L'avenir de la montagne : un développement équilibré dans un environnement préservé

AMOUDRY (Jean-Paul)

RAPPORT D'INFORMATION 15 (2002-2003) - MISSION COMMUNE D'INFORMATION

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Table des matières




N° 15

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003

Annexe au procès-verbal de la séance du 9 octobre 2002

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission commune d'information (1) chargée de dresser un bilan de la politique de la montagne et en particulier de l 'application de la loi du 9 janvier 1985 , de son avenir , et de ses nécessaires adaptations ,

Par M. Jean-Paul AMOUDRY,

Sénateur.

TOME II : AUDITIONS

(1) Cette mission commune d'information est composée de : M. Jacques Blanc, président ; M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur ; MM. Auguste Cazalet, Jean-Pierre Vial, Michel Moreigne, Mme Josette Durrieu, M. Pierre Hérisson, vice-présidents ; MM. Gérard Bailly, Jean-Paul Émin, François Fortassin, Mme Josiane Mathon, M. André Rouvière, secrétaires ; M. Jean-Paul Alduy, Mme Michèle André, MM. Jean-Pierre Bel, Roger Besse, Jean Boyer, André Ferrand, Charles Ginésy, Georges Gruillot, Pierre Jarlier, Philippe Leroy, Paul Loridant, Jean-Pierre Masseret, Paul Natali, Roger Rinchet, Bernard Saugey, Daniel Soulage.


Aménagement du territoire.

SOMMAIRE

Pages

1. Audition de M. François Philizot, directeur, adjoint au délégué à la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), accompagné de Mme Hélène Jacquet-Monsarrat, chargée de mission (3 avril 2002) 7

2. Audition de M. Gilles Bazin, professeur de politique agricole à l'Institut national agronomique Paris-Grignon, rapporteur de l'évaluation de la politique de la montagne au Commissariat général du Plan (3 avril 2002) 20

3. Audition de M. Yves Cassayre, délégué national aux actions de restauration des terrains en montagne (RTM) (3 avril 2002) 30

4. Audition de M. François Sivardière, directeur de l'Association nationale pour l'étude de la neige et des avalanches (ANENA) (3 avril 2002) 40

5. Audition de M. Patrice Vermeulen, directeur des entreprises commerciales, artisanales et de services auprès du ministre délégué à l'industrie, aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation (23 avril 2002) 51

6. Audition de M. Pierre Radanne, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) (23 avril 2002) 63

7. Audition de M. Bernard Baudin, président de l'Association nationale des chasseurs de montagne, membre du Conseil national de la montagne (23 avril 2002) 73

8. Audition de M. Christian Dubreuil, directeur des exploitations, de la politique sociale et de l'emploi au ministère de l'agriculture et de la pêche, accompagné de M. Jean-Claude Tarty, chef de bureau de la montagne et du pastoralisme (15 mai 2002) 79

9. Audition de Monsieur Henri Savornin, président de la Fédération française d'économie montagnarde (15 mai 2002) 97

10. Audition de M. René Sournia, président de la Commission internationale pour la protection des Alpes (CIPRA) (15 mai 2002) 108

11. Audition de M. Philippe Martin, directeur du Service d'études et d'aménagement touristique de la montagne (SEATM) (15 mai 2002) 117

12. Audition de MM. André Marcon, président de l'Union des chambres de commerce et d'industrie du Massif central, président de la Chambre régionale de commerce et d'industrie Auvergne, premier vice-président de l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI) et Marc Gastambide, directeur général adjoint de l'ACFCI (15 mai 2002) 129

13. Audition de MM. Claude Falip, responsable du dossier de la montagne des « Jeunes Agriculteurs », Michel Lacoste et Yannick Fialip (22 mai 2002) 142

14. Audition de M. Dominique Barrau, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des Syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), chargé de la montagne, accompagné de MM. Jean-Luc Birnal et Nicolas Hartog, chargés de mission (22 mai 2002) 154

15. Audition de M. François Servoin, professeur de droit à l'Université de Grenoble (22 mai 2002) 166

16. Audition de Mme Brigitte Phémolant, sous-directrice du droit de l'urbanisme à la Direction générale de l'habitat et de la construction au ministère de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, accompagnée de M. Philippe Baffert, chef du bureau de la législation et de la réglementation (29 mai 2002) 178

17. Audition de M. José Rey, chef du Service central des enquêtes et études statistiques au ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (29 mai 2002) 190

18. Audition de Mme Claudine Zysberg, chargée de mission à la Direction des études économiques et de l'évaluation environnementale du ministère de l'écologie et du développement durable (29 mai 2002) 201

19. Audition de M. Jean Faure, questeur du Sénat, ancien président de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM), vice-président de l'Association des maires des stations françaises de sports d'hiver et d'été (AMSFSHE) (29 mai 2002) 211

20. Audition de M. Jean-Charles Faraudo, président du syndicat national des téléphériques de France (SNTF) accompagné de M. Jean-Charles Simiand, délégué général (29 mai 2002) 221

21. Audition de M. Jean-Paul Chirouze, directeur de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse (18 juin 2002) 233

22. Audition de M. Dominique Cairol, ingénieur général du génie rural des eaux et forêts (CEMAGREF), adjoint au chef du département « gestion des territoires » (18 juin 2002) 245

23. Audition de MM. Bernard Rousseau, inspecteur général du tourisme, Alain Wauters, inspecteur général de la construction, représentant du conseil général des Ponts et Chaussées et Louis Blaise, inspecteur général de l'environnement, chargés d'une mission interministérielle sur la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne (18 juin 2002) 250

24. Audition de MM. Philippe Huet et Bernard Glass, ingénieurs du génie rural des eaux et forêts de l'inspection générale de l'Environnement (19 juin 2002) 261

25. Audition de Mme Marie Guittard, adjointe au directeur des politiques économiques et internationales, chef de la production et des marchés au ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (19 juin 2002) 273

