V. LE RETOUR ... DES « RETOURS POUR LES FINANCES PUBLIQUES » : LA GRANDE MENACE SUR LA SÉCURITÉ SOCIALE

La presse s'est fait l'écho des premières conclusions de votre rapporteur au lendemain de son contrôle du 14 février 2001. Cette « indiscrétion » a eu le mérite de provoquer une réaction du Gouvernement dont l'analyse constitue en quelque sorte l'épilogue du présent rapport.

Si le Gouvernement ne conteste pas les déficits du FOREC, qu'il connaît mieux que quiconque, il prétend exhumer la vieille théorie des « retours » pour les finances sociales de la réduction du temps de travail.

A. LA BOUCLE EST BOUCLÉE

1. La théorie des « retours » au secours de « l'impasse » du FOREC

Le 7 mars 2001, sur France 2, Mme Elisabeth Guigou a souligné sa volonté d'étudier le financement des trente-cinq heures « en concertation avec les partenaires sociaux ». La ministre de l'Emploi et de la Solidarité a rappelé que l'an dernier « près de 500.000 personnes ont retrouvé un emploi, beaucoup (sic) grâce aux 35 heures ». Ces 35 heures « produisent des dépenses et génèrent des recettes à la fois pour l'Etat et pour la sécurité sociale ». Il « est normal » a-t-elle ajouté, de faire la « balance entre les dépenses supplémentaires et les recettes supplémentaires reçues » et de voir « comment trouver un bon équilibre pour financer les 35 heures » .

Votre commission a toujours considéré que la théorie des « retours » n'était que l'habillage pseudo-économique d'une « partie de bras de fer » consistant à faire supporter à la protection sociale le coût de mesures décidées par l'Etat.

Tant M. Louis Souvet, dans son rapport sur le projet de loi d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail 34( * ) , que votre rapporteur, dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 35( * ) , ont fait valoir les nombreuses raisons qui rendaient cette théorie irrecevable :

- toute mesure d'exonération de cotisations pourrait légitimer la théorie des retours : il est étonnant, à ce titre, que le Gouvernement n'ait pas appliqué une telle théorie à la « ristourne dégressive de CSG » puisque cette mesure était censée favoriser le « retour à l'emploi » ;

- l'effet de la modération salariale liée à la réduction du temps de travail n'est pas pris en compte 36( * ) ;

- toute tentative d'une comptabilisation des emplois créés par les trente-cinq heures est vaine comme l'a montré, l'an dernier, la mission de contrôle sur la gestion des exonérations de cotisations de sécurité sociale 37( * ) ; en 1998, le Gouvernement avait l'ambition de « quantifier à l'unité près » 38( * ) ce nombre d'emplois mais force est de constater que la loi Aubry II ne comporte aucune contrainte dans ce domaine et que le Gouvernement confond, de manière générale, les « engagements » et les créations d'emplois ;

- la théorie des retours compromet la nécessaire clarification des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale ainsi que le bien-fondé des efforts demandés aux gestionnaires, aux assurés, comme aux professionnels de santé pour assurer une maîtrise des dépenses ;

- elle fait peu de cas de la quinzaine de milliards de francs d'exonérations de cotisations non compensés, qui sont à la charge de la sécurité sociale .

Point n'est donc besoin de revenir longuement sur ces raisons avancées en 1998 et 1999, sinon que les partenaires sociaux, unanimes, avaient fait reculer le Gouvernement en octobre 1999.

Or, si le « retour » de la théorie des retours est l'ultime ligne de défense du Gouvernement, il constitue également un retour à la case départ, c'est-à-dire au schéma initial des « contributions » des organismes de sécurité sociale au financement des trente-cinq heures.

2. ... alors la sécurité sociale finance déjà les trente-cinq heures, à la différence de l'Etat

« L'idée d'une participation de la sécurité sociale au financement de la RTT n'a jamais été acceptée par les partenaires sociaux. C'est la raison pour laquelle nous avons dû opérer par transferts de recettes au moyen de la « tuyauterie » mise en place dans le cadre des LFSS pour 2000 et 2001. » La note de la Direction de la sécurité sociale du 24 janvier 2001 ne manque pas de franchise.

De fait, sur l'exercice 2000, la sécurité sociale contribue à hauteur de 11 milliards de francs au financement des trente-cinq heures. Ses recettes, qui ont été détournées au profit du FOREC représentent 18,6 % des ressources de ce fonds (59 milliards de francs).

