'ils aient été prévus pour cela.

En revanche, la présence de l'être humain peut être une gêne lorsqu'une expérience fait appel à des matériaux toxiques, ou simplement parce que la présence des hommes à bord des stations engendre des accélérations et des vibrations qui peuvent perturber certaines manipulations.

Les expériences en sciences de la matière et en sciences de la vie réalisées dans l'espace peuvent aboutir à des résultats tout à fait intéressants, mais leur coût est très élevé.

Les expériences scientifiques en microgravité ne peuvent, à elles seules, justifier la présence d'opérateurs humains dans l'espace.

C'est en tant qu'objet d'expérience que l'homme est intéressant.

2. La médecine spatiale

La véritable justification de la présence de l'homme dans l'espace est l'étude des agressions diverses qu'il peut y subir et des réponses à apporter. C'est une étape indispensable à franchir si l'on considère que l'homme sera appelé à faire, dans l'avenir, des séjours prolongés dans l'espace pour atteindre des planètes éloignées.

L'environnement spatial est un environnement hostile pour l'homme et plus généralement pour les objets vivants pour les raisons suivantes :

- l'absence de pesanteur (ou microgravité) responsable d'une égalisation de la pression veineuse dans l'ensemble du corps humain, d'une absence de poids entraînant des efforts peu intenses et d'une limitation des mouvements,

- l'existence d'une situation de confinement et d'isolement à l'origine de toute une série de problèmes psycho-sociaux, pouvant aboutir à de conséquences psycho-pathologiques,

- l'existence d'un niveau élevé de radiations ; pour certaines d'entre elles, on ne connaît pas les effets biologiques (les ions lourds en particulier),

- enfin, lors des sorties extravéhiculaires, l'absence d'atmosphère et les chocs thermiques qui résultent des changements de la position de la station spatiale par rapport au soleil.

Les expériences et observations réalisées sur les astronautes permettent de mieux connaître ces différents phénomènes et d'y trouver des solutions. Elles peuvent avoir des retombées pour le médecin « terrestre ».

L'absence de pesanteur constituant la caractéristique principale de ce milieu, l'étude des effets physiologiques induits par celle-ci a permis de déceler et de découvrir des mécanismes de régulation du métabolisme.

En microgravité, l'organisme humain présente tous les symptômes du vieillissement : troubles de la circulation, perte d'équilibre, atrophie musculaire, ostéoporose.

L'observation de ces phénomènes et des moyens mis au point pour tenter de les contrer est indispensable dans l'optique de séjours de très longue durée dans l'espace et, par ailleurs, contribue à résoudre certains problèmes médicaux terrestres, notamment l'ostéoporose liée à la ménopause.

On songe par exemple à utiliser des substances actives ayant pour cible les récepteurs spécifiques à la gravité au niveau des cellules osseuses. En novembre 1998, à bord de la navette Discovery, un protocole d'expérience de stimulation de croissance osseuse a été testé sur des cultures cellulaires grâce à une molécule développée par la compagnie canadienne de biotechnologie Allelix et le groupe pharmaceutique suédois Astra.

Dans d'autres domaines aussi, les appareils et tests mis au point pour les cosmonautes sont utilisés dans les cabinets médicaux et les hôpitaux afin de parfaire les approches diagnostique et thérapeutique : locomètre, oculomètre, système de stimulation vibratoire pour lutter contre l'ankylose articulaire des membres plâtrés, kinésigraphe, scanner portable pour évaluer la déminéralisation osseuse, caisson à dépressurisation pour certains insuffisants cardiaques en attente de greffe, pompe à insuline implantables, holter pour l'enregistrement continu de l'activité électrique du coeur...

C. L'AVENIR DE L'HOMME DANS L'ESPACE

A long terme, l'intérêt n'est pas la présence de l'homme en orbite terrestre. L'homme dans l'espace n'a vraiment de sens que pour l'exploration des autres planètes.

Il convient dès à présent de réfléchir à ce qui suivra la Station spatiale internationale, à partir de 2015.

Le programme très intéressant d'exploration de Mars ( 18 ( * ) ) élaboré par le CNES, en collaboration avec la NASA, ainsi que par l'ESA concerne les dix années à venir et ne peut donc raisonnablement inclure le vol d'astronautes vers cette planète . C'est à plus long terme que cette possibilité pourra être envisagée, lorsqu'auront été réglés les problèmes que pose la survie de l'homme dans l'espace et sur les planètes. Beaucoup de spécialistes entretiennent des doutes sur le fait que le niveau atteint par les techniques spatiales actuelles permette d'envisager qu'un programme d'exploration humaine de Mars puisse succéder directement au programme de Station spatiale internationale. En outre, l'adaptation de l'organisme humain à la microgravité n'est pas le plus critique des problèmes que posent le voyage spatial et l'exploration des planètes les plus accessibles mais cependant lointaines.

Les effets de la microgravité cessent en effet dès que ces planètes sont atteintes.

En revanche, les problèmes d'exposition aux rayonnements particulaires émis par les éruptions solaires demeurent. Les stations orbitales ne permettent pas de les étudier car elles se situent en orbite basse et sont protégées par le champ magnétique de la Terre, un champ dont la Lune et Mars sont dépourvus.

Une démarche intéressante serait donc de s'attaquer aux problèmes que pose la présence de l'homme sur un corps céleste dépourvu d'atmosphère et de champ magnétique. Il serait envisageable de commencer par le plus facile parce que le plus proche : la Lune.

Installer sur la Lune un observatoire occupé en permanence ou visité à intervalles réguliers aurait un intérêt scientifique et susciterait vraisemblablement plus d'enthousiasme dans le grand public que les stations orbitales. Ces aspects ont d'ailleurs été soulignés lors de la première convention de la Société des Explorateurs Lunaires (LUNEX) au début du mois de mars 2001.

Sous l'égide du Groupe de travail international sur l'exploration de la Lune (ILEWEG) et de l'ESA, cette société, composée de scientifiques, d'ingénieurs du secteur spatial et de jeunes a pour objectif de « jeter des passerelles entre les agences spatiales et le grand public pour faire connaître l'espace, l'exploration planétaire et en particulier la Lune ».

L'exploration lunaire pourrait avoir un triple intérêt : tester de nouvelles techniques spatiales qui seraient utilisées ensuite pour des missions vers d'autres planètes, étudier les réactions de l'homme sur une planète dépourvue d'atmosphère et de champ magnétique, et offrir des occasions de recherche scientifique.

Sur ce dernier point, on peut donner deux exemples précis :

- Pour les planétologues, la Lune présente l'intérêt d'être née avec la Terre. On pense que notre satellite pourrait s'être constitué il y a 4,4 milliards d'années (soit une cinquantaine de millions d'années après les débuts de la formation du système solaire), par agrégation de débris créés par la collision d'un embryon de planète de la taille de Mars avec la Terre en cours de constitution.

Notre satellite naturel s'est refroidi très vite. Il conserve dans les cinq mètres de poussière (la régolithe) de son sol, toute la mémoire de cette période - le premier milliard d'années - qui, sur Terre, a été effacée par l'évolution géologique. Par carottage du sol, on pourrait donc connaître l'activité météoritique et cométaire qui a touché notre planète à ses débuts.

- De plus, les pôles abritent probablement de l'eau sous forme de glace, s'il faut en croire les résultats de deux missions américaines récentes, Clementine et Lunar Prospector. En 1994-95, la sonde Clementine avait cartographié la totalité du sol lunaire, permettant d'obtenir une carte globale des concentrations de fer et de titane dans le sol et de soupçonner la présence d'eau dans les régions polaires.

Lunar Prospector, en 1998-99, a vérifié et complété ces données. Cette deuxième sonde a en effet détecté, aussi bien au pôle nord qu'au pôle sud de notre satellite, des concentrations importantes d'hydrogène qui, selon les scientifiques, traduisent vraisemblablement la présence d'eau. Cette eau se trouverait, sous forme de glace, sous 40 cm de régolithe, et pourrait provenir de comètes qui se sont écrasées sur la Lune au cours des deux derniers milliards d'années.

Trois missions lunaires vont être réalisées d'ici 2005 : Lunar-A (Japon-ISAS) et Selene-A (Japon-NASDA + ISAS) et SMART-1 (Small Missions for Advanced Research and Technology par l'ESA).

SMART-1, première des missions SMART de l'Agence spatiale européenne menées au titre du Programme scientifique Horizon 2000, sera lancée en octobre 2002, en tant que charge utile auxiliaire, sur une Ariane 5. Le premier objectif de cette mission est de tester en vol le système principal de propulsion hélio-électrique lors d'une mission vers la Lune, et de se préparer ainsi aux nouvelles technologies fondamentales nécessaires à la mission Bepi-Colombo que l'ESA lancera vers Mercure. SMART-1 sera également l'occasion de mettre à l'épreuve de nouvelles technologies concernant les satellites et les instruments. Ce sera la première fois que l'Europe enverra un véhicule spatial vers la Lune. Outre le fait que ce satellite dépendra d'un système hélio-électrique pour sa propulsion principale pour quitter la Terre et arriver sur la Lune, SMART-1 embarquera également à son bord un programme complet d'observations scientifiques sur orbite lunaire. Durant la phase de croisière à destination de la Lune, les instruments feront l'objet d'essais en observant la Terre et des cibles célestes.

Il serait souhaitable que l'Europe établisse dans ce domaine une coopération avec le Japon, dont les scientifiques, mais aussi les industriels, s'intéressent réellement à la Lune et aux possibilités exploratoires qu'elle peut offrir dans un premier temps.

Lorsque l'exploitation de la Station Spatiale Internationale sera terminée et lorsque seront atteintes les limites des sondes automatiques et des supports robotiques, l'homme pourrait utilement envisager de retourner sur la Lune, ce qui pourrait constituer la première étape d'un programme d'exploration des autres planètes.

DEUXIÈME PARTIE : LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

Cette section traite de l'usage des techniques spatiales à l'élargissement des connaissances scientifiques.

I. INTRODUCTION

Depuis leur avènement, les techniques spatiales ont largement démontré leur apport à l'exploration de l'univers et à l'observation de la Terre. En permettant de voir « plus loin » dans l'univers et d'observer de plus près les objets du système solaire, l'espace a bouleversé notre vision de l'univers lointain et de l'univers local. En donnant aux sciences de la Terre, une vision globale de l'atmosphère, des océans, de la biosphère et des surfaces continentales, l'espace apporte une échelle indispensable à notre compréhension de l'environnement planétaire et de son évolution. Dans ce domaine, la composante spatiale représente un atout majeur pour tout système global de surveillance de l'environnement et de gestion des risques, comme elle le fait déjà pour les systèmes de prévision météorologique ou plus récemment pour les systèmes de prévision de la circulation océanographique.

Par ailleurs, la recherche spatiale s'étend à d'autres disciplines comme la physique fondamentale, la biologie et l'exobiologie.

Les programmes scientifiques sont la source du progrès des connaissances. Ces programmes sont aussi des moteurs de l'innovation technologique. En effet, l'élaboration de nouvelles expériences nécessite le développement de nouveaux concepts, de nouveaux outils et de nouveaux instruments. C'est le pari que font la plupart des grands pays industriels qui s'efforcent de stimuler leur croissance économique par un investissement soutenu dans la recherche fondamentale.

La recherche spatiale n'a pas échappé à cette dynamique et les programmes spatiaux ont permis d'apporter des réponses à des questions scientifiques ambitieuses tout en contribuant à apporter des innovations technologiques. On en trouve des exemples en physique des procédés, en médecine et en imagerie.

Les travaux de la communauté scientifique spatiale, toutes disciplines confondues, ont également permis l'émergence d'applications et de services nouveaux dans les domaines de la localisation et des secours, de la navigation et de l'observation de la Terre.

La coopération internationale est indissociable de toute politique scientifique. Au-delà de la possibilité qu'elle offre de multiplier les programmes en partageant leurs coûts, elle permet la confrontation des idées. En outre, elle contribue à l'image d'excellence de l'espace français et à son rayonnement international.

Au sein de l'Europe, la France offre des possibilités de coopération complémentaires des programmes de l'ESA et dispose pour cela d'une pratique de la coopération internationale reconnue par ses partenaires. De fait, tous les programmes du CNES font l'objet d'une coopération internationale. Les programmes hors ESA sont conduits soit en coopération européenne, comme Spot 5, Corot, Végétation ou Pléiades, soit en coopération hors Europe : Jason avec les Etats Unis, Polder avec le Japon, Megha-Tropiques avec l'Inde, Andromède avec la Russie, etc....

Dans le domaine des risques naturels, une Charte visant à promouvoir la coopération entre opérateurs de systèmes spatiaux, en cas de catastrophe naturelle ou technologique, a été signée entre le CNES, l'Agence Spatiale Européenne et l'Agence Spatiale Canadienne. Cette Charte est ouverte aux opérateurs de satellites du monde entier. Elle a été appliquée pour la dernière fois à l'occasion des séismes du Salvador et d'Inde.

Dans la suite de ce chapitre, on examine successivement cinq domaines :

- les sciences de la Terre

- les sciences de l'Univers

- l'exobiologie

- les sciences de la matière et de la vie en micropesanteur

- la physique fondamentale.

II. SCIENCES DE LA TERRE

La recherche dans ce domaine est extrêmement active et entretient une proximité étroite avec les applications. Il y a contiguité entre le processus d'acquisition de connaissances nouvelles et leur mise au service des besoins de la société.

A. L'OCÉAN ET LE CLIMAT

Les missions ERS et Topex-Poséidon ont formé la composante spatiale du système d'observation de l'expérience Woce qui a permis de caractériser la circulation océanique à diverses échelles spatiotemporelles et le forçage atmosphérique à l'interface océan-atmosphère.

Le succès de la mission Topex-Poséidon n'est plus à démontrer. Cette mission Topex-Poséidon, lancée en août 1992, poursuit son fonctionnement nominal. Les performances du système continuent d'être améliorées et permettront à terme d'observer des variations de niveau de la mer de l'ordre du centimètre à l'échelle d'un bassin océanique. De nombreux résultats scientifiques originaux continuent d'être dérivés de ces mesures à haute précision. Un exemple récent de la remarquable sensibilité de Topex-Poséïdon a été apporté par la détection précoce de l'événement El Niño.

El Nina 1997-2000. L'amélioration de la capacité prédictive des modèles, recalés à l'aide des 50 000 mesures effectuées chaque jour a permis un suivi hebdomadaire de ce phénomène, qui a eu un retentissement mondial, bien au-delà des seuls pays directement concernés. Des signaux de période décennale et plus ( type NAO) vont pouvoir être observés et mieux compris grâce à un suivi à long terme utilisant les observations de ce type de mission.

Afin, d'assurer la continuité des mesures, les agences française et américaine ont décidé le développement de Jason, la mission altimétrique de haute précision faisant suite à Topex-Poséïdon. Le satellite sera placé sur la même orbite que son prédécesseur à la fin de l'année 2000. Ce premier élément d'une filière de minisatellites altimétriques dédiés jouera le rôle de référence pour les autres altimètres (embarqués sur des missions non dédiées). Il constituera une contribution à la mise en place du Système Mondial d'Observation des Océans proposé par la conférence UNCED de Rio et la deuxième conférence mondiale sur le climat, dont l'expérience internationale Godae (2003-2005) sera un des éléments précurseurs. En assurant au meilleur coût et au même niveau de performances la continuité des observations de Topex-Poséïdon sur les variations du niveau moyen des mers, la circulation océanique, la vitesse du vent et la hauteur des vagues, il contribuera à la poursuite du développement de l'océanographie opérationnelle.

Ce volet spatial est un des éléments-clé du programme Mercator de développement d'un système de simulation de l'océan global assimilant les données satellitales et in situ, et exploité à terme de façon opérationnelle.

Par ailleurs, le CNES participe, en coopération avec l'Agence Spatiale Européenne et le bureau des affaires spatiales espagnol au développement de la mission Smos. Basée sur un radiomètre interféromètre en bande L (1.4 GHz), cette mission devrait permettre de dériver pour la première fois avec une répétitivité de quelques jours des mesures globales de :

- l'humidité superficielle des sols et du contenu en eau de la végétation avec des précisions respectives de 0.035 m3/m3 et 0.2 kgm-2 pour une résolution spatiale de 60 km,

- de la salinité des océans avec une précision de 0,1 psu pour une résolution spatiale de 200 km.

Cette mission, qui est actuellement en phase de définition préliminaire, devrait être lancée en 2005.

B. LES INTERACTIONS AÉROSOLS-NUAGES-RAYONNEMENT

Les recherches sur ce thème mobilisent de nombreux laboratoires et organismes français et s'appuient sur 1"utilisation conjointe de systèmes spatiaux à vocation globale, des moyens aéroportés indispensables à l'étude des processus à méso-échelle et d'une hiérarchie de modèles numériques.

L'observation du bilan radiatif à l'aide de l'instrument ScaRaB, conçu par le Laboratoire de Météorologie Dynamique (CNRS) et Roshydromet (Russie) a été limitée suite à un incident technique. Le groupe scientifique ISSWG (International ScaRaB Scientific Working Group) exploite les 8 mois de données complétant utilement les 13 mois de données recueillis précédemment.

Enfin, les expériences sur la station MIR ont également inclut un volet sciences de la Terre. Le lidar ALISSA a été lancé avec le module Priroda en 1996. Une quarantaine de profils de sondages de l'atmosphère ont pu être réalisés de septembre 1996 à décembre 1997. Ils ont mis en évidence la capacité des lidars embarqués à déceler plusieurs couches dans la couverture nuageuse. En 1999, deux lasers de nouvelle génération, fournissant deux fois plus d'énergie, furent installés sur ALISSA. Ces premières expériences de lidar embarqué ont permis à la communauté scientifique française d'acquérir une grande expérience dans ce domaine matérialisée aujourd'hui par la réalisation de la mission PICASSO-CENA (coopération franco-américaine).

Le lidar franco-russe Alissa, expérience à laquelle participe le Service d'Aéronomie du CNRS, a de nouveau été utilisé dans une version améliorée à bord de la station Mir. La détermination de l'altitude des nuages et de certains paramètres microphysiques contribue à l'étude des interactions nuages-rayonnement.

Le sondeur infrarouge Iasi (Interféromètre Atmosphérique pour le Sondage Infrarouge) est un instrument de la charge utile du programme Metop (satellites météorologiques européens en orbite polaire) de l'Agence Spatiale Européenne et de Eumetsat, dont le premier modèle devrait être lancé en 2003. Ce sondeur est nécessaire au progrès de la prévision numérique du temps et à la recherche sur le climat : ses performances spectrales et radiométriques permettront en effet d'observer les profils de température et d'humidité dans la troposphère avec une précision respectivement de 1° K et 10 % et une résolution verticale (1 km) hors d'atteinte des sondeurs opérationnels actuels, et d'accéder à des mesures de contenus intégrés de gaz comme l'ozone, le méthane et le monoxyde de carbone qui jouent un rôle clé dans l'effet de serre additionnel.

L'utilisation des données IMG a permis de développer des algorithmes de restitution du monoxyde de carbone qui pourront être réutilisés pour la production opérationnelle des données Iasi.

La mission Picasso-Cena a pour objet l'étude de l'influence des aérosols et des nuages sur le climat afin d'en prévoir les évolutions à long terme. Cette mission comprendra un lidar, un spectromètre bande A (oxygène), un imageur infrarouge et une caméra dans le domaine visible. Le lancement est prévu en mars 2003. Cette mission sera coordonnée avec la mission EOS-PM (Aqua) lancée à la fin de cette année.

Les Etats-Unis et le Canada ont prévu d'y adjoindre un satellite Cloudsat, embarquant notamment un radar 94 GHz, et qui sera lancé simultanément à Picasso-Cena. En France, le CNES a décidé une mission complémentaire sur micro-satellite Parasol avec un instrument Polder (mesure de la polarisation dans le visible et le proche infrarouge), dont le lancement est prévu en 2004.

Cet ensemble de quatre satellites contribuera de façon unique à la connaissance et à la compréhension des interactions aérosols-nuages-rayonnement. Les données ainsi recueillies permettront d'améliorer la détermination des forçages directs et indirects des aérosols et des nuages sur le bilan radiatif. De nombreux travaux préparatoires à cette mission ont eu lieu en particulier plusieurs expériences Carl alliant mesures in-situ et télédétectées au sol et aéroportées.

La mission Aeolus, deuxième mission-cadre du programme Earth Explorer de l'Agence Spatiale Européenne, destinée à la mesure du vent par rétrodiffusion lidar, a été préparée par le développement franco-allemand d'un lidar vent aéroporté Wind. Cet instrument participe désormais aux campagnes d'étude de la dynamique atmosphérique de méso-échelle.

En collaboration avec l'Agence Spatiale Indienne (ISRO), le CNES poursuit les travaux de définition de la mission Megha-Tropiques dont l'objectif est l'étude du cycle de l'eau et des échanges d'énergie dans la zone tropicale, région dans laquelle les échanges énergétiques sont fondamentaux pour le climat de la Terre. La charge utile serait composée de trois instruments : un radiomètre imageur hyperfréquence à 6 canaux, destiné à l'estimation des paramètres de l'eau (Madras), un radiomètre hyperfréquence sondeur d'humidité (Saphir), et l'instrument de mesure du bilan énergétique ScaRaB. Le lancement du satellite pourrait intervenir vers 2006.

L'accommodation de l'instrument Saphir est également étudiée sur une plateforme micro-satellite. L'objectif de la mission qui pourrait lancée dès 2005 serait alors la mesure du profil de vapeur d'eau dans la troposphère de la ceinture tropicale.

L'étude des systèmes convectifs en zone équatoriale est aussi l'objectif d'une autre mission microsatellite, Orages, destinée à l'observation de l'activité électrique de ces systèmes. Cette mission pourrait également être programmée dès 2005.

C. POLDER SUR ADEOS

Objet de la première coopération spatiale franco-japonaise dans le domaine des sciences de la Terre et de son environnement, le radiomètre polarimètre imageur Polder (Polarization and Directionality of the Earth's Reflectances) a volé sur la première plateforme Adeos. Huit mois de mesures (du 30 octobre 1996 au 29 juin 1997) ont été acquis avec une couverture globale journalière quasi complète de la Terre jusqu'à la perte accidentelle d'Adeos le 30 juin 1997.

Grâce à un concept instrumental innovant, Polder est le premier instrument spatial à mesurer simultanément la polarisation et les signatures multi-spectrales et directionnelles du rayonnement solaire réfléchi par les surfaces terrestres et l'atmosphère. L'information nouvelle apportée par ces observations présente un double intérêt : d'une part elle améliore significativement la correction des effets directionnels et atmosphériques, d'autre part elle permet de développer de nouvelles méthodes de restitution des propriétés des cibles observées.

Les mesures quotidiennes acquises par Polder sont traitées de manière opérationnelle par la composante sol de la mission, située à Toulouse. Douze types de produits géophysiques intéressant les thématiques suivantes : couleur de l'océan, aérosols, terres émergées, bilan radiatif et nuages, et vapeur d'eau sont délivrés soit par segment d'orbite, soit sous forme de cartes globales décadaires et mensuelles. Il est ainsi obtenu un ensemble complet de paramètres géophysiques pour la recherche sur le climat et le suivi de l'environnement.

La perte prématurée d'Adeos réduit à 8 mois l'archive des données Polder et prive de la longue série temporelle attendue des missions successives Adeos 1 et Adeos 2 (lancement prévu par la NASDA en novembre 2001).

Toutefois ces huit mois de mesures ont déjà permis de démontrer l'intérêt scientifique du concept Polder. De nombreux résultats scientifiques originaux ont été dérivés de l'analyse de ses données, et en particulier :

- la mise en évidence des caractéristiques optiques des aérosols sur terre, assurant la continuité avec les propriétés mesurées au-dessus des océans,

- la possibilité de dériver, dans certains conditions de mesure, la taille des gouttes d'eau composant les nuages, et la relation climatologique entre cette taille et les propriétés optiques des aérosols,

- la mesure de la fonction de distribution de la réflectance bidirectionnelle sur les terres émergées.

Ces résultats sont notamment utilisés pour la préparation d'une deuxième génération de produits qui seront générés avec les données Polder sur Adeos 2.

D. ATMOSPHÈRE MOYENNE ET CHIMIE ATMOSPHÉRIQUE

L'effort de recherche français sur la dynamique et la physico-chimie de la stratosphère et de la mésosphère reste centré sur l'étude des processus de destruction de l'ozone, des interactions chimie-dynamique, ainsi que sur l'analyse des tendances et bilans à l'échelle globale et régionale. Les observations sont réalisées en utilisant différents vecteurs : ballons stratosphériques, avions porteurs d'instruments et systèmes spatiaux, dont la combinaison est indispensable pour étudier les processus complexes et les mécanismes d'interactions d'échelles. Le CNES et l'INSU développent des instruments spatiaux ou aéroportés et cofinancent le Programme National de Chimie Atmosphérique. Ces activités complètent la contribution de la France au programme Envisat de l'ESA.

Le programme ballon s'appuie sur un ensemble de véhicules et de services opérationnels. Les ballons stratosphériques ouverts (BSO), capables d'embarquer des nacelles avec 500 kg d'équipements, sont largement utilisés pour des vols de courte durée tandis que les Montgolfières Infrarouges (Mir) ont montré leur capacité à faire voler des nacelles équipées de 50 kg d'instruments maximum pendant plus de 60 jours dans des zones tropicales, et pour la première fois au-dessus de l'Arctique pendant 22 jours. Enfin, des ballons sur-pressurisés évoluant à deux altitudes différentes (70 hPa et 50 hPa) sont en cours de développement. Il est prévu de les utiliser pendant la mission Stratéole, campagne de longue durée et d'envergure internationale prévue en Antarctique.

Ces moyens et services sont mis à disposition de la communauté scientifique internationale sur une base commerciale qui permet d'assurer leur pérennité et leur évolution. Depuis une dizaine d'années, la Commission Européenne a coordonné un programme d'étude de (ozone stratosphérique, avec en particulier des campagnes ballons d'envergure en Arctique. Dans le cadre du programme récent Theseo (1998-99) et de son extension Theseo-2000 conduite pour la première fois en coopération avec la NASA (campagne Solve), une trentaine de vols de nacelles scientifiques ont été effectués à Kiruna.

La composante strictement spatiale de ce programme est menée dans le cadre de coopérations. Elle porte sur un ensemble d'instruments destinés à l'étude du forçage solaire, de la dynamique, de la structure thermodynamique et des constituants de la stratosphère.

Le spectromètre Solspec développé par le Service d'Aéronomie du CNRS et l'Institut d'Aéronomie Spatiale de Belgique, embarqué à plusieurs reprises dans le cadre de missions Atlas, a permis la caractérisation du spectre solaire. Une version est actuellement préparée pour voler à bord de la Station Spatiale Internationale. Ces résultats sont utilisés dans les modèles atmosphériques.

Wind II, un interféromètre franco-canadien qui permet de mesurer les profils de vent et de température dans la stratosphère et la mésosphère depuis 1991 à bord du satellite UARS, collecte toujours des observations. Ses résultats sont actuellement utilisés pour améliorer les modèles de densité atmosphérique en dessous de 200 km, nécessaires pour les calculs d'aéro-freinage de plates-formes spatiales en orbite basse.

Picard a été sélectionné comme deuxième mission micro-satellite. L'objectif de cette mission est la mesure précise du diamètre du soleil, de sa rotation différentielle et de sa constante, de leurs relations et variabilités. L'objectif scientifique est de pouvoir interpréter les mesures historiques de diamètre effectuées depuis le sol (en particulier par l'astronome français J. Picard au XVII ème siècle), de mieux comprendre l'influence du forçage solaire sur le climat de la terre, et la physique solaire. Le lancement est prévu mi-2003, lors du maximum de variabilité du cycle solaire de 11 ans.

Dans le domaine de la chimie stratosphérique, on concentre les efforts sur les techniques d'occultation en participant à l'exploitation des résultats des expériences américaines Poam-2 et 3 embarquées respectivement sur SPOT-3 et SPOT-4. Les travaux portent notamment sur l'évaluation de la qualité des produits scientifiques (ozone, vapeur d'eau, aérosols, dioxyde d'azote). Les produits Poam aux hautes latitudes sont utilisés conjointement avec un modèle de chimie-transport stratosphérique pour quantifier la destruction chimique de l'ozone dans le vortex hivernal arctique.

De plus, la communauté française a participé à la validation et à l'utilisation des observations des instruments Ilas et Img embarqués à bord d'Adeos. Elle se prépare enfin à traiter, valider et utiliser les observations du satellite suédois Odin, dont le lancement est prévu en novembre 2000 et qui permettra en particulier l'observation de l'oxyde de chlore, composé actif de la destruction de l'ozone, et celle des instruments de chimie (Gomos, Mipas et Sciamachy) à bord d'Envisat.

Les campagnes ballons de validation Odin et Envisat seront réalisées en 2001 et 2002. On soutient également les efforts de la communauté française pour l'utilisation de ces données à travers le développement d'une banque de données (Ether) et d'outils d'assimilation des produits spatiaux de niveau 2 en chimie.

E. GÉODÉSIE SPATIALE

De nombreux domaines de la géophysique bénéficient de l'apport des données spatiales et en particulier, l'étude des champs magnétiques et de gravité de la Terre, la tectonique et plus généralement toutes les disciplines qui réclament la mesure et/ou la cartographie des déplacements locaux, régionaux ou globaux.

Concernant l'étude du champ magnétique, la France a contribué à la mission danoise Oersted qui a été lancée en février 1999, par la fourniture d'un magnétomètre scalaire. La communauté nationale (UBO, IPGP, CETP) a commencé à exploiter ces données. Notons que des missions telles que Champ (satellite allemand) ou SAC-C (satellite argentin), dont les lancements sont prévus en 2000, permettront d'assurer une certaine continuité (ainsi qu'un recouvrement) des mesures du champ magnétique de la Terre depuis l'espace. Grâce à l'ensemble de ces missions, la communauté scientifique, notamment française, pourra calculer des modèles précis du champ magnétique et de ses variations temporelles.

Ce n'est que depuis les années 1960 et les mesures de suivi des satellites artificiels que l'on a pu appréhender les grandes irrégularités du champ de gravité terrestre et calculer des modèles globaux, tels que les modèles de la série Grim. Une nouvelle génération de modèles est attendue pour les prochaines années grâce à la mission Champ, dont le lancement est prévu pour mai 2000 et qui embarque l'accéléromètre français Star, construit par l'ONERA et fourni par le CNES. Puis, en 2001, la mission Grace permettra de calculer les variations temporelles du champ de gravité sur les grandes échelles spatiales. Au-delà, la première mission cadre du programme Earth Explorer de l'ESA, Goce (prévue pour 2004) permettra de décrire avec une précision inégalée le géoïde terrestre (surface équipotentielle du champ de gravité) sur les petites échelles spatiales.

Embarqué sur les satellites SPOT 2, 3 et 4 et Topex/Poseidon, le système Doris est exploité continûment depuis 1990. Doris sera aussi embarqué sur les mini-satellites altimétriques Jason qui succéderont à Topex/Poseidon, sur la mission Envisat de l'ESA, sur SPOT 5 et sur les futures missions d'observation de la Terre. Grâce au système Doris, les variations de la position du géocentre ainsi que les mouvements crustaux verticaux des sites équipés de marégraphes ont été mesurés par les équipes de GRGS avec une précision millimétrique et contribuent à améliorer la mesure altimétrique.

La qualité des résultats obtenus avec Doris conduit l'IERS (International Earth Rotation Service) à décider en 1996 d'utiliser Doris conjointement aux autres systèmes déjà éprouvés (laser, GPS, VLBI) pour la réalisation du référentiel terrestre et la mesure routinière de la rotation de la Terre, et a également entraîné la proposition de la communauté internationale lors de l'assemblée générale de l'UGGI (Union Géodésique et Géophysique Internationale) en juillet 1999, de créer l'IDS (International Doris Service) à l'instar de l'IGS (International GPS Service), l'ILRS (International Laser Ranging Service) et de l'IVS (International VLBI Service). NIDS est actuellement en phase de préparation (Expérience Pilote Doris).

F. LES RISQUES NATURELS

En août 1999, le tremblement de Terre qui a frappé la région d'Izmit en Turquie a causé 2 milliards d'euros de dommages assurés. En septembre, l'ouragan Floyd sur la côte est des Etats-Unis a représenté 2,5 milliards d'euros de dommages assurés, le tremblement de Terre de Taïwan 1 milliard d'euros et le typhon Bart, qui s'est abattu sur le sud du Japon, 3 milliards d'euros. En décembre, les deux tempêtes Lothar et Martin qui ont ravagé l'Europe de l'ouest ont totalisé 8 milliards d'euros de dommages. Encore ne s'agit-il là que des dommages assurés. Le coût économique global de ces catastrophes est souvent cinq à six fois plus important. Ainsi, on estime que les inondations de l'été 1998, en Chine, ont pu coûter plus de 30 milliards d'euros en cultures et biens détruits et du fait du ralentissement de l'activité industrielle. Quant au coût humain de ces catastrophes, il est plus terrible encore. Le tremblement de Terre de Kobé au Japon, en 1995, a fait plus de 6 000 morts et celui d'Izmit, en Turquie, 25 000 victimes.

Bien que la fréquence et l'intensité des phénomènes géologiques ne soient pas plus élevées que par le passé, leur impact sur la société et leur coût économique augmentent de façon vertigineuse, dans les pays développés comme dans les pays en développement. Cette tendance ne fera que s'accentuer avec la concentration croissante des populations, l'augmentation du coût des infrastructures et le développement d'agglomérations de plusieurs dizaines de millions d'habitants sur les rives des grands fleuves et dans les zones côtières. On estime ainsi que plus de 3 milliards d'être humains vivent aujourd'hui dans des mégapoles concentrés sur quelques pour-cent de la surface des continents, le plus souvent dans des zones à risque.

Les techniques spatiales permettent deux approches complémentaires du problème des catastrophes naturelles : avant la catastrophe, lorsqu'il s'agit de réduire la vulnérabilité et pendant la catastrophe afin de gérer la crise et les secours.

Réduire la vulnérabilité des personnes et des biens, cela se fait d'abord par l'étude des catastrophes antérieures, de leur causes, de leur déroulement et de leurs conséquences. L'imagerie satellitaire est particulièrement adaptée pour bénéficier du retour d'expérience des événements précédents et concevoir des aménagements et des équipements nouveaux intégrant les leçons du passé.

Ce travail de prévention, doit s'accompagner d'un effort de prévision. Grâce aux satellites d'observation météorologiques, la prévision des cyclones tropicaux est réalisée aujourd'hui en routine. En 30 ans d'observations satellitaires, « aucun cyclone n'a échappé à leur vigilance ». Les populations et les autorités sont ainsi alertées et toutes les mesures préventives peuvent être prises.

Pour les autres risques naturels, nous n'en sommes pas encore là. Dans le cas des volcans, la prévision est aujourd'hui fondée sur des observations au sol. Les techniques spatiales et notamment le système ARGOS permettent la collecte automatique de données sur des sites éloignés comme en Indonésie. Mais dans bien des cas les causes des catastrophes sont mal connues. Quels sont les signes avant-coureurs et, surtout, quelle est leur signature dans les observations spatiales ? Telles sont les questions auxquelles il faut aujourd'hui répondre. L'interférométrie radar a donné à ce jour les résultats les plus prometteurs, en ce qui concerne les séismes et les volcans. Le programme DEMETER et le projet SVO concourent au même objectif.

Enfin, un effort particulier est mené sur l'étude des risques naturels depuis l'espace. Dans le cadre de la filière des micro-satellites, est développée la mission Demeter (Détection of Electro-Magnetic Emissions Transmitted from Earthquake Régions). Ce projet a été proposé par la communauté scientifique couvrant à la fois les sciences de l'environnement et les sciences de la Terre solide. Les objectifs scientifiques de Demeter sont la détection et la caractérisation des signaux électromagnétiques associés à des phénomènes naturels (tels que les tremblements de Terre, éruptions volcaniques, tsunamis) ou à l'activité anthropique. Le lancement est prévu pour 2002 avec un lanceur indien (PSLV).

D'autres projets également dédiés à la thématique des risques naturels sont à l'étude :

• SVO (Space Volcano Observatories), projet de constellations de petits satellites dédiés à la surveillance journalière des volcans potentiellement dangereux.

• la Roue Interférométrique, constituée de trois satellites récepteurs volant en formation avec un satellite radar émetteur. La Roue permet le calcul précis de la topographie terrestre dont la connaissance est fondamentale pour la prévision et la gestion des risques (topographie des volcans, des bassins versants, connaissance du terrain...), et contribue de manière exploratoire à d'autres objectifs (mesure des courants côtiers, etc.).

Les techniques spatiales sont également fondamentales pour la cartographie des déplacements. La technique de positionnement précis avec le système Doris a ainsi permis aux équipes scientifiques du GRGS de calculer la vitesse actuelle des grandes plaques tectoniques et de montrer que cette vitesse est comparable à la vitesse moyenne des plaques sur les derniers millions d'années. Les techniques utilisant l'imagerie visible (SPOT) permettent de cartographier les failles les plus importantes et enfin la technique d'interférométrie radar (essentiellement mise en couvre avec les satellites ERS-1 et 2 de l'ESA) permet une cartographie directe des déplacements du sol. Les résultats obtenus lors du séisme d'Izmit du mois d'août 1999 attestent de l'importance de la méthode interférométrique.

Une première démonstration opérationnelle de l'apport des techniques spatiales pour la prévention, la prévision et la gestion des inondations va ainsi être engagée prochainement dans le cadre de Réseau de Recherche et d'Innovation Technologique (R2IT) sur les techniques spatiales et leurs applications (le Réseau Terre et Espace). C'est le projet PACTES.

L'autre domaine dans lequel les techniques spatiales ont un fort potentiel est celui de l'organisation des secours et de la gestion opérationnelle de la crise. Les systèmes de télécommunications peuvent jouer un rôle opérationnel important dans ce domaine car ils offrent des possibilités accrues de transmission phonique, d'images et de données qui leur permettent de se substituer aux réseaux habituels, qui, lorsqu'ils existent, sont souvent saturés ou hors service en situation de crise. Des expériences de démonstration à partir de STENTOR sont en préparation.

La tâche est ambitieuse mais les efforts doivent être à la hauteur de l'enjeu. Le succès nécessitera une coordination forte de tous les acteurs, agences, centres de recherche, industriels, à l'échelle mondiale dans le cadre du CEOS, et surtout à l'échelle européenne. Des actions sont engagées par la Sécurité Civile pour que cette organisation se mette en place. La charte ESA/CNES est une première étape pour les agences spatiales. Au delà, l'initiative GMES offre un cadre institutionnel très favorable pour aller de l'avant avec trois objectifs prioritaires : coordonner les efforts nationaux de recherche sur les risques, coordonner la programmation des satellites pour améliorer la surveillance des zones à risques, simplifier les mécanismes et réduire les délais de diffusion des données spatiales.

Pour définir les systèmes futurs d'observation de la Terre et de télécommunication, la démarche a été de se placer à l'écoute des communautés utilisatrices et notamment des besoins de la Sécurité Civile. Ils ne sont pas différents de ceux de la communauté scientifique. Ils font apparaître des contraintes opérationnelles imposées par les situations de crise, des exigences de résolution forte et une grande rapidité de temps d'accès, une capacité d'accès « tout temps », le besoin de reprogrammation rapide. Ces exigences sont très proches des spécifications des systèmes militaires et renforcent d'autant la nécessité d'un système dual, tel qu'il est étudié dans le cadre de PLEIADES, et l'importance de l'observation radar. Ainsi, la coordination nécessaire de tous les acteurs civils à l'échelle européenne pour la maîtrise des catastrophes naturelles, devra-t-elle se doubler d'une coopération renforcée entre civils et militaires.

III. SCIENCES DE L'UNIVERS

Le programme d'étude et d'exploration de l'Univers a pour vocation d'apporter des éléments de réponse à des questions fondamentales sur l'origine de notre Univers et sur l'origine de la vie, ainsi que sur notre propre place au sein de cet Univers . Il a aussi pour objectif de projeter la présence humaine, robotique ou réelle, au-delà des limites de notre planète. Cette quête perpétuelle, poussée toujours plus loin, nécessite pour les chercheurs des laboratoires de disposer d'outils à l'extrême limite des possibilités technologiques du moment. Elle contribue ainsi à accroître le savoir-faire des ingénieurs et techniciens de l'industrie spatiale et non spatiale en les confrontant sans cesse à de nouveaux défis. A travers cette démarche exigeante, ce programme a également pour souci d'accroître l'intérêt du public envers les sujets scientifiques, et notamment d' attirer les jeunes vers les études scientifiques et techniques et ultérieurement vers les métiers de la recherche et de l'innovation, moteurs de la croissance économique.

Le programme scientifique d'étude et d'exploration de l'Univers comporte 2 volets majeurs :

- le programme scientifique obligatoire de l'Agence Spatiale Européenne,

- le programme d'exploration de Mars.

Ces deux axes majeurs sont complétés par des petites missions d'initiative nationale, mini et micro satellites, qui permettent de défricher des sujets nouveaux avec des objectifs ciblés pour un coût relativement modeste ; c'est le cas des missions COROT (sismologie stellaire et recherche de planètes extra solaires) et MICROSCOPE (test du principe d'équivalence) ; des coopérations bilatérales avec des partenaires européens permettent d'en réduire encore le coût.

La participation au programme scientifique obligatoire de l'Agence Spatiale Européenne est le coeur des activités concernant la connaissance de l'Univers. Le succès de ce programme, dont les objectifs sont définis par les scientifiques eux-mêmes, doit être souligné. Afin de conserver la qualité de la recherche spatiale européenne et la place éminente de la communauté scientifique française en Europe, il est indispensable de maintenir à la fois le niveau de ressources de ce programme et le volume de la participation française aux fournitures des charges utiles scientifiques (qui rappelons-le sont généralement fournies par les instituts de recherche et les agences spatiales des états-membres), la France fournit près du tiers des charges utiles des missions de ce programme, soit près de deux fois le ratio du P.I.B. national.

Pour réaliser les opérations des diverses missions d'initiative européenne dans l'Espace lointain sans devoir recourir au réseau DSN ( Deep Space Network) de la NASA, par ailleurs très occupé, il sera nécessaire de créer une infrastructure de télécommunications en mettant en commun les moyens européens et de mettre en place, au niveau européen, un centre de données planétaires par une mise en réseau de laboratoires sélectionnés.

Enfin, il faudra s'attacher à développer les techniques et les technologies qui seront nécessaires pour les futurs observatoires interférométriques à plusieurs satellites qui seront utilisés pour la détection des planètes extra solaires, ainsi que pour l'astronomie des ondes gravitationnelles : accéléromètres à haute sensibilité, satellites à traînée compensée, propulseurs électriques à très faible poussée, vols en formation, lasers stabilisés.

A. ASTRONOMIE ET ASTROPHYSIQUE

Les engins spatiaux ont ouvert une nouvelle ère de l'astronomie et de l'astrophysique en donnant accès à l'ensemble du spectre électromagnétique et en permettant aux instruments d'observation de s'affranchir des distorsions créées par l'atmosphère et, s'agissant des rayonnements particulaires, par le champ magnétique terrestre.

L'astronomie spatiale, particulièrement bien représentée dans le programme scientifique obligatoire de l'Agence Spatiale Européenne, demeure une branche extrêmement active de la recherche fondée sur des moyens spatiaux.

La priorité est la participation au développement et à l'utilisation des grands observatoires astronomiques spatiaux de l'ESA, complémentaires des grands observatoires au sol, afin d'observer le ciel dans toutes les gammes de fréquence du spectre électromagnétique : d'abord XMM et INTEGRAL, puis FIRST-HERSHEL et PLANCK-SURVEYOR.

On trouvera en annexe ( 19 ( * ) ) une description des programmes français et européens d'astronomie spatiale, qui portent sur quatre domaines :

1. Astronomie des hautes énergies : INTEGRAL et CLAIRE

2. Astronomie X : XMM - Newton

3. Astronomie visible et UV : Hipparcos, FUSE, GALEX

4. Astronomie infrarouge et submillimétrique : Pronaos, ISO, Odin, FIRST et Planck-Surveyor

B. EXPLORATION DU SYSTÈME SOLAIRE

Notre système solaire, qui est aujourd'hui notre seule référence, comprend, outre son étoile centrale, trois classes d'objets : les planètes telluriques (Mercure, Vénus, la Terre, Mars) ; les planètes géantes (Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune) ; les petits corps (astéroïdes et comètes, ainsi que Pluton qu'il conviendrait de classer dans cette catégorie).

Dans le système solaire, plusieurs types d'objets présentent un intérêt majeur : (i) des corps différenciés susceptibles d'abriter ou d'avoir abrité une forme de vie ; cela concerne en premier lieu Mars, mais peut-être aussi certains satellites des planètes géantes ; (ii) des objets planétaires où une chimie organique complexe se déroule actuellement (Titan) ; (iii) des objets reliquats de la formation du système solaire (astéroïdes, comètes) ayant pu contribuer à la chimie prébiotique de la Terre primitive pendant la phase initiale de bombardement météoritique intense, (iv) le milieu interplanétaire et sa physico-chimie.

On remarque que la Terre et ses deux voisines, Vénus et Mars, présentent au premier abord certaines ressemblances ; dimensions, densité, composition chimique, sont en effet assez voisines. Il est vraisemblable que lors de leur formation, il y a quatre à cinq milliards d'années, l'apparence de ces trois planètes devait être très similaire. Mais par la suite, elles ont subi une évolution complètement divergente si bien qu'elles présentent aujourd'hui des apparences très dissemblables, qu'il s'agisse de la température, de la pression, de la composition de l'atmosphère, du volcanisme, ou de l'activité tectonique. Comprendre ce qui a conduit à cette situation peut nous aider à mieux appréhender les facteurs qui gouvernent l'évolution naturelle de notre propre planète.

1. L'exploration de Mars

Un programme international à long terme d'exploration de Mars se met progressivement en place afin de réaliser l'étude globale des paramètres physiques de la planète (atmosphère, surface et intérieur) et de retracer ainsi l'histoire complexe de son évolution depuis sa formation. Après la perte de la mission Mars-96, l'ESA a décidé l'étude de la mission Mars Express qui doit emporter en 2003 des instruments orbitaux dérivés de ceux de Mars-96 ainsi qu'un atterrisseur britannique Beagle-2 dédié à la recherche de la vie. La France contribue à la charge utile scientifique par la fourniture des instruments Omega de spectro imagerie visible et infrarouge pour l'étude du sol et de l'atmosphère, Spicam pour l'étude chimique de l'atmosphère et contribue à Aspera pour l'étude de l'environnement ionisé de Mars.

De son côté, la NASA a décidé le programme Mars Surveyor suite à la perte de Mars Observer en 1993. Ce programme a débuté de façon spectaculaire avec la mission Mars Pathfinder dont le véhicule Sojourner a effectué des analyses de roches durant l'été 97. Une seconde mission, Mars Global Surveyor, est en phase de cartographie de Mars depuis début 99. La France participe à cette mission par des contributions scientifiques et instrumentales (détermination du champ magnétique et du champ de gravité de la planète) ainsi que par la fourniture d'un relais de données. Des résultats importants ont été obtenus depuis : imagerie à haute résolution, découverte d'un champ magnétique crustal dans l'hémisphère sud, altimétrie et champ de gravité.

Ce programme prévoit ensuite les envois d'une ou deux sondes à chaque fenêtre de lancement vers Mars entre 2000 et 2007, qui visent à préparer la mission de retour d'échantillons martiens. En effet, l'échec des deux missions Mars Climate Orbiter et Mars Polar Lander lancées en 1998 a conduit à un étalement du programme avec un décalage des missions envisagées. En 2001, le lancement de l'orbiteur équipé d'un spectromètre gamma de nouvelle génération fourni par la France est confirmé.

La démarche programmatique retenue donne à la France, à travers le CNES, une position de leader européen pour l'exploration martienne, par une participation à toutes les missions qui seront lancées vers la planète rouge au-delà de 2003. Ce programme comprend 3 pôles : connaissance globale depuis l'orbite, recherches au sol, retour d'échantillons.

Les deux principaux éléments de ce programme sont une coopération avec la NASA d'une part, principalement axée sur la préparation de la première mission de retour d'échantillons martiens au début de la prochaine décennie, et une coopération avec les partenaires européens d'autre part, pour le déploiement du réseau NetLander d'atterrisseurs destinés à l'étude de la structure interne et du climat de la planète.

Une étape-clé de ce programme est la fenêtre de 2007. Pour cette occasion, le CNES entreprend le développement d'un véhicule orbiteur, prototype de celui de la future mission de retour d'échantillons. Il emportera les NetLanders comme passagers et validera l'insertion en orbite martienne par aérocapture. En phase orbitale, il servira de relais aux NetLanders pendant leur vie opérationnelle tout en effectuant un ensemble de mesures par télédétection, puis reviendra vers la Terre en rapportant un échantillon d'atmosphère de Mars. Cette mission associe un volet scientifique améliorant notre connaissance de la planète et un volet technique innovant préparant de futures missions plus ambitieuses : aérothermodynamique, navigation, propulsion (notamment propulsion électrique). Lors du même créneau de 2007, le lancement d'un lander US, prototype de celui de la mission de retour d'échantillons, permettra l'emport d'une charge utile in situ à laquelle les laboratoires français devraient contribuer de manière significative.

La perspective du retour d'échantillons martiens a joué un rôle fédérateur en mobilisant au-delà des laboratoires spatiaux de très nombreuses équipes issues des sciences de la Terre et des sciences de la vie. Un programme de préparation des laboratoires à la manipulation et à l'analyse des échantillons rapportés, incluant la définition de nouveaux outils et l'élaboration de méthodologies spécifiques sera mis en place ; en parallèle un plan de mise à niveau des équipements fera qu'ils seront à même de répondre aux futurs appels à propositions car la sélection des équipes qui auront accès aux échantillons se fera selon le seul mérite scientifique au niveau mondial.

2. Comètes : Rosetta

Les petits corps, astéroïdes et comètes, qui constituent les reliquats de la matière primitive à partir de laquelle s'est formé le système solaire, ont joué un rôle essentiel non seulement au cours de ce processus de formation mais également dans l'évolution biologique. Les premiers sont des blocs de composition et de texture variable tandis que les secondes sont des agrégats de glaces et de poussières. Les comètes sont supposées provenir d'un nuage à la périphérie du système solaire ; de temps à autre, une perturbation gravitationnelle due à l'une des planètes géantes propulse l'une d'entre elles à l'intérieur du système solaire. On pense qu'une fraction importante de la matière organique terrestre, à partir de laquelle se sont constituées les briques élémentaires de la vie, a pu être apportée par les comètes. En 1985, plusieurs sondes interplanétaires, dont la sonde européenne Giotto, ont étudié la célèbre comète de Halley lors de son plus récent passage à proximité de la Terre.

La mission européenne Rosetta (troisième pierre angulaire du programme Horizon 2000), qui sera lancée en janvier 2003, ira à la rencontre de la comète Wirtanen qu'elle accompagnera pendant une partie de son orbite afin d'étudier in situ le noyau et son activité pendant son approche du Soleil (processus à la surface du noyau et dans la chevelure, interaction avec le vent solaire). De plus, il est prévu que Rosetta largue un atterrisseur sous responsabilité allemande appelé "Rosetta Lander", qui se posera sur la surface même du noyau cométaire et y effectuera des prélèvements et des analyses in situ afin de mieux connaître la structure du matériau cométaire, sa nature et sa composition minéralogique, chimique et isotopique, notamment sa composante organique dont la composition chimique et moléculaire n'est à l'heure actuelle pas connue.

La France contribue de façon majeure à la mission par une participation importante à la charge utile scientifique (10 contributions instrumentales dont 2 sous responsabilité française) ainsi qu'une participation technique à l'atterrisseur. La rencontre avec la comète est prévue en août 2011, la mise en orbite autour de la comète aura lieu en août 2012. La mission doit prendre fin au passage au périhélie de la comète en juillet 2013.

3. Saturne & Titan: Cassini-Huygens

Une moisson fabuleuse de résultats a été apportée par les deux sondes américaines Voyager qui ont successivement visité les planètes géantes du système solaire. Très récemment, la sonde américaine Galileo en orbite autour de Jupiter a largué une sonde dans l'atmosphère épaisse de la planète. Le 15 octobre 1997, pour une mission de 4 ans, a été lancée la mission internationale Cassini-Huygens d'étude du système de Saturne et en particulier de son satellite Titan. La particularité de ce dernier, de taille comparable aux planète telluriques, est de posséder une atmosphère dont on pense qu'elle pourrait ressembler à celle de la Terre primitive. L'orbiteur américain Cassini procédera à une étude détaillée de l'atmosphère, des anneaux et de la magnétosphère de Saturne, et se livrera à une étude rapprochée de ses satellites. Il larguera notamment la sonde européenne Huygens dans l'atmosphère de Titan. Huygens analysera la composition de l'atmosphère de Titan et tentera de mettre en évidence les réactions chimiques dont elle peut être le siège, et en particulier de détecter des molécules organiques semblables à celles qui ont pu contribuer à la chimie prébiotique terrestre.

Le lancement a été réalisé par une fusée Titan IV depuis le centre spatial Kennedy et l'arrivée vers Saturne est prévue en juin 2004. La sonde Huygens, contribution majeure de l'Europe à cette mission, sera larguée dans l'atmosphère de Titan en novembre 2004. La charge utile de l'orbiteur et de la sonde est répartie globalement pour moitié entre européens et américains. Huit expériences à participation française ont ainsi été sélectionnées dont l'une, ACP (collecte et pyrolyse d'aérosols de Titan) sous responsabilité française est embarquée à bord de Huygens afin d'analyser la composition moléculaire des aérosols de l'atmosphère.

Les activités concernant Cassini-Huygens, satellite d'exploration du système de Saturne, lancé en octobre 1997, se poursuivent. L'orbiteur de Saturne Cassini développé par la NASA et la sonde Huygens développée par l'ESA atteindront la planète en 2004.

La sonde Huygens sera larguée pour pénétrer dans l'atmosphère de Titan, satellite de Saturne. Pendant les deux heures et demi de descente, la sonde effectuera des analyses de l'atmosphère à l'aide de six instruments scientifiques. Parmi ces instruments, figurent un chromatographe en phase gazeuse couplé à un spectrographe de masse, GCMS, conçu par une équipe américaine (NASA Goddard) avec une participation française importante et un collecteur et pyrolyseur d'aérosols, ACP, à responsabilité française (PI. Guy Israel, Service d'Aéronomie, verrières le Buisson).

Lors de la descente de la sonde dans l'atmosphère de Titan, l'instrument ACP réalisera le prélèvement d'aérosols de l'atmosphère, la pyrolyse et l'injection des produits de la pyrolyse dans l'instrument d'analyse GC-MS, à différentes altitudes. L'objectif est d'identifier la composition moléculaire des grains ou aérosols de l'atmosphère de Titan dont on prévoit qu'ils sont riches en composés organiques et azotés. Les deux composants majoritaires de l'atmosphère, azote et méthane, peuvent en effet donner lieu par photochimie à des composés organiques complexes, dont certains ont un grand intérêt pour la chimie prébiotique (tels que les bases azotées).

4. Jupiter : Galileo

La mission Galileo continue son étude du système de Jupiter et de ses satellites. La France est impliquée dans les instruments NIMS de spectro-imagerie infrarouge pour l'étude de l'atmosphère de Jupiter et des surfaces de ses satellites, et PWS, instrument plasma pour l'étude des ondes de la magnétosphère de Jupiter.

5. Physique des plasmas spatiaux

La physique solaire, le vent solaire et son interaction avec l'environnement terrestre ionisé et neutre ou avec celui des autres planètes du système solaire font intervenir des processus dont les caractéristiques physiques sont très semblables. Plus précisément, il s'agit de comprendre les processus physiques qui organisent l'héliosphère, en tant que système, et assurent les couplages entre ses divers éléments :

- Champ magnétique solaire, qui conduit à l'organisation spatiale de l'atmosphère solaire et de l'héliosphère. Un accent particulier est mis sur la compréhension des processus de dissipation de l'énergie magnétique, sur sa conversion sous différentes formes, sur le chauffage de la couronne, et l'échappement du vent solaire, ainsi que sur les processus d'interaction, entre ce vent de plasma et le milieu interstellaire ;

- Interaction entre le vent solaire et les différents corps du système solaire (planètes ou comètes). Cette interaction est multiforme suivant les corps considérés (planète avec ou sans champ magnétique interne) et peut se révéler très complexe comme par exemple dans le cas de Jupiter et de son satellite Io ;

- Interaction entre le vent solaire et le champ magnétique terrestre, en régime non collisionnel, décélération au niveau du choc d'étrave, transport "anormal" au niveau de la magnétopause, dynamique de la queue magnétique de la Terre. Accélération dans les régions de hautes latitudes et interaction entre le plasma accéléré, puis précipité, et les couches denses (collisionelles) de l'ionosphère et de l'atmosphère terrestre.

C'est à ce niveau que se situe le couplage avec notre environnement ; il est donc nécessaire de mesurer, pour être à même un jour de les prévoir, les conséquences de l'interaction entre les perturbations solaires (particules accélérées, vent solaire, perturbations magnétiques...) et le champ magnétique terrestre.

Cette interaction peut avoir des conséquences variables et importantes sur notre environnement; un certain nombre d'études statistiques semblent confirmer que l'activité et le cycle solaire ont une influence :

- sur les paramètres climatiques globaux de notre planète

- sur les conditions d'opération des satellites en orbite circumterrestre.

Pour mener à bien l'étude du système "global" Soleil-Terre, être capable de comprendre les processus de "mélanges d'échelles" qui s'y déroulent et évaluer leur rôle, la communauté scientifique dispose de moyens complémentaires :

- avec les données sol du radar Eiscat/Esr, celles du réseau de radars SuperDarn et du Radiohéliographe de Nançay.

- avec les données des expériences spatiales embarquées sur les missions Interball, Polar, Equator/S pour l'étude de la magnétosphère terrestre, Ulysses et Wind pour l'étude du milieu interplanétaire, Galileo et Mars Global Surveyor pour l'étude des milieux ionisés planétaires.

- avec les expériences réalisées en ballon (Interboa).

L'Agence spatiale européenne a reconstruit et lancé sur des lanceurs Soyuz fournis par Starsem, les quatre satellites Cluster détruits au cours du vol inaugural du lanceur Ariane 5 en juin 1996.

L'objectif de la mission Cluster est de réaliser la cartographie en temps réel et à mésoéchelle (quelques centaines à 10.000 km) de la turbulence du plasma dans quelques régions clés de la magnétosphère terrestre. On pourra en déduire les transferts de matière, de quantité de mouvement et d'énergie qui régissent la physique de ce système complexe.

Il faut pour cela disposer d'un ensemble homogène de mesures : mesures électromagnétiques (ondes, fluctuations magnétiques), composition du milieu (particules), densité, vitesse moyenne et pression du plasma ainsi que - et c'est essentiel - les gradients de ces quantités qui sont les moteurs du système magnétosphérique.

Pour la première fois, la mission Cluster devrait permettre la séparation des variables de temps et d'espace dans la description de ces phénomènes, à une échelle intermédiaire entre l'effet global du vent solaire et les phénomènes à petite échelle dont témoignent des effets spectaculaires comme les aurores polaires (boréales et australes). Pour cela, il faut impérativement mesurer les phénomènes sur un ensemble de points permettant de séparer les variables, à savoir au minimum 4 points disposés en configuration tétraédrique.

L'ouverture du CDPP (Centre de données de la physique des plasmas), en coopération entre le CNES et le Centre d'Etude Spatiale des Rayonnements (Toulouse), permet à la communauté scientifique de disposer d'un outil qui facilitera l'accès aux données de la discipline et assura leur préservation à long terme. La base de données contient déjà les résultats d'expériences sur Viking, Arcad 3, Wmd et Interball. L'incorporation de données nouvelles dans la base va se poursuivre à un rythme soutenu.

Dans le domaine de l'étude des magnétosphères planétaires, le CNES poursuivra l'exploitation des données des missions européennes SOHO et CLUSTER et cherchera à valoriser ces données, notamment à travers le CDPP pour CLUSTER. La priorité de la participation française à la mission BEPI COLOMBO de l'ESA sera mise sur l'orbiteur magnétosphérique. Au-delà, une participation significative à la charge utile de la mission Solar Orbiter de l'ESA est envisagée.

IV. EXOBIOLOGIE

La question des origines de la vie commence à être posée en termes scientifiques : les expériences de Miller ont démontré qu'il existait un continuum entre les molécules organiques simples (méthane) et les molécules biologiques (acides aminés) et plus récemment, la génétique et la biologie moléculaire ont considérablement progressé dans la connaissance de la structure commune des organismes vivant actuellement, de leur réalité microscopique et de leur diversité adaptée à des milieux extrêmement variés, parfois même très inhospitaliers. Les scientifiques se sentent aujourd'hui motivés à tenter de reconstituer l'histoire des origines et de l'évolution de la vie, et peut-être même de sa distribution dans l'Univers. Le programme de recherche intitulé "Exobiologie" mis en place par le CNES en 1995 compte la participation d'une quinzaine d'équipes de recherche françaises dans le domaine des Sciences de l'Univers, de la Chimie et de la Biologie. Ce programme a été complété par la création, en début d'année 1999, d'un Groupement de Recherche (GdR Exobiologie) rassemblant des laboratoires des départements scientifiques Sciences de l'Univers, Sciences de la Vie et Chimie du CNRS et visant à définir les grandes lignes d'un programme de recherche national en coopération avec le CNRS, le CNES et l'IFREMER.

La diversité du vivant que nous observons aujourd'hui est le produit d'une longue histoire qui aurait débuté quelques centaines de millions d'années après la formation du Système Solaire et de la Terre et qui serait jalonnée par différentes périodes d'évolution successives. L'exobiologie s'intéresse aux toutes premières périodes ; celles de la « chimie », de « l'information » et de la « protocellule » ( 20 ( * ) ) .

V. SCIENCES DE LA MATIÈRE ET DE LA VIE EN MICROPESANTEUR

A. SCIENCES DE LA MATIÈRE

Les recherches effectuées en Sciences de la matière dans la station MIR ont été pour l'essentiel consacrées à la physique des fluides placés au voisinage du point critique liquide-vapeur de leur diagramme de phase et ont utilisé, depuis 1992, les appareils ALICE 1 puis ALICE 2. Il s'agit de minilaboratoires équipés de diagnostics optiques et d'une régulation thermique au dix millième de degré. Ces recherches sont difficiles au sol car la compressibilité très grande des fluides critiques leur confère une grande instabilité mécanique rendant toute observation difficile voire impossible. De fait, les expériences effectuées dans la station MIR, en s'affranchissant de ces instabilités, ont été particulièrement fructueuses dans ce domaine.

Il faut en particulier signaler quelques résultats qui ont été particulièrement remarqués :

- la découverte de nouvelles cinétiques de transition de phase et leurs relations avec la morphologie,

- la découverte d'un quatrième mode de transport de chaleur dans les fluides critiques, plus rapide que tous les autres connus, l'effet ZBG d'après le nom de ses auteurs : Zappoli, Beysens et Garrabos,

- la découverte de l'existence de configurations de mouillage préférentiel d'une paroi par un gaz contrairement à ce que prévoient les théories connues,

- la mise en évidence de comportements extrêmement originaux pour lesquels la chaleur se propage du froid vers le chaud par un jeu subtil de phénomènes thermoacoustiques.

Il a été de même possible d'étudier, grâce à la suppression de la sédimentation, la transition entre la croissance dite dendritique et la croissance dite équiaxe où des particules germent en amont du front de solidification. Certaines de ces expériences n'ont été possibles que grâce à une intense coopération internationale qui a permis aux chercheurs français d'utiliser le four allemand TITUS. La communauté scientifique française a ainsi acquis une avance considérable et une communauté internationale émerge dans ce domaine nouveau de l'hydrodynamique des fluides critiques. Depuis, de nombreuses coopérations sous leadership français ont été et seront conduites.

La pertinence de ces expériences est d'avoir toujours recherché l'importance du rôle de la gravité dans le choix des phénomènes étudiés. La micropesanteur est l'ambiance de gravité apparente quasiment nulle ressentie par un observateur immobile dans un référentiel en mouvement sous les effets seuls de la gravité et de sa vitesse initiale. Le poids est alors équilibré par la force d'inertie d'entraînement et ceci supprime la pression hydrostatique, la convection et la sédimentation dans les phases fluides. La suppression de la pesanteur a donc un rôle indirect sur la matière : les modifications des conditions de transport de matière et d'énergie dans les phases fluides a ainsi un profond retentissement sur la morphologie et l'extension spatiale des interfaces entre fluides ou entre un fluide et une autre phase. Il s'ensuit que la micropesanteur a un rôle sur tous les systèmes présentant au moins une phase fluide dans laquelle sont présentes de fortes inhomogénéités de densité. Ce rôle est une condition nécessaire à la pertinence d'une expérience dans l'espace. Il faut encore que les limitations aux mesures ou à l'observation au sol, dues aux effets perturbateurs de la gravité, aient été identifiées ou, encore mieux, qu'une nouvelle phénoménologie en l'absence de pesanteur ait été pressentie et recherchée a priori. La prise en compte de ces éléments a permis de sélectionner des expériences de portée générale, imaginatives ou porteuses d'espoirs. C'est dans ces conditions et uniquement dans ces conditions que la micropesanteur devient un instrument de recherche conduisant à des résultats scientifiques de premier plan et à une recherche appliquée applicable. Les recherches effectuées dans la station MIR ont suivi en tous points ces grands principes de base. Cette pertinence est notamment très forte dans le cas de l'étude des mélanges binaires avec au moins une phase fluide. Elle est incontournable pour les fluides purs pour lesquels la différence de densité entre le gaz et le liquide est forte. Elle l'est aussi en physiologie humaine, même si les mécanismes d'action de la gravité dans l'organisme n'étaient pas connus a priori.

B. SCIENCES DE LA VIE

Le premier vol d'un spationaute français remonte à 1982. C'était à bord de la station Salyut-7. Depuis, la France a maintenu une étroite collaboration avec l'Union Soviétique puis la Russie, dans ce domaine, qui s'est matérialisée par un important programme scientifique et technologique sur la station MIR. Le premier vol d'un français sur MIR s'est déroulé en 1988, pendant la mission ARAGATZ.

En 1989, la France a signé avec l'URSS un accord-cadre sur les vols habités pour les dix années à venir. L'objectif était alors d'une part d'assurer des opportunités de vols réguliers pour les expériences françaises que commençaient à développer différents laboratoires, et d'autre part de constituer et d'entraîner un corps français de spationautes. Cet accord fut renforcé par la signature en 1992 d'un protocole entre la France et la Russie pour réaliser quatre vols de spationautes français avant l'an 2000.

Le premier vol dans le cadre de cet accord eut lieu du 27 juillet au 10 août 1992. La mission ANTARES comportait des expériences sur l'adaptation de l'homme à l'environnement spatial, sur la radiobiologie et la radioprotection et les premières expériences sur le comportement des fluides en condition de microgravité. Ces expériences furent reprises lors de la mission ALTAÏR, du 1er au 22 juillet 1993. En outre, cette mission comportait les premières expériences de mécanique structurale.

La mission CASSIOPEE, en août 1996, suivie par la mission PEGASE, du 29 janvier au 19 février 1998, furent l'occasion d'introduire de nouveaux instruments dans le protocole expérimental de ces missions sur la physiologie humaine, la physique de la matière condensée et les technologies spatiales.

Enfin, la mission PERSEUS, avec sa durée exceptionnelle (188 jours), vint clore cette série de vols de spationautes français sur MIR.

Plusieurs laboratoires français ont pu, par ailleurs, réaliser des expériences sur MIR dans le cadre des programmes de l'ESA au cours des deux missions EUROMIR, en 1995 et 1997.

Un grand nombre d'expériences couvrant un large spectre de disciplines ont été conduites pendant ces vols. Dans le domaine des sciences de la Vie, les premières années de coopération furent marquées par les travaux de médecine spatiale portant sur l'étude de l'adaptation de la fonction cardio-vasculaire à l'absence de pesanteur et basée sur l'exploration hémodynamique centrale et périphérique en utilisant des méthodes non invasives basées sur les ultrasons, le Doppler pour les vitesses et débits et l'échographie pour les volumes.

C'est ainsi que de nouveaux mécanismes impliqués dans la régulation de la pression artérielle furent décrits pour la première fois chez l'homme, notamment sur le rôle fonctionnel du système veineux des membres inférieurs dans la dysrégulation de la pression artérielle via les muscles posturaux et la régulation neurovégétative. Ce modèle est aujourd'hui considéré comme un modèle de dysautonomie identique à ce que l'on observe chez les personnes âgées lors du processus de vieillissement normal.

Les travaux concernant l'influence de la microgravité sur le système nerveux central permirent aux équipes russes et françaises de mettre en évidence et de décrire un certain nombre de mécanismes originaux impliqués dans les phénomènes de plasticité du système nerveux :

- les relations entre le système vestibulaire, la vision et les muscles (proprioception), et surtout le rôle essentiel du système visuel par rapport aux autres capteurs neurosensoriels dans le maintien de la posture conduisant à la notion de hiérarchisation des systèmes neurosensoriels,

- le rôle de la gravité dans le contrôle des mouvements oculaires, via les connexions corticales,

- l'existence d'une dissociation entre le contrôle de l'orientation du corps et celui de la position du centre de masse,

- l'existence dans le système nerveux central de modèles internes de l'effet de la gravité sur les objets et les membres,

- le rôle de la pesanteur dans les processus de mémorisation des formes complexes,

- et enfin le rôle important des commandes motrices permettant une anticipation motrice pour le contrôle du mouvement.

L'analyse systématique, en pré et post-vol, des os porteurs et non porteurs des cosmonautes russes ayant séjourné à bord de Mir pour des périodes supérieures ou égales à 6 mois, a permis de mettre en évidence l'existence d'une perte de densité osseuse, significative au niveau des os porteurs. Cette perte osseuse varie de 1% à 10 % et ceci malgré l'importance des mesures prophylactiques (exercices quotidiens, complexes vitaminiques). Enfin, le délai de récupération de cette perte osseuse après le retour sur terre est très supérieur à la durée du vol.

Ces résultats, confrontés à ceux obtenus soit au sol en simulation, soit en vol, chez le rat ou encore sur des cultures cellulaires au cours de missions automatiques, mettent en évidence le rôle important de l'absence de contrainte mécanique dans le phénomène d'ostéoporose spatiale. Des travaux sont en cours au sol et d'autres sont prévus en vol dans les mois à venir afin d'étudier les mécanismes d'adhérence cellulaire, le rôle des canaux ioniques et de démontrer la possibilité de l'existence de récepteurs spécifiques de gravité au niveau des cellules ostéoblastiques.

L'environnement radiatif d'une station orbitale ou d'un vaisseau spatial habité mérite que l'on attache une attention particulière à l'évaluation quantitative et qualitative des rayonnements reçus par les cosmonautes. C'est pourquoi dès 1988, le CNES, l'IPSN et le CEA ont proposé à l'Institut des problèmes médico-biologiques de Moscou de collaborer sur la mise au point de systèmes de radiodosimétrie physique et biologique. C'est ainsi que deux approches successives, Circe et Nausicaa, ont permis de caractériser l'environnement radiatif de la station Mir pendant plusieurs années. Grâce à un compteur proportionnel équivalent au tissu biologique, différents paramètres radiatifs ont pu être étudiés : l'équivalent de dose ambiante, la dose absorbée, le facteur de qualité moyen du rayonnement, la fréquence d'événements et le transfert linéique d'énergie. Ces mesures ont mis en évidence l'influence des variations spatiales et temporelles du champ magnétique, et notamment l'effet des éruptions solaires.

Sur le plan radiobiologique, une augmentation significative du taux des cellules remaniées et d'aberrations chromosomiques dans les lymphocytes des cosmonautes ont été mises en évidence.

Dans le domaine de la biologie du développement, de 1996 à 1999, un certain nombre de travaux originaux ont été réalisés. Il s'agit de l'expérience FERTILE, réalisée à l'occasion des missions Cassiopée en 1996 et PEGASE en 1998, complétée par l'expérience Génésis réalisée à l'occasion de la mission Perséus  en 1999. Ces expériences utilisaient comme modèle expérimental le Pleurodèle. FERTILE a permis d'observer la fécondation et les premières divisions d'un oeuf de vertébré dans l'espace. Ces expériences ont montré que les premières divisions étaient moins bien coordonnées en micropesanteur et que la cohésion des blastomères était altérée. La microscopie électronique a mis en évidence une altération des microvillosités qui recouvrent les cellules et qui assurent leur cohésion. L'expérience a également montré que toutes ces altérations se sont corrigées dans le temps. Par ailleurs, le taux de développement en microgravité apparaît identique à celui observé au sol. Il n'a pas été noté d'anomalie anatomique ou fonctionnelle et les reproductions successives ont été normales

Ces missions successives ont bien sûr constitué avant tout de remarquables occasions de vol et d'entraînement spécialisé des équipages de spationautes français et des équipes du CNES dans la préparation et le suivi des opérations en vol. Au-delà, ces vols sur MIR et les expériences scientifiques qui s'y sont déroulées ont permis la cristallisation d'une communauté scientifique spécialisée et la création des infrastructures de soutien nécessaires. Le CADMOS a été créé à Toulouse pour fournir un support technique et opérationnel aux scientifiques dans la préparation et le suivi de leurs expériences en vol. Le MEDES, Institut de médecine et de physiologie spatiale, a joué un rôle analogue dans le domaine de la recherche médicale et biologique. Le CNES enfin a su développer les compétences nécessaires pour adapter les expériences de laboratoire à l'environnement particulier de l'espace et développer les interfaces nécessaires avec nos collègues russes. C'est grâce à cet acquis que le CNES a pu s'engager aussi rapidement dans la réalisation de la mission ANDROMEDE en coopération avec la Russie sur le segment russe de la Station Spatiale Internationale.

Sur le plan scientifique, plus d'une centaine d'équipes de recherche venant de laboratoires universitaires et des établissements publics de recherche (CNRS, CEA, INSERM, INRA), dont les effectifs ont triplé au cours de ces dix ans, ont participé à ce programme. Les résultats sont très satisfaisants. La communauté française a obtenu des résultats de premier plan consignés dans des revues internationales (American Journal of Physiology, Brain Research Reviews, The Lancet,...), et couronnés par deux grand prix de l'Académie des Sciences en 1997 et en 2000.

C. LA RECHERCHE A BORD DE LA STATION SPATIALE INTERNATIONALE

Le programme scientifique d'étude et d'exploitation des conditions de micropesanteur s'inscrit dans le cadre du programme d'utilisation de la Station Spatiale Internationale. Avec le lancement, fin 2000, du premier équipage permanent de la Station Spatiale Internationale (ISS) et l'assemblage, début 2001, du laboratoire américain Destiny, un pas a été franchi dans la consolidation de ce programme, après bien des difficultés et des retards. Le CNES et la communauté scientifique devront tirer le meilleur parti de ce laboratoire en orbite dont la durée de vie prévue va jusqu'en 2015. La participation de l'Europe à l'utilisation de la Station est consacrée de façon prioritaire au développement de grands laboratoires qui équiperont le module de recherche européen Columbus, dont la date de lancement prévue est octobre 2004. Il s'agit du laboratoire de biologie Biolab, du laboratoire de physiologie EPM, du laboratoire de sciences des matériaux MSL et du laboratoire de sciences des fluides MSL.

Le CNES s'attachera, dans le futur programme européen des sciences de la vie et de la matière, à développer leur utilisation. La possibilité de réaliser des missions habitées sur le segment russe de la Station permettra d'augmenter de façon significative, surtout dans les premières étapes du programme, les opportunités de vol des astronautes européens. Les expériences suborbitales, et en particulier les vols paraboliques, aident à préparer les expériences qui seront embarquées sur la Station grâce à l'Airbus A300 0g qui accomplit chaque année 6 campagnes, dont 2 pour le compte du CNES.

Il conviendra avant tout d'utiliser avec pertinence la microgravité dans la Station spatiale internationale. La micropesanteur fournit des conditions expérimentales originales, non reproductibles au sol, pour des études fondamentales ou appliquées en physique, chimie et biologie, dans des conditions de transport de la chaleur et de la matière bien contrôlées. C'est particulièrement vrai en physique des fluides et les travaux sur le transport dans les fluides supercritiques ont donné des résultats remarqués.

La maturité scientifique et opérationnelle acquise grâce aux missions sur MIR, permet d'aborder, avec efficacité, l'étape nouvelle que représente l'ISS, laboratoire orbital utilisable de façon permanente. La France participe à l'utilisation de la Station Spatiale Internationale essentiellement à travers l'ESA, en étant le deuxième contributeur européen à la participation européenne dans l'ISS. Pour autant, la France conserve la possibilité de coopération bilatérale avec d'autres partenaires.

En sciences de la Vie, les perspectives sont de deux ordres : la médecine spatiale d'une part, et la recherche appliquée autour de la génomique et des biotechnologies d'autre part.

Dans le domaine des sciences de la Vie, on poursuivra le programme de suivi médical des cosmonautes russes (CARDIOMED), ainsi que les mesures pré et post-vol lors de vols de courte et longue durée en collaboration avec les instituts russes. On poursuivra par ailleurs le développement du projet franco-allemand CARDIOLAB, destiné à la recherche cardiovasculaire qui équipera en 2004 le module de physiologie EPM à bord du laboratoire européen COLUMBUS de la Station Spatiale et la phase préparatoire du projet SENS destiné à la recherche neurosensorielle. Ces activités seront complétées par des simulations au sol en décubitus de courte et longue durée et par l'utilisation du modèle animal (rongeur).

Ces travaux ont des applications évidentes pour le suivi de la santé des équipages des missions spatiales habitées. En vue des futures missions interplanétaires, on entreprendra un programme préparatoire sur les conséquences physiologiques et psychologiques de l'isolement et du confinement, ainsi que sur les effets cumulatifs des rayonnements.

Dans le domaine de la biologie des réflexions sont engagées sur deux thèmes. Le premier est l'étude des effets de l'environnement spatial sur l'expression des gènes à travers plusieurs générations successives : on prévoit en particulier de participer, avec l'ESA et l'ASI, à un programme sur le développement des petits rongeurs à bord de la Station spatiale. Le modèle expérimental a été choisi pour trois raisons : c'est un mammifère, son patrimoine génétique est bien connu et l'on peut obtenir rapidement un nombre important de générations. L'objectif est de comprendre notamment le rôle structurant de la pesanteur dans la mise en place des fonctions cognitives et sensorimotrices. En effet, le développement des systèmes nerveux et musculaire, sur le plan phénotypique pour ce dernier, repose sur l'interaction permanente de mécanismes génétiquement programmés et d'une expérience précoce et progressive de l'environnement, et particulièrement de la pesanteur.

Des réflexions sont également amorcées dans les domaines de la génomique et de la protéomique dans la perspective des futures missions spatiales automatiques et d'étude in situ de corps éloignés du système solaire. Il s'agit d'une part de la mise au point de capteurs biologiques, protéines spécifiques ou ADN, pour la mesure d'éléments environnementaux et, d'autre part, d'éléments appelés « puces biologiques » qui, à long terme, pourraient se substituer aux composants électroniques utilisés aujourd'hui dans les missions spatiales de longue durée.

La Station spatiale internationale permettra aussi de développer un programme de recherche en sciences de la Matière. Il ne s'agit pas là d'envisager une quelconque activité de production, économiquement non rentable dans les conditions opératoires de l'ISS, mais d'expérimentations permettant d'atteindre des précisions inaccessibles au sol dans la mesure de grandeurs physiques, et notamment des coefficients de transport (diffusion, thermodiffusion,...), pour des matériaux d'intérêt industriel : impuretés ou dopants dans les semiconducteurs liquides, alliages métalliques complexes, etc. Ces mesures permettront d'améliorer les outils de modélisation des procédés de fabrication au sol, notamment en métallurgie et en cristallogénèse. Les conditions de microgravité devraient également permettre des progrès majeurs dans la compréhension du comportement dynamique des poudres et dans l'étude des mousses.

Ainsi, le projet DECLIC, récemment décidé par le CNES, est dédié à l'étude des fluides critiques à haute température et haute pression. L'instrument DECLIC (Dispositif pour l'Etude de la Croissance et des Liquides Critiques) est la poursuite de Alice II sur MIR. Il s'agit d'un minilaboratoire intégré comportant des diagnostics optiques et thermodynamiques ainsi que des thermostats haute pression et haute température. Il sera installé dans le module américain Destiny en 2004. Ces études tiendront une place de premier plan dans le génie des procédés de demain avec la combustion dans l'eau, la destruction des déchets à basse température, l'élaboration de poudres ou de céramiques ou encore la dépollution des sols.

La micropesanteur jouera aussi son rôle d'outil incontournable d'exploration d'une physique nouvelle qui est subie par les technologies spatiales, comme les moteurs réallumables en orbite ou les échangeurs thermiques diphasiques. L'approfondissement de cette physique, en relation étroite avec les besoins des techniques spatiales de base, constitue l'application industrielle la plus évidente et immédiate des recherches en micropesanteur. D'autres thèmes donnent lieu à des travaux préparatoires prometteurs : milieux aléatoires instables en pesanteur normale (mousses, gels, milieux granulaires), fluides cryogéniques, combustion.

Des recherches plus appliquées porteront aussi sur la mesure avec une précision non accessible au sol de propriétés thermophysiques (coefficients de transport croisés) afin d'améliorer les outils de modélisation des procédés d'élaboration au sol. Toutes ces réflexions et les travaux préparatoires qui les accompagnent vont se poursuivre. Comme pour les expériences déjà sélectionnées, tels DECLIC et PHARAO, toutes les expériences nouvelles devront être soumises au crible de la pertinence scientifique en microgravité. C'est à cette condition que ces expériences pourront se développer dans la continuité et que nous pourrons avoir confiance dans l'excellence scientifique des recherches menées sur la Station spatiale internationale. En particulier, les modèles prédictifs élaborés au sol, qu'il s'agisse de modèles numériques ou de lois d'échelles, permettent désormais de prédire à quel niveau de microgravité résiduelle doivent être réalisées les expériences dans l'espace. On peut ainsi déterminer a priori, pour l'étude d'un phénomène physique donné, si les conditions d'une station (~10-4g) permettent d'atteindre les objectifs fixés ou si un vol autonome (~10-6 g) s'avère nécessaire.

VI. PHYSIQUE FONDAMENTALE

Dans l'Univers, la matière s'est progressivement organisée en une hiérarchie de structures emboîtées les unes dans les autres sur plus de quarante ordres de grandeur, du domaine de "l'infiniment petit" à celui de "l'infiniment grand", depuis les particules élémentaires jusqu'aux amas et super amas de galaxies. Ces structures sont régies par des interactions qui sont les forces à l'origine de leur formation, de leur cohésion ou les forces qui les relient à d'autres structures (de même niveau ou de niveau inférieur ou supérieur).

A notre échelle, celle de la Terre, un très grand nombre d'interactions se manifestent pour organiser des structures complexes (en particulier, celles qui caractérisent le vivant).

Aux échelles extrêmes, infiniment petites ou infiniment grandes, on peut espérer en revanche une certaine simplification au niveau des interactions, car les structures ne participent alors qu'à un petit nombre d'interactions différentes qui sont qualifiées de fondamentales :

- le comportement de l'infiniment petit est gouverné par trois interactions fondamentales qui sont les interactions électromagnétique, nucléaire forte et nucléaire faible ;

- celui de l'Univers à très grande échelle est gouverné par une seule interaction, la gravitation.

La gravitation, faible à notre échelle ou aux échelles pouvant être explorées expérimentalement (dans les grands accélérateurs de particules), redevient importante voire dominante lorsque l'on remonte aux sources de l'Univers quand celui-ci était le siège des interactions fondamentales auxquelles participaient ses constituants, les particules élémentaires. La cosmologie nous donne une représentation de l'Univers en évolution depuis la phase primordiale où toutes les interactions et particules étaient unifiées jusqu'à l'état actuel, en passant par toute une série de transitions de phases pour différentes énergies décroissantes, où la température diminue, les interactions se différencient, les symétries se brisent, les structures se forment et de nouveaux états de la matière émergent progressivement.

Cette unification des quatre interactions fondamentales devient l'enjeu déterminant de la physique actuelle. La Physique relativiste et la Physique quantique fournissent le cadre de la physique contemporaine dans lequel les relations entre la matière, l'espace et le temps ont été repensées de façon radicale. Les trois interactions fondamentales, électromagnétique, nucléaire faible et nucléaire forte, sont décrites de façon quantitative et prédictive par le Modèle Standard de la physique des particules qui est un modèle quantique. La gravitation, elle, est décrite par la Relativité générale (ou d'autres théories relativistes) qui est un modèle classique, continu. La théorie de la Relativité générale est basée sur la généralisation du principe de relativité aux mouvements accélérés quelconques et sur le principe d'équivalence entre la masse pesante et la masse inerte (équivalence entre un champ de gravitation homogène et un mouvement uniformément accéléré).

Les physiciens ne peuvent cependant se satisfaire de deux théories fondamentalement distinctes, Physique quantique et Relativité générale, bien que chacune soit en accord avec toute la physique connue dans son domaine respectif. Ils cherchent à élaborer des théories d'unification pour parvenir à quantifier le champ gravitationnel. Deux voies sont possibles, soit en partant d'une théorie classique relativiste des champs et en la quantifiant, soit en partant de la mécanique quantique, gouvernée par l'équation de Schrödinger, et en la rendant relativiste. Ces théories prédisent l'existence de nouvelles particules et de nouvelles interactions ou de nouvelles symétries.

Cette frontière entre les domaines traditionnellement réservés à la Physique quantique et à la Relativité générale est l'objet de recherches fascinantes. Récemment (dans les années 1980 avec les expériences dites de "cinquième force"), de nouvelles explorations expérimentales ont cherché à mettre en évidence des forces très faibles, prédites par des extensions du modèle standard (théorie des supercordes en particulier), qui agiraient à basse énergie sur des échelles macroscopiques avec une signature observable. La clé de cette recherche réside dans l'étude très précise de la loi de la gravitation, car ces nouvelles forces devraient modifier la loi de Newton macroscopiquement, en superposant au potentiel newtonien un potentiel d'interaction de portée finie ou par une violation du principe d'équivalence sous sa forme d'une non universalité de la chute libre des corps.

L'environnement spatial, en l'absence des perturbations liées au bruit sismique terrestre, constitue le domaine de prédilection pour des expériences ultra précises sur la gravitation et convient idéalement pour la recherche d'interactions nouvelles pouvant se manifester à basse énergie. Deux grandes thématiques peuvent être distinguées pour l'expérimentation spatiale en Physique fondamentale :

- une thématique classique (par opposition à quantique) où le spatial a déjà joué un grand rôle et qui comprend en particulier les mesures d'effets relativistes dans le système solaire (projet d'horloges atomiques Aces) et l'observation du rayonnement gravitationnel (projet Lisa),

- une thématique quantique, plus récente et plus spéculative, qui n'a encore donné lieu à aucune expérience spatiale et qui regroupe les recherches d'interactions nouvelles à l'échelle macroscopique (projet Microscope et projet Step) ainsi que l'étude du rayonnement cosmique (projet Ams).

L'Espace constitue un laboratoire privilégié pour étudier l'unification des interactions fondamentales et la place particulière de la gravitation parmi celles-ci. Les théories visant à unifier la gravitation avec les autres interactions prédisent l'existence de nouvelles particules associées à de nouvelles interactions. Cela aurait des conséquences observables : par exemple, la violation apparente du principe d'équivalence entre masse inerte et masse gravitationnelle, hypothèse de base de la Relativité générale, ce qui traduirait un champ de forces se superposant à la gravitation à certaines échelles de distance mais ne se couplant pas simplement à la masse ; ou encore des valeurs des paramètres post-newtoniens différentes de celles prévues par la Relativité générale et traduisant l'existence d'une composante scalaire de la gravitation.

On trouvera en annexe ( 21 ( * ) ) une description des projets à l'étude ou en cours de réalisation dans ce nouveau domaine qui semble promis à ouvrir une nouvelle dimension - et une dimension majeure - de la recherche scientifique spatiale . Ces projets couvrent quatre thèmes :

a) Le principe d'équivalence

b) Les effets relativistes

c) Les ondes gravitationnelles

d) Les astro-particules

TROISIÈME PARTIE : LES SERVICES SPATIAUX

I. LES TÉLÉCOMMUNICATIONS : L'ESPACE COMME UN SERVICE DE SUBSTITUTION

Les télécommunications constituent un secteur clé de l'économie et de la société. Les télécommunications spatiales sont le domaine le plus important, quantitativement du moins, des services spatiaux.

Les retombées économiques, en matière d'emploi et sur la société en général de ce secteur sont considérables dès aujourd'hui et vont s'amplifier encore avec le développement de nombreux services et de nouvelles applications destinées aussi bien au monde professionnel qu'au grand public représentant des marchés de masse.

Dans le contexte de la déréglementation des télécommunications et dans la perspective de la mondialisation des échanges d'information, la maîtrise de ce que les Américains appellent le GII (Global Information Infrastructure), c'est-à-dire les « autoroutes de l'information » est indispensable pour les nations et groupes de nation qui souhaitent échapper à l'information dominante .

Cette maîtrise passe par le recours aux moyens spatiaux car les satellites sont appelés à jouer un rôle significatif dans la société de l'information. C'est déjà le cas en matière de diffusion de télévision où les satellites géostationnaires de télévision directe sont en passe de supplanter tous les autres moyens sol de diffusion de programmes (réseaux hertziens et réseaux câblés).

Ce sera également le cas pour les applications multimedia. Il convient d'analyser l'évolution du secteur des télécommunications spatiales afin de connaître le rôle qu'elles joueront par rapport aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, et d'explorer toutes les possibilités qu'elles offrent.

A. LES REVERS DES CONSTELLATIONS

L'échec de certains projets de constellations montre que dans le domaine des télécommunications, le spatial entre systématiquement en compétition avec les solutions terrestres.

L'explosion des besoins en outils de télécommunications liées au développement de la téléphonie mobile et des nouvelles technologies de l'information et de la communication, combinée avec certains inconvénients des transmissions par satellites géostationnaires (un « bond » Terre-satellite-Terre prend environ 300 millisecondes, temps incompressible car lié à la vitesse de la lumière) a conduit, au début des années 1990 à imaginer des constellations de satellites : ceux-ci étant plus proches du sol (1.469 km pour Skybridge par exemple), le « bond » Terre-satellite-Terre ne prend que 30 à 50 millisecondes. Par ailleurs, la puissance nécessaire à l'établissement de la communication est moins élevée que lorsque le satellite se situe à 36.000 km et il est possible d'établir une liaison entre un téléphone portable et un satellite, sans avoir recours à des équipements relativement lourds. Cependant, du fait de leur proximité avec la Terre, ces satellites n'arrosent qu'une zone limitée et doivent donc être lancés en constellations pour couvrir de larges zones.

Cette idée était séduisante et les projets de constellations de satelliites en orbite basse étaient nombreux. Les grosses constellations (Big LEO - Low earth orbite ) visaient le marché de la téléphonie mobile tandis que les petites (Little LEO) étaient plutôt dédiées à la localisation et à la messagerie. Une seconde génération, « Internet in the sky » devait permettre des applications multimédias. Mais ces promesses n'ont pas été tenues.

La première génération a échoué. Le premier échec retentissant a été celui d'Iridium, lancée par le groupe Motorola dont les satellites viennent d'être rachetés par Boeing pour le compte du Département de la Défense à un prix extrêmement bas. Puis la compagnie ICO Global Communications a déposé son bilan avant même d'avoir lancé son premier satellite (les satellites sont actuellement en cours de modification pour pouvoir faire de la transmission de données en plus de la téléphonie mobile).

La constellation Globalstar, dont les concepteurs ont eu l'intelligence de ne pas chercher à court-circuiter les opérateurs classiques de télécommunications -contrairement au concept développé pour Iridium- est néanmoins menacée après avoir enregistré en 2000 une perte nette de 3,8 milliards de dollars (environ 27 milliards de francs).

Le coût des constellations Iridium, ICO ou Globalstar est de 20 à 30 milliards de francs. Celui des constellations telles que Skybridge ou Teledesic est estimé à près de 50 milliards de francs. L'avenir de ces dernières est aujourd'hui incertain.

Etat des constellations de satellites

Nom

Nbre de satellites

Opérateur

Constructeur

Valeur

Situation

Grosses constellations « BIG LEO »

Iridium

93

Motorola

Lockheed Martin

~6 Md$

Racheté (Boeing)

Globalstar

52

Loral

SS/Loral

~4 Md$

Problème financier *

ICO

12

Craig McCaw

Huthes/Boeing

~4,5 Md$

Fusion avec Teledesic

Odyssey

12

TRW/Teleglobe

TRW

~2,5 Md$

Abandonné

Ellipso

17

MCH Inc

Boeing

~1,5 Md$

Remplacé par Virgo

Virgo

15

Virtual Geosatellite

?

?

Projet

ECCO

12

CCI

Orbital Sciences

?

Problème financier

Skybridge

80

Alcatel

Alcatel

~4,8 Md$

Projet pour 2002

Teledesic

288

Craig McCaw

Boeing

~9 Md$

Fusion avec ICO **

Petites constellations « LITTLE LEO »

Orbcomm

26

OSC/teleglobe

Orbital Sciences

160 M$

Faillite

E-Sat

6

DBSI/Echostar

SSTL/Alcatel

?

Déploiement en 2001

Faisat

26

Final Analysis

Poliot (Russie)

?

Retardé en 2003

Leo One

48

Leo One Inc.

Astrium GmbH

400 M$

Problème financier

Starsys

24

GE Americom

Matra/Alcatel

150-190 M$

Abandonné

Gonetz

45

Smalisat

NPO PM

?

Problème financier

Signal

48

KOSS

NPO Energya

?

Abandonné

* 2,9 Md $ de dettes

** En mars 2001, ICO et Teledesic ont retiré leur demande de fusion déposée en septembre 2000 auprès de l'administration américaine

Source : AIR & COSMOS - n° 1770 - 10 novembre 2000

Un premier niveau d'explication des échecs des constellations se situe dans les problèmes de technologie et de marketing . Pour Iridium, par exemple, la complexité des satellites (processseur embarqué et liaisons intersatellites) a porté préjudice à la qualité du système.

De plus, le coût élevé du combiné (prix de 3.000 $) et des communications (7 $ la minute) n'a pas été correctement pris en compte dans l'étude de marché qui visait un million d'abonnés alors que le nombre de clients potentiels (très fortunés et vivant dans des endroits non desservis par des téléphones mobiles...) était bien inférieur. Enfin, l'insuffisance des tests fonctionnels du réseau, le manque de préparation technique et commerciale des opérateurs et des fournisseurs de services, la quasi-inexistence de l'assistance à la clientèle étaient des handicaps trop lourds.

A un second niveau d'explication, on doit prendre en compte la concurrence des systèmes terrestres , combinée au principal défaut de la solution spatiale : le délai de mise en oeuvre . Pour Iridium, treize ans se sont écoulés entre la conception du système et son ouverture au public. Le problème a été de même nature pour ICO. Ces constellations de première génération offraient des débits peu élevés, adaptés uniquement à la téléphonie. Mais durant la longue période nécessaire à leur mise en oeuvre, les téléphones mobiles cellulaires ont connu un succès fulgurant ; les émetteurs installés au sol ont vite couvert l'ensemble du monde développé. La concurrence des systèmes terrestres a été d'autant plus redoutable que les progrès des techniques électroniques ont permis de diminuer de façon spectaculaire le coût des câbles en fibre optique.

Quant à Skybridge et Teledesic, dont la conception est très différente des constellations de première génération (elle est conçue pour transporter en priorité des images ou des données plutôt que de la voix), elles risquent de rencontrer un problème de concurrence du même type. Lorsqu'elles seront en place, vers 2002-2003, des solutions techniques « terrestres » telles que l'ADSL ( 22 ( * ) ) sur les réseaux fixes ou l'UMTS ( 23 ( * ) ) sur les réseaux mobiles, auront peut-être rendu obsolètes les services offerts par les satellites.

« Après l'échec de la première génération de satellites LEO pour la fourniture de services de téléphonie et de données à des mobiles, le scénario de référence retenu est une pause , une sorte d'impasse sur la deuxième génération avant la définition de nouveaux projets de troisième génération beaucoup plus performants , dont la mise en place pourrait intervenir en fin de décennie » ( 24 ( * ) ).

B. L'AVENIR DES SATELLITES GÉOSTATIONNAIRES

Les satellites géostationnaires sont appelés à jouer un rôle essentiel dans le marché des télécommunications qui est en pleine croissance.

Un marché en pleine croissance

Utilisateurs : doublent tous les 18 mois

Trafic : double tous les 12 mois

100 ans pour atteindre 1.000 millions d'usagers de téléphonie fixe

30 ans pour atteindre 500 millions d'usagers de téléphonie mobile

20 ans pour atteindre 500 millions d'internautes

millions d'utilisateurs

Source : Alcatel Space - février 2001

La demande de moyens de télécommunications sera largement satisfaite par les moyens terrestres mais également par les satellites ainsi que l'indiquent les projections d'Euroconsult, qui mettent également en lumière la part croissante de moyens consacrés à Internet.

Demande mondiale de répéteurs

Répartition 1999, projection 2009

1999 : total de 5 981 répéteurs dont 4 639 actifs + 1 342 en réserve

2009 : total de 9 762 répéteurs dont 7 510 actifs + 2 252 en réserve

Source : Euroconsult 02/2001 - Prévision à mi-2000

Compte tenu des problèmes rencontrés par les constellations de satellites, et compte tenu de leur puissante capacité de diffusion d'information sur de larges zones, ce sont les satellites géostationnaires qui pourront, non pas concurrencer, mais compléter les services offerts par les infrastructures terrestres, et surtout, servir d'outils de pénétration sur de nouveaux marchés et de nouveaux territoires. A cet égard, ce serait une erreur tactique majeure de mesurer leur importance au seul pourcentage de flux d'information transmis et de négliger leur capacité d'opérer à l'avant-garde du marché des solutions terriennes.

Il est essentiel d'analyser, en fonction des caractéristiques des satellites geostationnaires, les « niches » du marché des télécommunications où ils pourront se positionner. Ces caractéristiques sont notamment la possibilité de couvrir des zones assez larges et celle d'envoyer d'un « point » dans l'espace à de multiples « points » sur terre, des masses de données à haut débit.

Les satellites géostationnaires peuvent offrir de nombreux services pour répondre aux besoins classiques et émergents des télécommunications.

De nouveaux services de communications par satellite

émergent en permanence

Autres ?

Services multimédia inter-actifs directs à l'abonné

Téléphonie rurale à base de réseaux VSAT

Radio numérique directe à l'abonné (DAB)

Téléphonie mobile personnelle mondiale

Téléphonie mobile personnelle mondiale

Réseaux privés VSAT sous protocole Internet (IP)

Réseaux privés VSAT sous protocole Internet (IP)

Echanges de trafic Internet entre professionnels

Echanges de trafic Internet entre professionnels

TV et radio analogique et numérique directe à l'abonné

TV et radio analogique et numérique directe à l'abonné

Communications à partir d'antennes mobiles (transp.)

Communications à partir d'antennes mobiles (transp.)

Communications à partir d'antennes mobiles (transp.)

Alimentation des têtes de réseaux câblés/ hertziens de TV

Alimentation des têtes de réseaux câblés/ hertziens de TV

Alimentation des têtes de réseaux câblés/ hertziens de TV

Echanges de programmes TV entre professionnels

Echanges de programmes TV entre professionnels

Echanges de programmes TV entre professionnels

Echanges de programmes TV entre professionnels

Commutation de trafic voix/données entre centraux

Commutation de trafic voix/données entre centraux

Commutation de trafic voix/données entre centraux

Commutation de trafic voix/données entre centraux

années 1970

1980-1990

1990-2000

2000-2010

Source : Euroconsult 02/2001

1. La téléphonie

Dans le secteur de la téléphonie , il convient de distinguer les services fixes des services mobiles.

Si le marché de la téléphonie fixe entre les continents et à l'intérieur des continents constitue le principal marché d'origine du satellite, c'est aussi celui qui est le plus affecté par la concurrence du câble à fibre optique ; les capacités transocéaniques de téléphonie par câbles ont été multipliées par plus de 200 au cours des cinq dernières années ; de plus, ces câbles permettent maintenant, outre les liaisons transatlantiques et transpacifiques, d'établir des liaisons avec l'Amérique latine, l'Inde, l'Océanie et, à terme, avec l'Afrique ou le Moyen-Orient, alors que ces régions dépendaient traditionnellement du satellite.

Le satellite reste essentiel pour les liaisons avec et entre les pays en développement, particulièrement quand les territoires sont vastes et les populations dispersées. Mais globalement, la téléphonie fixe n'est pas un marché d'avenir pour le satellite.

La téléphonie mobile , ainsi qu'on l'a vu avec l'échec des constellations, a été la grande désillusion du secteur des télécommunications spatiales. Pour l'avenir, on estime que, si le nombre d'utilisateurs de services de télécommunications mobiles par satellites a fortement progressé ces dernières années, le marché reste un marché professionnel haut de gamme recourant aux services de satellites géostationnaires : il s'agit de grands utilisateurs professionnels situés dans des secteurs non desservis par les réseaux terrestres (bateaux, avions, sites isolés) ayant recours au système Inmarsat.

Là non plus, on ne peut attendre un développement significatif de marché pour les satellites dans les années à venir.

2. La télédiffusion et les applications multimédias

Pour les services de télédiffusion par satellites, le satellite est infiniment plus compétitif que les réseaux terrestres puisque d'un seul point, des centaines de programmes télévisés peuvent être diffusés vers des centaines de millions d'individus. L'utilisation de satellites géostationnaires associée à la technique de compression numérique a permis, au cours des quinze dernières années, de diviser par 1.000 le coût de diffusion d'une chaîne de télévision entre un studio d'enregistrement et un téléspectateur.

Il est prévu que les services de télédiffusion par satellite continuent à s'étendre tant pour des chaînes de programmes TV que pour de nouveaux services, représentant environ 13.500 chaînes à l'horizon 2009 ( 25 ( * ) ).

Par ailleurs, les satellites géostationnaires offriront bientôt de nouveaux services de radiodiffusion sonore numérique , combinant des canaux « radio » haute qualité et une diffusion d'information de toute nature, sous forme de données ou d'images fixes ou lentement animées.

Les applications Internet sont appelées à se développer avec une telle vitesse que l'ensemble des réseaux disponibles sera nécessaire pour l'acheminement des flux de données : d'après les estimations de l'IDATE (Institut de l'Audiovisuel et des Télécommunications en Europe), le nombre d'internautes va passer de 206 millions au 1 er janvier 2000 à 383 millions en 2002, soit une progression de 85 % en deux ans... Dans ce secteur multimédia, les satellites peuvent occuper une place non négligeable en proposant des services à taux d'interactivité variables.

- Les satellites permettent d'acheminer des données du réseau Internet. D'une part, les liaisons dites « dorsales » Internet passent par des répéteurs de satellites dédiés à cette fonction. D'autre part, les satellites permettent d'établir des liaisons dites point-multipoint pour transmettre du contenu Internet des réseaux terrestres de rediffusion comparables au trafic d'acheminement des chaînes de TV vers les têtes. La technique dite « push » permet, par exemple, de transmettre sur demande ou automatiquement des informations spécialement sélectionnées en fonction de leur profil et qui sont stockées en « mémoire cache » et disponible sans délai dès qu'un utilisateur le souhaite. Un progiciel « SIMPLE » (Satellite Interactive Multimedia Platform for Low-cost Earth Stations) permettant d'optimiser cette technique est actuellement mis au point par l'ESA ( 26 ( * ) ).