26. Audition de M. Jean-Louis Cazaubon, vice-président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), accompagné de M. Sylvain Confida, conseiller (19 juin 2002) 284

27. Audition de M. Michel Badré, directeur général adjoint de l'Office national des forêts (25 juin 2002) 291

28. Audition de MM. Alain Griset, président de l'Assemblée permanente des chambres de métiers (APCM), Jacques Grassi, président de la Chambre des métiers des Hautes-Pyrénées, représentant de l'APCM au sein de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM) et Jean Vaquié, président de la Chambre des métiers de l'Aude (25 juin 2002) 304

29. Audition de M. Bernard Debarbieux, directeur du laboratoire « territoire, environnement montagnard et organisations sociales » à l'Institut de géographie alpine de Grenoble (26 juin 2002) 316

30. Audition de Mme Anne-Marie Comparini, présidente du Conseil régional de Rhône-Alpes, membre de l'association des Régions de France (26 juin 2002) 326

31. Audition de M. Louis Besson, ancien ministre, ancien président de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM), maire de Chambéry (26 juin 2002) 336

32. Audition de M. Pierre Rémy, délégué général de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM) (26 juin 2002) 349

33. Audition de M. Gilbert Blanc-Tailleur, président de l'association des maires des stations françaises de sports d'hiver et d'été (AMSFSHE) (26 juin 2002) 360

34. Audition de MM. Marc Maillet, membre du conseil d'administration de France Nature Environnement et membre du Conseil national de la montagne, Eric Feraille, représentant du réseau Montagne de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA) et Gilles Privat, secrétaire général de Mountain Wilderness (26 juin 2002) 371

35. Audition de M. Didier Borotra, sénateur, maire de Biarritz, président de l'Association nationale des maires des stations classées et des communes touristiques (ANMSCCT), accompagné de Mme Géraldine Leduc, directrice générale et M. Renaud Colin, chargé de mission (2 juillet 2002) 392

36. Audition de MM. André Radier, président de l'Ordre des géomètres experts, Pierre Bibollet, membre du Conseil supérieur de l'Ordre des géomètres experts et Jean Godfroid, ancien préfet, secrétaire général de l'Ordre des géomètres experts (2 juillet 2002) 404

37. Audition de M. Michel Teyssedou, ancien président de la chambre d'agriculture du Cantal (2 juillet 2002) 413

38. Audition de M. René Peltier, président de France Ski de Fond, accompagné de M. Louis Ours, directeur (3 juillet 2002) 425

39. Audition de M. Jean-Paul Fuchs, président de la fédération nationale des parcs naturels régionaux (3 juillet 2002) 436

40. Audition de M. Robert de Caumont, président de l'Association pour le développement économique de la Haute Durance (ADECOHD), accompagné de Mme

Jacqueline Fabre (3 juillet 2002)
447

41. Audition de Madame Claude Nahon, directeur, déléguée au domaine hydraulique à Electricité de France, accompagnée de M. Alain Véry, directeur de l'unité de production Sud Ouest (3 juillet 2002) 464

42. Audition de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (16 juillet 2002) 475

43. Audition de Mmes Josette Brosselin, directeur régional de Dexia Crédit Local, Françoise Bérard, responsable du marché intercommunalité et Béatrice Bernaud-Pau, directeur des relations institutionnelles (17 juillet 2002) 491

44. Audition de Mme Martine Laquieze, adjoint au sous-directeur des finances locales et de l'action économique au ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure, et des libertés locales accompagnée de M. Guillaume Chabert, chef du bureau des concours financiers de l'Etat (17 juillet 2002) 504

45. Audition de Maître Jacques Combret, notaire à Rodez, président de l'Institut d'études juridiques du Conseil supérieur du notariat (24 juillet 2002) 515

46. Audition de M. Paul Natali, sénateur de Haute-Corse, accompagné de MM. Henri Salvat, directeur de l'Office de développement agricole de la région Corse (ODARC), Etienne Suzzoni, président de la Chambre régionale d'agriculture de la région Corse, président de la Chambre départementale d'agriculture de Haute Corse, Jean Faraud, conseiller technique et Toussaint Felce, Président de la SAFER (24 juillet 2002) 527

47. Audition de M. Paul Vergès, sénateur, président du Conseil régional de La Réunion, et Mme Anne-Marie Payet, sénateur de La Réunion, accompagnés de Mme Pascale Jové, commissaire à l'aménagement des Hauts, et MM. Axel Hoareau, directeur de la Maison de la montagne et Vincent Le Dolley, directeur départemental de l'Agriculture et de la Forêt (24 juillet 2002) 548

48. Audition de M. Pierre Hérisson, sénateur, président du groupe d'études Postes et Télécommunications du Sénat (24 juillet 2002) 567

49. Audition de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer (25 septembre 2002) 573

50. Audition de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire (25 septembre 2002) 592

51. Audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable (8 octobre 2002) 614

1. Audition de M. François Philizot, directeur, adjoint au délégué à la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), accompagné de Mme Hélène Jacquet-Monsarrat, chargée de mission (3 avril 2002)

M. Michel Moreigne, Président - Je me permets de vous souhaiter la bienvenue et vous prie d'excuser le Président BLANC retenu dans sa circonscription électorale. Je donne tout de suite la parole, pour l'introduction à nos travaux, à notre Rapporteur.

M. Jean-Paul Amoudry, Rapporteur - Merci Monsieur le Président. Je veux à mon tour accueillir et remercier de leur présence M. Philizot et Mme Jacquet-Montsarrat, et saluer la présence de mes collègues sénateurs, en les remerciant de leur participation à nos travaux. Je veux rappeler à nos invités de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR) que le Sénat a décidé, il y a quelques semaines, la création d'une mission d'information sur la montagne. Cette mission est commune aux quatre commissions du Sénat que sont la commission des Affaires économiques et du Plan, la commission des Affaires étrangères, la commission des Finances et la commission des Lois.