Sur l'exercice 2001, la « participation » de la sécurité sociale est de 18,5 milliards de francs (droits alcools + droits tabacs soustraits de la CNAMTS) sur les 79,3 milliards de francs attendus, soit 23,3 % du total.

Cette participation dépasse ainsi largement ce qui était initialement prévu, puisque la sécurité sociale était censée financer un tiers des nouvelles aides pérennes et incitatives (donc en dehors des 40 milliards de francs de la ristourne Juppé), participation qui pouvait être évaluée à 7 milliards de francs en 2000 (soit un équivalent de 11 % des recettes) et 11 milliards de francs en 2001 (soit 13,9 %).

Ce qui veut dire que, malgré l'opposition des partenaires sociaux et du Sénat, la sécurité sociale participe d'ores et déjà au financement des trente-cinq heures bien au-delà d'une quote-part pourtant elle-même inacceptable : près de 30 milliards de francs en 2000-2001 contre 18 milliards de francs exigés au titre de la clef de répartition établie par le ministre de l'Economie et des Finances.

Parallèlement et simultanément, l'Etat s'est exonéré lui-même de la théorie des retours : il ne finance plus rien des trente-cinq heures. Certes, il a perdu des recettes (tabacs, taxes sur les conventions d'assurance, taxe sur les véhicules de sociétés), mais en contrepartie de diminution de dépenses (ristourne Juppé, allégement de Robien).

En outre, le Gouvernement a mis en place des « tuyauteries » lui permettant de substantielles économies budgétaires au dépens des comptes sociaux : transfert à la CNAF de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire et au FSV du financement de la dette contractée à l'égard de l'ARRCO et de l'AGIRC.



Source : rapport Sénat n° 67 (2000-2001) tome I.

Ainsi, en 2001, la loi de financement de la sécurité sociale, devenue « loi de financement des trente-cinq heures », prévoyait les transferts financiers suivants :

Modifications d'affectations de recettes et d'imputations de dépenses
Les « tuyauteries » de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001

(en millions de francs)

Organismes

Mesures

Recettes

Dépenses

CNAMTS

Baisse fraction droits sur les tabacs

-7 096

 
 

Disparition fraction prélèvement social de 2 %

-920

 
 

Relèvement du taux de la CSG maladie

7 515

 
 

CHAA - CHRS

 

54

 

Total

-501

54

 

SOLDE

 

-555

CNAF

Disparition fraction prélèvement social de 2 %

- 1.495

 
 

Majoration allocation rentrée scolaire

 

4 100

 

Fraction majorations retraite 3 enfants

 

2 910

 

FASTIF

 

-1 100

 

Total

-1 495

5 910

 

SOLDE

 

-7 405

FSV

Perte des droits sur les alcools

-5 669

 
 

Affectation prélèvement social 2 %

2 300

 
 

Baisse taux CSG

-7 515

 
 

Fraction majorations retraite 3 enfants

 

-2 910

 

AGIRC - ARRCO

 

2 884

 

Cessation anticipée d'activité

 

130

 

Total

-10 884

104

 

SOLDE

 

-10 988

ETAT

Taxe sur conventions d'assurance

-3 986

 
 

Vignette véhicules des sociétés

-4 000

 
 

CHAA - CHRS

 

-54

 

MARS

 

-4 100

 

FASTIF

 

1 100

 

Droits tabacs

-3 138

 
 

Suppression contribution Etat au FOREC

 

-4 300

 

Cessation anticipée d'activité

 

-130

 

AGIRC - ARRCO

 

-2 884

 

Débudgétisation de Robien + exos

 

-3630

 

Total

-11 124

-13 998

 

SOLDE

 

2.874

FOREC

Affectation droits sur les alcools

5 669

 
 

Fraction taxe sur les conventions d'assurance

3 986

 
 

Vignette véhicules sociétés

4 000

 
 

Droits tabacs

10 234

 
 

Suppression contribution Etat

-4 300

 
 

Dépenses de Robien + exos familiales

 

3 630

 

Total

19 589

3 630

 

SOLDE

15 959

 

Fonds de réserve

Affectation prélèvement social 2%

115

 
 

TOTAL DES SOLDES

- 4.300

- 4.300

Au total, la sécurité sociale a déjà été ponctionnée lourdement et au-delà de ce qu'exigeait l'application d'une théorie qui est désormais ramenée à ce qu'elle n'a jamais cessé d'être : l'habillage d'une confiscation des excédents sociaux.

Et pourtant, face aux déficits persistants du FOREC, le Gouvernement entend, semble-t-il, aller plus loin encore au nom du « bon équilibre pour financer les trente-cinq heures ».