Le développement de la « mémoire cache » et du multicast (multidiffusion de fichiers de données ou de vidéo) ; correspond bien aux souhaits de nombreux internautes qui ont besoin d'acquérir des informations volumineuses plutôt que d'en exporter ; elle permettrait aux satellites de fournir un service qui n'offre pas les systèmes de télécommunications terrestres. En fait, les satellites ont un avantage par rapport aux système sol dès qu'il s'agit d'une liaison point à multipoint, c'est-à-dire d'un service proche de la télédiffusion, un nombre élevé de points dispersés recevant le même contenu.

- Les satellites peuvent aussi offrir à l'usager final un accès direct à Internet. C'est une application nouvelle qui peut se développer dans deux directions.

Il peut s'agir d'un accès à Internet via un terminal de type TVRO (Television Reception Only). Les services offerts sont légèrement interactifs grâce à une liaison retour à faible débit via les réseaux sol de téléphone. Ils se développent sous le protocole Internet associé au protocole de diffusion vidéo (DVB) et connaissent une croissance rapide.

L'autre voie est celle d'une interactivité complète (accès à Internet et liaison retour par satellite), le coût du terminal est alors plus élevé que dans la configuration précédente, du fait de la liaison montante ; le prix du service serait également plus élevé compte tenu du coût de la liaison satellite montante par rapport aux liaisons classiques de retour par voies terrestres.

On peut conclure que le satellite a un véritable rôle à jouer dans la multidiffusion de données Internet en quantité massive et en flux continus, avec une faible interactivité. Cela correspond à la tendance actuelle de la pratique d'Internet par le grand public, caractérisée par un fort déséquilibre entre le trafic descendant vers l'usager (données, images, son et vidéo) et le trafic remontant de l'usager.

A terme, même si cette tendance évolue et si les besoins de liaisons bidirectionnelles croissent, le satellite ne sera pas exclu du marché Internet. La stratégie d'Eutelsat en témoigne.

L'opérateur de satellites, qui devrait avoir le statut de société anonyme en juillet 2001 et qui diffuse près de 850 chaînes de télévision et 530 programmes de radio, a en effet annoncé un ensemble d'initiatives qui confirment son engagement en direction des services numériques, de l'accès à Internet à haut débit et du multimédia. Le Conseil d'Eutelsat, a approuvé en janvier 2001, la construction et le lancement du nouveau satellite e-BIRD. Destiné à l'accès Internet bidirectionnel et à haut débit, ce satellite devrait être opérationnel au cours du deuxième trimestre 2002.

Pour Guiliano Berretta, PDG d'Eutelsat, ce projet anticipe une forte poussée de la demande en matière de services mobiles à haut débit. « Les prévisions établies pour ce secteur indiquent qu'en 2008 le satellite représentera 10 % de l'accès Internet à haut débit et qu'il sera l'un des principaux moteurs de croissance de l'Internet ».

M. Berretta a également précisé que la capacité satellitaire d'Eutelsat (18 satellites en orbite et 5 à lancer au cours des deux prochaines années) est utilisée à plus de 40 % pour les services de données numériques ; et au sein de cette part, 40 % sont représentés par les réseaux bidirectionnels par satellites pour des applications Internet.

C. LES TÉLÉCOMMUNICATIONS SPATIALES AU SERVICE DES STRATÉGIES SOCIALES, CULTURELLES ET ÉCONOMIQUES DES ETATS

L'apparition de la téléphonie mobile a créé des inégalités criantes d'accès aux services qu'elle fournit entre les régions fortement peuplées et les régions peu peuplées, c'est-à-dire essentiellement, entre les zones urbaines et les zones rurales, particulièrement celles dont les caractéristiques géographiques rendent difficiles la couverture par des émetteurs terriens.

Le satellite permettra d'éviter que la fracture correspondante ne s'étende à de nouveaux services tels que l'Internet, les services multimédias et les services spécialisés pour les entreprises.

Il permettra également d'offrir un accès plus équitable à la santé et à l'éducation.

1. Le satellite pour lutter contre la fracture numérique et pour rétablir des liens au sein des communautés dispersées

• Les satellites de télécommunication peuvent offrir de façon homogène des services multimédia sur des territoires qui comportent des zones peu peuplées et des populations isolées. Cela suppose des investissements publics dans les réseaux sol à haut débit (le dernier segment) desservant les utilisateurs finaux et des commandes aux opérateurs de satellites.

C'est un moyen très efficace de lutter contre la « fracture numérique » et d'offrir à tous les habitants d'un pays l'accès aux nouvelles technologies de l'information et de la communication qui conditionneront les capacités économiques des régions ainsi que leurs relations sociales et leur développement culturel. Toutefois, cela suppose une volonté politique déterminée des décideurs de chaque pays. Une telle volonté apparaît déjà en Suède et au Canada ( 27 ( * ) ).

• Par ailleurs, les satellites de télédiffusion peuvent, compte tenu de l'étendue de leur zone de diffusion, qui couvre un ou plusieurs continents, offrir des programmes de télévision « ethniques » à des communautés dont les membres, dispersés, n'avaient pas accès à des services de télévision dédiés.

C'est un service culturel et social remarquable, que certains opérateurs ont mis en oeuvre : Telenor (Norvège) fournit des programmes de ce type avec le bouquet multiculturel Coloursat ; Eutelsat vient de créer avec Deutsche Telekom une société commune, FSP, destinée à diffuser des programmes ethniques.

2. Le satellite pour la santé : la télé-médecine

Les technologies spatiales peuvent offrir des services uniques dont pourra bénéficier la télé-médecine, en particulier l'accès aux moyens de communication, en tout point (quelle que soit la situation géographique) et en toutes circonstances (quel que soit le moment de la journée ou de la nuit), ainsi qu'une possibilité de couverture globale, pour des services de télécommunications, mais aussi de localisation, de collecte de données, d'observation de la terre.

Les enjeux liés au développement et à la mise en oeuvre des services multimédia par satellite appliqués à la télé-médecine sont considérables et divers.

Sur le plan économique, dans le cadre d'une médecine de plus en plus préventive, la télé-médecine peut aboutir à des économies qui pourraient atteindre 10 % des dépenses de santé dans les pays émergents.

Sur le plan social, la télé-médecine peut garantir un égal accès à la santé pour tous les habitants d'un pays. Les capacités qu'ont les satellites de couverture large et simultanée de très vastes régions et de déploiement rapide permettent en effet de désenclaver des zones mal desservies par les réseaux d'infrastructures terrestres pour des raisons géographiques, mais aussi à la suite de catastrophes naturelles ou de flux migratoires.

Sur le plan culturel, les nouvelles technologies de l'information et de la communication peuvent favoriser la promotion du savoir faire médical français et le maintien de la zone d'influence francophone, notamment par la formation continue des professionnels de santé dans les pays en développement.

Trois domaines sont particulièrement prometteurs :

a) La télé-épidémiologie

La télé-épidémiologie consiste en la conception d'un ensemble d'outils numériques et de méthodes épidémiologiques dont le caractère générique doit permettre d'assurer une veille sanitaire, notamment de certaines maladies émergentes transmises par des vecteurs animaux (moustiques en particulier) dans des populations à risque, comme le montrent les exemples suivants :

- en Afrique : la trypanomiose (maladie du sommeil) est devenue un véritable fléau, particulièrement en Côte d'Ivoire. Le taux de mortalité humaine s'élève à près de cent morts par jour.

La fièvre dite « fièvre de la Vallée du Rift » connaît une forte recrudescence : elle a contaminé 18 000 personnes en Egypte en 1978 (dont 600 décès) ; 89 000 personnes au Kenya, en Tanzanie et en Somalie en 1998, a provoqué au moins 300 décès au Sénégal en 1987 et s'étend maintenant en Arabie Saoudite et au Yémen.

C'est pourquoi dans le cadre du plan Emercase ( 28 ( * ) ), a été mis en place un réseau de sentinelles d'observation et de prédiction épidémiologique de cette fièvre le long du fleuve Sénégal en octobre 2000.

- en Amérique du Sud : recrudescence de la dengue hémorragique, notamment dans la partie nord-est du Brésil, avec comme conséquence un afflux quotidien important dans les structures hospitalières de Cayenne d'immigrés clandestins venant se faire soigner.

- en Asie : le paludisme, dont la résistance aux traitements classiques va en s'accroissant, continue à poser d'importants problèmes en matière de santé publique ; enfin, le risque de voir s'étendre vers l'Europe à partir de foyers asiatiques des fièvres aviaires du type fièvre de Hong Kong n'est pas exclu par l'Organisation Mondiale de la Santé.

Un premier objectif de la télé-épidémiologie concerne le recueil de données épidémiologiques, non seulement humaines mais aussi animales (cas cliniques, sérodiagnostic, niveau de vaccination, désinfection des habitats, etc.), à partir de réseaux sentinelles comprenant :

- la saisie et la concentration de ces données le plus souvent en l'absence de communications de surface ;

- le cheminement, le stockage et la possibilité de consultation de ces données géoréférencées.

Le second objectif, complémentaire du premier, consiste à concevoir des modèles mathématiques spécifiques à une pathologie, prédictifs en termes d'évolution géographique d'une épidémie considérée. Ceci est obtenu en fusionnant un certain nombre de données :

- les données d'épidémiologie clinique humaine et animale ;

- les caractéristiques hydrologiques des zones sous surveillance ou zones à risque épidémique élevé : gestion des barrages, niveau d'eau dans les fleuves, présence ou non de mares, eaux stagnantes, pluviométrie, etc.

- les données satellitaires : d'observation de la terre (indices de végétation, surfaces agraires, déforestation, mouvements de troupeaux, flux migratoires de populations, etc.), de météorologie (hauteur et température des nuages, importance et direction des vents surtout dans les régions désertiques car certains agents infectieux peuvent être transportés par des poussières de sable traversant ainsi des continents entiers), enfin scientifiques (par exemple la température à la surface des océans).

La modélisation des interactions climatiques, écologiques et cliniques (notamment épidémiologiques) devra permettre non seulement de prévoir les mesures à prendre en termes de prévention d'une maladie émergente, mais aussi de mieux connaître sa dynamique et particulièrement son évolution géographique.

Un effort important doit être entrepris pour le développement et l'optimisation de la télé-épidémiologie, effort d'autant plus pertinent que l'OMS entreprend, contre les maladies transmissibles, des campagnes qui intègrent non seulement les mesures à prendre en aval, mais aussi la surveillance de ces maladies.

b) La télé-assistance

Elle consiste à recueillir des données relatives à la santé et à les transmettre, en cas d'anomalie, vers un centre qui pourra mettre en place une procédure d'assistance. Le patient est équipé d'un système de monitoring, d'alarme et de transmission vers le centre.

Il existe de très nombreuses indications de la télé-assistance : le suivi médical de patients (diabétiques sous insuline, cardiaques présentant des troubles du rythme, nourrissons en cas de risque d'apnée), la surveillance de potentiels accidents chez des personnes dites à risque (chute des personnes âgées, assistance à des professions exposées, assistance à des voyageurs), la surveillance du fonctionnement d'appareils médicaux à poste, mobiles ou même implantés.

Les technologies spatiales offrent deux services indispensables pour l'assistance aux personnes :

- la collecte de données en temps réel ou quasi réel, indépendamment du site (notamment à partir de mobiles) et de l'heure,

- la localisation de l'appelant avec une précision de l'ordre de dix mètres.

Deux démonstrations sont en cours, pour le suivi à distance de patients diabétiques sous insuline dont la glycémie est difficile à équilibrer, et pour la surveillance de patients âgés dont le risque de chute est important.

La télé-assistance est un domaine d'avenir compte tenu de ses avantages dans le domaine social (meilleure protection des personnes fragiles) et économique (prévention des hospitalisations pour certains accidents cardiaques ou pour des déséquilibres graves de la glycémie, par exemple).

c) La télé-consultation

La télé-consultation consiste à porter un diagnostic et mettre en oeuvre une conduite thérapeutique à partir d'un site isolé statique (région isolée géographiquement ou à la suite d'une catastrophe naturelle, plates-formes pétrolières) ou mobile (transport maritime, transport aérien, expéditions terrestres civiles ou militaires, flux migratoires, etc.). Le principe d'utilisation consiste en l'amélioration de la prise en charge des malades par le recueil et la transmission d'informations médicales objectives via satellite vers un centre de régulation et d'expertise médicale.

Un prototype actuellement développé par l'Institut de Médecine et de Physiologie Spatiales (MEDES) utilise les moyens de télécommunication disponibles (GSM, RTC, RNIS, Inmarsat) et pourrait prendre en compte les autres systèmes, en particulier le satellite STENTOR qui, au cours de sa phase d'exploitation, offrira un puissant moyen de conduire des opérations pilotes.

Ce prototype est une sorte de valise de 7 kg contenant :

- un enregistreur numérique pour électrocardiogrammes (1 et 12 dérivations) ;

- un appareil photo numérique avec possibilité d'adaptation sur un microscope pour un télédiagnostic anatomo-cytologique ou une lecture de lame en hématologie ;

- un brassard de tension automatique par méthode oscillométrique ;

- un oxymètre de pouls, un thermomètre à capteur infrarouge, un détecteur de glycémie ;

- un PC portable associé à un système de transmission Inmarsat ;

- un téléphone GSM ;

- enfin, un GPS.

Cette base technique générique peut être adaptée en fonction des besoins exprimés par les utilisateurs et des systèmes de télécommunications disponibles : station d'imagerie statique (coupes d'anatomie pathologique ou d'images endoscopiques) et/ou dynamique (échocardiographie, périnatalogie, suivi à distance des grossesses à risque), station de biologie/biochimie, station d'électrophysiologie (électrocardiogramme, électromyogramme, électroencé-phalogramme).

Le CNES, en collaboration avec la communauté médicale, a réalisé un certain nombre de validations opérationnelles et techniques dans des sites isolés (statiques et mobiles) avant la mise en oeuvre de la phase de validation clinique en grandeur réelle :

- avec le Centre de consultations médicales maritime du CHU de Toulouse et dans le cadre de l'assistance médicale maritime (transport de passagers entre la métropole et la Corse),

- avec le service médical de l'Institut National des Sciences et Technologies Polaires (INSTP) et la Marine nationale dans un contexte d'assistance médicale lors d'un raid en Antarctique,

- en collaboration avec Médecins du Monde, dans un contexte de télé-diagnostic microscopique depuis un site isolé au Cambodge vers différents centres d'expertise en France,

- en rapport avec le Centre hospitalier de Cayenne et le Samu 973, dans le cadre du support médical des zones isolées de la forêt amazonienne.

De plus, des études techniques sont menées avec le service médical d'Air France et la société Airbus afin d'évaluer la pertinence et la possibilité d'embarquer à bord des futurs gros porteurs tels que l'A 380 un système de télé-médecine utilisé par un personnel non médical, comme c'est déjà le cas dans le milieu maritime.

D'une façon plus générale, dans le cas de sites isolés, sur le territoire national, en raison de leurs caractéristiques géographiques, la télé-consultation est l'utilisation de tous les moyens, particulièrement spatiaux, permettant de relier techniquement, par la voix et l'image, des médecins parfois éloignés de centaines de kilomètres, afin de rendre possible leur coopération efficace en matière de diagnostic.

Elle est indubitablement appelée à se développer parce qu'elle diminue les dépenses de santé en évitant, par exemple, le transfert de malades et parce qu'elle permet d'améliorer la qualité des soins prodigués à tous ceux qui n'ont pas facilement accès aux centres hospitaliers les mieux adaptés à leur pathologie. En ce sens, elle permet d'assurer l'égalité d'accès aux soins et constitue un élément de la politique d'aménagement du territoire.

Pour que la télé-consultation puisse occuper, dans le domaine de la santé, une place importante dans les pays occidentaux, il sera nécessaire de résoudre deux problèmes d'ordre juridico-technique : la responsabilité des médecins en cas de diagnostic partagé et la protection des liaisons afin de préserver le secret médical.

Par ailleurs, afin de faire profiter les populations les plus démunies de la télé-consultation, il serait souhaitable que le CNES organise régulièrement des sessions de formation à cette technique pour les personnels médicaux des ONG et leur prête quelques « valises » afin qu'ils puissent se rendre compte in situ de l'intérêt de la télé-consultation.

3. Le satellite pour l'éducation : le télé-enseignement

Télé-enseigner c'est à dire enseigner à distance à l'aide de moyens de communication divers permet de faire bénéficier de contenus éducatifs ou pédagogiques des individus ou des groupes d'individus non présents sur les lieux d'enseignement. Cela concerne :

- les activités scolaires ou universitaires pour les élèves ou les étudiants malades ou en position d'isolement géographique

- les activités de formation professionnelle au bénéfice de sites nombreux et dispersés,

- les activités de formation continue au bénéfice d'utilisateurs non présents et/ou disséminés sur un territoire étendu.

Les activités de télé-enseignement ont véritablement pris leur essor quand les moyens de communications hertziennes sont devenus opérationnels.

Dans un premier temps, la radio a permis d'offrir des contenus éducatifs aux auditeurs sur un territoire extrêmement vaste.

Ensuite le développement de la télévision a permis d'ajouter l'image au son puis celui de la télévision par satellite a permis d'étendre la diffusion des images et du son sur des territoires extrêmement étendus.

Enfin, l'avènement de la télédiffusion numérique et de l'internet permet désormais de démultiplier les pratiques et d'offrir des services extrêmement sophistiqués.

Les réseaux terrestres se développent désormais sur un rythme accéléré que ce soit en terme d'extension géographique ou de débit. Ils peuvent assurer à eux seul une bonne partie des services attendus. Par contre l'extension des services multimédia à de nouveaux utilisateurs sans cesse plus nombreux et fortement consommateurs de bande passante induit des goulots d'étranglement dans les réseaux terrestres.

L'utilisation des moyens spatiaux, en complément des réseaux sols, permet de s'affranchir de certaines contraintes du sol.

Les satellites apportent de façon transparente, débit élevé, qualité de service et capacité de désenclavement géographique. Les avantages du satellite pour la diffusion de services multimédia sont :

- la disponibilité immédiate des services et des contenus sur une vaste zone géographique (les satellites Hotbird d'Eutelsat, par exemple, couvrent la totalité de l'Europe plus une partie du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord) ;

- les mêmes offres de service pour tous les utilisateurs de cette zone ;

- un coût minimum par l'utilisation des technologies standards ( PC multimédia, antenne de réception grand public, carte DVB/MPEG) ( 29 ( * ) ) ;

- une très bonne adaptation de l'outil pour la diffusion (données, vidéo, multimédia) et pour les modes de transmission asymétriques (voie descendante à haut débit, interrogation et envoi des requêtes par le sol à bas débit) ;

- un outil efficace de désengorgement des réseaux sol par utilisation des technologies multicast IP (diffusion point à multipoints) en particulier pour les flux importants de données (vidéo, etc.) ;

- un égal accès au savoir.

L'implication essentielle des technologies spatiales dans le développement des nouveaux services de diffusion utilisant les protocoles de l'Internet et la volonté, exprimée par la puissance publique, d'avoir recours à ces technologies, ont donné naissance en France au projet SATEL-IT.

Afin de valoriser les potentialités de l'espace pour la fourniture de services multimédia interactifs et le développement des applications au profit de l'éducation et de la recherche, le ministère de l'Education nationale, de la Recherche et de la Technologie, a chargé le CNES, en décembre 1997, de conduire une réflexion sur ce sujet et formuler des propositions chiffrées en coûts et en délais pour répondre à cet objectif.

La phase d'expérimentation a commencé en juillet 1998, le CNES se voyant confier la maîtrise d'ouvrage déléguée de ce projet ainsi que le support et l'expertise technique de celui-ci, la partie pédagogique étant placée sous la responsabilité exclusive du ministère de l'Education Nationale, de la Recherche et de la Technologie.

En novembre 1998, deux groupes industriels ont été retenus :

- le groupe Lagardère et TPS pour leur proposition commune « Sat & Clic » répondant aux quatre thèmes de la consultation,

- Alcatel Space Industries et l'INRIA pour leur proposition « OR » (Optimisation des réseaux) répondant au quatrième thème de la consultation.

Le déploiement des sites a commencé le 4 janvier 1999. La première phase s'est terminée le 30 juin 1999, elle a été prolongée d'une deuxième phase qui a duré de septembre 1999 à juin 2000. Actuellement le CNES finance une troisième phase qui se terminera le 30 juin 2001. Actuellement plus de 170 sites scolaires (primaires, collèges et lycées) ou universitaires participent à cette expérimentation.

Cette expérimentation en vraie grandeur avait pour but :

- d'intégrer les nouvelles technologies de l'information et de la communication dans la démarche éducative quotidienne,

- d'enrichir et moderniser le contenu des matières enseignées,

- d'offrir à tous, de manière égalitaire, l'accès au savoir.

Ces objectifs généraux ont été déclinés à travers les quatre thèmes de la consultation industrielle :

- encourager le travail coopératif entre enseignants, établissements et élèves en s'appuyant sur l'utilisation des protocoles et services standard de l'Internet, le satellite apportant de manière transparente, , débit élevé, qualité de service et capacité de désenclavement géographique,

- utiliser les capacités du satellite pour développer l'enseignement à distance en formation initiale et continue,

- utiliser les procédés audiovisuels classiques pour fournir les services de type « vidéo à la demande » soit par acheminement préalable des contenus sur les sites demandeurs, soit par diffusion en temps réel,

- utiliser la technologie satellite pour optimiser le réseau de transport de données en offrant la diffusion de flux audio et vidéo (Mbone), de forums (News) et l'alimentation des serveurs cache et miroir. Ce thème, très technologique, concerne des acteurs « professionnels » du réseau de la recherche universitaire.

Le bilan des deux premières phases est positif. On constate un véritable intérêt des enseignants et des élèves pour ces technologies qui permettent de développer de nouveaux usages et de mettre en place de nouvelles pratiques pédagogiques.

Le monde industriel y trouve un outil puissant de la formation permanente et continue dans l'ensemble des sites concernés souvent disséminés sur l'ensemble de la planète.

La communauté des réseaux y trouve un complément efficace aux réseaux terrestres permettant d'assurer un certain nombre de services de base pour des sites et des utilisateurs qui seront encore longtemps à l'écart des capacités importantes de ceux ci.

Enfin le CNES, à travers des applications d'« Espace utile » qui touchent le coeur des préoccupations des familles, les enfants et l'école, montre les potentialités exceptionnelles des télécommunications par satellite.

Deux applications opérationnelles démontrent le bien fondé des choix techniques et pédagogiques qui ont conduit le développement de cette expérimentation.

La première a permis la diffusion quotidienne en temps réel à partir du CNAM à Paris vers les sites CNAM de province, de l'ensemble des conférences de l'Université de Tous Les Savoirs pendant l'année 2000. Cette diffusion par satellite, utilisant les technologies du multicast IP sous un débit relativement modeste, a permis de valider les choix techniques de Matra Grolier Network.

La deuxième, en cours de préparation, concerne la Région PACA et Alcatel Space Industries. Elle a pour objectif d'assurer la formation accélérée à la langue française des élèves issus de l'immigration et qui sont dispersés dans l'ensemble des sites scolaires de la Région. L'utilisation des techniques de conférence interactive en multicast IP doit permettre de toucher efficacement l'ensemble des élèves concernés sans obliger à des déplacements coûteux des élèves et des enseignants.

Pour valoriser les efforts réalisés à ce jour et pour permettre d'accroître les opportunités réelles offertes par le télé-enseignement, il est indispensable de trouver un opérateur compétent fédérant et animant l'activité éducative et pédagogique autour de ces techniques.

On pense bien naturellement à « l'opérateur » naturel des méthodes d'enseignement en France : le ministère de l'Education Nationale. Si cette solution n'était pas retenue, on pourrait envisager un recours au réseau national de recherche RENATER, qui peut diffuser des contenus pédagogiques.

Quelle que soit la solution retenue, la décision doit être prise très rapidement car la dernière phase du programme SATEL-IT, financée par le CNES arrive à terme le 30 juin 2001. Or, si ce dernier a vocation à se voir déléguer le rôle de support et d'expert technique dans ce type de projet, il ne peut et ne doit pas financer la réalisation du programme, de même qu'il ne peut et ne doit pas être impliqué dans son contenu éducatif. Une décision claire doit être prise par les pouvoirs publics avant le 30 juin 2001.

*

* *

Dans la perspective du développement mondial considérable attendu pour tous les services offerts par les télécommunications spatiales et particulièrement pour les applications multimédia, tous les acteurs cherchent à se positionner, et l'industrie américaine veut détenir le leadership mondial : elle bénéficie pour cela d'un appui sans faille de son administration qui encourage les initiatives en ce sens. La compétitivité et l'innovation de l'industrie spatiale américaine sont, par ailleurs, très fortement soutenues par des marchés captifs nationaux, notamment du DoD.

La libéralisation et la déréglementation ont ouvert la voie à une multitude d'initiatives privées pour de grands projets à vocation commerciale visant à offrir de nouveaux services par satellites, généralement à destination directe de l'utilisateur final et ciblés sur des marchés spécifiques et, à terme, celui du multimédia, domaine de convergence des télécommunications, de l'audiovisuel et de l'informatique. Une série de grands programmes ont été engagés ou sont projetés. Ces programmes nécessitent des investissements considérables et des montages financiers et industriels internationaux complexes.

Cette multiplicité d'initiatives se traduit par un besoin accru de bandes de fréquences, d'autant plus que l'on va inexorablement dans les deux cas, vers des applications multimédia requérant des liaisons et des services à large bande. Une bataille mondiale est engagée pour l'utilisation des orbites, en particulier l'orbite géostationnaire et des portions du spectre alloué aux services de télécommunications par satellite avec des revendications pour l'attribution de nouvelles bandes.

Dans ce domaine, aux États-Unis, la FCC (Federal Communications Commission) joue un rôle clé, pour la répartition des fréquences mais aussi pour la défense des intérêts des opérateurs de télécommunications américains, en soutenant leurs demandes d'attribution de positions orbitales déposées auprès de l'UIT (Union Internationale des Télécommunications).

En Europe, il n'existe pas de structure équivalente à la FCC et la coordination est difficile, la gestion du spectre relevant de la souveraineté de chacun des Etats. Il sera indispensable de créer une structure de ce type au niveau de l'Union européenne afin d'optimiser l'utilisation du spectre et de soutenir les opérateurs européens car l'attribution des fréquences conditionne l'accès aux « autoroutes spatiales de l'information ».

II. L'OBSERVATION DE LA TERRE : L'ESPACE COMME UN SERVICE NOUVEAU ET SANS ÉQUIVALENT

A. INTRODUCTION

De toutes les applications de l'espace, l'observation de la Terre est celle dont l'importance et la permanence semblent les plus assurées pour les décennies qui viennent.

Cela tient à trois caractères qu'elle possède en propre :

- elle fournit une capacité technique entièrement nouvelle, pour laquelle il n'existe pas de substitut concevable. Elle diffère en cela des applications de l'espace aux télécommunications qui, quelle que soit leur importance présente, sont concurrencées dans une grande partie de leur domaine actuel par des techniques terriennes ;

- elle transforme la relation de la société technique à la planète Terre alors même que commencent à se manifester dangereusement des altérations globales de la biosphère par les activités humaines ;

- enfin, à un stade du développement marqué par une tendance irréversible à la mondialisation des activités, elle offre aux acteurs un outil planétaire d'accès à l'information.

C'est la conjonction de ces trois éléments : caractère radicalement nouveau des moyens offerts, actualité de notre relation à la planète et besoins en informations propres à guider l'action qui confère une importance capitale, pour le présent et pour l'avenir, à l'observation de la Terre depuis l'espace. C'est en fonction de cela que doivent s'apprécier les enjeux qui s'attachent à sa maîtrise.

L'observation spatiale de la Terre revêt des formes extrêmement diverses, utilise une grande variété des techniques et concerne un large éventail d'activités. Elle se prête cependant à une définition générale qui englobe cette diversité : la surface du globe, et l'atmosphère terrestre, émettent vers l'espace, dans un large domaine de longueurs d'onde, un rayonnement électromagnétique chargé d'information sur les objets qui en sont la source, c'est-à-dire sur les phénomènes physiques, biologiques et sur les activités humaines dont la planète est le siège. Pour accéder à cette information, il faut se placer sur le trajet de ce rayonnement, et donc il faut aller dans l'espace.

La plate-forme spatiale conjugue à cette capacité d'interception du rayonnement terrestre des caractères qui lui sont propres :

• elle permet, moyennant le choix d'une orbite adéquate qui est souvent une orbite quasi-polaire, héliosynchrone ( 30 ( * ) ), d'accéder avec le même instrument à toute la surface du globe, sans considération de l'accessibilité physique ou politique des régions observées : continents, océans, glace de mer, inlandsis polaires ou territoires hostiles. Lorsqu'il s'agit de mesurer un paramètre physique, comme l'épaisseur de couche d'ozone, l'homogénéité des mesures est ainsi automatiquement assurée.

Le choix de l'orbite géostationnaire autorise l'observation permanente d'une zone choisie mais cette permanence se paie d'un éloignement plus grand et d'une limitation de la zone visible.

• l'observation spatiale permet en outre le recul nécessaire à l'appréhension des structures à grande échelle : dépressions météorologiques ou courants océaniques.

Il existe naturellement un certain domaine de recouvrement entre l'observation aérienne et l'observation spatiale, mais deux limitations majeures affectent l'observation aérienne :

- la vitesse et l'altitude limitées de l'avion ne lui donnent pas accès à une capacité d'observation globale ;

- le survol d'un territoire soumis à souveraineté nationale relève de l'exercice de cette souveraineté alors que le survol par un engin spatial est autorisé par le droit international.

De ce fait, les secteurs où l'observation spatiale entre en concurrence avec l'observation aérienne sont réduits ; il s'agit essentiellement de l'obtention d'images à très haute résolution sur des zones politiquement et physiquement accessibles.

Les progrès technologiques rapides dont bénéficie la technique spatiale tendent d'ailleurs à augmenter constamment son domaine de compétitivité.

Il existe inévitablement des limites à ce que l'on peut observer depuis l'espace ; certaines caractéristiques physiques et certaines activités humaines échappent à l'observation spatiale parce qu'elles n'émettent pas de signaux vers l'espace. Ces mêmes limitations affectent également l'observation aérienne.

Une autre catégorie de systèmes spatiaux, les systèmes de collecte de données et de localisation dont le plus connu est Argos ( 31 ( * ) ) permettent de pallier partiellement ces limitations de l'observation directe. Le principe en est simple ; une balise terrienne émet vers l'espace un signal codé qui transporte l'information fournie par les capteurs auxquels la balise est connectée ; l'effet Doppler qui affecte le signal reçu par le satellite permet la localisation de la balise. Le champ accessible à ce type de système est extrêmement large et l'apparente, selon la nature du signal transmis, à l'observation environnementale ou aux télécommunications.

La complémentarité entre l'observation spatiale et la collecte de données est accentuée par le fait que les mêmes plates-formes spatiales portent souvent les deux systèmes.

B. TECHNIQUES DE L'OBSERVATION SPATIALE

Les techniques de l'observation spatiale sont extrêmement diverses et cette diversité ne coïncide pas avec la diversité des secteurs d'application. Le même savoir-faire technologique peut être employé au service d'objectifs très divers allant du militaire au commercial ou au service public. Il en résulte a contrario que la base industrielle sur laquelle repose une capacité d'observation spatiale possède une unité sous-jacente à la diversité des objectifs qu'on peut lui assigner. L'étroite parenté des satellites civils SPOT et militaires Hélios illustre cet élément d'unité.

La nature du rayonnement observé fournit une première base de classification. Ce peut être dans le domaine visible et le proche infrarouge un rayonnement d'albédo, de la lumière solaire rediffusée vers l'espace par la surface des continents et des océans. Ce domaine, qui relève de l'optique classique, couvre tout le champ des applications de la météorologie à l'observation militaire en passant par l'imagerie civile à haute définition.

Dans l'infrarouge lointain, on observe le rayonnement thermique propre de la Terre qui renseigne sur la température du sol, sur le profil de température de l'atmosphère, mais aussi sur certains phénomènes générateurs de températures élevées : éruptions volcaniques, feux de forêts, départs de missiles.

Le satellite peut « éclairer » la Terre dans le domaine radioélectrique et être lui-même la source du rayonnement qu'elle lui renvoie. C'est ainsi que fonctionnent les radars à synthèse d'ouverture et les altimètres.

On s'affranchit alors de l'écran que les nuages opposent au rayonnement visible et le satellite acquiert une capacité « tous temps » précieuse pour les applications militaires. Enfin, on peut collecter les rayonnements radioélectriques produits par l'activité humaine ; les satellites d'écoute et d'interception se placent ainsi en intermédiaires entre l'observation spatiale et les télécommunications.

Il est malaisé de mettre cette diversité de techniques, dont chacune peut être au service d'objectifs très divers, en relation avec une vue politique d'ensemble. Pour organiser cette vision générale, le mieux est de s'appuyer sur la nature des services et sur leur relation avec les besoins de la société.

Cependant, les aspects techniques appellent quelques réflexions spécifiques :

- l'observation spatiale de la Terre est une technique informationnelle. L'essentiel réside dans le fait que le satellite acquiert et transmet de l'information ; son efficacité est donc gouvernée par son appartenance à un système dont le segment terrien est capable d'acquérir, de traiter, de stocker et de distribuer d'énormes quantités d'informations. La conception et le développement de ce segment terrien forment donc partie intégrante d'une politique spatiale cohérente.

La conception technique du segment terrien repose sur l'usage de deux techniques : l'informatique et les télécommunications dont l'évolution extrêmement rapide domine l'évolution de la société contemporaine. Par ailleurs, la structure institutionnelle du segment terrien et le contrôle des flux d'information qu'elle organise comportent des enjeux aussi importants que ceux qui s'attachent à la maîtrise du segment spatial. Il est essentiel, dans la conception d'une politique, de traiter le segment spatial et le segment terrien comme un tout.

Quant aux technologies utilisées par le segment spatial, elles évoluent d'une façon qui permet des progrès marqués dans trois aspects :

- la miniaturisation du véhicule spatial qui permet à des mini-satellites dans le domaine optique d'accéder à des résolutions métriques, voire décimétriques, avec des conséquences importantes sur le coût des projets, et le cas échéant sur leur rentabilité commerciale,

- les progrès dans la résolution spectrale qui permettent d'accroître la capacité de discriminer depuis l'espace avec des conséquences sur les applications civiles et militaires.

C. LA SYNERGIE AVEC LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE - APPLICATIONS DANS LE DOMAINE DE L'OBSERVATION DE LA TERRE

Dans tout le domaine de l'observation de la Terre, il s'établit une relation très particulière entre la recherche scientifique et les applications.

L'utilisation d'outils spatiaux pour la recherche scientifique sur la planète Terre constitue un volet très important de la recherche scientifique spatiale aux côtés de ceux qui concernent l'univers proche et lointain, la biologie ou les lois fondamentales de la physique. Ce volet est le seul où, dans un avenir prévisible, s'établit une synergie directe entre les projets spatiaux menés à des fins de recherche et ceux qui sont conçus pour fournir un service. Cela ne signifie pas que les autres secteurs de la recherche scientifique spatiale ne sont pas porteurs de bénéfices pratiques pour la société ; mais ces bénéfices ne s'expriment pas par des applications spatiales. Au contraire, dans le domaine de l'observation spatiale, deux mécanismes complémentaires créent une interdépendance de la recherche et des applications.

L'observation « opérationnelle », qui fournit un service dont la continuité est assurée par des structures institutionnelles -l'observation météorologique par exemple-, se fonde largement, en particulier sur le progrès des techniques d'observation que les projets scientifiques permettent d'accomplir dans tout le domaine environnemental.

A l'inverse, la recherche sur les phénomènes terrestres à évolution lente a besoin des longues séries d'observation que fournissent les satellites opérationnels. C'est ainsi que le système mondial d'observation météorologique, construit pour assurer la prévision du temps, fournit à la recherche sur l'évolution du climat ou sur les progrès de la désertification, une base de données irremplaçable.

En outre, la recherche sur la planète Terre procure à l'observation spatiale la connaissance de caractéristiques physiques indispensables. C'est ainsi que le fonctionnement des satellites altimétriques qui observent, entre autres choses, la vitesse et la trajectoire des courants océaniques, repose sur une connaissance extrêmement précise du champ gravitationnel terrestre qui est un produit de la recherche.

On trouvera, dans le chapitre traitant de la recherche, une description détaillée des programmes de recherche conduits dans ce domaine.

D. OBSERVATION SPATIALE ET SOCIÉTÉ

Dans la relation de l'observation spatiale avec les besoins de la société, on peut distinguer schématiquement trois grands domaines :

- les applications environnementales : surveillance de l'environ-nement, climatologie, prévision du temps ( 32 ( * ) ) ,

- les usages à la gestion des activités économiques ( 33 ( * ) ) ,

- les applications militaires et de défense.

Les frontières ainsi tracées ne sont ni absolues, ni étanches. Une interpénétration résulte de l'unité des bases technologiques et industrielles.

Le caractère dual des projets spatiaux, leur aptitude à servir, à des degrés divers, des objectifs civils aussi bien que des objectifs militaires, reflète également cette interpénétration des domaines.

1. Applications environnementales

Les usages de la technique spatiale à la connaissance de l'environnement et à la prévision de son évolution comportent deux domaines contigus mais distincts :

- d'une part, l'intervention de la technique spatiale dans un domaine relativement ancien puisque ses débuts datent de plus d'un siècle, celui de la météorologie ou plus précisément de la prévision du temps ;

- d'autre part, celui de la connaissance et du contrôle des altérations de toute nature que l'activité humaine fait subir à l'environnement, domaine nouveau dont l'importance politico-économique croît rapidement et dont la perception publique est de plus en plus marquée.

Il existe une continuité naturelle entre l'observation à des fins de prévision du temps et la surveillance de l'environnement global. De la prévision déterministe du temps, on passe à une transition continue , à l'étude des dérèglements saisonniers comme ceux qu'engendre le phénomène El Nio, puis à celle des évolutions du climat et de l'influence de l'homme sur ces évolutions. L'un et l'autre domaine entretiennent, avec la recherche scientifique, une relation particulièrement intense. Mais il existe aussi des différences marquées des contextes dans lesquels ils s'inscrivent.

a) La prévision du temps

La prévision du temps est aujourd'hui le seul domaine civil où l'observation spatiale ait accédé à un statut pleinement opérationnel. Deux raisons à cela :

- c'était initialement l'usage le moins exigeant. Les images donnent accès, aussi médiocre que soit leur résolution spatiale ou spectrale, à la vision d'ensemble des grands systèmes météorologiques et de leur déplacement, inaccessibles par tout autre moyen,

- mais surtout, il existe un besoin puissant exprimé par des interlocuteurs solvables.

La nécessité d'observer l'atmosphère sur toute la planète pour en prévoir l'évolution a conduit, vers la fin du 19 e siècle à la constitution de structures nationales, les offices météorologiques comme Météo-France et à leur coopération au sein d'une structure internationale, l'Organisation Météorologique Mondiale qui est une agence spécialisée de l'ONU. Ce cadre institutionnel a permis que se développe de façon concertée un système mondial constitué d'une ceinture de satellites géostationnaires et de satellites en orbite quasi-polaires ( 34 ( * ) ).

La nature de ce système météorologique opérationnel appelle plusieurs observations importantes :

- partout dans le monde, l'observation météorologique en général, et l'observation spatiale en particulier, sont des activités de service public financées par les contribuables. L'activité météorologique commerciale est limitée à la fourniture de services à valeur ajoutée aux utilisateurs finaux ; elle ne touche pas à l'observation. Cela tient à ce que, quelle que soit l'importance économique et sociale des activités météorologiques, elle ne peut être constatée globalement par des flux commerciaux. Les quelques tentatives qui ont eu lieu dans ce sens ont été des échecs :

- le système spatial mondial d'observation météorologique n'est pas un système centralisé ; il est constitué d'un ensemble de contributions cohérentes fournies par des nations ou des groupes de nations qui assument la responsabilité de leur fourniture, de leur mise en oeuvre et de l'échange de données au niveau mondial. L'Europe s'est dotée à cette fin d'une organisation intergouvernementale, Eumetsat, qui coopère étroitement avec l'Agence Spatiale Européenne,

- la prévision du temps est à l'évidence une technique duale marquée par une forte convergence entre les besoins civils et militaires, ce qui conduit aisément à les satisfaire avec le même sytème opérationnel. Pour des raisons historiques, les États-Unis ont établi dès l'origine deux systèmes météorologiques distincts après quoi le pouvoir politique s'est efforcé de les fusionner et de faire disparaître une redondance coûteuse. Il n'existe en Europe qu'un seul système spatial météorologique qui est géré par Eumetsat ; son utilisation par l'Europe de la Défense devra à l'évidence être organisée.

b) La surveillance de l'environnement global

La connaissance de la Terre, et par conséquent de son environnement, est d'abord un important chapitre de la recherche scientifique. C'est de cette recherche qu'a émergé une prise de conscience des altérations que l'activité humaine impose à l'environnement global. La perception de ce phénomène par le grand public tend à se focaliser sur deux aspects : la « destruction » de la couche d'ozone stratosphérique et l'évolution du climat, mais ses manifestations sont beaucoup plus diverses et traduisent le fait que nous avons atteint un stade, dans l'évolution de la société technique, où émergent les interactions entre l'activité humaine et la planète. Il ne s'agit donc pas d'un problème temporaire mais d'une détérioration durable qui appellera dans les décennies qui viennent une vigilance et une action permanentes.

L'observation spatiale joue, on l'a vu, un rôle central dans la recherche scientifique sur l'environnement global et parmi les paramètres observés, certains exigeront une observation continue. Une fraction est couverte par le système météorologique mais d'autres appellent un effort spécifique. C'est ainsi que le niveau moyen des océans et leur circulation globale qu'observe Topex Poséidon ne sont pas des éléments météorologiques. Il y a donc lieu de développer progressivement un système global d'observation de la Terre complétant le système météorologique et répondant aux besoins engendrés par le contrôle de l'environnement global .

Le modèle météorologique peut être utilisé pour concevoir un tel système ; il existe cependant, entre l'un et l'autre, des différences importantes qui doivent être clairement perçues :

- une première différence évidente réside dans la diversité des paramètres qu'il s'agit d'atteindre et de mesurer de façon permanente. Leur choix exige une relation étroite avec la communauté scientifique, seule à même d'exprimer avec précision le besoin et de proposer les moyens d'y pourvoir ;

- une seconde différence est d'ordre sociétal et réside dans le fait que, à la différence de l'observation météorologique qui répond à un besoin à court terme exprimé par des utilisateurs solvables, l'observation environnementale globale répond directement au besoin d'alimenter la décision politique au niveau international par l'intermédiaire de la communauté scientifique.

L'édification d'un système global d'observation de la Terre pose donc un problème entièrement nouveau : comment promouvoir le développement, au niveau international, d'un système technique complexe et coûteux répondant à des enjeux qui sont certes vitaux, mais qui n'apparaissent que lorsqu'on reconnaît le besoin d'une gestion globale de la planète, c'est-à-dire au-delà de l'horizon des forces du marché et de l'horizon habituel des décisions politiques.

Cependant, la conception décentralisée du système météorologique peut servir de guide. La conception technique qui s'impose est en effet celle d'un assemblage évolutif d'un grand nombre de petits satellites (mini et microsatellites). Le système doit être souple et adaptable de façon continue à des techniques d'observation qui progressent et se diversifient continuellement. En outre, il est indispensable de diversifier les orbites pour satisfaire à tous les besoins d'observation. Ces deux aspects privilégient l'usage de petits satellites par rapport aux énormes plates-formes, comme Envisat, qui furent hélas à la mode dans un passé récent.

2. La gestion des activités commerciales et gouvernementales

Les satellites SPOT en orbite assurent leur service opérationnel dans des conditions techniques satisfaisantes, le satellite SPOT 5 sera lancé début 2002. Cependant, depuis quelques années, il est apparu que l'évolution rapide du contexte international, le renforcement spectaculaire de la concurrence, la disponibilité de nouvelles technologies, la nécessité de rechercher l'équilibre économique de l'activité imposaient de redéfinir les éléments d'orientation de la filière pour les 10 à 15 prochaines années et ce sur tous les plans : définition technique, politique de données, organisation de la commercialisation, synergie avec les applications militaires, cadre coopératif souhaitable, partage des responsabilités et des charges entre opérateurs privés et agences publiques. C'est l'origine du concept Pléiades.

Les principes adoptés pour l'élaboration de ce concept ont été les suivants :

• Les programmes d'observation de la Terre répondent à un besoin d'accès indépendant aux informations satellitaires pour des objectifs stratégiques. En particulier, il faut désormais assurer la dualité des systèmes capables de satisfaire besoins civils et militaires, à côté de systèmes militaires spécifiques. Programme civil, Pléiades est ainsi conçu pour des applications duales, garantissant aux utilisateurs civils comme à ceux de la Défense l'accès aux informations requises.

Le développement de l'observation de la Terre passe par un élargissement des capacités d'observation qui ne pourra être acquis que par intégration des ambitions et des compétences françaises dans un ensemble européen. La coopération européenne doit, par le partage des investissements, contribuer à la réduction des coûts et ainsi permettre l'accroissement de l'offre par le déploiement d'un système multicapteurs (optique et radar), qui pérennise la présence et l'indépendance de l'Europe dans le domaine de l'observation de la Terre et qui contribue à l'élargissement des services et au développement de la filière commerciale. Le développement de Pléiades ira de pair avec celui des services et des applications, en s'appuyant sur l'ensemble des sources d'information disponibles.

• Les programmes d'observation de la Terre s'insèrent dans une logique économique, ce qui nécessite de réduire les coûts de la filière grâce à l'innovation technologique et de développer son utilisation par un effort en recherche et développement thématique et une politique de données adaptée.

L'Italie, avec son programme COSMO-SKYMED soutenu par les civils et les militaires, développe une vision politique proche de celle de la France et souhaite valoriser les compétences de son industrie dans le domaine du radar. L'engagement d'une coopération ambitieuse avec l'Italie répond bien à l'ensemble des objectifs affichés. Une vision commune, des complémentarités industrielles et techniques, un intérêt commun des utilisateurs militaires des deux pays, ont favorisé le montage d'une coopération bilatérale équilibrée. L'engagement de la phase de réalisation du système d'imagerie optique et radar en bande X à résolution submétrique est l'objectif des années à venir, avec la perspective d'un déploiement échelonné des satellites à partir de 2003 pour la composante radar, et 2005-6 pour la composante optique.

La seconde composante majeure de PLEIADES sera le système de roue interférométrique dont la faisabilité est étudiée dans le cadre d'une coopération avec le DLR (roue en bande C associée à ENVISAT) ou avec la NASDA (roue en bande L associée à ALOS).

On s'attache également à incorporer au programme Pléiades une composante hyperspectrale à travers notamment les contributions de la Belgique et la Suède, partenaires historiques de la France sur le programme SPOT, qui souhaitent poursuivre leur coopération sur Pléiades, en maintenant leurs objectifs de politique industrielle (sur le segment spatial essentiellement) et en renforçant leur position dans le segment sol et dans la distribution.

E. L'INITIATIVE GMES

GMES, pour « Global monitoring for Environment and Security », est une tentative de réponse aux défis environnementaux. Lancé à Baveno en 1998, cette initiative européenne est conçue pour coordonner les outils spatiaux pour la surveillance et l'étude de l'environnement afin de comprendre le changement planétaire, la pression environnementale et les catastrophes naturelles, et de réduire leurs conséquences désastreuses.

L'activité humaine a un impact significatif sur le climat, l'environnement et les ressources naturelles. L'homme est un facteur considérable d'érosion, bien avant le vent, la pluie et les fleuves. Il affecte le cycle du carbone et, par conséquent, le climat. Il exploite la plupart des nappes phréatiques qui existent à travers les continents. Notre civilisation est de plus en plus vulnérable aux risques naturels car elle dépend de plus en plus de technologies sophistiquées et d'infrastructures coûteuses et parce que les populations se concentrent dans des zones urbaines souvent situées le long des fleuves, de failles sismiques ou de régions côtières.

Confrontés aux effets du changement planétaire, des gaz à effet de serre, des modifications de la couche d'ozone, des fluctuations du niveau de la mer, nous avons une obligation morale envers les générations futures. La question n'est plus de savoir si la quantité de carbone doublera dans l'atmosphère mais à quelle vitesse et si nous serons préparés à faire face aux conséquences. Le changement planétaire est aujourd'hui le sujet de plusieurs accords et traités internationaux, comme le protocole de Kyoto. Une compréhension correcte des processus impliqués est nécessaire pour aider la prise de décision publique et soutenir les négociations internationales. Des outils précis, planétaires et indépendants sont également requis pour vérifier le respect des traités par leurs signataires.

En ce qui concerne les catastrophes naturelles, les défis sont autant humains qu'économiques. Nous ne pouvons plus tolérer les catastrophes naturelles qui tuent autant de personnes, en particulier les tremblements de terre : 25.000 morts en Turquie en 1999, 6.000 à Kobe, Japon, en 1995. Les inondations peuvent sembler moins mortelles, mais elles entraînent leur lot de dévastation dans les pays développés et dans les pays en voie de développement. Elles deviennent aussi plus fréquentes. D'un point de vue économique, une étude récente réalisée par une société de réassurance a révélé que les catastrophes naturelles ont coûté plus de 100 milliards d'euros rien que pour l'année 1999.

Face à des environnements qui se détériorent et au manque croissant de ressources, à la déforestation, à la sécheresse, à la pollution de l'eau et du sol, en d'autres termes face à ce que l'on appelle aujourd'hui le stress environnemental, les défis relèvent de la santé publique et de la sécurité civile. Le concept de stress environnemental doit être compris tant en termes de pression de l'homme sur son environnement qu'en termes de réaction de l'environnement sur l'homme. La détérioration des ressources et de l'environnement entraîne de nouvelles pathologies et affections. C'est également une source d'instabilité et de conflit. La sécurité des populations, l'approvisionnement en denrées alimentaires, la qualité de l'eau et la santé sont des questions qui relèvent de ce que l'on appelle aujourd'hui la sécurité environnementale.

Le principal constat est que, en dépit de quelques certitudes établies concernant l'évolution de l'environnement et les causes des catastrophes naturelles, de nombreuses incertitudes subsistent. Pour réduire ces incertitudes, il faut mettre en oeuvre un important effort de recherche basé sur un système global de collecte de données et des modèles performants.

Plusieurs observatoires spatiaux capables de remplir un certain nombre des objectifs de GMES sont déjà opérationnels. Nous pouvons citer les satellites METEOSAT exploités par EUMETSAT, ERS-2 de l'ESA ou les systèmes français comme SPOT, TOPEX, POLDER, ARGOS et VEGETATION. D'autres vont l'être prochainement : ENVISAT, JASON, SMOS, CRYOSAT, PICASSO, MSG, METOP, DEMETER et PLEIADES pour ne mentionner que les programmes européens. Dans le domaine des télécommunications, les satellites français STENTOR et ARTEMIS de l'ESA pourront contribuer également aux phases de démonstration de GMES dans le contrôle des opérations dans les situations de catastrophe naturelle. A court terme, ces observatoires spatiaux doivent être coordonnés avec des observations au sol. Il faut souligner l'importance des données in situ et leur complémentarité avec les données spatiales. En effet, nous ne savons pas, à ce jour, tout mesurer depuis l'espace. De nombreux paramètres vitaux doivent être mesurés dans l'atmosphère, au sol, dans le sous-sol ou dans les océans, en particulier les données chimiques et biologiques. Cette collecte des données in-situ est, dans une large mesure, déjà menée dans le cadre des observatoires et des centres de recherches existants. Ces informations sont une contribution nécessaire au système d'observation GMES.

La politique spatiale de la France doit soutenir de tels efforts de coordination des observatoires terrestres et spatiaux existants, qu'ils soient opérationnels ou scientifiques, au niveau européen, en impliquant aussi les centres de recherche. Dans un sens, cette coordination existe déjà pour les prévisions météorologiques. Il est très avancé pour l'océanographie, à la suite des travaux réalisés sur les données TOPEX et grâce aux projets MERCATOR et GODAE. La priorité aujourd'hui sera de l'étendre aux questions relatives au domaine continental, à la biosphère et à la chimie de l'atmosphère. De même, De la même manière de nombreux systèmes spatiaux d'observation de l'environnement sont exploités ou Par conséquent, la première priorité n'est pas de créer de nouveaux centres de recherche ou de nouveaux systèmes spatiaux, mais de coordonner les observatoires terrestres et spatiaux existants.

Une surveillance planétaire, continue et durable de l'environnement terrestre est clairement l'objectif ultime du système GMES.

La transformation appropriée des données brutes ainsi recueillies en informations utiles pour les citoyens et les gouvernements, objectif ultime de GMES, requiert un effort accru de recherche et de développement. En particulier, les données brutes de télédétection sont généralement peu utiles pour un utilisateur recherchant des informations sur l'air, le sol, l'eau ou la végétation. Pour être utiles, les données doivent être traduites en informations. Ce processus de « traduction » repose sur l'établissement de fonctions de transfert entre les observations et les besoins des utilisateurs. Dans de nombreux cas, ces fonctions de transfert sont inconnues.

Combler ce manque est important. Ce n'est qu'en comprenant totalement les processus impliqués que nous serons en mesure d'identifier des indicateurs de changements environnementaux et donc de construire des modèles capables de prévoir les catastrophes soudaines, la lente détérioration des ressources ou les changements de l'environnement au niveau planétaire. Cet effort rendra possible à terme le développement de services basés sur l'observation de la terre. L'exemple de la météorologie est instructif. Les services météorologiques, qu'ils soient publics ou privés, se sont développés avec l'évolution des connaissances relatives à la dynamique des processus atmosphériques. Ils ont progressé davantage encore récemment avec la compréhension du couplage entre l'océan et l'atmosphère. A ce propos, on peut également constater qu'ils dépendent largement de réseaux d'observatoires à la fois spatiaux et in situ.

De nombreux centres de recherche en Europe travaillent sur la compréhension des processus physiques impliqués et sur les outils mathématiques, numériques et informatiques nécessaires pour la modélisation de ces systèmes, en particulier les phénomènes de couplage non linéaire qui font la spécificité et la complexité des systèmes naturels.

La complexité des processus de fonctionnement des écosystèmes continentaux et l'hétérogénéité des couverts impose une stratégie d'observation privilégiant l'intégration des échelles et des différents paramètres observés. Celle-ci repose sur la combinaison de l'imagerie spatiale à haute et moyenne résolution, de l'imagerie aéroportée et des mesures sur le terrain.

L'effort spatial français dans ce domaine s'appuie sur la continuité et l'évolution du programme Spot. L'imagerie HRV est notamment utilisée dans le cadre de campagnes d'observation intensives (Hapex, Boreas, Salsa) ou pour des réseaux de mesures plus extensives.

SPOT-4, mis en orbite le 21 mars 1998, marque une évolution décisive avec l'adjonction d'un canal moyen infrarouge à l'imageur HRV (devenu HRVIR), et surtout grâce au système Vegetation, cofinancé par l'Union Européenne, la France, la Belgique, la Suède et l'Italie et destiné à l'observation permanente globale et répétitive de la biosphère continentale. A bord de Spot, Vegetation apportera en effet un progrès décisif par rapport à AVHRR, notamment grâce à sa capacité de couverture globale répétitive à moyenne résolution (1 km) et avec une qualité géométrique inégalée, à des corrections atmosphériques améliorées (bandes bleue et infrarouge moyen) et à la capacité d'observation simultanée à moyenne et haute résolution que permet son utilisation conjointe avec l'instrument HRVIR.

La composante sol opérationnelle est constituée du centre de programmation (Toulouse, France), de la station de réception des images (Kiruna, Suède), du centre de traitement d'images (MOL, Belgique) et de la cellule Qualité Image (Toulouse, France). Les données et produits Vegetation sont fournis de manière opérationnelle aux utilisateurs depuis le 1 er mars 1999.

Un programme préparatoire à l'utilisation des données Vegetation a été mis en place. Trente-trois projets pilotes ont été sélectionnés. Le séminaire Vegetation 2000 a permis la présentation des premiers résultats du programme Vegetation, mettant notamment en évidence l'utilisation des données Vegetation pour l'estimation des paramètres optiques des surfaces terrestres à l'échelle globale, et leur utilisation pour estimer le cycle du carbone et les productions végétales. Les équipes françaises contribuent également à un projet d'intercomparaison des produits dérivés des différents capteurs optiques à grand champ de vue, incluant notamment Vegetation, Meris (ENVISAT) et METEOSAT SG.

1. Développer les services publics environnementaux

GMES aborde plusieurs politiques de l'Union européenne : la politique en matière d'agriculture et de pêche, la politique environnementale, la politique de transport, la politique de sécurité, la politique de développement ainsi que la négociation et le suivi des accords internationaux. Les différentes communautés d'utilisateurs représentées au symposium de Lille ont fait part de leurs besoins d'informations, que ce soit en amont de leurs actions comme outils d'aide à la prise de décision ou en aval comme outils d'évaluation de l'efficacité et de l'opportunité de ces actions. Cependant, ces communautés ne semblent pas mesurer ce que GMES et les techniques spatiales peuvent leur apporter.

Cette attitude est similaire à celle qui a prévalu dans les débuts du téléphone portable ou lors des premières applications du GPS. En moins de dix ans, le téléphone mobile est passé du statut de jouet élégant à celui d'outil indispensable. Le GPS quant à lui, après avoir fait ses débuts dans les laboratoires scientifiques et les voitures de course, s'est étendu aux services planétaires de guidage de véhicules et à la gestion de flottes de conteneurs.

Les observations environnementales doivent faire l'objet d'un effort renforcé de « marketing » pour démontrer leur pertinence pour les besoins des utilisateurs et pour pénétrer le secteur des services . Au stade actuel, ces services concerneront essentiellement la demande du domaine public. Toutefois, sur la base de l'exemple de la météorologie, qui a été cité à plusieurs reprises au cours du symposium de Lille comme bon modèle de fonctionnement, nous pensons que, sur la base de services publics bien établis, des services privés se développeront ultérieurement.

Pour encourager cet effort de « marketing », il faut identifier les facteurs limitant la diffusion et l'utilisation des techniques d'observation de la terre et proposer des solutions. Les délibérations du symposium de Lille ont souligné trois principaux facteurs limitants dans l'utilisation étendue de systèmes spatiaux d'observation de la terre : le « manque de connaissances », la complexité et l'hétérogénéité des données et les difficultés pratiques d'accès aux données.

2. Favoriser l'accès aux systèmes et aux données spatiales

L'hétérogénéité et la complexité des données disponibles sont dues essentiellement au grand nombre de détecteurs différents en existence et à l'hétérogénéité des niveaux de traitement auxquels ces données sont disponibles pour les utilisateurs. Il manque un maillon en Europe dans la chaîne d'informations entre les produits livrés par les agences spatiales et les utilisateurs, qu'ils soient scientifiques, institutionnels ou du secteur privé. Le traitement des données s'arrête souvent en amont de ce qui est nécessaire pour les utilisateurs. Par exemple, ESA s'arrête au niveau 2 dans les plans de traitement pour MERIS, un instrument sur ENVISAT. Dans le cas d'imagerie à champ large comme POLDER ou VEGETATION, des images géocodées sont disponibles alors que les utilisateurs ont besoin de paramètres bio/géophysiques qui peuvent être insérés directement dans leurs modèles. En outre, il est difficile de faire correspondre ces indices d'images/de végétation avec ceux des autres détecteurs.

Sans être insurmontables, les difficultés de ces traitements sont réelles et surviennent principalement en raison de deux facteurs : la quantité des données à manipuler et la physique des mesures, faisant cependant l'objet de recherches et pour laquelle les sources d'incertitude ne sont pas encore maîtrisées.

Dans ce contexte, il est nécessaire de créer des structures qui mettront en place tout ou partie du chaînon manquant, c'est-à-dire qui fourniront aux utilisateurs les produits dont ils ont besoin pour leurs applications . L'agence européenne EUMETSAT délègue le calcul des produits nécessaires pour les modèles météorologiques aux agences météorologiques nationales par l'intermédiaire de Satellite Application Facilities , avec un succès respectable. La météorologie peut être prise encore comme modèle pour construire les centres de traitement GMES. Ces structures doivent avoir un caractère européen et doivent être coordonnées au sein du NOE. Cela garantira la complémentarité des produits et services fournis. Ces centres essaieront de satisfaire la demande des utilisateurs scientifiques et institutionnels. Des initiatives de ce type existent actuellement en Belgique, en Allemagne et en Italie. Le CNES en France travaille sur une initiative de ce type sur le thème spécifique du contrôle planétaire des surfaces terrestres en utilisant des détecteurs à champ large.

Le dernier facteur de blocage est la difficulté d'accès aux données spatiales par les utilisateurs. Cela provient à la fois d'un problème technique et d'un problème économique. Le problème technique, dû à la taille des dossiers concernés, notamment pour les images, devrait être en partie résolu par le développement de réseaux à haut débit qui seront installés dans les années à venir. Ce problème nécessitera également des développements technologiques consacrés au codage, au cryptage et à la transmission accélérée de ces données.

Le problème économique est plus difficile. Actuellement, l'expérience montre que dans le secteur commercial utilisant des détecteurs à distance, le coût global des données spatiales représente plus de 50% du service rendu, laissant très peu de place pour la valeur ajoutée par les experts (et pour la marge financière !). Ce coût global est réparti entre le coût de traitement, qui pourrait être considérablement réduit par l'action des centres de traitement mentionnés ci-dessus, et le prix d'achat des données. En effet, les données provenant de l'observation de la terre pouvant contribuer efficacement à la réalisation des objectifs du GMES peuvent également avoir une valeur commerciale.

Il est important de créer des mécanismes de compensation pour que les parties intéressées du secteur public du GMES puissent obtenir les données spatiales dont elles ont besoin aussi gratuitement que possible. Un exemple en est l'initiative prise récemment par le CNES pour distribuer gratuitement les données SPOT pour un usage scientifique. Des programmes de financement durables restent à mettre en oeuvre. C'est l'un des principaux éléments du projet GMES.

III. NAVIGATION, POSITIONNEMENT ET SYNCHRONISATION PAR SATELLITES : L'ESPACE COMME UN ENJEU STRATÉGIQUE MAJEUR

Les satellites ont ouvert des possibilités nouvelles dans trois domaines qui sont indissociables :

- la connaissance précise du champ gravitationnel de la Terre,

- la synchronisation des horloges et la diffusion précise du temps,

- le positionnement et la navigation.

Le caractère dual de ces trois domaines est fortement marqué. Chacune de ces trois dimensions commande des enjeux civils aussi bien que des enjeux militaires.

C'est ainsi que la connaissance du champ gravitationnel terrestre et celle de la position du lance-engin déterminent la précision avec laquelle on sait prévoir la trajectoire d'un engin balistique.

Les enjeux ont été compris dès le début des programmes spatiaux ; dès 1965, les satellites de navigation Transit permettaient aux bâtiments de l'US Navy, et en particulier aux sous-marins nucléaires, de déterminer leur position en mer avec une erreur inférieure à 100 m et diffusaient le temps avec une précision de quelques microsecondes. Les premiers satellites du CNES, Diapason et les deux satellites Diadème, lancés d'Hammaguir par Diamant A, étaient des satellites « géodésiques » qui utilisaient les mêmes techniques que Transit. Depuis cette époque, le programme spatial national n'a jamais cessé de se développer dans ce secteur de sorte que la France dispose de toutes les techniques nécessaires à la navigation précise par satellites et d'équipes scientifiques de niveau international, celles du GRGS ( 35 ( * ) ) en particulier, qui font jeu égal avec leurs homologues des Etats-Unis. Nos partenaires européens, en revanche, ont quelque peu négligé jusqu'à ce jour ce secteur de la technique spatiale. De ce fait, ils sont moins bien préparés que la France à affronter la situation créée par le système américain GPS. Le programme scientifique obligatoire de l'ESA ou les programmes optionnels n'ont mis en oeuvre, jusqu'à ce jour, aucun projet qui en relève.

La relation de l'Europe au système GPS domine les réflexions actuelles. C'est une question d'une importance capitale pour la définition d'une politique spatiale de la France et de l'Europe. Cependant, quelle qu'en soit l'importance, elle ne doit pas occulter d'autres éléments et conduire à les sous-estimer. Il s'agit notamment du système Doris développé et exploité par le CNES.

A. SYSTÈMES GLOBAUX DE NAVIGATION PAR SATELLITES (GNSS) : GPS, GLONASS ET GALILEO

Les systèmes globaux de navigation par satellites (GNSS, Global Navigation Space Systems) sont un enjeu stratégique capital pour l'Europe.

Le débat, engagé jusqu'au niveau le plus élevé des Etats européens autour du programme de navigation par satellite Galileo, donne lieu à une abondante littérature dans laquelle les détails techniques, juridiques et institutionnels complexes - et souvent confus - ont tendance à occulter l'importance des enjeux.

Ce rapport tentera de dégager les éléments essentiels sur lesquels devrait se fonder l'attitude politique de l'Europe.

1. Le contexte international

La situation à laquelle est confrontée l'Europe résulte d'une initiative déjà ancienne des Etats-Unis qui ont développé et déployé à des fins militaires, et sous le contrôle exclusif du DoD (Department of Defence), un système de positionnement précis, le GPS (Global positioning system).

Les usages à des fins civiles de ce système se sont développés de façon explosive et partout dans le monde. Il s'agit :

- du positionnement précis des mobiles : navires, aéronefs, automobiles, bus, taxis, machines agricoles, containers, etc.

- de la distribution précise du temps : le fonctionnement de vastes secteurs tels que téléphone mobile et transactions financières exige une synchronisation extrêmement précise d'installations terriennes pour permettre leur fonctionnement en réseau sur de vastes espaces géographiques. Cette synchronisation est assurée par des signaux GPS dont la disponibilité leur est devenue indispensable.

Ce système a donc engendré une dépendance majeure de la société civile à l'endroit des services qu'il fournit.

Dans le même temps, il s'intègre de plus en plus étroitement à la conception et à l'usage des systèmes d'armes au point d'en constituer un élément central. Il s'agit notamment de permettre des frappes de haute précision à grande distance, mais aussi à une petite unité ou même à un individu évoluant en territoire hostile de se positionner avec précision.

L'Union soviétique avait développé de son côté un système analogue, GLONASS, dont la Russie ne semble pouvoir assurer le maintien en conditions opérationnelles.

Le GPS est donc aujourd'hui en situation de monopole mondial.

Cette situation pose à l'Europe deux catégories de problèmes :

- ceux qui résultent de l'usage à des fins civiles d'un système militaire dont les caractéristiques ne sont pas a priori conçues pour répondre aux exigences des usagers civils. Ces problèmes se posent dans les mêmes termes pour tous les usagers civils, qu'ils soient européens ou américains. Une solution réside dans le développement de compléments au système. Cette démarche d'augmentation est celle qui est poursuivie avec le programme européen EGNOS.

- en second lieu et surtout, le problème de dépendance qui résulte de la démarche consistant à confier à un système sous contrôle étranger le fonctionnement de réseaux critiques de télécommunications et de transport, tant civils que militaires. L'acceptation de cette dépendance dans la conception de la politique spatiale serait complètement incohérente avec l'objectif d'autonomie qui sous-tend le programme de lanceurs.

La seule solution envisageable à ce problème est la construction d'un système européen autonome, fournissant les mêmes services que GPS ; c'est l'objet du programme Galileo.

2. Augmentation de GPS : EGNOS

L'objectif d'EGNOS est de remédier à deux obstacles au développement des usages civils de GPS :

- la garantie d'intégrité du service, qui est essentielle pour certains utilisateurs, et notamment pour l'aviation civile,

- le manque de précision lié à la dégradation volontaire qui réserve aux utilisateurs militaires américains l'accès à la précision ultime de GPS,

Le système GPS ne prévient pas l'utilisateur du dysfonctionnement d'un ou plusieurs satellites de la constellation. EGNOS est conçu essentiellement pour fournir en temps réel l'information correspondante qui est indispensable aux usages pour les transports et notamment pour l'aviation civile.

Deux autres programmes WAAS pour les Etats-Unis, couvrant l'ensemble des Amériques, et MSAS pour le Japon, couvrant la zone Asie-Pacifique, fournissent un service de même nature.

EGNOS remédie en somme aux déficiences du système GPS liées à son origine militaire, et permet d'étendre ses usages civils ; il ne permet aucun contrôle de la dépendance, qu'il tend au contraire à accroître en multipliant les utilisations accessibles à GPS.

3. Le projet GALILEO

Le projet Galileo est pour l'essentiel un GPS européen destiné à affranchir l'Europe de sa dépendance à l'endroit d'un système militaire sur lequel elle n'a aucun contrôle.

La définition technique du système Galileo doit naturellement tenir le plus grand compte des usages civils du système, s'agissant en particulier des garanties d'intégrité et de continuité du service. Cependant, quelle que soit la définition qui, compte tenu du niveau de technicité atteint par l'industrie spatiale européenne, sera finalement retenue, la faisabilité n'est pas douteuse. L'industrie européenne dispose de toutes les technologies nécessaires pour développer et déployer le système : horloges atomiques, techniques de télécommunication et de traitement du signal de navigation, réalisation des véhicules spatiaux. L'essentiel est ailleurs, dans la prise en compte des éléments sur lesquels peut se fonder la volonté politique et dans la définition des responsabilités institutionnelles et d'une organisation.

4. Les fondements d'une volonté politique

Les principaux éléments sur lesquels peut se fonder l'attitude politique de l'Europe à l'endroit de ce projet sont de trois ordres :

- les enjeux stratégiques,

- les enjeux économiques et industriels,

- les éléments de politique étrangère dominée par la relation avec les Etats-Unis.

a) Les enjeux stratégiques

L'acceptation ou le refus d'un degré élevé de dépendance stratégique est la question centrale que pose à l'Europe le programme Galileo. Le monopole mondial de GPS soumettra, à la disponibilité d'un système sous contrôle étranger unique, un grand nombre de secteurs, tant civils que militaires, d'une importance vitale pour la sécurité et l'économie de l'Europe : il existe une différence de nature entre le fait d'accepter cette dépendance comme une situation de fait temporaire et celui de la considérer comme un état de chose permanent dont la pérennisation est acceptable dans le long terme.

Passer de l'un à l'autre aurait des conséquences dont il convient de mesurer la portée :

- il s'agit en premier lieu de la cohérence de la politique spatiale ; rien ne sert d'assurer l'autonomie de l'Europe dans l'accès à l'espace si cette autonomie n'est pas utilisée pour assurer l'indépendance européenne dans le secteur qui est de nature à engendrer le degré le plus aigu de dépendance. Si l'on devait, dans ce domaine, s'en remettre à la bonne volonté américaine, c'est l'ensemble de la logique du programme spatial qu'il faudrait réviser.

- le degré d'autonomie dont on entend doter les moyens d'action de la politique européenne de Défense sont un autre domaine où la cohérence de la démarche européenne est en cause . Cette autonomie exige la disponibilité de moyens propres d'observation, de télécommunications et de navigation. Les programmes en cours pourvoient aux besoins dans les deux premiers domaines, mais non dans le troisième. Un enjeu de Galileo est donc la cohérence de la démarche européenne de défense. Rappelons que l'incorporation de GPS dans tous les systèmes d'armes américains a été rendue obligatoire par le Congrès.

- la visibilité internationale de la dépendance acceptée par l'Europe affecterait inévitablement la crédibilité politique de l'Europe . Cette visibilité est l'effet de l'extrême diversité et de l'importance des applications économiques de la navigation par satellite.

En outre, si l'on fait l'effort de s'abstraire des circonstances qui ont conduit à l'établissement d'un monopole mondial des Etats-Unis dans un domaine aussi critique, et si l'on réfléchit à la structure mondiale de responsabilités qu'il convient d'établir, on est conduit à reconnaître que les impératifs de disponibilité, de continuité et de sécurité du service ne peuvent être confiés à un système et à un centre de responsabilité uniques .

Une redondance sera, à terme, de plus en plus indispensable, ce qui met en évidence deux caractéristiques qui s'imposent à l'action européenne :

- assurer l'interopérabilité de GPS et de Galileo pour le bénéfice de l'ensemble des usagers mondiaux ;

- construire autour de ces deux programmes , et singulièrement autour des problèmes de sécurité que pose la disponibilité des services, une coopération étroite entre l'Europe et les États-Unis dans le respect de l'autonomie européenne .

b) Les enjeux économiques et industriels

L'appréciation des enjeux économiques et industriels pour l'Europe repose sur la prise en considération de deux éléments :

- le développement du marché des équipements et des services,

- l'avantage que donne à l'industrie américaine la position monopolistique de GPS.

S'agissant du premier élément, les études conduites par la Commission européenne, par le CNES et par l'ESA mettent en évidence une croissance exponentielle du marché mondial

Ces chiffres sont très supérieurs à l'investissement dans le segment spatial.

Il faut leur ajouter les bénéfices économiques pour les utilisateurs évalués par exemple à 160 M€/an pour la seule navigation aérienne en route et en approche.

2005-23

Services à valeur ajoutée

Ventes d'équipement

Total

GPS

74 milliards d'euros

79 milliards d'euros

154 milliards d'euros

GPS + Galileo

113 milliards d'euros

122 milliards d'euros

235 milliards d'euros

Bénéfice de Galileo

39 milliards d'euros

43 milliards d'euros

82 milliards d'euros

Ce tableau donne une estimation du bénéfice économique produit par les ventes d'équipements et de services à valeur ajoutée dans le marché de la navigation par satellites. Deux scénarios sont envisagés : GPS seul et GPS + Galileo. Le bénéfice procuré par Galileo pourrait atteindre 80 milliards d'euros sur la période 2005-2023 ; il est engendré par la combinaison d'un élargissement du marché et d'une part plus importante pour l'industrie européenne.

Ces chiffres ne prennent pas en compte les bénéfices indirects générés par l'utilisation de Galileo pour améliorer les conditions d'exploitation dans de nombreux secteurs économiques.

Source : Galileo - Involvin Europe in a New Generation of Satellite Navigation Services. Commission européenne. Février 1999.

En regard des évaluations du marché global, il faut apprécier les avantages que donnerait le projet européen aux industriels et aux utilisateurs.

On peut à cet égard emprunter à la réflexion américaine l'expression d'un objectif synthétique : « Décourager la prolifération des systèmes concurrents et donner à l'industrie des Etats-Unis la meilleure chance de maintenir son leadership actuel dans un marché commercial croissant »( 36 ( * ) ).

La mise en oeuvre du projet Galileo donnera aux industriels européens une position stratégique comparable à celle de leurs compétiteurs américains ; elle supprimera l'avantage décisif que la maîtrise du GPS par leur Gouvernement donne aux industriels américains, et singulièrement leur capacité d'anticipation dans le domaine de la normalisation et de la standardisation des équipements et des services.

Au total, ce qui est en cause, c'est la présence de la technologie européenne dans ce qui va constituer, de plus en plus, dans les décennies qui viennent, l'un des fondements des réseaux mondiaux sur lesquels se développe la société de l'information .

c) La politique étrangère dans sa relation avec les Etats-Unis

La mise en oeuvre de Galileo conduira à une rupture de la situation de fait qui existe aujourd'hui dans ce domaine et qui est celle d'un monopole mondial des Etats-Unis.

Il est dans la nature des choses que les Etats-Unis cherchent à protéger ce monopole ; cependant, les raisons qu'ils peuvent avoir d'agir en ce sens doivent être examinées avec soin ; certaines répondent à des préoccupations qui sont parfaitement légitimes, alors que d'autres le sont moins.

L'existence d'un système global de navigation échappant à leur contrôle direct crée inévitablement une préoccupation de sécurité nationale que d'ailleurs l'Europe peut et doit partager . L'usage à des fins hostiles - pour le guidage d'un missile de croisière par exemple - doit de toute évidence être interdit et l'intégrité du système doit être préservée contre des agressions.

Compte tenu de l'impératif d'interopérabilité de GPS et de Galileo déjà évoqué, la maîtrise de ces aspects de sécurité exige que s'établisse un dialogue approfondi entre l'Europe et les Etats-Unis .

Il serait fâcheux en effet que cet impératif de sécurité serve d'alibi à d'autres motivations moins avouables que les Etats-Unis peuvent avoir de perpétuer leur monopole.

Ces motivations découlent généralement de l'analyse politique qui fait de l'espace un outil privilégié d'hégémonie mondiale et spécifiquement de l'étendue de la dépendance stratégique qui s'attache à la navigation par satellite.

Elles relèvent de l'analyse exprimée par le Space Policy Advisory Board, en 1992, dans les termes suivants : « Les Etats-Unis sont le leader mondial dans les technologies spatiales et la conversion des ressources de la défense pour protéger ce leadership serait un moyen efficace de renforcer la compétitivité américaine »( 37 ( * ) ) . Il est clair que dans ce domaine les intérêts de l'Europe et des Etats-Unis, qui convergent sur les problèmes de sécurité, deviennent divergents. Il y a bien entendu tout lieu d'attendre que les Etats-Unis utilisent les multiples moyens d'action diplomatiques et de pression dont ils disposent pour tenter de s'opposer à la constitution d'une volonté politique européenne. On trouve les éléments de cette démarche analysés et exprimés dans de nombreux documents américains ; ce passage, par exemple, sous-tend clairement une tactique de maintien du monopole : « Si les Etats-Unis continuent à fournir un signal gratuit de haute qualité, il est douteux que quiconque veuille engager les dépenses nécessaires pour bâtir un système spatial global comparable. Le contrôle des Etats-Unis sur le segment spatial de GPS leur permet de protéger leurs intérêts militaires, cependant que la compétition commerciale sur les équipements terriens tend à promouvoir la croissance économique globale » ( 38 ( * ) ) .

Le caractère essentiel de la relation Europe-Etats-Unis ne devrait pas conduire à négliger la concertation avec la Russie et avec le Japon. Bien que l'avenir du système GLONASS soit passablement incertain, ce serait une erreur de ne pas maintenir un dialogue étroit avec les responsables russes. Par ailleurs, une concertation avec le Japon est nécessaire dans la perspective d'un système mondial global ; d'autant plus nécessaire que l'industrie japonaise a beaucoup développé les terminaux GPS et que les intérêts japonais ne sont pas fondamentalement différents de ceux de l'Europe .

5. La démarche de mise en oeuvre de GALILEO

Sans entrer dans une analyse détaillée de la démarche institutionnelle que nécessite la mise en oeuvre de Galileo, ce qui excéderait le cadre de ce rapport, on relèvera un certain nombre de caractères que devrait présenter cette démarche parce qu'ils expriment une politique spatiale et qu'en même temps ils conditionnent le succès de l'entreprise :

- la nature du projet, ses enjeux, ses objectifs imposent un contrôle politique de ses orientations et un contrôle civil gouvernemental de sa mise en oeuvre ; cela signifie que, comme c'est d'ailleurs le cas, les structures de l'Union européenne doivent être impliquées, de façon centrale ;

- la structure de gestion du projet doit être unique et la responsabilité technique doit être exercée par une entité unique dotée de l'autorité et de l'expérience technique indispensables . Il n'y a pas d'alternative, à cet égard, au recours à l'Agence spatiale européenne. Cela suppose qu'une relation formalisée soit établie entre l'Union européenne et l'Agence pour encadrer ce projet ; cette démarche n'a pas de précédent ; elle soulève sans doute beaucoup de difficultés de détail, mais on ne voit pas à quels obstacles de principe elle pourrait se heurter.

On pourrait par exemple rapprocher et fondre la notion de « projet optionnel » de l'ESA, telle qu'elle est définie dans la convention de l'Agence, et la notion de « joint undertaking » qui est défini dans l'article 171 ; on obtiendrait ainsi un cadre juridique commun à l'ESA et à l'Union.

- la question de la participation d'un financement privé et des formes qu'il pourrait prendre est considérée comme très importante par certains des Etats membres . Le projet Galileo n'est pas le meilleur de ceux auxquels on aurait pu songer pour initier cette démarche. La fourniture d'un service gratuit par GPS, qui fait partie, au moins pour un temps, d'une tactique de maintien du monopole américain, rend difficile l'identification d'un retour direct sur investissement. Il semble cependant désirable de poursuivre cette démarche à laquelle les industriels européens se sont montrés ouverts. Le mécanisme de « private funding initiative » (PFI) (par lequel un retour financier sur investissement est garanti par un achat de service par la puissance publique) pourrait offrir une issue et il aurait l'avantage supplémentaire de confronter le partenaire industriel non à une obligation de résultat.

Conclusion

Galileo apparaît comme la pierre de touche de la politique spatiale de l'Europe, c'est-à-dire comme le projet qui est susceptible de donner à l'effort spatial européen sa cohérence fondée sur une volonté politique d'autonomie stratégique.

Dans le même temps, il exige, pour la première fois, une démarche commune et fortement structurée de l'Europe politique et de l'Europe spatiale. Il constitue ainsi un enjeu critique dont dépend, en définitive, l'avenir - et même l'existence - d'une politique spatiale européenne.

Un signal positif a été donné tout récemment, le 5 avril 2001, par le Conseil des Ministres des Transports de l'Union européenne. Celui-ci a décidé d'autoriser la première étape, en 2001, de la phase de développement et de validation, qui sera financée à hauteur de 1,1 milliard d'euros à parts égales par la Commission européenne (fonds RTE - réseaux transeuropéens) et l'Agence Spatiale Européenne.

Par ailleurs, l'industrie européenne ( 39 ( * ) ) s'est mobilisée -par un engagement personnel à confirmer en 2001- pour le financement du projet, à hauteur de 200 millions d'euros, dès sa phase de développement.

Il est indispensable de continuer sur cette voie.

B. DORIS

Le système DORIS (Détermination d'Orbite et Radiopositionnement Intégrés par Satellite) a été développé par le CNES et embarqué pour la première fois par le Satellite Spot 2 lancé en 1990.

Il est conçu pour répondre aux besoins d'orbitographie de précision (missions d'altimétrie spatiale) et de localisation précise de balises (besoins de la géodésie). La qualité et l'importance de l'excellence acquise ne doivent pas être sous-estimées ; un exemple en donne la mesure : c'est Doris qui assure l'orbitographie, de précision centimétrique, du satellite franco-américain Topex-Poseidon, bien que le satellite ait un récepteur GPS embarqué à bord ; il en sera de même pour son successeur préopérationnel Jason. La navigation autonome d'un satellite, qui est une évolution recherchée pour alléger le poids des segments terriens et le coût des opérations, notamment dans la perspective des constellations, est l'une des cibles de GPS ; sa généralisation créerait une dépendance des systèmes spatiaux à l'endroit de GPS. Le couplage de Doris avec un logiciel de calcul d'orbite à bord en temps réel (Diode) offre une alternative qui est d'ores et déjà disponible et qui pourrait permettre, le cas échéant, de contourner cet aspect particulier de la dépendance GPS.

Les applications de Doris sont extrêmement diverses et concernent aussi bien les applications opérationnelles que la recherche scientifique. Rappelons que Doris a été le premier système spatial à pouvoir mesurer des phénomènes de très faibles amplitudes comme les mouvements verticaux de la croûte terrestre.

Au total, le programme spatial français dispose avec Doris d'une technique qui répond potentiellement à deux objectifs :

- disponibilité d'un instrument de haute précision pour les applications scientifiques,

- disponibilité d'un instrument de navigation métrique adapté notamment aux constellations.

Cet atout ne saurait être négligé, singulièrement tant que subsiste un monopole mondial sur les systèmes de type GPS.

Il convient donc de poursuivre dans ce domaine une politique de produit fondée sur la continuité du service et la promotion du système, dans les cadres européen et international.

QUATRIÈME PARTIE  : CONTEXTE, STRUCTURES ET INSTITUTIONS DE LA POLITIQUE SPATIALE

Le jeu d'acteurs qui organise l'activité spatiale est devenu singulièrement plus complexe qu'il ne l'était à l'origine. On peut y distinguer trois acteurs centraux :

- les agences spatiales, bras exécutifs du pouvoir politique chargés de mettre en oeuvre les programmes financés en totalité ou partiellement par de l'argent public, mais aussi de proposer au pouvoir politique les orientations et les contenus programmatiques qui les traduisent,

- l'industrie spatiale, détentrice pour l'essentiel du savoir-faire qui matérialise la capacité spatiale et qui est confrontée à une double relation avec l'Etat et avec le marché,

- les structures utilisatrices, publiques ou privées, qui se sont développées le plus souvent en intermédiaires entre les utilisateurs finaux et les systèmes spatiaux.

Le contexte dans lequel ces acteurs centraux opèrent s'est lui-même considérablement transformé, les aspects majeurs de cette transformation étant :

- la disparition, avec la fin de la guerre froide, de l'affrontement Est-Ouest et la tendance vers un monde unipolaire,

- la montée en puissance de l'Europe politique et le rôle croissant des structures de l'Union européenne,

- l'émergence de capacités spatiales nouvelles -Japon, Inde, Brésil- et la transformation du contexte international dans lequel peuvent se développer des relations avec la Russie et la Chine.

A quoi s'ajoute naturellement l'évolution très rapide des techniques spatiales et plus généralement des techniques informationnelles et de l'importance qu'elles ont acquise.

Tout cela pose des problèmes aigus d'adaptation des structures concernées. Cette adaptation de l'outil à la tâche est, bien entendu, partie intégrante de la politique spatiale , ne serait-ce que parce qu'elle détermine l'efficacité de la mise en oeuvre, mais aussi en raison de la dimension humaine des problèmes qu'elle pose ; elle doit le plus souvent être examinée à deux niveaux, national et européen.

Les agences spatiales, dans leur relation entre elles et avec les autres acteurs, sont concernées au premier chef par cette évolution.

I. LE NIVEAU EUROPÉEN ET LE NIVEAU NATIONAL

A. L'AVENIR DES AGENCES SPATIALES

1. Les rapports entre l'ESA et les Agences nationales

Le rôle des agences spatiales est double ; il est de proposer la politique spatiale, ses objectifs et les projets qui les expriment au Gouvernement et de mettre en oeuvre les décisions arrêtées. On ne se propose pas ici d'examiner ce problème dans toute sa généralité, mais de porter une attention spécifique au couple que forment le CNES et l'Agence spatiale européenne.

Le cas du CNES est en effet unique en Europe. Il existe d'autres agences nationales en Italie, en Allemagne, en Suède et au Royaume-Uni , mais aucune ne conjugue, au même niveau que le CNES, une expertise technique, concrétisée par l'existence des centres techniques de Toulouse, d'Evry et de Guyane, et une capacité de proposer, puis de mettre en oeuvre pour la part qui lui est confiée, une politique. Le DLR (Deutsche Luft und Raumfahrt) est ce qui s'en rapproche le plus en Europe mais, outre que sa responsabilité englobe l'aéronautique, son rôle et son poids dans la définition d'une politique spatiale allemande ont été historiquement très inférieurs à ceux du CNES en France. En outre, le CNES a joué ce rôle au sein du pays leader de l'effort spatial européen. Il n'est pas excessif de considérer qu'au premier ordre il n'existe, s'agissant de la capacité technique, que deux agences spatiales en Europe, le CNES et l'ESA, qui sont de dimensions comparables, et que l'harmonisation de leurs rôles résoudrait pour une part essentielle celui de l'harmonisation de la structure européenne et des structures nationales.

Naturellement, l'établissement d'une relation harmonieuse entre le CNES et le DLR ne doit à aucun degré être négligé , ne serait-ce que parce que la communauté de vues en entre la France et l'Allemagne sur la politique spatiale est indispensable à l'Europe. Mais ce problème, comme celui des relations du DLR avec l'ESA, semble beaucoup moins difficile que celui des relations du CNES avec l'ESA.

L'avenir des centres techniques est au coeur du problème . Ce n'est pas le rôle de l'état-major du CNES dans sa relation avec le niveau gouvernemental qui est en cause, mais celui des centres techniques dans la mise en oeuvre des programmes financés par l'argent public et dans la relation avec l'industrie. Une interprétation extrême de la convention de l'ESA - mais qui était celle de certains pays - consistait à prévoir la disparition de ces capacités nationales ( 40 ( * ) ) . Il est clair que ce n'est plus en ces termes que le problème se pose aujourd'hui et qu' on ne saurait envisager la suppression d'outils qui, dans leur rôle d'intermédiaire entre le niveau politique et l'industrie ont fait la preuve de leur efficacité et qui rassemblent un potentiel humain exceptionnel .

Le CNES possède trois centres techniques :

- le Centre spatial de Toulouse (CST), qui conduit les programmes de satellites,

- le Centre d'Evry, en charge du programme Ariane,

- le Centre Spatial de Guyane (CSG).

L'insertion de ces trois centres dans l'Europe spatiale pose des problèmes de natures complètement différentes.

Le CSG est considéré comme le centre de lancement de l'Europe . En termes politiques, son intégration dans la structure de l'Europe spatiale peut être considérée comme acquise bien que, naturellement, des difficultés circonstancielles puissent survenir lors du renouvellement des engagements juridiques et financiers qui lient la France à l'Europe. Il est clair que ce statut du Centre Spatial Guyanais doit être préservé.

Le Centre d'Evry possède, en matière de lanceurs, une compétence sans équivalent en Europe. Cette compétence s'est construite à l'origine autour du programme Diamant B, mais surtout à partir du rôle de maîtrise d'oeuvre du programme Ariane que l'Europe a délégué à la France. Il n'existe pas de centre européen ou de centre national qui soit doté d'une compétence comparable. Cependant, pour autant, Evry n'est pas considéré par nos partenaires européens comme un centre européen mais comme un centre national qui accomplit des tâches pour le compte de l'Europe.

Pour donner au centre d'Evry des perspectives d'avenir stables, il semble que deux tâches demeurent à accomplir :

- mettre en oeuvre, en concertation avec nos partenaires européens, et notamment avec l'Allemagne, une démarche délibérée d'européanisation . Ce n'est pas une tâche facile parce que le leadership de la France en matière de lanceurs est souvent ressenti par nos partenaires européens comme un quasi monopole difficilement supportable ;

- réexaminer la relation entre ce centre technique et l'industrie , compte tenu du développement de l'expertise industrielle et de l'intégration d'une part importante de cette expertise dans EADS.

Le Centre Spatial de Toulouse occupe, pour l'essentiel, le même créneau que le centre technique de l'ESA, l'ESTEC. C'est d'autre part le centre dont le caractère national est le plus accusé. Bien qu'il ait hébergé pendant plusieurs années l'équipe de l'ESA chargée du projet Meteosat, et qu'il lui ait fourni un support technique excellent, la relation du CST avec les structures européennes est très limitée, et les relations avec l'ESTEC sont encore dominées, de part et d'autre, par un sentiment de rivalité.

L'établissement d'une relation harmonieuse entre le CST et les structures de l'Europe spatiale est donc une tâche difficile en même temps que, à raison de l'importance du capital d'expertise qu'il représente, une tâche essentielle.

Sans entrer dans le détail des efforts qui seront nécessaires à cette fin, on peut avancer plusieurs observations :

- il n'est pas souhaitable que l'expertise technique dont dispose l'Europe au niveau public soit rassemblée dans un centre unique ; cela donne en effet une influence excessive aux détenteurs de ce monopole d'expertise sur les choix et les orientations qui relèvent de l'Etat-major et du niveau politique. La NASA l'a parfaitement compris qui a établi entre ses nombreux centres techniques, en même temps qu'un certain degré de spécialisation, une relation de concurrence. Il semble désirable de chercher, pour l'avenir, à établir une relation de cette nature entre les pôles d'expertise publique européens et notamment entre le CST et l'ESTEC ;

- par ailleurs, il est nécessaire que s'établissent des relations directes et actives entre les personnels de ces centres. L'harmonisation des relations entre les centres européens et nationaux ne peut se fonder exclusivement sur des décisions prises au sommet qui se heurterait, à la base, à la résistance des personnels. Il est indispensable de créer un dynamisme bottom up qui ne peut naître que du partage des tâches et des responsabilités à tous les échelons de la hiérarchie. De ce point de vue, certaines actions déjà entreprises : revues de projets mêlant des personnels nationaux et européens, éléments d'un projet confié par un centre à un autre centre, etc... sont susceptibles d'effets extrêmement positifs.

Au total, deux objectifs d'importance majeure doivent être conciliés par la politique spatiale :

- la préservation du potentiel humain de premier ordre que rassemble le CST,

- son intégration dans un réseau européen, outil indispensable pour la mise en oeuvre d'une politique spatiale.

2. Les relations entre l'ESA et l'Union européenne

L'Europe spatiale, concrétisée par l'ESA, et l'Europe politique de l'Union européenne se sont construites au cours de la même période par des processus qui trouvent leur source dans la même tendance vers l'unité européenne mais qui sont demeurés complètement indépendants. Il n'existe aujourd'hui aucune relation générale formalisée, ou juridiquement établie, entre les deux structures.

Une telle situation ne saurait être maintenue plus longtemps, alors même que certains domaines -Galileo, GMES, touchent à des enjeux politiques majeurs dans lesquels les structures de l'Union européenne doivent s'impliquer.

Le rapprochement de l'ESA et de l'Union européenne pose le problème de leurs rôles respectifs. Pris dans toute sa généralité, ce problème ne peut trouver sa solution que dans le respect des compétences et des expertises des deux partenaires. Sans pousser l'analogie trop loin, on peut considérer qu'il est de même nature que celui des relations entre un établissement public comme le CNES et l'autorité gouvernementale, relations qui s'établissent au mieux sur le respect mutuel des compétences, politiques d'un côté, programmatiques et techniques de l'autre , et sur une certaine distance entre les deux acteurs, que matérialise le concept d'établissement public doté d'une personnalité juridique distincte de celle de l'Etat.

Il est sans doute souhaitable, dans cette indispensable démarche de rapprochement, d'aller pas à pas en traitant des besoins concrets. Le projet Galileo s'impose à cet égard parce qu'il exige, liée à des enjeux majeurs, une action conjointe qui possède une double dimension politique et technique. C'est l'occasion de mettre en place une structure capable de gérer efficacement un projet voulu au niveau politique par l'Europe. La création d'une structure d'exécution efficace, allant très au-delà de la structure de concertation existante, est une démarche importante parce qu'elle pourra servir de précédent pour la suite.

L'ESA a montré en de nombreuses occasions qu'elle sait gérer un projet dans le respect des coûts et des délais ; il est essentiel que cette capacité soit reconnue et pleinement exploitée et que la Commission européenne ne cherche pas, dans la conjoncture créée par Galileo, l'occasion de mettre l'ESA sous une tutelle excessive et stérilisante.

Naturellement, il est souhaitable que se poursuive, en parallèle sur le cas Galileo, une démarche beaucoup plus générale que le Conseil de l'Union européenne et celui de l'Agence Spatiale Européenne ont défini, le 16 novembre 2000, en adoptant une Résolution sur la Stratégie Européenne pour l'Espace ( 41 ( * ) ) . Cette résolution avalise les propositions communes de la Commission et de l'ESA (document ESA/C (2000) 67 rev. 2 et COM (2000) 597) et invite les partenaires à créer une task-force commune chargée d'approfondir cette stratégie et de formuler des propositions pour sa mise en oeuvre. Cette task-force porte une lourde responsabilité ; Il est essentiel qu'elle fasse preuve de dynamisme.

De la sorte deux démarches sont conduites en parallèle, dont on peut espérer qu'elles vont converger : l'une plus concrète pour encadrer et mener à bien le projet Galileo, l'autre plus générale, qui est de nature à assurer le fondement politique de l'espace européen.

3. Le partenariat du CNES avec les laboratoires de recherche spatiale

Les laboratoires spatiaux ont joué et jouent un rôle essentiel dans la capacité de la communauté scientifique à proposer des expériences innovantes dans les différents domaines de la science spatiale, notamment en maintenant un contact étroit entre chercheurs instrumentalistes, équipes techniques et exploitation scientifique des expériences. Ce rôle doit donc être conforté. Mais, les évolutions thématiques récentes et la perspective d'élargir les champs disciplinaires couverts par les expériences spatiales, notamment dans les domaines des sciences de la Planète, de la physique fondamentale et de la biologie, nécessitent la prise en compte de nouveaux laboratoires et équipes susceptibles de proposer des développements techniques innovants et de participer à l'exploitation scientifique des données spatiales. Il convient donc d'élargir le cercle des laboratoires soutenus par le CNES en trouvant de nouveaux modes d'action.

Le CNES joue un rôle fédérateur des besoins de la communauté scientifique nationale :

• Il favorise l'émergence d'idées de programmes scientifiques par des séminaires de prospective, traite les propositions scientifiques en terme de faisabilité technique et de compatibilité coûts/délais et réalise la sélection des propositions sur la base du mérite scientifique, sous le contrôle du CPS (comité des programmes scientifiques).

• Il assure la réalisation des projets dans le cadre le plus approprié (national, multilatéral ou ESA), forme les laboratoires scientifiques à la méthodologie des projets spatiaux et soutient les équipes scientifiques.

Le rôle des laboratoires est central au cours des phases de conception et de calibration des instruments. Il faut donc veiller à maintenir les compétences techniques des laboratoires à travers le soutien d'activités de R&T et par une politique de bourses doctorales de type docteur-ingénieur cofinancées avec les organismes de recherche, les régions ou l'industrie. Une aide à la formation en matière de qualité et de conduite de projet devra être apportée aux laboratoires en charge de réaliser des matériels spatiaux, en plus des supports techniques que peut leur apporter le CNES.

Pour mobiliser plus largement la communauté scientifique dans le domaine spatial, il faut en outre apporter des solutions à certaines difficultés. Elles concernent l'adéquation du personnel technique au plan de charge des laboratoires spatiaux, le manque de compétences spatiales des autres laboratoires, compétences qui sont nécessaires aussi bien dans les phases d'élaboration des programmes que durant l'exploitation des données, les délais trop longs dans la réalisation des projets.

Il est important que le CNES, en concertation avec les organismes concernés, approfondisse la réflexion sur ses modes d'intervention autour des deux objectifs principaux de rationalisation des moyens et d'ouverture thématique . Dans cette perspective, et compte tenu du fait que le paysage des expériences spatiales à l'échéance des dix prochaines années est assez largement connu aujourd'hui, l'étude de cas réels permettrait certainement de dimensionner les efforts nécessaires (renouvellement des personnels, remise à niveau) et de déterminer concrètement le rôle des différents acteurs et la crédibilité des solutions proposées.

Il convient enfin de faciliter aux équipes scientifiques l'accès le plus large possible aux données spatiales, qu'il s'agisse de missions scientifiques ou de programmes opérationnels, qu'ils soient réalisés dans un cadre national (SPOT), bilatéral (PLEIADES), européen (ERS, ENVISAT,...) ou qu'il s'agisse de missions d'autres agences qui présentent un intérêt pour les scientifiques français (MGS, SRTM, ALOS,...). Lorsqu'il s'agit de programmes opérationnels qui échappent à la maîtrise du CNES, une politique d'accès aux données à coût réduit devra être recherchée (ORBIMAGE, IKONOS, IRS).

Dans le cas de missions scientifiques réalisées en maîtrise d'ouvrage, le CNES doit assurer, en partenariat avec les autres organismes de recherche, le soutien nécessaire aux équipes scientifiques qui exploitent ces données. Ce soutien ne doit pas forcément se limiter aux phases de validation des données. Il ne doit certainement pas se limiter aux seuls « laboratoires spatiaux ». Compte tenu des volumes de données mis en jeu dans la recherche spatiale, en particulier dans les missions d'observation de la Terre, les mécanismes classiques ne peuvent pas suffire. Le CNES doit s'impliquer, avec le CNRS et les autres organismes de recherche, dans la mise en place de banques de données interopérables, facilement accessibles, voire de centres de modélisation et considérer cette tâche comme un élément à part entière d'un programme spatial.

Enfin, dans un cadre plus général de diffusion de la science spatiale et afin de toucher un large public, le CNES pourrait jouer un rôle de conseil à l'occasion de la création d'un Institut des Hautes Etudes de l'Espace, préconisée par le Groupe Parlementaire pour l'Espace.

B. L' ÉVOLUTION DES STRUCTURES INDUSTRIELLES

L'industrie spatiale européenne a opéré récemment un mouvement de concentration sans précédent qui la dote de structures organisées à l'échelle de l'Europe et de dimensions suffisantes pour affronter la concurrence avec les industries américaines sur le marché commercial. La part prise par Arianespace sur le marché des lancements commerciaux et par Alcatel Space et Astrium sur le marché des satellites de télécommunication témoigne de la compétitivité de cette industrie.

Même si l'on peut considérer que la consolidation des structures industrielles n'est pas achevée tant qu'Alenia par exemple, demeure isolé, il est clair qu'une grande partie du chemin est faite.

La situation ainsi créée appelle un certain nombre d'observations importantes qui concernent les deux grandes branches d'activités : lanceurs et satellites.

En facteur commun, on notera que la concurrence qu'affronte l'industrie européenne, que ce soit dans le domaine des lanceurs ou dans celui des satellites est celle d'une industrie américaine largement subventionnée par la puissance publique, que ce soit directement, par l'accès gratuit aux installations fédérales, ou indirectement, par l'intermédiaire du budget militaire. Il serait donc vain d'espérer que l'industrie européenne puisse maintenir sa position sans l'aide déterminée de la puissance publique.

L'activité spatiale en 1999

(chiffres consolidés)

Comparaison USA/EUROPE

(Source Eurospace)

Milliards d'€

On notera la part deux fois plus élevée, en pourcentage, du commercial dans l'activité européenne.

LE MARCHÉ SPATIAL COMMERCIAL EN 1999 (MILLIARDS D'€)
(COMPARAISON USA / EUROPE / FRANCE)

Source : Eurospace.

USA

EUROPE

FRANCE

Marché commercial local*

7,26

94 %

0,99

38 %

0,50

39 %

Marché commercial export**

0,44

6 %

1,63

62 %

0,77

61 %

Total marché commercial

7,70

2,62

1,27

On notera la faiblesse de la part export (6 %) de l'industrie américaine, très inférieure en pourcentage et en valeur à celle de l'industrie européenne, et l'importance du marché intérieur nord-américain.

* local : zone USA-Canada pour les USA et Europe pour l'Europe et la France.
** export :ventes hors zones locales définies ci-dessus.

INDUSTRIE EUROPÉENNE

CHIFFRE D'AFFAIRES CONSOLIDÉ PAR ACTIVITÉ EN 1999

En Millions d'Euro courants 1999

Source : Enquête annuelle Eurospace Facts and Figures 1999.

ACTIVITÉ

MEURO

Satellite (et R&T associée)



Segment sol associé
Lanceur


Infrastrucrure
Microgravité
Autres activités industrielles
Total


dont Télécoms/navigation
Observation/Météo
Science


dont Arianespace
Développement


1660
906
300


976
428

2866



469
1404


414
72
255
5481

CHIFFRE D'AFFAIRES CONSOLIDÉ ET EMPLOIS
DE L'INDUSTRIE SPATIALE EUROPÉENNE

Source : Eurospace.

1996

1997

1998

1999

2000
(estimations)

2001
(prévisions)

Public Customers

2866

2692

2847

2814

2880

2900-3100

Commercial Customers

1689

2454

2472

2667

2681

2800-3000

Total (Euro Million)

4555

5146

5319

5481

5561

5700-6100

Employment(man/year)

35010

35391

34883

33608

33300

34000-35300

1. L'industrie des lanceurs

L'élément critique de la compétition pour le marché des lancements est un gain de productivité important dans les années qui viennent. La faiblesse relative d'Arianespace est l'un des handicaps structurels auquel il convient de remédier.

Quelles que soient les qualités et le dynamisme dont Arianespace a fait preuve dans la conquête du marché, il reste qu'il souffre objectivement de deux faiblesses :

- la convention qui le lie à l'Agence Spatiale Européenne lui interdit de remettre en cause l'organisation industrielle de la production héritée du programme de développement conduit sous la tutelle de l'E.S.A. Cette organisation ne peut naturellement être bouleversée sans précaution mais des évolutions doivent être négociables ;

- plus généralement, la structure juridique trop légère d'Arianespace et le poids excessif de la puissance publique dans cette structure ne sont pas cohérents avec les impératifs de la concurrence commerciale .