Cette mission réunit les membres de tous les groupes politiques et je souhaite en rappeler la composition : le Président, Monsieur Jacques BLANC ; sénateur de Lozère, votre serviteur, sénateur de Haute-Savoie ; les vice-présidents, M. Auguste Cazalet des Pyrénées-Atlantiques, M. Jean-Pierre Vial de la Savoie, M. Michel Moreigne de la Creuse, Mme Josette Durrieu des Hautes-Pyrénées, M. Pierre Hérisson de Haute-Savoie, M. Gérard Bailly du Jura, M. Jean-Paul Émin de l'Ain, M. François Fortassin des Hautes-Pyrénées, Mme Josiane Mathon de la Loire et M. André Rouvière du Gard.

Les objectifs assignés à cette mission sont de deux ordres :

évaluer l'application de la politique montagne en référence notamment à la loi du 9 janvier 1985, dresser le bilan de cette politique

L'approche que nous avons définie consiste à aborder trois grands thèmes : l'aménagement des territoires de montagne ; l'économie, la protection du patrimoine montagnard.

proposer, le cas échéant, de nouvelles orientations, sur la base des trois thématiques que je viens d'évoquer ; adresser ces orientations à l'automne à l'adresse du nouveau gouvernement et du nouveau Parlement, au lendemain du renouvellement prévu en juin.

Nous voulons donc mettre à profit cette année où les travaux du Parlement sont suspendus pour travailler, à la fois sur le terrain et par la voie de missions. Notre chantier est ouvert dès aujourd'hui et pour ce faire, nous avons décidé d'inviter les dirigeants de la DATAR, de façon à bénéficier de votre expérience comme initiateurs et animateurs des politiques d'aménagement. Je vous laisse la parole, sur la base des questions que nous avons adressées à titre indicatif et sans préjudice d'autres sujets de discussion.

M. Michel Moreigne remercie M. le Rapporteur et invite M. François Philizot à débuter son audition.

M. François Philizot - Merci Monsieur le Président. Dans un souci de simplicité et de dialogue direct, je n'ai pas préparé de long exposé introductif ; je propose plutôt de partir effectivement des questions que vous m'aviez adressées. Bien évidemment, la DATAR est à la disposition de la mission pour lui apporter tous les éléments d'information qui lui seraient nécessaires. La montagne représente en effet un enjeu important auquel la DATAR est attachée, de longue date.

La DATAR s'est intéressée à la politique de la montagne avant même qu'une politique de la montagne soit instituée, c'est-à-dire depuis le début des années soixante-dix. Ainsi, les commissaires à l'aménagement des massifs ont été créés à partir du début de la décennie soixante-dix sur la base des textes relatifs à la rénovation rurale, notamment les dispositions du Code rural. Cet engagement de longue date s'est trouvé renforcé à travers la mise en oeuvre des dispositions de la loi "montagne" de 1985, notamment celles relatives au Comité National de la Montagne (CNM) et aux comités de massifs (CM). En effet, le décret relatif au CNM prévoit expressément que la DATAR assure le secrétariat de ce comité. Mutatis mutandis , cette implication est la même au niveau de chaque massif, chaque commissaire de massif assurant le secrétariat de chaque comité de massif.

L'ensemble du réseau DATAR est donc impliqué et joue un rôle d'animation, tant vis-à-vis des acteurs de la politique de la montagne que dans l'organisation interministérielle de ce dispositif. Je souhaite d'ailleurs souligner une spécificité : les espaces de montagne sont les seuls à bénéficier aujourd'hui d'un système institutionnel qui leur soit propre. Il n'existe en effet pas de Comité National du Littoral ou de Comité National des Zones de Reconversion Industrielle, pour reprendre quelques autres domaines d'intervention traditionnels de la DATAR.

A côté du Comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire (CIADT) qui est, depuis 1995, l'outil de cohérence de la politique du territoire, nous avons un Comité spécialisé qui joue à peu près le même rôle, puisque la préparation de chaque Comité national de la montagne est l'occasion de faire avancer un certain nombre de dossiers. Les élus du littoral revendiquent d'ailleurs un traitement analogue, ce qui a conduit à créer au sein du Conseil national d'aménagement et de développement du territoire (CNADT) une commission spécialisée sur le littoral.

Cette politique de la montagne est donc un engagement fort de la DATAR : sur un effectif de cent-cinquante personnes, les commissariats de massif représentent trente agents, ce qui est beaucoup à l `échelle de la DATAR. Il ne m'appartient pas de juger si la DATAR, dans son rôle administratif et interministériel est efficace ; en revanche je dois souligner que les outils institutionnels, notamment la mécanique du CNM, mais également les outils déconcentrés que sont les commissariats de massif et les Comités de massif (CM) sont reconnus comme des lieux d'échange et d'arbitrage relativement actifs et opérationnels. Je constate, à la faveur du dernier CNM que les ministères conçoivent bien le CNM comme un lieu de préparation et de mise en oeuvre des politiques gouvernementales.

En 1994 a été mise en place une mission d'évaluation de la loi « montagne », dont les conclusions sont riches d'enseignements. Cette mission intervenait près d'une décennie après le vote de la loi de 1985, à la fois dans une perspective immédiate de l'application de la loi, mais aussi plus générale, d'aménagement du territoire. Le diagnostic opéré par la mission d'évaluation était relativement optimiste quant à l'évolution globale des montagnes françaises. La situation des montagnes n'est certes pas uniforme : le Cantal et la Tarentaise ont par exemple connu des évolutions très divergentes. L'évolution est néanmoins plutôt globalement positive, plusieurs régions étant passées d'une logique de déclin très largement répandue à la fin des années soixante à une logique de renouveau.

Au-delà de ce constat positif qui laissait penser que l'action conduite par l'ensemble des acteurs de la montagne allait dans le bon sens, la mission d'évaluation avait insisté sur deux nécessités premières, à savoir :

- Insuffler un nouvel élan aux institutions de la montagne.

Il s'agit, sur ce point, de les doter de plus de permanence et d'en faire des lieux de proposition plus que des lieux de débats périodiques. Il était important que les institutions réformées par toute une série de décrets en 1995 deviennent des creusets de la conception de la politique de la montagne. Ceci a conduit, au sein du CNM, à un travail plus approfondi, autour de groupes de travail qui ont été particulièrement productifs. Les documents produits inspirèrent les décisions annoncées par le Premier Ministre au CNM du 5 février 2001, tendant notamment à la définition plus précise des fonctions de Préfet coordonateur de massif, à la redéfinition des fonctions de commissaires de massif ou à l'institution de la co-présidence de comités de massif entre le Préfet et le président de la Commission permanente.

Nous comptons transmettre au Conseil d'Etat dans les semaines à venir le projet de décret relatif au Préfet coordonnateur de massif et le projet de décret relatif aux commissaires de massif. En résumé, le projet est de disposer d'institutions plus vivantes, mieux intégrées dans le paysage administratif, avec des fonctions plus fortes pour ce qui concerne l'Etat. Il s'agit également d'aller vers une évolution du partage des responsabilités entre l'Etat et ses différents partenaires au premier rang desquels les collectivités locales.

- La nécessité d'avoir une approche globale et positive des zones de montagne

La mission d'évaluation a considéré que les zones de montagne ne devaient pas être entendues comme des zones accumulant les difficultés, mais comme des zones dotées d'atouts importants et constituant un élément-clé de l'équilibre du territoire national. C'est une nouvelle vision de la montagne, une vision appelant une approche d'ensemble qui associe les différentes activités et les différentes formes d'occupation de l'espace. Plus précisément, il ne s'agit pas d'avoir une politique agricole de la montagne, une politique touristique de la montagne ou une politique industrielle de la montagne. Bien au contraire, il s'agit d'avoir une approche d'ensemble, de la Limagne au massif du Cantal, le Grésivaudan de la même façon que le Trièves.

L'objectif est de ne pas séparer, tronçonner les espaces, les activités. En conséquence, l'utilisation d'outils permettant la mise en cohérence de ces politiques est accentuée, d'où la relance des travaux par exemple sur la pluriactivité. D'où la conclusion de conventions interrégionales de massifs pour la première fois dans le cadre des contrats de Plan Etat-Régions. Au-delà de cet effort, le gouvernement a proposé aux différentes régions d'avoir des conventions interrégionales de massif, dotées d'un budget de trois milliards de francs (1,2 milliard consacré aux activités socioéconomiques et 1,8 milliard pour les infrastructures, en particulier pour les infrastructures de transport).

Au-delà de ces aspects figure une idée forte : nous sommes dans une logique de valorisation de territoires spécifiques qui mérite d'être appuyée non pas dans une politique de réparation mais dans une politique de dynamisation de l'ensemble des espaces, donc dans la vision d'un territoire national complètement équilibré.

La politique de la montagne, comme celle ayant trait à l'aménagement du territoire, a été initiée par l'Etat dans une France non-décentralisée. L'Etat y avait plus de pouvoir et les Préfets y assuraient la tutelle des collectivités locales. Dans notre équilibre institutionnel, la politique d'aménagement du territoire telle qu'elle ressort des lois du 4 février 1995 et 27 juin 1999, est une politique forte de l'Etat. Il intervient en effet en tant que garant de l'équilibre économique et social de la nation, comme la loi du 2 mars 1982 le dispose.

Ceci étant, cette politique est conduite aujourd'hui dans un cadre différent, qui doit tenir compte de l'implication légitime des collectivités locales. Je ne pense pas qu'il faille considérer que la décentralisation soit une source de frein ou de complexité particulière. On retrouve dans le domaine de la politique de la montagne les difficultés traditionnelles de toute politique conjointe : les financements croisés ont leurs avantages en même temps qu'ils sont source de lourdeur et de complexité dans le montage des dossiers.

La loi montagne et l'évolution des outils institutionnels et administratifs ont clairement posé la nécessité pour l'Etat de travailler en étroit partenariat avec les collectivités locales. Ainsi, les comités de massif sont constitués majoritairement et légitimement de représentants des collectivités territoriales. Le gouvernement entend d'ailleurs suivre cette logique jusqu'à son terme : ainsi, la coprésidence des comités de massif témoigne de cette volonté d'une démarche partagée. De la même manière, « l'invention » des fonctions interrégionales est un signe de cette volonté de gérer et conduire la politique dans un cadre partagé.

Les questions que l'on peut se poser tournent largement autour de l'évolution de la décentralisation et des conséquences qu'il faudra en tirer sur la répartition des compétences. Ainsi, la période qui suivra les prochaines élections annonce vraisemblablement une nouvelle étape de la décentralisation, mais j'ignore quelles en seront les conséquences, notamment sur la politique de la montagne. Je crois en tout cas que les territoires de montagne sont encore plus concernés que d'autres par la nécessité de s'appuyer sur les outils de structuration territoriale mis en place par la loi Voynet et la loi Chevènement. Je pense particulièrement à tout ce qui concerne la coopération intercommunale et structuration en pays.

En effet, les territoires de montagne sont souvent fragiles d'un point de vue patrimonial et écologique, où la dispersion des habitats et la dilution des forces imposent d'autant plus de se regrouper. Ces territoires sont également la source de conflits d'intérêts, à l'image de l'opposition qu'il peut y avoir, notamment dans les Alpes entre des villes assez fortes et des zones rurales qui vivent dans leur orbite, tout en étant différentes. Il y a donc une nécessité d'avoir des outils permettant à la fois de structurer l'espace et de porter des projets de long terme, qui est encore plus forte que dans des zones où les problématiques d'aménagement sont plus aisées à définir. Ce territoire, doté de nombreux atouts tant agricoles que touristiques et industriels, mérite en effet d'être valorisé.