Il semble donc nécessaire de faire évoluer Arianespace vers une structure plus solide et plus autonome en s'inspirant du modèle Airbus ; le regroupement de beaucoup de responsabilités au sein de EADS devrait faciliter cette évolution.

2. L'industrie des satellites

Sauf à accepter que l'industrie européenne des satellites souffre d'un handicap permanent et sans doute fatal vis-à-vis de l'industrie américaine, l'effacement de la DGA et de la DGT doivent être compensés par une prise de responsabilité des agences spatiales au premier rang desquelles le CNES . On notera en effet que les grands industriels spatiaux : Astrium, Alcatel Space, EADS, bien qu'ils aient la dimension européenne, sont centrés sur la France ; c'est une conséquence de la position de leader de la France qui lui confère des responsabilités particulières.

Le programme Stentor a permis à l'industrie de conduire, dans un passé récent, les tâches de recherche et développement qui ont conduit aux succès d'Astrium et d'Alcatel-Space sur le marché mondial. Il est tout à fait clair que la continuité de l'effort de financement public que matérialisait Stentor doit être continué sous une forme appropriée, et fondé sur l'analyse des besoins et des priorités, voire des urgences, de l'industrie .

3. La relation des Industries spatiales avec les PME/PMI

Dans les pays développés, les petites et moyennes entreprises sont la source essentielle, voire unique de créations d'emplois. Elles jouent en outre un rôle majeur dans l'innovation. Dans le contexte européenne, elles sont parfois le seul acteur industriel par lequel de petits Etats-membres peu industrialisés peuvent participer de façon significative à l'effort spatial de l'Europe.

La relation de ces acteurs industriels avec les grands industriels spatiaux est un sujet qui ne doit pas être négligé.

L'examen de la démarche américaine concrétisée par le Small Business Act (SBA) ouvre des pistes que l'Europe pourrait utilement explorer. Schématiquement, la démarche du SBA consiste à imposer au contractant principal l'obligation de sous-contracter à de petites entreprises une part de son choix, définie à l'avance par un « subcontracting plan » qui est partie intégrante de son offre. Les motivations essentielles, qui ont inspiré la conception du SBA : importance socio-économique de la petite entreprise, difficulté d'atteindre ce tissu diffus et peu réceptif, se retrouvent inchangées en Europe. Le programme spatial constitue un outil intéressant pour des opérations pilote qui seraient susceptibles d'être ultérieurement généralisées, tant au niveau spatial qu'au niveau européen. Il est en effet l'un des mécanismes par lesquels la puissance publique injecte des flux financiers importants dans le tissu industriel et il met en oeuvre, dans un large éventail de disciplines, une part très importante de hautes technologies et d'études. Mais les contrats de maîtrise d'oeuvre des grands projets sont nécessairement réservés aux grandes industries. La participation de PME indépendantes à ces grands projets est soumise aux aléas de la conjoncture et au bon vouloir de la grande industrie. C'est ainsi que le sort des équipementiers est gouverné à l'excès par les fluctuations du plan de charge des maîtres d'oeuvre. Il serait souhaitable d'étudier la possibilité d'assurer, par des clauses contractuelles, qui s'inspireraient de celles qu'impose le Small Business Act , un niveau défini de participation des PME aux grands projets. On chercherait ainsi à assurer la diffusion des effets des grands projets à l'ensemble du tissu industriel, à les faire bénéficier des qualités spécifiques des PME : capacité d'innovation, souplesse et rapidité de réaction, faible coût relatif des réalisations, et réciproquement à faire bénéficier les PME des moyens nécessaires à un dépassement de niveau technique.

On peut en outre envisager de trouver là un moyen de mieux gérer la contrainte de juste retour en globalisant à l'ensemble des programmes les flux financiers concernant l'implication obligatoire des PME, ce qui offrirait un élément de souplesse.

La pérennisation de la pratique du juste retour par l'ESA pose en effet des problèmes difficiles. D'un côté, on ne peut toucher sans précaution à une pratique qui est l'un des fondements de la solidarité européenne. D'un autre, la consolidation de l'industrie spatiale rend difficile de la concilier avec un degré satisfaisant de concurrence. Il convient donc de rechercher, avec le plus grand pragmatisme, des adaptations de la pratique du juste retour à l'évolution des structures industrielles qui concilient ces deux objectifs fondamentaux : préserver la solidarité des Etats-membres et assurer le jeu de la concurrence .

Ce serait d'ailleurs une naïveté de croire que ce problème est propre à l'Europe. Il existe chaque fois que le pouvoir politique intervient dans l'attribution de marchés financiers par de l'argent public. L'examen de la distribution des contrats industriels de la NASA dans sa relation avec l'influence de tel ou tel sénateur américain montre la présence de ce facteur dans le système politique des États-Unis.

C. POLITIQUE SPATIALE ET DÉFENSE

Ce sujet trouve sa place dans cette partie du rapport parce que d'une part, la Défense n'est pas une application spécifique des services spatiaux, mais fait appel transversalement à plusieurs d'entre eux, et que, d'autre part, la politique de défense doit combiner des moyens nationaux et une stratégie européenne. De ce fait, les problèmes de structure sont dominants. La défense, dans sa définition étroite et traditionnelle, est celle du territoire national ; certains pays pensent encore que la dissuasion est un moyen suffisant pour préserver leur territoire, leurs citoyens et leurs intérêts vitaux.

Ces visions minimalistes ne correspondent pas à la dynamique géostratégique du XXI ème siècle.

Aujourd'hui déjà, la défense n'est plus la seule protection du territoire : ce terme recouvre d'autres objectifs tels que le maintien de la paix, les interventions humanitaires, la préservation des équilibres régionaux ou la protection de la liberté des peuples.

Dans un proche futur, la défense s'étendra à d'autres secteurs, devenus stratégiques où, grâce au rôle croissant des nouvelles technologies, s'exercera le contrôle de l'information et se développera la richesse économique : les réseaux informatiques et les satellites de télécommunications permettant la transmission de données à haut débit auront une valeur stratégique.

La forme des conflits aussi va changer. Ceux-ci se dérouleront de plus en plus sous la pression de l'opinion publique qui aura accès, en temps quasi réel, aux images provenant, par l'intermédiaire des média, des théâtres des opérations.

Par ailleurs, certains Etats auront un souci croissant de protéger la vie de leurs soldats et auront recours à des armements utilisables à distance de sécurité, à des avions sans pilote, etc.

Enfin les moyens mis à la disposition des militaires devront leur permettre d'exercer des actions très précises afin, par exemple, de neutraliser les systèmes et réseaux électroniques indispensables à la vie économique de la nation adverse, sans pour autant multiplier les pertes en vies humaines de celle-ci.

Pour gagner ces nouvelles guerres, il sera indispensable de maîtriser des fonctions vitales telles que l'observation et le renseignement stratégiques ou tactiques, l'écoute, les communications, la localisation et la navigation, la météorologie, le ciblage, le guidage des armements. Ces fonctions sont souvent assurées à partir de l'espace plus efficacement et à un moindre coût humain qu'à partir de la terre, de l'air ou de la mer.

Les Etats-Unis ont perçu depuis plusieurs années l'importance du milieu spatial pour la défense au sens large de leurs intérêts, ainsi que le prouve cet extrait d'un rapport du RAND National Defense Research Institute, établi en 1998 :

« Pour bénéficier concrètement des occasions offertes par le « pouvoir spatial », les Etats-Unis devront :

- élargir leur définition du « pouvoir spatial » aux capacités spatiales non militaires,

- poursuivre énergiquement l'intégration de l'espace avec les autres formes de la puissance militaire,

- identifier et protéger les fonctions spatiales qui jouent un rôle critique pour l'ensemble de la nation (sans se limiter aux missions militaires) ;

- travailler avec les organisations non militaires à façonner le champ de bataille spatial de demain, en commençant par les technologies informationnelles basées dans l'espace »( 42 ( * ) ).

Aujourd'hui, les Etats-Unis perçoivent l'espace comme :

- une zone à sécuriser : compte tenu de la dépendance croissante de leur économie à l'égard des services spatiaux, ils emploient le terme de « vulnérabilité » et évoquent un éventuel « Pearl Harbor de l'espace » ;

- un outil de défense indispensable : compte tenu de l'utilisation massive, par les forces conventionnelles, des télécommunications, des informations fournies par les satellites d'observation, de localisation, etc.

(Depuis la guerre du Golfe, les satellites sont utilisés pour guider des opérations terrestres, aériennes ou maritimes).

C'est pourquoi ils ont prévu de remplacer, au cours de la prochaine décennie, de nombreux satellites militaires obsolètes, le coût de cette opération s'élevant à 50 milliards de dollars.

- un « terrain de combat » : cette stratégie américaine de « space power » se définit comme la capacité militaire d'intervenir dans l'espace, c'est-à-dire d'y projeter des armes, d'y mener des interventions, et d'interdire à l'adversaire l'usage de ses propres moyens spatiaux.

Le projet de National Missile Defense (NMD) a ainsi été réactivé par le Président George Bush, dans le cadre d'une militarisation de l'espace, où est aussi envisagée, à terme, l'utilisation de missiles tirés de plates-formes terrestres, aériennes ou maritimes, et guidés par des satellites.

Le NMD n'est pas exclusivement défensif. Le premier volet du projet prévoit que des systèmes antimissiles dits « de théâtre » seront utilisés pour protéger les troupes américaines « projetées au loin », sur des champs d'opération extérieurs, y compris dans leurs missions offensives.

Le deuxième volet prévoit une protection du territoire des Etats-Unis contre des fusées intercontinentales. Mais ce « bouclier » doit aussi permettre d'intervenir contre un Etat « voyou » sans être vulnérable à une riposte balistique de sa part.

Les Etats-Unis viennent tout récemment de passer d'un concept de défense nationale (National Missile Defense) à un concept global MD (Missile Defense) qui inclut donc la défense de théâtre.

Trois hypothèses de mise en oeuvre, complémentaires et non exclusives, sont actuellement étudiées par le secrétariat d'Etat à la Défense :

- La première reprend l'option haute du Président Clinton, c'est-à-dire un système terrestre incluant 250 missiles intercepteurs, en Alaska et dans le Dakota, avec trois radars supplémentaires à bandes larges sur les façades maritimes et, éventuellement, en Corée du Sud.

- Une deuxième option transforme le NMD en MD avec des intercepteurs au plus près des lieux de lancement, aptes à agir contre tout missile, qu'il soit ou non à destination des Etats-Unis.

- Le rapport rédigé par Donald Rumsfeld, avant sa nomination au poste de secrétaire d'Etat à la Défense, incite à envisager une troisième option venant s'ajouter aux deux précédentes, l'option spatiale : un retour à une sorte d'IDS préventif avec des moyens sophistiqués capables de détecter les départs de missiles, d'en définir les trajectoires et de distinguer les leurres.

Aujourd'hui ces moyens sophistiqués, nécessaires à la réalisation de la troisième option, sont technologiquement hors de portée. La technique du « hit-to-kill » n'est pas maîtrisée. L'examen des essais réalisés depuis les vingt dernières années montre que le taux de réussite est en régression. Il ne dépasse jamais 30 %, et chute même à 14 % pour les interceptions en haute altitude. De plus, le problème de discrimination entre les leurres et les missiles n'est pas résolu.

Il est donc clair que dans un premier temps ce programme aura pour seule conséquence la préservation de la supériorité technologique américaine. De ce point de vue, les enjeux sont considérables et les retombées sont aussi bien civiles que militaires.

De 1999 à 2003, 20 % de l'augmentation des crédits du DoD est consacrée au NMD. Les premiers bénéficiaires de ces crédits sont les entreprises américaines Lockeed-Martin, Boeing, Raytheon et TWR qui, au cours des deux dernières années, avant que le programme ne soit lancé, ont reçu une enveloppe globale de 2,2 milliards de dollars. Le coût global du programme étant évalué à 60 milliards de dollars, on imagine sans peine les retombées technologiques et économiques dont bénéficieront les agences et les entreprises américaines.

Face à la détermination américaine, l'Europe est en situation d'infériorité.

Répartition des budgets spatiaux militaires dans le monde

Etats-Unis

94,8 %

Europe

3,9 %

Russie

1 %

Reste du Monde

0,3 %

Source : CNES, novembre 2000

Les systèmes spatiaux offrent des services indispensables à une action de défense, car ils permettent de combiner les capacités :

- d'observer (reconnaissance optique et radars, écoutes, surveillance balistique),

- de communiquer (liaisons sécurisées, numérisées, à haut débit vers des porteurs mobiles),

- de localiser (cartographie en trois dimensions, navigation de précision).

De quels moyens l'Europe dispose-t-elle dans ces trois domaines ?

En ce qui concerne l'observation , les programmes français ont très vite été ouverts à la coopération : SPOT avec la Belgique et la Suède, Helios avec l'Italie et l'Espagne. Les satellites français Hélios IA et IB permettent d'obtenir des images de résolution métrique. A l'origine, le programme d'observation Hélios I avait une fonction stratégique. La crise du Kosovo a montré que les images d'Hélios pouvaient aussi couvrir certains besoins tactiques ; elle a également mis en lumière les limites d'un système optique sur un théâtre d'opérations souvent couvert de nuages, et la nécessité de combiner reconnaissance optique et reconnaissance radar.

Dans le cadre européen, une politique de coopération devrait permettre d'associer les moyens optiques et radars. Cette coopération n'est pas toujours facile à mettre en oeuvre.

Lorsque la France a initié le programme Hélios II ( 43 ( * ) ) (satellite de résolution décimétrique dans le visible incluant également un canal dans l'infrarouge thermique pour l'observation de nuit et la détection d'indices d'activité), une coopération très étroite avec l'Allemagne avait été envisagée. Il s'agissait de constituer avec Hélios II (assemblé par des firmes françaises et allemandes sous leadership français et fournissant des données optiques) et Horus (assemblé par des firmes françaises et allemandes sous leadership allemand et fournissant des données radar) un ensemble complet d'observation interopérable au service des militaires des deux pays. Malheureusement, ce projet n'aboutit pas. A la lumière des enseignements du Kosovo, l'Allemagne décida de développer seule le programme d'observation radar SAR LUPE.

Aujourd'hui, l'évidente complémentarité des ressources optiques et radars conduit la France et l'Allemagne à se rapprocher pour échanger des données optiques Hélios II contre des données radar SAR LUPE. Il s'agit seulement d'échanger des données existantes ou commandables, et non de donner à l'un des deux pays la capacité de programmer les observations réalisées par le satellite de l'autre pays, et vice versa. Mais c'est un premier pas encourageant.

Quant à la coopération avec l'Italie et l'Espagne, elle a changé de nature.

Le programme Hélios I a été financé par l'Italie à hauteur de 14 % et par l'Espagne à hauteur de 7 %. Le principe d'exploitation du satellite est le partage des ressources : chaque pays peut, pendant une durée fixée en fonction de sa participation financière, demander une programmation spécifique d'observation, que les deux autres pays ignorent.

Le programme Hélios II est, à ce jour, exclusivement financé par la France. Celle-ci envisage de faire bénéficier des images Hélios ses partenaires européens (Italie, Allemagne, Espagne, Belgique, etc.). Il ne s'agit plus d'un partage des ressources avec programmation des observations mais de la fourniture directe d'images disponibles. L'Espagne et l'Italie disposent déjà du segment sol nécessaire à la réception et l'exploitation de ces images (station de réception de la télémesure-image, et composant sol-utilisateur), mis en place pour les images d'Hélios I. Il suffit d'équiper ces stations sol de nouveaux logiciels correspondant aux images d'Hélios II.

Pour succéder aux systèmes SPOT 5 et Helios II, la France a conçu un programme de constellation optique duale Pléiades. Pour assurer une capacité « tout temps » indispensable, l'Italie a envisagé la constellation COSMO-SKYMED. Une synergie naturelle se présentait et la France et l'Italie ont signé en janvier 2001 un accord de coopération sur un grand système d'observation optique et radar incluant un segment sol commun et :

- des satellites optiques Pléiades, de résolution métrique développés sous maîtrise d'oeuvre française,

- des satellites radar Cosmo-Skymed développés sous maîtrise d'oeuvre italienne.

Ces satellites pourront être utilisés à l'horizon 2005 pour des missions civiles et militaires et être inclus dans un grand système de renseignement européen. Pour que de telles coopérations se poursuivent et s'approfondissent, la France doit maintenir sa place dans l'observation optique, composante d'un grand système de renseignement européen. Il est donc indispensable de développer, à l'horizon 2010, des satellites optiques de résolution décimétrique dans le visible, incluant de plus des canaux dans l'infrarouge thermique. L'imagerie dans l'infrarouge et l'imagerie décimétrique ne seront pas fournies par des systèmes civils européens et devront donc être développées pour les seuls besoins de la défense.

Les études menées par l'industrie française depuis 3 ans montrent que l'évolution des technologies (télescope et miroirs en carbure de silicium, miniaturisation des plans focaux, propulsion ionique, etc.) permet maintenant de développer des petits satellites (de l'ordre de 1 tonne) de résolution décimétrique dans le visible et métrique dans l'infrarouge thermique pour des prix très nettement inférieurs à ceux du programme Hélios II. Ainsi le prix de développement et production de 2 satellites (lancement inclus) serait de l'ordre de 500 millions d'euros, à engager dans la période 2005-2010.

L'indépendance de l'Europe nécessite l'indépendance de son système de renseignement, qui devra s'appuyer sur des satellites optiques et radar de très haute résolution. L'Italie et l'Allemagne assureront le développement et le maintien de la composante radar (haute et très haute résolution) et la France ne peut abandonner la composante optique THR (visible et infrarouge) indispensable à ce grand système de renseignement.

Les télécommunications militaires sont caractérisées par un besoin croissant de télécommunications à haut débit, disponibles dans les meilleurs délais et de transmission d'images d'origine photographique de haute résolution. La coopération des Etats européens dans ce secteur-clé n'a pas été couronnée de succès. Les programmes ont exclusivement une base nationale.

Le programme Trimilsatcom, qui devait y succéder au programme français Syracuse II, reposait sur une coopération entre la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Ces deux derniers pays s'en sont successivement retirés, et la France développe seule le programme Syracuse III (celui-ci fera appel à un satellite dédié alors que Syracuse II reposait sur des charges utiles militaires embarquées sur les satellites Telecom 2).

La Grande-Bretagne a son propre système, Skynet, de même que l'Italie, avec Sicral et l'Espagne avec Hispasat.

L'étude des télécommunications militaires en Europe conduit à deux remarques :

- les augmentations des besoins en capacité et débit, ainsi qu'un besoin de protection des transmissions supérieur à celui qu'offre la bande SHF, rendent inéluctable à terme (2008-2010) l'utilisation de la bande EHF. Il convient donc de se préparer à cette transition afin de préserver les intérêts européens, sachant que dans ce domaine technologique l'Europe a un retard notoire par rapport aux États-Unis malgré les avancées réalisées grâce au satellite de démonstration Stentor du CNES. Il faut dès à présent acquérir les technologies nécessaires à cette transition en examinant les conditions dans lesquelles les industriels pourraient jouer un rôle d'opérateur, ce qui favoriserait des investissements communs public-privé ;

- les besoins en télécommunications militaires de l'Europe et de ses Etats membres ne justifient pas l'utilisation d'un satellite par grand pays.

Par ailleurs, si les militaires ont un besoin vital de télécommunications, ils n'ont pas nécessairement vocation à être opérateurs de satellites. A terme, il serait peut-être plus cohérent que les pays européens raisonnent en terme de services, qu'ils définissent précisément ce dont ils ont besoin en termes de rapidité de transmission, de cryptage, de confidentialité, etc., et qu'ils recourent à un système unifié, éventuellement conçu et opéré par un acteur civil, et suivi par un centre de contrôle gouvernemental dans chaque pays, le centre de secours étant commun.

En tout état de cause, les télécommunications militaires spatiales des pays européens doivent être totalement interopérables afin que tous les partenaires engagés dans une action puissent coordonner les opérations.

En ce qui concerne la navigation , elle est assurée, en Europe, par le GPS.

Cette situation limite dramatiquement le degré d'autonomie dont pourront disposer les moyens d'action de la défense européenne et leur capacité d'intervention. Seul le projet Galileo peut rétablir une cohérence dans ce domaine.

Si l'Europe dispose de certains moyens dans le domaine de l'observation et des télécommunications, son point faible est le caractère national de ces moyens et l'absence de moyens de navigation par satellite. Aujourd'hui, les Européens tirent les leçons du conflit du Kosovo, au cours duquel les Américains ne leur ont pas transmis toutes les informations dont ils disposaient, essentiellement grâce à leurs satellites. L'Union européenne a décidé de mettre en oeuvre des éléments de défense autonomes, et particulièrement une force de réaction rapide composée de 50 à 60.000 soldats européens. Mais la réflexion doit aller plus loin et prendre en compte les opérations menées sur les théâtres d'intervention, telles qu'on a pu les observer au Kosovo, qui révèlent toute l'importance des systèmes spatiaux : pour effectuer un tir d'artillerie, les cibles sont désignées par une fusion de données de renseignements, en grande partie recueillis par les satellites d'imagerie optique, radar et d'écoute ; les missiles sont guidés par GPS ; le BAD (battle assessment damage, ou évaluation des dégâts) est assuré par le réseau spatial de renseignements. L'ensemble est coordonné par les satellites de télécommunications.

Il serait incohérent que l'Union européenne ne dispose, pour permettre à ses troupes d'être opérationnelles, d'aucun moyen commun, au niveau spatial, si ce n'est celui de l'OTAN.

Il est donc indispensable qu'elle se dote d'un outil spatial militaire commun qui pourrait, dans un premier temps, résulter de la fédération et de l'interopérabilité des moyens nationaux.

Cela lui permettrait à la fois de soutenir tactiquement la force de réaction rapide et de disposer d'éléments d'information à plus long terme par l'observation systématique des zones à risque, lui permettant notamment de mener à bien les missions de Petersberg ( 44 ( * ) ) et d'élaborer une stratégie européenne basée sur la prévention des conflits.

La quête d'autonomie dans ce domaine prend tout son sens dans un contexte international mouvant, et à la lumière des propos tenus par la conseillère du Président George Bush pour la sécurité nationale, Condoleeza Rice, indiquant qu'il s'agit désormais pour les États-Unis de défendre leurs intérêts nationaux dans le monde et non ceux d'une « illusoire communauté internationale ».

Quel doit être le rôle de la France dans ce contexte ?

La France devrait avoir un rôle d'impulsion décisif mais, malheureusement, les moyens alloués au programme spatial militaire ne lui permettent pas de jouer ce rôle.

Le dernier PPSM (plan pluriannuel spatial militaire), établi en 1996 pour 15 ans, avait pour hypothèse de base des ressources annuelles de l'ordre de 3,2 à 3,3 milliards de francs. Or, la loi de programmation militaire ne prévoit qu'un niveau annuel de ressources, jusqu'en 2002, de 2,5 à 2,6 milliards de francs, et le montant des autorisations de programmes et de crédits de paiement est encore inférieur à ce niveau. Globalement, on peut estimer à 40 % la diminution des crédits consacrés aux programmes spatiaux militaires.

Cette situation est très dommageable ; elle n'est pas cohérente avec le caractère éminemment stratégique de la maîtrise de l'information. Elle ne permet pas de développer des programmes novateurs et ne permettra pas à la France de maintenir son rang de leader européen et d'exercer un effet d'entraînement.

Le retour au niveau de financement prévu par le PPSM permettrait, grâce à la coopération avec les industriels, de :

- poursuivre les programmes de télécommunication (Syracuse III et essaim de microsatellites d'écoute) et d'observation (Hélios II et post-Hélios II, petit satellite THR, après 2012),

- lancer une constellation de 4 petits satellites d'observation (2 satellites optiques de résolution décimétrique et 2 satellites radar de résolution métrique), permettant le survol de n'importe quel point du globe toutes les 12 heures,

- développer une capacité d'observation de l'espace qui se révélera particulièrement utile si les Etats-Unis persistent dans leur projet de Missile Defense.

Ces trois derniers projets devraient être l'occasion d'établir des coopérations au niveau européen.

D'une façon plus générale, les programmes militaires spatiaux pourraient être plus nombreux et plus ambitieux s'ils étaient réalisés à un moindre coût en recourant à la coopération avec le secteur civil. L'idée qui pourrait prévaloir est celle d'un « noyau dur » pour les besoins spécifiquement militaires, les autres capacités étant louées à des opérateurs civils.

II. LA COOPÉRATION INTERNATIONALE

Dans la coopération de la France et de l'Europe avec des partenaires étrangers, coopération qui a toujours constitué une dimension importante de l'activité spatiale, on peut distinguer, dans le contexte international actuel, trois composantes :

- la coopération avec les États-Unis,

- la coopération avec la Russie,

- la coopération avec les autres puissances spatiales au premier rang desquelles le Japon.

A. LES ÉTATS-UNIS

La relation avec les États-Unis s'inscrit dans une tradition ancienne et fructueuse tant pour l'Europe que pour le partenaire américain ; elle a concerné aussi bien le programme européen que le programme national français et les programmes d'autres Etats-membres de l'ESA, l'Allemagne et le Royaume-Uni en particulier. On notera cependant que cette coopération a porté -à quelques exceptions près dont le programme Argos- sur des projets exclusivement scientifiques.

Après une tentative incertaine et avortée pour impliquer l'Europe dans le programme de navette spatiale, les moyens d'accès à l'espace ont été totalement exclus et les applications spatiales en sont absentes. C'est d'ailleurs la NASA qui a été, du côté américain, le partenaire principal et quasi exclusif de cette coopération. Cette attitude est cohérente avec la volonté d'utiliser l'espace, dans sa dimension civile et dans sa dimension de défense, comme un outil au service de l'hégémonie mondiale des États-Unis. Elle est présente depuis les origines :

« Nous recherchons de nouveaux niveaux de coopération étroite avec d'autres nations [...] et cependant, simultanément, nous entrons en compétition pour la suprématie et la préservation de la sécurité nationale. Bref, il y a dans le tableau, à la fois des éléments de coopération et de compétition ( 45 ( * ) ) ».

Dans la conjoncture présente, elle revêt un double aspect. D'abord un souci de contrôle de la diffusion des technologies potentiellement dangereuses pour la sécurité des États-Unis, souci qui élargit à un vaste domaine la démarche de « non-prolifération » née du contrôle de l'armement nucléaire. Cette préoccupation s'exprime, par exemple, à propos de moyens de positionnement par satellites qui ne seraient pas sous le contrôle direct des États-Unis. Dans une large mesure, l'Europe peut partager ce type de préoccupations.

Mais la démarche américaine excède largement cette préoccupation légitime et tend à l'instauration d'une relation avec les alliés des États-Unis fondée sur la détention exclusive de certains outils et sur la tutelle de fait qui en résulte.

En cohérence avec cette attitude, la démarche de coopération est limitée, du côté américain, par le refus de toute dépendance mutuelle comme celle qui pourrait résulter de la production, en Europe, d'un élément critique d'un système d'accès à l'espace. C'est, en définitive, ce refus de la dépendance mutuelle -joint aux lenteurs et aux hésitations européennes- qui a conduit à l'abandon de la coopération sur la Navette spatiale, restreinte à un élément, le Spacelab, qui n'est pas indispensable au système.

La ligne de conduite américaine dans le domaine de l'espace peut ainsi se résumer à deux termes : autonomie absolue des États-Unis, refus de l'autonomie de l'allié européen.

A l'appui du second terme de cette démarche est mise en place, à côté de moyens classiques relevant des relations politiques et diplomatiques, une démarche spécifique de coopération spatiale qui est parfaitement résumée par ce propos de V. Alexis Johnson : « D'un point de vue technique, nous tirerions profit du savoir-faire européen dans des domaines où ils [les Européens] possèdent des compétences spéciales. Selon les termes actuellement envisagés, une participation européenne réduirait les obligations budgétaires américaines d'approximativement un million de dollars. Du point de vue de la sécurité nationale, engager les Européens à devenir des partenaires du programme américain présente des avantages évidents, si l'on compare cette solution à celle qui consisterait pour eux à développer une capacité de lancement spatial séparée et indépendante qui serait gaspillée et sur laquelle nous aurions peu ou pas du tout d'influence ». (Memorandum de V. Alexis Johnson à Henry Kissinger - 1 er décembre 1970, passage sur la participation européenne à une phase post Apollo).

Il existe, de Spacelab à la Station Spatiale Internationale, en passant par la fourniture de services gratuits : images ou positionnement, de nombreux exemples de démarches utilisant la coopération pour détourner l'Europe de ses objectifs d'autonomie (et diviser les partenaires européens), démarches dont l'objectif est d'autant plus évident qu'il a fait l'objet de qualifications explicites par nos partenaires américains.

Dans ce contexte, quelle peut être l'attitude européenne à l'endroit de la coopération avec les États-Unis ?

Si l'on considère que l'autonomie de la capacité européenne est un objectif central et que toute forme de dépendance n'est acceptable que si elle est mutuelle, il est clair que les possibilités de coopération avec les États-Unis sont limitées par l'attitude américaine . Faut-il pour autant renoncer à toute coopération significative ? Ce n'est certainement pas le cas. Il existe au moins trois domaines où des liens doivent être cultivés :

- le premier est celui de la recherche scientifique fondamentale dans lequel existe une longue tradition de coopération fructueuse qui ne se heurte à aucun des obstacles identifiés ci-dessus,

- le second est celui du contrôle des dangers liés à la prolifération de certains moyens , domaine où les États-Unis et l'Europe ont une large base d'intérêts communs,

- enfin, dans le domaine des satellites commerciaux de télécommu-nications, le développement de liens entre les industriels européens et américains relève de l'initiative des industriels et de leur capacité à gérer leurs intérêts propres .

Dans le moyen et long terme, tout dépendra en définitive, de la capacité de l'Europe à exister par elle-même ; on peut compter sur le réalisme américain pour s'adapter à ce qui sera devenu son allié européen.

B. LA RUSSIE

La relation avec la Russie pose des problèmes très spécifiques. Elle s'inscrit dans la suite d'une longue tradition de coopération spatiale entre la France et l'Union soviétique, initiée par l'accord de Gaulle-Brejnev en 1966 ; restreinte d'abord à la recherche scientifique puis étendue aux vols de « spationautes » français sur les stations soviétiques. Cette coopération n'a pas d'équivalent européen, l'Union soviétique ayant toujours manifesté son hostilité aux institutions européennes. L'Allemagne a conduit une démarche coopérative de même nature mais beaucoup plus limitée.

Le contexte politique a complètement changé avec la disparition de l'Union soviétique mais il subsiste, de ce partenariat fructueux, l'impression partagée d'une relation de travail facile et équilibrée entre partenaires français et russes. Le succès de Starsem a peut-être bénéficié, à l'origine de ce contexte puis il a contribué à le consolider. Il existe donc, de part et d'autre, le sentiment d'une relation humaine favorable à des entreprises communes. Il reste naturellement à déterminer s'il existe une base d'intérêt commun pour de telles entreprises.

Du côté russe, le fondement de cet intérêt, de purement politique qu'il était au temps de l'Union soviétique, est devenu purement financier et économique. Le problème auquel sont confrontés les responsables soviétiques est de préserver, dans la mesure du possible, une lourde machine industrielle, autrefois exclusivement alimentée par des crédits étatiques qui sont presque complètement taris. Au-delà de cette urgence et des conséquences qu'elle comporte, il semble que le développement d'une coopération spatiale entre l'Europe et la Russie puisse se fonder sur des intérêts communs très généraux.

C'est en effet pour la Russie la seule alternative à une relation exclusive avec les États-Unis, relation dont les limites seront automatiquement marquées par la volonté de dominance américaine et le refus de dépendance mutuelle. Ces deux facteurs n'interviendraient pas de la même façon dans une relation Europe-Russie. L'Europe pourrait bénéficier de l'étendue des savoir-faire techniques acquis dans certains domaines, comme la propulsion alors qu'en sens inverse, la demande russe d'installation d'un pas de tir Soyuz à Kourou semble témoigner d'une volonté d'ouverture vers l'Europe. Bien entendu, cette analyse peut s'étendre à des secteurs industriels voisins de l'espace.

Une relation exclusive de la Russie spatiale avec les États-Unis aurait évidemment pour l'Europe l'inconvénient d'accentuer l'hégémonie spatiale américaine. Il semble donc souhaitable de chercher à élargir la coopération de l'Europe spatiale avec la Russie, quelles que soient les difficultés et les incertitudes que cette démarche puisse rencontrer dans l'avenir : incertitudes résultant de celles qui affectent l'évolution du système politique de la Russie, difficultés liées notamment au fait que nos partenaires européens ne possèdent pas, dans ce domaine, le capital d'expérience de la France.

C'est, compte tenu de ce contexte élargi, que l'on doit notamment examiner l'avenir de la coopération organisée autour des lanceurs Soyuz.

C. LES AUTRES NATIONS SPATIALES : LE JAPON

La relation avec les nations spatiales autres que les États-Unis ne peut se fonder que sur la recherche d'intérêts mutuels. Compte dûment tenu des contextes politiques qui prévalent dans chaque cas particulier, il n'y a lieu d'exclure, de cette recherche de coopérations, aucune des nations spatiales : Inde, Chine, Brésil, Japon.

Toutefois, le cas du Japon mérite une attention toute particulière. Les relations politiques que le Japon entretient avec les États-Unis, le poids de la présence américaine, sont sans doute différentes de celles qui prévalent en Europe. Mais cela mis à part, et malgré les échecs récents du lanceur H2 qui pèsent sur l'ambition spatiale japonaise, cette ambition et la capacité techno-industrielle du Japon sont de même nature et de même importance que celles de l'Europe. Il existe a priori une large base d'intérêts mutuels qui devrait être soigneusement explorée et exploitée et qui pourrait conduire à faire du Japon le partenaire privilégié de l'Europe.

Les projets coopératifs initiés par le CNES et la NASDA sont un pas dans cette voie qui devrait être encouragé et activement poursuivi.

CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

I - CONCLUSION : LES GRANDS ENJEUX DE LA POLITIQUE SPATIALE

Succès de l'Europe spatiale et choix stratégiques

Dans les analyses qui forment le corps de ce rapport, on a accordé une importance essentielle aux choix stratégiques et aux problèmes de structure par rapport aux discussions quantitatives concernant le volume des moyens qu'il convient d'affecter à tel ou tel secteur. Deux raisons à cela. D'abord les volumes et les équilibres budgétaires reçoivent une attention privilégiée de la part de nombreuses instances parfaitement qualifiées pour le faire. Mais surtout, l'expérience du passé enseigne que les succès ou les échecs majeurs ont, dans le domaine spatial, deux sources principales : les choix stratégiques, corrects ou erronés, qui portent leurs effets dans le moyen et le long terme, et l'adéquation des structures à leurs tâches . Naturellement, une politique ne peut réussir que si elle dispose de ressources suffisantes et si, surtout, une continuité dans le niveau de ces ressources est assurée au-delà des aléas de la conjoncture économique. Il s'agit, en effet, d'assurer la continuité d'une démarche stratégique qui transcende l'annualité budgétaire ( 46 ( * ) ).

Mais s'il suffisait d'augmenter les ressources pour assurer le succès, il est clair que la navette aurait balayé Ariane du marché mondial. Les éléments qui structurent une politique spatiale : identification des objectifs, choix stratégiques, adaptation des structures ont donc reçu une attention quasi-exclusive.

C'est sur eux que s'est fondé le succès de l'Europe, succès dont on tend souvent à sous-estimer l'ampleur. Une simple comparaison entre les résultats obtenus et le volume des efforts investis, en comparaison des éléments correspondants dans le programme des États-Unis, mesure le caractère exceptionnel de ce succès. Il s'agit donc, non de redresser une situation compromise, mais de bâtir un avenir à la mesure du passé.

L'examen de la situation présente appelle quelques conclusions d'ordre général.

L'effet d'entraînement de l'effort spatial français

L'idée que la politique spatiale française et la politique spatiale européenne forment un tout est présente dans toutes les sections de ce rapport. Cela ne signifie pas que ces deux éléments se confondent mais que leur cohérence doit être assurée . Cette cohérence est un aspect essentiel de la politique spatiale française dans toute la mesure où les principaux objectifs que s'assigne notre pays n'ont de sens et ne sont accessibles qu'au niveau de l'Europe. Cela impose à la démarche de la France des contraintes d'autant plus accusées que la France exerce un leadership technique et industriel et qu'elle a toujours été dans le passé le moteur de l'Europe spatiale . L'effet des initiatives françaises sur ces deux éléments -leadership et rôle moteur- doit être pesé avec soin. S'il est clair que l'existence d'une position avancée de la France constitue une base de son pouvoir d'entraînement, il convient cependant de peser l'effet sur nos partenaires européens, de démarches visant à préserver cette avance ou à l'accroître. L'objectif n'est pas, en effet, le leadership en soi mais le leadership comme outil d'entraînement. On doit être attentif au fait qu'une prépondérance excessive, ou un quasi-monopole, comme celui qui s'est établi dans le domaine des lanceurs peut avoir des effets adverses sur la solidarité et sur l'ambition européenne. Alternativement, une grande attention doit être portée aux ambitions de nos partenaires européens parce qu'elles sont un fondement essentiel de l'unité de vue de l'Europe.

Un objectif unificateur : l'autonomie stratégique de l'Europe

La volonté d'autonomie de l'Europe a été présente dans beaucoup des grands programmes qui ont jalonné la construction de l'Europe spatiale : symphonie, OTS (Orbital Test Satellite) et les ECS (European Communication Satellite), Marecs (Maritime ECS), Meteosat, Spot, Helios, Ariane, et demain Galileo. Mais son rôle de principe unificateur n'est pas explicitement reconnu avec autant de clarté qu'il conviendrait. L'analyse des intérêts spécifiques qui s'attachent à la maîtrise de tel ou tel secteur est évidemment d'une grande importance ; c'est elle qui éclaire les décisions sectorielles. Mais elle ne doit pas exclure une vision plus synthétique qui associe la maîtrise de la technique spatiale à la préservation de l'autonomie stratégique de l'Europe.

Dans cette vision globale, c'est la place de l'Europe dans le monde, la préservation de son image politique, de ses intérêts économiques et commerciaux, de sa défense, de sa personnalité culturelle, qui sont en cause. Elles exigent la maîtrise de l'évolution technique qui engendre le phénomène de la mondialisation. Ce sont les techniques de l'information qui dominent cette évolution et, au premier rang de celles-ci, dans la dimension internationale, les techniques spatiales. Accepter que leur disponibilité dépende d'une source extérieure, c'est accepter une dépendance qui ne peut que croître de façon incontrôlable et imprévisible ; c'est donc, en définitive, accepter une infériorité que l'on observe déjà ici et là dans le monde et que désigne, dans le vocabulaire de la société de l'information, l'évocation d'une « fracture numérique ».

Les pays européens sont inégalement préparés, par leur passé, leur dimension et l'image qu'ils se font d'eux-mêmes à reconnaître la nécessité d'une autonomie stratégique de l'ensemble européen. Ce devrait être l'une des tâches de la politique spatiale françaiçse, appuyée sur le leadership de la France, de faire reconnaître cette nécessité et d'obtenir que l'autonomie stratégique soit considérée comme l'objectif unificateur de la politique spatiale européenne.

La dimension symbolique : l'homme dans l'espace

La dimension symbolique qui matérialisent les vols habités, génératrice d'enthousiasme dans la jeunesse, créatrice de vocation, expression de l'esprit d'aventure ne peut être ignorée. Exclure cette composante de la conception d'une politique spatiale, ce serait en amoindrir l'image dans l'opinion publique et particulièrement dans la jeunesse ; ce serait, en outre, se fermer à l'idée que l'avenir peut réserver des mutations technologiques qui transformeront le contexte très contraignant dans lequel se développent les programmes de vols habités. Naturellement, rien ne garantit que l'espace connaîtra la même évolution que l'aviation, lorsqu'on est passé de l'époque des grands raids des années 20 à l'aviation civile contemporaine, mais rien ne permet non plus de l'exclure.

Dans la conception de la composante vols habités de l'activité spatiale et européenne, il convient de tenir compte d'un certain nombre d'éléments :

- les vols en orbite basse, sur lesquels le projet de station spatiale internationale immobilise pour longtemps l'ensemble des partenaires des États-Unis, et qui n'ont en regard de leur coût très élevé qu'un intérêt limité pour la recherche scientifique et pour le progrès de la technique spatiale ;

- la concurrence de fait qui s'établit, dans l'usage des ressources financières dont dispose la puissance publique, entre le financement de cette composante et de celles qui expriment l'objectif d'autonomie stratégique ;

- l'utilisation par les États-Unis (selon leurs propres termes) de ces programmes pour immobiliser une partie des moyens de leurs partenaires et concurrents dans des entreprises qu'ils contrôlent ;

- la possibilité qu'offrent les vols habités de diversifier et resserrer une relation avec le partenaire russe.

Au total, la prise en compte de ces éléments incite à adopter une attitude mesurée et prudente et à ajuster la démarche française aux exigences de la solidarité européenne .

II - QUELQUES RECOMMANDATIONS PROGRAMMATIQUES ET STRUCTURELLES

ASPECTS PROGRAMMATIQUES

Les lanceurs et l'accès à l'espace : maintenir l'autonomie de l'Europe

La capacité européenne repose pour l'essentiel sur deux composantes d'égale importance : le lanceur Ariane et le champ de tir équatorial ; il n'est pas souhaitable de subordonner l'un à l'autre.

La stratégie dans ce domaine doit se fonder sur six éléments principaux, étant entendu que la démarche française doit être conçue pour préserver et promouvoir une solidarité européenne que l'ampleur du leadership français peut fragiliser :

- conduire un programme d'amélioration d'Ariane 5 avec le double objectif de suivre l'évolution du marché et de réduire de façon importante les coûts de production ;

- améliorer la compétitivité du centre de lancement de Guyane en perfectionnant les installations de lancement et d'accueil des utilisateurs ; harmoniser la tarification avec la pratique américaine ;

- élargir la gamme des lanceurs dont dispose l'Europe, tant par des développements européens que par un élargissement de la coopération avec la Russie ;

- explorer l'ouverture du centre de Guyane à des lanceurs étrangers et notamment à Soyuz ;

- renforcer la structure d'Arianespace ;

- poursuivre un programme de développements technologiques destiné à préparer les lanceurs du futur.

Satellites : maîtriser l'évolution technologique

L'efficacité de l'action de l'Europe dans le domaine des satellites appelle deux lignes d'action principales :

- une prise en compte, -déjà amorcée mais qui doit être fortement accentuée- des possibilités de miniaturisation et de réduction des coûts offertes par l'évolution technologique. A l'exception de l'Université du Surrey, les Agences spatiales, et notamment le CNES, ont tardé à explorer cette voie. L'effort de rattrapage engagé avec Proteus et le programme de microsatellites doit être énergiquement poursuivi en liaison étroite avec l'industrie ;

- un effort de mise à hauteur de la capacité industrielle dans le domaine des satellites géostationnaires commerciaux poursuivant le programme Stentor. Il s'agit de fournir très rapidement à cette industrie l'aide nécessaire pour lui permettre de disposer des technologies nécessaires pour répondre aux appels d'offre concernant les plates-formes lourdes (7 T) et les charges utiles correspondantes .

La recherche : un succès éclatant

Le succès des programmes scientifiques du CNES et de l'ESA ont amené la communauté scientifique européenne à un niveau d'excellence mondiale dans nombre de domaines : Astronomie, Sciences de la Terre, Géodésie, etc... Il s'agit donc de maintenir et d'élargir cette réussite. Il convient pour cela de ne pas réduire les moyens dont elle dispose et notamment le financement du programme scientifique obligatoire européen.

Par ailleurs, la relation du CNES avec la communauté scientifique, que l'Agence spatiale nationale a toujours su conduire de façon féconde, doit continuer à recevoir une attention particulière, compte tenu de l'élargissement du champ disciplinaire concerné et de l'intervention croissante du savoir-faire industriel dans la réalisation des expériences embarquées.

Les télécommunications : l'indispensable appui de la puissance publique

Ce domaine d'une importance capitale relève en apparence d'une logique purement commerciale ; en fait, sa maîtrise gouverne tous les secteurs de l'autonomie stratégique, depuis le militaire jusqu'au culturel en passant par l'économique et le social. Il ne peut être question de s'en remettre, pour ce qui est de la place de la France et de l'Europe, au seul jeu des forces du marché, d'autant que ce jeu est totalement biaisé par les subventions d'origine militaire dont dispose l'industrie américaine.

Il reste cependant que l'industrie spatiale est dans ce secteur, plus encore que dans tous les autres, l'outil essentiel de la présence européenne. Toutes les actions de la puissance publique doivent donc être guidées par le souci de renforcer la compétitivité industrielle. La présence de la puissance publique et de l'Europe en tant que telle dans les instances internationales de régulation est un aspect de ces actions qui ne doit pas être négligé.

L'échec, au moins temporaire, des constellations, amène au premier plan, pour l'avenir prévisible, les satellites lourds géostationnaires qui forment ainsi la cible principale de la compétitivité industrielle.

L'utilisation de la télé-médecine et du télé-enseignement qui peut améliorer notablement l'égalité d'accès à la santé et à la culture devra être développée.

Une attention particulière doit être portée à l'homogénéité de la couverture territoriale pour les services informationnels émergents, en particulier pour ceux qui sont nécessaires au développement de l'activité économique locale.

Observation de la Terre : une indispensable convergence des efforts européens

La démarche européenne se caractérise par une abondance de projets de qualité jointe à une dispersion des initiatives. Il est essentiel que les démarches Pléiades et GMES conduisent à une convergence et une harmonisation des efforts européens dans ce secteur auquel s'attachent des enjeux essentiels touchant à l'environnement, à l'action de la puissance publique dans ses responsabilités socio-économiques, et à la Défense.

Il s'agit de consolider la structure de l'Europe spatiale et ses liens avec l'Europe politique dans ce domaine.

Navigation : un objectif capital d'autonomie européenne

L'importance capitale de ce secteur est maintenant largement reconnue.

La mise en oeuvre du programme Galileo est évidemment l'élément structurant de la politique spatiale.

Le potentiel du système Doris ne doit pas cependant être négligé en raison notamment des potentialités autonomes dont il permet de disposer pour la conception des satellites européens.

Galileo apparaît, pour l'ensemble de la politique spatiale, comme un élément structurant, à la fois parce qu'il exprime un objectif d'autonomie stratégique et parce qu'il contraint à une harmonisation des structures de l'Europe spatiale et de l'Europe politique.

ASPECTS STRUCTURELS

L'avenir des Agences spatiales : vers un réseau européen

Mise à part l'évolution de leur relation avec l'industrie spatiale, compte tenu du degré de maturité atteint par cette industrie, de sa capacité d'initiative et de sa relation avec le marché, les agences spatiales sont confrontées à deux questions essentielles et difficiles, qui devront trouver leur solution :

- l'harmonisation des relations entre leurs centres techniques, de façon à transformer ce qui est une juxtaposition de pôles d'expertise nationaux ou européens en un réseau cohérent ;

- l'établissement (qui concerne plus particulièrement l'ESA mais aussi le CNES dans la mesure où il est le représentant de la France au Conseil de l'ESA) de relations organisées et formalisées entre l'ESA et l'Union européenne, c'est-à-dire entre l'Europe spatiale et l'Europe politique.

Les structures industrielles : entre l'Etat et le marché

Pas plus en Europe qu'aux États-Unis ou ailleurs dans le monde, l'industrie spatiale ne peut se maintenir et se développer sans l'aide déterminée de la puissance publique.

Il n'est pas non plus concevable que cette aide puisse être laissée à l'initiative sectorielle des utilisateurs. L'unité de la technique spatiale appelle une démarche globale comme d'ailleurs le caractère global des enjeux.

- S'agissant des lanceurs, l'objectif principal doit être celui du renforcement de la structure d'Arianespace et l'affirmation de son rôle d'opérateur unique pour tous les lancements depuis le site de Guyane.

- Dans le domaine des satellites, l'achèvement et la consolidation du processus de regroupement doivent être accompagnés par la puissance publique.

L'utilisation de ces grandes industries comme relais pour l'action de la puissance publique sur le tissu des petites et moyennes entreprises est une démarche qui mérite d'être explorée.

La coopération internationale : l'espace transcende inévitablement les frontières

La coopération internationale est fortement présente dans l'activité spatiale pour diverses raisons spécifiques : importance des flux d'information transfrontières qu'engendre la mise en oeuvre des systèmes spatiaux de télécommunications, structuration à l'échelle de la planète de l'observation environnementale, dimension mondiale de la recherche fondamentale, etc... Tout cela fait de la technique spatiale à la fois l'acteur et l'objet du processus de mondialisation ; la coopération internationale y tient donc une place particulièrement importante. Elle concerne au premier chef :

- les États-Unis avec lesquels il convient de renforcer les liens traditionnels dans toute la mesure où le permet leur volonté d'utiliser l'espace comme un outil d'hégémonie et de brider l'autonomie de l'Europe,

- la Russie, avec laquelle il est souhaitable de rechercher les bases d'une coopération fondée sur l'intérêt mutuel et la conjugaison des expertises industrielles,

- les autres nations spatiales, au premier rang desquelles le Japon, avec lequel les intérêts communs l'emportent de beaucoup sur les rivalités éventuelles .

La Défense : la nécessité d'un effort spécifique

Dans le contexte général créé par le retard de l'Europe de la Défense sur les autres dimensions de la construction européenne, il faut impérativement remédier à deux déficiences :

- au niveau national, l'absence de doctrine concernant la place de l'espace dans l'ensemble des forces armées ; cette faiblesse doctrinale semble encore plus marquée que la faiblesse des moyens et elle explique que, malgré l'insuffisance initiale des ressources financières dont dispose la composante spatiale de l'armement, ces ressources subissent en outre des réductions successives et injustifiées.

- au niveau européen, le degré de concertation entre les acteurs nationaux et de cohérence des programmes nationaux sont tout à fait insuffisants, très inférieurs à ce qui existe dans le domaine civil. Il en résulte une médiocre utilisation de ressources déjà insuffisantes. Il est clair que des efforts déterminés doivent être poursuivis ou entrepris pour améliorer cette situation. L'interopérabilité complète des moyens européens semble un objectif minimal qu'il faut absolument atteindre.

III - L'ESPACE : UN CHOIX POLITIQUE MAJEUR

Au terme des analyses nécessairement succinctes que contient ce rapport, plusieurs idées générales s'imposent :

- l'unité technique et celle du substrat industriel, que tendrait à dissimuler la diversité des applications de l'espace, appellent une démarche globale mobilisant les moyens de l'Etat et fondée sur une vision synthétique, c'est-à-dire une politique spatiale ;

- la formulation de cette politique est une affaire de gouvernement qui doit impliquer la plupart des départements ministériels , quelles que soient les responsablités particulières confiées à certains d'entre eux,

- la variété des utilisateurs de la technique spatiale et leur pénétration dans le tissu socio-économique engendrent un phénomène global de dépendance stratégique dont le contrôle fournit le principe unificateur de la politique spatiale.

La prise de conscience de l'existence d'un enjeu global demeure très insuffisante, sans doute parce que son émergence est récente et qu'il demeure occulté par la dimension spectaculaire de l'espace. Il semble nécessaire que les choix politiques dans ce domaine soient soumis dans l'avenir, sous une forme appropriée, au débat parlementaire comme c'est la pratique normale pour les choix qui, dans le moyen et le long terme, engagent de façon substantielle, l'intérêt national.

Il est clair que le débat annuel sur les montants budgétaires est, à cet égard, tout à fait insuffisant. La mise en oeuvre d'une politique spatiale exige de toute évidence une continuité qui transcende l'annualité budgétaire et qui ne doit pas être remise en cause dans ses principes par les aléas de la conjoncture à court terme ; elle exige donc une formulation pluriannuelle. Il est en outre nécessaire que cette politique se fonde sur un large consensus que seul le débat démocratique peut établir. Dans ce débat, la représentation parlementaire doit jouer son rôle et avoir toute sa place.

EXAMEN DU RAPPORT PAR L'OFFICE

M. Henri REVOL a présenté son rapport aux membres de l'Office, au cours de la réunion du 25 avril 2001.

A l'issue de cette présentation, plusieurs questions ont été posées.

En réponse à M. Robert Galley, député , M. Henri Revol a indiqué que l'éventuelle ouverture de Kourou à un lanceur russe devrait être étudiée avec le plus grand sérieux et qu'il ne s'agissait pas d'une simple péripétie tactique, mais d'une décision stratégique majeure dont les conséquences à court et surtout, à long terme, devaient être soigneusement pesées. Il a proposé, avec l'accord de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, d'envoyer, en son nom personnel aux ministres chargés de l'espace des pays membres de l'Agence spatiale européenne les quelques pages du rapport qui sont consacrées à ce sujet, à simple titre d'information.

M. Jean-Yves Le Déaut, député , s'est interrogé sur la situation financière difficile d'Arianespace et sur le devenir de la Station spatiale internationale.

M. Henri Revol a indiqué que le déficit pour l'année 2000 d'Arianespace était notamment dû à la production de la commercialisation en parallèle de deux lanceurs : Ariane 4 et Ariane 5, situation qui accroît les coûts financiers et devrait cesser en 2003 avec la fin de la commercialisation d'Ariane 4.

Il a confirmé que les récentes décisions américaines de réduire les budgets consacrés à la Station spatiale internationale risquaient de diminuer fortement les possibilités d'y mener des recherches scientifiques.

Répondant à une question de M. Serge Poignant, député , M. Henri Revol a indiqué que l'Europe spatiale se construisait sur la base de la coopération de l'Allemagne, de l'Italie et de la France.

L'Office a approuvé à l'unanimité le rapport de M. Henri Revol, sénateur, président, sur « la politique spatiale française : bilan et perspectives ».

SAISINE

GLOSSAIRE

Aérocapture

Mise en orbite d'une sonde spatiale autour d'une planète utilisant le freinage aérodynamique dans l'atmosphère de cette planète.

Apogée

Point de l'orbite le plus éloigné de la Terre pour un satellite placé sur une orbite terrestre elliptique.

Astronomie spatiale

Ensemble des activités de l'astronomie qui mettent en oeuvre des systèmes spatiaux (téléscope HUBBLE par exemple).

Attitude

Orientation d'un engin spatial par rapport à trois axes de référence.

Balise

Emetteur électromagnétique utilisé dans un but de localisation.

Bande de fréquence

Intervalle du spectre électromagnétique compris entre deux radiofréquences spécifiées.

Charge utile

Partie du satellite qui en assure la mission spécifique.

Coiffe

Extrémité antérieure du lanceur qui permet de protéger la charge utile et la case à équipements lors des préparatifs de lancement et durant la traversée de la basse atmosphère.

Consommables

Se dit des lanceurs qui sont détruits lors de leur utilisation (par opposition aux lanceurs réutilisables).

Cryotechnique

Se dit d'un étage ou d'un moteur qui utilise comme ergols des gaz liquéfiés, généralement l'oxygène et l'hydrogène liquides.

Démonstrateur

Prototype de véhicule spatial destiné à en démontrer la faisabilité et à servie de moyen d'essai.

Dual

Qui possède à la fois des applications civiles et des applications militaires.

Ergols

Combustibles et comburants utilisés pour propulser une fusée.

Expérimental

Se dit d'un service ou d'un système établi à des fins de recherche ou de développement et dont la pérennité n'est pas garantie.

Géostationnaire

Orbite équatoriale circulaire d'altitude 35.800 km ; les satellites placés sur cette orbite apparaissent fixes à un observateur terrestre.

Héliosynchrone

Se dit d'une orbite dont le plan demeure fixe par rapport à la direction du soleil au cours du cycle annuel.

Injection sur orbite

Phase correspondant à la fin du lancement et à la libération de la charge utile (satellite).

LEO

Sigle de Low Earth Orbit, utilisé pour désigner une orbite terrestre dont l'altitude est généralement inférieure à 1000 km.

Localisation

Obtention par le centre de contrôle des coordonnées d'un mobile.

Opérationnel

Se dit d'un service ou d'un système spatial dont la pérennité est garantie par des engagements institutionnels.

Orbite de transfert géostationnaire

Orbite elliptique dont le périgée est au point d'injection et l'apogée au niveau de l'orbite géostationnaire.

Périgée

Point de l'orbite d'un satellite le plus proche du centre de la Terre.

Plate-forme

Partie du satellite qui assure les fonctions de base : stabilisation, correction d'orbite ,etc.. et qui porte la charge utile.

Propulsion ionique, plasmique, électrique

Mode de propulsion qui repose sur l'accélération et l'éjection de particules chargées ou de plasma pour obtenir une poussée faible avec une très haute performance massique.

Radiofréquence

Fréquence d'une onde radioélectrique.

Répéteur

Dans un satellite de télécommunications, appareil chargé d'amplifier les signaux radioélectriques collectés par l'antenne de réception et de les retransmettre vers le sol grâce à l'antenne d'émission.

Résolution spatiale ou spectrale

Aptitude d'un système d'observation à discerner des détails ou à séparer des longueurs d'ondes.

Segment spatial

Partie d'un système spatial formée des engins placés en orbite.

Segment terrien

Partie d'un système spatial formée des installations au sol.

Télémesure

Transmission à distance d'un signal porteur d'informations résultant d'une mesure.

Transpondeur

Anglicisme utilisé à la place du mot «  répéteur ».

ANNEXES

Annexe 1

Les enjeux de la propulsion spatiale européenne

Annexe 2

Mission Guyane du CNES : objectifs de première approche en emplois

Annexe 3

Les micro et mini satellites dans les pays en développement

Annexe 4

Principales technologies développées par le programme STENTOR

Annexe 5

Innovations technologiques indispensables pour les télécommunications spatiales

Annexe 6-1

Recherche - Sciences de l'Univers

Annexe 6-2

Recherche - Exobiologie

Annexe 6-3

Recherche - Physique fondamentale

Annexe 7

Chronologie de l'exploration martienne

Annexe 8

Participations d'astronautes français à des vols habités 1982 - 2000

Annexe 9

La lutte contre la pollution de l'Espace

Annexe 10

Le progiciel SIMPLE

Annexe 11

Intérêt de l'observation de la Terre pour l'agriculture
et pour l'aménagement du territoire

Annexe 12

Télédétection et environnement

Annexe 13

Les types de programmes de l'Agence Spatiale Européenne

Annexe 14

Résolution sur la stratégie européenne pour l'Espace

Annexe 15

Extraits du projet de contrat d'objectif Etat-CNES 2002-2005

Annexe 16

Auditions publiques du 24 mars 1999 : « L'espace aujourd'hui et demain »

Annexe 17

Colloque : « L'homme dans l'espace du 28 juin 2000 »

Annexe 18

Auditions et missions du Rapporteur

ANNEXE 1 - LES ENJEUX DE LA PROPULSION SPATIALE EUROPÉENNE

Sommaire

1. INTRODUCTION

Dès lors que l'on s'investit dans l'utilisation de l'espace pour des raisons commerciales, stratégiques et scientifiques, la maîtrise de l'accès à l'espace est fondamentale tant pour la mise en oeuvre que pour la crédibilité de cette politique. Les technologies des lanceurs, la connaissance opérationnelle des différents types de mission en sont des composantes essentielles.

Après quatre décennies de développement, le transport spatial repose toujours aujourd'hui principalement sur l'utilisation de lanceurs multi - étages non réutilisables, tels que Ariane 5.

Le seul système partiellement réutilisable à l'heure actuelle est la Navette Spatiale US qui comporte deux étages propulsifs, assure des missions en orbite basse mais au prix de coûts très élevés.

Dans l'état de l'art et du marché actuel, les coûts de mise en orbite, en baisse rapide, sont de l'ordre de 10 000 € le kilogramme en orbite basse, et de 15000 à 25000 € en orbite de transfert géostationnaire (télécommunication - diffusion). Le niveau de fiabilité du lanceur se situe à des valeurs comprises entre 90 et 97%.

Dans ce contexte, Ariane 4 et 5, lanceurs consommables, ont permis, grâce à une conception classique mais robuste et économiquement efficace, de donner à l'Europe une autonomie d'accès à l'espace et d'occuper une place significative dans le transport au niveau du marché mondial : 50% des lancements de satellites commerciaux, qui ne représentent cependant que 15 à 20% de l'ensemble des lancements dans le monde.

I. 1.1. LA PROPULSION POUR L'ACCÈS À L'ESPACE

D'une manière schématique, les lanceurs spatiaux actuels sont constitués d'un ou de plusieurs systèmes propulsifs, de réservoirs, d'un système de guidage, d'organes de séparation et de sécurités et d'un volume réservé à la charge utile.

Quel que soit le nombre d'étages envisagés, la propulsion est la fonction centrale autour de laquelle se bâtit l'architecture du lanceur et, comme dans l'histoire de l'aéronautique, les progrès de l'astronautique y sont directement liés.

D'un point de vue technique, les contraintes liées au vide conduisent à employer la propulsion fusée.

Pour ce mode de propulsion, les technologies sont soumises à rudes épreuves (températures, pressions, vibrations, accélération). La difficulté et la complexité de la propulsion spatiale des lanceurs constituent dès lors un métier à part entière.

Il n'est ainsi pas étonnant de noter qu'en moyenne plus des deux tiers des problèmes survenant lors des lancements spatiaux dans le monde sont liés à la propulsion, ce qui illustre l'importance des efforts déployés partout pour maîtriser les technologies critiques associées.

Si beaucoup de voies sont explorées pour dépasser la propulsion à ergols chimiques, celle-ci semble devoir encore longtemps subvenir aux besoins de cette activité.

Avec Ariane sont réunis les 3 types principaux de propulsion spatiale : « propulsion solide » ou à poudre avec les deux moteurs P230 de 560 tonnes de poussée pour Ariane 5 ; propulsion « Stockable » avec les premier et deuxième étage d'Ariane 4 et enfin la propulsion liquide à hydrogène et oxygène liquide pour le troisième étage d'Ariane 4 (moteur HM7), et pour Ariane 5, l'étage principal (moteur Vulcain) et l'étage supérieur haute performance ( moteur Vinci).

A l'heure actuelle tous les lanceurs, consommables ou semi-réutilisables (navette), sont basés exclusivement sur ces moteurs classiques à propergols solides ou liquides. Pour le futur à très long terme, de nouveaux concepts de propulsion sont à l'étude et même en expérimentation, mais la « maturation » des nouvelles technologies nécessaires se traduira par d'importants et longs efforts qui, compte tenu de l'ampleur des moyens à mettre en oeuvre, impliqueront une large coopération internationale.

Les évolutions en cours sont centrées sur la fiabilité et la diminution des coûts de production.

II. 1.2. LA PROPULSION DANS L'ESPACE

Pour les charges utiles des lanceurs, satellites (télécommunication, observation, navigation) ou sondes scientifiques, le déplacement, le maintien et l'orientation sont actuellement assurés, par des systèmes de propulsion fusée, analogues à ceux des lanceurs, mais de moindre puissance.

Dans ce domaine, des évolutions technologiques en rupture (propulsion électrique) ouvrent déjà de nouvelles perspectives. Si l'Europe poursuit ses efforts elle y sera en bonne position.

2. LA PROPULSION, ÉLÉMENT CLÉ DES LANCEURS

I. 2.1. LES MISSIONS SPATIALES ÉVOLUENT

Une concurrence internationale de plus en plus forte et sur-capacitaire s'est mise en place au moment où l'on envisageait un essor des constellations de satellites commerciaux, qui ne s'est pas produit, contraignant l'ensemble des acteurs à rechercher toutes solutions permettant de réduire sensiblement les coûts de lancement et de simplifier les opérations de mise en oeuvre.

Pour parvenir à y répondre deux voies sont explorées :

Améliorer les systèmes consommables

A court ou moyen terme la principale voie utilisée est l'amélioration des systèmes consommables en les rendant plus simples, moins chers et plus fiables, soit en développant de nouveaux lanceurs tels que Atlas 5 et Delta 4 aux Etats-Unis, soit en améliorant les systèmes existants tels que Ariane 5, Proton, Sea-Launch. Les lanceurs classiques sont donc encore en pleine évolution et l'Europe doit, en priorité, renforcer la compétitivité technique et économique d'Ariane 5. Si le marché le justifie, elle prévoit de constituer une gamme et de développer des lanceurs complémentaires en synergie.

Explorer la voie des lanceurs partiellement ou totalement réutilisables

Pour le plus long terme, (10 ans et sans doute plus) il convient de rechercher des concepts de lanceurs partiellement ou totalement réutilisables, adaptés aux marchés et aux missions futures et ayant des performances économiques sensiblement supérieures à celles des lanceurs consommables et de la Navette US actuelle.

Dans ce domaine, tout reste à démontrer. Néanmoins, il faut se garder d'être trop attentiste et de ne pas être préparé à suivre une évolution voire un saut technologique, mais bien être en mesure de réagir sinon de devancer.

Dans tous les cas, qu'il s'agisse de lancements à partir du sol, de changements d'orbites autour de la terre, de maintien à poste de satellites ou d'exploration planétaire :

c'est la propulsion qui détermine une très grande part de l'efficacité technique, économique et opérationnelle de toute mission spatiale.

II. 2.2. UNE DÉPENDANCE FORTE À UN SYSTÈME PUISSANT ET COMPLEXE.

Des conditions extrêmes pour des technologies de pointe

Alors que le succès de la mission dépend d'un comportement nominal du système propulsif, les technologies mises en jeux dans les moteurs fusées à propergols solides ou liquides sont exposées à des conditions de fonctionnement extrêmes : de -250°C à +3500°C, du vide absolu à plusieurs centaines de fois la pression de l'atmosphère, de la nécessité d'accélérer des masses de plusieurs centaines de tonnes à celle de redémarrer, une fois dans l'espace, après plusieurs heures d'apesanteur.

Il faut faire évoluer la propulsion en augmentant la fiabilité

Sous la pression des marchés et des assureurs, les clients des lanceurs imposent une amélioration sensible de la fiabilité. Les évolutions de la propulsion doivent ainsi prendre en compte cette exigence essentielle, tout en augmentant les performances générales des systèmes et en diminuant leur coût. C'est ce dernier point qui est la priorité des travaux en cours, partout dans le monde, mais en particulier en Europe sous l'impulsion des industriels de la propulsion, dont Snecma Moteurs est le chef de file.

III. 2.3. LES ENJEUX DE LA PERFORMANCE ET DE LA FIABILITÉ

La propulsion reste toujours critique pour les lanceurs

Dans une mission de transport spatial, toute panne de moteur est en général catastrophique. Contrairement aux avions par exemple, il existe en effet très peu de possibilités de redondance au niveau des sous-systèmes propulsifs permettant de concevoir un véhicule de performances acceptables, compte tenu de l'énorme quantité d'énergie que requiert une mise en orbite autour de la terre (la charge marchande d'Ariane est de l'ordre de 1% de sa masse au décollage, celle d'un Airbus de 15 à 25 %).

Pour la même raison et tout particulièrement dans les moteurs, les marges de dimensionnement doivent être limitées, mais parfaitement maîtrisées. Il est fondamental d'intégrer la diversité et la complexité des phénomènes physiques mis en jeu, dans des conditions extrêmes de température, de pression, de niveaux vibratoires, dans des machines de volume et de masse aussi réduits que possible.

Le rapport entre la puissance et la masse d'une turbopompe de moteur-fusée est 10 à 30 fois supérieure à celui d'un moteur de formule 1.

Un déficit de performance de 1% du moteur Vulcain d'Ariane 5 se traduirait par une perte de charge utile de 350 kg en orbite de transfert géostationnaire (7% de la masse du satellite) ou encore près de 800 kg en orbite basse.

Cette situation se traduit par une fiabilité globale moyenne des systèmes de lancements spatiaux actuels compris entre 90 et 97% dans laquelle les taux d'échec liés à la propulsion sont encore de l'ordre de 70% (même s'il n'y a pas eu d'échec Ariane lié à la propulsion depuis plusieurs années).

Les défis techniques de la propulsion spatiale sont l'obtention simultanée d'une performance et d'une fiabilité élevées qu'il faut rendre compatibles avec des coûts de production réduits.

Le savoir-faire du métier de la propulsion réside ainsi à la fois dans le développement de systèmes performants mais fiables, la conception, la production et la mise en oeuvre de technologies critiques, de produits dont on veut accroître la robustesse et baisser les coûts, mais aussi la surveillance constante du comportement des matériels en opération.

3. LA PROPULSION DES SYSTÈMES ORBITAUX

La propulsion des satellites et des sondes spatiales mettait en oeuvre jusqu'à présent des systèmes chimiques à monoergol (hydrazine) ou à biliquides stockables ou encore une combinaison des deux.

Le progrès majeur auquel nous assistons aujourd'hui vient de l'utilisation progressive de la propulsion électrique. Si cette dernière n'autorise au niveau actuel de la technologie que des niveaux de poussée relativement faibles, son efficacité par rapport à la propulsion chimique permet un gain de plusieurs centaines de kg sur la masse de fluide propulsif à embarquer.

La propulsion chimique est obtenue par l'éjection de gaz chauds issus d'une combustion à une vitesse comprise entre 2 et 3 km/seconde.

En propulsion électrique, un gaz neutre est ionisé et la force propulsive est obtenue par l'éjection des ions à des vitesses de l'ordre de 20 à 30 km / s.

I. 3.1. LES SATELLITES

Pour les satellites de télécommunication géostationnaires qui utilisent la propulsion chimique, 50 % de leur masse est constituée par les ergols nécessaires à la propulsion.

Avec les satellites lourds d'aujourd'hui, il devient indispensable d'utiliser la propulsion électrique qui va permettre de diminuer la masse de propulsion de plusieurs centaines de kilos, et de gagner soit en coûts de lancement, soit en augmentation de charge utile.

L'un des principaux objectifs du satellite technologique français STENTOR est de valider en orbite cette nouvelle technologie développée et mise en oeuvre par Snecma Moteurs en association avec le Russe Fakel.

Sans attendre son lancement, mais en s'appuyant sur l'expérience acquise lors de ce programme, Alcatel et Astrium ont déjà pu gagner plusieurs contrats de satellites notamment grâce à cet atout.

Cela souligne tout l'intérêt des démonstrateurs, fédérateurs d'effort technologique et vecteur puissant pour des réussites commerciales.

II. 3.2. LES SONDES PLANÉTAIRES

Les sondes planétaires nécessitent des incréments de vitesse bien supérieurs à ceux nécessaires aux satellites en orbite terrestre. L'utilisation de la propulsion électrique devient là aussi très intéressante voire indispensable quand pour certaines missions la propulsion chimique se disqualifie par la trop grande quantité d'ergols nécessaire.

Snecma prépare une première démonstration pour ce type d'application avec la sonde SMART 1 de l'ESA, qui se mettra en orbite de la lune.

Il est prévu que d'autres missions de l'Agence Spatiale Européenne telle que Bepi - Colombo vers la planète Mercure utilisent aussi de la propulsion électrique.

III. 3.3. VERS UNE UTILISATION PLUS LARGE DE LA PROPULSION ÉLECTRIQUE

La puissance électrique actuellement disponible sur les satellites et les sondes (environ 15 kW) et les technologies actuelles permettent de disposer de moteurs n'ayant que des niveaux de poussée très faibles (jusqu'à 0,3 N).

Ceci implique, pour obtenir l'incrément de vitesse désiré, des durées de fonctionnement extrêmement longues [plusieurs mois ou plusieurs années pour des missions planétaires].

Pour des missions futures, comme avec les vols habités vers Mars, l'emploi de la propulsion électrique sera indispensable. Mais la masse considérable des véhicules et la nécessité de limiter la durée du trajet nécessiteront la mise au point de nouveaux types de moteurs plus puissants. Ils auront besoin de puissances électriques bien plus fortes (jusqu'à 20 MW), aussi de nouvelles sources de puissance électrique (probablement nucléaires) seront à développer.

Des recherches sont déjà en cours aux Etats-Unis dans ce domaine ; il est important que l'Europe décide aussi d'engager des travaux si elle souhaite coopérer à de tels projets dans de bonnes conditions.

4. LES ÉVOLUTIONS DE LA PROPULSION DES LANCEURS

I. 4.1. UNE FORTE PRESSION DU MARCHÉ

La compétition est forte dans le domaine des lancements. Arianespace, premier opérateur commercial de lancement au monde, est face à de nombreux concurrents, sans être dotée des même avantages qu'eux. En effet, ceux-ci disposent soit de technologies développées et produites dans des conditions économiques échappant aux référentiels occidentaux (ex-URSS, bientôt la Chine), soit sont soutenus par des programmes militaires et institutionnels, dont le volume est supérieur ou égal à l'ensemble du marché commercial (USA). Ces conditions d'une part fertilisent et enrichissent les industriels de ces pays de technologies directement transposables, et d'autre part leur procurent un volume d'activité et des marges permettant d'absorber dans des conditions idéales les importants frais fixes qui sont la marque de l'industrie spatiale.

L'opérateur européen se trouve parfois même face à une alliance bénéficiant des deux avantages ( Sea Launch / Boeing - Proton / Longue Marche).

Il est dès lors essentiel en Europe de donner à Arianespace tous les atouts pour conforter sa position sur le marché des lancements.

Au plan de la propulsion cela suppose de mener de front deux actions fondamentales : non seulement améliorer les performances générales des lanceurs Ariane, mais aussi contribuer à diminuer les coûts récurrents.

II. 4.2. EVOLUTION DES TECHNOLOGIES DE LA PROPULSION

A l'heure actuelle tous les systèmes de transport spatial dans le monde reposent sur l'utilisation de la propulsion fusée chimique solide ou liquide.

La propulsion solide

La propulsion solide employée sur Ariane 5 (dans une moindre mesure sur Ariane 4) est caractérisée par une forte densité énergétique ; elle est particulièrement bien adaptée pour délivrer de très fortes poussées pendant des durées de une à deux minutes. Malgré des performances relativement modérées, son coût de production attractif par rapport à la propulsion liquide, en a généralisé l'utilisation pour la propulsion des lanceurs au décollage (moteurs d'appoint ou moteurs principaux). La propulsion solide permet également d'assurer toute la propulsion de petits ou moyens lanceurs multi-étages. Seule la Russie n'a pas développé de lanceurs spatiaux utilisant cette filière (à part un ou deux missiles reconvertis récemment en lanceurs spatiaux), ayant décidé à l'époque de l'URSS, de privilégier la performance au détriment des aspects économiques.

La propulsion solide va encore évoluer en se développant vers des systèmes bas coûts dans lesquels le coût de production sera réduit et la mise en oeuvre simplifiée. Sur Ariane 5 ces évolutions répondront aux enjeux de performances et de baisse des coûts.

La propulsion liquide

La propulsion liquide offre des performances plus élevées, tout particulièrement si on retient le mélange oxygène/hydrogène liquides (dit cryotechnique en raison des basses températures des ergols de -250°C). Ce dernier nécessite de maîtriser des problèmes complexes de mise en oeuvre, de stockage , de matériaux, de thermique, etc,... Seuls les Etats-Unis, la Russie et l'Europe maîtrisent et mettent en oeuvre régulièrement cette technologie. L'expérience européenne élaborée depuis les années 60, puis la mise en oeuvre sur Ariane 1 à 5, permet aux acteurs de ce continent d'envisager sérieusement une amélioration à la fois des performances et des coûts de développement comme de production.

La propulsion liquide classique, dite "stockable", va probablement s'orienter vers une recherche de propergols non toxiques et bon marché.

Enfin les moteurs à oxygène/hydrocarbure, qui présentent un bon compromis performances/coût, une mise en oeuvre assez aisée, un encombrement des réservoirs inférieur à celui des moteurs oxygène/hydrogène, peuvent continuer à se développer.

Dans ce domaine la Russie et dans une moindre mesure les Etats Unis possèdent une avance considérable sur l'Europe qui a volontairement choisi de concentrer ses efforts sur la propulsion cryotechnique.

L'utilisation du méthane fait notamment l'objet de recherches à l'heure actuelle et présente l'avantage d'une performance supérieure à celle du kérosène et d'une mise en oeuvre connue au plan industriel.

Pour la propulsion d'étages supérieurs, divers propergols non toxiques sont expérimentés dans le but de simplifier les opérations de mise en oeuvre. On peut citer l'eau oxygénée, associée à l'alcool méthylique.

Les coûts de lancement à l'aide des véhicules non réutilisables actuels peuvent encore être sensiblement réduits grâce au développement de nouvelles technologies "bas coûts" en production telles que prévues aux US dans les lanceurs Atlas 5 ou Delta 4 et en Europe dans les réflexions sur l'évolution d'Ariane 5 (à l'Horizon 2010).

La propulsion pour les véhicules réutilisables.

Pour le futur lointain, une idée communément répandue est qu'un accès "routinier" à l'espace, à faible coût, apparaîtra lorsqu'on aura su développer, un système de transport spatial réutilisable. De nombreux programmes ont été proposés et amorcés dans le passé (tout récemment le projet X33/Venture Star) et ont été abandonnés après avoir mesuré l'écart technologique qu'il faudra combler pour parvenir à des projets réalistes. La NASA engage néanmoins actuellement un programme "Space Launch Initiative" de 5 milliards € sur cinq années, pour identifier et développer les technologies nécessaires avant d'engager un programme de développement.

S'agissant des nouveaux systèmes de propulsion, notamment pour le transport spatial réutilisable, une voie prometteuse pour le moyen/long terme est d'associer des moteurs "aérobies" et fusée au sein de systèmes "combinés". L'utilisation de l'air comme oxydant durant la première phase du vol dans des turbo ou statoréacteurs permet de réduire la masse du véhicule au décollage.

Les défis techniques résident dans la réalisation de moteurs très légers, capables d'atteindre de très hautes vitesses dans l'atmosphère et donc soumis à de hautes températures.

la propulsion dans l'espace,

Pour la propulsion dans l'espace, qu'il s'agisse de contrôle d'attitude de satellite ou de transfert interplanétaire, de nouveaux types de propulsion sont à l'étude ou en développement. La propulsion plasmique, notamment, qui accélère des ions dans un champ électrostatique généré à partir d'une source d'énergie électrique est actuellement en cours d'application sur des satellites de télécommunication, permettant d'augmenter soit leur masse utile, soit leur durée de vie. Comme on l'a vu c'est une voie très prometteuse.

D'autres systèmes envisagent l'utilisation de l'énergie solaire pour chauffer un fluide et l'éjecter au travers d'un système propulsif.

Pour les missions importantes, habitées ou non vers Mars, il semble que l'énergie nucléaire soit nécessaire pour réaliser des véhicules de tailles réalistes et capables d'effectuer des aller-retour dans des délais acceptables.

5. PRÉPARATION DE L'AVENIR EN EUROPE

De toute évidence, l'Europe gagnera à développer, suivant des cycles plus courts (pour coller au plus près du marché) à des coûts réduits et en prenant des risques limités, une véritable gamme de lanceurs économiquement compétitifs.

Ceci ne peut être obtenu qu'en prévoyant :

ð Une famille de lanceurs construits à partir de systèmes propulsifs communs, ce qui conduira à une réduction de coût et à une augmentation de la fiabilité par augmentation des cadences de production des éléments communs.

ð Des démonstrations et des développements fondés sur des "briques technologiques" nécessaires à plusieurs éléments de la gamme de lanceurs.

Les programmes conduits par le CNES pour le compte de l'ESA sont de plus en plus contraints financièrement, en raison des diminutions des dépenses des Etats. Ce constat impose de trouver des stratégies technologiques répondant à la fois aux préoccupations de préparation de l'avenir, de développement de produits nouveaux à coût / délais / risques minimaux et d'amélioration continue des produits existants.

Ces stratégies existent.

I. 5.1. DES PROGRAMMES DE RECHERCHE ET TECHNOLOGIE SOLIDES

Les programmes de R&T conduits par le CNES et par l'ESA, au niveau national ou européen, permettent de développer des technologies qui servent à la fois à améliorer les performances des moteurs, et à explorer des solutions moins coûteuses.

En réunissant les équipes de recherche (plus de 100 laboratoires en France et en Europe) et les équipes d'ingénieurs dans l'industrie (les travaux sont cofinancés par les industriels), ces activités ont contribué à bâtir un réseau de spécialistes aptes à répondre aux problèmes inévitables de la vie opérationnelle d'un lanceur, notamment dans le domaine de la propulsion, et ont forgé la compétence incontestable des experts français 47 ( * ) .

La très grande sensibilité des lanceurs aux gains d'efficacité sur sa propulsion 48 ( * ) , plaide pour des efforts d'amélioration de la technologie disponible.

II. 5.2. DES DÉMONSTRATEURS EN PROLONGEMENT DE LA R&T AMONT

Afin de diminuer les risques en développement, de valider les technologies issues de la R&T amont, d'être en mesure d'anticiper les difficultés, les démonstrateurs exploratoires ou les démonstrateurs produits sont au coeur des stratégies actuelles de préparation de l'avenir.

Dans le domaine de la propulsion, le test en vol n'est pas systématiquement nécessaire. Bien des résultats sont atteints par des essais moins coûteux mais répétés au sol, lors desquels différentes configurations et de larges plages de fonctionnement sont explorées, avant les vols.

Cette stratégie a été depuis les années 60-70 largement adoptée aux Etats-Unis, et a débouché sur les moteurs de la navette spatiale (début des années 80), ou encore sur la validation plus récente, dans le cadre de programmes militaires, de technologies mises en oeuvre actuellement pour des moteurs civils.

En Europe la situation est cependant contrastée.

Le moteur-fusée HM4, conçu au début des années 60 et qui n'a jamais volé, peut en effet être considéré comme un démonstrateur qui a permis de mettre au point le moteur-fusée d'étage supérieur HM7. Ce dernier a fait le succès d'Ariane 1 à 4, et sera encore employé en intérim sur Ariane 5 (ESCA) avant qu'un moteur moderne qui puisse être produit à bas coût soit disponible (Vinci).

On peut regretter qu'entre temps aucun démonstrateur n'ait pu contribuer aux évolutions nécessaires pour la gamme des moteurs de très hautes performances d'étages supérieurs de lanceurs. Tant les risques, que les coûts en auraient été diminués plus facilement.

Aujourd'hui, afin de prendre en compte les contraintes budgétaires spécifiques de l'Europe, l'approche qui assure une continuité entre la R&T amont et les démonstrateurs exploratoires, peut servir aussi à des mises en oeuvre opérationnelles rapides et opportunes de composants au sein d'une politique « lanceurs », et jouer sur une utilisation multiple qui diminue les coûts de production par effets d'échelle : c'est la notion de « briques technologiques ».

III. 5.3. LES « BRIQUES TECHNOLOGIQUES » : UN SEUL EFFORT, PLUSIEURS UTILISATIONS

Dans le domaine de la propulsion, les briques technologiques sont des ensembles, fruits de démonstrations ou de développements, ayant permis de valider les technologies en conditions opérationnelles, et qui deviennent communs à plusieurs développements.

Les « briques technologiques » forment la réponse la plus rationnelle aux développements toujours très longs de la propulsion spatiale, et aux nécessités d'adaptations permanentes des lanceurs : Un seul effort bénéficie alors directement à plusieurs développements et répond aux contraintes économiques et budgétaires.

Un exemple de ces briques technologiques est celui du moteur à propergol solide « P80 », préfigurant une évolution des moteurs P230 d'Ariane 5, et doté notamment d'une tuyère de nouvelle génération.

Cet ensemble propulsif à propergols solides de nouvelle génération, décidé en 2000 au sein de l'ESA pourra permettre de franchir une étape technologique décisive pour, le moment venu, engager une amélioration, en performance et en coût récurrent d'Ariane 5.

Mais, en plus, cette « brique technologique » est aussi directement disponible pour bâtir un petit lanceur (un P80 surmonté d'un autre type d'étage) ou un éventuel lanceur moyen (par exemple deux P80 l'un sur l'autre, surmontés d'un autre étage). Comme on l'imagine, ce potentiel d'usages multiples (triple en l'occurrence) est un avantage majeur dans le contexte spatial européen.

De la même façon, un ensemble propulsif basé sur le futur moteur VINCI, forme aussi une brique technologique idéale au niveau des étages supérieurs de lanceurs moyens à lourds.

La maîtrise de briques technologiques constitue aussi un ensemble d'atouts pour les futures coopérations internationales que les recherches d'économies ne manqueront pas de susciter voire d'imposer. Afin de rester maître des clés de l'accès à l'espace, l'Europe doit aussi mettre ses acteurs en meilleure position pour s'y préparer.

IV. 5.4. LES ÉVOLUTIONS ENVISAGÉES EN EUROPE

Alors que doivent être confirmées les évolutions d'étage supérieur (moteur VINCI) pour qu'Ariane 5 soit au mieux de son potentiel en 2005, face aux programmes américains d'envergure qui verront le jour dès 2002-2003, de nouvelles voies sont déjà explorées.

Ariane 5

En Europe, à l'horizon 2010, une évolution d'Ariane 5, moins chère et plus performante, devra être disponible pour faire face à l'évolution prévisible de la concurrence. Elle suppose des gains très significatifs qui impliquent de pouvoir disposer en Europe, de nouvelles technologies "bas coûts", notamment en propulsion à propergol solide (MPS2) et principale cryotechnique (Vulcain 3) car l'objectif est de poursuivre la réduction des coûts.

L'importance des "sauts technologiques" nécessaires a conduit les Européens à examiner une logique de préparation de ces futurs développements, s'appuyant sur des démonstrateurs à échelle représentative, comme on a pu l'évoquer plus haut.

Petits ou moyens lanceurs : une motorisation en synergie avec Ariane 5 !

Au-delà du marché principal des satellites lourds de télécommunications d'Ariane 5, il existe d'autres besoins, concernant des satellites de plus faible masse destinés à l'observation de la terre, les télécommunications, la navigation, les sciences, etc., à partir d'orbites basses ou moyennes. Ces besoins potentiels pourraient justifier le développement de lanceurs plus petits. C'est ce que prévoit la stratégie "lanceurs" adoptée par l'ESA en juin 2000.

De plus les conditions du marché géostationnaire pourraient à terme justifier l'existence d'un lanceur adapté à des lancements simples en complément d`Ariane 5 dont l `économie repose exclusivement sur les lancements doubles.

On peut proposer ainsi à partir des deux éléments communs de base (les briques technologiques, Cf. 5.3), constitués d'une part du moteur cryotechnique d'étage supérieur "Vinci" et d'autre part d'un nouveau propulseur solide à bas coût emportant environ 80 tonnes de propergol (P80), ou bien du MPS (230 tonnes), de construire ensuite, par phases, dictées par le marché, et dans des délais et des coûts réduits, une filière de lanceurs bas coûts couvrant les principaux segments prévisibles du marché.

Le moteur Vinci, développé pour le programme Ariane 5 Plus, pourra ainsi également équiper des étages supérieurs d'un petit ou d'un moyen lanceur.

La propulsion des lanceurs réutilisables

Afin de préparer en Europe les technologies nécessaires à un lanceur réutilisable à l'horizon 2015-2020, il est essentiel de poursuivre ou démarrer des activités de démonstrations avancées qui associent comme aux Etats Unis la propulsion aux études d'engins. Les récents déboires constatés un peu partout (USA, Japon, Europe) sur ce sujet doivent conduire à une vision plus modeste sur les tailles visées. Il faut capitaliser les résultats, sans repousser longtemps les démonstrations.

Mais entre-temps il est nécessaire d'utiliser au mieux les éléments disponibles ou sur le point de l'être.

6. LES ÉVOLUTIONS INDUSTRIELLES

En Europe, l'impulsion donnée par les agences spatiales et en particulier le CNES, au niveau français ou par délégation de l'ESA, se traduit par des actions concrètes dans l'industrie et les laboratoires. Ce sont ces équipes à tous les niveaux qui ont permis la réussite d'Ariane et d'Arianespace.

Les équipes et les organisations industrielles contribuant à développer et produire la propulsion spatiale subissent aujourd'hui directement les efforts imposés par le marché auquel viennent s'ajouter les contraintes des Etats.

Dorénavant, comme dans beaucoup de secteurs d'activités, la propulsion doit faire évoluer son organisation et son périmètre.

I. 6.1. LES ACTEURS INDUSTRIELS DE LA PROPULSION DANS LE MONDE

Dans le monde les acteurs de la propulsion sont principalement basés aux Etats Unis, en Russie, et en Europe, répartis selon leurs spécialités, propulsion solide ou liquide, de lanceurs ou de satellites.

Aux Etats Unis, pour ne compter que les plus importants, on notera Rocketdyne du groupe Boeing au premier rang de la propulsion liquide et dont la taille représente environ trois fois celle des acteurs européens équivalents, et l'ensemble ATK(Thiokol) en cours de construction, qui mène les développements et la production dans la propulsion solide (avec une taille vraisemblablement égale à 2,5 fois celle des européens).

En Russie , les deux industriels principaux de la propulsion spatiale, sont NPO Energomash (région de Moscou) qui dispose des technologies les plus performantes au niveau mondial en moteur à ergols stockables et CADB (à Voronej) qui maîtrise la propulsion cryotechnique.

Si coté américain on a admis l'emploi d'un moteur russe modifié sur un lanceur (Atlas) américain, des programmes de développement purement nationaux (Delta) ont été simultanément lancés pour consolider la base technologique américaine, et, en parallèle, d'autres programmes de lanceurs indépendants des technologies russes se sont poursuivis. A aucun moment les Etats Unis n'ont été et ne seront dépendants d'une autre puissance, ni dans la mise en oeuvre opérationnelle, ni dans la maîtrise des technologies clés de la propulsion.

Au Japon , la NASDA a financé le développement de moteurs de hautes technologies, et poursuivi un effort constant, jusqu'à rencontrer des problèmes en 1999 et 2000 qui l'ont obligé à repenser ses développements.

Néanmoins MHI le principal intervenant participe au développement d'un moteur avec Rocketdyne (RS68) et IHI rejoint un consortium mené par Pratt & Whitney (Moteur RL60).

Des concentrations récentes aux Etats Unis

Les contraintes commerciales, la volonté de renforcer les acteurs américains a conduit ces dernières années comme dans d'autres secteurs, à un fort mouvement de concentration : de 12 industriels de la propulsion au début des années 90, les Etats Unis sont passés à 7, et de futurs regroupements se produiront très vraisemblablement dans les prochaines années.

II. 6.2. L'ORGANISATION INDUSTRIELLE EN EUROPE

Les programmes de lanceurs sont possibles grâce à la coopération européenne

En Europe le secteur de la propulsion est l'héritier direct de la coopération organisée au sein de l'ESA.

Pour le moteur Vulcain par exemple, la propulsion spatiale européenne intègre ainsi des contributions de 14 industriels implantés dans 10 pays, et dont Snecma Moteurs est le chef de file européen.

Pour les étages à propergols solides d'Ariane 5, on compte 7 acteurs principaux, à comparer avec le seul Thiokol américain qui fournit ceux de la navette.

Cet émiettement qui répond aux règles de retour géographique des programmes de l'ESA, n'est pas sans poser quelques difficultés quand il s'agit d'optimiser le socle technologique, le développement et la production. Il conduit ainsi à des dispersions et des surcoûts peu favorables à la compétitivité d'Arianespace.

C'est pourquoi comme aux Etats Unis, il faut souhaiter que des rapprochements s'amorcent en Europe dans le métier de la propulsion.

Atteindre en Europe la taille critique par des rapprochements progressifs

La baisse des coûts d'approvisionnement d'Arianespace et sa compétitivité technologique gagneraient beaucoup à s'exercer dans le cadre de ces rapprochements entre les acteurs de la propulsion, qui pourraient optimiser la R&T, les développements et la production, ce que ne permet pas le paysage morcelé d'intervenants dont le poids économique n'est pas comparable avec la concurrence.

La coopération européenne a donné un vrai tissu industriel compétent et expérimenté dans le domaine de la propulsion spatiale ; pour en obtenir le meilleur elle doit lui permettre de s'organiser encore.

III. 6.3. UNE ACTION CONSTANTE SUR LES COÛTS : L'ÉVOLUTION NÉCESSAIRE DES ORGANISATIONS INDUSTRIELLES

La nécessité de rentabiliser des investissements dans un marché contraint

En Europe seuls quelques lancements (moins de 10) sont réalisés chaque année. Outre les contraintes liées à la petite taille et la répartition des acteurs industriels, la faiblesse des séries liées à cette production rend très délicate la recherche d'équilibres économiques, et conduisent à des prix de production encore élevés.

Pour illustrer cette difficulté on peut considérer que l'investissement de développement pour un moteur fusée à liquide est 100 fois son prix récurrent, un ordre de grandeur que l'on retrouve pour les moteurs d'avions civils ou militaires. Mais les séries de production dans le domaine spatial sont au moins 100 fois inférieures à celles de l'aéronautique. En d'autres termes, pour prendre en compte l'amortissement du développement sur une période de 10 ans, il faudrait plus que doubler le prix d'un moteur fusée .

Or, des matériels produits dans des conditions économiques non comparables (Russie par exemple) ou des conditions industrielles très favorables (subventions directes ou indirectes et garanties de marché captif coté américain), tirent les prix vers le bas et interdisent toute évolution en ce sens. La propulsion, essentielle pour l'accès à l'espace, reste ainsi une technologie stratégique, dont le développement est une question de politique industrielle et non d'économie de marché.

Mais, en parallèle, les efforts déployés chez les industriels en Europe, et tout particulièrement en France depuis les années 90, ont permis d'amorcer depuis plusieurs années le virage de la baisse des coûts.

IV. 6.4. DES RÉSULTATS DÉJÀ TRÈS SENSIBLES : UNE BAISSE DE PLUS D'UN TIERS DES COÛTS DE PRODUCTION

Des développements plus courts : le résultat d'un savoir-faire de l'industrie.

Afin de mieux suivre les évolutions du marché, de diminuer les montants engagés, on cherche à mener un développement de moteur plus rapidement qu'auparavant. Le retour d'expérience en l'Europe, qui provient des développements récents (Vulcain 1 et 2) a déjà permis d'alléger notablement par rapport à Vulcain le développement du VINCI, (moteur d'étage supérieur à très haute performance pour Ariane 5) :

VINCI développé en 1985, avec les standards et l'organisation aurait coûté le double. Aujourd'hui au contraire on note que :

ð La durée de développement nécessaire est passée de 11 à 7 ans ;

ð le nombre de moteurs de développement prévu de 15 à 9 ;

ð les essais de développement associés de 300 à 150.

Concevoir en vue de la diminution des coûts : la R&T

En parallèle, la R&T, permet d'explorer des options techniques favorables à la diminution des coûts, en développement, comme en production, et d'anticiper les configurations de matériels, en particulier si elle peut les valider sur des démonstrateurs au sol. En validant un haut savoir-faire technologique (matériaux composites de très haute résistance pour les divergents fixes ou déployables, roulements avancés pour les turbopompes) elle a permis de préparer les équipes industrielles. Son action doit être constante.

S'organiser en vue de la diminution des coûts de production

Outre l'organisation entre les différents acteurs industriels, des opérations de réorganisation en production ont déjà vu le jour, sur les sites eux mêmes.

Pour Vulcain, Snecma Moteurs a ainsi adapté son organisation en Unité de Production Autonome, et pu ainsi raccourcir les cycles de production de 35% (une diminution de 20% des coûts), et diminuer les durées de stockage des pièces.

En Guyane, l'organisation repensée des responsabilités autour des propulseurs à propergol solide, devrait dans un proche avenir diminuer les coûts de production.

Les synergies aéronautiques et spatiales peuvent enfin, en organisant les achats, les laboratoires, les installations, offrir de vraies sources d'économie.

L'effort de compétitivité que produit la communauté Ariane est déjà particulièrement sensible dans le domaine de la propulsion.

Les coûts de production des moteurs d'Ariane 5 ont déjà été diminués de plus de 35%, par rapport à l'initial, en 5 ans (Ceux d'Ariane 4 l'avaient été de 30% en plus de 20 ans). Et les travaux dans ce sens se poursuivent : Arianespace pourra bientôt équiper Ariane 5 de moteurs dont le prix aura été divisé par deux par rapport aux premières séries .

7. CONCLUSION :

La propulsion est la clé de l'accès à l'espace. Par les technologies mise en jeu, et l'importance de sa mission, elle se place au coeur des enjeux de l'espace, et suit les évolutions du marché (coûts, performance).

Ce secteur d'activité, patiemment élaboré en Europe et particulièrement en France sous l'impulsion du CNES, peut aujourd'hui s'interroger sur son organisation, faces aux aspects stratégiques de l'accès à l'espace, et aux contraintes commerciales.

Il est essentiel pour l'Europe que ses motoristes spatiaux restent au meilleur niveau sous peine de revenir à une dépendance technologique dont elle s'était dégagée.

Cela devrait se traduire par des rapprochements entre industriels, l'optimisation des moyens à mettre en oeuvre à l'échelle européenne, et aussi par des actions visant à préserver le niveau de maîtrise technologique, notamment au travers d'une politique de « briques technologiques ».

La propulsion des lanceurs actuels est confrontée en Europe, aujourd'hui plus fortement qu'auparavant, à deux tendances qui peuvent sembler difficilement compatibles :

ð Améliorer ses performances en conservant voire en améliorant sa fiabilité ;

ð Diminuer les coûts d'accès à l'espace par une diminution convaincante des coûts récurrents qui permette de suivre un marché dont les prix sont tirés vers le bas par des acteurs placés dans des conditions non comparables à celles des acteurs européens, tant dans leurs financements, que dans leurs organisations.

Une Europe qui saurait poursuivre ses efforts publics et industriels au niveau nécessaire pourrait être en bonne position.

La propulsion des systèmes orbitaux subit actuellement elle aussi des changements profonds. Après de longues années de recherche et de démonstration, les technologies de la propulsion électrique arrivent en application commerciale. Pour l'année 2000, l'Europe est en pointe, en équipant 10 plates-formes de satellites de moteurs à propulsion plasmique.

A long terme Les progrès de la propulsion pourraient mettre à disposition de nouvelles solutions et permettre à de nouvelles missions de voir le jour, vols habités plus ou moins lointains, ou, plus certainement, moyens d'explorations automatiques plus efficaces et meilleure exploitation de l'espace proche de la Terre.

On distingue ainsi l'ensemble des enjeux technologiques de la propulsion spatiale, levier essentiel notamment pour la science de l'exploration, le positionnement stratégique lié à l'autonomie de toute une politique spatiale, mais aussi et surtout les marchés commerciaux, dont les exigences en matière de coûts doivent être rendues compatibles avec une demande de performance et de fiabilité constante.

* * *

ANNEXE 2 - OBJECTIFS - 1IÈRE APPROCHE EN MATIÈRE D'EMPLOI

ANNEXE 3 - MICRO ET MINISATELLITES DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT

MICRO ET MINISATELLITES DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT

Pays

(Organisation responsable)

Nom du projet

(date de lancement)

Observations

AFRIQUE DU SUD

(Stellenbosch University)

SUNSAT

(fév. 1999-2002 ?)

Microsatellite

ALGÉRIE

(Centre national de technologie spatiale)

ALSAT

(indéterminée)

Microsatellite

ARABIE SAOUDITE

(Space research institute)

SAUDISAT

(2001 ?)

Microsatellite

ARGENTINE

(CoNAE)

SAC-C (1999)

CESAR (2002 ou 2003)

Projet hispano-argentin

AUSTRALIE

(CRCSS)

FEDSAT

(2001)

Microsatellite (SIL)

BRÉSIL

(INPE)

SACI 1 et 1b (1999)

Satellite franco-brésilien (2001 ou 2002)

Microsatellite

Coopération CNES-INPE

CHILI

(Fuerza Aerea - Space Div)

FASat-Bravo

(juillet 1998)

Microsatellite (SSTL)

CHINE

(Tsinghua University)

Tsinghua 1

(printemps 2000)

Constellation CJV (2001)

Sept microsatellites

(surveillance des zones de catastrophes)

CORÉE DU NORD

(Académie des Sciences)

Kwanamyonasona-1

(août 1998, 1999 ?)

Petit satellite expérimental

CORÉE DU SUD

(SaTRec/KAIST)

KITSAT-1-2-3

(1992, 1993, 1999)

KAISTAT-4

(2002)

Microsatellite (SSTL)

EGYPTE

(National Authority for Remote Sensing and Space Sciences)

NARSS-Sat-1 ?

(2002 ?)

Microsatellite

IRAN

(Ministry of Culture and Higher Education)

Mesban

(2001 ?)

Minisatellite

MALAISIE

(Astronautic Technology Sdn Bhd)

TungSat-1

(avril 2000)

Microsatellite (SSTL)

NIGERIA

(National Space Research & Development Agency)

NASRDA SAT-1 ?

(2002 ?)

Microsatellite

PAKISTAN

(Space & Upper Atmosphere Research Commission)

Badr-1 et Badr-2

(1990, 2000)

Microsatellite (SSTL)

ROUMANIE

(Romanian Space Agency)

ROSA Sat ?

(2001 ?)

Microsatellite

TCHÉQUIE

(Czech Space Devices Company)

MagioryMIMOSA

(1989-96/2001)

Microsatellite

TURQUIE

(Tubitak Information Technology and Electronics Research Institute)

TUBITAK-BILTEN

(2001)

Microsatellite (SSTL)

(contrat de 14 M$)

Source : AIR ET COSMOS, 10 septembre 1999)

ANNEXE 4 - STENTOR

Source : CNES

ANNEXE 5 - PROGRAMME TECHNOLOGIQUE POUR LES TÉLÉCOMMUNICATIONS PAR SATELLITE

Source : Alcatel Space.

Source : Alcatel Space.

ANNEXE 6-1 - RECHERCHE - SCIENCES DE L'UNIVERS

1. Astronomie des hautes énergies : INTEGRAL et CLAIRE

L'observatoire international d'astrophysique des rayons gamma (Integral) est une mission moyenne du programme Horizon 2000 de l'Agence Spatiale Européenne ; Integral a pour objectif l'étude des phénomènes fondamentaux en astrophysique galactique et extragalactique. Il s'agit en effet d'observer pour la première fois de façon directe les réactions nucléaires conduisant â la formation des éléments dans l'Univers, réactions dont l'émission de raies gamma constitue la signature.

La France participe de façon majeure à la réalisation de deux des instruments de l'Observatoire :

• - le spectromètre SPI, développé par différents Etats-membres de l'ESA sous responsabilité française, la maîtrise d'oeuvre étant confiée au CNES Toulouse, qui réalise également l'intégration de l'ensemble de l'instrument.

• - l'imageur Ibis, également réalisé par un consortium européen sous responsabilité italienne, la France réalisant l'étage basse énergie du détecteur de l'imageur.

Le projet est passé en phase de réalisation mi 1997. Par suite d'aléas techniques rencontrés dans la réalisation des instruments de la mission, la livraison des instruments à l'ESA est prévue en 2001, pour un lancement du satellite en avril 2002.

Un projet ballon très novateur, Claire, visant à la focalisation des rayons gamma est en cours de développement en France. Placé sous responsabilité française, un consortium européen et américain réalise un prototype de lentille gamma focalisant le rayonnement à 170keV qui volera pour la première fois en juin 2000 et pointera la nébuleuse du Crabe. Ce vol et son objectif scientifique constituent la première étape de la démonstration de faisabilité d'une lentille gamma. Ils seront suivis lors d'une deuxième étape du projet par un ajustage en fréquence en vol de la lentille qui ouvrira des perspectives d'un très grand intérêt astrophysique à ce type d'instrumentation

2. Astronomie X : XMM - Newton

Deuxième "pierre angulaire" du programme Horizon 2000 de l'ESA, la mission XMM (X Ray Multi Mirror Mission) est un observatoire à miroirs multiples consacré à (étude des rayons X allant des étoiles proches aux noyaux galactiques actifs â grande distance. L'observatoire XMM, rebaptisé Newton, a été lancé avec succès en décembre 1999 et fonctionne de façon remarquable. La France a participé à la réalisation de l'instrument EPIC (European Photon Image Camera, sous responsabilité britannique), ensemble de trois caméras à rayons X placées au plan focal des miroirs XMM. La mission Newton est désormais à la disposition de la communauté internationale.

3. Astronomie visible et UV : Hipparcos, FUSE, GALEX

En 1998, les catalogues de la mission d'astrométrie Hipparcos ont été publiés. Des données astrométriques (précision de 0,05 seconde d'arc) et photométriques (précision de 0,02 en magnitude B) ont été obtenues pour 118 000 objets, étoiles simples, doubles ou multiples; la précision sur la séparation est de 3 â 30 millièmes de seconde d'arc, prouvant que les objectifs initiaux de la mission sont largement atteints. L'interprétation astrophysique de ces résultats ne fait que débuter et se révèle de tout premier plan scientifique, allant de la détection d'exoplanètes compagnes d'étoiles â la cosmologie.

L'observatoire Fuse de la NASA a été lancé avec succès en juillet 1999. La France a contribué de façon déterminante à la réalisation de ce spectromètre à très haute résolution spectrale dans le domaine ultraviolet lointain placé sous responsabilité US et continue de contribuer de façon importante aux opérations de la mission en vol et au traitement des données reçues. La mission est passée en phase opérationnelle au début de 1999 et apporte une moisson de résultats de très grande qualité dans l'étude du milieu interstellaire et de la nucléosynthèse. Jusqu'à présent, aucune détection de Deutérium présent depuis la formation de l'Univers n'a été encore effectuée.

La mission Galex, mission smex de NASA est en cours d'intégration de son modèle de vol. La France participe de façon prépondérante à cette mission d'inventaire dans le domaine ultraviolet qui devrait apporter un complément à notre connaissance de la formation stellaire dans notre galaxie et les galaxies extérieures. Galex devrait être lancé en 2001 et observera le ciel UV durant deux années.

4. Astronomie infrarouge et submillimétrique : Pronaos, ISO, Odin, FIRST et Planck-Surveyor

Pronaos (PROgramme NAtional d'Observation Submillimétrique) est un projet d'observation submillimétrique dédié à l'étude du rayonnement submillimétrique de sources froides dans l'Univers, et à la physico-chimie du milieu interstellaire, à l'étude de zones déformation d'étoiles. L'expérience Pronaos a effectué son dernier vol depuis la base NASA de Fort Sumner en septembre 1999. De nombreux observations de nuages interstellaires et de zone de formation d'étoiles actives ont été obtenues, les résultats sur la physique du milieu interstellaire sont en cours d'interprétation.

L'observatoire infrarouge ISO (Infrared Satellite Observatory) mission moyenne du programme Horizon 2000 de l'Agence Spatiale Européenne a terminé sa phase opérationnelle en avril 1999, après épuisement de sa réserve d'hélium liquide nécessaire au refroidissement de sa charge utile. De très nombreuses données ont été obtenues sur tous les types d'objets de l'Univers, des planètes et comètes aux galaxies infrarouges superlumineuses. Par suite de la grande complexité des instruments de la mission et de leurs caractéristiques, ces données sont en cours de re-étalonnage final, avant leur mise en archive sous responsabilité de l'ESA en totale synergie avec les groupes PI instrumentaux.

Le minisatellite Odin qui comporte d'importantes contributions du CNES et des laboratoires scientifiques françaisvient d'être lancé. Satellite scientifique suédois, Odin est destiné à l'observation de bandes du spectre électromagnétique non encore étudiées, situées au voisinage des longueur d'ondes de 0,5 mm et de 3 mm. La contribution française à ce programme représente 20 % du coût total de la mission.

First (Far Infrared Space Télescope) pierre angulaire du programme Horizon 2000 de l'Agence Spatiale Européenne a été couplée avec Planck-Surveyor, mission M3 moyenne du même programme pour des raisons d'économie en terme de lancement - les deux missions seront localisées au point de Lagrange L2 - et d'opérations. Toutes deux sont des missions d'observation dans le domaine infrarouge lointain et submillimétrique et seront lancées en 2007.

First est un observatoire équipé de trois instruments réalisés par des consortia européens et américains. La France participe de façon très importante au concept et à la réalisation de ces instruments ainsi qu'à leurs centres de contrôle des données.

Planck-Surveyor est destiné à l'observation du fond diffus cosmique dans le domaine submillimétrique. La France participe de façon prépondérante à la réalisation de l'un des deux instruments focaux de la mission et de son centre de contrôle associé.

ANNEXE 6-2 - RECHERCHE : EXOBIOLOGIE

- La période de la « chimie » ; correspondant à la formation des premières briques moléculaires (protéines, nucléotides constituant des acides nucléiques, lipides) à partir de molécules organiques gazeuses simples et d'eau liquide. La connaissance des conditions d'environnement de la Terre primitive (atmosphère, hydrosphère, sources de matière carbonée, sources d'énergie...) reste encore assez spéculative et cherche à bénéficier d'études comparatives avec celle d'autres planètes ou de petits corps du Système Solaire. L'hypothèse d'une importation de matière organique extraterrestre comme sources de molécules prébiotiques retient de plus en plus l'attention des scientifiques. Des méthodes d'analyse chimique ultrafine de la matière carbonée extraterrestre ont été développées ces dernières années, en particulier pour l'étude des météorites mais aussi pour celle des micrométéorites, comme celles récoltées dans les glaces bleues de l'Antarctique, de taille comprise entre 50 et 500 pm, dont on sait maintenant qu'elles injectent un flux considérable de matière sur Terre. Ces techniques d'analyse sont exploitées à leur limite de détection, sur des quantités d'échantillons très faibles de matière terrestre ou extraterrestre et pourront s'avérer très utiles pour l'analyse des futurs échantillons martiens ramenés sur Terre par la mission Mars Sample Return. Diverses expériences de laboratoire sont aussi réalisées pour simuler les conditions régnant à la surface des corps parents et chercher s'il peut s'y former certains produits fondamentaux de la chimie prébiotique.

Un projet de chambre de simulation de l'environnement martien pour l'exobiologie, Exocam, a été proposé. Le dispositif Semaphore (Simulation Expérimentale et Modélisation Appliqués aux Phénomènes Organiques dans l'Environnement cométaire) permet d'étudier les mécanismes photochimiques et thermiques qui régissent la dégradation de la matière organique présente dans les glaces et les poussières cométaires ;

- La période de "l'information ", avec l'apparition de molécules porteuses d'information capables de se dupliquer et d'évoluer. Divers scénarios physico-chimiques cherchent à approfondir la notion de structures dissipatives capables de s'auto-organiser, dans les conditions d'environnement de la terre primitive. Certains sont basés sur l'apparition en premier lieu des acides aminés, par exemple des acides a-aminés bloqués sur la fonction amine par le groupement carbamoyl (-CONH2) subissant des alternances de phases sèches et humides. D'autres tiennent compte d'un monde précurseur de l'ARN, fondé sur des molécules d'ARN capables d'autocatalyse. La découverte de l'activité catalytique des ribozymes permet par exemple de penser que les molécules primitives apparentées aux acides nucléiques contemporains ont été capables d'actes catalytiques et ont participé à la mise en place des premiers chaînons métaboliques. Des travaux sont en particulier menés sur la recherche de voies de synthèse prébiotique menant à des dérivés de l'adénine analogues de nucléosides et précurseurs d'acides nucléiques ;

- La période de la « protocellule »; première unité définie comme vivante, entourée d'une membrane l'isolant du milieu extérieur, et qui aurait engendré l'ancêtre commun à toutes les formes de vie sur Terre (LUCA, Last Universal Common Ancestor).

La question de savoir si des processus analogues ont pu se produire ailleurs est ouverte. L'exploration du Système Solaire a déjà permis d'identifier plusieurs objets intéressant l'exobiologie. Certains seraient susceptibles d'avoir offert des conditions propices à l'apparition de la vie tels que Mars et Europe. L'exploration de la planète Mars a récemment soulevé un grand enthousiasme et conduit à de nouveaux projets soit au travers d'un programme de retour d'échantillons (programme Mars Sample Return franco-américain), soit par analyse in situ du sol et du proche sous-sol de Mars (atterrisseur exobiologique Beagle-2 de la mission Mars Express de l'ESA, proposition de mission F2/F3 de l'ESA, étude de faisabilité de l'ESA pour une installation multiutilisateurs d"analyse in situ avec forage, analyses minérale, organique, isotopique et de chiralité dans le cadre du programme Vols habités-Microgravité, études de R&T CNES).

D'autres corps présentent une chimie organique complexe fournissant des exemples de réacteurs de chimie prébiotique à l'échelle planétaire tel que Titan (mission Cassini-Huygens de l'ESA). Les petits corps sources de matière carbonée (météorites, micrométéorites, comètes) pourraient avoir participé à la chimie prébiotique sur la Terre primitive. La chimie du milieu interstellaire, par sa composante organique et par ses implications sur la chimie de la nébuleuse protosolaire, présente un intérêt analogue.

La découverte de planètes extra solaires de plus en plus nombreuses, bien qu'étant de type Jupiter, permet d'envisager aussi la possibilité de vie hors du système solaire. Nous sommes sur le point de pouvoir construire des instruments capables de mettre en évidence des planètes « habitables » (c'est-à-dire des objets de type tellurique dont la distance à (étoile permet une température voisine de 300K) et de chercher si une vie primitive a pu s'y développer, par l'étude spectroscopique de l'émission de telles planètes. Le projet Darwin de l'ESA est un interféromètre infrarouge à cinq télescopes placés dans l'espace sur un cercle de 50 à 200 mètres de diamètre, pointé sur l'étoile à explorer. Le domaine spectral de 6 à 17 microns est attractif pour cette recherche car il contient en particulier les signatures de l'eau, du dioxyde de carbone et de l'ozone dont la présence peut tracer celle de l'oxygène. Il se peut que la présence abondante d'oxygène dans l'atmosphère d'une planète soit une indication d'activité de photosynthèse biologique.

Du 20 février au 28 août 1999 s'est déroulée la mission franco-russe Perseus, à bord de la Station Spatiale Mir en orbite basse. Deux expériences ont été placées à l'extérieur de la Station : Exobiologie et Comet.

Le dispositif Exobiologie a été mis en place du 16 avril au 9 juillet pendant 97 jours. L'observation répétée de matière organique sur les micrométéorites collectées en Antarctique pose des questions fondamentales sur l'origine de la vie sur Terre et sur la capacité de ces molécules à survivre dans un environnement spatial. Cette expérience vise à conforter l'hypothèse selon laquelle les acides aminés qui ont servi à la fabrication des premiers peptides sur la Terre primitive auraient pu être importés sans dommage par de petits grains micrométéoritiques et auraient pu subir un début de polymérisation au cours de leur voyage dans l'espace. Elle permet également une étude des phénomènes de racémisation (transformation d'une forme gauche en un mélange de formes gauches et droites). Différents échantillons ont été exposés aux radiations UV: des acides aminés optiquement actifs et des peptides à l'état libre ou associés à des poudres d'argiles, de basalte ou de météorite d'Allende pour mimer la fraction minérale des micrométéorites. Après récupération des échantillons, les acides aminés ont été extraits et analysés par diverses méthodes (analyse directe des dépôts par spectroscopie infrarouge, analyse en solution aqueuse par électrophorèse capillaire, dérivatisation à l'aide d'un composé chiral de la famille du fluorène ((+) FLEC) suivie de dosage par spectroscopie UV et par fluorescence après chromatographie liquide haute performance (HPLC), spectrométrie de masse par electrospray...).

En l'absence de protection minérale, 50 % des acides aminés furent détruits. Les peptides ont montré une sensibilité notable au vide spatial et des effets de sublimation ont été mis en évidence. La seule exposition aux UV est responsable de 20 % des dégradations observées, principalement par décarboxylation.

Ces expériences préparent à l'utilisation de l'instrument Expose de l'ESA qui sera placé sur une palette externe de la future Station Spatiale Internationale (ISS), pendant la phase d'utilisation précoce.

La coopération scientifique franco-russe sur MIR a également permis de réaliser des expériences de collecte de matière extraterrestre directement dans l'espace et donc exempte de toute contamination terrestre éventuelle, pour l'analyser ensuite en laboratoire. Au voisinage du soleil, le noyau solide de la comète se sublime et libère une partie de ses couches superficielles. Les grains les plus gros se rassemblent sur une orbite proche de la comète mère et constituent progressivement un essaim. Tous les ans, la Terre croise de tels essaims, responsables de pluies d'étoiles filantes. Les expériences COMET (Collecte en Orbite de Matières Extraterrestre), réalisées sur plusieurs vols, ont permis de collecter des micrométéorites dont le corps parent a ainsi pu être identifié. La première expérience fut réalisée sur Salyut-7, en 1985, durant la traversée des Draconides qui sont associées à la comète Giacobini-Zinner. La seconde fut réalisée sur MIR, en octobre 1995, durant le passage de la Terre dans les Orionides associées à la comète de Halley. Enfin, la troisième collection eut lieu en novembre 1998, au sein des Léonides, associées à la comète Temple-Tittle. Il semble que lors de cette dernière expérience, nous ayons pu collecter un grain de taille significative, vraisemblablement d'origine cométaire. L'extraction et l'analyse de ces échantillons sont actuellement en cours.

Une expérience spatiale intitulée Stone, simulant la rentrée atmosphérique d'une météorite martienne artificielle, a eu lieu sur le satellite récupérable russe Photon-12 en septembre 1999, dans le cadre du programme Emir-2 de 1°ESA. Il existe actuellement sur Terre quatorze météorites dénommées SNC dont on pense qu'elles proviennent de la planète Mars. Or aucune d'entre elles n'est sédimentaire, contrairement à ce que l'on pourrait attendre d'après les hypothèses sur le climat chaud et humide de la planète Mars dans le passé. On imagine que les météorites sédimentaires qui se seraient échappées de la surface de Mars n'auront pas pu survivre à l'entrée dans l'atmosphère de la Terre à cause de la décrépitation du matériau minéral qui les cimente. L'expérience Stone a ainsi pour but d'étudier les modifications physiques et chimiques de roches sédimentaires lors d'une rentrée atmosphérique. Un basalte (échantillon témoin), une dolomite (roche sédimentaire terrestre) et un régolithe artificiel martien (80% de basalte et 20% de gypse compacté) ont été incrustés dans le revêtement thermique du satellite Photon et récupérés pour analyse.

Des expériences de simulation en laboratoire permettront aussi de compléter la liste des réactions à prendre en compte dans les modèles photochimiques de l'atmosphère de Titan et de déterminer, d'après leur cinétique chimique, quelles sont les réactions dominantes (programme IDS "Titan's chemistry and exobiology", responsable scientifique François Raulin, LISA, Faculté des Sciences de Créteil).

Par ailleurs mais toujours en liaison avec l'étude de la matière primitive, une expérience baptisée Codag (COsmic Dust AGglomeration) a été réalisée par le Service d'Aéronomie (PI. A.C.Levasseur-Regourd), en fusée-sonde lors du vol Maser-8 de l'ESA en mai 1999. Cette expérience étudie les mécanismes d'agrégation des particules cosmiques en microapesanteur, en suivant par des moyens optiques l'intensité et la polarisation de la lumière diffusée dans diverses directions au cours du phénomène d'agrégation. Cette expérience fait suite à une série de mesures effectuées en vol parabolique dans l'avion Airbus 0-G, à l'aide de l'instrument Progra-2 (Polarimetric Properties of Grains, réalisé par l'ESSC Illkirch et le LPCE/CNRS Orléans), qui ont permis de collecter environ une trentaine de fonctions de phase pour différents échantillons répertoriés, compacts ou floconneux, avec des applications à la poussière cométaire, astéroïdale et interplanétaire.

ANNEXE 6-3 - RECHERCHE -PHYSIQUE FONDAMENTALE

Pour tester la Relativité générale dans le système solaire, le CNES développera d'abord de nouveaux outils de métrologie temps-fréquences, tels que le projet d'horloge atomique à atomes refroidis PHARAO, qui sera installée en 2005 sur la station spatiale et dont l'exactitude et la stabilité (par jour) atteindront 10-16, ainsi que des techniques de transfert de temps ultraprécis.

L'horloge atomique PHARAO, développée par l'Ecole Normale Supérieure et d'autres laboratoires français ainsi que le CNES, est une étape essentielle à la préparation des futurs projets spatiaux en physique fondamentale. La mission européenne ACES (Atomic Clock Ensemble in Space), installée en 2005 sur la Station, comprendra l'horloge atomique par refroidissement d'atomes en orbite PHARAO, combinée à une technique de transfert de temps par lien micro onde et à un Maser à Hydrogène développé par la Suisse dans un but de comparaison. En effet, l'ISS apparaît aujourd'hui comme la meilleure opportunité pour tirer parti de la microgravité nécessaire au fonctionnement optimal de ce type d'horloge dont l'exactitude et la stabilité devraient atteindre 10-16. Des retombées majeures sont attendues pour la métrologie du temps et des fréquences et pour les futurs systèmes de navigation.

A. PRINCIPE D'ÉQUIVALENCE - PROJET MICROSCOPE

Le principe d'équivalence a pour justification l'observation expérimentale que tous les corps, indépendamment de leur masse et de leur composition, acquièrent la même accélération dans un champ de gravitation. Cette universalité de la chute des corps peut s'exprimer en disant que la masse gravitationnelle mg d'un corps (coefficient de masse entrant dans l'expression de la force gravitationnelle) est égale à la masse inerte mi; (coefficient entrant dans la deuxième loi de Newton).

Les expériences portant sur le principe d'équivalence appartiennent en fait aux deux thématiques classique et quantique, car elles testent l'idée classique de l'existence d'un continuum d'espace-temps (conséquence directe du principe d'équivalence), ou pourraient permettre de détecter l'effet de nouvelles particules ou de nouvelles forces. II est estimé que, quelle que soit leur origine, de telles forces supplémentaires pourraient, en se superposant à la gravitation, se manifester par des violations apparentes du principe d'équivalence à des niveaux inférieurs à 10 -13 -10 -14 . De ce point de vue, les expériences déjà réalisées au sol ne sont pas probantes car elles n'ont pu atteindre une précision relative que de quelques 10- 12 (expériences de type Eötvos, Dicke et tirs laser Lune) et il s'avère nécessaire de profiter de l'environnement spatial pour faire à nouveau progresser la précision de cette mesure par un facteur important.

Le concept du test en orbite du principe d'équivalence consiste à disposer à bord d'un satellite à traînée compensée et en pointage inertiel (ou quasi inertiel) des accéléromètres dont les masses d'épreuve, regroupées par paires, sont de composition différente. Dans la direction de l'axe des masses d'épreuve cylindriques, une violation du principe d'équivalence se traduit par une accélération différentielle périodique à la fréquence orbitale ou à une fréquence voisine (décalée de la vitesse de rotation du satellite autour de la normale à l'orbite). Le niveau de précision atteindra 10-15 dans le cas de l'expérience Microscope.

Microscope est un projet proposé par l'ONERA et l'Observatoire de la Côte d'Azur, pour être embarqué sur un microsatellite du CNES en passager secondaire d'Ariane-5 ou de PSLV, sur une orbite héliosynchrone, pendant une durée d'opération au minimum de six mois. Outre le test du principe d'équivalence, cette mission apportera l'occasion de qualifier les technologies de réalisation d'un satellite à compensation de traînée.

Le microsatellite Microscope comprend pour l'essentiel :

- deux accéléromètres électrostatiques différentiels (comprenant chacun deux masses d'épreuve cylindriques concentriques), associés à une unité électronique,

- un système de contrôle d'attitude et de compensation de traînée implanté dans le calculateur du microsatellite (SCAO),

- des micropropulseurs électriques FEEPs (Field Émission Electric Propulsion) associés à leur électronique de commande et de puissance.

La faisabilité du projet a été démontrée au cours de l'année 1999. La conception du satellite Microscope est basée sur la ligne de produits Microsatellite, avec quelques adaptations concernant la structure, les panneaux solaires et le système SCAO. Le projet a été sélectionné par le Comité des Programmes Scientifiques en décembre 1999, comme nouvelle mission pour un lancement en 2004.

Les microaccéléromètres ultrasensibles sont développés par l'ONERA à Châtillon. L'étude de mission est faite à l'Observatoire de la Côte d'Azur (OCA/CERGA). Le CNES est maître d'oeuvre du microsatellite. Des coopérations au niveau européen sont en cours d'élaboration (ZARM Brême, Université de Birmingham, BIPM Sèvres, Centrospazzio Pise, ARCS Seibersdorf ). Le projet a été ouvert à une participation de l'ESA dans le cadre de l'appel pour les missions flexibles F2/F3.

Un projet de satellite encore plus ambitieux, à température cryogénique, intitulé Step (Satellite Test for the Equivalence Principle), est à (étude par la NASA et l'ESA. Ce projet envisage un test du Principe d'Équivalence à 10-18 ; il utiliserait la technologie de positionnement électrostatique de l'ONERA.

B. EFFETS RELATIVISTES - PROJET ACES

Les méthodes de refroidissement et de manipulation d'atomes ont provoqué en moins de dix ans une révolution dans le domaine de la mesure du temps et des horloges atomiques. Aujourd'hui, le meilleur étalon de temps au monde est une fontaine atomique utilisant des atomes refroidis par laser, réalisée et installée à l'Observatoire de Paris. Cependant, dans une fontaine atomique, la gravité impose manifestement une limite à la résolution. En microgravité, par contre, la durée d'interaction des atomes dans la cavité micro-onde est augmentée et un temps de mesure d'une dizaine de secondes est envisageable dans un volume réduit. On attend ainsi une amélioration d'un facteur dix en résolution et une excellente exactitude. C'est l'objectif du projet Pharao (Projet d'Horloge Atomique par Refroidissement d'Atomes en Orbite). Ce projet regroupe les effort de trois laboratoires (le Laboratoire Kastler-Brossel de l'Ecole Normale Supérieure à Paris, le Laboratoire Primaire du Temps et des Fréquences du Bureau National de Métrologie à l'Observatoire de Paris et le Laboratoire de l'Horloge Atomique à Orsay).

L'expérience T2L2, Transfert de Temps par Lien Laser, proposée par l'Observatoire de la Côte d'Azur, doit permettre de synchroniser des horloges terrestres et spatiales. T2L2 est fondé sur la propagation d'impulsions lumineuses très courtes entre ces horloges terrestres et spatiales. L'expérience utilise des stations de télémétrie par laser pour la partie sol, et un système de détection-datation accompagné d'un rétroréflecteur pour la partie satellite.

Fin 1997, Pharao et T2L2 ont été sélectionnés par l'Agence spatiale européenne. Dans sa configuration européenne, le projet Aces (Atomic Clock Ensemble in Space) est prévu pour être installé sur une plate-forme extérieure de la Station spatiale internationale orientée vers le nadir, durant la période d'utilisation initiale (2003-2005), pendant une durée de dix-huit mois. Aces comportera deux horloges, (horloge Pharao et un Maser à Hydrogène de l'Observatoire de Neuchâtel) et deux méthodes de transfert de temps et de fréquence, le lien optique T2L2 et un lien micro-onde. Ce projet est destiné à démontrer la très forte potentialité de cette nouvelle génération d'horloges atomiques dans l'espace. Les objectifs sont à la fois technologiques (faire fonctionner une horloge à atomes de césium refroidis avec des performances de stabilité et d'exactitude ultimes, démontrer son intérêt pour la dissémination du temps par comparaison d'horloges) et scientifiques (physique atomique, tests de Physique fondamentale).

Les objectifs scientifiques de cette mission sont les suivants :

- réaliser une horloge à atomes froids en micropesanteur avec une largeur de résonance de 100 milliHertz, dix fois plus fine que dans une fontaine au sol ;

- obtenir une stabilité de fréquence de 3.10-14. T-1/2 où T est le temps d'intégration en secondes. Cette stabilité devrait atteindre 10-16 sur une journée ;

- étudier les performances ultimes de cette horloge dans la gamme des 10-17 et le compromis entre la stabilité à court terme et l'exactitude du dispositif ;

- disséminer une échelle de temps ultrastable avec une couverture mondiale : l'exactitude visée est de 30 picosecondes soit environ deux ordres de grandeur au-delà des performances actuelles des systèmes Gps et Glonass ;

- réaliser de nouveaux tests de la Relativité générale avec un gain d'un facteur 30 sur la mesure du décalage vers le rouge (effet Einstein) et un gain d'un facteur 10 sur la recherche d'une éventuelle anisotropie de la vitesse de la lumière ;

- rechercher une éventuelle dérive en fonction du temps de la constante de structure fine o, au niveau de 10-16 par année. Ceci correspondrait à une amélioration d'un facteur 400 par rapport aux meilleures mesures de laboratoire actuelles).

En 1999, le CNES a réalisé l'étude de faisabilité de l'horloge à atomes froids Pharao et du système de transfert de temps par lien laser T2L2 qui devraient être livrés à l'ESA fin 2003, pour un vol prévu en 2004. Le CNES s'est aussi impliqué dans le suivi des activités système du projet Aces et dans la définition du segment sol Aces.

Le Comité des Programmes Scientifiques du CNES a exprimé son appréciation unanime du très grand intérêt scientifique des objectifs de la mission ACES/PHARAO : maîtrise de la manipulation des atomes froids en microgravité; comparaison entre horloges terrestres et transfert du temps; décalage gravitationnel vers le rouge et autres tests de la relativité, constante de structure fine. A long terme, la maîtrise des horloges à atomes froids dans l'espace conditionne la précision ultime de la définition du temps, aussi bien que le développement des systèmes de positionnement sur terre et dans l'espace. Les senseurs inertiels à atomes froids nécessitent la validation des mêmes technologies.

Les objectifs d'ACES peuvent être atteints avec la configuration réduite (horloge PHARAO, maser à hydrogène et liaison micro-onde) proposée par le responsable scientifique pour respecter les limites de poids pour le cas où une dérogation ne pourrait être obtenue de la NASA. Le Comité recommande que le CNES mette tous les moyens en oeuvre pour permettre l'embarquement d'ACES sur le vol UF-6 de la navette spatiale prévu en juin 2005, de façon à préserver l'avance scientifique européenne et française dans le domaine des horloges à atomes froids. Ceci implique, pour PHARAO, le démarrage de la phase industrielle (phase C/D) au printemps 2001 et, pour la liaison micro-onde, l'engagement de la phase B après la réunion du prochain Steering Comittee prévue le 15 mars, et la confirmation du financement de la phase C/D lors de la réunion du Conseil de l'ESA au niveau ministériel en novembre 2001.

Le Comité souligne à nouveau le très grand intérêt du lien laser T2L2 pour ACES et pour les expériences futures. Il recommande donc de soutenir les efforts de l'ESA auprès de la NASA pour obtenir son embarquement. Si T2L2 devait être écarté d'ACES, le Comité recommande de rechercher une autre solution pour sa réalisation : microsatellite ou collaboration avec les Etats-Unis.

C. ONDES GRAVITATIONNELLES - PROJET LISA

Les ondes gravitationnelles sont des perturbations de la métrique d'espace-temps, qui se propagent à la vitesse de la lumière. Le rayonnement gravitationnel n'a jamais été détecté directement mais seulement de manière indirecte en astronomie (en particulier par l'effet de réaction qu'il induit sur le mouvement orbital du pulsar binaire PSR 1913+16). Si pour des objets ordinaires l'amplitude de l'onde gravitationnelle est en général très faible, dans le cas extrême de sources astrophysiques impliquant par exemple des trous noirs massifs et des systèmes binaires compacts, la puissance émise pourrait atteindre une valeur mesurable.

Des antennes gravitationnelles terrestres sont actuellement en construction en plusieurs sites, comme Pise pour le projet franco-italien Virgo. Ces détecteurs sont adaptés à des ondes de fréquence relativement élevées, allant de quelques Hz à plusieurs kHz. Il leur est très difficile, par principe, d'étendre leur sensibilité vers le bas en raison des mouvements du sol terrestre qui engendrent des gradients dynamiques de gravité donnant un bruit prohibitif à basse fréquence (< 1 Hz), et pratiquement, en raison de la limite de dimensions imposée par la taille des terrains disponibles, et donc des interféromètres.

L'idée de se libérer à la fois du bruit terrestre et des limitations d'emprise au sol par l'installation dans l'espace d'un interféromètre gravitationnel de très grande dimension a donné lieu à la proposition de projet spatial Lisa, dans le cadre du programme Horizons 2000 de l'ESA. Lisa détectera les ondes gravitationnelles dans la bande de fréquence entre 10-1 et 10-4 Hz inaccessible depuis le sol. Le principe de base consiste à établir entre des satellites très distants des liens optiques tels que la phase reçue soit en permanence mesurée par comparaison avec un oscillateur local. La comparaison de deux trajets optiques distincts entre plusieurs satellites (effectuée avec une précision correspondant à moins de 20 pm/Hz 1/2 ) donne l'information sur l'effet de l'onde gravitationnelle qui se propagerait entre les deux bras de l'interféromètre de Michelson. Il est nécessaire que les satellites renferment en leur sein des masses inertielles, en chute libre sous l'effet des seuls champs gravitationnels et soustraites à l'effet perturbateur de l'atmosphère résiduelle ou des pressions de radiation. Chaque masse définit l'une des extrémités des trajets optiques et constitue la référence du système de compensation de traînée nécessaire au contrôle du satellite autour d'elle. Le satellite, porteur du banc laser néodyme de deux watts environ et du télescope constitue ainsi une enveloppe protectrice pour la masse, sa position et son attitude relative étant asservies au moyen de micropropulseurs ioniques.

Lisa consiste en trois satellites contenant chacun deux masses inertielles associées à deux télescopes de 38cm d'ouverture et disposés aux sommets d'un triangle équilatéral de 5.106 km de côté. La configuration des trois satellites est sur une orbite héliocentrique de rayon 1 UA, suivant la Terre avec un retard de 20 jours.

La réalisation de ce projet nécessite des développements technologiques ardus, notamment dans le domaine des lasers ultrastables, des télescopes, des accéléromètres, des propulseurs ioniques et de la compensation de traînée. Des équipes françaises possèdent déjà des savoir-faire reconnus dans ces domaines grâce à leur participation à des projets spatiaux nécessitant des technologies analogues (Microscope) ou au projet terrestre de détection d'ondes gravitationnelles Virgo. Des actions de R&T sont en cours (microaccéléromètres électrostatiques à l'ONERA, stabilisation de lasers Yb: YAG asservis en fréquence à long terme à l'Observatoire de la Côte d'Azur, département Fresnel).

D. ASTROPARTICULES - PROJET AMS

Le projet Ams (Alpha-Magnetic Spectrometer) touche à la fois à la physique des hautes énergies et à l'astrophysique.

Son objectif principal est la recherche d'antimatière d'origine cosmique, par détection directe d'éventuels antinoyaux (antihélium, anticarbone..) avec une sensibilité de 3 à 4 ordres de grandeur meilleure que la limite actuelle et des performances accrues (grande acceptance du spectromètre, longue durée d'utilisation, meilleure statistique, grande capacité d'identification des particules...). Ce spectromètre devrait de plus permettre une mesure précise des spectres de protons, antiprotons, électrons et positons créés par l'interaction des rayons cosmiques au cours de leur propagation dans la galaxie, et dont les flux sont prédits par les modèles du milieu interstellaire. Des distorsions éventuelles de ces spectres pourraient être induites par l'existence de particules neutres stables interagissant faiblement (WIMPs, Weakly Interactive Massive Particles), constituants de la matière noire ou matière manquante. Enfin, l'instrument devrait fournir des spectres en énergie des éléments légers, étudier la composition isotopique du rayonnement cosmique (rapports D/H, 3He/4He, 6Li/7Li) et le rayonnement gamma de haute énergie (300MeV 300GeV).

Ce projet a été initié aux Etats-Unis par la NASA et le Department of Energy (DoE) et fait l'objet d'une vaste coopération internationale. Il s'agit de placer un spectromètre magnétique à aimant permanent en orbite basse sur une palette externe de la Station spatiale internationale, emportée par la navette américaine probablement sur le vol UF-4 en 2004. Des laboratoires français (Laboratoire d'Annecy le Vieux de Physique des particules, LAAP, et Institut des Sciences nucléaires de Grenoble, ISNG), sont impliqués dans le projet avec le soutien de l'IN2P3, et ont participé à la mission préliminaire de qualification technologique AMS-01 qui a été réalisée sur la navette américaine en juin 1998 pendant dix jours (vol STS-91). Ce projet a intégré les développements récents de l'instrumentation développée pour la physique des particules, en particulier l'identification des particules par imagerie Cerenkov qui est très performante.

ANNEXE 7 - 40 ANS D'EXPLORATION MARTIENNE

Source : Air et Cosmos .

ANNEXE 8 - PARTICIPATIONS D'ASTRONAUTES FRANÇAIS À DES VOLS HABITÉS (1982 -2000)

Mission

Date

Durée

Astronaute

Premier Vol Habité (PVH)

24/06 à 02/07/82

07 j 21 h 51

J.-L. Chrétien

STS-51G

17 à 24/06/85

07 j 01 h 38

P. Baudry

Aragatz

26/11 à 21/12/88

24 j 16 h 09

J.-L. Chrétien (2 ème vol)

Antarès

27/07 à 10/08/92

13 j 18 h 46

M. Tognini

Altaïr

01 à 22/07/93

20 j 16 h 09

J.-P. Haigneré

STS-66 (Atlas-3)

03 à 14/11/94

10 j 22 h 34

J.-F. Clervoy

STS-78 (LMS)

20/06 à 07/07/96

16 j 21 h 47

J.-J. Favier

Cassiopée

17/08 à 02/09/96

15 j 18 h 24

C. André-Deshays

STS-84 (6 ème amarrage Mir)

15 à 24/05/97

9 j 05 h 19

J.-F. Clervoy (2 ème vol)

STS-86 (7 ème amarrage Mir)

26/09 à 05/10/97

10 j 19 h 20

J.-L. Chrétien (3 ème vol)

Pégase

29/01 à 19/02/98

20 j 16 h 37

M. Eyharts

Perséus

20/02 à 28/08/99

188 j 20 h 16

J.-P. Haigneré (2 ème vol)

STS-93

23 à 28/07/99

04 j 22 h 49

M. Tognini (2 ème vol)

STS-103 (Hubble-3A)

20 à 27/12/99

07 j 23 h 11

J.-F. Clervoy (3 ème vol)

TOTAL

360 j 4 h 54

Source : Air et Cosmos - 21 janvier 2000

ANNEXE 9 - LA LUTTE CONTRE LA POLLUTION DE L'ESPACE

Contre les débris spatiaux : prévention et réglementation internationale :

La plupart des débris spatiaux rentrent dans l'atmosphère et sont consumés par friction lors du freinage induit par les hautes couches de l'atmosphère.

Toutefois, le dernier recensement effectué par l'USSPACECOM (49 ( * )) (US Space Command) fait état de 8 600 objets d'une taille supérieure à 10 cm actuellement en orbite, soit une masse totale d'environ 3 000 tonnes ; cinq cents seulement de ces objets (soit environ 5 %) sont opérationnels ; les autres sont des satellites ne fonctionnant plus (22 %), des étages supérieurs de fusée (17 %), de gros débris liés aux opérations dans l'espace (13 %), des fragments résultant d'explosions (42 %).

Les débris spatiaux répertoriés dans le catalogue de l'USSPACECOM sont d'une taille supérieure à 10 cm. Mais on estime à 110 000 le nombre d'objets en orbite mesurant entre 1 cm et 10 cm et à 35 millions ceux dont la taille va de 1 mm à 1 cm. Il peut s'agir de boulons ou même d'écailles de peinture.

Le risque associé aux débris orbitaux est principalement l'endommagement des satellites actifs par collision, celle-ci pouvant être très violente compte tenu des vitesses orbitales élevées : une collision de front peut se faire à 15 km/s (la vitesse d'une balle de fusil est de l'ordre de 800 m/s).

Le seul exemple documenté de collision ayant endommagé gravement un satellite est celui de la collision, en 1996, du micro-satellite français Cerise avec un débris spatial, qui a occasionné la rupture de son mât de stabilisation : ce débris, de façon presque certaine, provenait de l'explosion du troisième étage de la fusée Ariane Vol 16 , survenue dix ans plus tôt.

La densité des débris varie avec l'altitude. Les orbites basses, entre 850 et 1 500 km, abritent 90 % des déchets avec, en moyenne, un objet par 100 millions de kilomètres cubes. Au-dessus de 1 500 km, la densité décroît, excepté près des altitudes semi-synchrones (20 000 km) et géosynchrones (36 000 km), où elle est localement supérieure.

Les débris s'accumulent à ces altitudes car ce sont les plus fréquentées par les satellites ; le danger en est d'autant plus grand pour les engins en fonction.

Les plus grands débris spatiaux (de plus de 10 cm à basse altitude et de plus d'un mètre à l'altitude géosynchrone) sont observables grâce à des systèmes de détection tels que le Réseau de Surveillance Spatiale des Etats-Unis et le Système de Surveillance Spatiale russe, qui réalisent 150 000 observations quotidiennes en moyenne, de près de 10 000 objets spatiaux officiellement répertoriés.

Pour ces débris, il est donc théoriquement possible de prédire à l'avance une collision, ou en tout cas un passage dangereusement rapproché, avec un satellite donné. Ainsi, en juillet 1997, le CNES a procédé à une manoeuvre d'évitement sur le satellite Spot 2 . Malheureusement, une telle surveillance est encore trop coûteuse pour être menée de façon systématique sur tous les satellites actifs ; elle entraîne, par ailleurs, une surconsommation de carburant non négligeable ; enfin, les incertitudes entachant la connaissance des paramètres orbitaux risquent d'induire des manoeuvres d'évitement inutiles. C'est ainsi que la Navette a procédé à de nombreuses manoeuvres d'évitement qui se sont révélées rétrospectivement inutiles.

Quant aux petits débris spatiaux non catalogués, ils sont à peu près « inévitables ».

Contre l'impact de débris de moins de 1 cm, on peut envisager un blindage, mais celui-ci est lourd et complexe, donc coûteux. C'est la solution qui a été choisie pour la Station Spatiale Internationale, par exemple.

Toutefois, pour les débris allant de 1 cm à 10 cm, aucune solution « technique » n'est envisageable. Il faut donc explorer d'autres pistes.

Les solutions préventives élémentaires :

Des idées simples visant à réduire la production de débris commencent à être appliquées par les différentes puissances spatiales :

- ne pas générer volontairement des débris par des explosions commandées (durant de longues années, l'Union soviétique préférait faire exploser les satellites sensibles au moyen d'une charge placée à l'intérieur de ceux-ci, plutôt que de risquer que ses concurrents en récupèrent des morceaux après rentrée atmosphérique) ;

- assurer la propreté des opérations de lancement : découpes pyrotechniques étanches, boulons et sangles piégés pour rester solidaires des lanceurs, etc.

- minimiser le risque d'explosion en orbite des étages supérieurs par « passivation », c'est-à-dire vidange des réservoirs en fin de mission. C'est la stratégie adoptée pour Ariane depuis 1993 : « un seul débris passif par satellite lancé » ;

L'efficacité de cette mesure de passivation a poussé la communauté internationale à prôner son application systématique à tous les lanceurs, règle assez bien suivie actuellement.

D'autres solutions ne pourront être mises en oeuvre que par une réglementation internationale qui suppose une démarche volontariste des Etats aboutissant à un traité ou à un accord international. Il s'agit en effet de préserver les bases d'une concurrence équitable.

La « surorbitation », c'est-à-dire le rehaussement d'environ 300 km de l'orbite des satellites géostationnaires en fin de fonctionnement est une pratique qui devrait être assez bien acceptée par les opérateurs puisqu'ils ont intérêt à éviter toute collision entre les satellites actifs et inactifs. Toutefois, elle diminue la durée de fonctionnement, donc la rentabilité, de ces satellites puisqu'elle consomme des ergols qui auraient pu être utilisés au maintien en position du satellite. C'est pourquoi la surorbitation ne pourra être mise en oeuvre que grâce à une contrainte légale.

Trouver un accord pour l'orbite basse est également délicat compte tenu des problèmes financiers qui se posent inévitablement. Parmi les mesures les plus évidentes, on pourrait imposer de faire rentrer et brûler dans l'atmosphère tous les étages des lanceurs et les satellites en fin de mission.

Pour les lanceurs, ce genre de contrainte obligerait à un certain nombre de modifications dans la définition même de l'étage terminal dont on sait que les coûts de développement sont élevés. Elle pourrait consister en une prolongation de quelques heures de sa durée de vie pour effectuer la poussée au bon moment (avec impact sur la capacité d'énergie électrique disponible et sur le contrôle thermique), en un dispositif de réallumage du moteur et en une augmentation de la masse d'ergols induisant une perte de performance, donc de compétitivité.

Pour les satellites, la désorbitation en fin de vie pose le même genre de contrainte. Une fonction spécifique fiabilisée aurait un impact majeur sur les chaînes fonctionnelles si on veut pouvoir la garantir. La prévision d'ergols nécessaires entraînerait un surcroît de masse important, donc un impact non négligeable sur les coûts de lancement. Sur ce dernier point, on peut prendre l'exemple d'un satellite appartenant à une constellation en orbite à 800 km d'altitude, dont la masse serait de 2 tonnes ; il faudrait alors 150 kg d'ergols supplémentaires pour le désorbiter. Pour un ensemble d'une centaine de satellites dont le prix du lancement au kg serait 100 000 F (soit 15 000 €), les sommes en jeu sont considérables et obèrent la rentabilité du système.

Cette solution maximaliste n'est donc pas envisageable.

Il convient donc que les puissances spatiales coopèrent pour trouver des solutions acceptables car une réglementation internationale ne peut aboutir que si un consensus préalable est obtenu entre tous les opérateurs commerciaux et les agences spatiales. Il n'existe à ce jour aucun traité relatif aux débris spatiaux mais si les Etats concernés parvenaient à s'entendre sur le plan politique, le chemin ne serait plus très long pour établir un cadre légal international.

La situation évolue plutôt dans le bon sens. Au sein de chaque agence spatiale, un groupe d'experts propose des règles à appliquer. Un comité international regroupant ces agences, l' Inter-Agency Debris Coordination Committee (IADC), organise les échanges d'informations et les coopérations internationales, permettant ainsi l'évaluation de mesures possibles ; ces mesures sont examinées par une sous-commission de l'Organisation des Nations-Unies, seule apte in fine à légiférer. Il s'agit du COPUOS (Committee on Pacific Use of Space).

Lors de la dernière réunion des Etats membres de l'IADC, le CNES a fait une proposition pour l'orbite basse : tout satellite, avant sa fin de vie, serait ramené sur une orbite basse telle qu'il rentrerait naturellement dans l'atmosphère dans les 25 ans suivant cette opération.

Cette solution, après validation définitive, pourrait être fermement soutenue par les responsables politiques français et européens, car seule une réglementation internationale permettra in fine de résoudre le problème des débris spatiaux sans fausser la concurrence entre les fabricants et les opérateurs de satellites des divers pays.

ANNEXE 10 - LE PROGICIEL « SIMPLE »

L'expansion extrêmement rapide de l'Internet, des services qu'il fournit et de la Toile a entraîné une forte demande en bande passante pour accéder rapidement aux pages du Web et a créé un besoin en ce qui concerne la création de nouveaux concepts de réseaux qui harmoniseraient les technologies satellitaires et celles des réseaux terrestres.

GCS GmbH (Salzbourg, Autriche), en coopération avec le Département Informatique de l'Université de Salzbourg, a mis au point un progiciel dénommé « SIMPLE » (Satellite Interactive Multimedia Platform for Low-cost Earth-stations) qui a été financé, en partie, par l'Agence spatiale européenne au titre des activités de son programme de télécommunications qui visent précisément à apporter à l'industrie un soutien en matière de développement du marché multimédia par satellite.

Les satellites tiennent un rôle de plus en plus important dans la fourniture de services multimédias à grande vitesse du fait de l'absence de solutions économiques et de bande passante élevée sur la dernière partie du parcours. En outre, les satellites permettent de desservir des régions qui restent aujourd'hui totalement ou presque hors de portée des réseaux terrestres. Avec la technologie de la diffusion vidéo numérique (DVB), on peut facilement recevoir l'Internet avec une parabole de moins de 90 centimètres de diamètre et une carte standard de réception DVB qui peut être insérée dans n'importe quel ordinateur personnel. Quelques services multimédias par satellites sont déjà disponibles aujourd'hui grâce aux capacités de multidiffusion des satellites.

Le progiciel «SIMPLE » propose des services de multidiffusion (point à multipoint) de mise en mémoire cache et de réplication permettant de fournir le contenu des pages Web les plus fréquemment demandées à des sites enregistrés ou directement à des utilisateurs. Cette solution combine l'accès interactif à la Toile et la technologie dite « push » permettant de transmettre aux utilisateurs sur demande, ou même sans qu'ils en fassent la demande, des informations spécialement sélectionnées.

Ces pages sont alors stockées sur un disque dur et lorsqu'un utilisateur en fait la demande, elles sont affichées presque instantanément. Le progiciel SIMPLE est une extension du système de mémoire cache Internet de point à point qui fonctionne déjà sur la Toile et qui a prouvé qu'il améliorerait de façon significative la vitesse de transmission et réduisait donc le temps de téléchargement à partir des serveurs principaux de l'Internet.

Le progiciel SIMPLE, qui repose sur les techniques de multidiffusion, convient donc parfaitement aux environnements satellitaires puisqu'il permet d'accélérer la vitesse de connexion aux fournisseurs de services Internet et d'utiliser avec efficacité la capacité du secteur spatial.

La phase de développement de SIMPLE est terminée et, dans la perspective de sa commercialisation, Telekom Austria évalue actuellement ce logiciel dans le cadre d'un essai sur site opérationnel qui permet aux écoles autrichiennes d'accéder rapidement à la Toile en empruntant, pour l'essentiel, l'autoroute électronique du système éducatif de la Haute-Autriche. Cette « autoroute » est un réseau privé auxquelles sont connectées toutes les écoles de la Haute-Autriche au moyen de connexions commutées au RNIS. La connectivité satellitaire, associée au progiciel SIMPLE, augmente la largeur de la bande passante permettant d'accéder à l'Internet.

Source ESA - mars 2000

ANNEXE 11 - INTÉRÊT DE L'OBSERVATION DE LA TERRE EN AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

L'aménagement du territoire en France, s'inscrivant dans la logique de décentralisation et d'ouverture européenne, s'appuie de plus en plus sur les notions de cohésion territoriale, de continuité territoriale, de territoire pertinent.

La dimension spatiale de l'aménagement n'est plus limitée à la planification des équipements en grandes infrastructures énergétiques et de transport, ou au développement des grandes métropoles.

Selon le type d'aménagement à développer, les territoires pertinents de l'aménagement sont des régions, des pays, des structures intercommunales, avec éventuellement une prise en compte de l'aspect international pour les régions frontalières.

La formulation de programme régional ou local de développement de ces territoires exige une vision horizontale et non plus sectorielle. Elle doit en particulier assurer la cohésion spatiale des effets des décisions en agriculture, tourisme, équipements industriels, équipements routiers, aménagement urbain, environnement, en mettant en avant la notion de cadre de vie.

Aujourd'hui, la collecte de données géographiques homogènes sur les territoires, adaptées aux tâches d'aménagement, n'est pas toujours aisée. Les données sont soit anciennes, soit trop détaillées (comme le cadastre) et donc trop lourdes à exploiter, soit surtout peu adaptées au découpage du territoire, en particulier pour les nouvelles structures intercommunales.

Or les données d'observation de la terre représentent, maintenant, et encore plus dans les temps à venir, une source inégalée de données géographiques à jour, pouvant couvrir de grands ou petits territoires, à des échelles variant du local au régional.

Une gamme adaptée d'images satellites à haute résolution est ou sera disponible : résolution de un ou quatre mètres actuellement avec le satellite américain Ikonos sur des territoires restreints (11 par 11 km), l'année prochaine deux mètres cinquante avec SPOT 5 sur des territoires étendus (couverture régionale), et la perspective du submétrique avec les prochaines constellations franco-italiennes (PLEIADES - Skymed).

Ces images permettent de constituer des cartes d'utilisation des sols, en particulier d'étudier la frange urbain - rural, de localiser et de conforter des données statistiques, de suivre les évolutions de cette utilisation en réalisant des acquisitions régulières. Elles vont également permettre de constituer des bases de données en 3D, utiles par exemple à l'étude des ruissellements pluviaux.

Ces informations numériques s'intègrent aisément dans des systèmes informatisés de gestion de l'information, systèmes qui grâce au développement de l'Internet, permettent de partager des données entre différents utilisateurs.

Enfin les images présentent un fort potentiel de support à la communication, favorisant la participation à la décision des élus et de la population.

elopper, les territoires pertinents de l'aménagement sont des régions, des pays, des structures intercommunales, avec éventuellement une prise en compte de l'aspect international pour les régions frontalières.

La formulation de programme régional ou local de développement de ces territoires exige une vision horizontale et non plus sectorielle. Elle doit en particulier assurer la cohésion spatiale des effets des décisions en agriculture, tourisme, équipements industriels, équipements routiers, aménagement urbain, environnement, en mettant en avant la notion de cadre de vie.

Aujourd'hui, la collecte de données géographiques homogènes sur les territoires, adaptées aux tâches d'aménagement, n'est pas toujours aisée. Les données sont soit anciennes, soit trop détaillées (comme le cadastre) et donc trop lourdes à exploiter, soit surtout peu adaptées au découpage du territoire, en particulier pour les nouvelles structures intercommunales.

Or les données d'observation de la terre représentent, maintenant, et encore plus dans les temps à venir, une source inégalée de données géographiques à jour, pouvant couvrir de grands ou petits territoires, à des échelles variant du local au régional.

Une gamme adaptée d'images satellites à haute résolution est ou sera disponible : résolution de un ou quatre mètres actuellement avec le satellite américain Ikonos sur des territoires restreints (11 par 11 km), l'année prochaine deux mètres cinquante avec SPOT 5 sur des territoires étendus (couverture régionale), et la perspective du submétrique avec les prochaines constellations franco-italiennes (PLEIADES - Skymed).

Ces images permettent de constituer des cartes d'utilisation des sols, en particulier d'étudier la frange urbain - rural, de localiser et de conforter des données statistiques, de suivre les évolutions de cette utilisation en réalisant des acquisitions régulières. Elles vont également permettre de constituer des bases de données en 3D, utiles par exemple à l'étude des ruissellements pluviaux.

Ces informations numériques s'intègrent aisément dans des systèmes informatisés de gestion de l'information, systèmes qui grâce au développement de l'Internet, permettent de partager des données entre différents utilisateurs.

Enfin les images présentent un fort potentiel de support à la communication, favorisant la participation à la décision des élus et de la population.

Intérêt de l'observation de la terre en agriculture

En quelques années, l'observation de la terre est passée de l'état probatoire à un stade opérationnel. Cette évolution n'a pu se faire qu'à travers la fourniture et l'utilisation réelle d'une gamme étendue de produits et services répondant de manière efficace aux besoins d'un nombre croissant d'utilisateurs, publiques principalement, mais maintenant de plus en plus souvent privés.

Cette évolution s'explique par la capacité des acteurs de domaine de l'observation de la terre à `réagir' face à la diversité, à la complexité et à l'évolution de la demande, à assurer à la fois la continuité du service et à proposer des solutions novatrices et de nouveaux produits, à s'adapter aux exigences des utilisateurs et des clients.

Depuis une quinzaine d'années, de nombreux travaux de recherche mais aussi des projets à caractère opérationnel ont montré que les produits générés à partir des données d'observation de la terre permettent de fournir des informations pertinentes pour répondre aux demandes - diverses- des intervenants du monde agricole. Cette contribution du spatial peut s'envisager au niveau des grandes catégories d'information nécessaire pour répondre aux besoins de ces différents acteurs :

- information à caractère descriptif (type inventaire agricole)

- information à caractère dynamique (type estimation et suivi des productions agricoles)

- information `biophysique' d'entrée de modèles de rendement, de préconisation pour les pratiques agricoles

En effet l'analyse et l'exploitation des données issues de l'observation de la terre ne sont plus l'apanage des seuls laboratoires de recherche. Elles sont aussi, et de plus en plus, utilisées comme source d'information complémentaire des sources `traditionnelles' d'information dans le cadre de grands projets ou programmes. On peut citer par exemple :

- le projet européen MARS (Monitoring Agriculture by Remote Sensing) qui avait pour objet de fournir aux décideurs de la DG AGRI et d'Eurostat des estimations rapides des changements de surface d'une année à l'autre, des cultures d'intérêt sur l'ensemble des pays de l'Union Européenne.

- les opérations de contrôle des déclarations `PAC', dont 55% ont été fait par télédétection en 2000. A terme, ce sont 90% des contrôles qui seront faits par télédétection.

- le projet PECAD (Production Estimates and Crop Assessment Division) de l'USDA (Ministère américain de l'agriculture) qui vise à estimer les conditions de développement des cultures au niveau mondial.

- le projet conjoint Scot / Inra mené dans le cadre du VEGETATION Preparatory Programme financé par l'Union Européenne, qui vise à combiner les données acquises par divers satellites pour fournir des estimations sur les productions de blé.

- les applications des données VEGETATION qui permettent d'établir des `bulletins d'alerte précoces' (projet IGAD par exemple), qui contribuent à la lutte anti-acridienne (projet FAO), qui permettent se `suivre' l'état des couverture végétale...

- les projets liées à l'agriculture de précision (Cropvision en collaboration avec le CNES, Aventis et Scot)

Chaque type de projet nécessite des méthodes, des produits, des services adaptés à la thématique traitée. Répondre à toutes les demandes des utilisateurs recouvrent des exigences parfois incompatibles au niveau technique actuel. Il faudrait allier dans une même système `tout temps' (pour s'affranchir des couvertures nuageuses), une très bonne résolution au sol (pour pouvoir discriminer de `objets' de petites tailles ou faire des mesures `au mètre prêt'), une large fauchée (pour couvrir de larges territoires d'un `seul coup d'oeil'), une forte résolution temporelle (acquérir une image tous les jours sur chacune des parcelles agricoles du monde entier), une richesse spectrale importante (pour pouvoir appréhender les variables biophysiques nécessaires à l'étude précise des cultures et à leur stress), un délai de livraison de l'information auprès des utilisateurs de quelques jours, voire de quelques heures, et bien entendu le tout à un coût le plus bas possible !

L'expérience montre qu'il n'existe pas de système `panacée' répondant de façon optimum à tous les besoins. La possibilité de pouvoir combiner des données provenant de différents types de capteurs, ayant des résolutions spatiales, spectrales, temporelles complémentaires représente un atout très important.

Par ailleurs, il apparaît que le frein à l'utilisation opérationnelle, sur de vastes zones, pour des cultures variées, des systèmes d'observation de la terre n'est pas tant dû à des contraintes liées aux données elles mêmes qu'à la mise en oeuvre des modèles qui permettent de « traduire » les « réponses spectrales » enregistrées par les capteurs en données agronomiques directement exploitables par les utilisateurs.

Enfin si on veut transformer en « opérationnelles » des activités aujourd'hui seulement `techniquement faisables', il s'avère que la qualité des services est au moins aussi importante que la qualité des données.

Intérêt de l'observation de la terre en agriculture

En quelques années, l'observation de la terre est passée de l'état probatoire à un stade opérationnel. Cette évolution n'a pu se faire qu'à travers la fourniture et l'utilisation réelle d'une gamme étendue de produits et services répondant de manière efficace aux besoins d'un nombre croissant d'utilisateurs, publiques principalement, mais maintenant de plus en plus souvent privés.

Cette évolution s'explique par la capacité des acteurs de domaine de l'observation de la terre à `réagir' face à la diversité, à la complexité et à l'évolution de la demande, à assurer à la fois la continuité du service et à proposer des solutions novatrices et de nouveaux produits, à s'adapter aux exigences des utilisateurs et des clients.

Depuis une quinzaine d'années, de nombreux travaux de recherche mais aussi des projets à caractère opérationnel ont montré que les produits générés à partir des données d'observation de la terre permettent de fournir des informations pertinentes pour répondre aux demandes - diverses- des intervenants du monde agricole. Cette contribution du spatial peut s'envisager au niveau des grandes catégories d'information nécessaire pour répondre aux besoins de ces différents acteurs :

- information à caractère descriptif (type inventaire agricole)

- information à caractère dynamique (type estimation et suivi des productions agricoles)

- information `biophysique' d'entrée de modèles de rendement, de préconisation pour les pratiques agricoles

En effet l'analyse et l'exploitation des données issues de l'observation de la terre ne sont plus l'apanage des seuls laboratoires de recherche. Elles sont aussi, et de plus en plus, utilisées comme source d'information complémentaire des sources `traditionnelles' d'information dans le cadre de grands projets ou programmes. On peut citer par exemple :

- le projet européen MARS (Monitoring Agriculture by Remote Sensing) qui avait pour objet de fournir aux décideurs de la DG AGRI et d'Eurostat des estimations rapides des changements de surface d'une année à l'autre, des cultures d'intérêt sur l'ensemble des pays de l'Union Européenne.

- les opérations de contrôle des déclarations `PAC', dont 55% ont été fait par télédétection en 2000. A terme, ce sont 90% des contrôles qui seront faits par télédétection.

- le projet PECAD (Production Estimates and Crop Assessment Division) de l'USDA (Ministère américain de l'agriculture) qui vise à estimer les conditions de développement des cultures au niveau mondial.

- le projet conjoint Scot / Inra mené dans le cadre du VEGETATION Preparatory Programme financé par l'Union Européenne, qui vise à combiner les données acquises par divers satellites pour fournir des estimations sur les productions de blé.

- les applications des données VEGETATION qui permettent d'établir des `bulletins d'alerte précoces' (projet IGAD par exemple), qui contribuent à la lutte anti-acridienne (projet FAO), qui permettent se `suivre' l'état des couverture végétale...

- les projets liées à l'agriculture de précision (Cropvision en collaboration avec le CNES, Aventis et Scot)

Chaque type de projet nécessite des méthodes, des produits, des services adaptés à la thématique traitée. Répondre à toutes les demandes des utilisateurs recouvrent des exigences parfois incompatibles au niveau technique actuel. Il faudrait allier dans une même système `tout temps' (pour s'affranchir des couvertures nuageuses), une très bonne résolution au sol (pour pouvoir discriminer de `objets' de petites tailles ou faire des mesures `au mètre prêt'), une large fauchée (pour couvrir de larges territoires d'un `seul coup d'oeil'), une forte résolution temporelle (acquérir une image tous les jours sur chacune des parcelles agricoles du monde entier), une richesse spectrale importante (pour pouvoir appréhender les variables biophysiques nécessaires à l'étude précise des cultures et à leur stress), un délai de livraison de l'information auprès des utilisateurs de quelques jours, voire de quelques heures, et bien entendu le tout à un coût le plus bas possible !

L'expérience montre qu'il n'existe pas de système `panacée' répondant de façon optimum à tous les besoins. La possibilité de pouvoir combiner des données provenant de différents types de capteurs, ayant des résolutions spatiales, spectrales, temporelles complémentaires représente un atout très important.

Par ailleurs, il apparaît que le frein à l'utilisation opérationnelle, sur de vastes zones, pour des cultures variées, des systèmes d'observation de la terre n'est pas tant dû à des contraintes liées aux données elles mêmes qu'à la mise en oeuvre des modèles qui permettent de « traduire » les « réponses spectrales » enregistrées par les capteurs en données agronomiques directement exploitables par les utilisateurs.

Enfin si on veut transformer en « opérationnelles » des activités aujourd'hui seulement `techniquement faisables', il s'avère que la qualité des services est au moins aussi importante que la qualité des données.

ANNEXE 12 - TÉLÉDÉTECTION ET ENVIRONNEMENT:

Les informations transmises par les satellites (METEOSAT, NOAA-AVHRR, VEGEATION, Topex-Poseidon, SPOT, LANDSAT, ERS,...)constituent aujourd'hui de formidables outils pour mieux gérer notre environnement. Toutes ces données ont des caractéristiques très différentes : bandes spectrales, résolutions spatiales, couvertures géographiques, délais de revisite.... C'est ainsi que l'on distingue classiquement les données basse résolution (de l'ordre du km) à forte répétitivité (journalière) et qui couvrent de très vastes surfaces (plusieurs centaines de kilomètres) et des données haute résolution (5-30 mètres) ou très haute résolution (métrique) qui ont des périodes de revisite plus faible et qui couvrent des surfaces plus petites (de une à quelques dizaines de kilomètres). Ce sont les caractéristiques de ces systèmes qui déterminent leur usage pour les problématiques environnementales.

D'autre part, le facteur temporel est un élément essentiel à prendre en compte dans le domaine de l'environnement. Cette situation se retrouve d'ailleurs dans le projet européen GMES (Global Monitoring for Environment and Security) qui a pour objectif de mieux faire face aux changements de l'environnement en utilisant les satellites. En effet, GMES s'articule autour de trois thèmes : les changements à l'échelle planétaire comme l'influence de l'homme sur le climat, pour lesquels l'évolution est relativement lente; le "stress environnemental" géographiquement plus restreint, dont un exemple est la désertification, pourlequel les changements sont plus rapides ; enfin les catastrophes naturelles, comme les inondations, d'ampleur locale et qui se développent en un laps de temps bref.

Dans ce texte nous nous situerons dans les deux derniers thèmes cités. Nous évoquerons donc ici l'intérêt mais aussi les limites des satellites pour la gestion environnementale à ces échelles au travers d'un exemple réalisé qui constitue une utilisation traditionnelle des données d'observation de la Terre (cartographie thématique) mais aussi de quelques axes de développement .

Un exemple de cartographie au service de l'environnement : CORINE Land Cover

Le programme européen CORINE Land Cover a pour objet de fournir une information géographique homogène sur l'occupation du sol des pays de l'Union Européenne,. En France, il a pour maître d'ouvrage l'Institut Français de l'Environnement (IFEN). Il bénéficie de la participation financière de la Commission européenne, du Centre National d'Etudes Spatiales (CNES) et du Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement. CORINE Land Cover est un inventaire homogène de l'occupation du sol par photo-interprétation d'images satellitaires assistée par ordinateur. Pour la France, 311 feuillets au 1/100 000 ont été créés par interprétation de 295 images satellites (essentiellement SPOT) associées à des données exogènes. Cet inventaire est une base de données géographiques qui permet la réalisation d'applications variées adaptées aux problématiques de l'environnement et à celles de l'aménagement du territoire : production cartographique, exploitation à des fins statistiques ou bien encore analyse géographique en combinaison avec d'autres bases de données. Outil de connaissance et d'analyse, CORINE Land Cover apporte également une aide à la décision comme instrument de suivi, de surveillance et de gestion de l'environnement, des milieux naturels et plus généralement de l'aménagement de l'espace. CORINE Land Cover participe ainsi au développement généralisé de l'information géographique à l'échelle nationale.

Observation de la terre et ressources en eau

Au-delà des domaines «habituels » d'utilisation des données d'observation de la Terre que sont l'agriculture, la forêt ou la gestion des ressources naturelles, de nouveaux champs d'intervention sont explorés depuis quelques années : la gestion des ressources en eau, la gestion des risques, l'aménagement du territoire et des zones urbaines ... Un des nouveaux domaines d'application des services offerts par les technologies spatiales concerne les ressources en eau, qu'il s'agisse de questions liées à sa gestion quotidienne ou bien de problèmes liés à leur manque (désertification) ou à leur excès (inondations).

Il faut souligner ici que l'analyse des images satellitaires ne peut être envisagée qu'en complément des données « traditionnelles » et ne peut être valorisée qu'au travers de démarches et d'outils (SIG, modèles) plus complexes, d'où la nécessité de développer des approches pluridisciplinaires qui associent des équipes spécialisées dans les technologies spatiales aux chercheurs issus des disciplines de l'hydrologie, de l'environnement, de la gestion des risques et des sciences sociales. Les images satellites seules ne permettent pas de mesurer directement le taux en nitrates ou en atrazine dans les cours d'eau ni d'apprécier les réserves en eau souterraines. Réciproquement, les modèles hydrologiques et hydrauliques de plus en plus complexes (analytiques) requièrent pour pouvoir fonctionner de plus en plus de données qu'il n'est pas toujours possible ou réaliste d'obtenir sur le terrain. Envisagées de manière combinée et intégrée ces différentes technologies peuvent par contre apporter des solutions originales, techniquement performantes et économiquement viables. Elles offrent également de nouvelles opportunités et peuvent contribuer à faciliter les opérations de mise en oeuvre opérationnelle et de transfert de technologie.

De la caractérisation du bassin versant à une approche spatialisée de l'hydrologie

Les capacités stéréoscopiques de certains satellites permettent de réaliser des modèles numériques de terrain (MNT) qui, s'ils n'atteignent pas encore des précisions suffisantes pour certaines applications, permettent de dériver de manière simple et quasi-automatique une série de critères morphologiques qui contribuent à caractériser le bassin versant :

• Les limites du bassin versant et des sous-bassins permettant d'identifier précisément les limites physiques de chacune de ces zones étudiées,

• Le réseau de talwegs à partir duquel pourra être déduit le réseau hydrographique,

• Les pentes et les expositions.

L'utilisation de l'information radiométrique contenue dans ces images permet quant à elle de déterminer des critères biophysiques et anthropiques :

• L'occupation et l'utilisation du sol à différentes échelles,

• Le suivi dynamique de la végétation,

• L'identification et la localisation de différents thèmes et les paramètres associés (imperméabilité, rugosité, humidité...).

Les données d'observation de la terre peuvent contribuer à développer une approche spatialisée de l'hydrologie. En effet, les modèles hydrologiques qui, pour répondre aux besoins d'aide à la décision, s'appuient de plus en plus sur des représentations détaillées des mécanismes physiques, bénéficient largement de toutes ces informations. Elles présentent en effet le double avantage d'une part de couvrir l'ensemble du bassin versant (et donc de « renseigner » le modèle en tout point de l'espace) et d'autre part de fournir des informations qui peuvent être mises à jour fréquemment. Initialisées avec la diffusion des SIG, ces approches combinées intégrant différentes sources de données (ponctuelles et spatialisées) et faisant appel à différents types d'outils (SIG, modèles) sont amenées à connaître un développement important au cours des prochaines années. L'information satellitaire constituera dans ce contexte une source d'information non négligeable.

Apport à la gestion des risques d'inondation

• PRÉVENTION : OBSERVATION DE LA TERRE ET CARTOGRAPHIE DES ZONES À RISQUE

Dans les démarches de cartographie des zones à risque, les informations issues de l'analyse des images satellitaires permettent à la fois de contribuer à la connaissance de l'aléa et à celle de la vulnérabilité. L'arrivée de satellites à très haute résolution permet de plus de travailler à des échelles beaucoup plus fines (1:10 000) . L'existence d'archives, remontant maintenant à plus d'une dizaine d'années (acquises notamment grâce à des familles de satellites tels que Spot), laisse également entrevoir la possibilité d'utiliser ces données dans les études d'impact lorsque l'on cherche à analyser les conséquences des modifications à moyen terme du paysage sur les phénomènes de crues.

• CRISE : DES POSSIBILITÉS DE SUIVI EXHAUSTIF ET OBJECTIF DE L'ÉVÉNEMENT MAIS LIMITÉES PAR LA CAPACITÉ DE REVISITE DES SYSTÈMES ACTUELS

De part leur vision exhaustive d'un vaste territoire et leur capacité d'accès tout temps (pour les satellites radar), les satellites d'observation de la Terre peuvent acquérir des images pendant la durée de l'événement. Analysées rapidement ces données fournissent une information sur la limite des zones inondées ainsi que sur la dynamique de la lame d'eau dans la mesure où l'événement dure assez longtemps (cas des crues de plaine) et où les possibilités d'acquisition d'images sont suffisantes. Cependant, en l'état actuel des moyens spatiaux disponibles, l'utilisation des données d'observation de la Terre pendant la phase de crise reste à l'heure actuelle assez limitée (probabilité d'acquisition et fréquence temporelle encore trop faible, temps d'acheminement et de traitement de l'information encore incompatible avec une utilisation temps réel).

Post-crise : l'analyse des dégâts et la compréhension des phénomènes

Les images acquises lors de la crue complétées par d'autres acquisitions faites pendant le retour à la normale ainsi que par différentes images d'archives pouvant servir de référence représentent une source d'information tout à fait pertinente. En effet, leur analyse, leur combinaison, leur croisement avec d'autres sources d'informations (terrain, photographies aériennes...) permettent non seulement d'analyser les dégâts mais également, dans le cas de crise importante, de contribuer à toutes les opérations de restauration.

Toutes ces problématiques sont traitées dans le projet PACTES (Prévention et Anticipation des Crues au moyen des Techniques Spatiales) lancé dans le cadre du Réseau Terre et Espace (RTE) du MNRT sous la maîtrise d'ouvrage du CNES. Ce projet qui a débuté en décembre 2000 a pour ambition de mettre en pratique opérationnelle, des techniques innovantes, utilisant au mieux les technologies spatiales.

Contribution des données d'observation de la terre aux problèmes de la qualité de l'eau :

Compte tenu des capacités offertes par les satellites d'observation de la Terre pour les aspects concernant la végétation, le problème des pollutions diffuses d'origine agricole fait l'objet de R&D. L'approche est sensiblement similaire à celle mise en oeuvre pour les questions relatives à la quantité : les informations dérivées du spatial sont utilisées soit avec des modèles plus ou moins complexes décrivant les comportements physico-chimiques des polluants dans le sol, soit intégrées dans des démarches « simplifiées » faisant appel aux capacités d'analyse spatiale offertes par les SIG.

Dans tous les cas, l'identification et le suivi de l'occupation du sol renseignent sur les risques de pollution d'origine agricole. La connaissance des cultures, croisée avec des informations de terrain (pentes, proximité à la rivière...) et les pratiques culturales (fertilisation, traitements phytosanitaires...) permet en effet, à l'échelle des parcelles et sur l'ensemble du bassin versant, de localiser les pratiques à risque et d'évaluer leur importance. Ces travaux relèvent actuellement du niveau de la recherche et ne concernent souvent que de très petits bassins versants. Les données d'observation de la terre associées à d'autres outils et techniques doivent contribuer au changement d'échelle nécessaire. C'est pourquoi il est souhaitable que des initiatives dans ce domaine se développent compte tenu de l'importance environnementale et sociétale de ce problème.

ANNEXE 13 - LES TYPES DE PROGRAMMES DE L'AGENCE SPATIALE EUROPÉENNE

Les activités de l'Esa se décomposent en deux catégories : les programmes obligatoires et les programmes facultatifs. Les programmes conduits dans le cadre du budget général et du budget du programme scientifique sont obligatoires. Ils comprennent les activités de base de l'Agence (études des projets futurs, recherche technologique, investissements techniques communs, systèmes informatiques et programmes de formation). Tous les Etats membres y contribuent sur la base de leur revenu national.

D'autres programmes, dits facultatifs, n'intéressent qu'une partie des Etats membres qui fixent librement leur niveau de participation. Les domaines facultatifs englobent les activités d'observation de la Terre, de télécommunications, de transport spatial (Ariane) et les vols habités.

De même, les projets de station spatiale et de plates-formes (Columbus, Véhicule de transfert automatique et autres contributions à la Station Spatiale Internationale) et la recherche en microgravité ne sont financés que par des contributions volontaires.

Dans le passé, le mécanisme facultatif a été utilisé pour financer des projets ; le programme d'observation de la Terre est conçu sur le modèle du programme obligatoire en cela qu'il comporte un niveau de dépenses pluriannuel et sur le modèle facultatif en ce sens que la participation à ces dépenses est optionnelle. On peut espérer qu'il va ainsi combiner la continuité du programme obligatoire au dynamisme du mécanisme facultatif.

ANNEXE 14 - 2305ÈME CONSEIL DE L'UE, TEXTE FINAL

RESOLUTION DU CONSEIL

du 16 novembre 2000

STRATEGIE EUROPEENNE POUR L'ESPACE -

LE CONSEIL DE L'UNION EUROPEENNE,

CONSIDERANT les performances atteintes par le secteur spatial en Europe et son niveau d'excellence actuel ;

RAPPELANT la Résolution du Conseil du 22 juin 1998 sur le renforcement de la synergie entre l'ESA et les Communautés européennes, adoptée en parallèle par le Conseil de l'ESA, et celle du Conseil du 2 décembre 1999 demandant à la Commission européenne de préparer conjointement avec l'ESA une Communication sur une stratégie européenne de l'espace ainsi que les résolutions ministérielles du Conseil de l'ESA du 11 et 12 mai 1999 ;

SALUANT le résultat positif de cette demande sous forme de document unique, rédigé conjointement par la Commission européenne et de l'exécutif de l'ESA et définissant les grands enjeux du secteur spatial pour l'Europe ;

CONSIDERANT la résolution du Conseil de l'ESA du 16 novembre 2000 ;

RAPPELANT la Résolution du Parlement européen concernant une "approche cohérente pour l'Espace", adoptée le 18 mai 2000 ;

PRENANT EN COMPTE l'initiative "Global Monitoring for Environment and Security" (GMES) ;

CONSIDERANT la phase actuelle de définition d'un système de radionavigation par satellite, autonome sur le plan européen (Galileo) ;

REAFFIRME le caractère stratégique de l'Espace et la nécessité de conduire, à partir des réalisations majeures des trente dernières années, une politique spatiale d'ensemble résultant de l'ambition politique des Etats membres et répondant aux défis de la construction européenne, et RECONNAIT que, dans cette perspective, un engagement politique soutenu est la condition nécessaire à la poursuite d'une telle politique.

1. RECONNAIT que la stratégie spatiale doit tenir compte du développement des utilisations par la société européenne, des systèmes de satellites dans des domaines tels que les communications, la navigation et l'observation terrestre. CONVIENT qu' afin de répondre à la demande croissante de cette société, aux besoins de la recherche scientifique et aux exigences de la compétitivité industrielle la stratégie doit se développer suivant les trois directions identifiées dans la Communication de la Commission, à savoir :

- renforcer l'assise des activités spatiales,

- accroître les connaissances scientifiques,

- en faire bénéficier la société et les marchés.

A CETTE FIN LE CONSEIL:

2. RECONNAIT les rôles respectifs des gouvernements, de l'Union et de l'ESA en matière de soutien et de consolidation des activités de recherche et de développement liées aux systèmes spatiaux et la nécessité pour l'Europe de disposer d'une base technologique et des infrastructures opérationnelles associées lui permettant de se situer au meilleur niveau dans la compétition mondiale.

3. RECONNAIT la nécessité fondamentale d'un accès à l'Espace garanti et affirme comme un axe stratégique majeur pour l'Europe le maintien de la compétitivité de ses lanceurs, ainsi que des infrastructures associées.

4. NOTANT le niveau de la recherche scientifique en Europe dans le secteur spatial, ayant déjà permis de développer de nombreuses coopérations, en particulier sur le plan transatlantique, RECONNAIT la nécessité d'assurer la cohérence de la politique européenne de recherche, notamment dans le cadre de coopérations internationales et le besoin de poursuivre activement des programmes de sciences spatiales, afin de mieux comprendre l'univers, le système solaire, notre planète, ses interactions avec le milieu qui l'environne et son climat.

5. PREND ACTE de l'implication croissante du secteur privé dans le développement et l'exploitation d'activités spatiales, et des restructurations industrielles. INVITE la Commission, conjointement avec l'ESA, à étudier les conditions stimulant l'investissement privé dans le secteur spatial en Europe, en renforcent notamment le partenariat public-privé. SOULIGNE à cet effet l'importance particulière qu'il convient d'accorder aux PME, aux équipementiers et aux sous-traitants en général.

6. SOULIGNE l'enjeu stratégique que représente la maîtrise des technologies de l'information et ENCOURAGE à cet égard la Commission à examiner dans quelle mesure les politiques communautaires peuvent constituer des cadres pour faciliter la contribution des systèmes de communication par satellites à la société de l'information et favoriser des projets de RDT dans ce domaine en conjonction avec l'ESA et les opérateurs européens des systèmes d'application.

7. NOTANT l'importance des données satellitaires pour la gestion de l'environnement et de l'aménagement du territoire, la sauvegarde des vies humaines dans la gestion des conséquences des catastrophes , la surveillance des risques et le renforcement de la sécurité civile, et notant la nécessité de développer sans délai des services applicatifs opérationnels ou pré-opérationnels, ENCOURAGE l'initiative "GMES" pour la surveillance et la protection de l'environnement, permettant à l'Europe d'acquérir l'ensemble des moyens nécessaires à l'analyse et au contrôle de ces questions. INVITE à cet effet la Commission, conjointement avec l'ESA et les Etats membres, à finaliser le cadre de définition de cette initiative, en partant des besoins des utilisateurs et de la société civile, permettant d'élaborer des propositions concrètes de mise en oeuvre avant la fin du 1 er semestre 2001.

8. NOTANT l'enjeu majeur tant technologique qu'économique constitué par la mise en oeuvre opérationnelle d'un système de radionavigation par satellite, RAPPELLE l'importance stratégique du projet Galileo et la nécessité de prendre une décision sur cette question avant la fin de l'an 2000, et de finaliser les travaux préparatoires à cet effet. RECOMMANDE à cet égard la mise en place pour le développement de ce programme d'une entité unique et cohérente clarifiant les rôles respectifs de l'ESA et de la Commission, exerçant la maîtrise d'ouvrage et responsable devant les Etats membres.

9. CONVIENT que, pour atteindre les objectifs précédents et afin de mettre en oeuvre une stratégie européenne pour l'espace, la Commission européenne et l'ESA doivent rechercher la voie d'un cadre de coopération efficace permettant à l'ESA d'agir en tant qu'agence de mise en oeuvre de développement et d'approvisionnement de la composante spatiale et de la composante terrestre associées aux initiatives de la Communauté européenne, permettant à l'Union d'avoir accès à l'expertise, incluant le réseau de centres techniques coordonnés par l'ESA.

A CETTE FIN LE CONSEIL:

10. DEMANDE à la Commission européenne , de mettre en place, dans les meilleurs délais, en coopération avec l'ESA et au plus tard avant la fin 2000, une Task Force conjointe de haut niveau associant la Commission et l'exécutif de l'ESA. En concertation étroite avec les Etats membres, cette Task Force, dont la composition devra permettre d'intégrer les différentes politiques communautaires dans la stratégie spatiale aura pour mission d'approfondir la stratégie spatiale européenne et de formuler les propositions pour sa mise en oeuvre.

11. RECOMMANDE que les travaux entrepris par la Task Force prennent en compte les développements en ce qui concerne la politique européenne de sécurité et de défense.

12. DEMANDE instamment à la Commission européenne, conjointement avec l'ESA, de dynamiser dans cette perspective la stratégie spatiale européenne et de rendre compte, à la fin de l'année 2001, des premières actions et des progrès accomplis au Conseil de l'Union et au Conseil de l'ESA, ainsi qu'au Parlement européen."

ANNEXE 15 - EXTRAIT DU PROJET DE CONTRAT D'OBJECTIFS ÉTAT-CNES 2002-2005

Synthèse

(Source : Ministères de la Recherche, de la Défense, de lIindustrie et CNES)

Aujourd'hui, l'Espace demeure plus que jamais un enjeu stratégique pour les grandes puissances notamment pour la France et l'Europe.

En effet, au-delà de la volonté d'affirmation de la souveraineté et de l'utilisation des moyens spatiaux pour le développement des connaissances scientifiques, l'Espace joue également un rôle clé en matière de services publics et d'applications commerciales.

Les activités spatiales servent principalement :

• la sauvegarde de l'environnement , en permettant d'étudier et de prévoir le changement climatique à l'échelle de la planète, les pressions environnementales et les catastrophes naturelles, mais aussi l'aide au développement ;

• la conduite d'une politique de sécurité et de défense et l'efficacité des moyens militaires ;

• le développement des connaissances scientifiques (connaissance de la Terre, exploration de l'Univers, recherche des origines de la vie, biologie et physique fondamentale), ainsi que de la culture et du rayonnement européens ;

• le développement économique , par la contribution des systèmes spatiaux aux télécommunications, à la collecte de données, à la navigation, aux applications de l'observation de la Terre et aux prévisions météorologiques.

A l'exception de certaines applications relatives aux télécommunications, les moyens spatiaux relèvent majoritairement du service public, en offrant des services complémentaires de ceux offerts par des moyens plus classiques. En dépit d'améliorations sensibles auxquelles le CNES a contribué, ces moyens spatiaux font encore l'objet de développements longs et complexes donc souvent hors de portée de l'initiative privée. Ils intègrent d'une part des technologies génériques et d'autre part des technologies spécifiquement spatiales.

Ces différentes caractéristiques expliquent et justifient l'originalité et la valeur du CNES, à la fois agence et centre technique. Il dispose en effet des compétences pour mener à bien le projets complexes publics qu'il propose et qui lui sont confiés, car il maîtrise l'intégration des technologies génériques et spécifiquement spatiales. Ses compétences couvrent aussi bien le spectre des applications de l'Espace que les moyens d'accès à l'Espace et la technologie. Elles lui permettent de constituer une force de proposition pour l'élaboration de la politique spatiale française et de la Stratégie Spatiale Européenne (SSE), ainsi que d'être un acteur essentiel pour leur mise en oeuvre.

Dans un contexte où l'Europe, deuxième puissance spatiale, est en compétition avec les États-Unis, le CNES entend être un acteur majeur du développement du secteur. Son rôle d'intégrateur de technologies de moins en moins spécifiquement spatiales le pousse à s'appuyer sur un ensemble élargi de compétences externes. Le recours à ces compétences se fera par le biais de l'animation de réseaux, notamment pour assurer la liaison entre la recherche et l'industrie, afin de favoriser l'innovation et les transferts technologiques. S'agissant de projets spatiaux, leur conception sera orientée vers la réponse aux attentes de la société, en veillant à concevoir les solutions offertes par l'Espace en termes de services pour ses utilisateurs potentiels. Une attention particulière sera portée à l'anticipation des besoins latents de la collectivité et des attentes du marché.

Cette ambition globale de « mettre la technologie spatiale au service de la société » , se traduit par quatre catégories d'objectifs :

• focaliser son action au service de la société ;

• maîtriser deux domaines de base : un accès compétitif à l'Espace et l'innovation technologique ;

• développer une complémentarité entre deux cadres d'intervention : le cadre européen et le cadre national ;

• poursuivre sa transformation pour être performant avec ses principaux partenaires (l'industrie et les organismes de recherche).

Focaliser son action au service de la société

Le CNES aura trois objectifs majeurs de développement du champ de l'activité spatiale :

Dans le domaine de l'environnement :

Les systèmes spatiaux fourniront un support d'aide à la décision pour les instances politiques européennes et nationales sur des enjeux tels que les ressources en eau, les changements climatiques, la gestion des déchets, le traitement des pollutions, la prévision et la gestion des crises et des risques naturels.

Dans ce cadre, le CNES contribuera à l'initiative européenne GMES (Global Monitoring for Environment and Security), à laquelle le programme Pléiades apporte une contribution majeure.

Dans le domaine de la science :

Les systèmes spatiaux contribueront aux recherches relatives à l'exploration de l'Univers, la connaissance de la planète Terre, l'origine de la vie et aux grandes lois gouvernant la physique.

Dans le domaine de la société de l'information et de la mobilité :

Ce domaine concerne plus particulièrement la diffusion de programmes multimédia (télévision, Internet...), les outils de positionnement et de navigation et les applications qui en découlent. Le CNES préparera les technologies du futur, favorisera les applications des télécommunications commerciales et contribuera au programme européen de navigation par satellite Galileo.

Maîtriser deux domaines de base

Le CNES garantira un accès compétitif à l'Espace :

• en assurant la réussite du lanceur Ariane 5, par l'accroissement de sa compétitivité et son maintien comme le lanceur de référence dans le monde pour les satellites géostationnaires ;

• en proposant une gamme de lanceurs ciblée sur les besoins institutionnels européens ;

• en renforçant la coopération internationale ;

• et en conduisant des actions innovantes, orientées notamment vers la réduction des coûts ;

tout en veillant à conserver un haut niveau de fiabilité et de disponibilité des systèmes de lancement.

Le CNES renforcera la recherche et l'innovation technologique, en orientant ses programmes correspondants vers l'analyse prospective et l'innovation, le support aux projets, le développement de la compétitivité industrielle et, d'une manière générale la compétitivité des solutions spatiales. Ces programmes seront coordonnés au niveau européen.

Le CNES s'emparera ainsi de la maîtrise des technologies visant :

• dans le domaine des lanceurs , à réduire leur coût, qu'il s'agisse d'Ariane 5 ou de la préparation de futurs véhicules dont tout ou partie sera réutilisable ;

• dans le domaine des systèmes orbitaux , à diminuer les coûts et les délais d'étude et de réalisation des projets, accroître la souplesse en utilisation et réduire la charge en opération notamment en améliorant l'autonomie, l'agilité et la tolérance aux pannes de satellites, miniaturiser les instruments et équipements, et développer l'utilisation des moyens spatiaux grâce à l'amélioration ou au développement de terminaux et services.

Développer une complémentarité entre les cadres d'intervention national et européen

Le CNES développera une complémentarité entre ses deux cadres d'intervention :

• le cadre européen , cadre naturel de réalisation des grands projets et d'émergence d'une stratégie spatiale européenne ;

• le cadre national , cadre de développement de la base technologique nationale notamment par le biais d'une politique locale en Midi-Pyrénées, et qui permet de servir la communauté scientifique et de défense, d'insérer harmonieusement l'activité spatiale dans les régions concernées, notamment en Guyane, et de développer les compétences permettant de jouer un rôle de premier plan dans les grands projets multilatéraux.

Cette complémentarité se traduit par deux orientations :

• Mettre en place un réseau des centres techniques européens à travers lequel le CNES sera force de proposition de la Stratégie Spatiale Européenne et recherchera la valorisation de son savoir-faire spécifique en Europe.

Les centres techniques du CNES auront l'ambition de jouer un rôle de premier plan, chacun dans sa spécialité :

§ le Centre Spatial de Toulouse, complémentaire de l'autre centre européen majeur en matière de systèmes orbitaux (l'ESTEC de l'ESA) dans sa capacité à nourrir le dialogue avec tous ses partenaires, à développer et intégrer les technologies correspondantes et à proposer des projets complexes, dont il assure la maîtrise du développement et le contrôle en vie orbitale,

§ le Centre Spatial d'Evry, comme le Centre Européen des Systèmes de Lancement,

§ le Centre Spatial Guyanais, comme le Port Spatial de l'Europe,

• Maintenir une dimension nationale de l'action du CNES, permettant de couvrir les activités régaliennes et notamment la défense, et d'être plus compétitif au travers de la coopération multilatérale.

Agir en partenaire performant

Le CNES poursuivra sa transformation pour être performant au sein de l'un et l'autre des deux cadres d'intervention et avec tous ses partenaires :

• le développement d'une culture de service , orientant toutes les étapes de la chaîne de valeur spatiale vers la mise en oeuvre de systèmes apportant un véritable service opérationnel ;

• le développement d'une politique partenariale , notamment par l'animation de réseaux avec la communauté scientifique et l'industrie ;

• la concentration sur ses métiers fondamentaux où il peut apporter la plus forte valeur ajoutée : préparation de l'avenir, architecture et maîtrise d'oeuvre système, maîtrise des opérations complexes, développement des applications ;

• l' amélioration de ses compétences et de sa réactivité , en cohérence avec son positionnement et sa volonté de saisir les opportunités qu'offre le secteur spatial.

ANNEXE 16 - L'ESPACE AUJOURD'HUI ET DEMAIN - AUDITIONS PUBLIQUES

MERCREDI 24 MARS 1999

La séance est ouverte à 14 h 10, animée par Monsieur Henri REVOL.

M. Henri REVOL - Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi tout d'abord de vous remercier très vivement d'être présents aujourd'hui et de participer à ces auditions. Je sais que vous avez tous des emplois du temps extrêmement chargés, certains d'entre vous sont d'ailleurs venus de loin.

C'est pour moi un grand honneur mais également un plaisir de vous accueillir au Sénat. Je serai donc très bref car j'ai hâte de vous passer la parole. Je souhaite seulement définir rapidement le cadre dans lequel se situent ces auditions publiques.

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques que j'ai l'honneur de présider depuis le mois d'octobre dernier, au terme de la loi qui l'a créé en 1983, a pour mission d'informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique, afin d'éclairer notamment ses décisions.

Composé de députés et de sénateurs, l'Office est saisi soit par le bureau de l'Assemblée nationale ou du Sénat, soit par une de leurs commissions, et présente des rapports aux parlementaires.

Suite à une récente saisine émanant du Sénat, j'ai personnellement été chargé par mes collègues d'un rapport intitulé "La politique spatiale de la France : bilan et perspectives", sujet qui n'avait pas été abordé par l'Office depuis le rapport LORIDANT en 1991.

Désireux de conduire une étude aussi exhaustive que possible, et mesurant bien l'extrême importance des enjeux de la politique spatiale aujourd'hui, j'ai souhaité, en tout premier lieu, m'informer des problèmes qui se posent actuellement. C'est pourquoi j'ai réuni les personnalités les plus compétentes afin de les écouter et de retenir des pistes de réflexion que je me propose d'approfondir dans les mois qui viennent. Je les remercie à nouveau d'avoir bien voulu participer à ces auditions.

En conclusion, je souhaite préciser que nous avons délibérément, pour chaque session, choisi d'échapper à la dichotomie traditionnelle qui sépare les acteurs institutionnels tels que les agences spatiales des acteurs industriels. Nous avons en effet pensé qu'un mélange des genres donnerait lieu à des échanges plus fructueux.

Je me permets de vous indiquer que ces auditions sont enregistrées sur film et qu'elles seront diffusées sur la chaîne Canal Assemblées.

Avant de mettre en place la première session, je suis heureux de passer la parole à Monsieur Claude ALLÈGRE, ministre de l'Education nationale, de la Recherche et de la Technologie, qui nous fait l'honneur d'être parmi nous aujourd'hui et que je remercie tout particulièrement d'avoir bien voulu faire l'allocution d'ouverture de ces auditions publiques, car il doit nous quitter dans quelques instants.

M. Claude ALLÈGRE, ministre de l'Education nationale, de la Recherche et de la Technologie - Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Ministres, Présidents, Directeurs, Mesdames, Messieurs,

Monsieur le Sénateur Henri REVOL, Président de l'OPECST, ouvre, avec cette séance d'auditions publiques, un important travail sur la politique spatiale qui doit nous aider dans notre réflexion pour mener une politique dynamique et ambitieuse dans ce secteur qui reste, pour le Gouvernement français, l'une de ses grandes priorités.

En 1992, le sénateur Paul LORIDANT avait présenté, pour la première fois, un travail de cet ordre dans le même cadre et j'ai lu ce rapport avec beaucoup d'intérêt puisqu'il rejoint sur beaucoup de points nos propres réflexions.

Aujourd'hui, la situation a changé, ARIANE V s'est brillamment qualifiée. Je crois que nous devons remercier et féliciter tous les acteurs de cette grande aventure d'ARIANE.

HERMES a été abandonné, je dirai heureusement. Vous connaissez ma position sur les vols habités. Les vols habités n'étaient pas quelque chose d'invraisemblable au début, mais je pense que les progrès faits dans la technologie automatique sont tels que je n'en vois pas personnellement une grande utilité au point de vue technologique, ni scientifique par rapport au prix considérable qu'ils représentent, et je le dis clairement : l'une des premières volontés du Gouvernement français est de continuer une politique ambitieuse en matière spatiale avec une indépendance européenne accrue.

Je pense que notre position sur ce domaine était justifiée. Je vois d'ailleurs que le Gouvernement allemand nous rejoint maintenant totalement, après le Gouvernement britannique, sur cette position.

Parmi les réflexions présentées en mai 1992, beaucoup restent d'actualité. La profondeur d'analyse qui les avait guidées et la qualité du travail de préparation qui avait été conduit ont été reconnues.

1 - QUELQUES POINTS D'ORGANISATION ET DE METHODE QUI GUIDENT LA POLITIQUE SPATIALE DU GOUVERNEMENT DE LIONEL JOSPIN

1-1- Le choix de bâtir une politique publique en matière d'espace

Les motivations fondamentales des activités spatiales restent constantes depuis le début de l'aventure spatiale. C'est à la fois scientifique (progrès des connaissances), économique et commercial (développement de services publics et privés), politique (défense, notamment), mais leur poids respectif évolue et une domination mondiale sans partage sur le plan économique, financier, technologique et militaire est aujourd'hui, je dirai hélas, un objectif avoué par un pays. La politique spatiale nationale rendue publique le 19 septembre 1986 par le Gouvernement des Etats-Unis affiche pour objectifs de renforcer, de maintenir la sécurité nationale des Etats-Unis et d'augmenter la compétitivité économique des capacités scientifiques et techniques des Etats-Unis.

Je crois que les Etats-Unis, comme dans le domaine aéronautique, imposent aujourd'hui à l'Europe un nouveau défi : l'industrie spatiale européenne a mûri, mais les soutiens publics accordés via les programmes militaires américains exigent qu'en Europe une politique publique solide soit élaborée autour du secteur spatial. Si l'Europe ne maîtrisait plus le segment spatial, elle ne maîtriserait plus les services qui sont associés et, à terme, l'érosion de l'indépendance européenne et des emplois industriels dépasserait très largement le seul secteur spatial.

Je crois que nous avons, ceci étant dit, en Europe, à répondre à des défis importants.

1-2- L'exigence de la réduction des coûts industriels, avec le cas des lanceurs en exemple

Je pense que nous avons à réaliser, en Europe, ce que Monsieur GOLDEEN a réalisé aux Etats-Unis grâce à la diminution des crédits de la NASA, où il a imposé aux opérateurs américains des baisses de prix considérables. Nous avons à réaliser la même chose et, si nous ne le réalisons pas, nous perdrons notre compétitivité internationale.

Le Gouvernement a confirmé récemment sa volonté de maintenir la compétitivité d'ArianeSpace, qui doit être un opérateur de service de transport spatial pour Europe, et qui doit, à terme, disposer d'une gamme cohérente de lanceurs.

Je profite de l'occasion pour féliciter les responsables de STARSEM de leurs succès récents avec Soyuz pour GLOBALSTAR.

L'agressivité américaine sur le marché des lanceurs nous impose une réduction importante des coûts de lancement. Il faut faire face à une concurrence américaine bénéficiant de commandes gouvernementales à hauteur de 70 % du marché américain, avec 20 à 30 lancements par an uniquement au profit des militaires américains, ce qui leur donne, évidemment, un avantage considérable.

La priorité de la politique européenne en matière de lanceurs reste donc l'adaptation d'Ariane V au marché pour permettre à ArianeSpace de maximiser le taux de remplissage de chaque lancement. L'évolution des prix de marché (vers 8 à 12 $/g en 2006 ou 2008) impose une réduction des coûts récurrents d'Ariane V de 50 %, en complément des améliorations de performances envisagées (6 tonnes en 1998, 9 tonnes en 2003, 11 tonnes en 2006).

Pour le futur, il convient de préparer les technologies des lanceurs après Ariane V. L'Europe ne pourra pas développer l'équivalent de l'effort américain engagé sur les lanceurs récupérables. Pour franchir une étape qualitative d'ampleur supérieure dans la réduction des coûts (gagner un facteur 10 en dix ans), des concepts nouveaux doivent être explorés (lanceurs partiellement récupérables, lanceurs sous avions peut-être...), mais surtout des recherches technologiques organisées (tant en ce qui concerne la combustion, les matériaux, les structures, la rentrée pilotée dans l'atmosphère...), dans le cadre de l'ESA (programme FLTP).

Nous devons, et le Gouvernement français est très attaché à cela, conserver le rôle central d'animation en Recherche et Développement que le CNES peut revendiquer légitimement en Europe sur ces sujets.

1-3- La recherche d'un équilibre entre les actions au sein de l'ESA et les actions dans des cadres multilatéraux

L'ESA est née en 1975 d'une dynamique européenne : relever le défi après l'échec de l'ELDO, fusionner l'ELDO et l'ESRO, développer les applications de l'espace. Les décisions lourdes des années 1985-1987 en sont issues : Ariane V, relais données, ENVISTAT, EPS/METOP...

Depuis juin 1997, nous avons redéfini petit à petit cette politique spatiale. Elle s'organise de façon assez différente de celle menée ces dernières années, autour de trois priorités, qui ne sont pas pour autant des exclusivités :

- l'observation de la Terre,

- les télécommunications et la navigation par satellite,

- l'exploration planétaire.

J'y reviendrai dans la seconde partie de mon intervention.

L'ESA est soumise à des critiques notamment de la part des principaux Etats contributeurs (notamment la France, la République Fédérale d'Allemagne, l'Italie) ; de son propre aveu, elle est en crise et accepte l'idée de réformes nécessaires pour entrer dans une nouvelle phase de sa vie. Les principales sources d'insatisfaction vis-à-vis de l'ESA sont connues :

- le processus décisionnel visant à l'unanimité par consensus conduit à des blocages ;

- la surenchère technologique prend le pas sur les services à coûts maîtrisés pour les utilisateurs ;

- la règle du juste recours paralysante conduit à des duplications, à une sous-efficacité et à une perte de compétitivité industrielle.

Je crois que, comme dans toutes nos structures européennes et pas seulement spatiales, l'idée de majorité qualifiée doit s'imposer petit à petit à tout le monde, à l'ESA comme ailleurs.

Cependant l'ESA a des atouts et peut être utilisée par les Etats membres comme élément central de la politique spatiale en Europe :

- l'ESA réunit "grands" et "petits" pays ; ce voisinage est nécessaire pour éviter que les Etats-Unis ne s'immiscent entre les intérêts contradictoires des "grands" ;

- l'ESA constitue un cadre juridique et administratif fort garantissant la stabilité des engagements des Etats ;

- l'ESA devrait permettre de constituer une base scientifique large, européenne, mais ce point reste selon moi à mieux approfondir, y compris dans son volet "communication" de la culture scientifique et technique.

Je déplore, pour ma part, que trop souvent, y compris lorsqu'il y a des commentaires sur les vols de lancement d'Ariane V, la présence toujours opportune de commentateurs américains donne l'impression au Français de base que, finalement, le lancement a été fait plus ou moins par les Américains. Je pense qu'il y a là un travail à faire important. J'ai été, pour ma part, mortifié en ce sens lors du lancement du centième anniversaire du vol d'Ariane, où j'ai chronométré, sur 45 minutes de transmission, 30 minutes qui ont été occupées par deux commentateurs américains qui étaient les utilisateurs de satellites.

Au total, l'ESA doit évoluer, se concentrer sur un rôle d'agence de conduite de programmes européens, se recentrer sur ses missions de base par rapport aux agences nationales et aux utilisateurs. Augmenter l'accueil d'ingénieurs européens dans les établissements des agences nationales en fonction de leurs compétences scientifiques sera un premier pas, ce qui supposera de régler les questions de disparités des salaires entre l'agence européenne et les agences nationales, ce qui doit être une priorité.

Proposer une évolution de l'ESA constituait la base de la déclaration trilatérale du 17 juin 1998, élaborée avec mes collègues allemands et italiens. Certes, les gouvernements ont changé depuis dans ces deux pays ; je suis obligé de vous rappeler que la France contribue pour plus de 30 % au budget de l'ESA soit près de 4,3 GF pour 1999, inscrits au BCRD sur le budget du CNES, l'Allemagne pour plus de 25 % et l'Italie pour 12 %. Le Royaume-Uni suit avec seulement 7,3 % à ce jour ; j'ose à peine vous dire que j'ai engagé des discussions avec nos collègues anglais pour envisager une augmentation de leur contribution. Cela ne semble pas une opération d'une facilité très grande, mais il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer.

J'espère que nous pourrons aisément retrouver un terrain d'accord dans l'intérêt commun avec tous les interlocuteurs, je crois qu'avec le Gouvernement allemand c'est déjà fait, et avec le Gouvernement italien cela ne saurait tarder.

Par ailleurs, la Commission européenne souhaite s'impliquer dans les activités spatiales. Je crois que j'y suis favorable si tant est que cette implication préserve l'indépendance de l'ESA et ne soit pas une capture de l'ESA. En ce sens, je fais remarquer que l'idée de majorité qualifiée permettrait une implication facile de la Communauté européenne puisque son implication serait proportionnelle à sa contribution financière.

Je vous prie de m'excuser d'être extrêmement près des problèmes de financement mais je crois que, dans ce monde, il est bon que l'on n'oublie pas les contraintes économiques.

Je crois qu'une plus grande souplesse doit être donnée dans la configuration des partenariats entre Etats et c'est une condition indispensable pour que l'Europe puisse continuer à se construire au fur et à mesure de l'extension du nombre des Etats membres.

Je dis donc oui, bien sûr, des deux mains à l'ESA, mais à un ESA rénové. Je ne sais pas si la conférence aura lieu au mois de mai ou si on la renverra à l'automne ; si nous ne sommes pas prêts, nous ne ferons pas une conférence au mois de mai, au niveau des chefs de Gouvernement de l'ESA, nous verrons avec les Allemands et les Italiens pour prendre une décision dans les semaines qui viennent.

2 - LES PRIORITES THEMATIQUES

2-1 - Observation de la Terre

Ce secteur a été jusqu'à présent peu développé, en comparaison d'autres disciplines scientifiques, malgré l'intérêt évident qu'il offre. Une des raisons en est que le programme scientifique obligatoire de l'ESA a exclu jusqu'à présent les sciences de la Terre, sauf en océanographie et en météorologie.

Je pense, en effet, que les possibilités qu'offrent les techniques spatiales pour l'observation de la Terre ont à peine été effleurées par les spécialistes réellement concernés. Certes, quelques expériences merveilleuses ont ouvert la voie, comme celle du groupe de MASSONNET au CNES avec l'interférométrie radar qui est vraiment une performance technologique tout à fait remarquable, ou encore la mission Topex-Poséidon faite en coopération entre le CNES et la NASA. Ces succès ont montré la capacité d'équipes scientifiques françaises, mais aussi la nécessité de mettre plus l'accent à l'avenir sur la mise en valeur des résultats scientifiques, en élargissant les communautés concernées.

Pour que les recherches dans ce domaine se développent, il ne faut pas mettre la technique avant la science. C'est la science qui doit rester la motivation essentielle, guider la conception des missions, et non pas les idées de réalisation de tel ou tel instrument. Dans ce sens, le Gouvernement a décidé de mettre en route, dès cette année, une action concertée incitative sur l'observation de la Terre par les méthodes spatiales dans laquelle seront invités des spécialistes qui n'ont jamais participé à l'utilisation des techniques spatiales de manière à attirer, comme nous l'avons fait déjà dans le domaine industriel, des spécialistes des divers secteurs des sciences de la Terre pour les inciter à travailler avec les méthodes spatiales.

Les priorités de la politique du Gouvernement dans ce domaine sont les suivantes :

- nous voulons obtenir, à la Conférence ministérielle de l'ESA, la création d'une enveloppe de ressources consacrée aux sciences de l'observation de la Terre ;

- accélérer le "basculement" technologique vers les constellations des petits satellites dédiés. Des satellites compacts et agiles de la classe 1 tonne seraient réalisables vers 2003 pour le champ large optique, voire pour la très haute résolution, pour le radar en bande X, 1 tonne, résolution meilleure que 10 m, coût objectif récurrent inférieur à 500 MF pour des coûts réduits par rapport aux concepts de plates-formes de la génération SPOT.

Je dis tout de suite que nous aurons désormais une attitude de plus en plus tournée vers l'idée que nous voulons réaliser "tel appareil pour tel prix" et non pas nous voulons "tel appareil à n'importe quel prix", car c'est la seule manière d'obliger l'industrie européenne à être concurrentielle avec l'industrie américaine.

- la politique de diffusion des images doit, à mon avis, être revue, en particulier vers les communautés scientifiques encore insuffisamment mobilisées, mais aussi vers les pays en voie de développement, par exemple pour la surveillance des risques naturels sur lesquels nous travaillons avec les Japonais pour faire un satellite dédié à ce domaine. Des utilisateurs devraient prendre de façon générale plus de responsabilités dans les programmes opérationnels (c'est le cas de la Météo).

- la proximité entre besoins civils et militaires est, bien sûr, une caractéristique dans ce domaine : nous avons mis en place, au niveau des deux cabinets des ministres, un groupe de coordination pour s'assurer que tel sera bien le cas, mais naturellement, ce n'est absolument pas facile de fonctionner entre deux ministères très différents. Néanmoins, je crois que nous progressons.