Le diagnostic que l'on peut établir aujourd'hui est qu'il n'y a pas de retard particulier en matière de coopération intercommunale et de pays, par rapport à d'autres zones. La structuration en pays est très largement liée aujourd'hui aux anticipations des acteurs de terrain, à l'image de la région Poitou-Charentes et de la Bretagne, plutôt qu'à la déclinaison brute de la loi. Nous sommes dans un contexte décentralisé et je ne crois pas que cela ait gêné la mise en oeuvre de la politique d'aménagement de la montagne.

Les schémas de service collectif représentent un outil sur lequel on peut s'appuyer. Il convient néanmoins de souligner que ces schémas dans leur génération actuelle, sont inégalement déclinés au niveau géographique. Ainsi, deux d'entre eux contiennent des approches géographiques spécifiques aux zones de massifs, notamment le schéma de transport (voyageurs et marchandises) concernant les traversées alpines et pyrénéennes. On parle souvent des Alpes, mais il existe également un vrai problème pour la traversée des Pyrénées, avec notamment l'engorgement d'Hendaye.

Le deuxième schéma traitant spécifiquement de la montagne est le schéma des espaces naturels et ruraux. Celui-ci identifie dix espaces à enjeu spécifique. On peut citer comme exemple un certain nombre de zones périurbaines.

Les autres approches déclinées géographiquement, comme le schéma de l'enseignement supérieur et de la recherche, le schéma de la culture, privilégient une approche interrégionale, faite de regroupements de régions et non pas de zonages transcendant les limites régionales, comme les zonages de massifs. Ce dernier ne semble en effet pas pertinent sur un certain nombre d'enjeux comme l'enseignement supérieur. Il en va ainsi pour les Alpes du Sud, où il est impossible de conserver cette logique pour ce qui concerne l'enseignement supérieur : les universités se trouvent à Avignon, à Marseille, à Toulon et à Nice. La même remarque vaut pour les Vosges qui dépendent de la capacité d'offre universitaire de Nancy, Metz, Strasbourg, Mulhouse voire Belfort-Montbéliard. Nous essayons donc de prendre en compte de façon variée des perspectives globalement positives.

Il n'existe pas aujourd'hui d'approche statistique coordonnée, cohérente sur les espaces de montagne. Il y a certes une géographie des zones de montagne, mais notre appareil statistique ne contient aujourd'hui aucun regroupement systématique sur la montagne. L'INSEE ne sort notamment aucune statistique identifiée autour de l'idée de montagne : ses statistiques respectent le découpage traditionnel des départements, des régions, par zones d'emploi. Néanmoins, on sait que l'évolution démographique de la montagne est globalement positive, sauf dans le Massif central. Les Pyrénées ont gagné 1 % de population entre 1990 et 1999, les Alpes sont en croissance régulière depuis le début des années soixante, les Vosges et le Jura sont également en progression.

Cependant, cette évolution globale masque des disparités assez grandes. Par exemple, sur le Massif central, la bordure sud-est se porte mieux que le coeur de la région, le Cantal ayant notamment vu sa population décroître à une vitesse accélérée, se rapprochant ainsi de la Creuse qui connaît un déclin plus modéré qu'avant. On distingue d'ailleurs des évolutions assez curieuses, ce qui tendrait à prouver qu'il n'y a pas de fatalité absolue en matière démographique sur le long terme. Par exemple, dans la Creuse, le canton le moins peuplé, le plus isolé a gagné quelques habitants. Il en va de même en Ardèche avec le canton de Valgorge qui était en dessous de 1 000 habitants il y a une vingtaine d'années, mais regagne sensiblement et régulièrement des habitants recensement après recensement. Dans les Pyrénées, le canton de Castillon en Couseran dans l'Ariège qui avait particulièrement vieilli (50 % de plus de 60 ans) a gagné des habitants au dernier recensement, pour la première fois depuis 1840, avec pour conséquence un rajeunissement relatif de la population. Ainsi, le fait que des cantons comme ces derniers arrivent à repartir est significatif d'une capacité de rebond.

Nous avons fait, à la demande de la Commission du Littoral, un important travail de statistique sur la base de toutes les données exploitables concernant le littoral. Nous envisageons de reproduire le même travail sur les zones de massifs. Nous disposons cependant de moyens limités en la matière, c'est-à-dire d'une seule statisticienne, en attendant la création d'un autre poste en juillet prochain. Il s'agit sans doute d'une faiblesse de notre dispositif. Je crains qu'il ne soit pas propre à la montagne. Comme cela a été identifié par la mission de Madame Geneviève Perrin-Gaillard, députée des Deux-Sèvres et de M. Philippe Duron, député du Calvados, sur la problématique des zonages, nous souffrons d'un déficit d'exploitation des données statistiques permettant d'alimenter la réflexion sur les politiques d'aménagement du territoire. Le problème est identique sur les zones de revitalisation rurale.

Il y a un éclatement de l'appareil d'Etat qui nous dessert : chaque ministère dispose de son service de statistiques, de son programme d'études. Pour y remédier, nous nous dirigeons vers un système inter-administration qui permettrait d'avoir des dispositifs de suivi et d'analyses bien meilleurs, sachant que l'Etat dispose de toutes les données, même dispersées, qui sont utiles.

En résumé, la DATAR établit une vision générale de la montagne plutôt optimiste : le recensement de 1999 a montré que la montagne allait globalement mieux que pendant la période précédente, avec cependant de fortes disparités d'un territoire à l'autre. Le seuil migratoire des départements de montagne est partout positif, sauf pour l'Allier et le Cantal. Il est important de poursuivre l'effort entrepris : la montagne, zone en déclin et de départ massif de ses populations il y a trente ans attire désormais des habitants.

En ce qui concerne le programme de travail de la DATAR pour les années à venir, sous réserve de l'accord du prochain gouvernement, la DATAR a établi quelques pistes de travail pour nourrir les décisions et les réorientations dans les mois et années à venir.

Dans le domaine institutionnel, de nombreux dossiers demeurent à traiter. Ainsi la DATAR va avoir à réécrire les décrets relatifs aux Comités de massif, pour tenir compte des modifications apportées par la loi « démocratie de proximité », mais également recomposer le Conseil National de la Montagne.