2-2 - Télécommunications et navigation

C'est un marché en croissance extrêmement rapide, profitable, très concurrentiel. Des applications nouvelles s'y développent (gestion du trafic aérien avec transfert des données sol-bord pendant le vol...).

Le rôle des Etats y reste stratégique sur les aspects réglementaires tels que la gestion du spectre de fréquences et des positions orbitales. La Conférence de l'UIT à Genève, fin 1997, a donné des sueurs froides à beaucoup d'entre nous, mais nous avons fini par l'emporter.

Le développement des services associés : industrie des contenus, bouquets de programmes haut débit, couverture de zones à faible infrastructure au sol, par exemple pour la diffusion de produits éducatifs multimedia (l 'expérience que nous faisons en ce moment à ce sujet est extrêmement importante), le télé-enseignement, mais aussi, maintenant, la télémédecine (qui deviendra sans doute une technique très importante, y compris pour contrôler nos coûts de dépenses hospitalières en évitant de diffuser les gros appareils sur le territoire national, etc).

Entre mi-1996 et 2006, de l'ordre de 300 satellites géostationnaires à une centaine de M$ pièce seront lancés. Leur masse pourra dépasser 5 tonnes, leur puissance dépassera 10 kW, leur durée de vie atteindra 15 ans. Sur un seul répéteur, 10 canaux TV peuvent être transmis par compression numérique, un satellite peut héberger plus de 20 récepteurs. Ces satellites ont tendance à grossir de façon régulière ce qui est compréhensible si on observe qu'en géostationnaire, la "ressource rare" c'est la position orbitale : il faut l'exploiter au maximum.

Les constellations en cours de déploiement sur plusieurs "couches" d'orbites basses, impliquent, quant à elles, des fonds considérables à lever sur les marchés financiers. Le rôle d'une agence publique comme le CNES est, dans ce secteur, limité à acquérir une maîtrise technique pour la mise et le maintien à poste des constellations grâce à des partenariats, par exemple avec SKYBRIDGE bien sûr.

La navigation par satellite est un cas d'école de la politique des ETATS-UNIS : maintenir la gratuité d'accès au service pour dissuader toute concurrence et faire de GPS, système sous contrôle militaire (-et on vient d'apprendre qu'un certain nombre de mesures de contrôle, qui sont particulièrement déplaisantes, vont se faire dans un centre à Rome,) le système universellement accepté.

J'ai écrit aux ministres des Transports et de la Défense, le 12 novembre 1997, dans le but de définir une politique interministérielle française, et de nombreuses discussions ont eu lieu depuis entre les services concernés.

ALCATEL et le CNES, je les en remercie et je les en félicite, proposent des concepts innovants dans le domaine pour GNS-S2 (références des temps au sol, par exemple, permettant d'envisager l'emploi de minisatellites). Il ne faut jamais oublier que l'Europe, dans ce domaine, définit et réalise des engins avec généralement cinq à six fois moins d'argent de recherche que les Américains. Grâce toujours à des idées extrêmement originales -et il faut être très conscient de cette chose- l'imagination des ingénieurs européens dans le domaine spatial est la principale richesse de l'Europe, ce n'est pas l'argent, c'est réellement la matière grise.

La Commission européenne, quant à elle, a récemment présenté ses recommandations dans le projet Galileo .

De son côté, l'ESA souhaite dès 1999, au niveau ministériel, un engagement fort jusqu'à la phase de développement. Attendons un peu. Il y a certes, intérêt à rester ouvert aux coopérations avec le système russe Glonass  pour disposer de l'accès à la bande de fréquence qui lui est attribué, je ne suis pas sûr pour autant que toutes les conditions technologiques ne puissent pas être modifiées, notamment avec les idées que j'ai mentionnées tout à l'heure.

Une première étape, nécessaire pour rassembler les énergies en Europe, sera sans doute franchie si les Etats les plus motivés, prêts à investir dans ce projet, constituent avec des représentants de la Commission et l'ESA une équipe de programme, chargée d'assurer la maîtrise d'ouvrage et qui pourrait, à terme, évoluer vers une agence intergouvernementale.

Nous attachons une très grande importance à ce problème de la navigation par satellites et du GPS européen.

2-3 - Exploration planétaire

Les discussions engagées à ma demande, entre le CNES et la NASA autour du retour d'échantillons de Mars ont permis de réunir à Paris, du 2 au 5 février, un colloque international sur ce thème. Cette coopération se placera dans un contexte plus large auquel contribue aussi l'Agence spatiale Européenne, avec la mission Mars Express prévue en 2003.

Mars est la première planète visée, mais j'ai demandé à l'ESA, au nom de la France, d'étudier aussi le retour d'échantillons de Vénus. L'ESA a réalisé une pré-étude, et suggéré que, avec un budget raisonnable, on pouvait aussi envisager un retour d'échantillons de Mercure.

Je crois que l'exploration des planètes va être une grande aventure scientifique et technologique du XXIe siècle. L'exploration des planètes a été, dans les deux dernières décennies, le symbole d'une compétition acharnée entre deux pays, deux systèmes politiques, deux philosophies. Aujourd'hui, l'exploration des planètes va devenir au contraire le symbole de la coopération internationale. Le mot d'ordre a été "compétition", ce sera désormais "collaboration et émulation".

Le retour d'échantillons de Mars est amorcé en coopération franco-américaine, mais c'est une opération, pour nous, ouverte. Toutes les compétences, tous les talents doivent s'associer à l'aventure. Si nous voulons développer une science active dans le domaine spatial, il faut que nous mettions nos moyens en commun, par delà les frontières et les divisions politiques. Cette philosophie de coopération s'appliquera dans tous les domaines qui demandent des investissements importants.

Le Gouvernement français ne croit pas à un monde monopolaire, il travaille de toutes ses forces pour un monde multipolaire, divers, dans lequel tous les pays puissent coopérer ensemble pour le bien de l'humanité. L'espace est un des grands symboles de la coopération mondiale et, à une époque où on parle de mondialisation, souvent avec des relents de peur et de crainte, l'espace doit faire penser à la mondialisation avec des sentiments d'espoir, de fierté et de rêve.

M. REVOL - Merci, Monsieur le Ministre, pour cet exposé très complet et documenté sur la manière dont vous voyez la politique spatiale de la France. Nous savons que vous êtes très attaché à la clarté dans ce que vous exposez et que vous ne maniez pas la langue de bois.

***

PUISSANCE PUBLIQUE ET MARCHE : UNE NOUVELLE DONNE ?

M. REVOL - Permettez-moi maintenant de vous donner quelques précisions sur le déroulement de notre première session de l'après-midi intitulée "Puissance publique et marché : une nouvelle donne ?".

Les invités qui se trouvent à ma droite interviendront à titre principal dans cette session. Je leur demande de limiter leur exposé à 8 minutes. Puis, les invités qui se trouvent à ma gauche pourront réagir brièvement aux propos qui auront été tenus et l'assistance pourra ensuite poser des questions.

Pour l'Aérospatiale, Monsieur Bernard HUMBERT, directeur des programmes Espace, a remplacé en dernière minute Monsieur THOMAS, directeur de la technique industrielle. Afin de ne pas déséquilibrer nos deux sessions, Monsieur HUMBERT s'exprimera quelques minutes au cours de la première et quelques minutes au cours de la seconde.

Je passe dès à présent la parole à Monsieur BENSOUSSAN, Président du Centre national d'études spatiales.

M. BENSOUSSAN - L'évolution du secteur spatial, si l'on considère le phénomène majeur qui la concerne, est bien l'avènement du marché des applications commerciales de l'espace qui transforme de façon considérable ce secteur.

La science et la défense restent des moteurs très importants du développement du secteur spatial, c'est la continuité du passé, il y a des évolutions significatives mais ce sont bien les applications commerciales qui modifient considérablement les choses. La raison est que le satellite est au coeur de la société d'information, c'est un instrument clé pour acquérir et transmettre de l'information à haut débit, avec des avantages considérables par rapport aux contraintes géographiques et de plus en plus par rapport aux contraintes de coût.

Je voudrais classer ces marchés par rapport au degré de maturité, c'est-à-dire le degré de pénétration vers le grand public, ou au moins un très large public professionnel.

Sur 10 ans, le marché a été multiplié par cinq avec un taux de croissance de près de 18 % par an. Les domaines qui touchent le plus le marché grand public sont les télécommunications, la télévision, la téléphonie mobile, l'Internet.

Le grand public est prêt à payer pour cela à condition que cela ne coûte pas trop cher et que le service soit très facile à utiliser. Ou bien c'est le grand public qui paie, ou bien ce sont la publicité ou le commerce électronique, mais cela revient à peu près au même.

La navigation par satellite, qui est un sujet en plein développement, est dans une phase intermédiaire. Il est né dans un contexte lié à la défense mais il connaît un développement spectaculaire dans les applications, notamment aux transports (aérien, maritime, Terrestre) et de plus en plus au secteur automobile. Lorsqu'on touche au secteur automobile en apportant des services à coût réduit, on est dans le grand public. Il y aura certainement d'ailleurs une interaction intéressante entre le positionnement par satellite et la communication par satellite.

L'observation de la Terre, avec des applications considérables, reste dans le service public (météorologie, océanographie, climatologie, environnement, prévention des risques naturels). C'est donc là essentiellement le contribuable qui finance et pas le consommateur, ce qui n'empêche pas un développement commercial sensible à côté de ce développement de service public.

Le marché se développe mais le marché public reste très important. Ce qui est donc intéressant, c'est la cohabitation entre le secteur commercial et le service public. Je pense notamment à la dualité entre les applications civiles et militaires ou d'autres problématiques de ce genre.

Des spécialistes parleront du transport spatial mais, aujourd'hui, cela reste quelque chose de coûteux, pas assez flexible malgré les progrès mais le transport spatial est incontournable, c'est le préliminaire à toute activité spatiale.

J'insiste aussi sur l'aspect international du secteur spatial. Vu la taille des marchés et le type des applications visées, vu des questions comme l'attribution des fréquences, les questions de sauvegarde, celles des débits spatiaux, toute activité spatiale se place immédiatement dans un contexte international.

Dans quelles conditions la puissance publique doit-elle intervenir ?

L'exemple américain est très intéressant à étudier mais on peut déjà remarquer que les grandes puissances ont au coeur de leur stratégie l'espace, notamment le Japon, la Chine, l'Inde, et d'autres encore.

La puissance publique doit défendre ce qui est stratégique. C'est dans la définition de ce qui est stratégique que peut se placer un certain débat. Pour un pays comme la France, la stratégie est d'abord européenne et liée au rôle que la France veut jouer en Europe.

L'indépendance, l'autonomie des décisions sont des éléments stratégiques. Il faut y ajouter le besoin d'assurer le service public le mieux possible grâce aux moyens spatiaux et de prendre la plus grande part possible des marchés nouveaux liés aux applications de l'espace.

La présence croissante d'un marché commercial peut parfois relativiser certaines considérations stratégiques traditionnelles. Par exemple, on peut trouver, plus facilement que dans le passé, des services de lancement dans le monde, ou des services de télécommunication, ou acheter des images satellites, mais à condition que la pluralité de l'offre soit suffisante. La question qui se pose dans la navigation est donc de savoir si le degré de dépendance par rapport au GPS américain n'est pas trop élevé.

Indépendamment du fait d'acquérir ce dont on a besoin, si l'on se contente d'être un marché de consommateurs, on perd tout espoir d'être présent dans un secteur économique d'avenir.

En continuant à étudier l'exemple américain, qui est un exemple structurant dans le monde, on voit que l'industrie américaine assure d'abord les besoins publics américains considérables, notamment ceux de la défense et, par là, devient une industrie très puissante, très compétitive, capable de conquérir les marchés commerciaux mondiaux. Autrement dit, le marché de la défense, dans une moindre mesure les marchés gouvernementaux, le marché scientifique, représentent pour les industriels américains un formidable tremplin.

Au-delà, les Etats-Unis savent parfaitement tirer profit du contexte international, de la coopération internationale, des aspects de réglementation internationale mais aussi une capacité remarquable des marchés financiers à lever des fonds, un effort de recherche et développement considérable et surtout un encouragement et un appui considérables à toutes les initiatives, notamment celles liées à la création d'applications en aval du spatial, à forte valeur ajoutée.

C'est bien dans la valeur ajoutée que l'essentiel du chiffre d'affaires va se faire. La part strictement spatiale reste relativement limitée par rapport à l'ensemble du chiffre d'affaires des applications du spatial.

Tels sont les éléments de la puissance publique en faveur du secteur spatial. Que peut faire l'Europe ? Elle peut en principe faire la même chose, il y a néanmoins quelques handicaps.

L'Europe investit moins que les Etats-Unis de manière structurelle car le marché intérieur, et notamment celui de la défense, est considérablement plus faible que celui des Etats-Unis. En outre, l'Europe reste constituée de nations différentes bien que les progrès de la construction européenne soient très grands.

Enfin, pour des raisons diverses, les marchés financiers et l'appui aux initiatives créatrices de valeur ajoutée sont encore insuffisants par rapport à ceux qui existent aux Etats-Unis malgré les progrès.

Il faut donc résorber et compenser ces handicaps et faire des choix.

Un des atouts de l'Europe est d'abord d'être un très grand marché de consommateurs, très important, et aussi un vivier de compétences considérables. Il nous faut donc développer en Europe toutes les initiatives de valeur ajoutée à l'attention du marché européen et favoriser le plus possible l'émergence de compétences européennes à tous les niveaux : technologies, méthodologies, applications.

En quelques minutes, j'aborderai les relations de la science avec le marché. Les techniques spatiales contribuent à la recherche scientifique dans deux grands domaines :

- la dynamique du système Terrestre (la Terre et son environnement),

- l'astronomie (le système solaire et au-delà).

Il y a bien sûr les applications de la microgravité à la physique des matériaux, à la physique atomique, à la biologie qui sont intéressantes.

Les programmes scientifiques peuvent intéresser le marché à double titre. D'abord, ils mettent en évidence, à travers des observations originales, des phénomènes nouveaux qui peuvent déboucher sur des applications inédites. En outre, ils stimulent, par leur exigence de performances poussées à l'extrême, des développements technologiques nouveaux susceptibles de trouver leur application dans le marché.

Je donnerai quelques exemples d'applications originales des observations spatiales :

- L'altimétrie est quelque chose de très intéressant. Notamment, tout le monde a vu les applications dans la prévision du phénomène El Nino à six mois dans le cadre de cette action commune avec les Américains du satellite Topex Poséidon qui se poursuit avec Jason.

- Dans le positionnement, les applications du GPS, l'interférométrie, on obtient des précisions très intéressantes. Cela a été développé pour des motifs purement scientifiques, notamment la surveillance sismique, les déformations tectoniques. Aujourd'hui, nous en trouvons des applications dans le bâtiment et les travaux publics.

- L'étude du cycle du carbone, pour lequel les sciences spatiales apportent une contribution majeure, notamment dans l'identification des puits et des sources de carbone, aura des implications directes sur la valeur des "permis négociables" prévus dans les accords de Kyoto.

- S'agissant des développements technologiques tirés par les sciences spatiales, ils résultent de la nécessité d'améliorer l'autonomie, la miniaturisation, les télétransmissions, les manipulations mécaniques, l'énergie disponible, la réduction des masses car tout cela est très limitant dans le cadre des expériences de sciences spatiales. Maintenant, nous trouvons des applications dans les céramiques de haute température, les matériaux à mémoire de forme, les batteries Ni-Cd et Lithium, les cellules solaires As Ga. Voilà un certain nombre de technologies qui ont maintenant des applications et qui proviennent souvent des techniques spatiales.

- De manière plus spécifique, notamment dans le cadre de ce qui a été fait à l'ESA et au CNES, le développement de l'imageur Intégral pour la détection de rayonnements gamma de basse énergie se prolonge aujourd'hui par le développement de microcaméras pour des scintigraphies locales d'organes (LETI).

- Dans le cadre du programme Rosetta , l'extrême miniaturisation a nécessité de mettre en oeuvre la technologie du composant en 3D. D'une manière générale, on a pu développer des applications de technologies multicouches qui sont utilisées ailleurs.

Un dernier commentaire pour dire l'intérêt de la science pour les industriels. Nous sommes dans une situation où les scientifiques ne peuvent plus développer eux-mêmes ce qui se faisait par le passé et ne peuvent plus suffisamment mettre en oeuvre les technologies. De plus en plus, les expériences seront développées et réalisées chez les industriels. Ainsi, ils auront en même temps, notamment dans le cadre des grands programmes scientifiques de connaissance et d'exploration de la Terre et de l'Univers, une source d'activité à part entière et aussi un moteur de l'innovation technologique. Je ne crois pas que la phrase qui consiste à dire que la banalisation économique de l'espace mettrait un terme à l'intérêt des industriels pour la science soit tout à fait correcte.

Ceci étant, il ne faut pas se tromper sur les objectifs. Dans le cas de la science, le premier objectif est scientifique ; il y a aussi bien sûr des objectifs technologiques et commerciaux mais ils sont secondaires.

Je conclurai en formant un voeu pour que la conférence ministérielle de l'ESA soit l'occasion, pour les gouvernements européens, de montrer une forte détermination pour préserver les acquis de l'Europe, notamment Ariane , et pour qu'un nouveau programme d'envergure comme la navigation soit lancé dans des conditions viables ; pour que la science se renforce et pour que l'ensemble des structures publiques en Europe, celles de l'ESA, celles des Agences nationales s'unissent pour mener à bien l'ensemble des programmes européens.

M. Henri REVOL - Je passe la parole à Monsieur CARLIER, Président-directeur général de Matra Marconi Space.

M. CARLIER - Merci de nous avoir conviés à cette table ronde sur des sujets extrêmement intéressants que vous avez posés en termes particulièrement pertinents.

L'évolution du marché spatial vers plus de commercial est quelque chose qui frappe tous les esprits. Cette croissance rapide ces dernières années est due à des facteurs bien connus. En effet la dérégulation des télécommunications dans le monde s'est accompagnée d'un cadre financier approprié grâce à l'émergence des marchés financiers américains de Junk Bonds et autres obligations haut rendement, qui ont permis les financements de systèmes privés, ce qui était inenvisageable quelques années avant.

Surtout, les besoins étaient là et le dernier en date, le plus important, était celui de la télévision directe (DTH) qui est en train d'arriver sinon à saturation mais qui s'essouffle, mais ce n'est pas grave, on voit déjà apparaître d'autres besoins liés aux deux grandes révolutions des télécommunications en cette fin de siècle que sont le mobile et l'Internet. Les satellites auront dans ces deux domaines à jouer leur rôle.

L'émergence très rapide de ces marchés commerciaux a pu laisser penser à certains que la puissance publique pouvait quasiment s'effacer, que les financements commerciaux allaient, dans le domaine spatial, presque remplacer le rôle traditionnel tutélaire, depuis l'origine de l'industrie spatiale, des financements institutionnels.

Je voudrais m'élever contre cette interprétation un peu rapide et qui est fausse, pour au moins trois raisons propres au spatial. La première est l'importance des domaines de souverainetés. Souveraineté militaire, bien sûr : la politique spatiale américaine est massivement axée sur des problèmes de souveraineté militaire. J'y ajouterai la souveraineté intellectuelle que constituent les programmes scientifiques qui relèvent de cette logique.

Deuxième raison pour laquelle l'espace a besoin de manière indissociable de l'intervention de la puissance publique, ce sont les problèmes de risque. C'est une activité extrêmement risquée.

L'année 1998 a été la pire année pour les assureurs depuis l'origine de l'activité spatiale : plus de 1 Md$ de pertes ont été enregistrées, plusieurs satellites commerciaux ont été perdus en orbite (aucun de notre société). Ce facteur de risque continuera encore, même si c'est une industrie qui arrive progressivement à maturité, à dominer ce secteur industriel.

Le dernier point qui exige une intervention publique, c'est celui des coûts de développement qui sont probablement, dans l'industrie spatiale, ce que l'on fait de plus élevé et qui dépassent ce que l'on peut trouver dans d'autres domaines de la high tech, de l'informatique.

Pour vous situer les ordres de grandeur, un premier satellite vous coûtera 100, le deuxième identique vous coûtera 15 ou 20. Sachant que le marché commercial vous achètera les satellites à 15 ou 20, qui paie les 80 ou les 75 du premier, ce que l'on appelle les coûts non récurrents de développement ?

Ces coûts de développement, qui sont à risque, font que les règles sont à peu près les mêmes aux Etats-Unis, en Europe, partout ailleurs. Ce sont des grands programmes institutionnels, essentiellement militaires aux Etats-Unis, principalement civils et aussi un peu militaires en Europe, qui financent ces développements technologiques. Il appartient ensuite aux industriels de les traduire sur le marché en trouvant des applications pour commercialiser, mais à coût récurrent, les développements technologiques qui ont été pris en charge, en termes de risque, par la collectivité.

Le rôle de la puissance publique peut se résumer en disant qu'il faut qu'elle assure à la fois une responsabilité de grands programmes et aussi de support technologique.

Je voudrais non pas prendre la défense de l'ESA, mais il est aujourd'hui assez fréquent d'entendre beaucoup de critiques sur l'ESA qui, comme tout grand organisme, a sûrement des matières à améliorer, comme nous tous, dans son fonctionnement et son organisation.

L'ESA, au cours des 25 dernières années, a joué un rôle unique en Europe pour être le manager de grands programmes, à commencer par Ariane qui n'existerait pas si l'ESA n'existait pas. Nous avons encore besoin dans l'avenir, pour longtemps, d'un organisme capable de gérer des grands programmes spatiaux, ce qui est compliqué, une activité extraordinairement sophistiquée, complexe. Je ne pense pas que l'Union européenne, qui a un rôle majeur à jouer en matière de politique spatiale, soit à même aujourd'hui de gérer des programmes aussi complexes. Je crois que l'ESA a pour longtemps encore ce rôle à jouer.

Dans le domaine de la navigation, voilà un futur grand programme européen. Notre société est aux côtés de Dasa, Alenia, Alcatel, fait partie d'un consortium qui étudie actuellement différentes architectures permettant de faire une constellation d'orbites moyennes et géostationnaires pour un système européen.

En matière de support technologique, c'est un domaine dans lequel nous avons pris, pour des raisons de contraintes budgétaires, beaucoup de retard par rapport à ce qui se passe aux Etats-Unis où la notion de satellite technologique (que nous avons en France avec Stentor, qui est un très bon exemple, mais le seul) est exactement l'exemple de ce qu'il faut faire, c'est-à-dire valider des développements technologiques.

Il y a un risque très important que des pans entiers de technologie passent totalement sous contrôle américain et que, dans quelques années, nous nous réveillions trop tard avec, sur plusieurs domaines clé, une dépendance américaine. Je pense en particulier à des microprocesseurs d'URCI, et nous pourrions malheureusement multiplier les exemples.

Ceci ne veut pas dire que les industriels n'ont rien à faire, je ne voudrais pas que vous retiriez de cette intervention un gigantesque appel à la manne publique, les industriels ont une responsabilité majeure qui est celle de serrer leurs coûts et d'économiser les deniers du contribuable, précisément en étant plus efficaces.

Pour cela, une très grande action est en cours, et notre société y joue un certain rôle, c'est celui de la restructuration de l'industrie spatiale en Europe qui n'est qu'une partie de la grande restructuration des industries aérospatiales en Europe. Ceci ira dans le sens d'une plus grande efficacité grâce à des économies par suppression de toutes les duplications.

Le développement de l'industrie spatiale conduit, avec tous les programmes européens, nationaux ou de l'ESA, fondés sur la base d'industries essentiellement nationales, à donner naissance à un certain nombre de duplications en Europe. Le fait qu'aujourd'hui nous assistions à l'émergence de sociétés transnationales sera de nature à changer considérablement la donne et à permettre d'éviter que l'argent public s'investisse dans des duplications en Europe.

Ce sera une grande chance, un second souffle donné à la coopération entre les industriels et les agences nationales que de rationaliser ce champ industriel spatial européen pour faire en sorte que les missions soient plus économiques et que l'argent public soit mieux employé, pour faire en sorte surtout que nous puissions créer davantage d'emplois encore en étant plus compétitifs à l'exportation.

M. REVOL - Je donne la parole à Monsieur KROLL, président du directoire de l'Agence spatiale allemande.

M. KROLL - Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je voudrais d'abord exprimer mon estime à vous, Monsieur le Sénateur, d'avoir pris l'initiative d'organiser ces auditions qui s'insèrent fort opportunément dans le grand débat de politique spatiale que nous, les acteurs de l'activité spatiale européenne, avons entamé.

Puissance publique et marché : une nouvelle donne ? Force est de constater que la conduite d'activités spatiales n'est plus du ressort exclusif des Etats et de leurs agences mais d'une communauté plus large d'intervenants qui, selon les objectifs qu'ils poursuivent, rivalisent, se concurrencent ou coopèrent.

L'activité spatiale, alors, ne peut plus être organisée selon une logique d'économie caractérisée par le fait que la commande publique est principalement à l'origine de l'activité industrielle et des flux économiques très importants qui y étaient associés.

Dès à présent, l'intervention publique, celle de nos gouvernements individuels et de nos Etats-membres de l'Union européenne et de l'Agence spatiale européenne, doit être concentrée sur un triple objectif, à savoir :

1. le maintien d'une capacité d'accès à l'espace et la maîtrise des technologies les plus critiques qui incluent celles relatives à la sécurité européenne ;

2. la mise à disposition d'outils spatiaux pour les services d'utilité collective (météorologie, surveillance de l'environnement) ainsi que pour la recherche fondamentale tant extraTerrestre que Terrestre ;

3. tout aussi important, le soutien du secteur industriel face aux exigences d'innovation et de compétitivité.

Nos acteurs industriels peuvent donc compter sur une certaine demande persistante des autorités publiques nationales et européennes ; ils peuvent légitimement espérer un support politique régulatif et budgétaire mais c'est à eux de mener la bataille de front sur un marché spatial en expansion qui se différencie et se globalise rapidement.

L'industrie européenne s'apprête à relever le défi. Ses efforts en vue d'atteindre la taille critique indispensable pour exister sur les marchés internationaux l'amènent à opérer des alliances et des concentrations mais cette démarche vers l'intégration doit transgresser les cadres nationaux et viser à des unités d'envergure et de vocation vraiment européenne.

Du côté public, le nécessaire est-il entrepris pour renforcer l'ambition spatiale commune ?

Trois types d'actions me paraissent urgentes :

1. Une action unioniste complémentaire semblable au domaine industriel. Le secteur des centres spatiaux publics est aussi appelé à se transformer en un complexe d'unités formant un réseau interdépendant des centres d'excellence. A ce titre, les agences spatiales d'Allemagne, de France et d'Italie ont élaboré le concept d'une union des centres spatiaux, qui associera les centres publics nationaux et les centres de l'Agence spatiale européenne.

Cette initiative a obtenu un accueil favorable mais, pour la réaliser, il faut le concours actif des gouvernements car les centres sont soumis à la régie des Etats.

2. Une action d'efficacité de la démarche spatiale publique semblable aux efforts de rentabilité du côté industriel. Les Etats et leurs agences sont devenus plus attentifs à maîtriser leurs dépenses et à veiller à leur efficacité. A ce titre, les grandes agences ont entamé d'importants projets de réforme de leur système de gestion visant à instaurer un esprit et un comportement d'entreprise.

L'Agence spatiale européenne, elle aussi, s'est décidée à reformer son fonctionnement interne et ses modes d'intervention.

3. Une action de partenariat industriel.

Les rapports entre agences et industriels ne sont plus exclusivement du type contrat de commandes. Un régime de partenariat variable et multiforme, associant acteurs publics et privés est en train de s'installer. Dans ce domaine, les grandes agences comme le CNES et le DLR ont déjà fait preuve de leur capacité d'innovation : le DLR avec sa stratégie de projet de recherche ciblée, établie conjointement avec la Dasa ; le CNES avec ses divers projets de développement conduits avec l'industrie française.

Un tel rapport de partenariat solidaire et inspiré d'objectifs communs sera, à mon sens, la caractéristique marquante des relations futures entre les secteurs spatiaux publics et privés.

Je vous remercie de votre attention.

M. REVOL - Je passe la parole à Monsieur HUMBERT, directeur du programme Espace d'Aérospatiale.

M. HUMBERT - Je représente ici l'Aérospatiale, un industriel qui, depuis plus de trente ans, est un des acteurs principaux du transport spatial. Aussi limiterai-je mon intervention à la réponse à la question posée, "Puissance publique et marché : une nouvelle donne ?", au transport spatial.

Le rôle de la puissance publique, dans le domaine du transport spatial, a été central pour deux raisons principales. La première est que les techniques de base du transport spatial ont été développées pour satisfaire des besoins fondamentaux de l'Etat en matière de défense, de sécurité des personnes et des biens et de développement des connaissances fondamentales.

Le développement du transport spatial est porteur d'enjeux à échéance suffisamment lointaine pour que les mécanismes du marché ne permettent pas de les atteindre sans une intervention importante de l'Etat.

L'Etat a joué dans le domaine du transport spatial ce double rôle d'investisseur et de client. Le même schéma s'est déroulé dans tous les pays du monde puisque c'est suivant ce schéma que les systèmes de transports spatiaux existants ont été développés pour répondre aussi bien à des applications civiles que militaires.

Le développement d'applications de télécommunications spatiales qui relèvent de la logique de marché a fait naître un marché de lancements commerciaux dont on parle beaucoup mais qui ne représentent qu'une partie des lancements effectués : le marché dit « captif » de lancements de satellites gouvernementaux représente aux Etats-Unis plus de 60 % des lancements alors qu'il n'en représente pour l'Europe que 15 %.

Par rapport aux règles habituelles de marché, le marché des lancements commerciaux présente des particularités importantes, la première concerne la définition des prix de vente. Le prix de vente d'un lancement ne représente qu'une partie du coût total dans la mesure où l'investissement de développement du système n'est pas amorti dans le prix de vente. Amortir l'investissement pourrait conduire au doublement du prix de lancement et la totalité des coûts d'utilisation de l'infrastructure de lancement n'est pas non plus répercutée dans les prix de vente.

En outre, une partie des risques liés aux lancements est couverte par la puissance publique qui ne répercute pas la totalité des obligations découlant du Traité de l'Espace. Ceci est aussi un phénomène général au niveau mondial.

Le soutien de la puissance publique est important dans le développement des moyens de transport spatial. De façon assez générale, il s'étend actuellement au financement des modifications majeures de ces systèmes comme nous l'avons vu encore récemment pour la définition des lanceurs ELV américains.

Doit-on s'attendre à une évolution profonde de ces pratiques s'agissant du marché commercial des lancements ? Je pense que non dans la mesure où ce marché repose sur l'utilisation des lanceurs consommables actuels. Il se peut qu'il y ait de profonds changements mais à condition de recourir à de nouvelles techniques, qui pourraient permettre de réaliser des lanceurs réutilisables, dont le coût de lancement serait bien inférieur à celui des lanceurs consommables, techniques qui pourraient être développées et opérées sur une base commerciale. Mais ces conditions ne seront certainement pas remplies dans un proche avenir.

Quant au rôle des agences et de l'industrie, l'existence d'un marché commercial et la pression économique qui l'accompagne obligent les principaux acteurs, agences et industries, à améliorer leur efficacité globale et à rationaliser leurs activités. Les agences conserveront dans tous les cas des activités régaliennes telles que :

- celles qui découlent du Traité de l'Espace,

- la définition des règles d'utilisation des moyens de lancement et la responsabilité de la sauvegarde des personnes et des biens,

- la proposition de la politique de la puissance publique, avec définition des objectifs et des moyens qui permettent de maintenir la capacité d'accès à l'espace dans les domaines stratégiques.

Dans ce domaine, il est clair que la volonté politique et la continuité qui ont été le moteur du développement des systèmes de lancement actuels sont un gage indispensable pour la réussite de ces nouveaux systèmes.

Au niveau industriel, la rationalisation des activités et la constitution d'une entité qui regroupe les principales capacités européennes, à l'instar de ce que nos concurrents américains ont déjà réalisé (Boeing, Lockheed Martin), sont une condition indispensable. La marché a conduit l'industrie à réaliser, ces dernières années, d'importants efforts de réduction. Pour Aérospatiale, lors des productions des lanceurs Ariane 4 de ces dix dernières années, l'effort de réduction et de rentabilité a été d'un facteur 2.

Les agences devraient suivre un processus analogue pour réduire les duplications d'équipes et de moyens en Europe.

S'agissant de la recherche amont et des développements exploratoires, des développements futurs, agences et industries devraient s'organiser en ne perdant pas de vue que le dépositaire final du savoir-faire doit être l'industrie.

Pour répondre à la question de savoir si la banalisation de l'espace par l'économie est un frein aux grands programmes de connaissance et d'exploration de l'univers, il faut faire remarquer que le transport spatial n'est que très peu dépendant du type d'application spatiale.

Cependant, le marché commercial pousse vers le développement de lanceurs de plus en plus gros. Ceci a deux conséquences pour les grands programmes d'exploration et de développement qui sont favorables pour certains dans la mesure où le lanceur Ariane 5 est aujourd'hui un lanceur parfaitement adapté pour les missions interplanétaires telles que les missions martiennes.

A l'inverse, la tendance à l'évolution vers de gros lanceurs fait que les missions de lancement pour des satellites de taille plus modeste, tels que les satellites que Monsieur le Ministre a évoqués dans son introduction, nécessitent aujourd'hui un moyen de lancement adapté. La séparation entre le besoin commercial d'un côté et les besoins d'activité observation scientifique de l'autre est en train de se creuser.

En résumé, la puissance publique doit favoriser le marché, fixer les règles et le soutenir. Le marché de transport spatial ne peut pas encore se développer sans un fort soutien de la puissance publique.

M. REVOL - Je passe la parole maintenant à Monsieur DAVIS, directeur général de l'Agence spatiale britannique.

M. DAVIS - J'ai lu ce matin dans Le Monde une publicité qui vous propose des vacances en AngleTerre. Il est dit que si vous cherchez une autre planète, c'est juste en face... Nous verrons parce que je vais parler de la politique spatiale du Royaume-Uni.

Au cours des années 50, le Royaume-Uni a maîtrisé la technologie des lanceurs et a lancé des fusées comme Black Knight. Il nous reste encore une petite base de lancement (un des Kourou de cette époque), un élément de notre patrimoine industriel que l'on peut visiter en touriste sur l'île de Wight.

Il s'est avéré peu à peu que le gouvernement britannique manquait de ressources pour développer cette technologie seul, en concurrence avec les Etats-Unis et les Soviétiques. On a donc tenté de faire des efforts européens et on a fini par participer -avec la France, l'Allemagne et d'autres pays- à un programme qui a réalisé une série de lanceurs de plus en plus efficaces et performants et qui a connu un grand succès. Ariane 4 a remporté, pour l'Europe, à peu près 60 % du marché mondial soumis à la concurrence. C'est un exemple impressionnant et formateur de la construction européenne que nous abordons maintenant à plus grande échelle. Et c'est la France qui, depuis les années 60, consacre d'énormes efforts aux lanceurs, qui s'est placée en tête de cette entreprise.

La Grande-Bretagne est un des pays membres fondateurs de l'Agence spatiale européenne (l'ESA) qui a rassemblé, il y a 25 ans, les efforts faits dans le domaine des lanceurs et ceux des scientifiques dans les domaines de l'astronomie et de l'exploration des planètes. L'Agence a créé et alimenté la capacité industrielle dans le domaine des télécommunications qui se restructure actuellement en deux sociétés intégrées, Alcatel et Matra-Marconi-Dasa-Alenia. L'ESA a développé aussi le système de satellites météorologiques géré et continué par l'EUMETSAT et a utilisé la technologie de surveillance par satellites d'origine militaire pour les recherches scientifiques sur le climat et l'environnement de notre planète, ce que l'on appelle l'observation de la Terre.

Au cours des années 80, l'Agence s'est lancée dans le domaine du vol habité avec le projet Hermès et le début du programme Ariane 5 conçu à l'origine pour mettre en orbite des astronautes. Ces programmes imposaient un doublement des budgets consacrés à l'espace et c'est alors que le Royaume-Uni a dû décider s'il y participerait ou non.

Rétrospectivement, on peut constater sans difficulté que le vol habité est devenu plus coûteux que prévu. Hermès n'existe plus, le programme Ariane 5 a dû faire évoluer son lanceur, à travers plusieurs étapes, vers les besoins des marchés commerciaux, un processus qui reste à effectuer complètement.

La Station spatiale internationale a connu des problèmes successifs, surtout à cause des problèmes de la Russie.

Ces dernières années, le vol habité a même suscité des controverses en France et en Allemagne et des débats très vifs sur les priorités. Mais, à l'époque, la décision de s'isoler de ces programmes a été dure pour le Royaume-Uni et beaucoup discutée par nos pays partenaires. Par la suite, nous nous sommes engagés dans une politique d'utilisation de l'espace -ce que l'on appelle en anglais "putting space to work".

Nous avons réalisé de bons résultats dans cette voie mais, en même temps, nous avons appris une bonne leçon dont il faut tenir compte à une époque où les activités spatiales deviennent de plus en plus sérieuses et commerciales : la jeunesse et le grand public s'intéressent peu à l'espace en tant que fournisseur de services comme la météo, la télévision et les télécommunications -dont ils sont néanmoins des consommateurs très exigeants- et ils s'intéressent beaucoup à l'aventure des nouvelles frontières et même à l'Homme dans l'espace.

Le BNSC (Centre national britannique de l'Espace), dont je suis directeur général, travaille depuis 14 ans en partenariat avec dix organisations publiques engagées dans divers aspects du sujet.

Comme les ministères de la Défense, de l'Environnement et du Transport, la Météo Royaume-Uni, les Conseils de recherches responsables de l'astronomie et de l'environnement, et les centres techniques du RAL et de la DERA, ont chacun leur propre financement et nous dépensons ensemble environ 2 MdF chaque année sur des programmes civils. Le ministère de la Défense consacre en outre environ 1 MdF au programme militaire, en particulier au système de satellites de communication Skynet qu'il gère à part comme système opérationnel militaire.

Le BNSC a la double fonction de conseiller le ministre de l'Espace et de coordonner, en tant que quasi-agence spatiale, les efforts des partenaires gouvernementaux, de l'industrie et de la communauté scientifique. Nos objectifs actuels sont :

- chercher à réaliser une science spatiale de très haute qualité,

- améliorer la connaissance de l'environnement et des ressources par l'observation de la Terre,

- avancer et développer l'utilisation commerciale de l'espace,

- soutenir l'industrie spatiale britannique.

Dans le domaine de la science, on peut mesurer, sinon les résultats eux-mêmes, au moins l'activité des chercheurs et l'on trouve par exemple que les scientifiques du Royaume-Uni ont publié plus d'articles dans les journaux professionnels que leurs collègues de presque tous les pays européens.

Dans l'observation de la Terre, les comparaisons sont semblables. Sur les marchés commerciaux, on peut mesurer le produit total de l'industrie, ce qui représente un montant -environ 7 MdF par an- qui dépasse de deux ou trois fois le montant du financement public.

Le passé du secteur spatial présente un sujet assez intéressant dont je pourrais parler plus longuement, mais c'est l'avenir que nous devons préparer.

Là, je dirai franchement que l'Europe a connu ses succès dans les domaines de la science et des lanceurs mais il nous reste à faire des progrès dans les autres marchés commerciaux. Les Etats-Unis dominent les deux marchés qui offrent les plus grandes possibilités de croissance et de profit -les télécommunications et la navigation.

Que peut-on faire face à ce défi et à tous les autres enjeux qui nous entourent ? A notre avis, il y a cinq points :

1. Il faut encourager la restructuration de l'industrie. Nous, Britanniques, avons commencé le processus il y a cinq ans avec la fusion de la filiale spatiale de British Aerospace et de Matra Marconi. L'Europe arrive à deux groupes autour d'Alcatel et de Matra. Pour l'avenir, on peut envisager soit un groupe européen soit deux groupes transatlantiques.

2. L'Europe doit démarrer de nouveaux programmes gouvernementaux. Dans les télécommunications, il s'agit de soutenir les efforts des industriels en tant que partenaires avec les technologies clés. Dans la navigation, il s'agit de faire évoluer un système qui répondra aux besoins des utilisateurs et, comme première étape, on peut prévoir une collaboration entre l'ESA et l'Union européenne.

3. Il faut préparer une stratégie spatiale européenne. Il peut sembler incroyable qu'une telle stratégie n'existe pas mais c'est la vérité. L'année passée, la présidence britannique a promu une résolution commune entre l'Union européenne et l'ESA s'agissant de la coopération entre les deux organisations, adoptée en juin. Maintenant, toutes les deux doivent préparer une stratégie dans un effort commun avec tous les acteurs de l'espace.

4. Il faut coordonner les efforts des agences spatiales européennes d'une façon plus importante que par le passé. Il s'agit de la réforme de l'ESA qui doit offrir aux Etats membres les moyens les plus efficaces de réaliser leurs objectifs. Mais il faut en outre bâtir une construction plus européenne entre les agences nationales et entre les agences et l'ESA.

5. Enfin, il faut renforcer le succès déjà existant. Dans les domaines de la science et de l'observation de la Terre, on peut impliquer les chercheurs plus directement dans la préparation et la gestion des missions et utiliser des moyens moins coûteux. La mission Mars Express, par exemple, sera effectuée avec un budget de 160 M € , ce qui représente 25 % du coût des grandes missions scientifiques traditionnelles.

Il ne faut pas oublier parmi ces mesures, comme je l'ai déjà dit, que l'aventure de l'espace est ce qui fait rêver. Il y aura une conférence de l'ESA au niveau ministériel en mai à Bruxelles, j'espère qu'on y verra du progrès sur tous ces points.

M. REVOL - Je donne maintenant la parole à Monsieur LUTON, Président directeur général d'Arianespace.

M. LUTON - Je ne vais pas resituer Arianespace mais, par rapport à la question que vous avez posée, ArianeSpace constitue un exemple et un ancêtre dans le système public/privé puisque c'est au monde la première compagnie créée pour avoir la responsabilité du transport spatial, et qu'elle a été créée à un moment où seules les agences pouvaient prendre la responsabilité de mettre des satellites en orbite.

Cela a été un pari tout à fait osé avec un partenariat entre la puissance publique (CNES) et un certain nombre de sociétés industrielles qui étaient partenaires dans la fabrication et l'élaboration du lanceur.

Nous devons analyser non pas comme une rupture la question que vous posez mais comme une évolution progressive. C'est une évolution progressive puisque, en 1981, ArianeSpace était uniquement chargée de la production, elle était chargée de la vente et des opérations sur le pas de tir. C'est ce qu'elle a fait depuis une vingtaine d'années.

Aujourd'hui, une évolution est nécessaire puisque, dans les discussions qui existent entre la puissance publique et l'organisme chargé de vendre, de produire et d'opérer, un lien est en train de se créer pour que l'orientation des produits spatiaux en Europe tienne très largement compte du marché en termes d'orientations techniques. Tout ceci est une novation en train de se réaliser.

Ceci dit, il ne faut pas rêver, il est clair qu'actuellement, quel que soit le pays du monde, il n'est pas possible d'imaginer que seul le marché permet d'avancer.

Pourquoi ? Parce que, sur le plan général, aucun de nos concurrents ne respecte véritablement une démarche autonome en termes de financement par le marché et parce qu'il existe des aspects extrêmement forts sur le fait que les commandes gouvernementales sont extrêmement discriminées. Quand je regarde les chiffres qui ont été cités, quelle est la part du marché gouvernemental à l'intérieur des commandes de transport spatial aux Etats-Unis ? Elle est aujourd'hui de 60 % alors qu'en Europe nous sommes beaucoup plus proches de 10 %.

C'est un point sur lequel nous ne sommes pas à égalité et il faut forcément qu'il y ait des compensations. Je ne dis pas des compensations dollar pour dollar ou euro pour euro mais il faut véritablement tenir compte de cette discrimination, et c'est pourquoi la question qui se pose encore aujourd'hui avec la prochaine conférence interministérielle est tout à fait vitale.

Il ne faut pas croire qu'avec notre génie -nous en avons- en Europe nous pourrons nous battre seuls alors qu'aujourd'hui le moindre essai de moteur aux Etats-Unis se fait dans des installations gouvernementales à des coûts marginaux alors que chez nous, les installations d'essai se trouvent chez les industriels et qu'il faut payer avec le prix industriel le fonctionnement de ces installations.

Il ne faut pas rêver n'importe quoi mais il ne faut pas nous jeter la pierre, nous avons évolué de façon considérable. Pour la série d'Ariane 1, il a fallu que les Etats européens financent les lancements correspondant à la première série de promotion. Aujourd'hui, ArianeSpace le finance pour toutes les adaptations qui ont trait à l'industrialisation du lanceur.

Je n'ai pas parlé là des évolutions parce qu'elles nécessitent des investissements plus lourds. C'est pourquoi il nous faut globalement pouvoir continuer à travailler avec un changement de frontières progressif mais une réalité de partenariat avec les gouvernements.

Je voudrais vous dire quelques mots sur la situation qui se présente dans le monde, face à l'Europe mais aussi face à nos amis japonais, face à nos amis russes. Quelle compétition aurons-nous ?

En 1995, nous avions à faire à une concurrence limitée : à cette époque, les lanceurs russes n'étaient pas encore véritablement rentrés dans le marché mondial, nous avions les lanceurs américains connus, nous avions un système de lancement principal qui était l'orbite géostationnaire car, pour les lanceurs, au point de vue économique et commercial, 80 % relèvent des télécommunications, domaine où l'économie intervient et la croissance pousse les demandes en termes de satellites mais aussi en termes de lanceurs. Nous avions une spécialisation avec le lanceur.

Dix ans plus tard, en 2005, dans toutes les initiatives qui paraissent sur le marché, nous observerons une montée en puissance de nos collègues américains (Delta 4, Atlas 5) et une évolution des orbites (ce n'est plus seulement l'orbite géostationnaire) vers des engins plus intelligents, capables de plus d'acrobatie, de sophistication, de plusieurs propulsions au cours d'un vol.

Tout cela nécessite une adaptation qui a été rendue nécessaire par une observation extrêmement rapide de l'évolution de l'environnement : les besoins de satellites de plus en plus gros sont apparus en l'espace de 2/3 ans et sont devenus crédibles parce qu'une concurrence apparaissait et devenait crédible pour les constructeurs de satellites.

Face à cela, cette intensification de la concurrence, cette diversification du marché vont conduire aussi à une compétition plus sévère. Il nous faut aussi nous préoccuper de maintenir notre compétitivité dans les années qui viennent, compétitivité qui, inévitablement, nous amène à une réduction des coûts permettant une réduction adaptée des prix pour maintenir cette évolution.

On ne peut pas lâcher tout à la fois, se dire qu'on amortit les développements (ce n'est fait nulle part ailleurs) et qu'en même temps on renforce les armes pour pouvoir se battre sur ce futur terrain de bataille.

C'est un élément qui doit être pris en compte dans nos débats. Ce n'est pas pour le plaisir de demander de l'argent, et d'ailleurs, tous les jours, nous faisons des économies, j'ai même des partenaires industriels qui trouvent qu'on leur demande trop, tous ne font pas exactement la même chose, il reste à affiner cette partie. Mais, sachez que des efforts sont faits tous les jours et nous ne relâchons pas notre effort mais nous ne pouvons pas tout faire à la fois, il faut qu'un accompagnement intelligent de la puissance publique se poursuive pour la situation que nous allons rencontrer.

Il ne s'agira pas de nous sauver malgré nous mais d'accompagner nos efforts puisque, pour pouvoir être tout à fait adaptés, il faut que nous puissions modifier nos performances et adapter notre lanceur à ce qui est le plus nécessaire pour le marché.

Je voulais marquer le coup : nous ne pouvons pas nous passer de la puissance publique, surtout au vu de la dynamique dans laquelle nous allons devoir réagir.

Un autre point qui me préoccupe et qui est à la base des réflexions en cours, c'est la notion de gamme de lanceurs parce que tous les lanceurs ne permettent pas de faire tout à la fois de façon économique.

Nous sommes en cours d'examen d'une proposition que nous ferons à notre conseil d'administration mais aussi que nous présenterons aux institutions puisque ceci aura des conséquences.

Il y a les petits lanceurs, le lanceur Vega que nous regardons avec beaucoup d'attention mais, pour qu'il soit compétitif au début, il faut que le marché soit institutionnel au début et permette d'engager les éléments de la série de promotion. Ensuite, pour les lanceurs intermédiaires, nous sommes en train de regarder différentes solutions, la prolongation d'Ariane 4, Soyuz 2, et peut-être à Kourou. Sachez qu'il y a beaucoup d'innovations dans le tuyau et que nous sommes prêts à réagir, mais pas seuls.

M. REVOL - Je donne la parole à Monsieur LE GALL, Président directeur général de STARSEM, la jeune société dont nous avons remarqué les récents succès.

M. LE GALL - Je vous remercie, Monsieur le Président. Je remercie aussi Monsieur Claude ALLÈGRE qui a fort aimablement salué les succès de nos deux premiers vols.

Pour reprendre les thèmes que vous nous avez demandé d'illustrer, je voudrais effectuer quelques rappels.

La maturité acquise par certains acteurs du domaine spatial, notamment industriels, fait que l'on peut aujourd'hui classer les activités spatiales mondiales en deux catégories, en fonction de la logique qui préside à leur développement.

Ainsi, à côté de secteurs peu ou pas rentables à court terme, tels que la recherche scientifique ou technologique, le développement d'applications de type service public ou la présence humaine en orbite, où l'implication de l'Etat demeure fondamentale et indispensable, s'est développée une gamme d'activités financées directement par les revenus tirés du marché.

Ce secteur d'activité, qui génère aujourd'hui un chiffre d'affaires considérable, regroupe la construction des satellites et l'exploitation des lanceurs, c'est-à-dire leur production et la commercialisation des services de lancement associés. Le premier domaine est assez largement dominé par les Etats-Unis ; le deuxième est dominé par les Européens qui s'adjugent environ la moitié du marché.

En parallèle, le développement des lanceurs lourds reste encore aujourd'hui dépendant, directement ou non, des finances publiques. On peut cependant raisonnablement estimer que la part des investissements publics qui lui est consacrée va au mieux se stabiliser dans un proche avenir sous la double action d'un certain tassement des ressources budgétaires des Etats et d'une certaine volonté d'autonomie des acteurs industriels concernés.

En d'autres termes, l'activité spatiale mondiale semble donc avoir tendance aujourd'hui à se partager entre deux domaines : d'une part, celui relevant de la compétition mondiale, d'autre part, celui se prêtant à une coopération internationale.

C'est dans ce contexte que se définit l'activité de STARSEM. Notre activité démontre, en effet, que ces deux domaines, compétition et coopération, ne sont pas rigoureusement distincts et qu'un environnement très concurrentiel peut susciter la mise en place de coopérations profondes.

La création de STARSEM, en 1996, par Aérospatiale, ArianeSpace, l'Agence spatiale russe RKA et le Centre spatial de Samara répondait tout d'abord à la nécessité de compléter la gamme des lanceurs Ariane en disposant d'un lanceur, Soyuz, disponible, fiable et compétitif. Mais, plutôt que de créer une simple société de commerce, à l'instar de la joint venture russo-américaine ILS créée pour le lanceur Proton, les actionnaires de STARSEM ont souhaité, dès sa fondation, faire de la société un véritable pôle de partenariat européano-russe dans le domaine de l'espace.

Ce souhait reposait sur la conviction que la poursuite du succès de l'industrie européenne des lanceurs passe par l'adoption d'une logique intégrée liant étroitement à la fois les évolutions, la fabrication et la commercialisation du ou des lanceurs exploités par l'Europe. C'est d'ailleurs ce qui existe aux Etats-Unis avec Boeing et Lockheed Martin, à la fois constructeurs de lanceurs et vendeurs de services de lancements.

Ainsi, au-delà de la commercialisation exclusive du lanceur Soyuz sur le marché mondial, l'intervention de STARSEM s'étend à toutes les étapes du processus de fabrication et de mise en oeuvre du lanceur. STARSEM assure le suivi de la fabrication des lanceurs par l'usine de Samara, au sud-est de Moscou, participe au développement de versions spécifiques destinées à prendre en compte les besoins de ses clients (étages IKAR et FREGAT, nous envisageons le développement d'une version améliorée du lanceur).

Par ailleurs, à la suite d'investissements importants réalisés sur le champ de tir de Baïkonur, STARSEM dispose aujourd'hui des installations nécessaires à la préparation des satellites de ses clients et à l'hébergement de ces derniers. De ce point de vue, je remercie pour l'intérêt qui nous a été porté lors de notre dernière mission par une délégation parlementaire venue constater de visu les investissements que nous avons réalisés au Kazakhstan.

Le succès des deux premiers vols de STARSEM, le 9 février et le 15 mars derniers pour le compte de l'opérateur américain Global Star, et le carnet de commandes de la société assuré par des acteurs spatiaux publics et privés de tout premier plan, dont l'Agence spatiale européenne, démontrent a posteriori la justesse du choix effectué par nos actionnaires il y a deux ans.

Un autre aspect qui me semble aussi exemplaire de notre activité est celui d'une répartition idéale des rôles entre la sphère publique et les acteurs privés. Confrontée à une concurrence internationale sévère où n'interviennent que les forces du marché, STARSEM repose sur une logique essentiellement commerciale. Pour autant la présence de la RKA, l'Agence spatiale russe, dans notre actionnariat, qui constitue la garantie de la pérennité des engagements russes, tout comme la présence des pouvoirs publics français à travers ArianeSpace et le CNES, en qualité de censeurs, sont des éléments essentiels pour assurer le développement de nos activités.

Nous avons pu aussi le constater avec la mise en place récente d'un cadre réglementaire adapté à nos activités, notamment en matière douanière, qui a nécessité l'intervention des autorités des pays concernés. Je vous laisse d'ailleurs imaginer que commercialiser et exploiter, à partir de Paris, un lanceur construit à Samara, lancé depuis Baïkonur, avec des clients majoritairement situés sur la Côte Ouest des Etats-Unis ne va pas sans un dialogue permanent avec les pouvoirs publics des Etats concernés.

En conclusion, il me semble que les deux tendances lourdes qui sont en train de façonner le monde spatial de demain, compétition et coopération, n'épargneront pas l'Europe. Les activités spatiales européennes liées au marché conserveront leur niveau d'excellence si elles sont menées par des acteurs industriels de niveau mondial, capables de coopérer sur des projets d'envergure mais épaulés par un pôle public fort qui saura, sans interventionnisme excessif, créer les conditions pour qu'ils affrontent sereinement la compétition mondiale.

En ce sens, le domaine des lanceurs, à la frontière des domaines d'intervention publics et privés, représente un champ d'application exemplaire pour une Europe forte à la conquête de nouveaux marchés mondiaux.

De ce point de vue, Monsieur le Président, le débat que vous avez suscité apportera -j'en suis sûr- une contribution essentielle à cette réflexion fondamentale pour l'avenir de notre activité.

Je vous remercie.

M. REVOL - Je me suis personnellement beaucoup réjoui de la création de STARSEM. En 1993, dans le cadre de l'Office parlementaire, un rapport m'avait été confié sur les transferts de technologies entre les pays de l'Est et la France ; dans mes propositions, à l'époque de la négociation Lockheed Martin, pour l'utilisation de la fusée Proton, j'avais indiqué qu'il serait souhaitable qu'une collaboration russo-européenne ait lieu dans le domaine des lanceurs. Vous l'avez donc réalisée, merci.

Je passe la parole à Monsieur le Sénateur LAFFITTE, rapporteur pour avis des crédits de la recherche scientifique et technique au Sénat et qui a été l'auteur, au sein de l'Office parlementaire, de différents rapports sur des applications de l'espace.

M. LAFFITTE - Je crois que tout a été dit concernant la satisfaction de la plupart des personnes ici présentes et je crois qu'il y a là pour le Sénat une occasion de se réjouir car il est vrai qu'il s'agit d'un sujet non seulement d'actualité mais d'avenir. Je crois que les utilisations de l'espace et, d'une certaine façon, la volonté d'avoir non pas une situation monopolistique sur notre planète mais une situation oligopolistique pour développer ces applications de l'espace, sont capitales.

Vous avez pris cette initiative ; pour ma part, j'en avais prise une il y a un peu plus d'un an dans le cadre d'un groupe du travail du Sénat "Innovations et Entreprises" où nous avions évoqué les problèmes des applications des satellites. Une autre réunion internationale se tiendra vers la fin de cette année à Sophia-Antipolis avec beaucoup de partenaires européens, japonais, américains, russes. Il y a là véritablement une nécessité de réflexion.

Je prendrai deux exemples : l'exemple d'un monopole actuel, le GPS, qui correspond à une utilisation croissante non seulement au niveau militaire, au niveau civil et stratégique mais aussi au niveau grand public, ne saurait être sous domination d'une seule société, fût-elle très importante, très compétente et très soutenue par un gouvernement ami. Il y a donc nécessité absolue de développer le GNSS 2 dans les plus brefs délais et dans des conditions aussi bien d'appui des pouvoirs publics européens, nationaux que plurinationaux puisque l'on peut aussi concevoir que des procédures du type Eurêka puissent y être associées.

Un autre monopole potentiel me paraît très important à évoquer ici, c'est l'ensemble des satellites basse altitude. Le projet Teledesic en particulier ou le projet Sky Bridge . Il est certain qu'il serait peu raisonnable, dans les conditions actuelles, de considérer qu'un monopole pour des constellations de satellites basse altitude se développe. Il conviendra de faire en sorte que plusieurs se développent.

Ceci pose tout de suite le problème d'affectation des fréquences. Il y a là aussi des négociations internationales et nous avons vu qu'elles n'étaient pas toujours d'une facilité extrême.

Un autre point me paraît important à évoquer. J'ai bien compris ce que disaient tous les industriels ici présents, à savoir qu'il n'était pas question de baisser la garde et de faire en sorte que le marché gère les affaires alors que, par ailleurs, dans d'autres régions du globe, il était évident que les pouvoirs publics, de diverses façons, intervenaient.

Au Sénat, nous militerons pour que les crédits consacrés à l'espace dans le domaine de la recherche, d'une part, et dans le domaine de la défense, d'autre part, soient importants, et je souhaiterais pour ma part que ceci soit relayé par nos amis dont je vois un éminent représentant en la personne d'Alain POMPIDOU ici au niveau européen. Je crois qu'il y a là une nécessité absolue. Il n'y a pas pour le moment de financement via la défense en Europe, j'espère qu'il y en aura bientôt et que nous pourrons avoir le même type d'activité que nos amis d'outre-Atlantique.

On n'a pas évoqué ici le problème qui, dans le domaine des autoroutes de l'information, commence à apparaître comme crucial, c'est-à-dire quel contenu pour les services qui seront fournis, soit en matière d'observation Terrestre, soit en matière d'utilisation pour les télécommunications.

Je pense qu'il y aura là une explosion puisque, de plus en plus, on constate que ces services peuvent être énormes. En particulier, il existe des marchés potentiels considérables, notamment pour tout ce qui est localisation géographique. Je pense en particulier à toutes les opérations faites par les collectivités locales.

Les collectivités locales ont, chaque année, des quantités de problèmes à gérer qui nécessitent des marchés relativement petits (400 KF, 500 KF, 1 MF) mais que l'on doit multiplier par leur nombre. Il s'agit des opérations d'aménagement du territoire, des plans d'occupation des sols, des schémas de développement, d'aménagement et d'urbanisme, des plans de protection contre les incendies, contre les mouvements de terrain, contre les inondations, les constructions de routes, etc. Tout cela nécessite des sommes qui représentent des dizaines et des dizaines de milliards de chiffre d'affaires potentiel dont une grande partie peut être liée à des petites sociétés qui font de l'observation de satellite, donc de la gestion de contenu de programme.

De même, les développements prodigieux des usages télématiques avec les progrès à la fois des questions de logiciels, des questions de gestion de protocoles de transmission et de redistribution, toutes les questions concernant les immenses champs d'application que constituent la télémédecine, le téléenseignement, les téléservices, etc., représentent des chiffres d'affaires considérables et représentent un ensemble de petites entreprises qui ne sont pas représentées ici, qui ont une flexibilité et une importance non négligeables.

Toutes ces petites entreprises qui ont en la matière des compétences vont voir et voient déjà leur chiffre d'affaires augmenter de façon considérable avec l'augmentation presque imprévisible du type d'utilisation que provoque le développement notamment de la téléphonie mobile utilisant Internet, avec les progrès concernant l'utilisation des réseaux large bande.

Il y a donc indiscutablement beaucoup de choses à venir du côté du marché mais qu'il faudra peut-être aussi, que d'une certaine façon, les pouvoirs publics aident à naître et à se développer.

Voilà ce que je voulais dire en remerciant toutes les personnes qui viennent de s'exprimer.

M. REVOL - Je donne la parole à Monsieur HERTEMAN, Directeur général de la division SEP de SNECMA.

M. HERTEMAN - Messieurs les Députés, Messieurs les Sénateurs, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs,

Les intervenants qui m'ont précédé ont très clairement fait apparaître l'importance stratégique du secteur spatial pour l'économie française et européenne, et aussi le rôle essentiel que joue la puissance publique dans le cadre de son développement.

Le rôle central de l'industrie des lanceurs, à l'intérieur de l'activité du secteur spatial, a été aussi largement démontré. De toute évidence, le lanceur est un outil indispensable pour qui veut maîtriser son destin dans les activités de l'espace, que ces activités soient scientifiques, stratégiques, industrielles ou commerciales.

Cependant, il faut avoir clairement conscience que les lancements spatiaux sont un domaine économique encore en pleine évolution. Nous avons évoqué la croissance du nombre des lancements annuels liée à celle du secteur des applications spatiales, et en particulier à celle des services de la télécommunication ; cette croissance s'accompagne d'un durcissement progressif mais sévère de la concurrence et d'une segmentation et d'une complexification du marché.

Dans ce contexte, il est indispensable que le lanceur Ariane soit en mesure de répondre de plus en plus rapidement aux attentes des clients en termes de disponibilité, de performance, de prix et de fiabilité.

L'entrée de nouveaux acteurs extrêmement compétitifs (je pense bien sûr au projet ELV de nos amis Boeing et Lockheed Martin), qui reprennent à leur compte tout ou partie des caractéristiques qui ont fait le succès d'Ariane, mérite une attention particulière de notre part.

Il est donc heureux que de nouvelles dispositions d'organisation aient été récemment adoptées entre ArianeSpace et le CNES ; elles sont de nature à améliorer notre réactivité face au marché.

D'une façon générale, la problématique du motoriste que je représente ici est simple : le lanceur est dépendant du marché spatial des applications, le moteur est, lui, dépendant du marché des lanceurs. Il présente cependant un certain nombre de particularités qui méritent d'être évoquées ici.

En premier lieu, il doit être extrêmement fiable. Son prix, son poids interdisent une réelle redondance à l'opposé d'autres systèmes de transport comme le transport aérien. Et pourtant, dans le cadre de la propulsion liquide, c'est une machine très complexe ; dans le cadre de la propulsion solide, il ne peut être testé avant lancement, et toute déviation légère sur les performances et les caractéristiques du moteur va mettre en danger la mission, tout écart sensible va provoquer une perte du lanceur ou de son satellite.

Dans le même temps, on attend de ce moteur une performance élevée toujours aux limites de la faisabilité technique : 2 % de consommation en moins se traduisent par 300 à 500 kilos de charge utile gagnée sur un satellite de l'ordre de 3 à 5 tonnes.

En conséquence, le coût de développement du moteur, qui allie la complexité et la fiabilité aux exigences de performance comme aux nombreux essais qui sont nécessaires, reste important par rapport au coût de développement de l'étage sur lequel il est placé, et son délai de développement est au moins égal, souvent supérieur, à celui du reste de l'étage.

Il résulte de ces points que les moteurs d'un lanceur constituent réellement des sous-ensembles dimensionnants au sens propre du terme dans le cadre d'un programme de développement de lanceurs.

SNECMA, par sa division SEP, fournit avec ses coopérants européens les systèmes propulsifs qui ont permis au lanceur Ariane les succès que l'on connaît depuis 1979.

Au-delà de la fiabilité exigée par le marché, SNECMA a su, par ses efforts constants, contribuer à la compétitivité de ces lanceurs ; je citerai simplement l'exemple de notre moteur Viking qui offre le ratio prix à la poussée le plus bas du monde occidental.

Le secteur de la propulsion spatiale européenne regroupe, autour de SNECMA, une demi-douzaine d'acteurs européens partenaires d'ArianeSpace, qui constitue le seul marché qui leur soit aujourd'hui accessible.

Je voudrais souligner que la situation est assez comparable à celle existant dans tous les pays qui disposent d'un accès autonome à l'espace dont les Etats-Unis. Elle résulte des coûts importants d'acquisition et d'entretien des filières technologiques de lanceurs et de moteurs, associés à des prix de vente et en tout cas aux prix de vente sur le marché spatial commercial qui ne prennent pas en compte l'amortissement des coûts de recherche et développement. Cet équilibre biaisé interdit jusqu'à aujourd'hui une réelle compétition industrielle au-delà de celle organisée au niveau des Etats eux-mêmes.

Je donnerai un simple exemple : le coût de développement d'un nouveau moteur cryotechnique pour étage supérieur est du même ordre de grandeur que le chiffre d'affaires prévisible pour une série de cent moteurs de ce type au prix accepté par le marché et une série de cent moteurs pour ce type d'application est un succès qui n'est pas atteint tous les jours.

Il est donc très clair que, dans le domaine de la propulsion des lanceurs au moins, aucun développement nouveau ne peut aujourd'hui intervenir en Europe sans un effort important des pouvoirs publics en recherche et développement. Cette contrainte est d'autant plus forte en Europe que notre industrie ne bénéficie pas autant qu'aux Etats-Unis ou en Russie des financements et des volumes qui ont résulté de programmes ou d'applications militaires.

Certains pourraient redouter que ce nécessaire soutien de la part des Etats européens n'empêche ou au moins n'incite pas suffisamment à une recherche de la meilleure compétitivité possible de la part des industriels. Pour ce qui nous concerne, nous sommes totalement conscients des limitations des financements publics et nous agissons constamment pour améliorer la compétitivité de nos développements et de nos productions de moteurs d'Ariane, du succès de laquelle nous dépendons totalement.

Je voudrais vous montrer deux illustrations qui montrent que, dans le domaine des moteurs cryotechniques, sur les 10 à 15 dernières années, entre le moteur du premier étage d'Ariane 5 et le futur moteur Vesco qui sera utilisé sur l'étage supérieur d'Ariane 5 amélioré, nous avons réduit nos coûts de développement d'un facteur 2, en les ramenant à une même échelle de taille de moteur, et nous avons réduit nos durées de développement d'un tiers.

Il faudra bien sûr aller plus loin. Au-delà d'un bénéfice de restructuration industrielle évoqué par Armand CARLIER, je crois qu'une meilleure économie d'ensemble pourrait aussi être obtenue au prix d'un effort accru, tant en niveau quantitatif qu'en cohérence et continuité dans le temps, de recherche et de préparation des technologies incluant des programmes de développement exploratoires ou probatoires.

L'expérience nous prouve qu'en agissant ainsi, les développements des moteurs eux-mêmes verraient leur cycle, leur coût et leurs risques diminuer sensiblement. Naturellement, une telle politique nécessite du temps pour être mise en place et porter des fruits, et le niveau technologique de notre industrie ne peut souffrir d'aucune impasse.

Il est donc nécessaire que la génération des moteurs, dont le besoin se fait sentir dès aujourd'hui (je pense plus particulièrement au moteur cryotechnique d'Ariane 5 aux performances améliorées, également au lanceur Vega), recueille rapidement le soutien étatique qui lui est indispensable.

Nous le savons bien, une fois perdues, les parts de marché ne se regagnent que très difficilement et très rarement.

Je vous remercie de votre attention.

M. REVOL - Je donne la parole à Monsieur RODOTA, Directeur général de l'Agence spatiale européenne.

M. RODOTA - Beaucoup a déjà été dit et je ne peux que rejoindre beaucoup de considérations, en particulier sur la nécessité d'avoir un soutien public dans ce domaine.

Je voudrais démarrer avec un message positif et me joindre aux considérations faites par le Ministre ALLÈGRE quand il a dit qu'il fallait profiter de la matière grise que nous avons en Europe, en rappelant la situation aujourd'hui en Europe.

Au niveau des investissements publics, nous avons 15 % de ce qui est fait aux Etats-Unis mais, en même temps, nous avons à peu près 50 % du marché des lanceurs, 25 % du marché des satellites commerciaux. La partie commerciale au niveau du chiffre d'affaires des sociétés aux Etats-Unis est de 10 % lorsqu'en Europe elle est de 30 %, ce qui signifie qu'aux Etats-Unis ils travaillent beaucoup au niveau des coûts marginaux alors qu'en Europe ce n'est pas la même chose.

Je voudrais ajouter quelques mots à propos de l'assurance satellites lanceurs. Moi aussi, je considère que 1998 a été une année catastrophique en Europe mais, au vu des chiffres, que s'est-il vraiment passé ?

S'agissant des échecs des lanceurs, les sociétés d'assurance ont payé à peu près 600 M$ mais pour des échecs aux Etats-Unis, en Russie ou au Japon.

Tout le monde parle toujours de la fiabilité d'Ariane et en est fier, je suis fier d'être ici aujourd'hui et de représenter l'espace européen parce que ce n'est pas seulement des lanceurs dont il faut être fier. Si vous regardez ce qui se passe au niveau des pannes satellites, la situation est assez étonnante. Les compagnies d'assurance ont payé 1 000 M$ pour des pannes de satellites américains et 60 M$ pour des pannes de satellites européens. C'est donc un rapport de 1 à 16.

Il faut démarrer avec une fierté de travailler dans l'espace en Europe mais, en même temps, ne pas toujours dire qu'il faut profiter de la matière grise se trouvant en Europe et ne pas soutenir le secteur spatial en Europe. On ne peut pas continuer avec un secteur spatial dans lequel le soutien public représente 15 % de celui des Etats-Unis. Il faut changer quelque chose.

Bien sûr, il faut démontrer qu'au niveau du système spatial tous les efforts possibles sont faits pour améliorer la qualité de ce qui est entrepris. J'ai bien entendu ce qui a été dit sur l'industrie et je le partage mais, même au niveau des agences spatiales européennes, il est fait quelque chose.

Bien sûr, on nous reproche parfois le fait que le système de vote dans l'Agence est compliqué, même si je n'en suis pas totalement convaincu, mais c'est quelque chose qu'il faut régler au niveau des Etats-membres, sur lequel l'exécutif peut très peu jouer.

Même chose s'agissant des problèmes des retours industriels, même s'il y a deux ans on a fait un pas en changeant des règles. Aujourd'hui, ce n'est plus aussi rigide qu'il y a quelques années et il faut remercier Monsieur LUTON, je n'étais pas là à l'époque.

Si l'on regarde les problèmes plus spécifiques de l'efficacité de l'Agence, il faudrait partir de quelque chose de solide. Que peut-on faire aujourd'hui à l'Agence ? Depuis longtemps, nous n'approuvons pas beaucoup de programmes. Sur le montant total des programmes en cours, 70 % sont liés à des projets ou contrats déjà signés. Cela signifie que la marge de manoeuvre de l'Agence aujourd'hui n'est pas grande. Je rappellerai que l'année passée, en juin, nous avons tenu un Conseil de l'Agence, au cours duquel nous avons approuvé quelques programmes, en disant qu'il fallait nous revoir un an plus tard pour redémarrer.

Même si les programmes ne sont pas nombreux, nous avons essayé de donner des éléments de réflexion, nous avons démarré des choses différentes. Pour certains programmes cités aujourd'hui comme le lanceur Vega, nous avons essayé de faire un programme qui donne des idées de partenariat avec des indications d'objectifs de coûts pour le programme lui-même.

Avec Artes ou Sky Bridge, c'est un partenariat avec l'industrie et le CNES. S'agissant de la coopération industrielle ou des agences, nous avons signé pour la première phase de GNSS un accord tripartite avec la Commission européenne et Eurocontrol.

Cela signifie que, de notre côté, nous essayons à l'Agence à la fois de regarder les problèmes d'efficacité, comme si nous travaillions dans une industrie, et de voir quels sont les moyens nouveaux à mettre en place pour faire face à la situation nouvelle à laquelle nous sommes confrontés tous les jours.

Il a été dit plusieurs fois qu'il fallait regarder le problème du partenariat avec l'industrie, du partenariat avec les utilisateurs de données satellitaires mais peut-être a-t-on oublié qu'il y avait un autre problème aujourd'hui : d'autres sujets publics commencent à faire partie du jeu. Aujourd'hui, dans le domaine de la navigation, le ministère des Transports joue un rôle important mais je ne suis pas sûr que, dans le futur, dans les systèmes de navigation, il devra être le seul à le jouer. Il faut élargir le cercle et inciter tous les autres ministères à travailler dans l'espace car je ne suis pas sûr qu'en Europe cela soit le cas.

C'est la différence essentielle vis-à-vis des Etats-Unis. Pourquoi ont-ils des avantages ? Parce qu'ils ont un point focal très important qu'est le ministère de la Défense. En Europe, il n'y a pas ce point focal.

Il faudrait élargir le message à tous les interlocuteurs pour le futur de l'Europe.

J'ai retenu une remarque de M. ALLÈGRE selon laquelle on tiendrait le conseil interministériel en mai prochain ou on le repousserait. Bien sûr, la décision revient aux politiques, ce n'est pas à moi d'en décider la date même si je peux la proposer, mais je crois qu'il faudrait le maintenir pour plusieurs raisons que je viens de mentionner mais également parce que les programmes qui ont démarré il y a un an sont en train de s'achever et parce que le marché n'attend pas les décisions politiques.

J'ai entendu beaucoup de voix pour dire que le marché était là et cela s'applique à la navigation, aux lanceurs, aux télécommunications, à beaucoup de choses.

Du côté de l'ESA, il y a tout un intérêt à démontrer l'efficacité du système mais je crois qu'au niveau politique il faut un signe très fort pour dire que l'Europe est prête à prendre la relève dans ce domaine.

Merci pour votre attention.

M. REVOL - Je remercie tous les intervenants de cette première session. Comme convenu, je souhaiterais donner la parole pour quelques réactions aux intervenants de la seconde session sur ce qui vient d'être dit avant de donner la parole à la salle.

M. GODAI - Par rapport à la situation au Japon, vous, les Américains, avez un gros avantage : vous avez des ressources humaines très importantes. Ces compétences, ce niveau de technologie, ces marchés, chaque pays européen les possède.

En fait, chaque pays a des ressources aussi, l'Agence européenne spatiale et chaque pays, tous ces acteurs européens. On peut très bien grouper toutes ces forces et je pense qu'on peut s'attendre à une grande synergie. Cela pourrait créer une grande force potentielle. L'euro est aussi un élément.

Je m'attendais beaucoup à un développement de l'activité spatiale européenne.

M. POMPIDOU - Je voudrais faire de la prospective et faire quelques recommandations aux participants et à vous-même pour la prochaine séance dans deux ans de l'Office d'évaluation parlementaire.

On sait qu'il y a besoin de fonds publics, on nous le matraque au Parlement européen, aux institutions françaises, dans les ministères ; on sait que l'effort général en Europe est bien inférieur à celui des Américains parce que les choses sont sous dépendance de la Défense américaine en grande partie mais je crois que les Français ont été parfaits, comme d'habitude, c'était le choeur des pleureuses.

Effectivement, pour les années à venir et les prochaines présentations en intergroupe à l'Office parlementaire européen, je les engage à apporter des exemples concrets.

Monsieur HERTEMAN a apporté des éléments tangibles et a fini par le choeur des pleureuses. Apportez des éléments tangibles !

M. BRACHET - En fait, je voulais rebondir sur l'intervention de Monsieur POMPIDOU parce que les différents acteurs de l'espace européen n'insistent pas suffisamment sur les retombées économiques réelles quantitatives de l'action publique qui a été menée. Je vais me permettre de le faire très brièvement.

Si vous faites le ratio entre les investissements publics européens sur la filière Ariane, en particulier jusqu'à Ariane 4, et que vous regardez les retombées économiques en termes de production dans l'industrie européenne, vous constatez, suivant les pays, que le ratio est plus ou moins favorable, le meilleur étant celui de l'Irlande (12 fois plus de retour que d'investissement au départ) mais l'Allemagne se trouve avec un ratio relativement favorable d'un facteur 4 : il y a 4 fois plus de deutschemarks qui ont été générés dans l'économie allemande grâce à la production Ariane que de deutschemarks investis par l'Etat allemand.

Dans le cas de la France, le ratio est de 3, même chose pour l'Italie.

Bien sûr, nous espérons que le même bon résultat s'obtiendra avec Ariane 5, lorsque l'on aura terminé son exploitation. Avec Ariane 4, nous avons un recul assez important qui permet de faire ce genre de calcul. La société ArianeSpace a commissionné une étude pour voir les retombées indirectes à travers les impôts, toutes les charges diverses qui permettent de faire un calcul consolidé et ces calculs sont intéressants. Dans ce domaine, ils sont relativement plus faciles à faire que quand on explore les planètes.

Je peux citer un exemple semblable un peu plus complexe qui a fait l'objet d'une étude il y a une dizaine d'années dans le domaine de la météorologie : les retombées économiques en termes de bienfaits pour la société, le plus quantifié possible, avaient été estimées à l'époque où l'organisation Eumetsat se mettait en place et prenait progressivement en main les charges du maintien du système d'observation Meteosat géostationnaire. Là aussi, ces études un peu plus difficiles à réaliser pour la météorologie montraient que, dans son ensemble, l'économie des Etats européens s'y retrouvait très bien. Il faut peut-être ne pas hésiter à mettre en avant ces différents éléments.

M. De JULIO - J'ai suivi avec beaucoup d'attention l'illustration de la politique française. Cela m'a beaucoup intéressé. Il y a quelques doutes concernant les présentations sur la véritable inclination de la France pour les synergies avec le reste de l'Europe.

La France est reconnue comme leader dans le secteur aérospatial en Europe mais c'est dû probablement à sa stratégie claire dans ce domaine et aussi à sa capacité d'investissement qu'aucun autre pays ne peut faire.

Cela ne doit pas signifier que la France doive être le leader dans chacun des compartiments de l'espace. Autrement dit, il serait difficile d'avoir une synergie et, si la synergie est nécessaire en Europe, sa position ne devrait pas être de décourager des initiatives dans les compartiments dans lesquels elle ne joue pas un rôle dirigeant comme nous nous en rendons compte parfois.

Je donne deux exemples : le premier a été celui des petits lanceurs. Nous avons négocié d'abord avec la France puis nous avons demandé que ce programme devienne un programme européen. Nous l'avons négocié à 30 % de participation de la France et nous n'avons eu qu'une participation de 8 %, et d'autres ont apporté 55 %, mais ce sont des problèmes extrêmement difficiles autour de ces programmes. En fait, nous avons les mêmes considérations sur ces programmes.

Il y a aussi la question des investissements industriels, un certain pourcentage, quelle que soit l'implication du coût final. Beaucoup de personnes ont souligné le fait que nous avions besoin d'investissements publics parce que l'industrie ne peut pas retrouver les coûts d'investissement initiaux, ne peut pas rattraper le coût sur les prix de vente mais la même question devrait être posée au sujet de Vega. C'est un morceau de l'offre européenne pour le système de lanceurs.

Je voudrais parler des systèmes d'observation Terrestre dans lesquels la France joue un rôle dirigeant. Pour l'Agence italienne qui investit dans un autre domaine, nous avons demandé une joint venture, les communautés de défense italienne et française ont manifesté leur intérêt mais les négociations sont très lentes pour arriver à un projet, pour présenter à l'ESA un projet européen.

Je voudrais conclure en disant que je ne veux pas être simplement critique, je respecte le leadership français dans le domaine de l'espace ; simplement, nous voudrions une attitude plus flexible et plus souple avec la France pour une synergie différente dans ce domaine.

M. CARPENTIER - J'aurai une remarque qui a trait à ce qu'a dit Monsieur BENSOUSSAN sur la coexistence d'activités d'intérêt général et d'intérêt commercial.

Quelquefois, cette coexistence conduit à des ambiguïtés. C'est le cas de l'imagerie.

Aux Etats-Unis, les images fournies par l'ANSAT sont commercialisées par EOSAT. EOSAT a reçu la mission de pratiquer des prix extrêmement bas pour les agences américaines ou les instituts de recherche. Tout ceci a conduit EOSAT à devenir le pourvoyeur d'images un peu partout dans le monde et à créer à son tour une curieuse concurrence vis-à-vis de SPOT IMAGE ou d'EURIMAGE.

Il faudrait peut-être, dans certains cas, bien trancher ce qui relève de l'intérêt général et ce qui relève de l'intérêt commercial et ne pas mélanger les deux comme on a parfois tendance à le faire.

M. HOFFMAN - J'ai deux commentaires : d'abord, sur la concurrence entre les Etats-Unis et l'Europe dont presque tout le monde parle.

Je voudrais évoquer les mots du directeur de la NASA quand il était ici à Paris il y a un peu plus d'un an, il a dit que pour l'industrie de lanceurs des Etats-Unis, le développement le plus important était l'Orient et cela nous a obligés à améliorer notre lanceur. Mais, comme l'a dit Monsieur RODOTA, le marché n'attend pas et nous sommes en train de créer un nouveau marché, de réduire les coûts de lancement.

Ma seconde remarque concerne la coopération et les relations entre les diverses agences spatiales nationales et l'ESA. Nous pensons que la coopération, surtout dans le domaine scientifique, est très importante. Monsieur GOLDEN a précisé que nous étions prêts à coopérer avec tous, c'est-à-dire avec l'ESA ou avec les agences nationales. Nous ne voulons pas nous impliquer dans la politique européenne et c'est à vous, Européens, d'arranger vos affaires. Nous sommes prêts à coopérer avec n'importe qui.

M. ZAPPA - Quand on parle de la puissance publique dans le business du spatial, il faut faire des considérations financières en tant qu'industriels. La situation de compétition et la libéralisation des marchés ne doivent pas faire oublier la valeur des dotations pour la recherche et le développement.

En tant qu'industrie italienne, avec nos amis européens, nous cherchons à réaliser la grande compagnie européenne de l'espace et nous cherchons à réduire les coûts d'investissement, les coûts financiers pour aller sur le marché.

On doit considérer qu'on ne peut pas attendre de l'industrie européenne et internationale de faire des restructurations, de diminuer les investissements, d'être compétitive sur le marché qui va être libéralisé. Elle n'a pas les conditions financières américaines, surtout pour les petites et moyennes industries, il n'y a pas une bourse avec intégration pour les actions pour les compagnies hight tech à long terme. Je pense que le gouvernement de chaque pays européen doit considérer la privatisation des compagnies, la valeur pour les actionnaires.

Le droit européen doit considérer que c'est le moment pour développer la recherche. Il n'existe pas de banquier qui ne considérera uniquement la compétitivité sur le marché libéralisé à très grand risque s'il n'y a pas dans la même compagnie la dotation, la possibilité de suivre la recherche et le développement de la technologie.

Il peut donc apparaître une contradiction. A partir du moment où les industries vont sur le marché et doivent y aller par la privatisation totale, c'est le moment pour des technologies assez sophistiquées et très coûteuses d'avoir des dotations raisonnables qui permettent d'être compétitifs sur le marché global.

Nous n'irons pas sur le marché si nous n'avons pas cette attitude sur les dotations financières des gouvernements pour la recherche parce que le marché des produits n'attend pas, les marchés financiers non plus. Tous les grands projets dans les télécommunications sont en Amérique, mis sous observation par les banques parce qu'elles y ont investi plus que les prévisions. On ne peut pas investir tous les risques bancaires sur des grands projets.

M. REVOL - S'il n'y a plus de réaction de ce côté, je demande à la salle si des questions se font jour.

Jacques BLAMOND - Je considère comme tout à fait caractéristique que, dans cette noble assemblée sur l'espace, soit absent le plus important de tous les acteurs, c'est-à-dire le militaire. C'est le problème de l'espace militaire qui est essentiel dans les développements comme il l'a été en Union soviétique et il l'est encore aux Etats-Unis, c'est lui qui donne la solidité aux programmes spatiaux. Il n'y en a pas en Europe, c'est le problème majeur dont tout découle.

Cela me paraît un exemple type que dans une assemblée éminemment politique ce facteur soit absent.

M. RODOTA - Bien sûr, mais le rapport que nous avons vis-à-vis des militaires est très grand. Aux Etats-Unis, à travers les militaires, on démarre des programmes qui deviennent par la suite des programmes de pure application commerciale.

On pourrait aussi parler des autres domaines, pas seulement du militaire. Bien sûr, le militaire doit jouer son rôle mais il existe d'autres acteurs qu'il faudrait appeler.

M. REVOL - S'il n'y a plus de questions, je propose de faire une pause.

(La séance, suspendue à 16 h 50, est reprise à 17 h 20)

ELEMENTS DE PROSPECTIVE  « LES NOUVELLES FRONTIERES DE L'ESPACE »

M. REVOL - Les règles du jeu sont les mêmes que pour la première session. Je vous prie de bien vouloir excuser Monsieur MOUYSSET, Président-directeur général de SPOT IMAGE qui a eu un contretemps de dernière minute ; Monsieur BRACHET, Directeur général du CNES, se chargera de nous exposer les éléments principaux de l'intervention qu'il devait faire.

Je passe la parole à mon excellent collègue Pierre DUCOUT, Député, Président du groupe parlementaire sur l'espace qui regroupe des députés, des sénateurs, des députés européens français et qui a entrepris de fédérer les parlementaires européens qui, dans les différents parlements des pays européens, sont particulièrement intéressés à l'espace.

M. DUCOUT - Monsieur le Président, chers collègues, Mesdames et Messieurs,

Je veux simplement faire une introduction à cette deuxième session concernant la prospective, d'abord en me réjouissant qu'il y ait tant d'intervenants de qualité dans les domaines de l'espace rassemblés aujourd'hui au Sénat, en rappelant le rôle du Parlement dans nos institutions nationales.

Avec un premier rôle qui est de voter les budgets publics, civils et militaires, le Parlement a également un rôle pour suivre et évaluer les politiques et pour proposer, préparer et éclairer l'avenir de notre société.

Dans ce cadre, le rapport de l'Office prévu pour le début de l'an 2000 s'inscrit dans cet esprit, de la même manière qu'une mission sur l'évolution et la place de la recherche confiée à un des membres de notre groupe parlementaire sur l'espace, Pierre OCHEN.

Vis-à-vis de tout cela et de ce rapport qui va tomber début 2000 et qui, vis-à-vis du rapport qu'avait fait le Sénateur LORIDANT, doit apparaître près de dix ans après, il devra au moins éclairer sur dix ans à venir, voire plus. Notre groupe parlementaire sur l'espace assure une continuité, une permanence au quotidien en rassemblant plus de 100 à 120 parlementaires, députés, sénateurs et députés européens, pour assurer des liens entre tous les intervenants.

Dans ce cadre, depuis quelques années, nous passons des accords de coopération avec des groupes parlementaires existant de la même manière dans la plupart des parlements européens. Je veux citer en particulier nos amis allemands, italiens, anglais, belges ou espagnols. Nous avons également des liens avec les Etats-Unis, et la NASA (nous avions participé à la réception de John GLENN récemment et reçu Monsieur GOLDIN l'année dernière).

Par rapport à ce rôle, je veux simplement souligner quelques problématiques qui me semblent importantes vis-à-vis du titre " Les nouvelles frontières de l'espace ".

Naturellement, les problématiques qui ont été citées dans la première partie concernaient à la fois la coopération et la compétition ou, comme l'a dit le ministre, la collaboration et l'émulation ; quelques questions me paraissent importantes et pour lesquelles les intervenants qui sont des représentants de nos agences américaine, japonaise, européenne pourront donner quelques éclairages.

Quand on regarde sur une prospective à 2010, un des premiers sujets peut être la vitesse et le niveau d'intégration européenne à cette échelle. Le ministre a parlé d'agences intergouvernementales pour les uns de la même manière qu'un de nos problèmes peut être la mise en place et le rythme de mise en place d'une politique étrangère et de sécurité commune au niveau européen. Il y a eu une question sur la place du militaire et il est indiscutable que si l'Europe, à travers l'ESA, existe en matière civile, pour le moment, il n'y a rien de bien en place pour la partie militaire. Quand on parle de moins de duplications et d'un effet de dualité entre le civil et le militaire, c'est un point particulièrement important.

Il y a à essayer, dans cette interaction européenne, de réfléchir pour savoir si l'on va vers des niveaux équivalents d'engagement public de l'ensemble des pays européens, même si ces niveaux seront inférieurs à celui des Etats-Unis. Est-ce que tous les pays peuvent s'aligner sur le niveau d'intervention de la France par rapport à son produit intérieur brut, étant entendu qu'il n'y a pas de volonté d'aucun des intervenants, et certainement pas de la France, d'avoir un rôle exclusif de leader ? On a eu l'occasion de le souligner pour l'Italie.

Le deuxième point est la vitesse de développement des progrès technologiques et de la société de l'information et des télécommunications, ou de la communication qui explose aujourd'hui.

Un autre point concerne la question du partenariat avec, en particulier, les Etats-Unis. Il me semble que quand on parle de partenariat, il faut dire "partenariat équilibré". Vous aurez noté que dans l'intervention de M. ALLÈGRE, un des problèmes, comme pour tous les intervenants, est de ne pas apparaître comme des partenaires de second rang, de la même manière qu'il y a des entreprises de premier rang, éventuellement des sous-traitants mais des partenaires à part entière.

De ce point de vue, dans le cadre d'une coopération internationale qui vient aujourd'hui après une compétition entre deux premiers rôles qu'étaient les Etats-Unis et l'Union soviétique, il faut absolument trouver cet équilibre dans lequel il y aura à la fois la Russie, le Japon et la Chine.

En matière de navigation, la question sur la mise en place de Galileo est de savoir si dans les dix ans nous serons encore dans une phase de compétition ou de coopération. Au niveau des questions, le problème de l'environnement qui est présenté aujourd'hui avec un certain catastrophisme nécessite, dans les dix ans qui viennent, et peut permettre un certain niveau d'accord mondial mais qui rendra indispensable un contrôle et des suivis normalisés au niveau international.

Par rapport à cela, un certain nombre d'enjeux ont été cités, ce sont les enjeux scientifiques, les enjeux économiques avec une avancée encore plus forte de la mondialisation économique, avec les problèmes du commercial qui nécessitent en particulier une baisse très forte des coûts. Avec la question de l'intégration des industries, est-ce que, dans les dix ans qui viennent, les rapprochements européens seront primordiaux par rapport à des rapprochements entre les pays européens et les Etats-Unis par exemple ? C'est un problème qui se pose, de la même manière que la question de la souveraineté avec l'obligation de suivi des conflits, l'obligation du renseignement qui ne soit pas uniquement octroyé par la puissance dominante mais possible pour tous.

Enfin, dans le cadre de ces enjeux, il y a aussi le problème des enjeux culturels qui sont très forts pour l'ensemble de nos citoyens où que nous soyons. Je crois que l'on ira un peu plus loin, grâce à la baisse des coûts, sur la capacité de maintien de la diversité, de la multiplicité des cultures, grâce par exemple aux satellites permettant à chacun de recevoir où qu'il soit une télévision de son secteur d'origine.

Pour terminer sur ces questions de prospective, en dehors de la baisse des coûts, il a été dit par le ministre mais également par M. DAVIS qu'il fallait rêver. Ce que nous venons de suivre pendant quelques jours avec le premier tour du monde en ballon montre que l'on peut mettre pas mal d'argent dans la mesure où l'on fait rêver nos citoyens. Dans un monde matériel, il faut laisser la part de rêve qui est portée par les médias et il est indispensable qu'ils ne soient pas confisqués par une seule puissance mais qu'il y ait un équilibre.

Si les médias portent d'une manière équilibrée l'effort de chacun, la situation sera différente que celle dans le cadre du projet de Station spatiale internationale où l'image donnée par les médias était celle des Etats-Unis premier porteur et les autres pays porteurs d'eau.

Dans la mesure où il peut être admis qu'il n'y a pas de leadership unique, pourquoi ne pas rêver, d'ici trente ans, que des projets qui sont aujourd'hui présentés par John GLENN, c'est-à-dire un homme sur Mars, ne pourraient pas être un élément fédérateur même s'il y a des priorités scientifiques plus urgentes que l'homme dans l'espace, mais je crois que l'homme dans l'espace peut faire rêver s'il est porté d'une manière équilibrée par tous les partenaires.

Voilà quelques éléments d'introduction. Notre groupe, qui espère pouvoir recevoir tous les partenaires des groupes parlementaires européens d'ici la fin du mois d'avril, reste très présent et sera à vos côtés pour poursuivre votre action et permettre que votre rapport éclaire l'avenir à la fois pour la France, pour le Parlement français mais aussi pour tous les citoyens du monde.

M. REVOL - Je passe la parole à Monsieur HOFFMAN, représentant européen de l'Agence spatiale américaine.

M. HOFFMAN - Monsieur le Président, Messieurs les Députés, Messieurs les Sénateurs,

Je vous remercie d'avoir invité la NASA à vous présenter ses projets, ses objectifs et ses priorités. Tout d'abord, je dois préciser que la NASA ne représente qu'une partie des activités spatiales des Etats-Unis auxquelles participent également le secteur militaire et le secteur privé.

La NASA a dû déterminer comment réagir face à la croissance considérable du secteur privé. Nous prévoyons, de plus en plus, de confier au secteur privé des domaines entiers d'activité qui, traditionnellement, étaient exécutés par nous-mêmes, comme l'exploitation de notre réseau mondial de communications, la gestion de nos nombreux centres de contrôle de mission, et l'entretien de la navette spatiale.

La NASA préfère utiliser ses précieuses ressources humaines pour développer la nouvelle technologie aérospatiale et poursuivre l'exploration scientifique de l'espace.

Aucun nouvel objectif de la technologie aérospatiale n'aura autant de conséquences fondamentales que celui de réduire le coût de la mise en orbite des hommes et des équipements. Aux Etats-Unis, tous les participants à l'activité spatiale, gouvernementaux et privés, s'emploient à relever ce défi. La NASA croit fermement à la technologie des lanceurs réutilisables pour réduire les coûts de fonctionnement des vols spatiaux.

Dans ce but, nous avons de nombreux projets pilotes, proches du statut d'essais en vol, tels les X-33, X-34 et X-38. Ce dernier, auquel l'industrie française avait initialement collaboré, donnera lieu à un essai en vol hypersonique et fournira beaucoup de données sur un système nouveau de bouclier thermique réutilisable. Bien que le projet X-38 soit associé à la Station spatiale internationale, il conduira à des applications dans de nombreux domaines des activités spatiales automatisées, y compris l'exploration planétaire.

Dans son programme scientifique, la NASA a procédé à des changements fondamentaux qui nous permettent de voler plus souvent qu'autrefois. Il y a dix ans, on lançait en moyenne deux missions scientifiques par an. A présent, on en lance à peu près sept et on en prévoit le double d'ici cinq ans. Il est à noter que nous le faisons sans aucune augmentation budgétaire.

Ceci a été rendu possible par l'application d'une nouvelle philosophie, la fameuse "faster, better, cheaper" : "plus rapide, meilleur, moins cher". Tout en reconnaissant qu'un modèle d'exploitation adapté à un pays n'est pas forcément applicable, tel quel, à un autre, nous espérons que cette révolution engendrera aussi en Europe une multiplication des projets d'exploration spatiale.

Mars sera l'un des premiers objectifs de l'exploration spatiale du siècle prochain et fera indéniablement l'objet d'une exploration internationale. Nous attendons la signature d'un accord officiel avec la France par lequel nos deux pays engageront les ressources nécessaires en vue d'accomplir nos objectifs ambitieux. Le grand public est passionné par cette exploration, surtout par la recherche de traces de vie. Peu importe de savoir à ce stade si l'exploration de Mars doit se faire avec des robots ou des hommes. Lorsqu'enfin les astronautes iront sur Mars, ils n'abandonneront pas leurs robots car ce sont des outils précieux. Au contraire, on sera alors en mesure de mieux les utiliser.

Si on prend vraiment au sérieux l'exploration scientifique de Mars à long terme, si on veut être capable de forer profondément le sous-sol martien pour déterminer s'il renferme de l'eau et des micro-organismes qui auraient survécu pendant des milliards d'années depuis la période où la surface de Mars était peut-être plus ou moins comparable à celle de la Terre, si on désire entreprendre, dans les meilleures conditions, des études géologiques sur le terrain et des recherches de fossiles, il faudra, en fin de compte, envisager d'envoyer des hommes.

Aujourd'hui, la NASA n'a pas de projet de vols habités sur Mars. On ne dispose pas de la technologie suffisante pour mener une telle mission à un niveau de sécurité et un coût raisonnables. Mais, si l'on fait maintenant les bons investissements afin de développer des nouvelles technologies et réaliser les recherches appropriées, alors arrivera un moment où cet objectif sera à notre portée. L'un des investissements le plus important dans ce but sera la Station spatiale internationale.

La NASA soutient les vols spatiaux habités pour des raisons scientifiques et culturelles. L'objectif est de faire de l'espace un lieu de l'activité humaine comme cela a été fait dans l'atmosphère au siècle dernier. C'est la raison pour laquelle on construit la Station spatiale. L'utilisation scientifique et technologique de la Station est un sujet important de discussion d'actualité et je regrette de n'avoir pas plus de temps pour en discuter.

L'Europe s'est engagée à hauteur de 8 % dans ce projet, ce qui ne paraît pas excessif pour une région dont l'économie est à peu près du même ordre de grandeur que celle des Etats-Unis. On espère qu'après avoir investi de considérables ressources dans la création de la Station spatiale, tous les participants à ce projet choisiront de contribuer à des investissements supplémentaires relativement modestes pour les activités d'utilisation, afin de profiter de ce que nous aurons construit ensemble.

Messieurs, j'espère que ces brèves remarques sur les perspectives de la NASA vous aideront dans vos délibérations. La France a un programme spatial de grande qualité, admiré dans le monde entier. J'espère que le résultat de ces sessions renforcera la France dans sa détermination à continuer sur la voie de l'excellence, en élargissant les frontières de l'exploration et de l'exploitation de l'espace.

M. REVOL - Je passe la parole à Monsieur HUSSON, Président-directeur général d'Alcatel-Espace.

M. HUSSON - Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Etant d'Alcatel, vous attendez peut-être que je vous parle des nouvelles frontières dans les télécommunications. Nous sommes face à une société de l'information qui évolue très rapidement et surtout avec des techniques et des technologies qui évoluent très rapidement, en particulier au niveau Terrestre.

Il faut effectivement regarder ce que sont les satellites vis-à-vis de ces techniques qui évoluent extrêmement vite. Vous l'avez tous vu avec l'explosion de la téléphonie mobile et du cellulaire, avec en particulier le GSM ; des évolutions extrêmement importantes sont dues à l'installation des câbles en fibres optiques et, dans le futur, très rapidement, grâce aux techniques de multiplexage au titre de débits extrêmement importants, sur les liaisons transocéaniques, le satellite sera largement dépassé.

Il y a aussi les techniques pour le large bande et les hauts débits, les techniques dites ADSL sur le câble cuivre que vous avez tous sur le téléphone.

Tout ceci fait beaucoup d'évolutions et un groupe comme Alcatel devait situer son corps business par rapport à toutes ses techniques et a clairement décidé que les satellites, en particulier tout ce qui était lié à l'information, aux techniques de télécommunications, faisait partie de son corps business. D'ailleurs, je suis dans une business line qui, depuis 15 jours, s'appelle "Internet et Optique", à côté des câbles océaniques, et dans une business line dirigée par un Américain à Dallas.

Face à l'évolution de ces techniques Terrestres, nous voyons très clairement qu'il y a une place dans le futur pour les satellites. D'ailleurs, en 1998-99, il y a de nombreuses nouvelles applications dans les satellites de télécom ou même dans la navigation.

En parallèle avec le cellulaire Terrestre, la constellation Iridium est maintenant en place et nous attendons sa mise en exploitation. Global Star , en particulier grâce à STARSEM, va être mis en place au rythme promis par STARSEM mais aussi avec les tirs delta en opération en octobre 1999, donc offrira des services de téléphonie mobile dans le monde entier par rapport à tout ce qui est fourni au niveau local, régional, par le GSM ou par les autres techniques similaires avec des normes différentes.

Si l'on regarde une autre application qui est celle de la radiodiffusion numérique, en Europe, actuellement, on commence à installer le DAB Terrestre, des émetteurs sont installés. Au moment où l'émetteur DAB Terrestre de Toulouse a été mis en fonction, le premier satellite de radiodiffusion numérique par satellite, Afristar , était mis en orbite. En janvier, nous avons fait les premières expériences avec des terminaux radios fournis par l'industrie japonaise à côté de ce qui était mis en place sur le DAB Terrestre. La seule différence est qu'avec le DAB Terrestre il faudra plein d'émetteurs et qu'avec Afristar on couvre déjà toute l'Afrique et une grande partie de l'Europe.

Dans ce tournant, on peut voir aussi en 1999 et 1998 une explosion de l'utilisation du GPS, puisque l'on voit en particulier, dans le parc automobile européen, énormément de voitures équipées des systèmes qui utilisent le GPS mais aussi les bases géographiques fournies par l'Institut géographique national. On voit aussi l'Europe qui a pris la décision de développer le système dit Egnos complémentaire du GPS, qui est le GNSS 1 prélude au GNSS 2.

Face à cela, comment voir l'avenir ?

Dans tous les systèmes de transit, les liaisons océaniques ou autres, il est clair que la fibre optique est devenue de loin la plus compétitive mais qu'un câble arrive d'un point à un autre et il peut encore y avoir des places pour les satellites. Cela signifie que, dans le futur, il faudra, pour redevenir compétitif, monter en fréquence et faire un appel pour les liaisons intersatellites mais aussi de la commutation et du traitement électro-optique à bord.

L'autre application la plus importante, ce sont les systèmes large bande pour faire face à toutes les augmentations de débits, à la forte interactivité. Là, nous sommes clairement sur la nouvelle frontière liée aux constellations de satellites et à des projets orbite basse comme Sky Bridge ou Teledesic .

Nous avons là à faire face à des projets où les investissements sont très importants puisqu'un système comme Sky Bridge est un investissement de plus de 4 Md$ qui doit être mis en place en grande partie par l'industrie et les opérateurs de télécom. Un groupe comme Alcatel, qui est le promoteur et le premier investisseur, a fait une comparaison avec toutes les techniques Terrestres sur ce sujet avant de décider d'investir dans ce projet et de demander à différents partenaires internationaux d'y participer.

En fait, quand on regarde les projets comme Sky Bridge , on voit que les systèmes satellitaires gagnent de l'argent et peuvent donner l'accès à quelques dizaines de millions d'abonnés alors qu'à 5 ou 6 ans, les besoins en large bande dans le monde seront probablement entre 500 et 800 millions d'utilisateurs.

Cela veut dire que les satellites ne sont pas là pour faire de la concurrence mais sont là en complément car on ne peut pas câbler le monde entier et il y aura toujours des utilisateurs qui auront besoin d'un accès direct par satellite comme on l'a vu dans la télévision.

Bien entendu aussi, le satellite restera roi pour la diffusion de télévision avec l'emploi du numérique (on augmente le nombre de chaînes à bord) ; des nouvelles techniques de codage permettront de mieux utiliser les fréquences et de tolérer des niveaux de brouillage plus importants. Avec aussi l'évolution des moyens de lancement qui permettent des satellites plus gros, nous avons des satellites qui, dans le futur, auront jusqu'à 50 à 90 canaux, plus le numérique. Cela peut vous faire quelques centaines de chaînes à bord qui régleront les problèmes de position orbitale.