D'autre part, nous envisageons de produire deux décrets spécifiques.

un décret sur le Préfet coordonateur de massif

Il s'agit d'une véritable innovation administrative, dans la mesure où le Préfet sera ordonnateur secondaire pour l'ensemble du massif et assurera donc l'autorité réelle en la matière. L'objectif est ainsi de faciliter la gestion et la conduite des politiques de massifs.

un décret relatif aux Commissaires de massif

Nous poursuivons actuellement nos discussions avec le ministère de l'Economie et des Finances pour obtenir la création d'une vingtaine de postes au profit de ces Commissariats.

La DATAR va également poursuivre des travaux de réflexion sur certaines dispositions d'urbanisme et sur les activités agricoles et touristiques

Le dernier CNM a été l'occasion de relancer le dispositif des prescriptions particulières de massif prévu par la loi montagne. Il s'agit de poser le principe d'une modification de la procédure UTN (Unités touristiques nouvelles), c'est-à-dire de l'assouplir tout en conservant les garanties économiques, urbanistiques et environnementales qu'elle apporte. Ce domaine est particulièrement important dans la mesure où il suscite des prises de position très tranchées.

La question du pastoralisme en zones de montagne mobilise un groupe de travail sous l'égide du ministère de l'Agriculture, groupe qui devrait rendre ses conclusions à l'été prochain. D'autre part, il nous faudra tirer les premiers enseignements de la loi d'orientation forestière en ce qui concerne l'apport des Chartes de territoires forestiers, qui touchent tout particulièrement les zones de montagne. En effet, il subsiste un enjeu de taille pour tout ce qui concerne la forêt de montagne, qu'il s'agisse du devenir des forêts RTM des Alpes du sud ou de la valorisation des forêts à replanter dans le Massif central.

L'économie touristique des stations de montagne va faire l'objet d'une expérimentation menée en partenariat avec le ministère du Tourisme et la Caisse des dépôts. En effet, une partie de l'immobilier de loisir tel qu'il a été construit entre les années soixante et quatre-vingts est largement inadaptée aux demandes sociales en matière d'hébergement et d'environnement. Ce phénomène est encore plus avéré dans certaines stations de moyenne montagne, dont l'avenir est particulièrement incertain. Notre calendrier comprend une phase d'études jusqu'à 2003, date à laquelle s'ouvriront les véritables chantiers, évalués à plusieurs milliards d'euros.

D'autre part, le Comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire (CIADT) vient d'élaborer la circulaire relative aux programmes de réhabilitation de l'immobilier des établissements de tourisme social. Là encore, ce dossier concerne tout particulièrement la moyenne montagne, qui concentre une bonne partie de l'immobilier de tourisme social nécessitant une re-dynamisation.

Au-delà de ces enjeux spécifiques se pose la question de la consolidation du développement touristique global, tant il est vrai que des éléments de fragilité perdurent dans un certain nombre de massifs.

En ce qui concerne les politiques de développement régional, la Commission européenne va les réformer en vue des conséquences de l'élargissement de l'Union européenne (UE). Il appartiendra ainsi au futur gouvernement de présenter les conclusions de la France à l'automne 2002.

Au-delà de cet aspect, un des grands sujets de discussion actuels est la prise en compte par les politiques européennes des espaces dits spécifiques ; les espaces de montagne pouvant constituer un de ces espaces, bien que cela ne soit pas toujours accepté par certains de nos partenaires européens. Ainsi, le dispositif "montagne", d'inspiration française a eu bien du mal à être accepté. La Cour de Justice des Communautés européennes avait ainsi considéré que le premier dispositif de 1995 était incompatible avec la libre-circulation des marchandises. Il a ensuite fallu reformuler ce dispositif dans la loi d'orientation agricole.

Il va s'agir en effet d'ajuster aux enjeux de la politique de la montagne certains aspects des contrats de Plan ou des documents uniques de programmation dont les échéances respectives sont 2003 et 2004.

S'agissant de l'accès des zones de massifs au haut débit , le gouvernement a pris un certain nombre de dispositions relatives au GSM. A présent, nous sommes sur le point de terminer la rédaction de la circulaire relative aux conditions d'application de l'article L 1506 du Code général des collectivités territoriales. Cet article régit en effet l'intervention des collectivités locales en matière de télécommunications. Ici, l'incertitude se porte plutôt sur le comportement des opérateurs de télécommunications, qui, suite aux déboires rencontrés par leur secteur, rechignent désormais à investir, sauf à coup sûr. Quelle que soit la technologie employée (satellite, fibre optique), l'objectif est de couvrir les zones de montagne par le haut-débit à l'horizon des années 2004-2005.

En ce qui concerne les aspects financiers, les volets "massifs" des contrats de Plan représentent environ 120 millions d'euros. Le FIAM (Fonds interministériel d'auto-développement de la montagne), outil emblématique utilisé essentiellement par l'ingénierie, a été maintenu à un peu plus de 4 millions d'euros depuis trois ans. Enfin, les ICHN (indemnités compensatrices de handicap naturel) ont été modifiées dans leur mode d'attribution, leur montant global s'élevant désormais à 375 millions d'euros en 2001 pour 115 000 bénéficiaires.

Pour l'aspect institutionnel, à l'occasion du vote de la loi sur la démocratie de proximité, le Sénat a mené un certain nombre de débats pour savoir s'il fallait identifier le Morvan comme un massif de montagne. Ce territoire dispose certes de nombreuses caractéristiques d'un territoire de montagne, tant du point de vue de la géographie physique, que d'un certain déclin démographique ininterrompu depuis plus d'un siècle. D'ailleurs, une partie du Morvan est aujourd'hui classée en communes de montagne au sens agricole du terme.

Pour autant, la DATAR ne pense pas qu'il soit nécessaire de le doter d'une institution de massif particulière, en raison notamment de sa faible population (40 000 habitants seulement). Il nous paraîtrait plus logique de voir dans quelle mesure nous pouvons étendre le périmètre du Massif central vers le nord.

Par ailleurs, la fusion des massifs des Alpes a été opérée par la loi sur la démocratie de proximité. Elle nous semble répondre à la réalité des Alpes : en effet, le découpage antérieur entre Rhône-Alpes d'un côté et Provence-Alpes-Côte-d'Azur de l'autre ne semble pas pertinent. Ainsi, certaines problématiques, comme la traversée des Alpes, le pastoralisme, la question du loup, sont transversales et nécessitent une approche commune.

Les dispositions de la loi sur la « démocratie de proximité » auront un impact significatif sur le fonctionnement des institutions propres à la politique de la montagne, notamment sur le rôle des comités de massif, dans la mesure où la co-présidence ouvrira plus largement le débat sur les attentes et propositions des acteurs des massifs.

M. Michel Moreigne - Madame Jacquet-Montsarrat, souhaitez-vous apporter des compléments à l'intervention de M. François Philizot.

Mme Hélène Jacquet-Monsarrat - Je tiens simplement à préciser mon rôle au sein de la DATAR. Je suis l'interlocutrice classique de l'ensemble des acteurs de la montagne au sein du CNM ainsi que des acteurs économiques de l'ensemble des massifs.

M. Jean-Paul Amoudry - Je souhaite revenir sur l'importance que nous attachons à disposer d'outils statistiques. Nous savons certes que la logique de notre Etat "verticalise" les données et les présente de manière séparée. Néanmoins, les données que vous pourriez nous transmettre sur les questions de montagne nous seraient bien utiles, notamment celles concernant l'évolution démographique entre les recensements de 1990 et 1999. Dans le même ordre d'idées, pouvez-vous nous communiquer les rapports du CNM pour les dernières années ?

Par ailleurs, la DATAR mène-t-elle une réflexion sur l'avenir des réseaux de distribution d'énergie, dans la perspective de la transposition en droit français de la directive adoptée à Barcelone ?

Enfin, je suis personnellement très inquiet sur l'avenir des petites stations de ski, stations qui furent créées par les collectivités locales sous l'impulsion de l'Etat. Quel est, selon vous, l'avenir de ces stations ?

M. François Philizot - S'appuyant sur le Conseil national d'aménagement et de développement du territoire, la DATAR a lancé une série de réflexions sur l'avenir des services publics. Ceci concerne le secteur de l'énergie, mais également la Poste, qui risque de fermer de 6 000 à 7 000 bureaux suite au processus de libéralisation. La DATAR a ainsi alimenté la déclaration approuvée par le Conseil lors du sommet de Nice.

Je partage tout à fait votre inquiétude sur l'avenir des petites stations de montagne. Ceci impose de revisiter la manière dont elles ont été construites (question des problématiques de friche touristique et d'immobilier), mais également les produits et services qu'elles fournissent. Dans ce domaine, je ne pense pas qu'il faille agir station par station, mais plutôt à l'aide de projets globaux sur des zones touristiques. Des structures de type "pays" pourraient ainsi utilement se pencher sur la question.

M. Pierre Jarlier - Je reviens à nouveau sur la question des outils statistiques, et de la pertinence des analyses que l'on peut tirer des données disponibles. Ceci me conduit à revenir sur le tableau globalement positif des territoires de montagne que vous avez dressé. Personnellement, je n'entrevois guère une logique de renouveau, particulièrement pour le Massif central. Je pense à l'inverse que nous sommes confrontés à une situation particulièrement préoccupante, au regard des résultats des derniers recensements.

Vous avez ainsi mis en exergue le rétablissement de certains cantons qui s'étaient repeuplés. Or, on constate souvent que de telles micro-résistances se font généralement au détriment des zones périphériques très rurales. Elu du Cantal, j'observe que ce département a perdu plus de 7 000 habitants entre deux recensements, certains cantons ayant vu leur population diminuer de 18 %. Il convient donc d'être très prudent sur l'analyse des statistiques, et sans doute de changer les critères d'appréciation pour permettre de disposer d'une vision plus précise d'un bassin de vie.

D'autre part, je souhaite évoquer les futurs Fonds structurels européens. En effet, les zones de montagne peuvent bénéficier ou se voir priver de ces fonds en fonction de l'appréciation qui est faite des critères régionaux déterminant l'octroi de ces aides. Ainsi, la région Auvergne est éligible à l'objectif 2 des fonds structurels. Or certains secteurs défavorisés de cette même région auraient pu bénéficier d'aides au titre de l'objectif 1. Ceci tend à souligner la limite de l'appréciation régionale dans la définition des fonds structurels européens.

A ce titre, le rendez-vous de 2003 est extrêmement important pour sortir des critères strictement régionaux, dans le domaine transfrontalier ou pour des territoires plus spécifiques comme le Massif central. Il s'agit dès lors d'observer une approche beaucoup plus pointue afin de trouver des réponses adaptées aux difficultés de ces territoires de moyenne montagne.

En conséquence, je souhaiterais connaître votre avis sur l'évolution de ces critères, qui devraient être, à mon sens, plus territoriaux. Par ailleurs, je voudrais attirer l'attention sur certains territoires en grande difficulté qui sont pourtant exclus de la prime à l'aménagement du territoire (PAT) majorée, à l'image de la Lozère.

Ensuite, je veux également poser le problème de l'accueil des nouvelles populations. Il demeure en effet très difficile de fixer des populations en montagne, même lorsque des bassins d'emplois existent. Cette difficulté concerne aussi bien le public que le privé, et touche tout particulièrement le domaine de la santé.

Enfin, les prescriptions particulières de massifs (PPM) sont très attendues par les acteurs locaux. Pour autant, la loi Solidarité et Renouvellement urbain n'a pas défini clairement la façon d'envisager la mise en place de ces prescriptions de massifs. Il y a dans ce domaine une nécessité de simplification et de clarification absolument primordiale.

M. François Philizot - Concernant les outils statistiques, notre préoccupation est également de disposer d'outils plus clairs, offrant une meilleure vision.