Dans les systèmes mobiles, au-delà des systèmes développés actuellement et qui seront intégrés avec les réseaux Terrestres, il faudra tenir compte des nouvelles normes de mobilité de l'UMTF ou autres qui sont actuellement en discussion.

Voilà ce que je voulais indiquer pour la prospective dans les télécommunications du point de vue de ses applications. Cette nouvelle frontière ne peut se développer que dans une large coopération internationale parce qu'il faut faire appel à des partenaires industriels majeurs qui peuvent apporter les techniques et les technologies. C'est pourquoi, dès le départ d'un programme comme Sky Bridge , nous avons demandé à nos partenaires japonais de venir dans le partenariat, de même qu'à nos partenaires américains, canadiens et, bien sûr, européens.

Il faut aussi des technologies qui ont été précédemment développées par les agences. Sur Sky Bridge , vous aurez de la propulsion plasmique, des batteries lithium et d'autres techniques, tout ceci a été développé par le programme Stantor, de même d'autres technologies de Sky Bridge viendront de ce que nos amis de Toshiba ou de Mitsubishi ont développé, probablement lié à des programmes de la NASDA.

M. REVOL - Je donne la parole à Monsieur MEDVEDTCHIKOV, adjoint du Directeur de l'Agence spatiale russe.

M. MEDVEDTCHIKOV - Notre politique spatiale est née dans les conditions de la guerre froide, ce qui, bien entendu, a faussé quelques peu les projets cosmiques vers leurs applications militaires. Peut-être que cela a été accompagné par des dépenses outrancières sur le plan des moyens. En outre, certaines technologies de pointe étaient à l'époque complètement fermées pour leurs applications civiles.

Du point de vue du développement et de l'espace, ce n'est pas si mal que cela puisque cela nous a permis de réaliser des programmes ambitieux et complexes dans des délais records. Mais, du point de vue de chaque Etat impliqué, de chaque personne humaine, ce n'était pas le moyen le plus sûr et pas le meilleur moyen.

Nous pouvons espérer que notre coopération obtienne une industrie de l'espace et une science de pointe maintenant développées dans les conditions de coopération. Cela peut intéresser d'autres gens que les militaires.

Est-ce que nous avons saisi cette chance ?

Les Russes sont réputés être crédules. Effectivement, la partie militaire en Russie a été réduite de manière considérable. Pour autant que l'on puisse en juger, les Etats-Unis et les pays de l'Europe occidentale ne sont pas aussi crédules et n'ont pas réduit de manière aussi drastique leur engagement militaire.

Je pense qu'en parlant de l'avenir de l'espace qui, à mon sens, n'est possible que dans le contexte d'une coopération, à ce moment bien précis, nous ne sommes pas encore mûrs puisque les considérations de la domination de leadership au niveau international et régional prévalent surtout aux autres considérations et les besoins essentiels de l'humanité restent sur le second plan.

Je pourrais vous parler longuement des exemples de coopération avec les Etats-Unis et avec d'autres pays d'Europe mais puisqu'il faut élever le débat, je ne vais pas m'arrêter là-dessus.

Le seul projet qui ait accès à l'avenir dans le sens de la coopération est le projet de la Station internationale et je pense que ce projet a son importance non seulement sur le plan scientifique ou technologique mais également comme étant la preuve que nous devons fournir que nous sommes prêts à une coopération dans le sens le plus large que l'on puisse donner à ce terme.

Je pense que nous n'attendrons plus longtemps puisque les deux premières unités de cette station sont déjà lancées. Cette année, nous allons lancer un module de service russe et, très prochainement, nous allons créer toutes les conditions afin d'accueillir un homme à bord.

Laissez-moi revenir aux questions de la coopération et des projets du futur.

De quoi s'agit-il ?

Il s'agit de la pollution des océans par des déchets radioactifs, de l'effet de serre, de la destruction de la couche d'ozone, du danger des guerres localisées, du danger des catastrophes naturelles. Malheureusement, tout cela existe et, jusqu'à maintenant, nous n'avons pas la certitude que ce danger soit écarté à l'avenir de manière définitive.

J'évoque ces problèmes puisque la composante de l'espace est destinée à jouer un rôle important pour leurs solutions.

Nous avons pu entendre aujourd'hui, à plusieurs reprises, l'importance de la surveillance de la Terre, de la navigation, des télécommunications ; ces problèmes sont jusqu'à présent considérés soit sur le plan purement commercial soit sur le plan de la possession, d'accès à ces technologies par un certain pays ou une certaine région. Et je ne peux pas me souvenir d'un cas où les dirigeants des agences de l'espace ou d'autres organismes publics responsables de l'espace aient pu se rencontrer pour essayer d'envisager l'avenir qui est relativement proche.

Peut-être que l'ensemble de ces problèmes et les questions d'une coopération doivent être traités de manière générale sur le plan de l'humanité prise dans son ensemble.

M. REVOL - Je passe la parole à Monsieur De JULIO, Président de l'Agence spatiale italienne.

M. De JULIO - Le processus de globalisation des relations internationales va avoir un impact sur le niveau international des relations économiques et stratégiques.

A l'intérieur de l'Europe, le bien-être de nos nations dépend de la force des institutions européennes et de la santé des plans à long terme. Les priorités européennes devront être considérées sur le plan économique et européen et des institutions internes de coopération.

Or, la croissance de l'Europe est insuffisante pour garantir le plein emploi dans les grandes économies. Les deux facteurs de croissance sont extérieurs, dus à l'accroissement de l'Union, à ce qui était appelé autrefois l'Allemagne de l'Est et au déclin de l'économie européenne. Sans ces facteurs extérieurs, notre part aurait diminué de plus de 6 %.

Malheureusement, la structure du marché mondial de l'espace est un bon indicateur. La part européenne dans ces marchés est de moins de 10 %. Les occasions sont de répéter l'expérience du succès de GSM et de devenir le leader mondial dans les services avancés par une recherche industrielle coopérative, par une plus grande standardisation et même une concurrence au plus grand service des pays riches.

Le risque est d'être un marché de distribution de satellites globaux, pas seulement des fabricants de produits mais des utilisateurs, en raison de la très forte demande européenne et de l'offre fragmentée européenne et des politiques de concurrence nationales.

Quelque chose change : les compagnies nationales sont en train de se fondre dans les compagnies internationales. Dans peu de temps, nous aurons un ou deux entrepreneurs dans le domaine de l'espace. Cela signifie que nous devons avoir une politique européenne plus forte et une organisation européenne plus forte aussi.

Cela signifie aussi, mais c'est un défi très important, de négocier un marché mondial, un véritable marché mondial que nous n'avons pas aujourd'hui, à part quelques secteurs.

Nous devrions ouvrir les frontières commerciales entre les Etats-Unis et l'Europe (il y a des frontières commerciales dans l'espace) sur une base réciproque et je pense que nous bénéficierions tous de ce type de concurrence établie sur un ou deux principaux acteurs européens dans ce domaine et les entreprises américaines.

Galileo est un nouveau projet pour l'Europe. Jusqu'à ce que Galileo soit conduit de manière correcte, la Communauté européenne joue le rôle qui lui est dévolu, c'est-à-dire le rôle d'agrégation de la demande européenne publique. Nous avons beaucoup de demandes publiques européennes et ceci, vis-à-vis des Etats-Unis, est une grande faiblesse. L'agrégation de toutes ces demandes fragmentées à un échelon européen incombe au rôle que doit jouer la Communauté européenne et, bien sûr, il ne serait pas nécessaire de dupliquer des organisations qui existent déjà.

La Communauté européenne devrait avoir un rôle de soutien stratégique des agences européennes. La décision de développer un système européen comme Galileo est prise à la fois dans une perspective stratégique à long terme, économique et technique. Le potentiel des bénéfices économiques pour l'Europe de Galileo doit être supérieur à 8 Mds € en 2023.

Les bénéfices annuels à l'échelon européen devraient représenter à peu près 75 % du marché spatial européen. Nous voudrions aussi voir un accroissement des postes de travail pour le développement de la production et bien sûr des services.

Quelques mots encore sur la Station spatiale et pour répondre à la question de savoir à quoi sert cette Station spatiale, quels sont les programmes de demain ?

Nous avons deux exemples de l'exploitation de cette Station spatiale : l'un est à bord de la Station, par exemple le programme EMS pour la recherche fondamentale sur la matière dans lequel l'Europe a un rôle important, en partenariat avec la Russie, la Chine, etc.

Nous pensons que la Station spatiale peut être utilisée comme un port spatial pour la recherche interplanétaire. L'Italie travaille sur un programme dans ces domaines, pour lequel nous allons demander une plus grande coopération à l'échelon européen. Bien sûr, si cette vision d'utilisation de la Station spatiale implique l'exploration habitée de l'espace interstellaire, nous pensons que nous devons le faire à partir de la Station spatiale. Nous construisons des scénarios dont l'un s'appelle projet 2.4.2, fondé sur le programme d'exploration automatique de Mars, avec une possibilité aussi d'exploration habitée à partir de la station orbitale.

Nous pouvons conjuguer le rêve et l'avancement technologique et économique parce que de tels défis seraient une grande avancée dans le domaine de la propulsion et des techniques de propulsion. Nous pouvons donc rêver à de nouveaux développements et de nouveaux défis pour la science et pour les développements techniques et économiques.

M. REVOL - Je passe la parole à Monsieur CARPENTIER, ancien membre du Conseil économique et social, et qui avait, il y a deux ans, produit un très important rapport sur la politique spatiale.

M. CARPENTIER - C'est ce rapport que j'ai eu l'honneur de présenter, il y a deux ans, au Conseil économique et social, qui m'a valu l'honneur d'être invité par vous aujourd'hui, et je voudrais vous en remercier.

Cette session a pour objet de fournir ou de rappeler certains éléments de prospective. D'autres intervenants, plus qualifiés que moi, analyseront ou ont analysé déjà l'avenir, l'intérêt des programmes scientifiques et des vols habités. Je me concentrerai sur l'essor des activités spatiales utilisatrices de satellites à des fins civiles et militaires, en m'efforçant d'apporter une valeur ajoutée dans mes propos.

Comme l'a dit Monsieur le Ministre Claude ALLÈGRE, il ne fait aucun doute que l'observation de la Terre par satellite répondra à des besoins de plus en plus nombreux, correspondant les uns à l'intérêt général, les autres à des intérêts plus commerciaux.

Je pense, s'agissant des services d'intérêt général, aux services fournis par l'observation de la Terre, pour la protection de l'environnement, l'accès aux ressources naturelles, l'aménagement du territoire, la prévision des catastrophes naturelles et la météorologie. A ces services s'ajouteront tous ceux qui correspondent à la gestion d'infrastructures, l'agriculture, la pêche, le routage aérien et maritime.

La demande de ces services augmentera à mesure que le développement économique mondial va lui-même se développer. Elle intéressera donc à la fois les pays industrialisés et les pays en développement ou émergents.

Quant à leur offre, elle s'améliorera en fonction des progrès qui seront réalisés à coup sûr dans la précision des instruments d'observation ainsi que dans le traitement informatique des données.

Le marché de la télédétection et de l'imagerie est estimé à 30 milliards d'euros dans la prochaine décennie. Son évolution est difficile à cerner du fait de la diversité des champs d'application et également l'ambiguïté que j'ai indiquée dans mon intervention. Néanmoins, il s'agit d'un marché très important.

Le cas de la météorologie est plus facile à cerner, plus serein peut-être quant à son avenir, grâce à la politique d'échange de données menée par l'Organisation mondiale de la météorologie et également la coordination européenne réalisée par EUMETSAT. Il faut aussi citer la coopération fructueuse qui existe entre l'ESA et EUMETSAT, et également entre ces deux organismes et la NOAA américaine.

S'agissant de la navigation-localisation, les besoins sont en pleine expansion. Ils sont estimés par la Commission européenne à 40 milliards d'euros en 2005. Ceci dit, la part de l'Europe est actuellement de moins de 15 % et elle pourrait atteindre 25 % à 30 % d'ici dix à quinze ans.

Là également, le nombre de ces usages va augmenter dans les transports, qu'ils soient aériens, maritimes ou Terrestres, dans l'agriculture ou l'exploitation des matières premières. On l'a déjà dit, l'avenir de la France et de l'Europe, dans ce domaine, dépendra de la réussite de leurs efforts pour disposer de leur propre système face au GPS américain et au GLONASS russe.

J'espère, comme l'a indiqué Monsieur De JULIO, que suite à la coopération établie entre l'ESA, l'Union européenne et EUROCONTROL au sein du système Egnos, la France et l'Europe sauront bâtir leur propre système, le Galileo.

Monsieur HUSSON a beaucoup parlé des télécommunications et il a raison car c'est sans doute dans ce secteur que la mutation la plus importante a été réalisée.

Une étude récente, publiée par un cabinet américain spécialisé, prévoit le lancement, dans les dix prochaines années, de plus de 1 000 satellites commerciaux de télécommunication, d'une valeur globale de près de 50 milliards de dollars. 450 satellites seraient dédiés aux services de téléphonie mobile. Quant aux communications à haut débit pour la transmission de programmes multimédia, elles devraient employer plus de 380 satellites.

On peut donc s'attendre, après une période de pause entre aujourd'hui et les années 2002, à une nouvelle période de croissance avec, en particulier, la mise en place des premières constellations à haut débit dont Teledesic et Sky Bridge et le remplacement des satellites dans les constellations de téléphonie mobile (Iridium, Ico et Global Star).

Là aussi, on dit que le marché des communications spatiales représenterait 200 milliards de dollars, je ne peux pas juger si ce chiffre est exact mais il serait à recouper avec ceux qu'a donnés Monsieur BENSOUSSAN.

Un mot très rapide sur le secteur des lanceurs.

La France et l'Europe disposent, avec Ariane, d'un accès autonome à l'espace qu'il leur faut jalousement conserver, mais elles disposent également avec Kourou d'un site de lancement exceptionnel. J'ai été heureux d'entendre Messieurs HUMBERT et LUTON indiquer les efforts actuellement accomplis pour améliorer les performances d'Ariane 5. Je rappellerai que le premier tir d'une fusée Zénith à partir de la plate-forme devrait avoir lieu après-demain, le 26 mars.

Quant aux essais des lanceurs récupérables X-33, X-34 et Venture Star, ils vont se multiplier sur un nouveau site de lancement, soutenus par la US Air Force.

Il est donc bon de nous tenir éveillés dans ce domaine et peut-être serait-il bon également de créer de nouvelles coopérations internationales, par exemple avec le Japon, du type de celle que l'on a mise en place avec un grand succès avec la Russie dans Starsem.

On n'a pas parlé du centre spatial guyanais, je voudrais attirer votre attention sur ce point. L'existence et l'avenir de ce centre seront très sensibles au développement économique du département de la Guyane et à l'adaptation de son administration, à ses particularités géographiques, démographiques et sociales. Il ne s'agit pas d'une demande expresse concernant l'espace mais plus largement du département qui abrite et dans lequel se situe Kourou.

L'ensemble des activités que je viens de décrire se situent dans un contexte géopolitique sur lequel je me permets de revenir. Je m'excuse auprès de Monsieur HOFFMAN mais je redirai quand même que les Etats-Unis sont dans ce domaine une superpuissance et exercent une suprématie, sans vouloir la critiquer. Ceci s'exprime par des chiffres : les crédits publics accordés au spatial avoisinent 30 milliards de dollars aux États-Unis, répartis équitablement entre le civil et le militaire. Ils représentent 0,35 % du PIB. En comparaison, l'Europe investit trois fois moins sur le programme civil, quatorze fois moins sur le programme militaire, et ceci de manière dispersée.

La France apparaît comme une exception parce qu'elle a un programme national assez diversifié, assez important, mais les ressources consacrées à l'espace civil ne représentent que 0,11 % de son PIB à comparer aux 0,056 % de l'Allemagne, 0,048 % de l'Italie, 0,026 % du Royaume-Uni et 0,078 % de la Belgique.

Il est clair qu'il faut tenir compte de cette situation si nous voulons que l'Europe avance car les Etats-Unis utilisent énormément de moyens. On a cité tout à l'heure le caractère captif de certains marchés mais on pourrait citer également l'encouragement à la concentration de l'activité industrielle, la recherche de synergies entre le secteur spatial et le développement de la société de l'information qui, aux Etats-Unis, est devenu un enjeu stratégique de caractère politique et économique.

Parallèlement à cette suprématie des Etats-Unis, on constate un certain ralentissement des activités de la Russie malgré l'excellence des produits et services qu'elle fournit, comme en témoignent ses succès à l'exportation. Il est clair qu'il y a à l'heure actuelle certaines difficultés dans le domaine spatial en Russie.

De nouveaux compétiteurs apparaissent, parmi lesquels le Japon. J'ai été très frappé, en rédigeant mon rapport, de voir l'excellence des programmes japonais ; ils sont bien faits, échelonnés dans le temps, assez importants, ambitieux. Cela vaudrait la peine pour l'Europe de renforcer sa coopération avec le Japon.

La Chine consacre ses efforts sur les services de lancement. Je ne parlerai pas de tout ce qui est fait en Inde, au Brésil et en Israël.

Quant à la France, elle joue un rôle important par l'ampleur de son programme national, par sa participation aux activités de l'ESA mais, néanmoins, elle ne pourra jouer un rôle significatif que si elle s'intègre dans une politique européenne qui, pour l'heure, me paraît extrêmement timide compte tenu des enjeux politiques, économiques, culturels et de société qui ont été rappelés.

L'Europe dispose d'un centre d'impulsion et de coordination pour la science et la technique. Je ne crois pas que la Commission ait jamais voulu lutter avec l'ESA qui joue un rôle constructif qu'il faut renforcer.

Elle dispose également, avec l'Union européenne, d'un centre d'impulsion et de coordination pour la réglementation et les négociations commerciales, mais elle ne dispose pas d'une structure située au niveau politique le plus élevé qui lui permettrait d'avoir une véritable stratégie, de l'établir et de se poser comme interlocuteur valable des autres Etats "spatiaux", en particulier des Etats-Unis.

Il serait temps de penser à une telle structure. Il ne s'agit pas de créer quelque chose de monstrueux, de nouveau, de lourd, mais plutôt un noyau dur ouvert à tous, auquel ne participeraient que les Etats-membres qui s'engageraient réellement dans un effort conséquent. Le traité d'Amsterdam qui entrera en vigueur le 1er mai prévoit de telles coopérations renforcées.

Dans l'optique dans laquelle je me place, la création d'une politique spatiale européenne va devenir, au fil des années, de plus en plus nécessaire, pour les raisons qui ont été indiquées précédemment, en particulier les transformations géopolitiques et les tendances lourdes que connaît le monde contemporain.

L'espace contribue à l'évolution de la société, beaucoup plus qu'on ne le croit, parce qu'il place désormais l'individu en prise directe avec la planète pour en faire un village. L'extra-territorialité de l'objet spatial, les techniques de télécommunication qui ignorent les frontières émancipent chacun du cadre géographique et peuvent se révéler propices à la réduction des grandes lignes de partage du monde contemporain (je pense en particulier au partage nord/sud dans le monde).

On peut dire que la nomadisation n'est plus seulement celle des ondes mais également celle des personnes grâce aux moyens portables de communication et de localisation rendus possibles par les satellites. L'outil spatial me paraît répondre à un enjeu de notre époque : concilier la globalité des problèmes et l'échelle individuelle.

Pour terminer, je voudrais rappeler quatre risques qui menacent la politique spatiale en Europe.

Le premier serait celui d'une sous-estimation politique de l'importance du secteur spatial qui conduirait à des allocations budgétaires insuffisantes. Il ne s'agit pas de jouer le choeur des pleureuses mais de faire en sorte qu'il y ait une action de conviction très forte auprès de l'ensemble des partenaires européens pour qu'il y ait une véritable politique européenne, mais également pour qu'il y ait des allocations budgétaires nationales conséquentes.

Le deuxième risque serait de penser que, désormais, les forces du marché vont pouvoir compenser la diminution de l'effort public. Dans un domaine où de très nombreux services revêtent un caractère d'intérêt général, et où la partie marchande bénéficie des subsides accordés à la partie non marchande, il serait un leurre de se fier à la seule concurrence.

Deux autres risques plus insidieux se présentent.

Il s'agit d'une part de la banalisation des nouveaux moyens de communication qui peut conduire à occulter, aux yeux du grand public pourtant ouverts aux exploits des cosmonautes, les conséquences sur l'économie nationale et sur l'emploi d'un effort insuffisant de l'Etat dans les nouveaux domaines dont je viens de parler.

Bien sûr, la part du rêve est importante mais on rêve d'autant mieux que l'on a la panse pleine ; il faut aussi avoir un emploi et l'économique est très important dans ce domaine. Je n'ai rien contre le rêve, bien au contraire, mais je crois que l'économique doit être également pris en compte.

Enfin, le dernier risque est celui évoqué par Monsieur LAFFITTE lorsqu'il a parlé du contenu. Ce serait celui du pouvoir dont pourraient disposer, en l'absence d'un contrôle démocratique suffisant, ceux qui maîtrisent et diffusent désormais l'information traitée et présentée à leur manière, en temps réel et partout dans le monde.

Voilà Monsieur le Président, je crois qu'il revient aux Parlements nationaux et au Parlement européen de veiller à ce que ces risques soient évités.

M. REVOL - Je donne la parole à Monsieur GODAI, Vice-président de l'Agence spatiale japonaise.

M. GODAI - Monsieur le Ministre a parlé et, dans le cadre de la mondialisation, c'est le Sénat français qui a invité un responsable japonais et je vous en remercie beaucoup.

Il y a eu l'année du Japon en France et, actuellement, au Japon, nous fêtons l'année de la France. Nous avons reçu la petite Statue de la Liberté à Tokyo. L'autre jour, nous avons reçu un grand tableau de DELACROIX, « La Liberté », comme un ambassadeur de la France au Japon. C'est ainsi que l'échange culturel entre le Japon et la France est intensifié. J'espère que les coopérations dans le domaine des sciences spatiales se renforceront également.

D'abord, je voudrais parler du développement spatial. L'activité spatiale vient de commencer dans la longue histoire de l'humanité mais déjà, dans le domaine de la télécommunication et de la télédiffusion, l'espace a contribué à améliorer la vie de tous les jours.

Dans la première session de ces auditions publiques, ce sujet a été débattu. Le rôle des industries devient de plus en plus accru dans certains domaines qui ont atteint la maturité.

Dans ce contexte, la conscience ou l'attente des citoyens vis-à-vis des activités spatiales change. Cela commence d'abord par quelque chose de programmatique, lié directement aux bénéfices, mais l'espace offre aussi un système indispensable pour soutenir la vie, pour rendre possible à l'humanité de vivre longtemps sur la planète Terre, ou bien l'espace nous aide à agrandir la sphère de la vie au sens spirituel ou intellectuel, ou bien il agrandit aussi la frontière intellectuelle tels que les sciences, les beaux-arts et la philosophie.

Dans ce contexte, pour nous, la NASDA, Agence spatiale japonaise, nous avons 4 missions.

Tout d'abord, la construction des bases pour permettre des activités humaines. Il est souhaitable que l'espace soit accessible à tous, soit une partie de notre sphère d'activité. On en a déjà parlé, dans le cadre de la coopération internationale : si la sphère d'activité s'agrandit jusqu'à Mars, ce sera formidable.

C'est ensuite la contribution à la planète Terre, c'est-à-dire la construction de systèmes de l'observation de la Terre qui couvrent toute la Terre, notamment pour l'environnement et l'observation des catastrophes naturelles, les ressources. Nous nous attendons à la construction d'un système spatial qui contribuerait à l'amélioration de la qualité de vie ou au bien-être des citoyens.

La troisième mission est la contribution à la connaissance de l'origine de l'univers, de l'humanité. Nous devons soutenir la préparation d'un système qui permettrait aux scientifiques de connaître l'origine de l'univers.

Pour réaliser ces trois missions, il existe des problèmes de ressources mais nous avons besoin de beaucoup de sauts technologiques. Pour cela, nous devons nécessairement faire des efforts en collaboration dans le cadre de la coopération intellectuelle parce que ce sont des enjeux pour l'humanité, et la NASDA est prête à faire des efforts en collaboration pour créer de nouvelles frontières.

Je suis le seul représentant d'une région hors Occident. Je voudrais vous parler des problèmes propres au Japon.

Les activités spatiales font partie intégrante de nos activités scientifiques, économiques et sociales. Le système spatial est un des moyens de créer des frontières de connaissances scientifiques, cela permettrait d'améliorer la qualité de vie de tous les jours de toutes les familles et de créer des emplois, donc des revenus. Mais la réalité des activités spatiales n'est pas la même suivant le pays.

Bien entendu, l'espace provoque du rêve mais, pour les Japonais, c'est très important.

Madame MOUKAI, astronaute japonaise, s'est adressée au public japonais avant un vol dans l'espace sous forme d'un petit poème. Nous avons eu la grande surprise de voir que 140 000 Japonais avaient répondu à Madame MOUKAI sous forme de poème.

En tenant compte de cette part de rêve très importante pour les Japonais, je pense que l'Agence spatiale de caractère public doit la respecter.

Par ailleurs, au Japon, beaucoup de politiques sont décidées sous forme de consensus. Ce système est utilisé aussi pour la politique de développement spatial. Pour élaborer des grands programmes, des politiques des activités spatiales, nous sommes obligés de passer par un système de consensus. Bien entendu, cette méthode prend un peu de temps mais, une fois que la décision est prise, elle a le mérite de faciliter la mise en oeuvre.

Au sujet de la première session orientée sur la politique industrielle, aux Etats-Unis, l'industrie spatiale fait partie des domaines aéronautiques ou militaires. Il y a donc déjà une grande synergie commerciale et technologique entre le domaine aéronautique militaire et les activités spatiales.

Dans le monde, la part des financements privés prend de plus en plus d'importance et le secteur des activités spatiales public vise plutôt à rechercher des bénéfices.

En fait, au Japon, la situation n'est pas la même, ce sont de grandes entreprises qui fabriquent des produits de grande consommation qui réalisent des activités spatiales comme une partie infime de leurs activités. La taille du marché domestique est très limitée. Indirectement, c'est très important mais, directement, le marché domestique est très limité.

Dans ce contexte, il est tout à fait normal que le rôle des puissances publiques soit différent.

Tout en tenant compte de tous ces facteurs, je voudrais résumer la mission qui incombe à la NASDA. Il ne faut pas trop privilégier les industries privées, il est important de faire avancer les activités spatiales afin de distribuer les bénéfices de façon équitable entre la population, les puissances publiques, les centres de recherche, les utilisateurs et les industries.

M. REVOL - Je passe maintenant la parole à Monsieur POMPIDOU, Député européen et surtout Président de l'Office parlementaire européen des choix scientifiques et techniques.

M. POMPIDOU - Je suis également Président de l'Intergroupe "Ciel et Espace européen" et c'est à ce titre également que je m'exprimerai.

Toutes les interventions étaient particulièrement intéressantes et les réflexions de Monsieur MEDVEDTCHIKOV, d'une part, et de Monsieur GODAI, d'autre part, me conduisent à une petite digression dans la mesure où il faut aujourd'hui envisager l'avenir. Je porterai mon intervention sur deux points : envisager l'avenir à long terme et préparer l'avenir à moyen terme.

Envisager l'avenir à long terme : il est important qu'il y ait une bonne perception par l'opinion de l'évolution de la politique spatiale, des technologies spatiales, une sorte d'acceptation, et que s'engage une sorte de partenariat entre les acteurs de la politique spatiale et l'opinion publique, de façon que même le contribuable soit un des acteurs de ce partenariat, et ceci afin de justifier les ressources et le partage des ressources en matière d'évolution de la politique spatiale.

Dans cette optique, Monsieur RODOTA et le Directeur général de l'UNESCO, Monsieur MAYOR, ont eu une excellente initiative de susciter la mise en place d'un comité d'éthique de l'espace ; ce Comité d'éthique de l'espace, dont j'assure la coordination et la présidence, va traiter essentiellement de l'exploration de l'univers, des vols habités, de la pollution spatiale, de la présence de débris dans l'espace que l'on ne peut pas retirer avec un simple coup de filet (il existe des solutions de façon à ne pas augmenter cette pollution spatiale), des problèmes de surveillance électronique et de respect des individus et des identités culturelles.

Dans ce cadre, à l'automne, l'UNESCO organisera un séminaire de réflexion auquel les uns et les autres présents ici seront invités et nous aurions grand plaisir, Monsieur RODOTA, Monsieur MAYOR et moi-même à les inviter à ce séminaire de brain storming, une fois que nous aurons bien cadré les différents sujets.

Voilà pour la préparation de l'avenir. Comme l'a dit Monsieur GODAI, cela va faciliter, permettre la prise de conscience indispensable dans le domaine de développement durable de toutes ces technologies spatiales, qu'il s'agisse des lanceurs, des satellites et de leurs conséquences.

Deuxième aspect, la prospective à court et moyen terme. Je voudrais focaliser mon propos sur le système global de navigation par satellite, le système européen. Il est nouveau par plusieurs aspects.

Tout d'abord, parce qu'il a une caractéristique nécessairement mondiale ; ensuite, parce qu'il conduit à des applications multiples qui impliquent différents acteurs, différents ministères. On ne peut plus se contenter maintenant du ministère de l'Industrie et de l'Espace, d'autres ministères (les Transports, l'Aménagement du territoire) se trouvent impliqués, il est donc interministériel.

Enfin, il nécessite des modalités de gestion administrative nécessairement intégrées et qui sont de la compétence de l'Union européenne impliquant l'Agence spatiale européenne.

Pourquoi est-ce une compétence européenne ? Parce que l'Union européenne assure la libre circulation des personnes, des marchandises et des biens, que c'est désormais une réalité, et que cette politique nécessite d'améliorer la performance et la sécurité des systèmes de transport, à la fois Terrestres, maritimes et aériens.

Le quatrième programme cadre de recherche et de développement de l'Union européenne avait permis d'encourager les technologies spatiales, le cinquième qui s'applique à partir d'aujourd'hui permet une coordination spécifique et un soutien renforcé aux activités spatiales.

Deux systèmes de positionnement sont disponibles : le GPS américain qui est pour l'instant gratuit (je ne sais pas combien de temps cela durera et il est indispensable que nous acquérions progressivement une autonomie dans ce domaine) et le système russe GLONASS, qui est extrêmement intéressant, qui est encore sous contrôle russe mais dont les bandes de fréquence sont particulièrement intéressantes pour la mise en place d'un système européen.

L'objectif, pour l'Union européenne, est d'arriver à mettre en place un système progressivement autonome et spécifiquement européen, afin de garantir un système de navigation stable.

Le marché a été évoqué par Monsieur CARPENTIER, j'irais plutôt vers 50 milliards d'euros d'ici sept ans. Le marché des satellites est de 10 milliards d'euros et les applications de 40 milliards d'euros, et ce marché est extrêmement créateur d'emplois.

Effectivement, la réalisation de ce que l'on appelle le GNSS 1, c'est-à-dire Egnos, est déjà en cours, il est partiellement financé, Alcatel Espace y est impliqué avec beaucoup de talent et avec tous ses partenaires, de même que nos partenaires italiens sont également impliqués dans cette opération.

Finalement, on va s'orienter vers GNSS 2, le programme Galileo extrêmement intéressant dans la mesure où il a fait appel à une coordination entre l'Union européenne et l'Agence spatiale européenne. Je dois dire qu'en matière de positionnement des mobiles par satellite, la coopération alternative entre l'Agence spatiale européenne et l'Union européenne est exemplaire dans la mesure où la commission exécutive de l'Union a lancé les programmes de recherche et développement et où l'Agence spatiale est venue après pour faire la concertation avec les industriels.

Ceci a été fait pour Egnos et, pour Galileo, l'Union européenne va amener les recherches et développement et l'Agence spatiale européenne prendra les contacts avec les industriels. C'est quelque chose d'exemplaire.

Les conséquences de ces systèmes de positionnement sont très importantes dans la mesure où j'ai été amené à déposer des amendements au Parlement européen parce que le matériel embarqué et les installations au sol avaient été exclus du programme. Ce sont quand même les deux tiers des revenus et le moyen de faire ce que l'on appelle maintenant le PPP (partenariat public/privé), de faire en sorte que les industriels s'intéressent au développement de ces technologies qui impliquent directement l'espace et que le contribuable aussi s'y intéresse puisqu'il s'agit de faire en sorte que l'on améliore le trafic routier, qu'on le sécurise, que l'on améliore le trafic maritime, que l'on puisse surveiller les mouvements des navires de transport, et que l'on améliore les modalités du trafic aérien.

Tout ceci implique des installations au sol bien identifiées, qui puissent bénéficier des fonds structurels européens ; implique également que l'industrie s'engage dans la réalisation de logiciels spécifiques, de matériel embarqué qui permettent de positionner l'Europe dans le marché mondial. On entre à ce moment-là dans ce jeu de partenariat et d'équilibre avec les Etats-Unis, non seulement dans le domaine spatial mais pour tout ce matériel embarqué.

Pour conclure, je dirai que les choses paraissent bien engagées. Si l'on veut qu'elles avancent et que Galileo se mette en place, il faut une démarche qui fasse appel à un forum d'expertise qui réunisse la Commission européenne, l'Agence spatiale européenne et Eurocontrol. Il faut qu'au Conseil de l'ESA il y ait un signal fort de la part des ministres.

Je ne suis pas de l'avis de Monsieur ALLÈGRE, j'irai plus vite et plus loin que lui dans la mesure où je crois qu'il ne faut surtout pas attendre, il faut très vite donner un signal sinon c'est le GPS américain qui s'imposera à l'ensemble de la grande Europe.

Je fais confiance à Monsieur ALLÈGRE au cours de ce conseil, dont je suis sûr qu'il va le maintenir, pour ne pas faire n'importe quoi mais surtout pour prouver que la marge de manoeuvre nécessaire peut être obtenue.

Enfin, un des signaux que pourrait donner le Conseil de l'ESA, c'est la nécessité de désigner un maître d'ouvrage choisi en concertation, qui peut être d'ailleurs un système de concertation entre la Commission et l'Agence spatiale européenne, de façon à préparer une agence nouvelle, indépendante, à vocation industrielle et commerciale. C'est d'ailleurs ce qui figure dans le document de Galileo.

Une telle agence pourrait d'ailleurs tirer profit des déboires et des succès de Medsat, de Telsat, d'ArianeSpace, de façon à rassembler dans des conditions optimales les différentes communautés d'utilisateurs. Je pense que c'est l'objectif de Galileo.

M. REVOL - Je passe la parole à Monsieur ZAPPA, Président-directeur général d'Alenia.

M. ZAPPA - Je remercie le Sénat pour l'invitation car c'est une très intéressante discussion.

Si l'on pense à la situation des activités que l'on doit développer pour le futur, il existe beaucoup de convergence autour de la table pour parler de l'activité de l'exploration spatiale. Si l'on pense aux investissements plus directs avec le marché, je pense que la navigation par satellite et le système multimédia sont au coeur des programmes sur lesquels nous devons investir.

Je dis cela parce que je représente ici une industrie italienne qui a une position technologique significative en Europe et en relation avec les industries américaines.

Nous ne parlons pas d'un marché simple, il est important parce qu'il va représenter les marchés des quatre pays européens. C'est une bonne chose pour les secteurs de l'aéronautique, de l'électronique et de la défense. Quand on met ensemble 4 pays qui n'ont pas commencé l'aventure mais qui sont dans le marché avec des investissements historiques, c'est important. Bien sûr, il y a Alcatel en France.

Avec les quatre industries, le système européen est petit, confronté à la concurrence et à la diminution des investissements. Quand je parle de concurrence, je ne me dresse pas contre les Américains mais je parle d'une capacité de dialoguer sur le plan technologique avec les compagnies américaines.

C'est pourquoi nous attendons une politique européenne parce qu'il y a des problèmes sur la technologie, les produits, la recherche et aussi sur le marché financier. Si l'industrie de l'espace ne vient pas au coeur des pays européens comme elle l'était dans le passé, alors que maintenant il y a un marché qualifié, si l'Europe n'est pas présente avec toutes les dimensions pas seulement technologiques mais aussi politiques et financières, il y aura la même histoire.

S'agissant de navigation satellitaire, je ne sais pas quelles seront les décisions, la Communauté et les pays ont décidé d'investir dans la navigation satellitaire mais il y a le GPS, système militaire, le GLONASS, mais pas de système européen.

C'est le moment pour une politique européenne car il est nécessaire de l'avoir rapidement et avec sécurité car il n'est pas possible d'avoir dans le business spatial une comptabilité annuelle, nous devons avoir des programmes précis, clairs avec la possibilité d'investir sur les marchés financiers, de réduire les coûts.

Je suis au Sénat français, je pense que si dans l'histoire la France a été le lièvre, elle doit le rester. Il n'est pas possible d'augmenter les dotations financières des autres pays européens et de voir le lièvre mourir.

M. REVOL - Je donne la parole à Monsieur BRACHET, Directeur général du Centre national d'études spatiales.

M. BRACHET - Vu l'heure assez tardive et le fait que mes prédécesseurs ont couvert le sujet de manière relativement complète, je vais me concentrer sur deux points particuliers.

Tout d'abord, je voudrais rassurer Monsieur ZAPPA, le lièvre français n'a l'intention ni de mourir ni de ralentir, et j'espère qu'à l'occasion des votes annuels du budget les parlementaires nous soutiendront dans cette bonne résolution.

Un premier aspect a été assez peu traité ou abordé marginalement au cours de notre après-midi, celui de la recherche scientifique. La recherche scientifique a été l'élément moteur de l'activité spatiale dans les premières années, en particulier en Europe puisque la première organisation paneuropéenne construite en ce domaine, l'ESPRO, était constituée autour d'objectifs de recherche scientifique spatiale.

Depuis les débuts, en France, en Europe, aux Etats-Unis, en URSS à l'époque, en Russie aujourd'hui, la communauté scientifique et de recherche nous titille en permanence, fait appel à notre imagination et à celle de nos industriels pour réaliser des projets très performants, à la limite de ce que l'on sait faire, parfois même légèrement au-delà.

Je crois qu'elle continuera dans l'avenir à jouer un rôle indispensable comme moteur, ou l'un des moteurs, de l'activité et de la technologie spatiale.

Prenons un exemple simple : nous avons évoqué cet après-midi la mission de retour d'échantillons de Mars que nous préparons actuellement avec la NASA et qui conduirait à envoyer un orbiteur vers Mars en 2005, qui reviendrait en ramenant des échantillons de la planète en 2008. Je vous assure que cette mission représente des défis technologiques fantastiques que nous pensons devoir maîtriser grâce à une organisation bien mise au point et grâce à l'expertise qui existe des deux côtés de l'Atlantique, dans les différents secteurs que nous rencontrons autour d'une mission aussi complexe.

De même, dans une activité comme l'astronomie, des projets extrêmement ambitieux sont en préparation, qu'il s'agisse de l'étude du soleil ou des galaxies lointaines, qui font appel à des technologies extrêmement poussées, qui parfois proviennent de secteurs différents du nôtre mais que nous savons utiliser et adapter pour permettre aux moyens spatiaux de faire des progrès fantastiques dans notre connaissance de l'univers.

Dans notre connaissance de l'univers, il y a un objet particulier qui mérite toute notre attention et qui est la planète Terre. Les satellites, les systèmes spatiaux, depuis de nombreuses années, jouent un rôle important dans la connaissance et la compréhension des phénomènes naturels qui affectent notre planète. L'exemple de la météorologie a été cité cet après-midi, c'est le plus ancien ; l'exemple du climat a été cité aussi, c'est un des sujets très complexes qui font l'objet d'études très poussées, où les moyens spatiaux sont complémentaires à la fois des moyens d'observation in situ, à la surface de la Terre et dans l'épaisseur des océans aussi bien que dans l'atmosphère.

Le tout est couplé avec le progrès extraordinaire de la modélisation numérique qui, dans le domaine de la géophysique en général, dans le domaine de l'atmosphère, dans le domaine de la circulation océanique nous a permis de faire des progrès substantiels, permettant entre autres de digérer correctement les données très riches qui nous parviennent de ces différents moyens d'observation.

Voilà pour la première remarque que je voulais faire et qui complète ce que nous avons entendu puisque la recherche scientifique a été relativement peu abordée.

En outre, Jacques BLAMOND, à la fin de la première session, s'étonnait de l'absence de représentants des milieux de la défense dans cette table ronde. La réponse est simple, nous sommes tous plus ou moins impliqués dans des activités duales et nous en particulier, au CNES, nous conduisons à la fois des programmes civils et des programmes militaires pour le compte du ministère de la Défense. Nous avons la chance, en particulier dans le domaine de l'observation en optique, d'avoir conduit, en parallèle, un programme d'observation civil ( Spot ) et un programme d'observation militaire ( Hélios ) dont le premier satellite est en l'air depuis 1995, le deuxième sera lancé cette année, et la deuxième génération sera lancée à partir de fin 2002 ou début 2003.

Là, nous avons pu constater à quel point la dualité des technologies est importante mais elle va beaucoup plus loin que le seul aspect technologique, elle porte aussi sur la partie exploitation des systèmes. Nous constatons en permanence une espèce d'aller-retour d'expériences entre le programme civil et le programme de défense, qui enrichit, qui donne des idées sur la façon de concevoir la génération suivante.

D'ailleurs, actuellement, nous travaillons très activement sur la définition de la génération post-Spot, qui sera très probablement constituée de satellites plus nombreux, en même temps en orbite, de conception plus compacte, de masse plus réduite aussi, et surtout d'une plus grande agilité qui permet de multiplier les observations sur les zones les plus intéressantes et d'éviter de recueillir des images inutiles sur les zones qui intéressent peu de personnes.

Ceci rejoint à la fois le côté architecture technique des systèmes et l'aspect exploitation de ces moyens d'observation qui sont aujourd'hui dictés par la demande, par les utilisateurs.

Une des expériences principales que nous avons retenue de ces bientôt quinze ans d'exploitation de la première génération Spot est que la demande est extraordinairement concentrée, que les systèmes d'observation sont saturés en permanence sur certaines zones, sur certaines régions du monde, et relativement peu chargés sur d'autres régions.

Avec cette expérience, la conception des systèmes de deuxième génération va pouvoir en tenir compte et faire qu'au point de vue de l'agilité du satellite, au point de vue de sa taille de mémoire à bord, au point de vue du réseau de station qui permet de récupérer les données, nous allons pouvoir optimiser tout cela.

Ceci est un exemple parlant de la dualité des programmes de défense et des programmes civils, qui est extrêmement féconde, qui nécessite une qualité de dialogue entre les milieux de la défense et les milieux civils. Le ministre y faisait référence dans son exposé, ce dialogue n'est pas toujours facile à organiser et à entretenir parce que nos amis de la Défense aiment bien mettre des tampons rouges un peu partout et ce n'est pas toujours fluidifiant dans le dialogue.

Lorsque ce dialogue s'établit, compte tenu des exigences très importantes du secteur de la Défense, il est très fructueux et alimente ce travail permanent entre la technologie, l'exploitation, l'architecture d'ensemble des systèmes et la conception des systèmes de générations futurs.

Il y a là tout un champ de réflexion sur la meilleure manière d'aborder la conception des systèmes du futur qui satisferont les communautés d'utilisateurs, celles des scientifiques, celles des exploitants opérationnels, et peut-être un jour celles du grand public.

M. REVOL - Je me tourne à ma droite, y a-t-il des réactions sur cette deuxième session suscitées par toutes les interventions ?

M. BENSOUSSAN - Je voudrais rebondir sur la question de la dualité civilo-militaire pour poser la question à Monsieur HOFFMAN : quelle est la philosophie de la NASA sur la question de la dualité civilo-militaire ?

M. HOFFMAN - Il est difficile de parler d'une philosophie parce que c'est un sujet très complexe. Dans quelques sujets, nous avons une coopération entre les militaires et la NASA, nous avons un représentant de la NASA pour travailler avec les militaires, pour essayer d'éviter les duplications des technologies. Même entre les diverses forces armées, l'armée de l'air, la marine, il est difficile d'éviter les duplications et penser qu'on peut les éviter entre la NASA et les militaires n'est pas possible.

Nous sommes en train d'étudier la possibilité, je ne peux pas donner une solution maintenant. Puisque les ressources deviennent de moins en moins importantes, il est de plus en plus urgent d'éviter les duplications mais nous souffrons d'une vieille culture de séparation du militaire et du civil et nous devons nous efforcer de changer tout cela.

M. BENSOUSSAN - J'ai posé la question à Monsieur HOFFMAN mais elle peut l'être à Monsieur GODAI et à Monsieur MEDVEDTCHIKOV.

M. MEDVEDTCHIKOV - Ce n'est un secret pour personne que les mêmes entreprises industrielles impliquées pour fabriquer le matériel produisent le matériel spatial pour les militaires et pour les civils.

Notre volonté est d'utiliser tout ce que l'on avait comme acquis dans le domaine spatial militaire pour le secteur civil. Nous utilisons ce que les militaires pouvaient utiliser à l'époque pour partir de cette base dans le civil.

Je crois que, grâce à cela, la Russie est plus ouverte à la coopération internationale que les autres pays.

M. GODAI - Je voudrais vous parler de la situation au Japon.

Le Japon est le seul pays où il y a une séparation très nette entre le militaire et le civil.

Dans la plupart des pays, l'activité spatiale a démarré dans le domaine militaire et il y a eu plus tard transfert de l'activité spatiale du militaire vers le civil, ce n'est pas le cas au Japon.

La recherche sur les lanceurs au Japon a commencé il y a quarante ans avec ce que nous avons appelé un lanceur crayon. Ce petit lanceur crayon est devenu le lanceur H2. Pendant cette période de quarante ans, nous n'avons jamais eu de rapports avec des militaires.

L'an dernier, nous avons lancé le satellite pour la collecte des informations dans lequel tous les ministères japonais étaient concernés, y compris le ministère de la Défense, notamment pour l'observation de la forêt, l'eau ou la pollution, les catastrophes naturelles. C'est le premier satellite que nous avons lancé pour une utilisation duale militaire-civil.

En fait, au Japon, les technologies dans le domaine civil sont très importantes. Nous n'avons pas besoin de chercher la technologie spécialement chez les militaires.

C'est un satellite à usage normal dans le domaine civil.

M. LAFFITTE - Je regrette que notre ami Alain POMPIDOU soit parti car je n'ai pas très bien compris dans quelle mesure il envisageait, pour le programme Galileo, une structure mixte public/privé.

Je crois qu'il faudra très rapidement que nous ayons un consortium d'industriels européens qui prenne en charge les opérations, avec éventuellement des appuis de type procédure Eurêka, éventuellement abondé par la Commission européenne, mais qui soit véritablement capable de fonctionner avec les délais industriels et une volonté d'aboutir rapidement, sinon je vois mal une structure, dont les processus de décision sont aussi complexes et aussi lents que la Commission, s'engager dans un domaine où chaque semaine compte.

Un intervenant - On a parlé des applications duales civil/militaire, il ne faut pas oublier les applications duales entre le secteur spatial et hors spatial.

En fait, l'industrie spatiale utilise des technologies qui ont été investies dans d'autres industries, utilise des connaissances qui viennent d'autres disciplines scientifiques ; notre effort de financement des développements du secteur spatial et leur niveau élevé aujourd'hui ne pourraient-ils pas profiter aux autres industries ?

Dans un bilan économique global, il faudrait prendre en compte cette possibilité de transfert et d'exploitation de développements spatiaux dans le domaine industriel.

Je voudrais savoir quelle est la politique de la NASA ou de la NASDA en la matière, comment nous pourrions favoriser ces transferts et cette valorisation, et en particulier si l'on ne pourrait pas renforcer l'action déjà engagée par l'ESA dans ce domaine.

M. HOFFMAN - Nous avons créé à la NASA, il y a quelques années, un bureau spécial dédié au transfert des technologies. Nous avons rencontré beaucoup de succès. Les industries se rencontrent quand elles ont un problème que la technologie spatiale pourrait résoudre ; elles ont maintenant un point de contact à la NASA où elles peuvent chercher de l'information.

Un exemple : vous vous souvenez peut-être avoir lu dans les journaux l'existence d'une pompe qui relève le stress cardiaque, c'est une nouvelle technologie. L'article n'a pas mentionné le fait que cette pompe était développée avec l'aide de la NASA. C'était la même technologie que pour le calcul de la mécanique des fluides développé pour les pompes du moteur principal de la navette spatiale.

La taille est différente mais les mécanismes des fluides sont les mêmes.

Cet exemple illustre qu'entre la NASA, l'industrie et la médecine, il existe une grande coopération qui contribue pour beaucoup à l'économie. On calcule que pour chaque dollar investi dans le domaine spatial, on en tire sept pour l'économie commune ; une partie est directe et l'autre indirecte mais c'est un bon investissement dont les politiciens doivent être conscients.

M. GODAI - Pour la NASDA, nous ne sommes pas tout à fait concernés, en fait nous n'avons pas pour objectif spécifique de faire des activités spatiales pour contribuer aux industries ou créer des emplois. En revanche, pour construire les infrastructures d'avenir ou pour concevoir le système pouvant être utilisé par la population tout entière, parce que nous sommes un organisme public, le calcul des coûts est très important.

S'il y a des résultats, nous pouvons faire des transferts de technologie vers d'autres domaines. Un exemple notable est le lanceur H1. En fait, nous avons fait beaucoup de transferts de technologie vers des entreprises privées. NASDA développe la technologie, les essais et la validation. Plus tard, si les entreprises privées veulent utiliser ces technologies qui sont nées dans le domaine spatial, nous les laissons en profiter.

M. CURIEN - Plusieurs intervenants ont parlé de la nécessaire réduction des coûts des systèmes spatiaux et ils ont bien raison, les systèmes spatiaux sont trop onéreux. L'espace coûte cher et, à mon avis, trop cher.

Si cela coûtait vraiment moins cher, le rêve serait plus facile.

Il faut réduire mais, quand la NASA dit qu'elle va réduire, elle n'a pas les obligations qui sont les nôtres en Europe d'équilibrage des intérêts des différents partenaires européens. L'Europe coûte en plus ; quand on coopère, cela coûte en plus.

Que va-t-on essayer de couper ? Si l'on coupe le surplus venant de la coopération, on casse l'Europe. Faut-il couper chez les gros, chez les petits ?

Dans le domaine du test des satellites, nous avons une surabondance de moyens en Europe évidente, nous en avons trois fois trop. Où va-t-on couper ? au CNES ? à l'ESA ? chez nos amis italiens ? A vous de décider.

M. REVOL - Question bien difficile, qui veut répondre ?

M. RODOTA - Bien sûr, l'espace coûte cher mais si l'on regarde les sociétés de services dans les télécoms, l'espace est une bonne affaire, elles gagnent beaucoup d'argent. Cela veut dire peut-être que les satellites sont un peu chers, je n'en suis pas sûr, mais c'est un bon business.

Nous avons essayé de faire des essais pour voir combien coûte un satellite en Europe et combien aux Etats-Unis, ce n'est pas très différent. Je peux citer des cas où la situation en Europe n'est pas aussi mauvaise que tout le monde le dit. Il faudrait le répéter.

Je vais essayer de donner des chiffres globaux qui ne sont pas très bien compris. Lorsque je disais qu'en Europe on dépensait 15 % en termes de recherche et développement par rapport aux Etats-Unis, cela signifie que l'on dépense moins d'argent mais, au niveau du marché, on a une position faussée. Cela signifie que le coût des satellites et des lanceurs est bien placé au niveau du marché.

Au niveau des surcoûts dans les programmes, j'ai lu des documents officiels et j'ai regardé quels étaient les surcoûts dans les programmes européens. Je peux vous assurer que la situation en Europe n'est pas aussi mauvaise qu'on le dit. C'est quelque chose de documenté sur des papiers officiels.

S'agissant des centres de contrôle, quelqu'un disait qu'il y en avait beaucoup. Nous avons fait un contrôle il y a quelques mois et nous avons constaté qu'il y avait assez de charges pour l'instant mais qu'il y aurait peut-être des problèmes dans l'avenir. Nous avons pris en charge ces problèmes et nous essayons de les régler.

Je suis peut-être trop optimiste mais il faut toujours l'être pour se donner des objectifs pour le futur. Je suis convaincu que l'Europe ne part pas d'une position aussi mauvaise qu'il y paraît parfois.

M. ZAPPA - Une partie de l'industrie parce que les satellites sont une partie des coûts. Les rêves coûtent, la mode française et italienne, le psychanalyste pour interpréter les rêves. Si l'on reste dans le rêve, on doit payer.

Il existe une possibilité de faire des politiques de synergie en Europe au niveau industriel et au niveau des agences. Une programmation est nécessaire sinon, s'il n'y a pas de possibilités sur le plan financier, sur le plan des investissements, à long terme, il est difficile de faire des restructurations.

Si l'on réduit les coûts, on doit aussi prendre le problème de la dimension de la recherche en Europe parce que nous sommes compétitifs vis-à-vis des Américains.

Nous avons participé à des missions spatiales ou à des programmes de télécommunication satellitaire avec des partenaires américains et nous avons fait des investissements. La dimension de ces investissements est moindre que le retour industriel, pas seulement lié aux investissements mais à la capacité et au coût que nous pouvons offrir sur le marché américain.

Nous devons aussi considérer, dans le coût de l'espace, le coût du risque et le coût financier. Aujourd'hui, en Europe, la finance est internationale mais nous avons une monnaie unique, la volonté de valoriser notre monnaie, et le Parlement et la Commission européenne doivent considérer les aspects financiers liés au coût du business spatial.

M. REVOL - S'il n'y a plus de questions, il me reste deux messages à vous adresser. Le premier est un message personnel pour vous remercier de tout coeur. Je me tourne tout particulièrement vers vous, Messieurs les intervenants, qui avez bien voulu vous rendre à l'invitation de l'Office parlementaire.

Vos interventions ont été passionnantes, elles ouvrent la voie au travail qui m'a été confié et je ne manquerai pas, au cours des mois qui viennent, de vous solliciter à nouveau.

Toutefois, le compte rendu intégral de ces auditions sera joint à mon rapport, ainsi que la contribution de l'Agence spatiale indienne qui n'a pu être présente physiquement mais qui m'a fait passer hier après-midi une intervention.

Par ailleurs, je voudrais vous donner connaissance du message que m'a transmis Monsieur Christian PONCELET, président du Sénat, qui s'excuse de ne pouvoir nous rejoindre personnellement parce qu'il est retenu mais qui a tenu à ce que je vous le lise :

" A l'issue de cette journée d'auditions publiques organisée par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur le thème "L'espace aujourd'hui et demain", j'ai souhaité vous adresser un message. Son objet est double.

En premier lieu, je me félicite de voir le Parlement français prendre l'initiative, par le truchement de son Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, d'une véritable investigation sur la situation et les perspectives de la politique spatiale française.

L'engagement de ce travail est, en effet, d'autant plus opportun que la réflexion politique, au sens noble du terme, dans le domaine spatial, semble être tombée progressivement en déshérence. Or, une impulsion politique fondamentale est aujourd'hui plus que jamais nécessaire face à l'univers mouvant et redoutablement concurrentiel qu'est devenu l'espace.

Certes, nous pouvons nous targuer aujourd'hui d'un résultat flatteur dont les succès répétés des fusées Ariane constituent la figure de proue. Si j'éprouve, comme chacun de nous, une légitime fierté, j'ai cependant le devoir, en tant que Président du Sénat, de mettre en garde l'ensemble de nos décideurs politiques et industriels contre le risque bien réel que nous encourons de nous endormir sur nos lauriers.

En se gardant de tout complexe de la citadelle assiégée, il est en effet indispensable -et ce sera le second point de mon message- de donner une nouvelle impulsion à la politique spatiale française qui doit devenir l'aiguillon, et j'espère le pivot, d'une véritable démarche européenne dans ce domaine.

Depuis l'élan décisif donné à l'origine de l'ouverture spatiale par le Général de GAULLE, c'est en effet l'implication personnelle et constante de nos grands responsables politiques dans l'affirmation du caractère stratégique de la politique spatiale qui a permis à la France et à l'Europe d'atteindre le rang qui est aujourd'hui le leur. Préserver ce rang implique aujourd'hui, à l'évidence, qu'une nouvelle étape soit franchie pour aboutir à la définition d'une véritable stratégie spatiale européenne car, ne nous leurrons pas, nos concurrents ne feront pas de concessions.

C'est donc d'une démarche collective, déterminée que doit procéder une Europe spatiale qui, de l'Atlantique à l'Oural, voire au-delà, permettra d'équilibrer la force dominante de l'Amérique dans ce domaine.

Je souhaite -vous ne m'en voudrez pas- que dans ce processus la France joue un rôle moteur et qu'elle assume pleinement cette indispensable dimension européenne.

Notre pays doit en effet être à l'origine et non pas subir les différents regroupements stratégiques et industriels qu'implique cette nouvelle frontière de la politique spatiale. A l'évidence, cette démarche impliquera des choix difficiles ; à l'évidence elle exigera une rationalisation des actuelles structures de gestion mais sachez qu'il n'y a pas de grande politique sans décision courageuse.

Je compte que les travaux engagés par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques contribueront à mettre ces exigences en lumière et qu'ils provoqueront l'indispensable sursaut national et européen qui permettra à notre politique spatiale d'entrer avec une sereine détermination dans le prochain millénaire.

Christian PONCELET "

Merci Mesdames et Messieurs.

ANNEXE 17 - COLLOQUE L'HOMME DANS L'ESPACE

MERCREDI 28 JUIN 2000

OFFICE PARLEMENTAIRE D'EVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

La séance est ouverte à 14 h 10 sous la présidence de Monsieur le Sénateur Henri REVOL .

M. LE PRESIDENT - Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs les Députés, Mesdames et Messieurs,

A la suite d'une saisine du Sénat, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques m'a chargé d'un rapport sur le bilan et les perspectives de la politique spatiale française.

J'avais organisé l'année dernière, au mois de Mars, un colloque sur le thème « L'espace aujourd'hui et demain » , ici au Sénat, qui m'avait permis de démarrer les travaux qui m'étaient confiés, d'avoir de grandes orientations, d'examiner aussi les aspects industriels et donc donner de précieux éléments d'information permettant de construire petit à petit ce rapport dont on m'a chargé.

Ce rapport - je le signale, mais vous toutes et vous tous qui vous intéressez au monde spatial le savez - va faire suite à un rapport de 1990 du Sénateur LORIDANT que je remercie d'être présent aujourd'hui et donc, en cette fin de siècle, du moins je l'espère, faire le point de la politique spatiale française et européenne et, si possible, comporter un certain nombre de recommandations.

Il y a quelques mois, j'ai souhaité que le Parlement offre une tribune à tous ceux qui s'intéressent à la problématique de « L'homme dans l'espace » et je suis très honoré d'accueillir aujourd'hui les nombreuses personnalités qui ont accepté de venir donner leur opinion et faire part de leur expérience.

Parmi les députés, je salue particulièrement le Député DUCOUT, Président du Groupe parlementaire de l'espace qui réunit des députés et des sénateurs français, et des députés européens qui s'intéressent à l'espace et qui s'attache à donner une bonne information à tous les parlementaires.

Parmi les intervenants que je remercie beaucoup d'avoir accepté de participer à ces tables rondes - il y en aura deux dans l'après-midi - je suis particulièrement heureux puisque l'occasion m'en est donnée, de féliciter Monsieur ZAPPOLI du CNES et Monsieur BEYSENS du CEA qui se sont vu décerner, il y a quelques jours, un Grand prix de l'Académie des Sciences.

Je vous demande de bien vouloir excuser Monsieur Paul QUILES, ancien ministre, président de la Commission de la Défense à l'Assemblée Nationale, qui a dû se rendre inopinément dans sa circonscription et qui devait participer à nos travaux.

Je remercie tout particulièrement les astronautes qui, de divers horizons, sont venus participer à notre réflexion ainsi que les représentants des Agences spatiales américaines et Canadiennes et de la Société russe ENERGIA.

Je salue également la présence de ceux qui ont bien voulu représenter l'industrie spatiale française et la communauté des chercheurs.

Je remercie enfin profondément Monsieur Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, ministre de la Recherche, qui a accepté de bien vouloir venir ouvrir nos travaux. Je lui donne immédiatement la parole afin qu'il nous donne son point de vue et nous éclaire sur sa conception de la politique spatiale de notre pays.

Monsieur le Ministre, je vous donne la parole.

* ALLOCUTION DE MONSIEUR LE MINISTRE DE LA RECHERCHE

M. Roger-Gérard SCWARTZENBERG - Merci, Monsieur le Président.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux de pouvoir répondre à la très aimable invitation du Président REVOL et d'ouvrir aujourd'hui avec vous, ce colloque sur « L'homme dans l'espace » , organisé par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Ayant été moi-même parlementaire au cours des quatorze dernières années - de 1986 au 27 mars 2000, ce qui est tout de même encore très récent - j'accorde bien sûr la plus grande importance à ce qu'expriment les parlementaires qui sont les porte-parole les plus naturels, et les seuls légitimes d'ailleurs, de leurs concitoyens et qui, par conséquent, ont beaucoup à nous apporter par leurs réflexions et leurs prises de position.

Je suis toujours très frappé par la grande qualité des rapports faits par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

En ce qui concerne ce sujet, « L'homme dans l'espace » , chacun se souvient encore, je crois, de cette soirée de juillet 1969 - en tout cas soirée pour les Français par rapport à l'heure qu'il faisait et sans doute aussi pour d'autres - où le premier astronaute, Neil ARMSTRONG, a été le premier à poser le pied sur la Lune, chacun s'en souvient : « un petit pas pour l'homme, un grand pas pour l'humanité ».

Nous savons que la conquête de l'espace est une très grande aventure humaine qui mobilise beaucoup l'imagination, l'opinion publique et nos concitoyens. Et nous savons aussi qu'elle est à l'origine de très grandes informations ou découvertes scientifiques.

La France a progressivement acquis une compétence tout à fait incontestable et incontestée en matière de vols habités. C'est en 1982 que, pour la première fois, un Français, Jean-Loup CHRETIEN, était envoyé dans l'espace à bord de la station Saliout 7, dans le cadre d'une coopération avec la Russie.

Depuis, douze autres missions ont été réalisées :

- six avec les Russes à bord de la station Mir,

- six autres à bord des navettes spatiales américaines.

L'année 1999 a été particulièrement riche à cet égard puisqu'elle a donné lieu à deux vols dont un de très longue durée pour Jean-Pierre HAIGNERE qui est le recordman de la durée, excepté l'astronaute russe qui est resté encore un peu plus longtemps. Il est en tout cas médaille d'argent incontestée pour les vols de longue durée, je tiens particulièrement à le saluer.

Les astronautes français ont pu ainsi acquérir des compétences reconnues par tous :

- Jean-Pierre HAIGNERE est le directeur du Centre des astronautes de l'ESA, situé à Cologne en Allemagne,

- Claudie ANDRE-DESHAYS, qui est de surcroît, comme vous le savez, médecin, est désormais qualifiée pour être commandant de bord de Soyouz pendant la phase de retour sur terre.

Peu de temps après ma prise de fonction au ministère, le 29 avril dernier, j'ai souhaité pouvoir rencontrer Jean-Pierre HAIGNERE et Claudie ANDRE-DESHAYS pour saluer le courage et la compétence de nos astronautes.

J'ai eu le plaisir de rencontrer Jean-François CLERVOY à l'Assemblée Nationale la semaine dernière, à l'occasion d'une manifestation organisée par le groupe parlementaire sur l'espace, présidé par notre ami Pierre DUCOUT, présent dans cette salle.

Comme vous le savez, c'est un grand spécialiste des manipulations robotiques spatiales qui seront tout à fait primordiales dans le processus d'assemblage de la station spatiale internationale. Il les a illustrées récemment et remarquablement dans la délicate mission de réparation du télescope Hubble.

Je voudrais également saluer Monsieur FAVIER.

Il ne m'est pas possible, bien sûr, de citer ici les qualités de chacun des astronautes français qui, à l'exception de Philippe PERRIN, sont désormais intégrés au corps européen des astronautes de l'ESA, mais je tiens ici à leur rendre hommage.

Ces missions ont également permis aux équipes du CNES de se spécialiser dans tous les domaines de la préparation puis de la réalisation d'un vol spatial habité de courte ou longue durée :

- conception et qualification des équipements des expérimentations,

- rédaction des procédures de vol,

- validation des protocoles opérationnels,

- suivi des opérations,

- suivi médical des astronautes.

Ces expérimentations ont également permis la création d'une communauté scientifique dans le domaine de la microgravité et de la médecine spatiale. Il me paraît tout à fait nécessaire de maintenir ces compétences et de les développer dans l'attente du début de l'exploitation de la Station spatiale internationale à l'horizon 2005.

Comme vous le savez, nous sommes engagés dans cette opération de la station spatiale internationale, par des accords signés notamment en 1995, en souhaitant bien sûr que nous restions dans le coût de l'enveloppe tel que fixée à Toulouse en 1995.

Puisqu'il y a cette station spatiale internationale qui correspond à un grand projet, je pense qu'il est tout à fait souhaitable qu'entre maintenant, l'année 2000, et l'année 2005 qui sera l'année de la mise en service, nos astronautes puissent continuer à maintenir et à renforcer encore leurs qualifications et que, par conséquent, des opportunités de vol puissent leur être offertes.

C'est ce dont je me suis entretenu, il y a déjà plusieurs semaines avec les responsables du CNES, Monsieur BENSOUSSAN et Monsieur BRACHET et avec les responsables de l'ESA.

Il faut se garder cependant d'ouvrir une controverse théologique entre vols habités et vols automatiques car les uns et les autres ont leur utilité.

Les vols habités permettent non seulement de réaliser des expériences en microgravité, ce que les vols automatiques peuvent également obtenir, mais aussi de fournir des informations précieuses sur le système cardio-vasculaire et sur les physiologies neuro-sensorielle, osseuse et musculaire.

Les astronautes disent souvent - en tout cas ils me l'ont dit - que, de surcroît, la présence d'hommes ou de femmes dans ces vols oblige les techniciens et les agences à faire des efforts renforcés de sécurité. La présence humaine est donc un facteur qui, par-là même, peut apporter encore des enseignements ou des actions accrues en matière de renforcement de la sécurité et de la précision.

Par ailleurs je souhaite promouvoir le développement des applications de l'espace au service de la société et de l'avancement des connaissances. Je pense naturellement ici au programme Galileo et au développement des télécommunications spatiales qui contribuent à faire entrer encore davantage l'Europe dans la société de l'information et qui représentent des enjeux stratégiques et économiques majeurs.

Les moyens spatiaux peuvent également apporter une contribution essentielle à la surveillance et donc à la meilleure protection de l'environnement ainsi qu'à une meilleure information sur les ressources durables comme l'eau, donc à une meilleure gestion de celle-ci.

C'est pourquoi, à mon sens, l'Europe doit réfléchir activement au projet GMES (Global monitoring for environnement et security).

Enfin les systèmes spatiaux contribuent à apporter des réponses aux questions fondamentales que sont l'origine de l'univers et son évolution. Et ces systèmes ont révolutionné bien des disciplines scientifiques.

Comme vous le savez, la France souhaite participer à l'exploration martienne et au programme Mars Sample Return, programme de retour d'échantillons de Mars, qui fait intervenir bien sûr la NASA en priorité avec la puissance qui est la sienne, mais aussi la France.

Ce programme est essentiel pour la recherche, Mars est en effet la seule planète qui, avec la Terre, a pu réunir, à un moment de son histoire, les conditions nécessaires à l'émergence d'éventuelles formes de vie. La confirmation récente de la présence d'eau sur Mars est un signe qui va sans doute encore conforter ceux qui souhaitent que l'exploration martienne aille de l'avant.

La question de l'exploration martienne me conduit à revenir vers les vols habités.

Comme vous le savez les Etats-Unis envisagent de plus en plus d'envoyer l'homme sur Mars, à long terme bien sûr. Il est prématuré de fixer la date d'une telle aventure, mais Mars constituera vraisemblablement la nouvelle frontière de l'humanité au XXIe siècle.

De telles expéditions - c'est en effet bien le terme qui convient - ont naturellement une forte capacité de mobilisation du public. C'est une caractéristique plus générale des vols habités que je voudrais souligner pour terminer.

Ceux-ci constituent un formidable outil pédagogique pour l'éveil de la jeunesse aux sciences et pour la culture scientifique et technique du plus grand nombre. Dans ce domaine, les astronautes français, leurs collègues européens, américains, russes ainsi que d'autres nationalités encore, le CNES et l'Agence spatiale européenne ont su faire partager leur enthousiasme à nos concitoyens.

Votre colloque, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, est donc particulièrement intéressant pour débattre de ce thème dont je sais qu'il a suscité, dans un passé assez récent, des appréciations qui n'étaient pas toutes superposables les unes aux autres, s'agissant des vols habités.

La réflexion que vous allez engager sera donc vraiment très utile pour contribuer à fixer notre propre détermination et notre propre position, même si chacun, au-delà même seulement du raisonnement scientifique ou technologique, a peut-être une prédisposition ou une sensibilité particulière à porter une appréciation positive ou moins positive sur les vols habités.

Ceci, sachant ce qu'ils représentent, en tout cas pour les premiers, de capacité à poursuivre l'aventure humaine qui a marqué plusieurs étapes en ce qui concerne les pôles, les océans, l'Everest, la Lune et avec l'ambition de ne pas s'arrêter là pensant que l'espace est infini, que la connaissance l'est aussi et qu'il serait dommage de décider de marquer le pas.

En tout cas votre colloque - je ne pourrai malheureusement pas y assister car je dois me rendre à l'Assemblée Nationale pour les questions d'actualité - contribue à rapprocher, si vous me permettez l'expression, le ciel et la terre, tous les acteurs du spatial et nos concitoyens.

Il n'y a finalement pas de tâche plus importante en démocratie que de débattre avec nos concitoyens et avec ceux qui les représentent, les parlementaires, des grands enjeux du futur.

L'espace, je le pense fondamentalement, doit être l'affaire de tous, car, en démocratie, les grands choix doivent être l'affaire de tous !

M. LE PRESIDENT - Merci Monsieur le Ministre, nous savions que vous seriez obligé de nous quitter.

Je vous remercie beaucoup d'avoir accepté d'ouvrir nos travaux qui sont des travaux parlementaires ; or, je suis chargé d'un rapport parlementaire. Je sais cependant à n'en pas douter que même si l'Office parlementaire émet des rapports à la disposition de ses collègues parlementaires, si le Gouvernement le veut bien, il est aussi l'inspirateur de différentes politiques.

En particulier, je pense et j'espère qu'il apportera un éclairage sur les voies à suivre pour la politique spatiale française.

Je vais maintenant donner la parole à Monsieur Bruno ROUGIER, journaliste, qui va assurer le rôle de meneur de jeu et qui va prendre la direction des opérations.

M. ROUGIER - Merci beaucoup Monsieur le Sénateur.

Je vais rapidement vous indiquer le déroulement de cette journée.

Nous avons deux débats consacrés :

- pour le premier, à l'utilité de l'homme dans l'espace,

- pour le second, à l'espace extraterrestre et au destin de l'humanité.

Les deux débats seront organisés de la même manière ; pendant environ 1 h 30, nous allons débattre entre nous autour de cette table. A la fin de chacun de ces débats, un rapporteur fera le bilan de cette table ronde. Pour la première table ronde, ce sera Jean-Jacques FAVIER.

Ensuite je me tournerai vers la salle, pour une séance de questions d'une vingtaine de minutes environ.

PREMIERE TABLE RONDE : QUELLE EST L'UTILITE DE L'HOMME DANS L'ESPACE ?

M. ROUGIER - Je ne vous ferai pas l'injure, car beaucoup d'entre vous sont des spécialistes du spatial, de vous rappeler que la grande aventure spatiale a commencé en avril 1961 avec Youri GAGARINE.

Je suis persuadé qu'au moment où Youri GAGARINE s'est envolé pour l'espace à bord de son vaisseau, il savait qu'il ouvrait la voie à une grande aventure. A part quelques visionnaires, je suis persuadé que personne n'imaginait ce que serait le monde spatial.

Les stations spatiales sont arrivées assez vite, dès 1871 nous avons vu la première. Et il est vrai qu'aujourd'hui nous pourrions considérer que l'espace est quelque chose d'habituel ; personne ne s'étonne, ni ne s'émeut de voir partir des navettes ou des fusées avec, à leur bord, des hommes, et pourtant c'est encore une aventure !

Certains diront que le rôle de l'homme dans l'espace est indispensable, d'autres non, il peut être remplacé : ce sera l'objet du débat de cette première table ronde.

Il est vrai que si nous avons admiré les images de la réparation de Hubble - et mon voisin y est pour beaucoup avec toute l'équipe qui a travaillé dessus -, il est vrai aussi que des hommes ont travaillé des centaines d'heures dans des laboratoires de recherche, j'aurais presque tendance à dire, un peu dans l'anonymat.

Quel bilan peut-on faire des vols habités ?

La microgravité est-elle un état qui peut véritablement faire avancer la recherche ?

Ce sera le thème de cette première table ronde et nous pourrons nous demander aussi pourquoi on construit encore aujourd'hui une station spatiale internationale, cette station dont les deux premiers éléments ont été assemblés -un troisième arrivera au cours de l'été- et l'équipage, lui, arrivera à la fin de l'année.

Une chose est sûre : aujourd'hui, aucun des grands pays qui se sont lancés dans la conquête spatiale n'a abandonné.

Si nous regardons par exemple les Russes, nous pouvons dire qu'à l'heure actuelle ils ont deux fers au feu puisque s'ils sont encore sur la station spatiale internationale, et également sur Mir.

Les Américains n'ont jamais remis en cause leur participation à des programmes spatiaux.

Nous pouvons même dire que d'autres se lancent, tels le Japon, le Canada.

Avec la station spatiale internationale, l'Europe se lance encore davantage dans le vol habité.

Et la Chine apparaît.

Globalement, lorsque nous regardons le paysage, nous voyons que personne, aujourd'hui, parmi les grandes puissances, n'a décidé de se retirer.

Ce sera certainement une question que nous allons aborder, mais avant de lancer vraiment le débat, je voudrais me tourner vers Paul LORIDANT.

Monsieur le Sénateur, il y a dix ans, vous avez fait un rapport. Dix ans après, quel regard avez-vous sur ce rapport : des choses vous ont-elles étonné dans les dix ans qui se sont écoulés ?

Auriez-vous envie aujourd'hui de retirer ou d'ajouter certaines choses à votre rapport ?

M. LORIDANT - Lorsque j'étais tout jeune sénateur, élu depuis à peine deux ans, et que je me suis lancé dans le rapport de l'Office parlementaire sur la politique spatiale, j'explorais un terrain tout neuf pour moi puisque je venais de la Banque de France et ne savais que compter les billets. J'ai donc découvert un milieu intéressant.

Le monde de l'espace en France est un petit milieu avec 20 ou 30 000 personnes, où tout le monde se connaît et sur lequel j'avais un regard neuf.

Je dois dire, pour vous mettre tout de suite dans l'ambiance, qu'un des premiers débats qui est très vite apparu, était qu'il y avait un conflit de « doctrines » entre les uns qui étaient pour accélérer les vols habités et les autres qui étaient des farouches opposants aux vols habités.

Je ne sais pas si le débat a beaucoup progressé aujourd'hui car il me semble qu'il perdure toujours, excepté qu'au bout de dix ans, je constate qu'on a poursuivi les vols habités.

Tous les centres que j'ai pu visiter, que ce soit à Baikonour ou aux Etats-Unis ont continué les vols habités et d'autres puissances, qui avaient des velléités de devenir des puissances spatiales, le sont réellement devenues.

J'ai donc le sentiment, pour situer le contexte, que pour être une grande puissance au XXIe siècle, il faut avoir une dimension spatiale.

Je vois qu'en dépit de ses difficultés, la Chine a accéléré son programme, que le Japon continue, que l'Europe fait des efforts méritoires pour mieux se coordonner. Si une chose me paraissait évidente dans les années 1990, 1991, c'était que l'Europe jouait en ordre dispersé, j'ai le sentiment qu'elle a progressé vers davantage de cohérence mais qu'il y a encore des progrès à faire.

Je constate que l'Union soviétique, puis la Russie aujourd'hui, perdurent dans les programmes spatiaux en dépit de leurs difficultés.

L'enjeu spatial demeure donc !

Qu'est-ce qui a fondamentalement changé ?

Des choses se sont passés que peut-être vous, professionnels, ne voyez pas.

Lorsqu'on posait la question, il y a un peu plus de dix ans, des chapelets de satellites tournant autour du globe, cela paraissait une hypothèse qui n'était pas très sûre, qui était contestée. On ne pensait pas que ces microsatellites en orbite basse auraient du succès. Or je constate que cela a été beaucoup plus vite qu'on ne le pensait. Il y a eu ces chapelets de satellites en orbite basse et les télécommunications en matière spatiale sont devenues un élément central -c'était pointé et prévisible- et il y a eu cette velléité de microsatellites.

Pour le reste, je considère que le débat sur « Faut-il que l'homme aille dans l'espace ou non ? » demeure d'actualité.

J'avais beaucoup de mal car, parmi les experts qui m'accompagnaient pour faire ce rapport -il y en avait une petite dizaine-, certains étaient de farouches partisans des vols habités, d'autres de farouches opposants. Comme parlementaire, j'étais au noeud des contradictions. Des journalistes spécialistes me demandaient comment j'allais pencher, je ne savais pas trop.

Je constate simplement que le débat demeure aujourd'hui, il y a eu des vols habités, mais, par ailleurs - et c'est plutôt une réflexion philosophique que scientifique - plus on interdit à l'homme d'aller quelque part, plus il a envie d'y aller.

L'idée que l'homme n'irait pas dans l'espace ou que ce n'était pas une priorité était un faux problème puisque, de toute façon, c'est comme la découverte des océans. C'était dangereux de traverser l'océan et de découvrir l'Amérique. C'est sans doute dangereux d'aller dans l'espace puisque ce n'est pas un milieu naturel pour l'homme, puisqu'on ne peut y vivre comme sur terre.

Je constate cependant qu'on y va et qu'on ira encore parce que c'est un défi permanent à l'homme - et c'est encore une réflexion philosophique -, on veut aller où c'est interdit et découvrir de nouveaux espaces pour faire avancer la recherche.

A mon avis, les vols habités interviendront, il y en aura de plus en plus en dépit des difficultés. La seule question qui peut se poser est la suivante : à l'instant T faut-il donner davantage la priorité aux vols automatiques ou aux vols habités ?

Cette question peut se poser, mais sur le long terme je vois mal comment on interdira à l'homme ou à la femme d'aller dans l'espace car c'est la destinée de l'homme de découvrir ce qu'il ne connaît pas.

M. ROUGIER - Merci beaucoup !

Je vous présente rapidement l'ensemble des intervenants de cette première table ronde et j'ai choisi l'ordre alphabétique pour le faire :

- Claudie ANDRE-DESHAYS, astronaute à l'ESA,

- le Professeur Alain BERTHOZ, directeur du laboratoire de physiologie de la perception et de l'action au Collège de France,

- Daniel BEYSENS, directeur de laboratoire à la Direction des Sciences de la matière au CEA,

- Jean-François CLERVOY, astronaute à l'ESA,

- Jean-Jacques FAVIER, astronaute, directeur adjoint des techniques spatiales au CNES,

- Jörg FEUSTEL-BÜECHL, directeur des vols habités et de la microgravité à l'ESA,

- le Professeur Claude GHARIB, professeur des universités, laboratoire de physiologie de l'environnement à l'université Claude Bernard Lyon 1,

- Antonio GÜELL, responsable des programmes Sciences de la Vie au CNES,

- le Sénateur Paul LORIDANT,

- Vincent MIKOL D'AVENTIS PHARMA,

- Alexandre POLECHTCHOUK, pilote-cosmonaute russe qui représente RSC ENERGIA,

- Lionel SUCHET, responsable du département exploitation des stations spatiales au CNES à Toulouse,

- Michel VACHON, directeur général du Bureau des astronautes canadiens, AGENCE SPATIALE CANADIENNE,

- Bernard ZAPPOLI, responsable du programme de sciences physiques en micro-pesanteur au CNES.

Madame et Messieurs, je vous demanderai simplement de donner les réponses les plus brèves possible et si vous souhaitez intervenir au cours du débat, faites-moi signe de manière que je puisse vous donner la parole aussi régulièrement que possible.

Je rappelle qu'aux environs de 16 h 00, Jean-Jacques FAVIER fera la synthèse de cette table ronde puis vous, qui êtes dans la salle, pourrez poser toutes les questions que vous souhaitez.

Nous allons peut-être commencer par vous, Claudie ANDRE-DESHAYS, avec une question à la fois simple et centrale : pourquoi aujourd'hui l'homme va-t-il dans l'espace ? Et nous pouvons dire est-il , car depuis pratiquement trente ans, il n'a pas cessé d'y aller.

Mme ANDRE-DESHAYS - Vous me demandez de répondre brièvement à une question difficile.

Depuis près de quarante ans maintenant, l'homme va dans l'espace. Il y est d'une façon quasi permanente, comme nous l'avons évoqué, les grandes puissances n'ont pas renoncé à leurs programmes spatiaux habités et même de nouvelles puissances émergent et s'y intéressent.

En fait, j'ai simplement envie de retourner la question. En prenant conscience que l'homme est dans l'espace, qu'il y sera, qu'il y a un devenir, si l'Europe n'y participe pas ou n'y est pas présente d'une façon suffisamment visible et identifiable, il faut se demander de quoi elle se prive.

Je crois que nous pouvons peut-être lancer le débat de cette façon, en faisant le point de ce qui a été acquis et de ce qui reste à acquérir, qui montre l'utilité de l'homme dans l'espace en se plaçant dans la perspective d'une participation moindre ou importante ou soutenue.

M. ROUGIER - Je disais au début de ce débat que tous les pays qui se sont engagés dans l'espace, dans les vols habités, y sont aujourd'hui, aucun ne s'est retiré, aucun n'a dit que ce n'était plus la peine d'y aller. C'est peut-être, dès le départ, quelque chose qu'il faut bien rappeler.

Mme ANDRE-DESHAYS - Il est vrai que l'acuité de la question est essentiellement là, en Europe, actuellement. C'est ce qui nous réunit aujourd'hui pour ce débat et je crois qu'il faut effectivement envisager l'ensemble des enjeux, qu'ils soient politiques, stratégiques, techniques et scientifiques pour trouver sa place dans ce débat.

M. ROUGIER - Justement, Monsieur FEUSTEL-BÜECHL, à l'heure actuelle, l'Europe est tout à fait présente sur la station spatiale internationale. Nous pouvons justement poser la question, rebondir sur ce que vient de dire Claudie ANDRE-DESHAYS : pourquoi aujourd'hui l'Europe est-elle présente dans cette station ?

M. FEUSTEL-BÜECHL - L'Europe a pris la décision de participer à la station en 1995 à Toulouse. A notre avis, quatre motivations étaient derrière cette décision :

1. Une motivation politique

La station spatiale internationale est de loin le plus grand programme spatial jamais entrepris sur la base d'une coopération internationale. Presque toutes les grandes puissances spatiales concentrent leurs efforts sur ce programme. Il est peu probable qu'une autre station soit réalisée dans un avenir à court terme.

Cette coopération entre les Etats-Unis, les Russes, les Japonais, les Canadiens et les Européens a une fonction de phare et de bâtisseur de chemin en abattant les obstacles politiques et culturels, et en créant un climat de confiance mutuelle qui posera les fondations pour d'autres projets de coopération dans d'autres domaines que le spatial.

C'est une des premières motivations.

2. Une motivation technologique, souvent oubliée

Le développement d'une nouvelle technologie, la réalisation de la station spatiale, offre aux industriels européens des possibilités intéressantes dans le domaine :

- de l'informatique,

- des systèmes de pilotage,

- de la robotique ; ceci sans être contradictoire avec l'homme dans l'espace,

- du système de contrôle de vie des étages supérieurs des lanceurs,

- et du système de rentrée.

Dans la gestion de grands programmes, je pense que la station est vraiment importante.

3. Une motivation concernant l'opération et l'utilisation

La station sera disponible sans interruption. Un équipage l'habitera en permanence, on pourra y accéder fréquemment, de manière régulière.

Ses ressources en termes de capacité de laboratoire, des installations extérieures, d'énergie électrique, du traitement des données et des télécommunications contribueront à en faire une plate-forme performante qui fera progresser la science et accélérera les innovations technologiques.

Etre absent d'un tel programme n'était vraiment pas acceptable.

4. La station est un passage obligé pour le futur, pour les programmes mentionnés par M. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG.

Il y a la mission sur Mars, ainsi que d'autres stations, des missions sur la Lune. Et la station peut vraiment avoir un rôle significatif pour préparer ces missions.

Je pense que ce sont les quatre motivations principales de la participation à cette entreprise globale.

M. ROUGIER - Nous n'allons pas nous attarder sur l'état d'avancement, simplement pour dire que cette station est tout à fait réelle puisque deux modules ont déjà été installés, le troisième partira cet été et les premiers équipages sont attendus pour la fin de l'année. Nous sommes donc là vraiment dans le présent.

M. FEUSTEL-BÜECHL - Vous avez raison, Monsieur ROUGIER, les premiers éléments en orbite ont été lancés avec les modules russes Sarya le 20 novembre 1998 et américains Unity le 4 décembre 1998.

Le prochain élément très attendu sera lancé de Baïkonour, c'est le service module appelé aussi Svesta. Le lancement est prévu pour le 12 juillet. Nos collègues russes peuvent peut-être en dire davantage à ce sujet.

Les premiers astronautes qui habiteront la station en permanence devraient partir de Baïkonour avec une fusée russe Soyouz le 30 octobre cette année.

Le lancement du laboratoire américain qui marquera le début de l'utilisation scientifique de la station, est prévu pour le début de l'année prochaine.

M. ROUGIER - Nous avons un peu compris les motivations, mais dans cette station spatiale internationale, quel sera le rôle de l'Europe ?

M. FEUSTEL-BÜECHL - Ce rôle est multiple, je vais juste mentionner les éléments les plus importants, qui sont :

- La contribution du laboratoire spatial Colombus et du secteur sol correspondant, c'est un développement bien avancé ;

- La participation de la flotte mixte des véhicules de ravitaillement et de la station avec Ariane 5, c'est un véhicule logistique appelé ATV, véhicule de transfert automatique. L'industrie française joue un rôle leader dans ce programme ;

- Un programme de préparation de l'utilisation qui porte sur des activités destinées :

à familiariser les utilisateurs scientifiques européens avec le potentiel d'utilisation de la station,

à développer les installations, les expériences pour l'équipement industriel du laboratoire Columbus,

à préparer les opérations en orbite.

Les programmes comportent également plusieurs contributions de technologie clef comme :

- le système d'ordinateur pour les modules du service russe Vesta,

- le bras robotique Era (European robotic arm) pour les segments russes de la station,

- les véhicules de rentrée CRV (Crew rescue vehicle) qui seront développés en collaboration bilatérale avec la NASA.

Ce sont les principales participations.

M. ROUGIER - Je voudrais me tourner maintenant vers Michel VACHON.

Michel VACHON, vous participez en tant que Canadien à cette station spatiale internationale. Vos motivations, les raisons pour lesquelles vous avez voulu participer à cette station ressemblent-elles à ce que l'on vient d'entendre de la voix de l'Europe ?

M. VACHON - Les motivations canadiennes sont tout à fait en ligne avec ce qui vient d'être exprimé.

La saveur plus canadienne que nous y ajoutons est que nous nous sommes donné comme ardeur d'assurer l'émergence d'une infrastructure industrielle spatiale canadienne dans le cadre de la nouvelle économie basée sur les connaissances.

Nous mettons un grand effort sur le volet technologique, sur le fait de développer des industries de pointe. Pour cette raison, nous avons décidé de participer en fournissant un nouveau bras canadien, d'un coût de 2,5 milliards de dollars.

C'est un petit jouet qui sera assez onéreux pour nous, mais qui vaut la peine, qui est essentiel à la construction de la station spatiale et, par la suite, à son entretien.

M. ROUGIER - Par rapport au fait que plusieurs nations sont appelées à travailler ensemble, c'est donc aussi une approche de la coopération internationale. Qu'en pensez-vous ? Est-ce une façon d'apprendre à travailler ensemble ?

M. VACHON - Ce sont définitivement les mêmes motivations exprimées au préalable.

Nous avons ici un projet qui est le plus grand projet d'ingénierie au monde, qui nous permet de travailler avec des partenaires avec lesquels nous avons eu parfois l'occasion de travailler quoique d'une façon bilatérale.

C'est la première fois que tous ces pays se rencontrent pour mettre au point des systèmes et, par la suite - et c'est la partie la plus importante - en faire la gestion et l'opération.

M. ROUGIER - Alexandre POLECHTCHOUK, j'ai deux questions :

- La première : d'après les informations que vous avez, confirmez-vous le troisième module comme étant partant pour le mois de juillet ?

- La deuxième : par rapport à cette coopération internationale, comment voyez-vous le rôle des Russes dans cette station spatiale internationale ?

M. POLECHTCHOUK - Grâce à cet équipage, deux semaines après le lancement, on pourra effectuer l'amarrage.

Le 30 octobre, effectivement, c'est le lancement du premier équipage international avec deux Russes et un Américain.

Le fait que, dans ce premier équipage, il y ait deux russes et un américain n'est pas par hasard car sur les trois modules, deux sont russes. L'expérience de réalisation de stations modulaires existe chez les Russes et nous la partageons maintenant avec d'autres participants de ce projet international.

Il me semble que, lors de tels débats, il est intéressant de souligner qu'il existe le problème de vieillissement d'un projet au fur et à mesure qu'il se réalise.

Je veux dire que la station Mir, qui est déjà dans sa quinzième année d'existence, a été conçue dix ans auparavant et que les études faites ont encore mis dix ans de plus. Cela veut dire qu'entre la naissance de l'idée et sa réalisation, il s'est passé vingt à trente ans.

C'est une période très longue, il faut donc savoir faire des prévisions, prévoir le progrès scientifique et technique, rester souple pour pouvoir influencer et régler les problèmes au fur et à mesure.

Je pense que la Russie, avec les autres, en faisant partager son expérience, pourra justement adopter cette nouvelle conception.

M. ROUGIER - Je voudrais que nous abordions maintenant le travail de l'homme lui-même dans l'espace avec peut-être des précisions avec vous, Lionel SUCHET.

Quelles sont exactement les caractéristiques spécifiques à l'espace faisant que l'espace présente un intérêt ?

M. SUCHET - Je ne pense pas que les stations et les objets spatiaux habités conçus et lancés aujourd'hui l'aient été pour des raisons scientifiques, cela a d'ailleurs été dit.

Les premières raisons ne sont pas celles-là et pourtant ce sont des laboratoires scientifiques tout à fait exceptionnels permettant de réaliser un très grand nombre d'activités dans de nombreux domaines scientifiques pour plusieurs raisons.

Je vais essayer de vous les expliquer simplement en prenant l'exemple de la dernière mission Perseus dont j'étais le chef de projet, c'était le vol de Jean-Pierre HAIGNERE qui a eu lieu l'année dernière à bord de Mir.

Vous avez tout d'abord l'environnement de la microgravité. Il faut commencer par dire que, lié à un état de chute permanent, c'est possible au sol, sur des périodes cependant très courtes, de l'ordre de quelques dizaines de secondes au maximum. Les stations sont donc le seul endroit où les scientifiques peuvent travailler dans cet environnement de microgravité pendant de longues périodes.

Cet environnement de microgravité permet deux choses : d'observer et de comprendre.

Il permet d'observer tout d'abord des phénomènes qui, au sol, sont masqués par la gravité. Ce sont tous les domaines de la physique, de la solidification des fluides ou de la physique des fluides critiques. En fait, au sol, comme on a des forces de convection liées à la gravité, les phénomènes physiques que l'on veut observer ne sont pas observables, on ne peut pas les voir, ils sont masqués par d'autres phénomènes physiques liés à la gravité.

La seule façon d'observer et d'étudier ces phénomènes physiques est de se placer en microgravité. Cet état de microgravité permet de voir des phénomènes physiques qu'on ne peut pas voir au sol.

Cela permet aussi de comprendre d'une façon originale des phénomènes complexes dans lesquels on sait que la gravité joue un rôle.

Le Professeur BERTHOZ parlera sans doute des neurosciences, on pourrait parler de la biologie du développement.

Un grand nombre de phénomènes très complexes étudiés par les scientifiques sont encore peu ou pas suffisamment connus, mais les scientifiques ont pourtant déjà la certitude que la gravité joue un rôle qui est à observer dans ces phénomènes.

Une attitude scientifique classique consiste à enlever un des paramètres, c'est-à-dire la gravité, et à étudier ce phénomène complexe qu'on ne comprend pas bien dans un environnement de microgravité pour voir comment il s'adapte et essayer de mieux comprendre le phénomène en lui-même. C'est l'outil microgravité utilisé par les scientifiques dans les stations.

Un autre élément important des stations est qu'elles sont dans l'environnement spatial. Un certain nombre d'expériences réalisées sur Perseus utilisait le fait que la station volait dans cet environnement spatial ; je donnerai trois exemples :

L'exobiologie

On se demande aujourd'hui beaucoup si la vie a pu arriver sur terre, si elle peut provenir d'une origine extraterrestre. Si elle est arrivée ainsi, il a fallu qu'elle soit véhiculée par un objet, un astéroïde, un météorite qui a volé sur une très longue période dans cet environnement spatial.

L'idée des scientifiques est de voir si des briques élémentaires de la vie exposées à l'environnement spatial subsistent, se conservent et comment ces briques élémentaires de la vie évoluent en environnement spatial. On a réalisé cette expérience sur la station Mir.

Technologie spatiale : les composants électroniques

Les composants électroniques, qui sont de plus en plus en plus petits, sont aussi de plus en plus sensibles - du moins le pense-t-on - aux ions lourds et au rayonnement cosmique. Comment ces composants sont-ils sensibles ?

On a des modèles mathématiques au sol permettant de le prévoir et donc de dimensionner tous les satellites d'application. Ces modèles mathématiques doivent cependant être recalés et la meilleure façon de les recaler est d'exposer des composants en ambiance spatiale, de les ramener ensuite pour les étudier et voir comment ils se sont comportés.

Sciences de l'univers

Les scientifiques sont très intéressés pour récupérer des micrométéorites ou des poussières cométaires.

Il est bien évident qu'au sol, on en retrouve en petites quantités car la majorité brûle dans les couches denses de l'atmosphère. Dans l'espace on en récupère beaucoup plus. Une de nos expériences qui s'appelait Comète a consisté à récupérer ces poussières cométaires et à les analyser au sol.

Voilà deux outils importants pour la science dans les stations :

- l'outil microgravité,

- l'environnement spatial.

Qu'apporte l'homme dans ce type d'activité de recherche en tant qu'opérateur humain ?

Il apporte bien évidemment ses capacités, son habileté, tout d'abord physique ainsi que manuelle et intellectuelle, d'analyse et d'adaptation.

Cela nous permet de réaliser des expériences qu'on ne pourrait pas faire en automatique. J'ai parlé de biologie du développement, on a réalisé sur Mir une expérience qui s'appelle Genesis consistant à étudier le développement d'oeufs depuis leur fécondation jusqu'à leur état larvaire.

Il fallait un grand nombre d'activités de cosmonautes pour réaliser cette expérience. Il fallait récupérer les oeufs, les analyser alors qu'ils étaient pondus ou venaient juste de l'être, les trier, les sélectionner, remplir différentes boîtes, créer des lots, etc. Tout ceci est impossible à réaliser automatiquement.

Cette expérience de biologie du développement n'aurait tout simplement pas pu être réalisée en automatique.

On aurait pu la réaliser de façon plus simple et on a une expérience équivalente un peu plus simple en biologie aussi. Elle s'appelle Ibis et elle est faite pour être utilisée sur un satellite automatique. Sa mise au point est cependant beaucoup plus complexe, beaucoup plus délicate.

L'homme permet de réaliser de façon relativement simple des tâches d'une grande complexité.

On avait également une expérience de mécanique, Treillis, sorte de mécano permettant de tester le comportement de structures dans l'espace et la manière de les amortir, ceci dans un souci de dimensionnement de satellites d'observation.

Ce mécano a été testé dans diverses configurations, Jean-Pierre HAIGNERE a monté le mécano, Claudie ANDRE-DESHAYS a également fait cette expérience dans la station. Elle montait le Treillis dans une configuration, faisait une expérience, envoyait au sol les résultats qui étaient analysés. Et en fonction de ces résultats, on demandait de modifier la configuration, on changeait un élément, on en remplaçait un autre.

Tout ce travail interactif, qui est un travail de recherche de laboratoire, était possible grâce à la présence d'hommes à bord et n'aurait pas été possible en mode automatique.

M. ROUGIER - Je propose de faire un tour rapide des recherches menées au niveau par exemple des sciences de la vie, de faire un tour avec les scientifiques autour de cette table.

Antonio GÜELL, on ne va pas faire une liste exhaustive, mais peut-être pouvez-vous donner deux ou trois gros plans sur des recherches menées en matière de sciences de la vie ?

M. GÜELL - Il faut rappeler que ces vingt dernières années, tout au-moins en microgravité, les sciences de la vie ont connu trois étapes tout à fait complémentaires :

- Une première étape correspond aux années 1980, où les scientifiques ont eu une approche dite descriptive.

- Une seconde étape est celle des années 1990, c'est une étape mécanistique. Là, un certain nombre de laboratoires ont pu mettre en évidence qu'il existait des phénomènes que l'on a pu expliquer au sol grâce à l'existence d'expériences réalisées en apesanteur aussi bien sur l'homme en tant qu'objet d'expérience que sur l'animal, l'homme étant là opérateur.

L'exemple typique est celui publié il y a une dizaine de jours dans une revue internationale, Lancet , qui concerne le mécanisme de l'ostéoporose, c'est-à-dire de la perte de densité osseuse chez la femme après la ménopause à partir d'expériences uniquement réalisées d'une part sur les cosmonautes et d'autre part sur des animaux envoyés en apesanteur.

- Pour l'avenir, je dirai que l'approche pour le futur - et je pense qu'Alain BERTHOZ et Claude GHARIB l'argumenteront bien mieux que moi - dans un but d'utilisation de la station spatiale internationale, sera une approche en matière biomoléculaire, génique et bien entendu une approche normale.

M. BERTHOZ - Je suis très heureux de pouvoir résumer un peu les enjeux en ce qui concerne les sciences de la vie et plus particulièrement les neurosciences. En effet, depuis quelques années, il y a une certaine ambiguïté qui n'a pas été levée, comme l'a très bien dit Monsieur LORIDANT, en ce qui concerne le contenu de ces recherches sur l'homme dans l'espace.

Je crois qu'il faut clarifier la chose en disant qu'il y a trois aspects.

Un enjeu scientifique fondamental

Il s'agit de savoir quel est le rôle de la gravité sur le développement, l'évolution et le fonctionnement du système, c'est une grande question fondamentale non résolue.

Un enjeu opérationnel

Cet enjeu consiste à savoir si l'homme peut aider dans l'espace à faire fonctionner des machines, des expériences, etc.

Un enjeu médical

L'homme peut-il s'adapter ? C'est un domaine qui relève plus particulièrement de la médecine spatiale.

Je crois qu'il faut bien clarifier ces trois choses.

Dans le premier domaine, qui est le seul sur lequel je dirai quelques mots, l'enjeu scientifique, il est absolument clair que nous ne comprenons pas encore quels sont les mécanismes qui ont permis et qui permettent encore maintenant à la gravité de jouer un rôle aussi important dans toutes les fonctions du système nerveux.

Par exemple, pour le développemen,t nous avons des capteurs spécialisés qui mesurent la gravité chez toutes les espèces animales et chez l'homme.

Deuxièmement, la gravité est prise en compte dans le système nerveux pour le mouvement, les réflexes. Cela a constitué des chapitres importants des expériences faites dans les dix premières années.

Troisièmement, la gravité est aussi complètement intégrée dans les fonctions cognitives supérieures du cerveau humain. Essayez d'identifier l'image d'une photo de quelqu'un que vous connaissez à l'envers, vous ne le pourrez pas. Le problème de l'orientation par rapport à la gravité est un problème très important.

Il y a là un champ scientifique, qui est le champ qui a été étudié par les équipes qui ont pu bénéficier des vols spatiaux. En effet, il est extrêmement difficile de faire ces expériences au sol.

Au sol il y a des outils pour mesurer et étudier ces processus chez l'homme ou l'animal. Ce sont les vols paraboliques, les centrifugeuses, un certain nombre de stimulateurs permettant de manipuler la gravité. Il est cependant extrêmement difficile de la manipuler ou de la supprimer, notamment pendant de longues durées.

La disposition d'un laboratoire spatial est donc actuellement le seul moyen que nous avons pour réellement supprimer l'existence de la gravité et regarder chez l'embryon, l'animal, l'homme, quels sont ces mécanismes.

Cela a été fait depuis une dizaine d'années grâce aux technologies développées notamment par le CNES, mais aussi par les coopérations européennes mentionnées.

Plusieurs choses sont importantes :

1. La longue durée

Celle-ci permet vraiment de faire une expérience et de suivre les processus de modification. On dit beaucoup de choses sur ces processus, mais nous savons que, comme lorsqu'on récupère d'une maladie, il y a des transformations qui se font en quelques secondes, d'autres en quelques minutes, d'autres en quelques semaines et d'autres encore en quelques années.

Par conséquent l'étude constante du temps des modifications adaptatives est un domaine qui exige la longue durée. Et le vol de Jean-Pierre HAIGNERE l'année dernière a été, après plus de dix vols de nos cosmonautes, le seul vol de très longue durée pendant lequel on a pu commencer à travailler sur ces phénomènes.

2. La réversibilité

L'espace est un modèle absolument unique dans lequel on peut tout d'un coup, après quelques millions d'années pendant lesquelles les organismes vivants humains et animaux ont été soumis à la gravité en permanence, supprimer la gravité, faire des expériences avant le vol pour regarder le fonctionnement normal, regarder l'adaptation à l'espace et surtout aussi regarder après la récupération.

La réversibilité est très importante car, au sol, dans les coopérations avec les neurologues, avec les cliniciens, grâce aux maladies, aux lésions chez l'homme, nous avons la possibilité de regarder les effets de ces fonctions, mais malheureusement les lésions ne sont pas réversibles.

3. Etude du comportement et examen du cerveau

Dans l'espace, grâce aux technologies développées, nous pouvons étudier non seulement le comportement avec sa perception, etc., mais - et le Docteur GÜELL vient de le dire - nous pouvons maintenant envisager, après dix ans d'études de variables comportementales, d'aller regarder dans le cerveau.

Il y a en effet une explosion des technologies d'exploration de l'activité cérébrale par électroencéphalographie par exemple, qui nous font penser que, dans les dix ans qui viennent, et en tout cas dans les prochains programmes, nous pourrons regarder aussi ce qui se passe dans le cerveau en même temps que l'homme s'adapte dans l'espace.

Je voudrais dire un tout petit mot sur les enjeux au sol.

Depuis dix ans que la France mène ces programmes, je crois que les équipes françaises qui y ont participé dans le domaine des neurosciences ont sans doute réalisé un nombre d'expériences qui est au premier rang mondial dans ce domaine. Les expériences ont toujours été faites en parallèle avec des études en pathologie.

Pratiquement toutes les équipes qui travaillent dans ce domaine, travaillent avec des neurologues, des oto-rhino-laryngologistes, des ophtalmologistes.

Et les instruments développés pour mesurer les mouvements des yeux, les mouvements du corps, la force, toute une série de fonctions sensorimotrices, tous ces instruments ont été en même temps développés, exploités au plan industriel et sont actuellement utilisés dans les hôpitaux pour faire de l'exploration fonctionnelle.

Ce n'est pas toujours là où on l'aurait souhaité, mais ils sont utilisés au moins par d'autres pays ou par la France pour une part.

Je voudrais terminer en disant qu'à mon avis, au cours de ces douze ans, la France a acquis dans ce domaine une place absolument privilégiée au plan mondial dans notre petit domaine, qui est celui des études des neurosciences et des fonctions sensorimotrices, en grande partie grâce au savoir-faire absolument remarquable - et permettez-moi de rendre cet hommage au CNES aujourd'hui - à la technologie.

Je voudrais mentionner le fait que, sur dix ans, sur les dix vols de cosmonautes français et sur des ensembles expérimentaux assez compliqués, il n'y a eu pratiquement aucune panne, ce qui n'est peut-être pas le cas de toutes les autres communautés qui volent dans l'espace.

Ceci a été du à une coopération, à mon avis exemplaire et très importante, entre trois partenaires :

- le CNES dans ses services,

- les industriels,

- les laboratoires.

Je crois qu'il est aussi très important de le mentionner car souvent on ne l'a pas dit. Il y a eu là une synergie entre l'université, la recherche, l'industrie et un grand organisme avec ses ingénieurs et ses services.

M. ROUGIER - Professeur GHARIB, je voudrais que l'on revienne maintenant sur les sciences de la vie ; vous travaillez surtout dans le domaine cardio-vasculaire.

Très concrètement, qu'est-ce que le fait d'envoyer des hommes dans l'espace a pu vous apprendre, à vous scientifique, par rapport à toutes les pathologies cardio-vasculaires ?

M. GHARIB - Un des premiers signes, celui qui a été le plus évident au retour des premiers vols spatiaux, était l'intolérance orthostatique. Le sujet présentait une hypotension qui pouvait aller jusqu'à la syncope. C'est à partir de là qu'on a essayé de comprendre les mécanismes.

Ces mécanismes sont extrêmement complexes et on peut penser que la vie a été organisée autour de la pesanteur, pour lutter contre la pesanteur.

Lorsqu'on regarde un peu les différents systèmes dans un organisme vivant, il y a des capteurs comme le signalait Alain BERTHOZ, et il n'y a qu'à regarder la structure d'un os pour se rendre compte que tout est fait pour lutter contre la pesanteur. Et il y a un certain nombre d'autres systèmes au niveau du système cardio-vasculaire.

C'est si vrai pour le système cardio-vasculaire que même le fait de simplement changer l'application de la gravité sur le corps humain, par exemple lorsqu'on va se coucher ou qu'on se lève, entraîne un certain nombre de modifications.

Tout est véritablement centré sur la gravité.

Actuellement, deux points sont importants :

- le génome, dont on parle suffisamment,

- l'espace, qui nous a modulés.

L'hypotension orthostatique vient d'un défaut des systèmes de protection, de régulation de la pression artérielle. C'est quelque chose que l'on rencontre de façon courante puisqu'on admet statistiquement qu'une personne sur six a présenté ou présentera une symptomatologie se rapprochant beaucoup de ce que l'astronaute peut présenter lorsqu'il n'y a pas de contre-mesure.

C'est donc quelque chose d'extrêmement courant. Le fait qu'on ait pu avoir recours à des études sans pesanteur, permet de comprendre les mécanismes qui se déroulent au sol.

Il y a d'autres systèmes qui peuvent nous orienter. En particulier tous les troubles de la tension observés chez les diabétiques - et on sait que c'est extrêmement répandu - peuvent avoir une explication dans la compréhension de cette régulation qui est centrée sur la pesanteur.

Un point extrêmement important - Alain BERTHOZ insistait sur ce point tout à l'heure - est qu'avec l'astronaute on aura quelque chose de réversible, relativement rapidement, si bien qu'on peut mieux comprendre ce qui se passe dans des systèmes où, par exemple, chez le diabétique ce sera très difficilement réversible, ou dans des maladies du système nerveux autonome où il n'y a pratiquement plus de régulation.

C'est quelque chose d'absolument fondamental d'avoir recours à l'espace pour pouvoir comprendre comment s'est constitué le vivant.

Lionel SUCHET rappelait très justement - et c'est tout à fait une démarche de Claude BERNARD - que pour connaître l'influence d'un système, il faut pouvoir l'enlever. Or la seule façon de pouvoir l'enlever, le soustraire, c'est justement l'espace.

Je pense qu'on n'a pas assez insisté sur le fait que « l'homme dans l'espace, c'est la fascination par l'ailleurs » comme disait Michel BUTOR.

C'est cependant absolument nécessaire pour comprendre beaucoup mieux notre organisation, pour éventuellement avoir des systèmes de contre-mesures thérapeutiques dans les cas de troubles de la tension.

Lorsque l'on pense que ces systèmes s'installent par exemple dans l'oeuf de poussin au bout de quelques jours, on se demande ce que cela pourrait donner si de telles expériences étaient réalisées au cours de vols spatiaux.

Ce n'est donc pas simplement un jouet que l'on donne aux scientifiques, mais une nécessité absolue.

M. ROUGIER - Nous avons vu la grande utilité au niveau du cerveau et du coeur. Vincent MIKOL, au départ des vols habités, on a imaginé que l'espace serait un terrain tout à fait propice pour, par exemple, fabriquer de nouvelles molécules, notamment pharmaceutiques. Aujourd'hui, « on en est revenu » ne serait-ce que pour des questions économiques.

Du point de vue de la thérapie et de la fabrication de médicaments, quelle est aujourd'hui l'image, la pensée que vous avez par rapport aux recherches qui peuvent être menées dans l'espace ?

M. MIKOL - Je crois qu'un certain nombre d'espoirs ont existé effectivement au milieu des années 1980.

L'idée était d'essayer de cristalliser les protéines qui sont des acteurs importants de la vie cellulaire. En ayant la structure de ces protéines, on pouvait imaginer de concevoir des molécules actives et en faire des médicaments.

Il faut savoir que cette approche fonctionne très bien puisqu'elle a permis de mettre au point les inhibiteurs de protéase du virus du sida, qui sont aujourd'hui sur le marché et sauvent des vies humaines.

On pensait qu'une des étapes qui allait limiter cette approche était la formation de cristaux. Une des raisons de la mauvaise qualité des cristaux pouvait être le phénomène de convexion, de sédimentation que l'on observait sur terre et on avait l'espoir qu'en microgravité on pourrait résoudre ce problème. Il faut dire qu'après quinze ans d'expériences, globalement l'impact de la microgravité a été vraiment très limité.

Un des avantages que l'on imaginait de l'espace, était effectivement de pouvoir faire des cristaux de plus grosse qualité. Il s'avère aujourd'hui qu'on a développé des outils sur terre permettant d'analyser des cristaux de bien plus petite qualité, les synchrotrons, qui ont une utilité extrêmement importante.

Après quinze années d'expériences, on peut dire que, d'un point de vue global, l'apport de la microgravité pour la biologie structurelle et l'industrie pharmaceutique est extrêmement réduit.

M. ROUGIER - Je voudrais que l'on revienne aux sciences de la vie avec vous, Claudie ANDRE-DESHAYS.

On peut dire qu'il y a une recherche transversale concernant le vieillissement. Un certain nombre d'études menées dans l'espace permettent de mieux comprendre les phénomènes mis en place lorsque l'on vieillit.

Mme ANDRE-DESHAYS - On a parlé tout à l'heure des enjeux cliniques et scientifiques qui étaient les préoccupations des cliniciens, des chercheurs au sol de même que celles des équipes travaillant en utilisant la microgravité.

Il est vrai qu'il y a un thème intéressant, assez abordé ces derniers temps, on peut dire, peut-être même avec une pointe d'humour comme on a parlé de réversibilité des phénomènes, qu'il serait intéressant de trouver la solution de la réversibilité au temps qui passe.

En tout cas, c'est vrai que, de nombreux phénomènes physiologiques apparaissant rapidement ou plus tard dans le vol, on a parlé d'hypotension orthostatique, de perturbations neurosensorielles, de troubles de coordination, de pertes de références et on parle d'atrophie musculaire, de fragilisation osseuse ; tous ces phénomènes sont des éléments classiques de ce que l'on rencontre dans le vieillissement. D'où l'idée qui a germé que, sur un individu sain envoyé dans l'espace, on pouvait avoir un modèle privilégié d'étude d'un vieillissement accéléré. Faut-il encore en comprendre les raisons. Cela peut être une hypodynamie, une hypokinésie, on bouge moins, on a moins de contraintes mécaniques qui s'exercent sur son squelette, c'est le cas également chez la personne âgée et vieillissante.

Il y a toute une sphère d'intérêt important sur le plan de la santé publique qui s'associe aussi à des développements biomédicaux dans l'instrumentation qui sont intéressants à prendre en compte.

On met en place pour l'homme exploré en tant que sujet d'expérience à bord, une instrumentation miniaturisée, fiable, très sensible, reproductive, permettant d'analyser la cinétique des phénomènes apparaissant en vol.

C'est aussi une piste intéressante à utiliser le mieux possible.

M. ROUGIER - Avant d'aborder à nouveau la question de l'utilité de la présence de l'homme dans l'espace, peut-être un point sur les sciences physiques.

Daniel BEYSENS, vous êtes au Commissariat à l'Energie atomique, quels sont les types de recherche réalisés dans l'espace que vous jugez totalement utiles en matière physique ?

M. BEYSENS - Vous me demandez là un jugement !

M. ROUGIER - Non, je veux simplement des résultats.

M. BEYSENS - En ce qui concerne les résultats, je crois que deux grands domaines ont bénéficié de la microgravité. Ce sont d'une part les recherches effectuées par mes collègues et néanmoins amis sur la solidification, notamment par Jean-Jacques FAVIER ici présent, et d'autre part quelque chose qui m'est un peu plus proche, les recherches sur les fluides.

C'est bien évident, prenez un fluide sur terre, vous le faites couler, c'est la gravité qui fait l'écoulement. En l'absence de pesanteur, son comportement est complètement différent et parfois complètement imprévisible.

Ce sont les deux grands domaines dans lesquels je pense que nous avons eu des résultats marquants au niveau des connaissances, c'est de l'investissement à moyen et long terme. Et ces connaissances ont déjà servi à obtenir des retombées technologiques, je vais en citer deux :

- Vous avez les solidifications sans creuset.

- Et nous avons aussi découvert grâce à la microgravité, un nouveau mécanisme de transport de la chaleur dans les fluides très compressibles. Cela a été appliqué notamment par Air Liquide pour la pressurisation des réservoirs d'Ariane 5.

Il y a des connaissances, mais aussi un souci d'aller vers des choses appliquées ou applicables.

M. ROUGIER - Bernard ZAPPOLI, même question !

M. ZAPPOLI - Je dois dire que durant les dix dernières années, la communauté scientifique a appris à utiliser cet environnement de micropesanteur en analysant simplement le rôle de la gravité, les systèmes physiques consistant essentiellement à avoir un rôle sur les surfaces fluides et donc plus généralement sur tous les systèmes qui en comportent une.

La prise en compte de ces éléments très simples a permis d'éviter que ne soient sélectionnées, comme cela a pu être le cas dans le passé, des expériences qui soient de portée limitée, parfois pas très utiles ou peu imaginatives et même, comme cela a été le cas également, porteuses d'espoirs inconsidérés.

Je crois que maintenant la communauté scientifique a bâti une méthode d'analyse et conduit des recherches qui ont donné des résultats de premier plan, publiés dans les plus grandes revues internationales et qui placent la communauté nationale en très bonne position quand ce n'est pas la première position.

M. ROUGIER - Cela veut-il dire que l'espace a permis de comprendre véritablement comment fonctionne la physique ? A-t-il permis de montrer des phénomènes que l'on a pu étudier sur terre, de les comprendre ?

M. ZAPPOLI - Je reprendrai l'exemple dont parlait Daniel BEYSENS à l'instant.

En ce qui concerne ce nouveau phénomène de transfert de chaleur dont il parlait, on peut dire que la micropesanteur a contribué à faire jeter le masque à un phénomène qui se déguisait au sol en convexion.

Les scientifiques pensaient qu'il s'agissait de convexion et on s'est rendu compte que cela n'en était pas et qu'il y avait derrière un quatrième phénomène dont on ne pouvait cependant pas supposer l'existence. Et comme le disait Lionel SUCHET, en supprimant la gravité, ce phénomène est devenu visible.

M. ROUGIER - Nous avons vu les recherches au niveau des sciences de la vie, au niveau physique. Jean-François CLERVOY, y a-t-il très concrètement des projets, des produits dérivés de la recherche spatiale ou même de mise en service des engins spatiaux ?

M. CLERVOY - Il n'y a pas eu une découverte fondamentale qui, d'un seul coup, du jour au lendemain, a révolutionné la vie sur terre, mais il y a une centaine de retombées à caractère technique, l'essaimage, c'est-à-dire les retombées au sol de tous les développements effectués pour développer les véhicules spatiaux, surtout ceux qui sont habités.

La NASA publie d'ailleurs chaque année un livre d'une certaine de pages avec toutes ces retombées qui sont ponctuelles, mais qui ont des applications industrielles bien identifiées, bien ciblées, parfois sur de larges échelles, pour lesquelles plusieurs industriels acquièrent des distances afin d'utiliser le résultat du développement.

Il y a bien sûr la miniaturisation. Le vol spatial requiert le confinement, la miniaturisation, l'autonomie maximum. C'est ce qui a conduit au microprocesseur, à la micro-informatique.

L'économie de la micro-informatique aurait pu exister telle qu'elle est aujourd'hui, mais seulement dans dix ou vingt ans si on n'avait pas eu le programme Apollo.

Dans le domaine des logiciels aussi, la NASA développe des des logiciels très pointus pour la planification des vols de la navette, pour le vol lui-même. Ces logiciels sont parfois rachetés par des industriels pour des applications vraiment terrestres.

Je vais citer quelques exemples que j'ai repérés dans cette liste des retombées :

- Vous avez par exemple des nourritures à base d'algues qui ont été développées par la NASA en préparation de vols de longue durée et qui sont maintenant utilisées largement dans des nourritures pour bébés. On reconnaît dans les algues certaines propriétés nutritives qui sont intéressantes.

- Le système de purification d'eau développé pour la navette spatiale a donné lieu à des licences qui ont été rachetées par une compagnie qui va l'utiliser pour un développement à très large échelle dans les pays en voie de développement pour assainir l'eau.

- Des microsphères fabriquées par des astronautes au cours de plusieurs vols de navettes sont vendues régulièrement pour diverses applications industrielles, notamment de calibration d'instruments.

- Dans le domaine médical, bien sûr tous les équipements mis au point pour faciliter le vol de l'homme dans l'espace, ont des applications directes dans les hôpitaux. Vous avez les analyseurs d'urine, de gaz utilisés à une très large échelle pour les opérations chirurgicales.

- Il y a des détecteurs de foudre, par exemple, le détecteur de foudre mis au point pour la navette spatiale a induit le développement d'un appareil de petite dimension à coût faible qui est vendu pour les individus qui campent ou qui vivent isolés à la campagne. Cet appareil leur apporte des détections avancées de risque de foudre.

- Le canot de sauvetage développé pour les missions Apollo, l'a été sur des spécifications beaucoup plus rigoureuses que pour la navigation maritime régulière, résistant par exemple à de très fortes tempêtes. Il a été commercialisé pour le grand public et ce type de canot a déjà sauvé plus de cinq cents vies au cours des dix dernières années.

On pourrait en citer ainsi beaucoup d'autres, surtout en ce qui concerne les applications industrielles. Les développements pour les véhicules spatiaux donnent concrètement des produits à application industrielle directe immédiate alors que la recherche scientifique répond d'abord à la question : « comment cela marche ? » et augmente surtout le champ des connaissances. Les expériences scientifiques sont davantage à moyen terme qu'à court terme.

M. ROUGIER - Nous avons vu les expériences menées dans le domaine des sciences de la vie, de la physique.

Jean-Jacques FAVIER, pour revenir à la question du départ, c'est-à-dire l'utilité de l'homme dans l'espace, avez-vous des exemples concrets - et je pourrais poser cette question à Claudie ANDRE-DESHAYS ou à mon voisin Jean-François CLERVOY, c'est-à-dire des personnes parties dans l'espace, d'expériences qui auraient échoué si l'homme n'avait pas été là ?

M. FAVIER - Des exemples bien sûr, j'en ai quelques-uns et j'en ai vécu plusieurs.

Pour revenir à ce débat de ce que l'environnement spatial et l'environnement spatial habité a pu apporter à l'homme du point de vue de la recherche et de ses applications, nous avons entendu un certain nombre d'arguments tout à fait convaincants en ce qui concerne les sciences de la vie, la physiologie etc., moins convaincants, semble-t-il, concernant la croissance des protéines. Et en science des fluides et des matériaux, il y a de bons exemples.

Je crois qu'il faut avoir présent à l'esprit le fait que lorsque la ou les communauté(s) scientifique(s) ont eu l'occasion de faire des expériences en microgravité dans des conditions tout à fait originales, on a vu se précipiter un grand nombre de propositions qui n'étaient pas forcément toutes aussi pertinentes les unes que les autres.

Ceci peut expliquer que, d'un point de vue global, il y a eu une première phase qui se soit traduite par des échecs.

On est maintenant dans une phase où la recherche d'accompagnement au sol a permis de cibler très proprement les sujets les plus pertinents, que ce soit en sciences de la vie ou en sciences physiques. De ce fait, le retour scientifique est de bien meilleure qualité.

Il est encore de bien meilleure qualité si, comme pour toute opération de recherche, il y a un accompagnement scientifique de chercheur tout près de l'expérience. C'est là que je vois le rôle des astronautes.

Comme dans toute opération de recherche, tout n'est pas prévu à 100 % sinon ce ne serait plus de la recherche, mais des applications et de la production. Et l'interactivité entre l'homme dans l'espace, la machine ou l'instrument et l'équipe de scientifiques au sol est, à mon avis, fondamentale pour aller vers une amélioration du retour scientifique.

Vous me demandiez de vous donner des exemples.

Lors de ma mission, un instrument de mécanique des fluides n'a pas fonctionné correctement parce qu'il y avait un dérèglement d'optique.

Pour d'autres expériences, il a fallu faire un diagnostic à caractère scientifique qui n'était pas prévu dans les procédures, de façon à sélectionner tel échantillon plutôt que tel autre. Cela a été rendu possible dans la mesure où, sur place, il y avait des personnes capables d'ausculter sous tous les angles, et pas uniquement ceux prévus à l'avance par des procédures qui auraient pu éventuellement être faite par des robots. L'homme était là et a pris les bonnes décisions.

M. ROUGIER - Monsieur FEUSTEL-BÜECHL, sur cette même question ?

M. FEUSTEL-BÜECHL - Je vais vous donner quelques exemples de la technologie dérivée de la microgravité.

Après vingt ans de recherche de microgravité, non seulement des résultats directs, mais aussi des produits dérivés commencent à donner des résultats tout à fait remarquables. Ils amènent actuellement à une vaste enquête avec des chercheurs et des industriels afin d'évaluer les retombées de la recherche en microgravité.

Il ressort des exemples que nous avons étudiés que tout d'abord les PME diversifient la recherche en microgravité, que le chiffre d'affaires industriel total atteindra cette année environ 200 MF. On attend une forte augmentation de presque 1 MdF en 2002.

Je vais vous donner deux exemples.

- Le premier est un appareil qui s'appelle Aukuton, c'est un tonomètre individuel automatique pour les patients atteints de glaucome. Le Professeur DREGER en Allemagne a mesuré, pendant la mission D1 Spacelab, la conséquence du déplacement du fluide corporel sur la pression intra-oculaire et sa variabilité en fonction du temps.

En coopération avec la Compagnie EPSA, petite entreprise à Iéna, le professeur DREGER a développé un tonomètre manuel, retombée directe de la recherche spatiale pour les patients atteints d'un glaucome. EPSA a investi presque 5 MF pour la production et la commercialisation de cet appareil. L'Association des Pharmaciens a accepté de former les patients à l'utilisation de l'Aukuton et les assurances ont pris en charge la majeure partie du coût de ce tonomètre. Le marché pour cet appareil est estimé à deux millions d'appareils.

Un autre exemple, certainement plus important pour la France, est un appareil qui s'appelle l'Ostéopas, c'est un appareil pour diagnostiquer l'ostéoporose. Lors de vols spatiaux de longue durée, les astronautes subissent une perte osseuse ou déminéralisation considérable. Au cours de la mission Euro Mir 1995, des expérimentations ont permis d'étudier la perte osseuse au cours du temps, l'action de la prise de médicaments, de la nutrition et des exercices physiques sur le phénomène de la densité osseuse.

Matra et la Compagnie Ship Ultrasons ont demandé de développer un densitomètre osseux basé sur les ultrasons limitant ainsi l'utilisation des rayons X et mesurant la vitesse de propagation et de l'atténuation des ultrasons dans l'os. La production de cet appareil a commencé l'année dernière avec 100 unités à un prix de 140 000 €. La production planifiée pour 2001 est de 150 unités correspondant à une valeur de 2,7 M€. Le marché européen représente pour tout ceci une valeur considérable de 2 500 unités en 1999 et l'estimation pour cette année est de 5 000 appareils. Le marché mondial pour cette application est énorme, il représente 600 M€ par an et la part d'Ostéopas ne fait qu'augmenter.

Je pense que ces deux exemples montrent bien qu'il y a des produits directs dérivés de la recherche en microgravité aussi en Europe.

M.GÜELL - Je voudrais ajouter quatre très courts exemples, en matière de retombées technologiques en termes de santé publique, des différents types d'appareils développés : un exemple américain et trois français.

- Un exemple américain : le système Holter, permettant d'enregistrer l'électrocardiogramme sur trois dérivations pendant 24 heures pour les troubles du rythme qui, jusqu'à il y a une dizaine d'années, constituaient 25 à 30 % des morts subites chez le nourrisson. Aujourd'hui la société qui commercialise l'Holter fait un chiffre de 1,5 Md$ par an, ce qui n'est pas mal.

Du côté français, on peut faire cocorico grâce aux programmes soutenus par le CNES.

Il y a eu une très forte impulsion dans les années 1980 en matière d'ultrasons.

Je rappelle que les premières sociétés françaises qui, aujourd'hui, sont encore au nombre de trois, fabriquaient et mettaient sur le marché des appareils que l'on utilise toujours, les Dopplers. Aujourd'hui, qui dans la salle n'a pas eu un Doppler soit artériel, soit carotidien, soit veineux ?

Ces trois sociétés, dans la plupart des cas, ont été financées dès le départ par le Centre national d'études spatiales pour des programmes de coopération franco-russes ou dans le cadre de l'ESA et, ont eu des boursiers CNES dont certains scientifiques sont dans la salle aujourd'hui.

Là, Doppler a suscité le programme en France d'ultrasons favorisé par la recherche spatiale.

- Un avant-dernier exemple : tout ce qui équipe aujourd'hui les longs courriers d'Air France, c'est-à-dire les A340 et les 747 pour tous les vols de plus de six heures non stop en termes de radiation. Les nouvelles lois européennes imposent à tout gros porteur d'avoir un système de monitoring en continu de l'activité radiative qui est reçu par le personnel naviguant, et tout cet appareillage est exactement le même que celui qui a été développé dans le cadre du programme Mars 1996. Pour ceux qui ont connu ce programme qui a été un échec puisque la fusée a explosé quelques minutes après le tir, il y avait un système de mesure en continu de l'activité radiative.

Le dernier exemple est un dernier système mis au point dans le laboratoire d'Alain BERTHOZ.

Ce système consiste à mesurer vraiment d'une manière extrêmement précise l'orientation de l'oeil à l'intérieur du globe oculaire de façon à bien étudier tous les phénomènes de paralysie des muscles. C'est également commercialisé, hélas non par une société française, mais par une société européenne.

M. ROUGIER - Claudie ANDRE-DESHAYS, pour revenir sur la question de l'homme et de son utilité dans l'espace, pour faire très simple : qu'est-ce que l'homme sait faire dans l'espace qu'un robot ne saurait pas faire ?

Mme ANDRE-DESHAYS - Je ne suis jamais tout à fait d'accord avec la formulation de vos questions ! On ne va pas entrer dans le débat de l'opposition de l'homme au robot, mais plutôt le considérer dans sa complémentarité et son interaction. Il est bien évident que dans une structure comme la station spatiale internationale, il y aura des robots, des automatismes et des hommes travaillant dans une structure en orbite énorme.

On a aussi soulevé le problème de l'homme perturbant le milieu de microgravité. On a dit que cette microgravité était l'élément important de l'expérimentation de la recherche qui pouvait être menée.

Justement, la station spatiale internationale nous permet d'accéder à une infrastructure qui va donner de nouvelles possibilités de travail avec une distribution des zones de travail.

Il y aura :

- des zones requérant une microgravité de bon niveau et même éventuellement des plates-formes détachées de la station spatiale internationale qui seront desservies par l'homme ou le robot selon la meilleure utilisation possible ;

- et des zones où la présence de l'homme et les expérimentations physiologiques auront sans doute effectivement un niveau de microgravité moins bon dans certains domaines, par ailleurs compensé par des systèmes techniques que l'on sait bien utiliser actuellement pour les amortissements des microperturbations à bord.

La station spatiale internationale va également nous apporter la longue durée du séjour qui nous permettra d'aborder de nouvelles questions fondamentales au niveau de l'utilisation :

- de l'homme si on le considère comme sujet d'expériences, comme opérateur humain de systèmes complexes,

- et de robots en interaction là aussi avec l'automatisme.

Il va apporter toute cette flexibilité, cette modularité importante sur un système qui a une quinzaine d'années de vie devant lui. Cela n'a plus rien à voir avec ce que l'on avait pu connaître avant, il faudra intervenir, interagir sur les aspects de maintenance, de maintenabilité de tous ces systèmes en orbite.

Cela va donner aussi la possibilité, grâce au robot et à l'homme qui sera amené à bord par une desserte de la station régulière, de maintenir un niveau de haute technologie et de haute performance des laboratoires scientifiques et techniques qui seront à bord. Pour moi, tout ceci c'est l'interaction de l'homme et du robot.

Je voulais aussi ajouter quelque chose que l'homme fera et que le robot ne sait pas faire. Le robot sait voir, mais l'homme perçoit, ressent, il va transmettre aussi après avoir vécu cette expérience de l'aventure humaine à bord, ce qu'il a ressenti. Il peut transmettre un message palpable et être un élément vecteur d'une identification du citoyen à cette aventure dans laquelle on lui promet un devenir et un avenir. Je crois qu'il est important de reconnaître aussi cette utilité de l'astronaute.

C'est l'utilité non seulement du sujet d'expérience, de l'opérateur, mais de l'être humain à bord de la mission de la station, préparant l'avenir ayant un impact sur les générations qui prendront les décisions pour l'avenir.

Je crois qu'on a montré de très belles images, mais l'impact qu'on peut avoir dans des conférences auprès des jeunes nous montre qu'on aura aussi un rôle important à jouer pour l'éducation des générations futures pour les entraîner avec nous dans la poursuite de cet attrait de la science et du futur.

M. ROUGIER - Justement Alain BERTHOZ, je crois que c'était le second point de votre intervention. Vous disiez que ce que l'homme avait d'extraordinaire, était sa capacité à s'adapter, à raisonner et à faire que lorsqu'un imprévu se présente, il peut réagir.

M. BERTHOZ - Je voudrais revenir sur la question que vous avez posée à Jean-Luc FAVIER et à Claudie ANDRE-DESHAYS sur l'utilité de l'astronaute et apporter le témoignage des scientifiques.

L'astronaute ou le cosmonaute, suivant la manière dont on veut l'appeler, est un découvreur. C'est un collaborateur scientifique - cela a été dit, mais il faut le rappeler -, c'est quelqu'un qui fait partie de l'équipe scientifique, en particulier pour les expériences concernant la physiologie. Il joue ce rôle du scientifique qui, non seulement peut voir ou résoudre des problèmes non prévus dans l'expérimentation, mais surtout faire des observations nouvelles.

Je crois que nous pouvons dire que c'est une expérience de la communauté scientifique internationale, en tout cas dans notre domaine, que nous devons aux cosmonautes ou astronautes français, américains, russes et autres d'avoir fait des observations originales pendant les vols et des expériences qui n'étaient pas prévues.

Après tout, faire de la science, c'est découvrir des choses auxquelles on n'a pas pensé !

Et ces observations cliniques -ce sont finalement les cliniciens du XIXe siècle pour l'espace-, ont conduit à des expériences ultérieures.

Notre pratique scientifique depuis dix ans est que dans presque tous les vols -on l'a encore vu avec les vols de Jean-Pierre HAIGNERE et de Claudie ANDRE-DESHAYS récemment, mais aussi des autres-, des observations originales ont été faites à propos de nos expériences, qui nous ont induits à en concevoir de nouvelles.

M. ROUGIER - Si je comprends bien, l'homme est un enrichissement ?

M. BERTHOZ - Il est un observateur.

Dans notre domaine -je ne sais pas pour les autres- le cosmonaute joue ce rôle de créer, de nous rapporter des phénomènes auxquels nous n'avons pas pensé et pas seulement des illusions.

La deuxième chose est qu'on ne peut pas compter les expériences non planifiées qui ont été faites. L'espace demande qu'on fasse des expériences planifiées dix ou cinq ans à l'avance, or nous savons tous que les agences maintenant en ont pris l'habitude.

Je crois que la première expérience non planifiée a eu lieu lors du premier vol en 1983 dans Spacelab, tout le monde en a été horrifié. Sur D1 également une ou deux expériences nouvelles ont été inventées par les cosmonautes, en quelque sorte sur place. Tout le monde a pris l'habitude maintenant du fait qu'avec les dispositifs mis en place les astronautes ont une certaine capacité de mesurer des choses qui n'ont pas été prévues et donc d'initier en quelque sorte ce qui, ensuite, peut donner lieu à des expériences. On n'est pas tout à fait prêts à faire des robots qui vont remplacer les hommes !

Par ailleurs, en ce qui concerne la coopération robotique en neuroscience, je crois qu'il est très important de voir que s'il peut y avoir des oppositions sur des problèmes très généraux, une coopération fondamentale s'établit entre roboticiens et spécialistes des neurosciences en tout cas, au point que nous sommes en train d'étudier la possibilité de créer des communautés dans le domaine de la neurorobotique.

La plupart des pays dans le monde ont des instituts dans lesquels des neuroscientifiques et des roboticiens travaillent ensemble. Dans la mesure où, comme l'a dit Claudie ANDRE-DESHAYS, les robots seront souvent télémanipulés, ils sont dans des relations opératoires avec des opérateurs humains. Cette coopération hommes- robots, fait partie maintenant de nos domaines de travail avec des problèmes scientifiques anciens et d'autres totalement nouveaux.

Le problème des délais a donné lieu, dans les années 1950, à des études majeures en psychophysique humaine. Il y a même eu un prix Nobel. Il y a eu très peu d'études et il y a un renouveau de cette problématique scientifique des délais. Ce problème intéresse les roboticiens, mais également les personnes que préoccupe le cerveau.

M. ROUGIER - Je voudrais savoir, Alexandre POLECHTCHOUK, quelle est votre réflexion au niveau des Russes par rapport à cette problématique dont nous venons de parler ?

M. POLECHTCHOUK - Tout le monde est habitué, je crois, à voir à la télévision l'image de la station internationale. Je dois dire qu'on ne pouvait créer cette station qu'en utilisant des processus automatiques, des processus d'arrimage automatique ainsi que le travail de l'homme dans l'espace en EVA.

Bien sûr, c'est une symbiose comme a dit Claudie ANDRE-DESHAYS, je suis tout à fait d'accord avec elle, il n'y a absolument pas de concurrence, on peut tout à fait travailler ensemble.

En ce qui concerne l'utilité de l'homme dans l'espace, au départ, la station Mir était prévue pour cinq ans. Grâce au travail des cosmonautes, elle existe toujours, c'est sa quinzième année d'existence.

Un autre exemple concret est que tous les robots ne savent pas distinguer, comprendre ce qu'ils voient. Lorsque le cosmonaute voit par exemple par le hublot la nébulosité, il peut très bien dire qu'il est inutile de prendre des photos et choisir un meilleur moment lorsqu'il y aura une meilleure transparence.

Pendant notre vol, nous avons inventé, avec mon accord, une méthode pour compléter les réservoirs de fluide. Ceci nous a permis d'économiser environ 20 kg, soit un tiers de million de dollars.

Je pense qu'il est judicieux pour cette discussion de demander non pas en quoi le cosmonaute est utile, mais en quoi l'espace est utile à l'homme.

Peut-être que pour les médecins, il serait intéressant de voir pour un type de maladies, la situation en apesanteur et, après le retour sur terre, de réveiller certains systèmes immunitaires et de restaurer certains systèmes.

Une approche moins traditionnelle est l'utilisation de l'espace. Beaucoup de personnes aimeraient utiliser l'espace, surtout les jeunes. Si nous pouvions avoir un tourisme de masse, nous pourrions obtenir également des financements supplémentaires pour ces programmes. Actuellement bien sûr, on ne peut pas faire du tourisme tout simple, mais peut-être construire certains scénarios avec une certaine commercialisation pour trouver de nouveaux modes de financement.

M. ROUGIER - Vous nous avez offert des pistes que nous allons étudier pendant la deuxième table ronde.

Un Intervenant - Je voudrais juste faire une petite remarque sur une voie qu'on n'a pas abordée et qui est intermédiaire entre le robot et l'opérateur humain : la télécommande. Pour l'avoir souvent utilisée dans les navettes spatiales, je peux dire que c'est une voie très intéressante puisqu'il y a l'opérateur humain qu'est l'astronaute et le scientifique dans son laboratoire qui peut lui-même opérer sur son appareil et faire son expérience à distance.

M. ROUGIER - Je pense que ce type d'expérience sera tout à fait utile en vue de ce dont on parlera dans la deuxième table ronde, en l'occurrence les vols.

M. ROUGIER - Lionel SUCHET, je vais vous interroger à ce sujet car, parfois, on met en avant des questions de coût.

Entre l'opérateur humain et une expérience faite d'une manière automatique, dans la mesure où il faut beaucoup fiabiliser les installations lorsque l'homme y est, peut-on considérer qu'une expérience faite par l'homme coûte toujours plus cher qu'une expérience faite d'une manière automatique ou est-ce le contraire ?

M. SUCHET - Les enjeux financiers sont un terrain un peu glissant. Il serait évidemment stupide de dire qu'on va construire des stations spatiales pour faire de la science moins cher parce que ce n'est pas le cas ! En revanche, une fois que ces stations sont à notre disposition, il est vrai que ce dont on vient de parler, c'est-à-dire les capacités de réaction et d'adaptation de l'homme et ses capacités pour réparer des équipements permettent de concevoir ces équipements différemment.

Les concevoir différemment veut dire prendre en compte les capacités qu'a l'homme et qu'aura le cosmonaute à bord de maintenir ces équipements. On peut utiliser des composants de dernière génération qui ne sont pas tout à fait qualifiés pour le spatial. Dans les vols habités, on peut prendre davantage de risques pour ces expériences scientifiques car on sait qu'on a de la maintenance à bord.

En ce qui concerne la mécanique, la tenue des équipements au lancement est quelque chose qui dimensionne fortement les équipements spatiaux. On a la possibilité de faire partir des équipements démontés, emballés dans des caisses et de concevoir des expériences plus rapidement et de façon plus souple. Il est vrai que ces expériences sont souvent moins coûteuses que des expériences automatiques. Je parlais d'expériences de biologie tout à l'heure, d'expériences sur la station en vol habité nécessitant de nombreuses opérations. Dès qu'on veut les automatiser, elles coûtent tout de suite très cher. Pour les réaliser, il faut en effet des automatismes de grande fiabilité qui coûtent très cher alors qu'une expérience équivalente faite par l'homme en utilisant ses capacités sera moins coûteuse.

En ce qui concerne les réparations, je suis content que le Professeur BERTHOZ ait félicité les équipes techniques pour l'absence de panne sur ces équipements.

Cependant, le dernier laboratoire Cogna était tombé en panne à bord de la station et c'est justement grâce à une réaction rapide du cosmonaute à bord qui a pu diagnostiquer la panne et la réparer avec l'aide du sol, qu'il n'y a pas eu de « panne scientifique » et que le programme a pu être déroulé.

M. ROUGIER - Puisque l'on parle de panne, il y avait quand même une grosse panne dans l'espace : Hubble. Là-dessus, Jean-François CLERVOY, on a clairement vu comment un équipement scientifique coûteux et attendu par la communauté scientifique, a pu être sauvé par du dépannage dans l'espace.

M. CLERVOY - Il est certain que les retombées scientifiques du télescope spatial ne sont plus mises en doute. Par ailleurs, Hubble est un bon exemple de complémentarité entre l'homme et le robot, puisque ce télescope spatial est avant tout un robot. C'est un automate qui observe le ciel pour le compte d'une communauté scientifique d'astronomes, d'astrophysiciens au sol, qui le télécommandent depuis le sol. Il a été conçu intelligemment pour que l'homme puisse venir le visiter une fois tous les trois ans en moyenne pour en faire la maintenance, comme on amène sa voiture au garage régulièrement en prévention, mais aussi pour profiter des progrès de la technologie, y mettre de nouveaux instruments toujours plus performants.

La durée de vie du télescope est d'une vingtaine d'années puisqu'on pense l'utiliser jusqu'en 2010 et qu'il a été lancé en 1990. Dans la décennie qui vient, on pourra y mettre des instruments beaucoup plus performants qui permettront de voir dix fois plus loin que les instruments installés au départ.

Il s'est avéré que notre mission de maintenance de décembre dernier était plus qu'une mission de maintenance, c'était une mission de réparation puisque le télescope avait perdu quatre gyroscopes sur les six qu'il possédait à bord pour effectuer le pointage astronomique. Nous sommes arrivés, le télescope était bien conçu pour la maintenance par les astronautes en scaphandre, donc les interfaces sont conçues exprès pour le scaphandre, les outils sont également bien conçus et les astronautes bien entraînés. Nous avons réalisé une mission qui a réussi à 100 % et qui a redonné naissance au télescope avec des performances accrues.

On a en effet profité de cette mission pour améliorer l'ordinateur de bord, les mémoires de masse, le rechargement des batteries, la protection thermique, c'est donc vraiment un bon exemple. C'est avant tout un robot, mais de temps en temps il est maintenu par l'homme pour le rendre plus performant et pour lui permettre de vivre plus longtemps.

M. MIKOL - Je suis un peu un extraterrestre ici, n'étant pas vraiment impliqué dans les programmes spatiaux, mais je voudrais faire quelques remarques dont une intéressera peut-être l'Office parlementaire.

Mme Claudie ANDRE-DESHAYS a fait une remarque très intéressante en demandant de quoi on se privait si on n'allait pas dans l'espace. Aujourd'hui, à budget constant pratiquement du PIB, il faut savoir que si on va dans l'espace, il y a d'autres choses que l'on ne fait pas et la question est de savoir ce qui est prioritaire.

Je crois que cette remarque nous intéresse particulièrement nous, pharmaciens, car il y a un certain nombre de programmes, notamment aux Etats-Unis, dans le domaine de la biologie, qui concernent tous les aspects reliés au génome humain, pour lesquels les budgets américains sont multipliés par deux alors qu'on ne peut pas dire que le budget spatial soit doublé.

Les Américains nous invitent à participer aux programmes spatiaux, mais ne nous invitent pas à participer aux projets biologiques de génomique qui ont des retombées sociales, économiques et médicales sûrement ou vraisemblablement plus importantes.

Je crois qu'il faut avoir cette réflexion sur l'importance des choix que le pays et l'Europe font au niveau spatial par rapport à d'autres technologies compte tenu du fait qu'aujourd'hui, cela représente 2,1 % du PIB.

M. ROUGIER - Peut-être une question sur les choix spatiaux avant que Jean-Jacques FAVIER ne nous résume ce qui s'est dit.

Claudie ANDRE-DESHAYS, très clairement, si demain, enfin pas demain puisque nous sommes sur la station spatiale internationale, mais après-demain, l'Europe décidait, en suivant un peu ce que vient de dire Monsieur MIKOL, de ne plus participer à l'aventure spatiale, ne risque-t-elle pas quelque part de se priver de tout ce qui pourrait être découvert par la suite puisqu'elle ne sera plus partenaire ? N'y a-t-il pas là un risque ?

Mme ANDRE-DESHAYS - Oui bien sûr, il y a un risque. Si celui qui n'est pas partie prenante de l'aventure de ce XXIe siècle n'en partage pas les difficultés, les lenteurs, les inquiétudes, il n'en partagera pas non plus les bénéfices, les retours. Tout le monde comprend bien sûr les priorités, les répartitions.

Pour aller dans le prolongement de votre question, je ne suis pas sûre que ce qui ne sera pas proposé à une participation française ou européenne à un programme spatial sera, par ailleurs, reversé à la contribution française ou européenne dans le domaine de la génomique ou autre. Je ne suis pas sûre que les questions se posent en ces termes, c'est cependant une réflexion intéressante à avoir.

Mais si nous ne sommes pas dans l'aventure spatiale dans les dix, quinze années à venir, pour l'exploration, la conquête, la quête de l'homme, nous n'aurons pas vraiment un droit de regard, en tout cas de représentation de l'être humain européen à cette aventure.

Lorsque j'ai parlé tout à l'heure de ce que l'homme peut apporter par rapport au robot dans sa composante d'être humain, de perception et de transmission de ce qu'il vit, c'est aussi en partie en fonction de ces enjeux européens. L'astronaute européen, dans un vol européen, ce sera aussi un peu l'Europe présente, une identification, une âme de l'Europe pour les projets futurs.

M. LORIDANT - Je crois que la question posée par Monsieur MIKOL et la réponse de Claudie ANDRE-DESHAYS situent le problème à un niveau politique.

En ce qui concerne la problématique que vous soulevez, lorsque j'ai rédigé ce rapport dans les années 1990 - c'était la première fois qu'un parlementaire faisait un rapport sur l'espace -, il y avait déjà cette objection. On disait que si on ne faisait pas de vols habités, il y aurait davantage de crédits pour tel et tel ensemble. Et je répondais, en politique, qu'on n'avait absolument pas l'assurance que les crédits qui ne seraient pas mis à cet endroit, iraient là où on le voulait. Forcément le choix, l'orientation étaient une décision qui était le fruit d'un débat entre un pouvoir exécutif, ses conseillers, le vote du Parlement et les orientations finales qui seraient choisies.

Dans ce domaine comme dans d'autres, vous les scientifiques, devez intégrer une donnée qui est un terme de volonté de puissance sans que ce ne soit péjoratif.

J'ai tendance à considérer - et je vous ai donné une clef à l'entrée de ce débat - que si nous voulons que la France et maintenant l'Europe aient un pouvoir réel au XXIe siècle, il faut nous demander quelles seront les attributions qui en feront une grande puissance.

Il y a vraisemblablement :

- la recherche sur le génome,

- une dimension spatiale,

- une dimension de télécommunications,

- une dimension qu'on ne mesure plus très bien qui est une dimension militaire dont on ne voit cependant plus très bien les contours aujourd'hui.

C'est ce cocktail qui fera que la recherche dans l'espace et la présence d'hommes dans l'espace sera ou non un élément de choix.

Encore une fois, je raisonne en politique. Votre travail est de chercher, d'avoir les retombées. Mais, à un moment, vous avez aussi à éclairer les politiques. Vos députés et sénateurs sont tous très intelligents, mais si vous ne les nourrissez pas, ils seront moins intelligents.

M. ROUGIER - Nous allons passer à la synthèse des débats.

M. FAVIER - Je vais essayer de résumer rapidement nos propos. Ce n'est pas un exercice très simple, aussi si je ne suis pas complet ou, si j'ai mal interprété certains de vos propos, je vous prie de bien vouloir m'en excuser à l'avance et éventuellement de me corriger.

On est parti d'un constat, d'une idée que le Sénateur LORIDANT vient de reprendre : pour être grand, il faut être dans le spatial. Les vols habités font partie du spatial et, à ce titre, les grands veulent poursuivre leurs efforts dans ce type de vols. On a fait remarquer que d'autres puissances émergentes voulaient faire partie du club et faisaient tous leurs efforts - on a cité la Chine - même si ce n'était pas forcément une priorité.

Toujours est-il que le contexte est celui-ci. A partir de là, on a essayé de voir :

- dans un premier temps au niveau européen et français comment on se situait dans ce contexte ;

- dans un deuxième temps, à travers l'expérience acquise et éventuellement de nouvelles perspectives, comment utiliser au mieux tout ce contexte.

Monsieur FEUSTEL-BÜECHL nous a dit que l'Europe devait y être et y était, peut-être trop modestement au goût de certains, peut-être trop pour d'autres. Mais on était présent et il y avait un certain nombre de motivations en faveur de la présence de l'Europe.

Parmi les quatre motivations citées, j'en ai retenu une qui me semblait importante parce qu'elle a également été reprise par Monsieur VACHON, c'est la notion du travail technologique commun aux nations développées possédant ces technologies. Au Canada, semble-t-il, c'est même la mise en place d'infrastructures technologiques et industrielles à caractère spatial qui est visée à travers cet exercice.

Dans une deuxième partie de la discussion, on a évoqué plus concrètement les développements et les utilisations de ce contexte et on s'est beaucoup concentré sur l'acquis en termes de recherche scientifique liée essentiellement aux conditions de microgravité particulières qu'on ne peut pas reproduire pour des périodes suffisamment longues ailleurs qu'en orbite.

Monsieur SUCHET a dit que les deux caractéristiques, les deux portes qu'ouvrait le contexte, étaient l'observation des phénomènes masqués et la compréhension des phénomènes complexes qui, en fait, sont deux choses complémentaires.

On nous a donné un grand nombre d'exemples aussi bien en sciences de la vie qu'en neurosciences.

Monsieur BERTHOZ nous en a donné des exemples, dans le domaine des sciences de la vie d'une manière générale, sur ce qu'on avait été amené à découvrir en ayant placé l'homme dans ce contexte à travers sa présence dans les programmes au départ à caractère politique.

L'homme étant là, on l'a étudié pour savoir s'il pourrait poursuivre le programme et il a été une mine de ressources pour des études scientifiques tout à fait structurées qui ont permis des avancées significatives - je ne les reprendrai pas toutes - qui viennent compléter ou parfois anticiper un certain nombre de recherches qui se font en parallèle au sol. Ces recherches en sciences de la vie s'accompagnent souvent aussi de développements techniques, d'appareillages utilisés de façon très systématique maintenant dans les hôpitaux et les grands instituts.

Monsieur MIKOL a parlé de la cristallisation des protéines qui n'avait peut-être pas tenu toutes ses promesses, c'est exact. L'industriel cherchant un résultat, une solution sur le court terme à certains de ses problèmes, se désintéresse momentanément de cette possibilité.

Il faut cependant savoir que, globalement, le nombre de tests qui ont pu être réalisés dans l'espace, à bord des stations et des navettes, n'a rien à voir avec le nombre d'expériences, d'heures et d'hommes qui, au sol, en parallèle ou auparavant, ont dû faire des recherches, des mises au point. Il est donc un peu normal que, compte tenu de ce déséquilibre, on ne puisse pas comparer dans tous les domaines le retour scientifique et donc une mise au point d'expérience.

Pour cette raison, la station spatiale internationale qui devrait ouvrir en continu pendant des mois, des années, avec des expériences qui tournent, sera le bon test pour savoir si toutes les espérances qui ont pu être imaginées sont fondées ou non et si, réellement, elles conduisent à des retours au niveau des applications à caractère commercial.

On est revenu sur la question de départ, c'est-à-dire celle de l'utilité de l'homme dans l'espace. On a beaucoup parlé du contexte et du potentiel. La question de l'utilité a été abordée traditionnellement par l'opposition ou la mise en exergue du robot et de l'homme.

Ceux qui ont vécu l'expérience des vols habités - soit en tant qu'astronautes, soit en tant que scientifiques associés directement à des expériences ou ingénieurs présents autour de cette table - sont à peu près unanimes pour dire que les astronautes ont un rôle très spécifique à remplir dans les missions spatiales. La robotique est déjà très présente dans les stations et les navettes ; il n'y a pas opposition, mais complémentarité entre le rôle du robot et celui de l'homme.

Monsieur BEYSENS a cité le concept de téléscience qui permet de laisser une plus grande flexibilité aux scientifiques sur ces expériences. Mais la présence proche de l'instrumentation en vol d'un homme exercé et d'un oeil averti, a permis, permet et permettra d'améliorer le retour scientifique sans contestation possible.

On a évoqué deux autres points un peu plus éloignés de la science sur lesquels je terminerai. C'est le rôle de l'homme en tant que réparateur de gros systèmes spatiaux. On a cité la mission de Jean-François CLERVOY sur Hubble, il y a là un rôle incontestable de l'homme dans la boucle. Il a souligné aussi le concept-même du télescope Hubble qui est en fait un gros instrument scientifique, un gros laboratoire très automatisé, mais conçu dès le départ pour une certaine interactivité avec le scientifique au sol, mais aussi l'homme et l'astronaute comme interface.

L'amélioration est fondamentale car, en fonction du retour scientifique et des résultats qui tombent en cours d'utilisation, on peut prévoir d'autres expériences et l'astronaute est le seul à pouvoir les mettre à bord. Les scientifiques gagnent là énormément.

Je dirai entre parenthèses que l'autre grand satellite d'observation, Kopton, qui, lui, n'avait pas la possibilité d'être accessible aux astronautes, a été perdu corps et biens alors qu'il était plus récent que Hubble.

On a évoqué aussi ce qu'on appelle les retombées technologiques du spatial. Comme dans tout le contexte spatial, c'est quelque chose de non négligeable.

Les vols habités ont nécessité le développement de technologies très spécifiques qui, elles, se revendent ou s'exploitent au sol dans certaines niches, il faut le souligner.

On a également évoqué l'astronaute ou l'homme à bord dans l'espace au titre de l'éducation, de l'image, de l'exemple pour les jeunes, donc l'aspect attractif, l'image attractive. Ceux qui, comme moi, ont donné de nombreuses conférences devant des jeunes, ont ressenti, Claudie ANDRE-DESHAYS nous le rappelait, cet intérêt de la jeunesse pour l'espace, pour ce qu'il représente pour eux-mêmes. Même s'ils ne seront pas cosmonautes ou astronautes après, il est sûr que c'est un pôle d'attraction.

Enfin, Monsieur LORIDANT est revenu sur l'aspect politique des choses.

Il est clair que tout ce qu'on vient d'évoquer, c'est tout le potentiel que peuvent réserver les vols habités aussi bien au titre de la science, de la technologie, que des retombées commerciales, des applications au sol.

Mais comme notre point de départ nous l'indiquait, il s'agit en fait d'une question d'ordre politique, de choix politique. Il faut permettre aux politiques d'avoir une vision suffisamment globale et lointaine pour qu'ils puissent s'engager dans cette direction.

Il est clair qu'en France et en Europe, il y a une compétence incontestable dans ce domaine. Le politique doit donc prendre également en considération le fait que la nation et l'Europe sont particulièrement bien placées pour poursuivre. C'est sur ces bases et avec les arguments techniques et scientifiques qu'il est peut-être mieux armé pour prendre une telle décision.

M. ROUGIER - Merci beaucoup de cette synthèse pas facile à faire ainsi « à chaud ». Dans quelques instants, nous allons passer aux questions dans la salle.

Auparavant, Pierre DUCOUT, en tant que Président du groupe parlementaire sur l'espace, vous deviez participer à la deuxième table ronde, mais vous ne pourrez malheureusement pas. Pouvez-vous nous dire quelques mots maintenant.

Je ne sais pas si vous vous en souvenez, Pierre DUCOUT, mais nos chemins se sont croisés il y a une vingtaine d'année en Floride avec le Conseil général de la Gironde : un voyage avait été organisé avec des jeunes sur la base de Floride. Ceci montre que votre intérêt pour l'espace ne date pas d'aujourd'hui mais d'il y a très longtemps.

M. DUCOUT - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

De fait nous étions autour de Patrick BAUDRY, un Girondin avec des jeunes girondins, il y a maintenant quinze ans. Je me retrouvais sur un sujet vu récemment par le Sénat qui est évidemment davantage terre à terre, mais qui est aussi à l'origine de l'homme qui était d'abord un chasseur-cueilleur, étant entendu que l'espace peut être considéré comme son avenir.

Après l'enjeu scientifique de l'homme dans l'espace et des vols habités qui a été, je crois, fort bien développé par cette première table ronde, même si on n'a pas forcément entendu d'intervenants contre, comme l'on dit en technique parlementaire, bien que cela ne veuille pas dire contre à 100 %, je voudrais simplement dire deux mots sur les enjeux politiques et philosophiques qui ont d'ailleurs été abordés par notre collègue Paul LORIDANT.

La seconde table ronde développera ce point, mais « dans la capacité d'envoyer l'homme dans l'espace et de le ramener vivant » - c'est une expression du Président KENNEDY -, il y a incontestablement une dimension stratégique par la démonstration d'une maîtrise parfaite d'un système complexe et de très haute technologie.

Vous le savez, stratégie et psychologie ne sont pas très éloignées.

Il y avait dans le projet Hermès, que Patrick BAUDRY avait porté, un autre rendez-vous que celui de la maîtrise technique : l'occasion d'entrer dans le petit club des vraies puissances spatiales, celles qui ont fait chavirer l'humanité du rêve à la réalité.

On peut rappeler que l'Europe met six fois moins d'argent public que les Etats-Unis dans l'espace.

Jean-François CLERVOY, que nous avons eu le plaisir de recevoir à l'Assemblée Nationale il y a quelques jours, racontait au Président FORNI, de l'Assemblée, que John GLENN, qui était devenu un symbole pour les Etats-Unis, mais aussi pour l'Occident, avait été privé de missions pour préserver sa pérennité et le mythe qu'il représentait.

Hermès abandonné, la France est un peu restée à la porte de ce royaume. La donne internationale est restée ce que vous savez. Vous serez surpris d'un propos très national autour d'Hermès, mais à l'époque, la France spatiale a eu rendez-vous avec elle-même. Peut-être avons-nous eu un peu peur !

Si l'Europe aujourd'hui - c'est ce que l'on peut dire - veut tenir son rang, elle doit savoir tirer les leçons de l'histoire, surmonter les inhibitions, galvaniser les énergies et placer peut-être des hommes et des femmes en haut d'Ariane 5. C'est peut-être à cette condition que l'Europe pourra quelque part exister dans le concert international.

Dans les vols habités, il y a, pour moi, également un autre danger. Derrière la question d'investissements dont on a parlé, c'est la pertinence de la science qui est mise en cause.

La recherche peut apparaître pour certains davantage comme un luxe que comme la condition fondamentale de notre progrès commun. Il y a aujourd'hui, avec certains, des discussions à ce sujet et la présence de l'homme dans l'espace peut apparaître, pour ceux-là, comme le symbole idéal à combattre.

Voilà pourquoi défendre les vols habités, c'est aussi défendre la science, l'action de recherche, même si la science ne passe pas seulement par la présence de l'homme dans l'espace.

Et puis, il y a la part de rêve... Tous ceux qui étaient en âge de le faire ont veillé le 20 juillet 1969, cela a été dit par notre ministre. En un petit pas, l'homme est passé de l'obscurité à la lumière et, par un grand pas, l'humanité s'est éveillée à sa propre conscience.

En ce qui concerne la question scientifique, il y a également un danger qui menace l'espace. Si on le considère comme le domaine du rêve, on en conclut trop vite que l'adhésion y est spontanée. Il faut rappeler l'effort constant de la NASA en matière de communication ; ce rêve doit être entretenu, John GLENN en sait quelque chose.

Je voulais dire que notre groupe parlementaire de l'espace qui, évidemment, essaye de peser aujourd'hui sur les financements d'Ariane, de Galileo ou de GMES, tisse des liens forts avec ses partenaires européens. Notre groupe parlementaire s'est toujours montré attentif à cette question.

Je veux rendre ici hommage à l'exigence et à la simplicité de nos spationautes. Ils sont toutes et tous de formidables relais vers l'opinion publique, bien qu'à notre avis trop peu sollicités peut-être en France.

Dès l'origine, notre groupe, parfois contre vents et marées, a établi un lien privilégié avec ces hommes et ces femmes qui font de l'espace une réalité. C'est ainsi qu'en 1997 nous avons reçu à l'Assemblée Nationale :

- Jean-Loup CHRETIEN et l'équipage de la septième mission Atlantis,

- l'équipage de la mission STS-95 en janvier 1999,

- Jean-Pierre HAIGNERE avec l'équipage de la mission Perseus à l'occasion de la dernière cérémonie des voeux de notre groupe parlementaire ici, au Sénat.

Il y a donc, enfin, un enjeu philosophique au débat qui nous occupe. Pour le coup, le politique s'efface pour laisser place aux convictions de l'homme.

J'ai la conviction que l'humanité s'étendra et vivra au-delà de la surface terrestre. Cette réalité n'est ni pour tout de suite ni pour demain, mais c'est une perspective qui appelle une préparation. Cela mérite une vision et une cohérence d'action.

Depuis le 11 décembre 1972 la Lune n'a plus vu d'humains, mais je pense que Mars en recevra dans vingt, trente ou peut-être plus d'années.

Au-delà de la découverte scientifique qu'elle peut représenter, la conquête spatiale répond à la nécessité pour l'homme de dépasser ses limites. L'abandon de la terre-patrie marque les prémices d'une liberté affirmée, d'une victoire sur une existence insatisfaisante puisque limitée dans le temps et l'espace.

En conclusion, plus fondamentalement pour moi, la conquête de l'espace est un moyen de répondre à une certaine angoisse. L'être humain a conscience de sa finitude, a une soif de continuité. La destinée humaine répond à une finitude. A l'élément fini, aux limites cernées de la terre, l'espace dans son infinité en expansion, donne un nouvel espoir de continuité, une raison de poursuivre une mission apparemment vouée à l'échec.

Avec la conquête de l'espace, l'homme répond à une angoisse par une inquiétude rationnelle. La vie de l'homme dans l'espace ne le rendra pas pour autant immortel. Claudie ANDRE-DESHAYS a parlé de la réversibilité du temps qui passe. Si cette aventure ne peut pas calmer son angoisse, elle lui offrira néanmoins une occasion unique de réfléchir sur sa dimension spirituelle. Pour moi, si l'homme quitte la terre, emporte-t-il Dieu avec lui ?

Merci de rester sur cette interrogation.

Je vous souhaite une bonne continuation de vos travaux.

M. ROUGIER - Merci Pierre DUCOUT.

Nous allons prendre maintenant quelques minutes pour poser quelques questions aux intervenants de cette première table ronde.

M. HOFFMAN - On a beaucoup parlé de l'utilisation de la station spatiale pour la recherche scientifique, mais à mon avis, il faut absolument ne pas ignorer une autre utilisation, celle d'un banc d'essai pour les nouvelles technologies spatiales.

Je pense que, pour cette utilisation, la présence des astronautes sera vraiment très utile pour pouvoir changer des mécanismes et faire des expériences en coopération avec les techniciens au sol.

Je ne sais pas s'il faut faire un commentaire à ce sujet, mais je ne voulais pas qu'on ignore cet autre aspect de l'utilisation de cette station.

M. ROUGIER - Nous aborderons ce point dans la seconde table ronde, quelqu'un souhaite-t-il apporter quelque chose sur ce sujet ?

M. ZAPPOLI - Je crois que la question du lien entre la recherche en micropesanteur et les techniques spatiales est très importante.

Il s'agit, je crois, de l'application la plus immédiate - cela a été un peu abordé par Jean-François CLERVOY - de l'utilisation de l'ambiance de micropesanteur pour étudier et parfaire la question de la gestion des fluides en orbite dont on sait qu'elle est la clef de la durée de vie des satellites de communication.

Elle est aussi la clef des nouvelles technologies de moteurs allumables en orbite, c'est-à-dire comprendre la combustion de brouillard en suspension. C'est un point que l'on maîtrise mal.

Au-delà de l'utilisation de la micropesanteur pour répondre à des questions pouvant améliorer l'amélioration des procédés industriels au sol, à plus long terme, il y a l'utilisation directe pour les technologies spatiales.

M. FEUSTEL-BÜECHL - On n'a peut-être pas eu le temps d'aborder ces questions, mais excepté les recherches en microgravité, la station spatiale peut également servir comme centre de ces technologies comme indiqué par Monsieur HOFFMAN. C'est un aspect assez intéressant parce que la station est disponible tout le temps, l'accès est permanent. On peut bien utiliser cet outil pour faire des essais technologiques pour préparer des missions, des technologies pour les satellites ou pour autre chose.

En plus, on est aussi en train d'examiner de plus en plus l'utilisation commerciale. Par exemple, à l'ESA, on a un programme qui s'appelle MAP (Microgravity applications programm). On essaye d'unir les chercheurs et l'industrie pour développer des projets communs avec le but de transférer la technologie et la connaissance des expériences aux produits terrestres pour intéresser davantage les industries conventionnelles. Avec la recherche, cela représente une partie importante de l'utilisation de la station spatiale.

M. ESTERLE - J'ai travaillé pendant un certain nombre d'années au CNES sur les programmes de microgravité ainsi que sur un certain nombre de missions habitées.

Je n'ai pas vraiment une question, mais plutôt un commentaire ou une interrogation concernant la méthode employée. Réunir autour d'une table des personnes qui consacrent leur vie professionnelle, voire leur vie tout court, à l'homme dans l'espace, c'est garantir qu'on aura un discours sur l'homme dans l'espace. Cela a d'ailleurs été remarqué par le Député DUCOUT.

Il y a évidemment une exception, une des personnes est venue faire le contradicteur. Je ne veux pas du tout remettre en cause tout ce qui a été dit, c'est parfaitement juste, c'est parfaitement vécu, c'est tout à fait sensible, mais il y aurait peut-être d'autres méthodes pour éviter cette sorte d'écueil consistant à purement et simplement renvoyer le miroir d'un phénomène.

Par exemple, tout ce qui concerne la science ou les applications, les utilisations technologiques de ce qui a pu être découvert dans l'espace, peut se mesurer comme n'importe quelle politique scientifique ou n'importe quelle politique technologique. Il y a des méthodes, des organismes qui le font très bien. Et on pourrait leur demander d'analyser le bilan - à travers les publications, les brevets et leur utilisation - de tout ce qu'a été une politique spatiale, appuyée, portée par l'homme dans l'espace, car maintenant cela fait quand même un certain nombre d'années. Pour la France et l'Europe, cela fait environ vingt ans, avec une intensité variable, qui s'est accrue depuis une dizaine d'années.

Une forme de bilan pourrait compléter ce qui a pu être dit autour de cette table par ces procédures qui sont tout à fait courantes dans d'autres domaines de la science et de la technologie. Je pense que la même chose pourrait être faite sur ce qui a été évoqué, c'est-à-dire la réponse sociale en quelque sorte à l'homme dans l'espace. Ce sont des méthodes tout à fait simples.

Avant de venir ici, pour me faire une idée, j'ai regardé sur Internet. La NSF fait chaque année des études sur l'impact, la réponse sociale de politiques publiques, en particulier la politique scientifique. Elle isole, met en évidence la réponse ou l'intérêt, le niveau de connaissances personnelles que les personnes peuvent avoir dans un certain nombre de domaines de politique générale par rapport à la politique scientifique.

Elle compare la politique internationale, la politique de défense et la politique scientifique. Et, dans la politique scientifique, il y a un certain nombre de thèmes dont l'espace et les affaires spatiales. Si l'espace n'est pas mal placé, il n'est pas très en avant non plus, d'autres thèmes semblent répondre mieux aux aspirations du public de nos jours, et en particulier tout ce qui concerne les recherches de pointe - pour cette raison je rebondis sur ce qu'a dit Monsieur MIKOL - en médecine avec toutes les promesses portées par exemple par le génome. Je voulais simplement faire cette remarque. L'Office pourrait utiliser d'autres méthodes pour analyser ce domaine et peut-être pour enrichir sa réflexion sur ce sujet.

Je terminerai en disant que, dans le sens de ce bilan, j'aurais une petite remarque à faire sur le tour de table. En écoutant tout ce qui se disait, il m'est venu l'idée que si la même démarche avait été menée, il y a une dizaine d'années - je ne me souviens pas si elle l'a été par le Sénateur LORIDANT - on aurait trouvé à peu près les mêmes personnes au tour de cette table, je crois. Et je me disais qu'il manquait peut-être de renouvellement dans ce domaine. Je le regrette et je trouve que ce n'est pas un signe de très grand dynamisme.

Ceci dit, individuellement les choses ont changé, ne serait-ce que parce que les astronautes ont volé et je suis sûr que cela change beaucoup la vie.

M. LE PRESIDENT - En ce qui concerne la méthode, je remercie comme je l'ai fait au début - et je le ferai à la fin - toutes les personnes qui ont bien voulu assister aujourd'hui, intervenants, public et journalistes, à ce colloque.

Ce colloque n'est, dans la quête d'informations que je suis chargé de faire au niveau de l'Office parlementaire, qu'un élément. J'ai commencé à travailler il y a bientôt un an, je vais poursuivre encore mon travail pendant six mois. J'ai fait appel à des experts qui m'aident dans ce travail et que je remercie aujourd'hui d'avoir bien voulu y participer, mais ce n'est qu'un élément de l'évaluation que je suis chargé de faire.

Vous avez parlé, Monsieur, de la quête du public, de ce que demandent nos concitoyens. C'est un grand, un vaste sujet.

Notre participation à la station spatiale internationale représente à peu près 10 % de la dotation du CNES qui s'élève à peine à 9 MdF.. Vous allez me dire que je n'ai pas à faire une comparaison, qu'elle ne vaut rien, mais le chiffre d'affaires de la Française des Jeux est d'environ 33 MdF, le PMU environ la même chose. Ce soir une demi-finale réunit devant les écrans des millions de Français avec des joueurs qui se vendent, comme au marché d'esclaves, des milliards bientôt.

Les Français ont donc des choix à faire, c'est vrai, mais je pense que c'est à ceux qui les représentent de les faire et ces choix sont difficiles car, dans un budget constant, un ministre ne peut d'un coup passer d'une dotation de 9 MdF à une dotation de 25 MdF.

Un président de Conseil général consacre aux routes de son département un certain nombre de millions et même si on lui réclame de boucher beaucoup plus de trous et d'ouvrir de nouvelles routes, il ne peut pas brusquement passer à des centaines de millions.

Des choix sont réalisés, c'est vrai, entre différents types de recherche. Je crois qu'au Parlement, nous essayons de nous informer au maximum et ensuite de faire des choix et d'essayer d'éclairer aussi les choix du gouvernement.

C'est le but que nous nous proposons de poursuivre à l'Office parlementaire. Je n'ai cependant pas choisi cette méthode aujourd'hui pour dire que je commence mon rapport ce matin et qu'il sera fini ce soir.

M. ZAPPOLI - Pour ce qui est de l'examen des résultats, il y a des offices d'évaluation de la recherche. L'Académie des Sciences s'est plongée dans les résultats de la micropesanteur en des termes qui ne sont pas particulièrement en sa défaveur. La micropesanteur a été examinée par le Comité des très grands instruments.

Au niveau européen, l'Agence spatiale européenne a réuni un grand jury, dont le prix Nobel PRIGOGINE était le président. Elle a examiné de manière tout à fait positive la démarche, l'évolution des recherches et leurs résultats.

M.GÜELL - En ce qui concerne le domaine des sciences de la vie, je voudrais vous rappeler que la procédure d'évaluation à laquelle vous faites référence est en cours.

Ce travail est fait en commun avec les équipes de l'Agence spatiale européenne et mon homologue Didier SCHMITT. Il est en cours depuis neuf mois maintenant.

M. LORIDANT - Votre question sur la méthodologie est très intéressante.

Il faut vous rappeler d'abord que vous êtes ici dans une assemblée parlementaire. Lorsqu'en 1990, pour la première fois, un parlementaire a fait un rapport sur la politique spatiale, c'était une démarche d'information du Parlement en direction des parlementaires et éventuellement un regard différent du pouvoir législatif par rapport au pouvoir exécutif.

Dix ans après, l'Office parlementaire perdure et le travail réalisé, excusez-moi, n'est pas fait pour vous a priori, mais pour éclairer le Parlement. Nous sommes en effet appelés à prendre des décisions budgétaires, des décisions d'orientation porteuses de décisions en termes d'affectation de crédits et de choix fiscaux. Vous payez des impôts et on fonctionne dans un régime de démocratie parlementaire.

Je prends plutôt votre remarque comme un éloge de la méthode puisque le Parlement mandate dix ans après un autre parlementaire - et c'est bien que ce soit un autre - pour jeter un regard sur l'évolution qui a eu lieu et le fait publiquement.

Or on ne peut pas avoir un débat dans le pays aujourd'hui sur les politiques. Ils s'occupent de leurs problèmes, ils sont dans leurs affaires, ils font leurs petits intérêts personnels. Et lorsque vous avez une démarche d'un Parlement, d'un Office parlementaire qui débat publiquement de cette évaluation, qui invite le public et les professionnels, vous dites que nous exagérons sur la méthode ou que nous nous trompons de méthode.

Dans mon rapport, j'avais abordé :

- la microgravité,

- l'accès à l'espace,

- les sciences de l'univers,

- l'observation de la terre,

- les télécommunications,

- l'espace militaire.

Il n'a pas fini son travail, le pauvre Sénateur REVOL, je lui souhaite bien courage !

Mais l'important n'est pas là, à mes yeux il s'agit d'une importance éminemment politique ! On doit, puisqu'on est dans une démocratie représentative, vous assurer qu'on fait bien notre travail dans l'affectation des crédits, qu'on ne se trompe pas ou que si le pouvoir exécutif prend de mauvaises orientations, on est à même de le critiquer et on vous doit la transparence. Pour le coup, vous l'avez la transparence ! Le Sénateur REVOL y travaille, il prend ses experts, il fait venir un vieux monsieur qui a fait le rapport il y a dix ans et on débat devant vous ! Question de méthode !

M. BERTHOZ - Je suis très heureux que vous ayez soulevé publiquement la question importante, sur laquelle je n'ai pas voulu intervenir tout à l'heure, de l'évaluation scientifique.

On a assisté depuis quelques années dans ce pays, dans ce domaine, à certaines campagnes qui ont parfois été des campagnes de calomnie et je pense qu'il est très important que nous soyons très au clair sur l'évaluation scientifique.

Pour la Commission parlementaire, je voudrais, en deux mots, dire quels dispositifs actuellement sont mis en oeuvre par les différentes instances qui jugent, au moins dans le domaine qui nous concerne, celui des sciences de la vie et des neurosciences, les projets, la réalisation et les sorties scientifiques.

Premièrement, le CNES - ce n'est pas à moi de le dire, mais c'est un fait - est soumis à un comité ad hoc qui choisit les projets et qui est entièrement composé de personnes qui n'ont pas du tout d'implications dans le domaine spatial. C'est déjà très important pour s'assurer que le choix des projets est jugé par des personnalités scientifiques indépendantes.

Deuxièmement, il faut savoir que la plupart des chercheurs impliqués en France - c'est vrai pour l'Europe, mais en particulier pour la France - dans les recherches, sont des chercheurs du CNRS et de l'INSERM. Les dossiers sont évalués individuellement par les instances scientifiques de la recherche spatiale du CNRS et de l'INSERM qui sont complètement indépendantes.

Et les nominations au grade de directeur de recherche, de chargé de recherche, les recrutements, les évaluations données, sont un critère absolument indépendant et je crois qu'on pourrait très facilement faire un bilan très favorable sur les carrières de ces chercheurs tels qu'évalués par le Comité national de la recherche scientifique ou de l'INSERM.

Troisièmement, l'Agence européenne spatiale a fait faire, justement il y a quelques années, au moment où il y a eu les vols Euro-Mir etc., une évaluation très approfondie notamment des secteurs des sciences de la vie par des comités indépendants qui ont fait une sorte de bilan sur ce qui s'était passé avant, au cours des années précédentes. Et je crois qu'une partie des projets acceptés dans Euro-Mir et autres, ont été le résultat de cette évaluation scientifique indépendante.

Quatrièmement, il faut savoir que depuis quelques années - c'est très important à savoir pour la station spatiale - le mécanisme mis en place pour évaluer les projets de cette station est un mécanisme à deux coups, ce qui est très important pour nous aussi. On est effectivement partie prenante, on est juge et partie, c'est l'inquiétude que vous avez manifestée.

Une première sélection est faite par des experts scientifiques nommés par NSF, NAH avec des représentants du CNRS, des organismes européens, etc. Cette évaluation porte uniquement sur la valeur scientifique, en général avec des experts qui n'ont rien à voir avec le spatial.

Cette sélection scientifique est unique au monde car excepté les programmes Human frontiers dans notre domaine, qui sont des programmes internationaux, il y a assez peu de systèmes d'évaluation mondiale en quelque sorte de la science. Les seuls que je connaisse sont les grands programmes Frontières humaines.

Ces comités internationaux formés de scientifiques font une première évaluation, puis une deuxième évaluation a lieu sur la faisabilité.

Le fait qu'un certain nombre de programmes, de projets dont nous avons parlé tout à l'heure ou qui vont voler bientôt et avoir des classements comme par exemple être premier sur 490 projets, n'est pas forcément un signe de difficultés, je crois, ce qui était le cas pour certains projets français. Et le bilan des projets français dans ce filtrage a été plutôt positif.

Mais c'est très important et je crois qu'on a tous souhaité qu'il y ait effectivement, dans le programme de la station, cette double évaluation :

- l'évaluation par la communauté scientifique au même niveau que celui auquel on a l'habitude d'être jugé,

- plus l'évaluation d'une autre communauté.

Enfin, il y a toute une série de mécanismes mis en place et très intéressants comme celui auquel participait la France il n'y a pas longtemps. Ce sont des workshops organisés par la communauté et la station. Un workshop de neuroscience a été organisé par le CNES avec les laboratoires en France ; les actes en ont été publiés dans la revue Brain Research. Et on a mis un point d'honneur avec Antonio GÜELL, qui dirige ce secteur au CNES, à ce que tous les articles de ce bilan - soit une trentaine ou une quarantaine d'articles internationaux - soient eux-mêmes évalués par des experts internationaux avec une liste.

C'est un problème fondamental.

Je crois cependant que la communauté y est très sensibilisée. Et si les personnes que vous avez peut-être vues depuis quelques années sont autour de cette table, c'est qu'elles ont réussi, par un miracle que je vous laisse le soin d'expliquer, à passer à travers ces filtres.

M. BLAMONT - Je suis conseiller du directeur général du CNES et membre de l'Académie des Sciences. Monsieur le Président, je répondrai au Sénateur LORIDANT que je suis un grand admirateur du fait que le Parlement se pose le genre de questions qui sont posées aujourd'hui.

Je vis en partie aux Etats-Unis et je constate avec admiration le processus de contrôle démocratique des grandes options du pays et en particulier de l'espace. Il est à souhaiter qu'un processus d'une aussi grande rigueur soit introduit en France, j'espère qu'il l'est.

Maintenant, je voudrais m'associer à ce qui a été dit par Monsieur le Député DUCOUT et par Alain ESTERLE.

Vous voulez vous renseigner et renseigner les parlementaires, donc vous posez des questions. A mon sens cependant, c'est peut-être un peu dangereux de réunir autour de vous un lobby où l'ensemble de cette table ronde, sauf une personne, est du même avis, surtout sur une affaire aussi controversée. Il me semble qu'il a manqué véritablement un regard critique sur ce qui a été dit. Un certain nombre de choses ont été dites d'ailleurs qui, à mon avis, sont inexactes. Je n'ai pas du tout l'intention d'entrer là-dedans, mais c'est un fait que s'il y avait eu parmi vous des contradicteurs, la situation aurait été assez différente.

Vous avez posé une question scientifique : à quoi sert l'homme dans l'espace ? Si j'ai bien compris, il n'y avait pas de connotation autre qu'essentiellement scientifique, on viendra peut-être aux autres connotations. Or la discussion scientifique entre scientifiques se fait d'une façon contradictoire ! Chacun doit avoir la parole. En particulier, je me permets de vous rappeler que cette discussion a déjà eu lieu, il y a dix ans, à l'Académie des Sciences. L'Académie des Sciences a organisé une discussion contradictoire qui a duré des mois sur le problème de l'homme dans l'espace. Elle a abouti à la publication d'un rapport écrit par notre éminent collègue feu Raymond CASTAING qui n'avait été discuté par personne. C'était un grand physicien qui n'était pas un spécialiste de l'espace, bien qu'ayant dirigé l'ONERA.

Nous estimons en général, dans la communauté scientifique, que ce genre de travail doit être fait de façon approfondie et contradictoire même s'il y a des connotations qui ne sont pas exactement scientifiques, c'est-à-dire industrielles, technologiques, politiques, etc.

Malgré tout l'affaire de l'homme dans l'espace est une affaire que vous avez bien voulu placer en grande partie sur le plan scientifique. Et, dans ces conditions, je regrette que la discussion ait été biaisée.

M. ROUGIER - Je rappelle simplement qu'il y aura un deuxième débat auquel vous participerez, Monsieur BLAMONT ainsi que Monsieur ESTERLE.

M. SIFFRE - Je suis directeur du Musée de l'Air et de l'Espace. Je voudrais poser une question à Monsieur REVOL.

Les chercheurs peuvent venir chercher au Musée de l'Air et de l'Espace les motivations politiques, stratégiques, qui ont conduit Louis XVI à autoriser le premier vol humain.

Dans votre rapport, avez-vous réservé un chapitre sur la conservation de la mémoire, des réflexions qui ont accompagné l'homme dans l'espace ? Allez-vous recommander que des archives soient déposées au Musée d'Etat, le Musée de l'Air et de l'Espace ?

M. REVOL - Merci Monsieur de votre question. Je précise - et ma réponse vaudra aussi pour Monsieur le Professeur BLAMONT - que, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, notre rencontre d'aujourd'hui n'est qu'un élément dans l'information pour la recherche que je fais actuellement. Un an et demi de travail, avec de très nombreuses auditions qui sont en cours et que je continuerai, des visites et je n'irai pas voir que les personnes du lobby favorable à l'espace, j'irai également voir et j'entendrai des contradicteurs, soyez en certains. D'ailleurs aujourd'hui, le micro est ouvert et chacun peut s'exprimer.

Pour le Musée de l'Air, ce sera une réflexion et je vous remercie de m'engager sur cette piste. Nous en parlerons ensemble, si vous le voulez bien, avant la fin de mon rapport. En ferai-je un chapitre ? Je ne le sais pas aujourd'hui, mais en tout état de cause, je le prendrai en considération et vous rencontrerai bien volontiers pour avoir votre opinion.

M. PLATARD - Je suis au CNES, où je dirige les relations internationales.

Ce n'est pas une question, mais un commentaire qui va peut-être illustrer un propos indiqué par Monsieur MIKOL, relatif au fait que lorsqu'on a des choix à faire, l'argent qui ne serait, par exemple, pas affecté à des vols habités ou plus généralement à l'espace, pourrait l'être à d'autres sujets particulièrement pointus dont - et c'est ce que vous évoquiez - la recherche sur le génome. Je voudrais simplement donner quelques chiffres pris aux Etats-Unis !

M. PLATARD - Aux Etats-Unis, le budget total est d'environ, en arrondissant, 1 800 Md$ et le PIB est de 8 000 Md$. Là-dessus, le montant de l'argent public destiné à l'espace est de 26 Md$ dont 6 Md$ sont dévolus aux vols habités au sens large, y compris la station et la navette, c'est-à-dire un pour mille.

Lorsque vous prenez maintenant ce qui est dévolu à la recherche médicale, le budget de la NIH est d'environ 18 Md$ et si vous ajoutez un budget qui n'est pas directement pour la médecine humaine, mais qui comporte beaucoup de physiologie, celui de la NSF, on doit friser les 20 Md$.

C'est de l'argent public qui est voté chaque année.

Cela veut dire que ce que les Etats-Unis consacrent à la recherche médicale, environ 140 MdF par an c'est-à-dire au moins trois fois plus que ce qui est consacré aux vols habités.

C'est un choix politique, c'est ce que vous évoquiez, Monsieur le Sénateur. Ce pays a choisi de pouvoir mener les deux voies, de consacrer un minimum minimum important pour les vols habités tout en continuant à accroître ses budgets pour la recherche médicale.

C'est tout ce que je voulais dire, je vous remercie.

M. LORIDANT - Il y a une autre réflexion, vous me demandiez en entrée ce qui avait changé, je ne sais pas répondre.

J'ai cependant pointé que si, globalement, les pays d'Europe mettaient beaucoup moins d'argent en volume qu'aux Etats-Unis, l'efficacité était peut-être plus douteuse. S'il y avait donc un effort à faire que j'ai pointé, c'était d'avoir une meilleure coordination des pays de l'Europe.

J'ai visité des salles d'intégration de satellites, je ne veux vexer personne, mais à Ludwigshafen chez Dornier, la salle était vide. J'ai visité cinq ou six salles d'intégration de satellites en Europe, dont la moitié ou le tiers était sous-utilisé.

Lorsque j'ai visité les salles d'intégration des satellites chez Hughes, elles étaient pleines. Et je n'ai pas vu aux Etats-Unis - en tout cas on ne m'en a pas montré - de salles d'intégration de satellites vides. On ne me les a peut-être pas montrées, mais je peux vous dire que j'en ai effectivement vu en Europe.

Il y aurait, à budget constant, matière à faire un certain nombre de choses !

(La séance, suspendue à 16 h 50, est reprise à 17 h 15)

M. LE PRESIDENT - Monsieur le Président du Sénat, merci de nous avoir rejoint.

Nous sommes très honorés que, malgré un emploi du temps de fin de session particulièrement chargé pour vous, vous ayez tenu à venir à ce colloque que j'ai organisé au titre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques dans le cadre du rapport que cet organisme m'a confié sur la politique française de l'espace.

Aujourd'hui, nous avons consacré les travaux de ce colloque à évoquer les problèmes posés par la présence de l'homme dans l'espace sous ses divers aspects. Une première table ronde nous a permis d'évoquer en particulier l'utilité de l'homme dans l'espace. Et la deuxième table ronde, dont votre intervention, Monsieur le Président, sera le signal de départ, est consacrée à une interrogation : L'homme est-il destiné à occuper l'espace extra-terrestre ? A l'occasion de nos précédents travaux, un certain nombre d'interrogations ont été posées. Et je pense qu'elles le seront encore davantage au cours du sujet que nous allons évoquer maintenant.

Monsieur le Président, en vous remerciant encore, je vous passe la parole.

M. Christian PONCELET, Président du Sénat - Je crois que le Ministre, Monsieur Roger-Gérard SCHWARTZENBERG a ouvert votre colloque ; notre Ministre de la Recherche étant un homme de qualité, je crois qu'il a donné à celui-ci une tonalité dont nous pouvons apprécier, les uns et les autres, l'importance.

Monsieur le Président, cher Henri REVOL, Mesdames, Messieurs, Je voudrais saluer les élus dans la salle, j'ai vu quelques sénateurs, députés, un ancien sénateur, un Lyonnais que j'aperçois, qui a été l'auteur de propositions de lois concernant la bioéthique, qui a également apporté une contribution lorsqu'il était en exercice, à la législation française, une contribution positive en tant que sénateur.

A mi-parcours de votre colloque consacré à « L'homme dans l'espace » , organisé par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et n'ayant hélas pu assister à sa première table ronde, consacrée - on vient de le rappeler il y a un instant - au sujet suivant « Quelle est l'utilité de l'homme dans l'espace ? », je ne suis pas directement en mesure d'en tirer tous les enseignements. Le contraire serait prétentieux.

Je souhaite cependant, avant que vous n'entriez dans les débats de la deuxième table ronde, consacrée à « L'homme est-il destiné à occuper l'espace extra-terrestre ? » , vous faire part de quelques observations.

Est-il destiné, ne serait-ce que par curiosité ? Si je pose la question à l'assistance en demandant : souhaitez-vous aller dans l'espace, il y a un véhicule qui part demain, quels sont ceux qui veulent y aller ? Tout le monde lève la main. Donc un phénomène de curiosité conduirait déjà à aller dans l'espace. Fantasme ou perspective réaliste à terme, l'idée de voir l'homme vivre ailleurs que sur la terre, a très largement hanté toute une littérature, toute une production cinématographique qui tantôt nous fait rêver, tantôt nous inquiète. Cette projection dans l'espace nous renvoie, en effet, simultanément aux origines de notre univers et à l'avenir de notre humanité.

En tout état de cause, je me félicite de voir l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques poursuivre sa véritable investigation sur la situation et les perspectives de la politique spatiale française.

J'en profite pour vous dire qu'aujourd'hui au Sénat, se tiennent plusieurs colloques, le vôtre, dans la salle voisine un colloque sur les institutions européennes, dans une autre salle un colloque sur la bioéthique, qui démontrent, pour ceux qui pourraient en douter, qu'au sein de l'institution sénatoriale, on réfléchit. Et par conséquent, on prépare les éléments nécessaires pour enrichir la connaissance des sénateurs, d'autres aussi, afin de former une législation de qualité.

Comme le disait Jules Ferry : « Le Sénat est là, entre autres, pour vérifier que la loi sera bien faite » , Jules Ferry étant mon illustre prédécesseur. Si d'aventure on vous demande à quoi sert le Sénat, voilà au moins une réponse que vous pourrez donner à votre interlocuteur, à l'avance je vous en remercie.

Ainsi que je l'avais indiqué, lors des remarquables auditions publiques auxquelles avait procédé l'Office en Mars 1999, ce travail est d'autant plus opportun que la réflexion politique, cette fois au sens noble du terme, dans le domaine spatial, semble être quelque peu tombée en déshérence. Or, une impulsion politique fondamentale est aujourd'hui plus que jamais nécessaire face à l'univers mouvant et redoutablement concurrentiel qu'est devenu l'espace. J'ai tenu à m'exprimer devant vous, car je suis convaincu de la nécessité de maintenir la dimension humaine au coeur de cette aventure spatiale.

A cet égard, je me félicite de voir que Monsieur Roger-Gérard SCHARTZENBERG, Ministre de la Recherche, a admis ce matin devant vous, que « les expérimentations humaines dans l'espace doivent avoir une certaine place dans toute politique spatiale » , c'est sa propre expression que j'ai notée et que je reproduis. J'aurais préféré, pourquoi ne pas le dire, le voir utiliser les termes non pas certaine place , mais place certaine , car je crois à la nécessité de maintenir un lien fort entre la technologie spatiale et la présence de l'homme dans l'espace.

La problématique du vol spatial habité, auquel l'Europe a en partie renoncé avec l'abandon du projet de navette Hermès, constitue un élément essentiel de l'adhésion populaire à l'adhésion spatiale. Dans ce domaine, l'Europe doit donc veiller à garder son rang et à ne pas laisser à la puissance américaine un monopole.

A l'évidence, la découverte récente de traces d'eau sur Mars - j'en parlais avec certains d'entre vous il y a un instant - et partant, la très probable existence d'une forme de vie organique sur cette planète, légitiment la volonté des Etats-Unis d'aboutir à un vol habité permettant à l'homme de marcher sur Mars. Il serait souhaitable que l'Europe ne soit pas absente d'une telle opération !

Si, dans cet exemple, la réalité semble en passe de rattraper la fiction, force est de constater qu'il existe une multitude d'applications où la présence de l'homme dans l'espace peut se justifier. Je pense, en particulier au programme de station spatiale internationale dans lequel la France se trouve partie prenante et dont, je l'espère, les astronautes français compteront parmi ses futurs habitants.

Je salue bien sûr les astronautes qui sont parmi nous pour ce colloque et je leur exprime ma très cordiale sympathie.

Par ailleurs, il est évident que la présence matérielle croissante des activités humaines dans l'espace, rendra nécessaire l'élaboration d'un code de bonne conduite mondiale afin que ces activités ne s'exercent pas de façon anarchique.

Au total, et à ce stade du débat prospectif qu'est le vôtre, je tiens à me féliciter à nouveau des investigations engagées par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques dont les non initiés pourraient considérer qu'il tente d'inventer le réel. Au contraire, je considère que cette tâche indispensable pour que les décideurs français et européens ne soient pas tentés - autorisez-moi l'expression - de s'endormir sur leurs lauriers. Les succès répétés d'Ariane dont nous devons, à juste tire, être fiers, ne sauraient en effet tenir lieu de politique spatiale globale. J'estime que, dans ce domaine, suivant en cela le chemin tracé par le Général de GAULLE, la France doit rester l'aiguillon d'une politique ambitieuse de conquête spatiale.

Voilà ce que je souhaitais vous dire en ouverture de cette deuxième table ronde dans le cadre de votre colloque, en vous remerciant très sincèrement de votre aimable attention et en formulant mes meilleurs voeux de succès à vos travaux. Merci !

(Applaudissements)

M. LE PRESIDENT - Je vous remercie, Monsieur le Président.

Je passe maintenant la parole à Bruno ROUGIER, journaliste qui anime les tables rondes de ce colloque et lui laisse le soin de présenter cette deuxième table ronde et les intervenants qui y participeront.

M. ROUGIER - Merci beaucoup !

Je dirai simplement deux mots pour introduire cette table ronde, je ne vais pas raconter l'histoire de l'espace, les personnes dans cette salle la connaissent par coeur. Pendant des années, cela a été une course de prestige, un besoin de domination entre deux grandes puissances : les Américains d'un côté et l'URSS puis la Russie de l'autre. Il est vrai qu'aujourd'hui la situation a changé et tous les pays, soit poussés par une réalisme économique, soit parce que l'histoire est ainsi écrite, travaillent main dans la main. Un des exemples dont on a parlé lors de la première table ronde, est bien sûr cette station spatiale internationale.

Depuis quarante ans, c'est vrai, l'homme a appris à aller dans l'espace. Même si aujourd'hui ce n'est pas aussi simple que de prendre un avion, dans l'esprit du grand public, il y a moins de choses extraordinaires à voir partir une fusée aujourd'hui qu'à l'époque de Youri GAGARINE, il y a quarante ans.

Aujourd'hui on peut se demander ce que l'homme fera, demain, de ce nouveau territoire de l'espace. Va-t-il avoir de nouvelles idées de conquêtes ? Où voudra-t-il aller ? Va-t-il se contenter de tourner autour de la terre ou va-t-il partir à la découverte de nouveaux mondes ? C'est vrai qu'il y a presque un désir latent dans l'homme de découvrir de nouveaux mondes et on ne voit pas pourquoi ce qui s'est passé sur terre ne se passerait pas dans l'espace.

Les enjeux sont de divers ordres, c'est ce que l'on va aborder pendant cette table ronde, ce sont des enjeux éthiques, humains, politiques, technologiques.

Je vous propose de présenter rapidement les divers intervenants de cette table ronde avec la même méthodologie que pour la première, c'est-à-dire l'ordre alphabétique :

- Arlène AMMAR-ISRAËL, déléguée adjointe à l'étude et à l'exploration de l'univers au CNES,

- Jacques ARNOULD, docteur en théologie et en histoire des sciences,

- Jacques BLAMONT, conseiller du directeur général du CNES,

- Philippe COUILLARD, PDG d'Aérospatiale-Matra Lanceurs,

- Jean-François CLERVOY, astronaute,

- Alain ESTERLE, directeur adjoint à la direction centrale de la sécurité des systèmes d'information SGDN,

- Geneviève GARGIR, chef de la division utilisation des stations spatiales au CNES,

- Jean-Pierre HAIGNERE, chef de la division des astronautes européens à l'ESA,

- Jeffrey HOFFMAN, astronaute et représentant de la NASA pour l'Europe,

- Franco MALERBA, astronaute italien et consultant Alenia Spatiaux,

- Jean-Jacques SALOMON, professeur honoraire au CNAM, Chaire technologie et société, qui sera le rapporteur de cette table ronde.

Je le disais tout à l'heure, il y a divers enjeux. Pendant des années, la conquête spatiale s'est nourrie d'une compétition entre Américains et Russes. Aujourd'hui, peut-on encore parler d'enjeux politiques ?

Je vais me tourner vers Franco MALERBA qui, dans sa carrière, vous a eu aussi un destin politique.

M. MALERBA - Révélons ce passé politique : j'ai été député européen dans la législature passée, au cours de laquelle, nous avons bien travaillé.

Peut-on encore aujourd'hui parler d'enjeux politiques pour le vol habité ? Je pense que le vol habité a une envergure politique et je soulignerai surtout le fait que c'est un enjeu culturel.

Je discutais avec un ami qui vient d'écrire un livre en italien « Sortir du berceau » . L'homme - c'est le paradigme de Turkovski - a vécu jusqu'à présent dans son berceau, mais il est prêt à prendre son envol pour commencer à écrire une nouvelle page de son histoire. C'est peut-être de la poésie, mais dans l'histoire, on sait que lorsque la Chine - c'est environ à l'époque des grandes découvertes géographiques - a renoncé à son avancée technologique dans le domaine de la navigation, elle a perdu le leadership du monde.

Je crois que l'histoire nous apprend des leçons politiques qui mettent l'esprit de découverte au centre du rôle, de la gouvernance politique. Pour cette raison, je pense qu'il est bien que ce débat se tienne dans un contexte politique car la justification plus forte du vol habité, de l'exploration, - aujourd'hui on parle de la vie peut-être dans l'univers, d'autres formes de vie dans l'univers, peut-être d'un autre langage de la vie dans l'univers à apprendre - cette décision concerne tous les citoyens et ce n'est pas uniquement une question d'une petite progression dans la compétence technique.

On pourrait appliquer - et on en parle tout le temps en Europe - la subsidiarité. Il y a une subsidiarité aussi dans cette décision. Il y a la subsidiarité dont, parfois dans le domaine spatial, on dit que c'est du domaine commercial pour dire qu'il appartient à des initiatives industrielles privées de le développer.

Là, je crois que nous sommes au niveau plus élevé de la subsidiarité, il appartient à l'humanité, donc à la politique, de définir la stratégie pour le vol habité et de le faire bien sûr au niveau planétaire donc ni au niveau local, ni au niveau national, ni au niveau européen.

M. ROUGIER - Pendant longtemps l'espace a eu un enjeu stratégique, militaire et je me tourne vers vous, Alain ESTERLE.

Aujourd'hui, selon vous, l'espace peut-il encore être regardé comme étant un enjeu militaire et un enjeu hautement stratégique ?

M. ESTERLE - Lorsqu'on parle de stratégie, d'enjeux stratégiques, on fait implicitement référence au domaine militaire parce que la méthode stratégique a d'abord été construite par les militaires. Les applications tirées par ailleurs, que ce soit dans les grandes entreprises ou par les Etats, se sont inspirées directement des concepts, des méthodes, des moyens et des procédures mises au point par les militaires.

Le problème est que lorsqu'on parle de l'espace et des vols habités, le constat est tout à fait clair, il n'y a plus d'enjeux militaires. Cela faisait partie des premières démarches, dans les années 1960, c'était aussi une interrogation au niveau de la France, à celui de la Chine. Je me souviens qu'à l'époque, lorsqu'il a été créé, le centre de médecine spatiale était un centre militaire. Progressivement cette idée s'est estompée et je crois que le corps des cosmonautes militaires américains a été dissous il y a une bonne dizaine d'années et, du côté français, la DGA s'est complètement retirée de toute interrogation, même sur l'intérêt que les vols habités pourraient avoir pour la défense.

Exit donc la composante militaire, mais reste une composante stratégique donc non militaire. Là bien sûr, on retrouve dans l'histoire des vols habités le poids du choix politique dans toutes les démarches de vols habités qui a correspondu, à un moment, à un besoin d'un pays de s'affirmer. C'était la confrontation Est-Ouest au moment de la guerre froide.

Dans les années 1990, la démarche qui a été choisie d'une certaine manière et qui a sauvé la station spatiale, a épousé la chute de l'empire soviétique ; elle correspondrait au besoin d'avoir une approche globale au niveau mondial, une entreprise commune de l'ensemble des pays. Et l'espace était vraiment tout trouvé pour offrir cette capacité à construire quelque chose en commun.

Là aussi il y a eu une réponse. Le problème est que lorsqu'on s'engage dans des projets de vols habités de très grande ampleur, il faut y trouver un fondement qui, malheureusement, a été contingent à une situation géopolitique telle qu'elle s'est trouvée à ce moment-là.

Ce qui gêne, c'est l'enchaînement logique entre ces différentes étapes ; je m'explique : Lorsqu'on analyse les concepts de vols habités, on voit au-moins deux voies possibles que l'on peut rapporter à deux grandes figures de l'histoire de l'espace, von BRAUN et TSIOLKOVSKY.

Dès 1952, von BRAUN avait rédigé un document remarquable « Das Mars Projekt » et qui montrait une vision de l'homme explorateur. Cela correspondait très bien à la démarche américaine et cela a toujours correspondu, de plus ou moins près, à la démarche de la NASA : c'est le pionnier qui s'avance seul et qui découvre un nouveau monde.

La démarche de TSIOLKOVSKY est un peu l'inverse. C'est beaucoup plus l'humanité qui, dans toutes ses fonctions - culturelles, administratives, économiques - s'étend progressivement au-delà de la terre et tend à occuper l'espace ; c'est la colonisation.

Ces deux voies permettent de décrire assez bien les différentes étapes que nous avons connues jusqu'à présent. Ce qui manque, c'est le lien entre toutes ces étapes et l'objectif que l'on doit se donner. Or la stratégie est bien cela, c'est se donner des objectifs et se définir des étapes pour les atteindre. Or actuellement, on ne voit pas très bien l'enchaînement logique qu'il y a entre les différents grands programmes habités jusqu'à présent ni l'enchaînement qu'il y a entre la station spatiale et ce que la NASA affiche comme étant son nouvel objectif, c'est-à-dire la conquête martienne.

Là il y a un biais dans la démarche stratégique en général qui est un peu gênant. Et si la logique des vols habités doit vivre et se renforcer, il faudra que ce biais soit éliminé.

M. ROUGIER - Pourrait-on aborder avec vous, Philippe COUILLARD, le problème de l'enjeu économique ?

Il y a en effet une chose sur laquelle tout le monde est à peu près d'accord aujourd'hui, c'est que, derrière la conquête spatiale, il y a un enjeu économique.

M. COUILLARD - L'enjeu économique est bien difficile à délimiter, ce n'est d'ailleurs pas du tout ce que je vous avais proposé. On ne peut pas dire que l'homme dans l'espace est un enjeu économique. Je voulais me limiter dans ma réflexion à répondre à votre deuxième question, à savoir les enjeux et les limites de cette conquête.

M. ROUGIER - On va y venir.

M. COUILLARD - En ce qui concerne les enjeux économiques, il ne faut pas rêver. La seule application réellement économique de l'espace aujourd'hui, ce sont les télécommunications, il n'y en a pas d'autre. Même l'observation de la terre est extrêmement difficile...

Dans la salle - Et la navigation par satellite ?

M. COUILLARD - Ce sera sûrement un enjeu stratégique fort car, aujourd'hui, ce sont les militaires américains qui le donnent gratuitement. Derrière on peut montrer qu'on est des fabricants de puces, mais ce que j'entends par enjeu économique, c'est une application dans le monde industriel et commercial.

Les satellites de télécommunications oui, mais limités aux télécommunications avec leur partie satellitaire car il y a bien d'autres choses dans les télécommunications, c'est un enjeu économique très fort.

La navigation est, pour moi, un enjeu de souveraineté. La navigation est un service qui sera irremplaçable bientôt, c'est certain et il y en aura partout. On en a déjà dans les voitures, mais il y en aura pour de nombreuses applications. Est-il économique, je n'en sais rien, car il nécessite un investissement préalable très important et je pense que c'est aux Etats de l'amorcer.

L'observation, la reconnaissance sont quand même essentiellement militaires et ce ne sont pas des applications que j'appelle économiques. Aujourd'hui le système spot n'arrive pas à repayer les lancements qui lui sont nécessaires. L'espace est donc encore un domaine largement aidé.

Quant à l'homme dans l'espace et ce qu'on a dit tout à l'heure à la première table ronde, c'est essentiellement de la recherche, de l'étude et le désir d'aller voir, du rêve mais ce n'est pas de l'économie !

M. HAIGNERE - Je voudrais réagir sur les deux interventions de mes collègues de droite et de gauche ainsi que sur les enjeux stratégiques militaires de l'espace.

Je crois qu'il n'y a effectivement plus d'activités militaires significatives de l'espace, mais dire aujourd'hui qu'il n'y en a pas du tout, je crois que c'est inexact, car dans le véhicule spatial où j'étais, j'ai assisté à des observations de nature militaire. Je n'ai pas identifié de quoi il s'agissait, mais je pense que c'est lié aux vagues de surface d'un certain nombre d'engins qui ne peuvent pas être observées par des satellites automatiques. Et on sait très récemment que la mission STRM, qui a fait une base de données numériques de la surface de la terre, a des applications militaires tout à fait directes.

Il est vrai que les applications militaires de l'homme dans l'espace sont très limitées, elles existent cependant toujours et, en ce qui concerne leur nature aujourd'hui, elles sont difficilement remplaçables par d'autres moyens, autrement on le ferait certainement de manière plus discrète.

Concernant les enjeux économiques également. Je suis d'accord avec Philippe COUILLARD, on ne peut pas dire que l'homme dans l'espace est un système qui rapportera de l'argent en termes visibles, c'est évident.

Mais dire que cela n'a aucun impact économique, c'est également, à mon avis, inexact. Par exemple dans le programme européen de vols habités, l'utilisation du lanceur Ariane 5 pour ce programme habité est une injection d'argent public dans l'industrie européenne qui est loin d'être négligeable et qui vient en support direct de ce programme européen extrêmement important.

Je voudrais donc tempérer ces deux affirmations.

M. ROUGIER - Je voudrais qu'on aborde la question d'une manière un peu philosophique et éthique avec vous, Jacques ARNOULD. L'espèce humaine est-elle destinée à rester à jamais sur ou autour de la terre ou au contraire à se répandre dans l'espace ?

M. ARNOULD - Je pense que l'homme n'est pas destiné à occuper l'espace extraterrestre, ce n'est pas une question de destin, c'est écrit nulle part, en tout cas jusqu'à preuve du contraire, pas plus qu'il n'a un destin inscrit ailleurs.

La question est que pour cette entreprise comme pour toutes les autres qui marquent son histoire très courte, ne serait-ce que l'histoire de la terre, c'est une question de choix. Il ne faut pas voir ce choix comme un choix parmi des centaines de milliards possibles ou des infinités de possibles, c'est un choix qui va opérer dans un espace de possibles, si je puis utiliser ce terme ; François JACOB parlait de jeux de possibles.

L'homme a un choix à opérer, qu'il fasse ce choix dans un sens ou un autre, il le fait dans un espace de possibles.

Aujourd'hui c'est vrai -on l'a entendu tout à l'heure et tout le monde le sait- l'espace extra-terrestre, de manière encore modeste mais, probablement demain et cela dépendra justement de ces choix, fait partie justement de cet espace de possibles. Je dirai que l'homme n'est pas destiné, mais qu'il a aujourd'hui à opérer un choix dans un espace de possibles que certains d'entre vous maîtrisent très bien, d'autres beaucoup moins et un public peu informé quasiment pas. Ensuite à lui de se donner les moyens de faire ce choix.

Le seul élément sur lequel j'ai à dire quelque chose est qu'il doit maintenant se donner les moyens de ce choix, c'est-à-dire de voir en quoi cet espace de possibles est constitué. Il y a des limites physiques, des limites techniques, peut-être aussi, des limites psychologiques.

Lorsqu'on met dans un volume relativement réduit, des personnes de culture différente - je ne parle pas de langues car on va trouver un espéranto spatial ou je ne sais quoi -, ne serait-ce que pour les soigner, quelles vont être les possibilités, cet espace de possibles ? Et dans ce choix, quelles seront les motivations ? On parle volontiers de conquête de l'espace et on fait éventuellement appel à de la mythologie. J'ai relu récemment chez Ovide, le mythe d'Icare et j'ai beaucoup aimé - je n'avais en effet pas du tout perçu cela - le récit qu'en donne Ovide. Il y a les propos de Dédale qui dit à son fils qui, apparemment, était moins athlétique que la représentation qu'on en a aujourd'hui :

« Surtout fais attention ! Ne va pas trop près des vagues car tu risques de te faire emporter par le souffle des vagues et ne va pas trop près du soleil sinon tu vas te brûler les ailes ! »

On connaît la suite ! Dans ce mythe, c'est un peu la conquête de l'air, mais Icare c'est aussi la fuite !

Il faut déjà choisir pour quelle raison on va dans l'espace. Est-ce pour conquérir ou, comme certains le pensent, pour fuir une planète qu'on aura trop polluée, sur laquelle il y a trop de monde ? Seule une petite élite partira.

Dernier aspect, parmi ces possibles, il y a une question : quel est l'homme qui peut aller demain dans l'espace ? J'essaye là de rassembler un peu tout ce que l'on peut entendre, ne serait-ce que dans le monde spatial que je découvre petit à petit.

Lorsqu'on entend parler de conquérants, qu'il s'agisse de Christophe Colomb ou des dernières conquêtes terrestres des pôles, c'est le même homme finalement. Mais aujourd'hui, l'homme n'est-il pas lui-même en train de changer, ne serait-ce qu'à travers les techniques spatiales ? On a parlé tout à l'heure de télécommunications et on a aussi parlé de télésciences dans la première table ronde.

Il est clair, et Claudie ANDRE-DESHAYS l'a rappelé tout à l'heure, une chose est de voir se balader un petit robot qui donne des images de Mars, une autre est de voir le premier homme ou la première femme fouler le sol de Mars dans quelques décennies. Entre les deux on doit découvrir ce que signifie aujourd'hui téléprésence, virtualité, réalité, d'où ma question : quels sont certains de ces hommes qui rêvent demain d'aller sur Mars ?

M. PONCELET - Je voudrais faire observer que bien souvent ce sont des recherches militaires, pour des motivations sur lesquelles je m'arrêterai pas, qui ont précédé l'utilisation pacifique. Le nucléaire pacifique vient de l'utilisation militaire.

Par ailleurs, n'y a-t-il pas tout simplement une volonté de curiosité chez l'homme ? On va dans l'espace, mais on va aussi au fond des mers. On cherche à connaître l'inconnu, c'est un besoin intime.

On se donnera peut-être les moyens, on aura peut-être la volonté, on dit que s'il y a une volonté, on trouve toujours le chemin, mais il y a cette volonté de connaître. On était dans la Lune, on a été déçu parce qu'on a rien trouvé pour l'instant...

Un Intervenant - On a trouvé des cailloux très intéressants.

M. PONCELET - Si c'est utile, c'est très bien, on y retournera. Mais on parle de Mars. Sur Mars on a découvert de l'eau, s'il y a de l'eau, il y a de la vie, par conséquent, j'ai ce besoin personnel de curiosité de savoir quelle vie il y a là-bas ! Je crois que ce besoin de curiosité est très fort chez l'individu et le pousse à connaître l'inconnu, que ce soit le fond des mers ou l'espace.

M. ARNOULD - Certes il y a la curiosité, nous sommes tous des êtres curieux sinon nous ne serions pas ici, je pense. Ceci dit, est-ce pour autant marqué par le mot de destinée ? C'est à ce sujet que je souhaitais répondre. Il y a parfois des excès de langage... La curiosité certes, l'homme est un animal néothomique, vous pouvez employer autant de grands mots intellectuels que vous voulez, il n'empêche que se pose la question de la destinée - ce mot figure dans le titre - et à ceci je réponds qu'il y a une question de choix, nous sommes des êtres de choix, on l'a dit bien avant moi.

Je tiens à ceci car c'est là seulement que l'on peut introduire, enraciner ce qui a été évoqué tout à l'heure qui est simplement une question d'éthique.

M. ROUGIER - Jacques BLAMONT, à quoi l'homme est-il destiné dans les prochaines années ? Est-il destiné à tourner autour de la terre ? A aller plus loin ? A revenir sur terre ?

M. BLAMONT - Je vais essayer de vous répondre d'une façon un peu circulaire ou détournée.

Pour comprendre les enjeux de l'espace, il faut d'abord le définir tel qu'il est aujourd'hui. Je le définis de la manière suivante : l'espace est le moyen global le plus puissant pour recueillir, transmettre et disséminer de l'information.

Pour moi l'espace n'est pas une aventure aujourd'hui, il ne coïncide pas du tout avec l'homme dans l'espace. J'ai même été un peu choqué en entendant Monsieur ROUGIER dire tout à l'heure que l'aventure spatiale avait commencé avec GAGARINE, elle a commencé avec Spoutnik, ce qui n'est pas du tout la même chose.

L'information est devenue le lieu du pouvoir aussi bien local que mondial. Et l'espace se trouve donc au centre des conflits de puissance. Là est sa dimension éthique aujourd'hui, au centre des conflits de puissance.

Je crois qu'on peut classer les activités spatiales en trois catégories : militaires, civiles et vols habités.

En ce qui concerne le militaire, je citerai très brièvement Genes Defence Weekly de juin 1997 :

« Dominer le spectre de l'information est aujourd'hui aussi critique pour la conduite d'un conflit que jadis l'occupation du terrain ou le contrôle de l'espace aérien. »

Cela veut dire qu'on ne peut plus faire la guerre sans l'espace.

Je voudrais simplement copier cette définition pour donner l'équivalent pour l'espace civil : dominer le spectre de l'information est aujourd'hui aussi critique pour l'économie et la culture que naguère la puissance politique .

Il me semble que sur le plan essentiellement des faits, l'espace est aujourd'hui devenu un élément de puissance essentiel pour les grandes puissances, et ceci est parfaitement compris aux Etats-Unis. Je vous rappelle que la moitié du budget spatial américain va à la défense et l'autre au civil.

Comment se place-t-on par rapport à ces deux grandes catégories qui constituent au fond l'essentiel des applications spatiales ? Que dire des vols habités ?

Je crois qu'il faut comparer la situation à l'évolution de la puissance des ordinateurs qui atteindra celle du cerveau humain vers 2020 à 2030. C'est dire que comme nous savons déjà facilement fabriquer des yeux, c'est-à-dire des caméras, ou des mains mécaniques, le cerveau humain pourra être remplacé puisque nous avons une croissance exponentielle des composants, de leurs performances alors que le nombre des neurones humains est fixe.

Je pense profondément que le rôle de l'homme dans l'espace, au strict point de vue de ses justifications, telles que nous les avons entendues tout à l'heure, va disparaître vers 2020, 2030.

Va-t-on le garder ? La réponse est oui. Pourquoi va-t-on garder l'homme dans l'espace ? Pourquoi les Etats-Unis gardent l'homme dans l'espace ? C'est une question d'image, de mythologie, les Etats-Unis considèrent qu'ils ont inventé les avions avec les Frères Wright, qu'ils ont joué un rôle majeur dans l'espace en allant sur la Lune et donc que l'espace leur appartient. Le problème est essentiel pour les Etats-Unis d'avoir une présence permanente dans l'espace.

Pour la Russie par exemple, la motivation est très voisine puisqu'ils ont été les premiers à lancer Spoutnik et GAGARINE. Eux aussi c'est leur passé national qui est en jeu.

Pour les autres pays, on a dit tout à l'heure qu'ils s'y mettaient. La Chine ou le Japon veulent avoir l'air de grandes puissances, ils essayent donc de faire la même chose.

C'est donc au niveau de l'image que se pose la justification profonde. Cette image est à la base du pouvoir dominant, la télévision, cela veut dire que ce n'est pas du tout négligeable.

Une action de l'homme dans l'espace se marie très bien avec le monde virtuel qui devient celui de l'immense majorité des citoyens des pays développés. D'ailleurs, la religion n'est-elle pas entièrement virtuelle ? Or, elle a une grande importance.

Il est bien clair qu'il s'agit là d'un facteur majeur que nous ne pouvons pas abandonner. Le public aime ça ! Cela subsistera pour des raisons purement virtuelles. Cela m'est assez désagréable lorsqu'on essaye de donner d'autres justifications car on peut véritablement démontrer que toutes les justifications sont fallacieuses.

Concernant cet avenir de l'homme dans l'espace autour de la terre, il n'en a pas. Pourtant je pense qu'il y aura une expédition humaine sur Mars. Vous me direz que c'est peut-être une contradiction, mais la raison profonde pour laquelle il y aura une expédition de l'homme sur Mars est institutionnelle. La NASA, qui est tout de même le leader mondial de l'espace, n'aura plus rien à faire à partir de 2005 lorsque la station spatiale sera montée. Il lui faudra se trouver une justification. Et ce raisonnement est déjà présent à la NASA.

On a déjà parlé de la suite du programme autour d'échantillons qui seraient des outpost, c'est-à-dire un mélange de robotique et de préparation du vol humain. Et je pense que ces justifications ne sont pas absurdes, elles sont intéressantes.

Personnellement je crois que le voyage virtuel sur Mars sera la grande affaire. Des millions de gens, depuis leur lit, iront sur Mars. Mais il faudra avoir un support qui sera un ou une expédition qui fera un peu comme Apollo : elle ira, puis on l'oubliera.

Le principal problème qui se pose à vous, Messieurs les politiques, est un problème de choix - on l'a dit - à l'intérieur d'un budget restreint. Et c'est également un problème éthique. Je vous donne un exemple qui est angoissant. La doctrine militaire des Etats-Unis montre, comme je l'ai dit tout à l'heure, qu'on ne peut plus faire la guerre sans l'espace. Les Etats-Unis ont l'intention d'asseoir leur domination politique et économique sur la « Space Dominance », qui est aussi bien militaire que civile.

Si on considère le budget spatial français au total, militaire inclus, c'est de l'ordre de 11 milliards, dont 1 milliard est consacré à l'homme dans l'espace.

Je souhaite que lorsqu'on parle d'homme dans l'espace, ce qu'on n'a pas du tout fait tout à l'heure, on parle d'argent. Car c'est toujours la dimension oubliée. C'est bien joli de dire qu'en faisant une petite manipulation, on montre que le cerveau fonctionne de telle manière. Mais cette petite manipulation peut avoir coûté des sommes très importantes par rapport au budget de recherche médicale habituel.

Il faut donc considérer le budget. Monsieur le Président, vous avez parlé d'Hermès tout à l'heure. Savez-vous qu'Hermès aurait coûté 100 milliards ?

Des personnes comme vous ont toujours affiché, comme NASA, des budgets ridicules. Mais en fait les calculs montrent que cela aurait été vraiment très cher. Et pourquoi ? Simplement pour de l'image !

Il me semble qu'aujourd'hui, il faut comparer le milliard dont nous avons parlé tout à l'heure avec légèreté, avec le budget spatial militaire français. J'ai dit tout à l'heure plusieurs fois qu'on ne pourrait plus faire la guerre sans espace. Vous savez que le budget militaire français qui était d'environ 3 milliards il y a deux ans, est descendu à 2 milliards. Donc on peut considérer que le milliard consacré à l'homme dans l'espace manque au programme spatial militaire. C'est un choix.

Toutes ces raisons me font penser que ces choix doivent être pesés en fonction de la réalité budgétaire et non pas en fonction du rêve.

A l'heure actuelle, nous faisons cocorico avec le succès d'Ariane, mais le programme français européen est très malade. Savez-vous que l'année dernière nous avons tiré dix Ariane ce qui nous a rapporté 1 Md$ et que sur ces dix tirs, huit satellites étaient américains ? Si les Américains décidaient de l'interdire, ce qu'ils peuvent faire d'un instant à l'autre, il n'y aurait plus de programme spatial européen.

Dans ces conditions - et je crois que, là, Monsieur COUILLARD, vous serez d'accord avec moi - le problème est clairement posé : où mettons-nous nos sous ?

M. PONCELET - Ce choix est l'expression, je pense, du peuple souverain auquel nous appartenons.

Moi qui ai un peu d'expérience, j'ai vu ce peuple souverain souhaiter que l'on ne modernise pas l'armée française, c'était en 1938-39, on préférait réquisitionner les chevaux et faire des bandes molletières, on connaît la suite ! Le peuple ne voulait ni avions ni chars. Il ne voulait pas investir puisque le slogan de 1938-39 était : Pas un sou pour la guerre !

Que fait le politique ? Il écoute le peuple souverain, il est démocrate !

M. ROUGIER - Je n'avais pas rebondi sur le choix politique, Monsieur PONCELET, car Monsieur LORIDANT l'avait longuement fait lors de la table précédente disant que les budgets...

M. PONCELET - On dit toujours les politiques, mais les politiques... on écoute nous aussi !

M. ROUGIER - Il disait que les budgets n'allaient pas obligatoirement là où les personnes le voulaient et que c'était bien les politiques qui décidaient où ils les mettaient. Pour cette raison je n'ai pas rebondi.

M. PONCELET - Oui, mais on écoute aussi !

M. ROUGIER - Avant de donner la parole à Jean-Jacques SALOMON, je voulais donner un tout petit passage à Jean-Pierre HAIGNERE.

Jacques BLAMONT disait qu'avec la technologie, dans trente ans on pourrait reproduire avec des puces le cerveau humain. Il y a cependant cette dimension que donnait Claudie ANDRE-DESHAYS dans la première table ronde, de la transmission que peut avoir l'homme, le cerveau humain par rapport à ce qu'il vit. Je ne suis pas persuadé qu'un cerveau électronique sera aussi doué pour faire ce genre de transmission, je voudrais que vous réagissiez sur ce point.

M. HAIGNERE - On est au-moins d'accord sur un fait avec Jacques BLAMONT, la présence de l'homme dans l'espace est quelque chose d'intangible et même s'il le regrette, je m'en réjouis.

M. BLAMONT - Je vous rappelle que c'est moi qui ai proposé et convaincu le CNES d'avoir un programme d'astronautes dans les années 1970-80 !

M. HAIGNERE - C'est déjà un fait très important.

Dans la problématique qu'on se pose, il y a deux étapes : l'homme sera-t-il dans l'espace ? Dans l'affirmative, doit-on participer à cette aventure ? Si oui, comment ?

Votre question concernait le choix entre l'homme et le robot : faut-il envoyer un robot sur Mars ? Je crois que Monsieur BLAMONT n'a pas proposé d'envoyer un robot sur Mars.

Il est évident que concernant le retour social dont parlait tout à l'heure mon ami Alain ESTERLE, je ne crois pas que celui-ci serait important avec un robot allant sur Mars même avec des milliards de neurones équivalents à ceux d'un homme, pas plus, je crois, que le public ne serait intéressé par le fait d'avoir des robots à l'Académie Française. Je crois que le problème n'est pas très différent au sol et dans l'espace. De mon point de vue, la problématique est tout à fait différente.

Comme l'a souligné le Sénateur REVOL, parmi le public, nous avons davantage de personnes qui viennent en quête d'un message parce que justement nous ne représentons pas la virtualité dans cette aventure, mais la réalité dans ce monde où tout est factice, où on fabrique tout, des images, de l'événement, de la politique.

Je suis très sensible au fait de qui maîtrise l'information, maîtrise le monde, mais l'information n'est pas seulement le moyen de transmission, c'est aussi le contenu. Encore faut-il que l'homme joue son rôle dans cette information ; or, il est le contenu de l'information.

L'homme sur Mars est le contenu de notre aventure humaine. Il y en a d'autres. Je ne néglige pas, pour l'aventure du scientifique dans son laboratoire qui découvre le monde, la vérité, j'ai beaucoup de respect pour elle.

Mais l'histoire de l'humanité n'est pas faite que de quête du savoir et dans notre démocratie, en France, il n'y a pas que des intellectuels qui s'intéressent à la science, malheureusement pourrait-on peut-être dire. Encore qu'à ce moment-là on manquerait peut-être de pattes musclées et on en a besoin aussi. Le monde est fait d'équilibre.

Donc au moins pour sa composante de retour social, l'aventure de l'homme dans l'espace donne la satisfaction de mettre pour une fois, dans une société moderne, l'homme à une place privilégiée où il est le héros. Je le dis modestement, je ne le dis pas pour moi, mais pour le symbole qu'il représente et qui est une compensation à un certain nombre de frustrations générées justement par la virtualité de notre monde.

M. SALOMON - Je n'interviens pas en tant que rapporteur, mais en prenant mes propres responsabilités et je promets d'être un peu plus neutre en tant que rapporteur que je ne vais l'être maintenant.

Tout ce débat montre ce que je crois depuis très longtemps et que je ne suis pas seul à penser. Un de mes bons maîtres, Raymond ARON, l'a souligné il y a très longtemps : le domaine de l'espace est celui du mariage du rationnel et de l'irrationnel - il faut quand même le rappeler - c'est-à-dire de fantasmes, de sciences et de technologies.

Je parle de Raymond ARON car je me souviens d'un séminaire à Londres en 1965 où on s'interrogeait sur le programme Apollo. ARON disait :

« Si vous me dites que c'est pour des raisons économiques, je vous répondrai, oui, c'est rationnel !

Si vous me dites que c'est pour des raisons militaires, je vous dirai, c'est totalement rationnel.

Mais si vous me dites que c'est pour précéder les Soviétiques, je vous dirai que Monsieur KENNEDY got a point, il a un argument ! »

Tout ce qu'on entend ici montre que chacun des spécialistes du lobby de l'espace a son argument, tantôt pour le vol spatial au nom des vertus de l'humanité, tantôt contre.

Je dois dire qu'ARON rappelait quand même une chose. Dans les relations entre les Etats, il y a trois éléments fondamentaux qui peuvent être mariés ou indépendants :

- la puissance et le pouvoir,

- l'argent et la fortune,

- le prestige et la gloire.

Dans le domaine de l'espace, on joue des trois.

Si aujourd'hui l'Europe a des hommes dans l'espace c'est au nom des trois éléments : l'idée, la fantaisie ou la nostalgie de la puissance, certainement le prestige et la gloire d'une manière ou d'une autre.

Pour répondre quand même à la question posée de l'homme destiné à occuper l'espace extraterrestre. Je suis moins croyant que ne l'est notre ami ARNOULD et je dirai que, je ne sais pas à quoi l'homme, la femme, l'humanité sont destinés, même, avec l'attrait de la curiosité. Je ne sais pas si c'est le destin de l'homme d'aller dans l'espace, mais il y est. Et il ne reviendra pas !

Mais occuper l'espace extraterrestre, non, ce n'est pas sérieux trois secondes. Pardonnez-moi. Nous n'allons pas occuper l'espace extraterrestre. La comparaison avec Colomb ou Cortes va jusqu'à un certain point, à ceci près que Cortes, comme tous ceux qui ont suivi, se trouvaient dans des éléments qui étaient tout de même très naturels. Mais envoyer un cosmonaute suppose beaucoup de conditions remplies que nous ne pourrons pas généraliser. Et ne rêvons pas de le faire ! Le tourisme de l'espace est aussi inconcevable que l'ethnologie de l'espace, à moins qu'outre les cailloux de Mars, nous ne trouvions enfin quelques Martiens en face de nous. On en reparlera !

Je voudrais simplement remettre les choses en perspective.

On a raison de souligner combien tout ceci est politique d'abord, et pas du tout scientifique et pas seulement technologique. Il s'agit de savoir si on veut en être pour de bonnes ou de mauvaises raisons.

Mais immédiatement, il faut quand même remettre les choses en perspective et se dire que cela ne va peut-être pas durer. L'aventure de l'espace a été exaltante dans le contexte de la compétition entre les Américains et les Soviétiques, entre le communisme et le capitalisme. Depuis la fin du communisme, l'aventure est moins exaltante et pas seulement parce que nous nous y habituons, mais simplement parce que le stimulant n'est plus là. Alors je dirai aux spécialistes : Attention, faute de ce stimulant - et j'espère qu'on ne va pas le réinventer - il est très possible qu'en 2020, 2030, on passe à d'autres priorités que l'espace.

Je voudrais simplement dire, en particulier aux représentants du lobby nucléaire en France, que jamais, il y a quinze ans, on aurait imaginé que le destin du nucléaire fût ce qu'il va être : c'est-à-dire réduit à néant en Allemagne d'ici 2005, 2015 ou 2020, mais en France également. L'espace peut aussi passer. La terre peut avoir d'autres priorités et d'autres urgences.

C'est une très belle aventure, qu'il y ait des hommes, c'est très bien, que nous allions sur Mars, mais je voudrais simplement rappeler que l'eau sur Mars n'est pas encore assurée. C'est une deuxième intervention de la NASA qui a besoin de légitimité et de prestige pour trouver de l'argent.

Elle nous a fait le coup une fois, cela n'a pas marché, la deuxième fois peut-être, la troisième on verra ! Nous sommes ici entre la rationalité scientifique et la totale irrationalité, il faut vivre avec.

M. PONCELET - Raymond ARON disait aussi, s'adressant aux politiques, c'était un peu en écho, en réponse à l'article du Monde , à l'époque :

« Il faut savoir faire rêver un peuple ! »

Est-ce bien ? Est-ce mal ? Mais il faut le faire rêver. Et, dans le même temps, Le Monde titrait « La France s'ennuie » et pourtant la France avait tous les éléments pour vivre heureuse, pas de chômage, une croissance très forte, pas d'inflation, un excédent budgétaire, mais la France s'ennuyait. Lorsque j'ai vu ce peuple se soulever et applaudir lorsque GAGARINE a fait le tour de la terre, même nous, nous avons applaudi. Donc dans la curiosité, il y a aussi une part de rêve. Il faut savoir aussi mobiliser un peuple.

Il n'y aura peut-être plus le nucléaire, mais le jour où vous n'aurez plus de courant électrique, vous verrez votre réaction ! Le problème est là !

M. ROUGIER - Jeffrey HOFFMAN, je voudrais rebondir sur ce que vient de dire Monsieur SALOMON. L'homme n'est-il pas constitué ainsi qu'il voudra toujours aller plus loin, explorer plus loin ?

Même si l'exploration terrestre est quasiment terminée maintenant, il voudra peut-être aller plus loin et toujours plus loin, ce qui expliquerait que, contrairement à ce que disait Monsieur SALOMON, l'exploration spatiale ne s'arrêtera peut-être pas.

M. PONCELET - L'exploration terrestre n'est pas terminée ! Le fond des mers n'est pas connu !

M. LE PRESIDENT - J'aimerais que Monsieur HOFFMAN nous parle aussi un peu de la NASA. On a évoqué la NASA à plusieurs reprises et ses programmes, si je puis dire, relativement artificiels à partir de 2005, uniquement pour survivre. J'aimerais avoir son sentiment.

M. ROUGIER - On va commencer par cette question : est-ce que véritablement aujourd'hui - cela a été dit autour de cette table - la NASA fait des annonces spectaculaires pour obtenir des budgets et survivre ?

M. HOFFMAN - Je suis très triste et à vrai dire un peu gêné d'écouter ce que vous dites, Monsieur SALOMON. Pour moi, la recherche de la vie dans l'univers est une des expériences les plus importantes pour la science, pour la sagesse humaine. Que suggérez-vous à la NASA de faire ? Doit-elle supprimer cette évidence, la cacher ?

M. SALOMON - Ce n'est pas le sens de ce que j'ai dit.

M. HOFFMAN - De toute façon, je dirai que lorsqu'on a des évidences scientifiques, des données, on doit les partager avec tous les scientifiques du monde pour que les autres puissent juger par eux-mêmes. A mon avis, c'est ce que la NASA a fait.

M. ROUGIER - Vous vous inscrivez donc en faux lorsqu'on dit que la NASA fait des annonces spectaculaires pour justifier ses dépenses, voire pour inciter les politiques américains à continuer à donner des budgets à la NASA ?

M. HOFFMAN - J'espère que si on fait des découvertes intéressantes dans l'exploration de Mars, cela incitera les politiques à continuer le soutien de l'exploration, bien sûr. Mais suggérer que les annonces ne sont faites que pour légitimer les dépenses, à mon avis, ce n'est pas vrai.

Je voudrai répondre à votre première question.

M. BLAMONT - Je dois avouer que j'ai vu les images de Michael MALIN qui sont à la base des annonces de la NASA récemment, elles sont très intéressantes. Ces images posent un certain nombre de problèmes sérieux. Je ne pense pas du tout qu'il y ait, de la part de la NASA, le désir de faire de la publicité avec quelque chose de faux. Ce sont de vrais résultats scientifiques importants. C'était même vrai au moment de l'annonce, il y a maintenant trois ans, par Dave McKAY, de l'analyse d'une météorite qui était aussi très troublante. La discussion scientifique a été très sérieuse.

Je pense que ce sont les média qui, à partir des déclarations de la NASA, qui sont justifiées au point de vue scientifique, en font toute une histoire.

M. ROUGIER - Sur l'autre question : l'homme est-il ainsi fait qu'il voudra toujours aller plus loin et découvrir de nouveaux mondes ?

M. HOFFMAN - Qu'est-ce que l'exploration ? C'est l'élargissement de l'esprit humain.

Si l'homme est destiné à occuper l'espace, comme Monsieur ARNOULD l'a demandé, je ne vais pas répondre, mais je pense qu'il est génétiquement programmé pour explorer. La curiosité est très profonde dans l'esprit humain. A mon avis, la réponse la plus importante à la question de la première table ronde sur l'utilité de l'homme dans l'espace est que l'utilité la plus importante est d'amener l'esprit humain dans l'espace.

Lorsque je dis à des personnes que je suis un astronaute, la première question qu'on me pose est de savoir comment est l'espace. Une sonde robotique peut mesurer mieux que moi les données physiques, la température, la pression, mais ce n'est pas ce que les personnes veulent savoir car connaître un endroit veut dire beaucoup plus que prendre uniquement des mesures scientifiques.

Comment est l'espace ?

C'est plus une question humaine que technique. A mon avis les réponses ne peuvent pas venir uniquement des hommes dans l'espace ou peut-être de l'esprit humain dans l'espace.

Comment amène-t-on l'esprit humain dans l'espace ?

De diverses manières. On peut l'amener avec un télescope qui va dans les coins les plus lointains de l'univers. C'est une manière passive car on ne peut que regarder. Avec les engins mécaniques, on va un peu plus loin. Quant aux robots, je suis d'accord avec le fait qu'ils deviendront plus intelligents mais qu'ils j'ai un doute sur le fait que les robots apporteront vraiment de l'esprit humain. C'est pourquoi, on doit penser à la raison pour laquelle l'homme doit aller dans l'espace.

A la fin, l'humanité ira dans l'espace parce que cela fera plaisir et peut-être me laisserez-vous partager un rêve, une vision à long terme qui va illustrer cette idée. Lorsque je regarde autour de moi, je vois beaucoup de personnes physiquement désavantagées, surtout des personnes âgées. Elles sont saines d'esprit mais faibles de corps. Des personnes ne peuvent pas marcher, elles sont clouées sur une chaise roulante ou enfermées dans leur chambre. Je me dis : « quelle libération de perdre le poids du corps dans l'apesanteur de l'espace, de pouvoir bouger sans effort ». Il ne faut peut-être pas perdre tout le poids, mais 80 %, sur la surface de la Lune. On gagnerait vraiment une nouvelle vitalité, une nouvelle vie ou une nouvelle jeunesse. Bien sûr, il faut avoir un moyen de transport beaucoup moins coûteux, moins dangereux, moins violent, mais je suis sûr que cela arrivera.

M. ROUGIER - On va rester sur terre et je vais me tourner vers Philippe COUILLARD pour lui demander quelles sont les limites. Et on va se situer dans des délais que vous fixerez vous-même au point de vue des dates.

Quelles sont les limites techniques ? Jusqu'où peut-on aller ? Que se fixe-t-on ? Vingt, trente ans ? Dans les trente années à venir, jusqu'où pourra-t-on aller ? Même dans les dix ans. Si vous le voulez, on va donner quelques échéances.

M. COUILLARD - J'ai cherché à vous rassembler ici, en fonction des limites que l'on peut se donner, de l'endroit où l'homme veut aller dans l'espace, les enjeux qui sont derrière.

On a d'abord l'espace proche, celui de la station spatiale internationale qui va exister : quels sont les enjeux d'aller dans cette station ? Je parle pour un ingénieur, un industriel.

Ensuite quels sont les endroits fréquentables du système solaire ? Il n'y en a pas tellement : la Lune, Mars, peut-être des astéroïdes si on veut jouer au Petit Prince , mais pas plus. Pourra-t-on un jour sortir du système solaire ? Il est intéressant de voir ce que cela veut dire.

M. ROUGIER - D'un point de vue technique, estimez-vous qu'on peut se projeter raisonnablement et à quelle échéance ?

M. COUILLARD - L'échéance d'aujourd'hui est la station spatiale internationale. La construction a commencé, elle va exister, l'Europe y participe.

Elle existe, oui, on va l'occuper bientôt. Je vous rappelle que l'Europe a 8,3 % de parts de ce grand ensemble immobilier, cela veut dire que la France est copropriétaire à 2,2 % de la station spatiale internationale. L'enjeu de cet investissement assez important est d'abord d'utiliser ce laboratoire orbital. Je crois qu'il sera très vaste, bien équipé, que nos scientifiques doivent occuper cet outil qui sera splendide et ne pas laisser aux autres collègues, américains, allemands ou italiens, toute la place. Cela me concerne peu, cela concerne les scientifiques.

Ensuite, en participant à l'exploitation de cette station, le mieux est de ne pas payer en dollars les frais de copropriété, mais de les payer en nature. Pour cela, nous avons déjà commencé. Nous développons ce qu'on appelle un véhicule de desserte automatique qui sera lancé par Ariane 5 et qui ira à la station. Il s'agit de l'ATV (Automatic Transfer Vehicle) qui a quelques beaux enjeux techniques, comme le rendez-vous automatique en orbite avec une station très souple, ce qui pose des problèmes de pilotage et de rendez-vous ainsi que des problèmes de sûreté de fonctionnement puisqu'on touche au vol habité à partir du moment où même avec un engin automatique vous arrivez près d'un système habité. L'ATV est un prototype d'étage intelligent de transport de demain et je crois que c'est un enjeu très intéressant.

Mais la station spatiale internationale est aussi la participation de l'Europe à d'autres véhicules - Monsieur FEUSTEL en a parlé - que sont le véhicule de secours, c'est-à-dire le canot de sauvetage de la station auquel nous pourrions participer et même le véhicule de transport d'équipage. Il faut bien voir que la station vivra au-delà de la vie du shuttle. Il faudra le renouveler et, comme cela se passe dans un cadre international, à mon avis l'Europe pourra y jouer un rôle.

Ce n'est plus comme du temps d'Hermès où on faisait quelque chose d'autonome, on sera forcément dans la grande coopération internationale maintenant, en revanche on doit jouer notre rôle. Et les enjeux pour ces véhicules de rentrée sont ceux qui étaient ceux d'Hermès, c'est-à-dire :

- l'aérothermodynamique de rentrée ;

- les recherches sur les équations de Navier Stokes qui font avancer les simulations numériques et les essais en soufflerie ; je vous rappelle qu'on avait construit des souffleries F4 à côté de Toulouse et Sirocco en Italie ;

- le développement de matériaux chauds, leurs technologies d'assemblage ;

- les lois de guidage de pilotage à la rentrée ;

- la maîtrise de l'atterrissage ;

- le contrôle de l'environnement et le support vie qui serviront à l'aéronautique le jour où les fuselages des avions seront étanches, cela veut dire qu'on fera des soudures au lieu de rivetage ; cela va arriver puisqu'on commence déjà avec l'A3XX.

Ce sont les enjeux industriels pour aujourd'hui.

Ensuite il y a l'enjeu de la Lune, de Mars, des astéroïdes, mettons Mars qui est peut-être le plus fréquentable parce qu'il a une atmosphère.

Ce seront sûrement des expéditions internationales dans lesquelles l'Europe aura son rôle à jouer.

Je voudrais d'abord signaler que si on va visiter les planètes aujourd'hui on ne passera vraisemblablement pas par un arrêt à la station internationale. Cette station a en effet été choisie à 51° d'inclinaison pour faire de la coopération avec la Russie, ce qui est loin du plan de l'écliptique, donc du plan des planètes. On ne s'y arrêtera donc pas. Il faudra donc trouver un moyen de lancement suffisamment puissant et fiable pour faire peut-être de l'assemblage avant de partir et sur des orbites assez énergétiques.

A mon avis le meilleur lanceur pour cela est Ariane 5. Ariane 5 est très puissant, il fera 10 tonnes vers Mars en 2006 et il est le seul lanceur à disposer de chaînes redondées aujourd'hui.

M. ROUGIER - Si je vous comprends bien, cela veut dire qu'aujourd'hui, avec Ariane 5, on peut imaginer la conquête martienne à portée de main.

M. COUILLARD - Absolument, c'est un véhicule qui le permet. Après c'est aux politiques de décider, mais ce véhicule le permet ou s'en approche suffisamment pour que ce soit tout à fait envisageable.

Après il y a des enjeux différents, par rapport à la station les durées de mission peuvent aller jusqu'à deux ou trois ans ce qui pose d'autres problèmes.

Vous avez les domaines :

- de logistique : pour contrôler l'environnement et le support vie des équipages, faut-il des ravitaillements intermédiaires, les avoir envoyés avant ? Il y a tout un ensemble.

- de sécurité des équipages, aller les rechercher n'est pas très commode.

- de l'énergie de bord, en général on s'éloigne du soleil, on a de moins en moins d'énergie, cela pose aussi des problèmes.

- du médical et du psychologique en raison de très longues périodes en apesanteur et dans un environnement confiné, etc.

Il y a ensuite :

- les problèmes d'arrivée sur la planète Mars. Vous savez que les procédures, qui seront sans doute de l'aérocapture dans l'atmosphère, ne sont pas si simples. On a commencé, mais ce n'est pas toujours facile, il y a la descente, le freinage.

- les problèmes de vie sur la planète, de sorties extravéhiculaires.

- les problèmes de retour avec le décollage de la planète et la rentrée à grande vitesse dans l'atmosphère terrestre.

M. ROUGIER - On va revenir à Mars, mais je voudrais vous interrompre une seconde pour me tourner vers Jean-Pierre HAIGNERE et la station spatiale internationale, avec la mission martienne, on s'en est un peu éloigné. Demain, à quoi peut servir cette station spatiale internationale ? Imaginez-vous des utilisations autres que de la recherche ?

M. HAIGNERE - Lorsqu'on dit recherche, c'est un peu ambigu car on pense immédiatement à recherche scientifique. Ce matin, je ne sais plus qui a mentionné la recherche technologique. Mon passé de pilote d'essai m'amène à penser que quelle que soit la puissance des moyens de simulation et de calcul, à partir du moment où on a des équipages en permanence dans l'espace, dans une station qui est accessible, c'est un banc d'essai extraordinaire pour les technologies du futur, pour développer des antennes conformes, essayer les moteurs.

Pour tout ce qui est essais et développements, ce sera un moyen extraordinaire.

M. ROUGIER - Donc banc d'essai en vue d'une mission martienne.

M. HAIGNERE - Non, d'une manière générale ! Ce sera un banc d'essai pour faire de la technologie d'une manière générale même pour des applications industrielles.

Le tout après dépendra de la manière dont on le facturera. Il est évident que si on facture les essais et développements au prorata du coût de développement de la station, on n'aura pas de clients. Mais si on fait comme pour tous les autres programmes, les programmes de lanceurs, de satellites, si on vend les services indépendamment des frais de développement, on peut atteindre, à mon avis des coûts intéressants.

Ensuite, il est évident que toute la logique d'Ariane 5, le développement des satellites est basé sur la croissance permanente de dimensions des engins que l'on met dans l'espace et de leur coût.

On peut donc imaginer à terme et il est évident que, comme l'a fait remarquer Philippe COUILLARD, la station spatiale internationale n'est pas une très bonne orbite pour préparer des gros satellites de télécommunications. On peut cependant imaginer de développer des moyens d'observation de la terre, des grosses structures, voire des moyens à destination scientifique dans l'espace en partant de cet atelier que l'on aura en orbite.

Tout à l'heure il y avait une remarque pertinente à laquelle j'aimerais répondre, il s'agit de la logique de cet effort spatial. Je ne sais pas si vous l'avez remarqué tout à l'heure, mais tout le monde a discuté sur ce que faisait l'homme dans l'espace, la raison pour laquelle on l'envoyait, mais une chose sur laquelle on était d'accord, c'est qu'il y serait. Finalement on ferait mieux de se demander ce qu'il va y faire d'intelligent si on admet tous qu'il va y être.

Le programme de la station est tout à fait en symbiose avec la navette. Je pense d'ailleurs que lorsque les Américains ont développé la navette, ils l'ont développée avec l'idée derrière de servir une station internationale. Cette station internationale peut préparer les programmes futurs au moins dans deux directions.

La première direction est la recherche amont. Cela fait trente ans que l'on fait du vol habité dans l'espace, mais cela ne fait pas trente ans que l'on est dans les stations dans des conditions de développement d'un laboratoire moderne occidental avec des systèmes de transmission de données performants, des systèmes informatiques performants, des personnes qui passeront moins de temps dans la maintenance de la station et davantage dans le développement des expériences scientifiques avec davantage d'énergie, comme dit Philippe COUILLARD.

Les conditions expérimentales sont tout à fait différentes et on peut imaginer que ce laboratoire aura peut-être, sûrement j'espère - c'est d'ailleurs le pari - des activités commerciales à terme, pourquoi pas. En tout cas, cela permettra de développer un certain nombre de technologies nécessaires à ce grand défi que sera Mars.

Philippe COUILLARD a parlé des problèmes de véhicules, de propulsion, mais il y a également tous les autres aspects, les radiations, le support vie qui reste complètement à développer aujourd'hui. Cela peut être une plate-forme de départ. Ce n'est pas très énergétique dit Philippe COUILLARD, mais cela peut quand même être peu ou prou une étape intermédiaire.

M. BLAMONT - Je voudrais remettre en perspective le calendrier pour l'exploration martienne.

Von BRAUN a écrit que cela se ferait dans cent ans en 1952 soit 2052, ce qui ne me paraît pas absurde. Aujourd'hui il est bien clair qu'il y a un certain nombre de problèmes à résoudre avant d'envoyer un homme pour deux ans dans une mission qui doit être essentiellement d'assurer son retour.

Premièrement il faut connaître la planète, or nous ne la connaissons pas du tout. Actuellement seul un pour mille de la surface de Mars est connu avec une résolution de l'ordre de 2 m, donc le choix du site non seulement pour des raisons de mission, mais aussi pour des raisons de sécurité sera très difficile. Et nous serons absolument incapables de le faire avant un grand nombre de missions d'exploration qui nous permettront de connaître cette planète, non seulement sa topographie, mais aussi l'ensemble de ses conditions climatologiques. Ceci, n'importe comment, représente des dizaines d'années.

Deuxièmement, il y a les problèmes techniques. La NASA vient de décider de repousser certainement de plusieurs années la mission de retour d'échantillons où on rapporte non pas un homme, mais 300 g sur terre. Je travaille dans cette mission depuis le début et je peux vous dire qu'au laboratoire qui le fait, à GPL, le retour d'échantillons est considéré comme une mission aussi difficile qu'Apollo. Donc, la difficulté de ramener un homme est une autre paire de manches que de rapporter 300 g. Il est donc bien difficile de penser que cela ne prendra pas vingt ans.

Il me semble que l'échéance d'un vol éventuel humain sur Mars, ce qui ne signifie pas qu'on ne dépense pas d'argent pour le préparer avant, me paraît plutôt aux alentours de 2030 que de 2020.

A ce moment-là tout le problème de savoir si on utilise ou non la station, si on utilise Ariane, fait rire car on n'en sait rien du tout, on ne sait pas quels seront les systèmes spatiaux qui existeront à ce moment-là. Je parle non seulement des systèmes mais en plus des méthodes d'emploi. Que fera-t-on comme rendez-vous ? Fera-t-on de l'aérocapture ? Une quantité de questions techniques sont posées, pour lesquelles nous n'avons pas la moindre idée des solutions.

M. ROUGIER - On va regarder avec Arlène AMMAR-ISRAËL les questions techniques que pose un débarquement vers Mars. Où en est-on ? Quelles grandes questions se pose-t-on ?

Mme AMMAR-ISRAËL - On a un peu parlé de cette mission martienne, mais on n'en a pas donné les raisons. Je crois qu'il faut la replacer dans le cadre de l'exploration du système solaire qui est une des grandes conquêtes de la recherche spatiale.

Je crois que Monsieur BLAMONT sera tout à fait d'accord avec moi pour dire que c'est vraiment une question incontestée, c'est une des plus belles recherches du spatial d'avoir complètement révolutionné toutes les connaissances que l'on avait du système solaire.

On a une façon très systématique de faire cette approche. On commence par envoyer une sonde qui survole la planète. Ensuite on envoie un satellite en orbite pour bien repérer sa cartographie et déterminer le site d'atterrissage. Puis on envoie des véhicules à la surface. Enfin on organise une mission de retour d'échantillons et on termine en y envoyant un homme et éventuellement une base d'habitation.

Toutes ces étapes, à l'exception de la base d'habitation, ont été réalisées pour la Lune. Et aujourd'hui le problème se pose pour Mars. Pourquoi Mars ? Elle est parmi les planètes pas trop lointaines, la vie n'y serait pas trop impossible à cause des conditions de température, de rayonnement, de pression qui sont à la surface. Il serait possible d'aller vers Mars, mais cela prendrait quand même beaucoup de temps.

Différents scénarios ont été étudiés, mais on ne peut pas mettre moins de cinq cents jours aller et retour en restant un peu sur la planète ou mille jours si on prend un certain temps. C'est surtout un problème de conjonction des différentes planètes.

C'est donc une mission longue, entre cinq cents et mille jours, une mission risquée. Comme Monsieur BLAMONT l'a dit tout à l'heure, les problèmes de rendez-vous sont extrêmement difficiles.

En ce qui concerne Mars, il y a vraiment des objectifs scientifiques de tout premier plan. La recherche de la vie, l'étude d'une planète assez proche de la terre, donc la connaissance du climat, de l'atmosphère, de la géologie, de la géographie, permettront également d'avoir des points de repère pour mieux comparer cette histoire avec celle de la terre. C'est un enjeu scientifique de premier plan faisant qu'aujourd'hui les grandes agences spatiales étudient la possibilité de faire une mission vers Mars. Il est clair qu'une mission de cette ampleur ne pourra pas être réalisée par un seul pays. Elle devra l'être par plusieurs comme pour la station spatiale internationale. C'est probablement un enjeu du même ordre au point de vue financier, voire supérieur.

Il faut dire aussi que sur Mars, cela ne pourra pas être fait en une fois, il faudra préparer l'envoi de l'homme par des missions préparatoires, déposer le véhicule de retour à la surface. C'est donc une affaire de longue haleine. Non seulement elle ne pourra avoir lieu qu'en 2020 ou 2030, mais il faudra probablement une dizaine d'années pour réaliser l'ensemble de cette mission puisqu'on n'a un créneau de lancement vers Mars que tous les vingt-six mois.

M. ROUGIER - Geneviève GARGIR, sur le contenu de cette mission martienne, on peut même dire qu'aujourd'hui on se pose de grandes questions, ne serait-ce que la manière dont on organisera un équipage.

Lorsque l'homme verra disparaître de sa vision la terre- et on peut aussi poser la question à Monsieur ARNOULD -, cela n'aura-t-il pas des répercussions psychologiques ?

Mme GARGIR - Aujourd'hui, on peut essayer d'imaginer ce que seront les limites de la conquête de l'homme dans l'espace extra-terrestre.

Je n'aime pas beaucoup ce terme de limites car l'histoire et les progrès de la science et de la technologie nous ont montré que, finalement, l'homme a su dépasser ce qui à un moment était une limite. Je n'aurai pas la prétention de parler de limites, mais plutôt de difficultés.

Il y a un certain nombre de difficultés effectivement tout à fait concrètes et tout à fait identifiées aujourd'hui pour de telles missions comme la mission martienne, la mission d'un vol habité sur Mars. La liste que je vais vous donner n'est pas du tout exhaustive, mais on peut déjà mettre en avant certains problèmes.

Il y a des problèmes humains qui sont physiologiques, psychologiques, mais aussi des problèmes plus techniques liés aux radiations et donc à tous les aspects techniques que représentent les missions comme les systèmes de support vie par exemple.

En ce qui concerne les problèmes de physiologie, on connaît déjà beaucoup de choses sur l'adaptation à l'apesanteur, au 0 G. Par les missions Mir et Shuttle, on a beaucoup appris sur les problèmes d'adaptation au 0 G. On connaît moins aujourd'hui le cycle, c'est-à-dire le passage de 1 G à 0 G et puis à 1/3 G, à 0,38 G exactement qui est la pesanteur sur Mars, puis de 0 G à 1 G. Donc pour tout ce cycle, on ne connaît pas bien les problèmes d'adaptation sachant qu'en plus, lorsque l'homme arrivera sur Mars, il aura beaucoup de travail à faire dans des conditions difficiles puisqu'il devra travailler en scaphandre.

On peut aussi se poser le problème de la déminéralisation osseuse pour l'équipage qui restera autour de Mars. Une partie de l'équipage restera en effet à 0 G autour de Mars et, suivant le scénario de l'expédition, il restera cinq cents ou mille jours. Il y aura effectivement des problèmes de déminéralisation osseuse qui sont un peu différents de ce qu'on a pu voir aujourd'hui.

Tous ces problèmes nécessiteront de nouvelles méthodes de prophylaxie ou de contre-mesures, des méthodes à définir aujourd'hui et à développer avec du matériel probablement nouveau. Des centrifugeuses seront peut-être nécessaires.

Il faut imaginer aussi tout ce qu'il faudra pour le contrôle médical in situ, c'est-à-dire sur Mars et dans le véhicule de transfert. Ce contrôle médical demandera des possibilités d'analyses chimiques ou cliniques, des possibilités de moyens de chirurgie, de réanimation, de traitement thérapeutique. Ce sont toutes des choses entièrement nouvelles.

Au sujet de l'aspect psychologique, les problèmes que l'on rencontrera sur Mars seront fondamentalement différents de ceux que l'on connaît actuellement sur les missions habitées de par les conditions extrêmement spécifiques des missions martiennes : la durée et l'éloignement.

Les problèmes de confinement, d'isolement et d'éloignement seront fondamentaux. On peut imaginer que l'équipage aura quand même une sorte de sentiment d'impuissance ou de non contrôle dans des conditions aussi éloignées de la terre. Il ne faut pas oublier que lorsqu'il y a un problème sur Mir, on sait ramener l'équipage en moins de 48 heures. Là l'équipage se dira que s'il y a un problème il rentrera dans six ou huit mois. C'est vraiment un problème tout à fait différent.

Une question qu'il faut se poser et que l'on se pose sur l'aspect psychologique est le nombre optimal d'astronautes qui seront nécessaires. On a parlé de six (de nombreuses études sont faites autour de ce chiffre). Il y a la répartition entre les différents sexes de ces astronautes, l'aspect multiculturel puisqu'on a vu que tous ces programmes ne pourront se réaliser que dans un contexte international, cela paraît évident maintenant. On sait que maintenir un équipage dans des conditions de stress difficiles, avec tous les aspects différents de culture qu'ils auront, est un enjeu difficile.

Il y a tous les problèmes d'organisation de la vie à bord, des voyages. Faut-il emmener l'équipage dans un ou plusieurs vaisseaux ? Il y a les problèmes de règles hiérarchiques à bord, de liaisons bord-sol. Il ne faut pas oublier que la liaison dure vingt minutes. Si par exemple il y a le feu à bord, il faut attendre quarante minutes pour avoir la réponse du sol à la question posée. Tous ces problèmes posent effectivement un problème psychologique assez important.

Je dirai maintenant deux mots sur les radiations.

M. ROUGIER - Nous n'allons pas passer en revue tous les problèmes. Nous avons bien compris que c'était très complexe, que l'on se posait de très nombreuses questions auxquelles on ne peut pas répondre à l'heure actuelle. Une mission martienne est déjà un énorme défi.

Mme GARGIR - C'est un défi car il y a beaucoup de problèmes à résoudre.

M. ROUGIER - On comprend que, partant loin, il y aura des risques d'irradiation et que de nouveaux problèmes se posent qui ne se posent ni près de la terre, ni au niveau lunaire.

Mme GARGIR - En ce qui concerne les radiations, aujourd'hui les études faites sur la mission martienne montrent que le problème des radiations n'est pas aussi important vis-à-vis de l'équipage que ce qui pouvait être imaginé il y a quelques années, surtout si on a les moyens de mettre l'équipage à l'abri dans des zones de sécurité avec un blindage de l'ordre de 24 g/cm².

Je voulais juste poser un dernier aspect sur ces problèmes de vols habités qui sont tous les problèmes de support vie. On n'en a pas beaucoup parlé ici, or ce sont des questions tout à fait importantes. Le système support vie, c'est la production de l'eau, de l'oxygène, de la nourriture, des déchets. Je vais vous donner quelques chiffres que j'ai recueillis dans des études réalisées aujourd'hui qui sont assez étonnantes. On sait que pour faire vivre un équipage dans la station, il a besoin par homme et par jour de :

- 0,96 kg d'oxygène,

- 2,5 kg d'eau potable,...

M. ROUGIER - On ne va pas tout détailler car l'heure tourne et je voudrais qu'on aille un peu plus loin.

Mme GARGIR - Ce bilan veut dire que, pour un équipage de six personnes en mission de cinq cents jours, on aurait besoin de 30 tonnes d'eau, de nourriture et d'oxygène et qu'on aurait 17 tonnes de déchets. On voit bien qu'on ne peut pas imaginer de faire comme on fait actuellement sur Mir où on apporte tout de la terre. Il faut donc trouver des moyens pour produire à bord ce qui est nécessaire à l'homme, d'où la notion de système écologique clos et tous les problèmes de production de ce qui est nécessaire, de recyclage, de production alimentaire. Tous ces problèmes sont des problèmes absolument nouveaux qui n'ont jamais été abordés.

M. MALERBA - Au sujet de la mission martienne, je voulais apporter la suggestion et même la provocation du prix Nobel, Monsieur Karl ROUBIA, dont certains intervenants ont entendu parler.

Le problème central semble être la durée de cette mission. Sa proposition révolutionnaire est d'utiliser un autre propulseur, de changer totalement la stratégie d'approche sur Mars avec un propulseur en impulsion cent fois plus grande que celle permise aujourd'hui par la combustion chimique. Cette mission serait accélérée tout le temps, pendant la première moitié vers Mars et dans la deuxième moitié pour ralentir en vue de l'approche sur Mars, il n'y aurait donc plus le problème d'aerobreaking, etc.

Ce n'est pas pour dire que c'est la solution que nous allons entreprendre, mais qu'il y a peut-être d'autres chemins, d'autres technologies à développer. Après tout, nous sommes en train d'ouvrir une nouvelle mer. Il ne serait donc pas étonnant que les moyens de transport dans l'espace soient un peu différents par rapport à ceux qui nous amènent de la terre à l'espace. Et la station spatiale serait le lieu où pourraient être étudiées ces nouvelles technologies.

Notre ami Franklin CHANDIRS a d'ailleurs également proposé un moteur à plasma, je crois qu'il faut donc aussi penser qu'il y aura d'autres moyens de propulsion dans l'espace.

M. ROUGIER - Et qui pourraient être étudiés au sein de la station spatiale internationale entre autres.

M. MALERBA - Surtout pour leur mise au point.

M. SALOMON - Pour qu'il n'y ait pas de malentendu sur ce que je vais dire, permettez-moi d'insister sur un point. Envoyer une sonde capable de rapporter des cailloux de Mars me paraîtrait superbe, je dis me paraîtrait superbe. Envoyer à plus forte raison un équipage sur Mars et lui permettre de revenir, me paraîtrait exaltant. Qu'il n'y ait donc pas de malentendu ! La curiosité, le désir d'aller loin est effectivement une bonne définition de l'homme.

Je voudrais quand même revenir - je suis en effet un peu historien et politologue - sur les processus de décision. Monsieur KENNEDY a décidé d'envoyer un homme sur la Lune contre l'avis de son conseiller scientifique Monsieur WITHNER, autant que je sache ! D'autre part, lorsqu'on fait la station, permettez-moi de vous rappeler quand même que la NASA, téléguidée par le Président des Etats-Unis, s'intéresse essentiellement à trouver un moyen d'occuper les Soviétiques puis les Russes avant que les Européens ne soient appelés à y participer. Donc ne rêvons pas non plus !

Et lorsqu'on parle d'Hermès, j'ai eu des étudiants du CNES qui ont travaillé sur le projet Hermès et, venant du CNES, ils étaient convaincus que cela se ferait. Au bout d'un an et demi, progressivement, ils ont découvert que le processus de décision, pour des raisons qui n'avaient plus rien à voir avec la science et la technologie, ont été telles que l'affaire a été classée.

Je voudrais simplement faire deux remarques, pour revenir à ce qu'a dit Jacques ARNOULD, qui me paraît très important.

Dans les cinquante ans qui viennent et que je ne verrai pas et d'autres ici, c'est vrai qu'on peut se demander si, alors qu'on croit que l'on va vers Mars, les technologies spatiales et à plus forte raison les biotechnologies ne sont pas en train de changer la nature de l'homme. Il faut y réfléchir.

D'autre part, puisqu'on parle de la solution Rubia comme moyen de transport pour aller sur Mars, je dois dire que je trouverais très intéressant que l'on s'attaque un peu plus sérieusement à des fusées capables de revenir.

Je m'arrête là.

M. ROUGIER - Jean-François CLERVOY, on ne vous a pas encore entendu depuis le début de cette deuxième table ronde, je voudrais savoir quelle est la vision que vous avez de ces missions.

C'est vrai que lorsqu'on écoute Geneviève GARGIR, c'est un peu effrayant. On se dit que l'homme verra disparaître la terre de son horizon, il sera à 40 mn aller-retour en phonique de la terre et il sera quelque part finalement tout seul pour prendre une décision avec son équipage.

M. CLERVOY - Il y a de nouveaux problèmes auxquels il faut réfléchir.

Pour en revenir au destin, j'aime bien l'idée de programmation de Jeff HOFFMAN ou, comme disait le Président PONCELET, le rêve : l'homme ira sur Mars, c'est sûr. Je le prévoyais pour les années 2020, mais je pense qu'on est tous d'accord en gros sur le temps, c'est-à-dire 2020, 2030.

Si d'un seul coup on arrête l'homme dans l'espace, comme c'est son destin, de toute façon il y retournera.

J'aime bien prendre l'image non pas du berceau, mais du bébé qui est hors de son berceau et qui commence déjà à marcher à quatre pattes. Vous mettez dans le coin d'une pièce un enfant capable de se déplacer même à quatre pattes, il n'y restera jamais. Et si vous vous demandez pourquoi il se déplace systématiquement pour passer la porte et disparaître très rapidement, on vous dira que c'est programmé, il a envie d'explorer. Et pourquoi a-t-il envie d'explorer ? Pour augmenter son champ de connaissances.

La meilleure connaissance que vous avez de votre environnement maximise les chances de survie de l'espace, c'est l'instinct de conservation. Mais il faut aller chercher au fond de soi-même, faire de l'introspection personnelle pour le trouver. Mais c'est lui qui nous pousse à cette curiosité qui est innée en nous.

Chaque fois qu'on donne des conférences et qu'on demande aux personnes de la salle combien aimeraient aller dans l'espace, beaucoup lèvent la main. Et si vous leur demandez pourquoi elles le veulent, elles répondent toutes par curiosité. Comme disait Jeff HOFFMAN, elles ont envie de le vivre elles-mêmes, de savoir, de connaître, de sentir.

Ce n'est pas tellement le fait que l'homme veut conquérir et être le maître de l'univers, mais qu'il veut en savoir davantage sur son environnement. Tant que, dans son histoire, l'homme sera capable d'aller plus loin, plus vite, il le fera. Il ira vers Mars et peut-être dans cent, cinq cents ou mille ans seulement, il ira en-dehors du système solaire.

On aura inventé des systèmes de propulsion exotiques qui permettront d'atteindre des vitesses nettement plus élevées, d'autres moyens de transports.

Pour revenir à l'idée de la curiosité, je ne crois pas que l'homme est « condamné » à rester sur la planète terre. L'homme ira, explorera de plus en plus loin, de plus en plus vite.

L'histoire de l'homme est que, dès qu'il a pu se mettre debout, il a été plus loin qu'à quatre pattes, que les primates. Lorsqu'il a inventé le vélo, il a été à plusieurs centaines de kilomètres. Lorsqu'il a inventé l'avion, au début les premiers qui ont volé en avion ont été pris pour des fous et tout monde leur demandait pourquoi ils inventaient ces machines. Ils disaient qu'on pourrait transporter des passagers et, au début, jamais on ne les a crus. Et aujourd'hui un avion décolle à chaque seconde dans le monde.

M. ROUGIER - Vous avez parlé d'instinct de conservation. Cela veut-il dire que l'homme peut aussi rechercher dans l'espace des solutions aux problèmes terrestres ? Je vais être beaucoup plus précis, peut-il rechercher dans l'espace des solutions aux problèmes de pollution, de richesses terrestres qui s'épuisent ? Je ne fais pas de science-fiction, je pose une question, Monsieur BLAMONT !

M. CLERVOY - Clairement l'homme ne va pas dans l'espace pour fuir des problèmes.

L'instinct de conservation est quelque chose d'inconscient. Il faut en discuter, arriver à le sortir de soi-même en faisant de l'introspection personnelle, en se faisant analyser.

A très long terme, il est sûr qu'on ne peut pas continuer à croître sur le plan démographique sur terre à l'infini sans jamais aller ailleurs, ce n'est pas possible. ou alors il faut imaginer des épidémies monstrueuses, des guerres affreuses. A long terme, c'est-à-dire dans cinq cents ou mille ans, c'est peut-être difficile à voir. On n'est pas là pour décider des programmes à mille ans, mais c'est le sort de l'homme d'aller toujours plus loin.

M. ROUGIER - Une réponse avec Jacques ARNOULD, puis Alain ESTERLE et Jeffrey HOFFMAN.

M. ARNOULD - Je connais bien l'image du berceau auquel par mode d'opposition. Je ne voudrais cependant pas aller plus loin dans le débat, mais je sais que les mêmes personnes, en tout cas le même milieu qui utilise cette image, utilise aussi l'image du vaisseau de la terre vaisseau spatial. Alors entre le berceau et le vaisseau, il faut un peu choisir !

Vraiment, je m'oppose à l'idée d'une sorte de destin inscrit dans les gènes, et c'est ma culture biologique qui va dans ce sens. Ce qui est inscrit dans nos gènes, je ne crois pas que ce soit la curiosité.

Pour moi l'homme est capable de s'opposer à cette curiosité au nom d'autre chose qui, elle, est peut-être inscrite dans les gênes : la question de l'autre. Si quelque chose nous pousse, c'est la question de l'autre.

En écoutant ce qu'on disait tout à l'heure sur Mars, la possibilité de vie ou de traces de vie, sur l'éloignement de la terre où brutalement on est seul, c'est-à-dire où il n'y a plus d'autre, ou même en évoquant ce que certains font, c'est-à-dire écouter des messages ou des signaux venus d'autres terrestres, je crois qu'en revanche ceci est inscrit dans nos gènes, car cela relève de notre nature biologique.

Nous sommes constamment en train de savoir où s'arrête notre moi, où commence l'autre. Ceci peut effectivement susciter constamment une curiosité qui ensuite doit être régulée.

Ecoutez-vous parler de Mars, une autre terre ou une terre qui nous ressemble. On va essayer de mieux comprendre ce qu'on est en allant voir ce qu'est l'autre. J'aime parfois dire que la question de l'autre nous suit comme une ombre. Là je suis d'accord.

Cela devient non pas une justification, mais trouver à cet endroit, dans la question de l'autre, d'autrui, un des ressorts peut-être les plus profonds du fait que l'enfant sort de son berceau, j'ai envie d'aller voir ce qu'il y a de l'autre côté de la rue. Je crois que c'est inscrit, c'est plus compliqué que la curiosité car dès que je parle de l'autre, j'introduis la question de l'autre et donc une capacité à réfléchir sur ce que je fais, la manière et le statut que je donne à l'autre.

M. ESTERLE - Je voudrais revenir un peu sur ce qui a été évoqué par Jean-François CLERVOY et sur les problèmes liés à la volonté d'aller sur Mars par exemple. Puisqu'on a parlé de Mars, il y a des problèmes techniques qui sont difficiles, compliqués, mais on imagine bien que tôt ou tard, dans un délai de dix, vingt, trente ans, avec ou sans Ariane, on trouvera une solution. Le problème est qu'il faut quand même trouver une raison de le faire, une décision, un mécanisme de décision comme dit le Professeur SALOMON.

Je suis quand même frappé par le point suivant. Cela n'a aucune valeur scientifique, j'exprime mes souvenirs.

Dans les années 1960, au temps de la conquête de la Lune, dans les premiers temps de l'homme dans l'espace, on ressentait la terre comme effrayante, terrifiante. On était condamné à exploser dans un conflit nucléaire, on ne voyait pas comment on pourrait se sortir de cette escalade invraisemblable des arsenaux nucléaires.

Il y avait un deuxième motif, l'explosion démographique. A l'époque, tous les modèles démographiques étaient terrifiants. Personne n'imaginait que la transition démographique que l'on connaissait à peu près dans les pays occidentaux serait une valeur générale.

Or maintenant que s'est-il passé ? Bien sûr les arsenaux nucléaires ne sont pas complètement réduits, mais on n'a plus cette terreur nucléaire, on imagine très bien qu'on est dans un processus de contrôle progressif de cette menace. Et concernant les modèles démographiques, il faut quand même être réaliste, ils tendent tous à une convergence, au plus tard dans les années 2040, 2050. On a passé le point d'inflexion de la croissance démographique depuis vingt ans déjà, on n'est plus du tout dans cette explosion. Et la transition démographique s'est manifestée dans tous les pays, toutes les cultures, contre toute attente.

On n'est donc plus sur une terre terrifiante, on n'a plus cette frayeur fondamentale et cette envie de s'échapper et de trouver un moyen d'évasion. Ce n'est pas par hasard si, dans les années 60, il y a eu l'idée des grandes colonies spatiales où des populations très importantes pourraient partir un jour et recréer une vie ailleurs. On n'en est pas du tout à cette idée aujourd'hui.

On est beaucoup plus dans quelque chose qui a émergé à l'époque, un peu après, c'est-à-dire les problèmes d'environnement et on est davantage dans un processus de contrôle de l'environnement de la terre, apprendre à vivre ensemble sur la terre, ce sont les thèmes de la globalisation. Mais on n'est plus du tout dans cette démarche de fuite.

M. CLERVOY - Je ne parlais pas d'instinct de conservation dans le sens de fuir des problèmes sur la terre. De toute façon, à très long terme, dans mille ans, on explorera le système solaire et même au-delà.

Je parlais davantage de la programmation, de la curiosité, du désir d'explorer ou la connaissance de l'autre. Y a-t-il d'autres êtres vivants comme disait Jeff HOFFMANN ? C'est vrai que des pulsions nous poussent à en savoir plus et à aller plus loin, ce n'est cependant pas pour fuir les problèmes sur terre.

M. HOFFMAN - De nombreux problèmes, le destin même de l'homme dans l'espace, sont liés à des limitations de transport spatial.

Qui aurait cru il y a un siècle qu'on aurait une base scientifique permanente au pôle sud en effectuant le transport à ski et avec des chiens ? C'était tout à fait impossible. Et c'est la même chose maintenant. Les moyens d'arriver en orbite sont trop dangereux, trop chers.

Une fois développé un moyen sûr et à bon prix pour emmener les hommes dans l'espace, cela amènera un grand essor économique. C'est presque inimaginable ce qui va se passer. Si j'avais une recommandation pour les politiciens, elle serait d'investir davantage dans les moyens de transport spatial car c'est ce qui nous limite. L'Etat, la nation, la société qui réussira à développer le moyen de faciliter les transports à bon prix, aura une position très favorable dans le monde économique.

M. ROUGIER - C'est peut-être un peu tard pour aborder la question, mais comme nous n'en avons pas du tout parlé, nous allons en dire un mot. Que mettez-vous derrière cette possibilité d'accéder à l'espace à bas prix ? Voulez-vous dire que derrière on pourrait mettre du tourisme spatial ?

M. HOFFMAN - Combien d'énergie faut-il pour emmener un homme dans l'espace, je veux dire l'énergie potentielle et kinésique ? Il n'en faut pas beaucoup, cela représente à peu près l'énergie d'un baril de pétrole.

M. ROUGIER - Voulez-vous dire que si on avait accès à l'espace à bas prix, cela permettrait à beaucoup de monde d'aller dans l'espace ? Imaginez-vous un futur où on ferait du tourisme spatial ?

M. HOFFMAN - Je le pense, oui. Si on a l'occasion d'y aller, lorsque les premiers touristes reviendront avec leurs histoires de voyage, vous ne pourrez pas empêcher les autres de suivre car l'espace va donner beaucoup de plaisir. C'est difficile à imaginer, je partage cette expérience avec mes collègues, les autres astronautes. Vraiment l'expérience de flotter, d'avoir cette liberté de corps... On payera beaucoup pour partager cette expérience, cela sera un grand essor.

En ce qui concerne le coût de la construction d'hôtels touristiques en orbite, à mon avis, si vous imaginez combien de centaines de milliards de dollars on a dépensé pour construire Las Vegas, une cité dans le désert, on trouvera l'argent si on a les moyens de transport.

M. ROUGIER - Dans quelques instants, je vais demander à Jean-Jacques SALOMON de faire une synthèse de cette table ronde puis nous prendrons des questions dans la salle.

Je voudrais simplement terminer cette seconde partie de débat avec vous, Jacques ARNOULD, pour vous poser une question simple, mais c'est au théologien que je la pose : selon vous, cette quête d'un espace lointain peut-elle rendre l'humanité plus heureuse ?

M. ARNOULD - Je vais faire comme Claudie ANDRE-DESHAYS, je ne comprends pas trop bien votre question, en tout cas pourquoi vous me la posez à moi plutôt qu'à n'importe qui ici ! Non, je crois que j'avais un peu la question du bonheur de l'homme en arrière-plan en introduisant la question de l'autre.

Si nous nous interrogeons depuis le début de l'après-midi, nous parlons à partir d'expériences personnelles plus ou moins impliquées, parfois très impliquées, si bien que lorsqu'on parle de l'homme dans l'espace, certains d'entre nous sont concernés directement, d'autres le sont pour des questions politiques, d'autres encore scientifiques.

J'introduisais la question de l'autre ne serait-ce que pour s'interroger sur moi, mais aussi sur les autres cultures, les milliards d'hommes et de femmes aujourd'hui. On a évoqué ces questions de répartition.

Au fond parce que la question ultime ne se pose guère, j'aime parfois demander à mes frères en religion : es-tu heureux ? C'est une question que l'on ne pourrait peut-être pas introduire dans un cénacle aussi intellectuel, mais un peu comme Jeffrey HOFFMAN vient de dire, il voudrait partager ce qu'il a vécu en flottant. Je l'ai vécu quelques secondes dans un avion, il est vrai que j'ai aussi envie de le faire partager, mais je sais que cela coûte très cher et qu'arrivent d'autres questions.

Mais la question : es-tu heureux ? Au fond que faisons-nous chacun à notre place pour le bonheur de l'humanité, c'est-à-dire cette capacité à vivre ensemble en tant qu'alter ego ?

Je n'ai pas envie d'aller plus loin que cela !

M. SALOMON - Je ne vais pas faire une synthèse, mais essayer de donner l'esprit de cette réunion.

Le Président du Sénat l'a introduite en rappelant que l'espace « tantôt nous fait rêver, tantôt nous fait frémir », et je suis frappé par le fait que la fin de cette discussion débouche sur la question du bonheur.

Liées à l'espace, il y a eu il y a à peine trois semaines, à Chamonix, des réunions de trois jours sur la question : « la science fait-elle le bonheur » ? Chamonix n'est pas indépendant de l'espace, c'est quand même le Mont-Blanc. On peut donc toujours rêver à partir de la montagne et du ciel.

En gros, non pas l'espace, parce qu'on ne sait pas très bien ce que c'est, mais la recherche spatiale, scientifique, technique, les activités et les applications spatiales sont le lieu, de toute évidence, de questions diverses absolument indissociables - il ne faut quand même pas l'oublier - qui vont jusqu'à poser effectivement la question métaphysique du statut de l'homme.

Il y a des enjeux politiques - il ne faut quand même pas les ignorer - dès le départ. On a rappelé qu'il y a des enjeux stratégiques dont la dimension militaire ne peut pas être supprimée. Il y a des enjeux économiques, c'est évident.

Et puis il y a des enjeux éthiques et philosophiques, à savoir pourquoi y aller ? Faut-il y aller ? Si on y va que se passe-t-il ?

C'est vrai que si les questions que l'on peut se poser avaient toutes une dimension de temps concevable pour nous autres, elles apporteraient en quelque sorte des éléments de réponse au statut de l'homme sur terre.

Il se trouve que, malgré la distance et les difficultés dont vous avez parlé, Madame, (et non pas des limites - et je trouve très révélateur que vous ayez parlé de difficultés plutôt que de limites parce que le postulat est que tout est possible -), l'espace est le lieu de l'ensemble des possibilités réalisables : puisque cela existe, on le fera. C'est tout à fait concevable, c'est vrai.

Il y a l'ensemble des difficultés qui renvoient peut-être à la nature de l'homme qui est définie, disait Aristote, comme le désir de savoir, la curiosité, je veux bien. Mais il y a toutes les réserves que l'on peut se faire dès que l'on sort de ce qu'est le contexte strictement scientifique et technique de l'univers de l'espace.

Lors d'une réunion à laquelle j'ai participé avec Jacques ARNOULD il n'y a pas longtemps, j'avais été très frappé de voir que les spécialistes se définissaient comme faisant partie d'un monastère, c'est-à-dire d'une tribu très précise faisant partie d'un ensemble de convictions et de foi, il n'y a pas de doute, qui se défendent. Il ne faut pas contester car elles renvoient à l'aventure humaine.

Je conclurai cependant sur toutes ces dimensions par une petite remarque, lorsqu'on veut comparer la découverte du Nouveau Monde avec l'exploration spatiale, en rappelant que Colomb et Cortes sont partis pour deux raisons : trouver de l'or et convertir les indigènes qu'ils trouveraient dans les Indes. Il se trouve qu'ils n'ont pas atterri en Inde...

Alors l'espace n'a pas beaucoup d'or pour l'instant et on attend les Martiens pour les convertir !

Je vous remercie.

M. BOSTE - J'ai été en expédition dans l'Antarctique puis responsable des sciences de la vie au CNES.

J'ai l'impression que l'on sait - les débats l'ont montré - qu'il est possible d'aller sur Mars avec beaucoup de difficultés. Mais à terme ces difficultés pourront être vraisemblablement résolues.

Ce qui semble manquer le plus - et Monsieur SALOMON l'a bien noté - c'est une motivation profonde ; il y avait la compétition entre l'Est et l'Ouest ; nous n'avons plus de motivations de ce type. Et cependant, on pourra en déterminer une.

Nos collègues astronomes nous montrent qu'une collision entre un corps planétaire, cométaire ou une météorite géante, peut anéantir l'humanité, l'espèce. Nous avons surtout raisonné en tant qu'individus, mais je pense qu'il faut dépasser l'individu. Nous appartenons à une espèce qui est l'espèce humaine. Cette espèce est menacée, pas dans la vie d'un homme - la probabilité est que l'on vit soixante ans, ce qui n'est vraiment rien - mais à l'échelle des temps d'une espèce. Il est vrai que les dinosaures ont peut-être été détruits par une météorite, on n'en est pas très sûr, mais il y a de nombreuses hypothèses dans ce sens.

Alors installer une colonisation sur Mars comme la NASA l'a déjà envisagé plusieurs fois ? Certains films de la NASA montrent une colonisation un peu futuriste - je ne sais pas si elle est possible, en tout cas elle ne le sera pas avant peut-être trois ou quatre cents ans -, mais le jour où on aura déterminé qu'une orbite quelconque percutera la terre, il sera peut-être trop tard pour s'en occuper. Je pense qu'aller sur Mars dans le but d'une colonisation, de façon à partager les risques en deux, est une motivation qui peur paraître un peu naïve, mais qui rejoint le souci de l'autre comme l'on disait tout à l'heure.

M. ROUGIER - Quelqu'un souhaite-t-il réagir ou apporter une réflexion par rapport à ce qui vient d'être dit ?

M. CLERVOY - J'aimerais juste insister à nouveau sur ce que disait Jeff HOFFMAN : la prochaine grande étape de l'exploration spatiale dépend très clairement de la mise au point de nouveaux systèmes de transports moins risqués, moins coûteux, permettant d'atteindre des vitesses plus élevées. C'est vraiment un point sur lequel nos laboratoires doivent faire porter leurs efforts. On est limité par la propulsion chimique. En mettant le paquet avec la technologie que l'on possède aujourd'hui, on peut aller sur Mars.

Maintenant si on n'y va pas dans quinze, vingt ans et qu'on attend de maîtriser des propulsions exotiques qui sont déjà à l'étude, on peut imaginer toutes sortes d'autres transports dans l'espace. Le tourisme spatial dépendra de cela. Le tourisme spatial dépend de la diminution des risques que l'on prend lorsqu'on accède à l'espace et aussi du coût. C'est vraiment une marche qu'il faut dépasser et en ce moment on est vraiment au stade préliminaire de recherche pour la passer.

M. ROUGIER - Peut-on fixer aujourd'hui des dates ? Je me tourne vers l'industriel.

Dans l'absolu, a-t-on déjà une idée permettant de dire qu'à telle date on peut considérer que la propulsion telle qu'on la conçoit aujourd'hui sera dépassée, que l'on devra passer à un autre niveau ? Est-ce impossible ? Est-ce vraiment lire dans le marc de café ?

M. COUILLARD - Ce n'est pas tellement cela, d'abord il y a différents types de propulsion. Des progrès sont faits actuellement sur la propulsion des satellites, c'est-à-dire à très faible niveau de poussée. Il y a de nouvelles propulsions avec des performances bien meilleures, les propulsions ioniques ou plasmiques ; cela existe.

Là, il s'agit de faire la navette entre la terre et l'orbite proche, et pour faire la navette il faut partir avec de la poussée. Il y a donc une énergie à développer, une puissance qui doit être donnée.

Aujourd'hui, ce qui se fait de mieux, c'est la propulsion chimique hydrogène-oxygène. Ce qui pourrait la remplacer, mais à quel terme, je n'en sais rien et je ne pense pas qu'on y touche avant longtemps, c'est de faire de la propulsion nucléaire.

Mais je ne pense pas que beaucoup de personnes veuillent toucher à la propulsion nucléaire avec une forte poussée, c'est-à-dire mettre un réacteur au bout d'un réservoir d'hydrogène et éjecter de l'hydrogène à très grande vitesse. En effet, pour avoir de la performance il faut éjecter le plus vite possible, et vous avez intérêt à éjecter des gaz légers plutôt que des gaz lourds puisque c'est la vitesse qui compte.

M. ROUGIER - On parle du postulat d'un départ de la terre, ne peut-on imaginer un départ d'ailleurs ?

M. COUILLARD - Je répondais à la question consistant à faire la navette entre la terre et l'orbite proche.

M. HOFFMAN - C'est important d'avoir la navette entre la terre et l'espace basse orbite.

M. ROUGIER - Et dans un avenir plus lointain.

M. COUILLARD - Aujourd'hui, exceptée la propulsion chimique, je ne connais rien d'autre de raisonnable à une échéance donnée. Cela changera peut-être un jour, mais je pense qu'on est encore contraints pendant longtemps. Cela ne nous empêche cependant pas d'aller sur Mars en mettant un peu de temps, la propulsion n'est pas un frein, il y a d'autres problèmes comme on l'a montré. Après on verra ce que les physiciens trouveront.

Il est sûr que, concernant les problèmes de sécurité, il faut bien se rendre compte que la puissance nécessaire pour décoller est considérable. Je ne sais pas si j'ai des comparaisons, mais une turbopompe du moteur Vulcain représente deux rames de TGV. Or une turbopompe ne représente que 1 ou 2 % de l'énergie.

Lorsque vous avez un booster qui décolle avec 700 tonnes de poussée et qui éjecte les gaz à 3 000 m/s, vous voyez la puissance donnée, c'est considérable, ce sont des gigawatts environ.

Un Intervenant - Vulcain en fonctionnement, c'est une centrale nucléaire, ce sont 200 000 chaudières à gaz dans un volume de 50 l.

M. COUILLARD - C'est Vulcain, mais à côté cela ne suffit pas car Vulcain ne fait pas décoller la fusée.

On met deux boosters de part et d'autres qui poussent six fois ce que pousse un Vulcain chacun, et ceci pendant deux minutes.

M. COUILLARD - Vous voyez, ce sont les ordres de grandeur et vous ne changerez pas ceci. Pour aller en orbite il faut ça. Il faudra trouver d'autres moyens certes, mais il faut les trouver et maintenir ceci avec la sécurité, augmenter la sécurité, l'enjeu est celui-là. S'il y a des idées... Je crois que ce serait un thème de recherche, à savoir faire avancer la physique pour trouver d'autres moyens de propulsion, mais très loin.

M. ROUGIER - Pour reprendre ce que disait Jean-François CLERVOY tout à l'heure, pensez-vous que dans cinq cents, dans mille ans, on aura des solutions techniques qui nous permettront d'aller...?

M. COUILLARD - Je ne pense pas dans cinq cents ans !

M. BERTHOZ - Je voudrais simplement faire un commentaire sur ce qu'a dit Monsieur BLAMONT tout à l'heure, qui est très important sur le problèmes des relations entre intelligence artificielle et intelligence naturelle.

Il faut se garder d'affirmations peut-être trop péremptoires sur l'évolution des ordinateurs par rapport au cerveau. Le problème est que nous ne savons pas aujourd'hui comment fonctionne le cerveau. Nous savons qu'un seul neurone est peut-être à lui seul aussi puissant que ne le seront les ordinateurs plus tard. Les découvertes concernant la rapidité et la complexité des mécanismes moléculaires sont extraordinaires. Et on peut aussi concevoir qu'après tout, les systèmes artificiels sont des prothèses du cerveau.

Pour le moment, il est vrai qu'il faut reconnaître, et vous avez raison de mener cette campagne, qu'il y aura une explosion extraordinaire des puissances de calcul, des puissances des robots. En même temps, il se trouve que nous ne sommes qu'au début de l'ère de la découverte de ce qu'est le cerveau - et le cerveau humain en particulier - et que là aussi on va peut-être découvrir que c'est une machine plus puissante qu'on ne le croit qui va utiliser justement cette prothèse.

Je crois que le débat reste ouvert et qu'il faut se garder aujourd'hui de le verrouiller ; nous n'en sommes qu'au tout début.

M. BLAMONT - Je suis tout à fait d'accord avec vous sur le fait que nous sommes au début. Il y aura des progrès sur le fonctionnement du cerveau et il y en aura aussi sur la façon d'utiliser des composants électroniques. Je vais vous donner un exemple.

Un de mes amis soviétiques m'a dit, il y a dix ans, que jamais une machine ne battrait un champion d'échec, jamais ! C'est arrivé. Et je souhaite faire remarquer que la machine ne fonctionne pas comme un cerveau, elle utilise simplement sa puissance pour faire, très rapidement, un très grand nombre d'opérations logiques.

On peut donc parfaitement imaginer que lorsqu'on pense au pilotage ou à un homme dans l'espace, aux fonctions que remplit un astronaute, ces fonctions peuvent être classées. On peut très bien se rendre compte qu'il n'y en a pas tellement et qu'on peut remplir ces fonctions par des méthodes, des logiciels qui n'ont rien à voir avec le cerveau humain.

C'est simplement ce que j'ai voulu dire tout à l'heure. La puissance de calcul augmente d'une façon très importante et nous ouvre la possibilité de nouvelles méthodes pour remplir des fonctions.

M. MALERBA - Je voudrais faire un petit commentaire sur une question posée plusieurs fois à laquelle on a essayé d'apporter une réponse : quand ira-t-on vers Mars ?

Je pense que l'évolution n'est pas toujours linéaire, qu'elle se fait plutôt par des événements qui attirent l'attention et qui, justement, stimulent la curiosité, qu'il y a des accélérations ou des décélérations. C'est la motivation qui entraîne des décisions courageuses.

Par exemple, la découverte de l'eau - tout le monde y croit maintenant - sur Mars est quelque chose qui va probablement accélérer le processus. Il ne faut donc pas exclure que dans un futur prochain, il y ait des événements qui accélèrent les choses par le mécanisme de la motivation et de la curiosité et non pas uniquement parce que la technologie mûrit lentement et progressivement.

M. ROUGIER - Monsieur le Sénateur, je vous rends définitivement le micro.

M. LE PRESIDENT - Merci !

Je voudrais, au terme d'une journée qui a été longue, vous remercier toutes et tous très sincèrement en mon nom, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, mais aussi - et c'est peut-être un peu ambitieux de ma part - au nom de tout le Parlement, d'avoir bien voulu vous prêter à cet exercice.

Nous avons essayé de l'organiser sans doute avec des imperfections, mais en faisant des invitations de la manière la plus large possible. En tout état de cause, la connaissance de ce colloque était publique, nous l'avons annoncé sur le site Internet du Sénat, et dans le Bulletin Officiel du Parlement depuis déjà longtemps. Toutes celles et tous ceux qui s'intéressent à ces sujets et qui ont eu connaissance de l'organisation de ce colloque pouvaient être présents aujourd'hui.

Je remercie en tout cas particulièrement tous les intervenants, les rapporteurs Monsieur FAVIER et Monsieur SALOMON, qui ont eu la tâche difficile d'essayer de faire des synthèses de ces tables rondes fructueuses concernant les informations que, personnellement, j'ai pu recueillir.

Je ne dis pas que nous avons répondu aux questions que nous nous posions à l'entrée de ces deux tables rondes qui étaient :

- pour la première : quelle est l'utilité de l'homme dans l'espace ?

- pour la seconde : l'homme est-il destiné à occuper l'espace extraterrestre ?

Il reste beaucoup de questions à résoudre, mais beaucoup ont été ouvertes aujourd'hui. A mon sens, c'était un des buts de cette journée et je vous en remercie.

Je continuerai bien entendu ma quête d'informations.

Je dois vous informer que seront joints à mon rapport, lorsque je le publierai, les actes de ce colloque d'aujourd'hui. Vous en aurez d'ailleurs largement connaissance le moment venu.

Je voudrais remercier aussi les journalistes présents et celui qui a été chargé d'animer nos débats, Monsieur Bruno ROUGIER, que je félicite.

Nous avons souhaité que ce colloque se passe de manière vivante et que ce ne soit pas simplement une succession d'interventions.

On a demandé à chacun et chacune d'entre vous de nous préparer un petit résumé, mais on souhaitait surtout que le débat soit vivant. Nous avons, je crois, - Monsieur ROUGIER partage-t-il mon sentiment ? - atteint cet objectif.

En tout cas, je tiens à vous remercier toutes et tous, toutes les personnes qui sont dans la salle et qui ont participé à ce colloque pour la richesse de nos débats et toutes les interrogations avec lesquelles nous sortirons de cette salle, des plus pratiques aux plus philosophiques.

La séance est levée à 19 h 30.

ANNEXE 18 - AUDITIONS ET ENTRETIENS DU RAPPORTEUR EN FRANCE ET À L'ÉTRANGER

24 mars 1999

Auditions publiques « L'Espace aujourd'hui et demain »

M. ALLÈGRE

Ministre de l'Education Nationale, de la Recherche et de la Technologie

M. PONCELET

Président du Sénat

M. LAFFITTE

Sénateur

M. TRÉGOUËT

Sénateur

M. DUCOUT

Député, Groupe parlementaire pour l'Espace

M. BENSOUSSAN

CNES

M. BRACHET

CNES

M. CARPENTIER

Ancien membre du Conseil Economique et Social

M. DAVIS

BNSC

M. DE JULIO

ASI

M. GODAI

NASDA

M. HERTEMAN

SNECMA

Dr HOFFMAN

NASA

M. HUMBERT

AÉROSPATIALE

M. HUSSON

ALCATEL-ESPACE

Prof. DR KRÖLL

DLR

M. LE GALL

STARSEM

M. LUTON

ARIANESPACE

M. MEDVEDTCHIKOV

RKA

M. POMPIDOU

Député européen

M. RODOTA

ESA

M. THOMAS

AEROSPATIALE

M. ZAPPA

ALENIA

2 juin 1999

SPOT IMAGE

M. MOUYSSET

28 et 29 octobre 1999

CENTRE SPATIAL DE TOULOUSE

STÉ ALCATEL SPACE

M. HUSSON
Général FONTAINE
M. HACHER
M. TISSERAND

Sté Worldspace

M. TORRES
M. CASADEBAIG

Sté Matra Marconi Space

M. GUIONNET
M. DARRICAU
M. ROCCA

CNES

M. BENSOUSSAN
M. BRACHET
M. CLAIR
M. CUQUEL
M. PAUC
M. PIRCHER
M. TREMPAT

Sté Scot Conseil

M. CAZAUX

Sté Interspace

M. MARCE

21 janvier 2000

Sté DASA (Daimler Chrysler Aerospace AG) à Munich (Allemagne)

M. ADERHOLD
M. BITTE
M. KANNAMüLLER
M. LE COCQ

31 janvier 2000 - Surrey Space Centre à Guidford (Grande-Bretagne)

M. SWEETING
Mme WEI SUNG

23 février 2000 - Sté Matra Marconi Space

M. CARLIER
Mme HOCQUARD

20 avril 2000 - GIFAS (Groupement des Industries françaises aéronautiques et spatiales)

Mme FARFAL (DASSAULT AVIATION)
Mme LE BRETON (GIFAS)
M. JOUAN (MMS)
M. CHARRON (AÉROSPATIALE MATRA LANCEURS)
M. ANDRAU (ALCATEL SPACE)
M. LE FICHANT (BERTIN TECHNOLOGIES)

16 au 25 avril 2000 - MISSION AUX ÉTATS-UNIS

AMBASSADE DE FRANCE :

M. le Ministre Conseiller BARRY DELONGCHAMPS
M. BABINET
M. PAILLE
M. LACOSTE
M. ALLAIRE
M. WAUQUIEZ

EXECUTIVE OFFICE OF THE PRESIDENT OF THE UNITED STATES

M. MOORE

PENTAGONE :

M. BERKOWITZ
M. COSTELLO
M. RITCHESON
Colonel PRICE
M. SWIDER

ARIANESPACE INC.

M. MONDALE

NASA HEADQUARTERS WASHINGTON :

M. GOLDIN
Mme CLINE
Mme DIAZ
M. AMSTRONG
M. O'BRIEN
M. READDY

NASA GODDARD SPACE FLIGHT CENTER (BALTIMORE)

Mme KIEZA
Mme CHEEKS
M. SOFFEN
M. MITCHELL
M. FAIR

NASA JOHNSON SPACE CENTER (HOUSTON)

M. ABBEY
M. HOFFMAN
M. MURATOR
M. PACKHAM
M. CHRÉTIEN
M. CLERVOY
M. PERRIN
M. TOGNINI
M. le Consul Général P LEPETIT

NASA J ET PROPULSION LABORATORY (PASADENA)

Mme PALEY
Mme MC KENZIE
M. MONJIAN
M. STONE
M. DUMAS
M. KUNSTMANN
M. FUJISHIN

CONSULAT GÉNÉRAL DE LOS ANGELES

M. le consul Général Y. YELDA

STÉ HUGHES

M. MAEHL
M. ROSER
M. WYATT

STÉ LOCKEED MARTIN

M. JACOB (PALMDALE)

28 juin 2000 - COLLOQUE « L'HOMME DANS L'ESPACE »

INTERVENANTS

M. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Ministre de la Recherche
M. Christian PONCELET, Président du Sénat

Mme AMMAR-ISRAËL (CNES)
Dr ANDRÉ-DESHAYS, Astronaute
M. ARNOULD, Docteur en théologie
M. BERTHOZ, CNRS
Dr BEYSENS, CEA
M. BLAMONT, CNES
M. CLERVOY, Astronaute
M. COUILLARD, Aérospatiale Matra Lanceurs
M. DUCOUT, Groupe parlementaire pour l'Espace
M. ESTERLE,, SGDN
M. FAVIER, Astronaute
M. FEUSTEL-BÛECHL, ESA
Mme GARGIR, CNES
Pr. GHARIB, Université Claude Bernard Lyon 1
Dr GÛELL, CNES
M. HAIGNERÉ, Astronaute
Dr HOFFMAN, Astronaute NASA
M. LORIDANT, sénateur
M. MALERBA, Astronaute, Ancien Député européen
M. MIKOL, AVENTIS-PHARMA
M. POLECHTCHOUK, Cosmonaute, RSC ENERGIA
Pr SALOMON, Conservatoire National des Arts et Métiers
M. SUCHET, CNES
M. VACHON, Agence spatiale canadienne
M. ZAPOLLI, CNES

M. ROUGIER (Radio France)

9 au 13 juillet 2000 - MISSION EN RUSSIE

AMBASSADE DE FRANCE :

M. Claude BLANCHEMAISON, Ambassadeur de France en Russie
M. FALGE
M. DE LAGARDE
M. BERGER
M. CAGNARD

REPRÉSENTANTS D'ENTREPRISES ET D'INSTITUTIONS EUROPÉENNES ÉTABLIES EN RUSSIE :

M. BOURREAU (AÉROSPATIALE MATRA)
M. SIORAT (ALCATEL SPACE)
M. SOREL (SEXTANT)
M. FOURNIER-SICRE (ESA)

ROSAVIAKOSMOS

M. MEDVEDTCHIKOV
M. POLITCHOUK

STÉ KROUNITCHEV

M. LEBEDEV
M. SPERAK
M. PIRNYUK

STÉ ENERGUIA

M. DERECHIN
M. LEGOSTAEV

4 au 7 octobre - MISSION au JAPON

AMBASSADE DE FRANCE :

M. GOURDAULT-MONTAGNE, Ambassadeur de France au Japon
M. ISRAËL
M. PALUCH

REPRÉSENTANTS D'ENTREPRISES ET D'INSTITUTIONS EUROPÉENNES ÉTABLIES AU JAPON :

M. CLAUDON (ARIANESPACE)
M. SEVAISTRE (EADS)
M. PARENT (SNECMA)
M. THÉOVAL (THOMSON-CSF)

AGENCE POUR LA SCIENCE ET LA TECHNOLOGIE :

M. IKEDA
M. YUKI

COMMISSION DE L'ACTIVITÉ SPATIALE :

M. NAGARA
M. KURINI.
M. IGUCHI

KEIDANREN (FÉDÉRATION JAPONAISE DES ORGANISATIONS ÉCONOMIQUES) :

DÉLÉGATION CONDUITE PAR M. UEDA

ISAS :

M. TSURUDA
M.. NAKATANI
M. MIZUTANI

IHI :

M. ANO
M. INOUE
M. KONDO
M. NAGANO
M. ITO

SHIMIZU :

M.YOSHIDA
M. NAZAKI
M. ONUKI

NEC :

M. MURATA
M. KITAHARA
M. ORII

MITSUBISHI :

M.SUZUKI
M. OISHI
M. KIMURA

NASDA :

M. SAITO
M. FUJITA
M. NAKAMURA
M. NAGATOMO (CENTRE SPATIAL DE TSUKUBA)

Jeudi 12 octobre 2000 - GIFAS (Groupement des Industries françaises aéronautiques et spatiales)

Mme FARFAL (DASSAULT AVIATION)
Mme THOULOUSE (ALCATEL SPACE)
Mme LE BRETON (GIFAS)
M. DE BAYSER (ALCATEL SPACE)
M. DARRICAU (ASTRIUM)
M. JOUAN (ASTRIUM)
M. CHARRON (EADS LANCEURS)
M. AYMAR (EADS LANCEURS)
M. BORIES (THOMSON CSF)

Jeudi 19 octobre 2000

M. HEIDMAN, ASSOCIATION PLANÈTE MARS
Mme.MORDELET, TESAM, -GLOBALSTAR

Jeudi 9 novembre 2000

M. JANICHEWSKI, Dir. Stratégie, CNES
M. GAUBERT, EUROSPACE

Vendredi 10 novembre 2000

M. COUILLARD, Président Directeur Général EADS LANCEURS

Mercredi 15 novembre 2000

M. PASCO, Fondation pour la recherche stratégique

Jeudi 16 novembre 2000

M. RABAULt, Président Directeur Général ONERA
M. DE GLINIAS, ONERA
M. JOUAILLEC, ONERA
M. LAFAYE, ONERA
M. BONNEVILLE, Directeur Exploration de l'Univers CNES

Mercredi 22 novembre 2000

M. BARRE, Dir. Programmes et Affaires industrielles, CNES
M. LUTON, Président Directeur Général,ARIANESPACE

Jeudi 23 novembre 2000

M. BORIES, THOMSON-CSF
Mme SOURISSE, Président Directeur Généra SKYBRIDGE
M. BESSE, SNECMA
M. HERTEMAN Directeur Général SNECMA
M. BESSE, SNECMA
M. LANÇON, SNECMA

Mardi 28 novembre 2000

M. DAUTRIAT, CNES dir. LANCEURS
M. EYMARD, CNES dir. LANCEURS

Mercredi 29 novembre 2000

M. GIGET, EUROCONSULT
M. DORDAIN, ESA dir. STRATÉGIE

Jeudi 30 novembre 2000

Mme. THOULOUZE, ALCATEL SPACE

Mercredi 6 décembre 2000

M. PLATARD, CNES, Dir. Relations Internationales
M. MATHIEU, CNES, Dir. Télécommunications
Général LORENZI, CNES, Défense

Jeudi 7 décembre 2000

Général MOLARD, Etat-Major de l'Armée de l'Air
M. HUSSON, Président Directeur Général d'ALCATEL SPACE

Mercredi 13 décembre 2000

M. REVELLIN-FALCOZ, Vice-Président Directeur Général DASSAULT AVIATION
M. ROUSSEL, DASSAULT-AVIATION
M. GATHIER, DASSAULT-AVIATION
M. STOUFFLET, DASSAULT-AVIATION
Mme FARFAL, DASSAULT-AVIATION
M. FOING, ESA SMART-1

Mercredi 20 décembre 2000

M. BONNET, ESA Dir. Programme scientifique
M. FELLOUS, CNES, Dir. Observation de la Terre

Jeudi 21 décembre 2000

M. GUELL, CNES, Dir. Sciences de la Vie
M. BRISSON, ESA, Transferts de technologies
M. BLAMONT, Conseiller du Directeur Général, CNES
M. SCHWARTZENBERG, Ministre de la Recherche

Lundi 22 janvier 2001

M. KRÖL, Président DLR
M. SCHULDE, DLR

Jeudi 25 janvier 2001

M. COLLET BILLON, DGA (SPOTI)

6 au 9 mars 2001 : MISSION À KOUROU

M. CARLIER, Président Directeur Général SOCIÉTÉ ASTRIUM
Amiral BERGOT, SOCIÉTÉ ASTRIUM
M. CHAMUSSY, SOCIÉTÉ ASTRIUM
M. LUTON, Président Directeur Général SOCIÉTÉ ARIANESPACE
Mme BOUZITAT, SOCIÉTÉ ARIANESPACE
M. LAURENT SOCIÉTÉ ARIANESPACE

Mardi 27 mars 2001

M. BRACHET, Directeur Général du CNES

Mercredi 28 mars 2001

M. BENSOUSSAN, Président du CNES

Mercredi 4 avril 2001

M. RODOTA, Directeur Général de l'ESA
M. SACOTTE, ESA

Jeudi 5 avril 2001 : MISSION À BRUXELLES

M. TRESTOUR, COMMISSION EUROPÉENNE
M. METTHEY, COMMISSION EUROPÉENNE
M. HAMELIN, COMMISSION EUROPÉENNE

REPRÉSENTATION PERMANENTE DE LA FRANCE AUPRÈS DE L'UNION EUROPÉENNE :

M. DE MONTLUC

Le Sénat sur internet : http://www.senat.fr

minitel : 3615 - code senatel

L'Espace Librairie du Sénat : tél. 01 42 34 21 21

* ( 1) Ce mot est apparu dans la langue française au XVIème siècle et ne constitue nullement une importation de l'anglais

* ( 2 ) European Space Research Organization : Organisation européenne de recherches spatiales, créée en 1962.

* ( 3 ) European Launcher Development Organization : Centre Européen pour la Construction de Lanceurs d'Engens Spatiaux, créé en 1962.

* ( 4 ) Commission to assess United States national security space management and organization.

* ( 5 ) Le marché contracté représente les satellites qui, à une date donnée, ont choisi leurs fournisseurs de service de lancement tandis que le marché ouvert n'a pas encore choisi de fournisseurs à cette même date. Le marché est considéré captif quand la sélection du fournisseur de service de lancement ne se fait pas sur la base d'un appel d'offre international ouvert.

* ( 6 ) L'Usine nouvelle (11.01.2001)

* ( 7 ) cf. Annexe 2 - Mission Guyane du CNES : objectifs de première approche en emplois.

* ( 8 ) Successeur de Donald Rumsfeld, nouveau secrétaire d'Etat à la Défense, à la Commission du Congrès chargée de la sécurité spatiale des États-Unis.

* ( 9 ) Cf. Annexe 1 : Les enjeux de la propulsion spatiale.

* ( 10 ) Cf. Annexe n°3 : Les micro et minisatellites dans les pays en développement.

* ( 11 ) Extrait du document du Surrey Satellite Technology Ltd. : « Les satellites en développement au SSTL (2001-2003).

* ( 12 ) Alcatel Space, filiale commune d'Alcatel (51 %) et de Thales (ex-Thomson CSF, 49 %), a hérité des activités spatiales de ces deux groupes et de celles de l'ex-Aérospatiale. Astrium, détenu par le groupe EADS (75 %) et le britannique BAE Systems (25 %), a hérité des activités spatiales de Matra, de l'ex-British Aerospace et de l'ex-DASA (Allemagne).

* ( 13 ) Cf. Annexe 4 : Principales technologies développées par le programme Stentor.

* ( 14 ) cf. Annexe 5 : Innovations technologiques indispensables pour les télécommunications spatiales.

* ( 15 ) Cf. Annexe 8 : Participations d'astronautes français à des vols habités 1982-2000.

* ( 16 ) Space flight is POLITICAL and DIPLOMATIC. The « show-off » factor and the symbolism have always been major motivations for government financing of major programs. For example, the goal of Project Apollo, to demonstrate American technological superiority was fully accomplished. Today, the International Space Station is a diplomatic tool to keep other potential spacecompetitors engaged in a project led by the United states.

James E. Oberg - Space Power Theory

* ( 17 ) Enhanced international cooperation should be sought, not only for its programmatic benefits, but also because it is the preferred way to influence the direction of future space undertakings around the world.

A post cold war assessment of US space policy, National Space Council. Décembre 1992.

* ( 18 ) Cf. pages 83 et 84 de ce rapport..

* ( 19 ) Cf. Annexe 6-1 : Recherche - Sciences de lUunivers..

* ( 20 ) Cf. Annexe 6-2 : Recherche - Exobiologie.

* ( 21 ) Cf. Annexe 6-3 : Recherche - Physique fondamentale.

* ( 22 ) UMTS - Universal Mobile Telecommunications Systems.

Norme qui permet de transmettre des données à haut débit sur les réseaux de téléphonie mobile.

* ( 23 ) ADSL - Asymetric Digital Subscriber Line.

Norme qui permet de faire transiter par le réseau téléphonique normal de gros débits de données, jusqu'à six mégabits par seconde.

* ( 24 ) Etude des perspectives d'évolution des marchés spatiaux à l'horizon 2005-2010. « La place du satellite dans la société de l'information ». EUROCONSULT.

* ( 25 ) Estimation EUROCONSULT

* ( 26 ) Cf. Annexe 10 : Le progiciel SIMPLE.

* ( 27 ) Telesat Canada propose de lancer, en 2005, pour répondre à la demande du gouvernement fédéral un satellite destiné à fournir des services multimédia à destination des institutions et des particuliers, notamment dans les régions isolées.

* ( 28 ) Emercase regroupe des chercheurs de l'Inra, du CNRS, du CEA, du CNES, du Cirad, des université, du service de santé des armées, ainsi que des partenaires étrangers, dont la Direl (direction de l'élevage) au Sénégal.

* ( 29 ) DVB - Digital Video Broadcast - Standard Global pour la radiodiffusion de la télévision numérique

MPEG - Moving Pictures Expert Group - Normes de compresion video et multimedia.

* ( 30 ) cf. Annexe

* ( 31 ) cf. Annexe

* ( 32 ) Cf. Annexe 11 : Intérêt de l'observation de la Terre pour l'agriculture et pour l'aménagement du territoire.

* ( 33 ) Cf. Annexe 12 : Télédétection et environnement.

* ( 34 ) cf. Annexe

* ( 35 ) Groupement de Recherche en Géodésie Spatiale : organisme de recherche commun au Bureau des Longitudes, au CNES, à l'IGN et au CERCA.

* ( 36 ) «Deter proliferation of competing systems and allow US industry the best chance of maintaining its current leadership position in growing commercial markets »

in : SPACE emerging options for national power » Dana J. Johnson Scott Pace. C. Bryan-Gabbard RAND

* ( 37 ) « The U.S. is a world leader in space technology and the conversion of defence ressources to protect that leadership would be a valuable way to enhance US competitiveness ».

* ( 38 ) « If the United States continues to provide a free high-quality signal, it is doubtful that anyone else will undertake the expense of building a comparable global space system. US control of the space segment of GPS allows for protection of US military interests, while commercial competition in ground-based GPS equipment helps promote global economic growth »

* ( 39 ) Alcatel, Alenia Spazio, Astrium, Galileo Industries, Thales, TelespazIO ? EOIG, Sidereus, Aena, Casa, GMW, Hispasat, Logica, etc...

* ( 40 ) Convention de l'Agence Spatiale Européenne

Article II - Mission. L'Agence a pour mission d'assurer et de développer les coopérations, à des fins exclusivement pacifiques. La coopération entre Etats européens [...]

c : ... en coordonnant le programme spatial européen et les programmes nationaux, et en intégrant ces derniers progressivement et aussi complètement que possible dans le programme spatial européen, ...

* ( 41 ) cf. Annexe 14 : Résolution sur la stratégie européenne pour l'Espace.

* ( 42 ) « If the United States is to fully benefit from emerging opportunities in spacepower, it will have to :

- expand its definition of spacepower to include non military space capabilities ;

- aggressively pursue the integration of space with other forms of military power ;

- identify and protect space-based functions that are critical to the nation as a whole (not being limited to military missions) ; and- work with non military organizations to shape the future battlespace for space operations, beginning with space-based information technologies »

« Space emerging options for national power », Dana J. Johnson, Scott Pace, C. Bryan-Gabbard, RAND, 1998.

* ( 43 ) Hélios II-A sera lancé en 2004 et Hélios II-B, vraisemblablement, en 2005.

* ( 44 ) Celles-ci ont été définies lors du Conseil ministériel de l'UEO qui s'est tenu à Petersberg en juin 92. Il s'agit de missions humanitaires et d'évacuation, de missions de maintien de la paix et de missions de force de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix.

* ( 45 ) « We seek new levels of joint cooperation with other nations, [...], yet we simultaneously compete for preeminence and the preservation of national security. There are, in short, elements of both cooperation and competition in the picture.

Arnold W. Frutkin - International Cooperation in Space - Prentice Hall - 1965.

* ( 46 ) Cf. Annexe 15 : Extrait du projet de contrat d'objectifs Etat-CNES 2002-2005.

* 47 Cette activité stratégique a été renforcée en France, dans la seconde moitié des années 80, après les échecs d'Ariane 1 aux vols V15 et V18 qui nécessitaient des travaux de compréhension. Elle a permis au CNES de mener une politique d'innovation progressive dans le domaine des lanceurs et aux industriels, de répondre aux problèmes opérationnels

* 48 Améliorer de 1% l'efficacité du Vulcain d'Ariane 5, permet d'augmenter la charge utile de 350 kg en orbite de transfert géostationnaire (soit près de 800 kg en orbite basse)

* (49) L'USSPACECOM détaille pour tout objet orbital suivi son orbite, et, dans la mesure où il est possible de les déterminer, sa nationalité, sa date de lancement ou son satellite d'origine, etc.

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