Je partage tout à fait votre analyse sur la complexité et la diversité de l'évolution des moyennes montagnes françaises, notamment le Massif central. Au sein des régions, certaines zones sont particulièrement fragiles, dans le Cantal, la Creuse, Le Puy de Dôme, la Loire et le nord de la Lozère. Il faut certes se garder d'avoir une idée générale ; cependant il n'existe pas de logique intangible du déclin.

Au sujet des Fonds structurels, il est légitime de se demander s'il y aura encore une politique de développement régional en France après 2006. Les Allemands ne semblent pas y être particulièrement favorables. La question qui se pose est la suivante : comment peut-on justifier le maintien d'une politique européenne de développement régionale qui ne soit pas uniquement centrée sur les parties les plus pauvres de l'UE nouvelle, c'est-à-dire, les PECO (pays d'Europe centrale et orientale), le sud de l'Espagne et du Portugal, le nord de la Grèce et les DOM pour la France ? La DATAR considère qu'il est de l'intérêt de l'UE d'avoir une politique de développement régional qui s'intéresse également aux inégalités à l'intérieur des pays. Mais ce sujet demeure plus que jamais un combat au niveau européen. Je suis persuadé ainsi que nous tenons là un débat majeur, tant politiquement que symboliquement, pour les années à venir.

La question des zonages et des critères est relativement seconde pour la DATAR actuellement. Nous hésitons à poser à nouveau un débat statistique complexe sur les différences de niveau de zonages. Les mêmes interrogations se portent sur la carte PAT. Ce débat a également été initié par le rapport Durand-Perrin-Gaillard précédemment évoqué. Il faudra en outre se poser la question des zones de revitalisation rurale (ZRR).

Ensuite, la question de l'accueil de nouvelles populations dans les zones rurales et de leur fixation est effectivement un véritable enjeu pour la politique d'aménagement du territoire. Nous réfléchissons ainsi sur des dispositifs financiers incitatifs, sommes en contact avec la Caisse Nationale d'Assurance Maladie et la Direction des hôpitaux.

Enfin, je partage entièrement votre souci de simplicité au sujet des PPM.

M. Jean-Paul Émin - Connaissant pour ma part le massif jurassien, je me rends compte qu'il est affecté par une forte déprise économique. La DATAR peut-elle mesurer l'incidence des 35 heures sur l'activité économique des zones de montagne ?

M. François Philizot - Je ne dispose d'aucun élément d'appréciation permettant de juger l'impact des 35 heures sur le tissu industriel jurassien. Il est vrai que celui-ci connaît quelques évolutions préoccupantes, notamment à Oyonnax, car il me paraît important de ne pas laisser penser que la montagne est uniquement un espace d'agriculture et de tourisme. Il existe ainsi des zones de montagne très industrialisées ; la montagne jurassienne est une des zones les plus industrielles de France.

2. Audition de M. Gilles Bazin, professeur de politique agricole à l'Institut national agronomique Paris-Grignon, rapporteur de l'évaluation de la politique de la montagne au Commissariat général du Plan (3 avril 2002)

M. Gilles Bazin - Mon propos n'est pas de faire une conférence, mais de dégager quelques caractéristiques de l'évolution des zones de montagne. Vous m'auditionnez aujourd'hui en ma qualité de Rapporteur de l'évaluation de la politique de la montagne au Commissariat général du Plan. Cette politique se fonde sur quatre grands objectifs :

- la dynamique démographique des zones de montagne ;

- la maîtrise et le développement des activités économiques, par une mise en valeur équilibrée des ressources disponibles, c'est-à-dire un développement durable ;

- la parité des revenus et des conditions de vie entre les zones de montagne et les autres régions ;

- la préservation de l'environnement et la gestion des sites et paysages montagnards.

C'est donc au regard de ces quatre grands objectifs que nous avons cherché à évaluer cette politique. Nous avons analysé l'évolution socio-économique de la montagne et des massifs et évalué le rôle des politiques agricoles, touristiques et d'aménagement du territoire dans ses évolutions. La politique de restauration des terrains de montagne, qui date de la fin du XIXe siècle, a également été prise en compte. Il en a été de même pour d'autres aspects comme la pluriactivité, les politiques environnementales (cinq des six parcs nationaux et la moitié des parcs régionaux se trouvent en montagne). Agro-économiste de formation, spécialiste des questions de développement agricole et de développement rural, je traiterai principalement des questions agricoles.

Le constat général que l'on peut dresser est celui d'un renouveau démographique de la montagne : entre 1968 et 1990, la population de la montagne est passée de 4 178 000 à 4 338 000 habitants (+ 3,8 %) et elle a encore crû de 110 000 personnes entre 1990 et 1999. Ce constat doit cependant être immédiatement nuancé, dans la mesure où 2 900 communes des 6 100 communes de montagne continuent de se dépeupler, soit environ une commune sur deux. Les petites communes sont naturellement les plus affectées par ce phénomène.

Cependant, il n'en demeure pas moins que les zones de montagne attirent les hommes, notamment dans les Alpes et en haute montagne ; en outre, on observe dans tous les massifs des zones de renouveau démographique, à l'image de la bordure sud-est du Massif central, la bordure et les extrémités pyrénéennes.

Les évolutions socio-économiques montrent de très fortes disparités en matière socio-économique. Nous avons tenté d'établir une typologie cantonale de ces évolutions socio-économiques.

Il s'agit d'une analyse multi-critères qui combine des éléments démographiques, socio-économiques (l'évolution de l'agriculture, les taux de chômage, l'installation des jeunes...). Cette analyse a été établie par la SEGESA sur la période 1980-1990. Même si ces chiffres mériteraient d'être réactualisés, ils montrent bien néanmoins la diversité de ces zones , réparties en sept groupes :

- zones de tourisme confirmé (plutôt la haute montagne) ;

- zones de développement diversifié (plusieurs activités) ;

- zones économiquement et démographiquement fragiles ;

- zones placées sous une forte influence urbaine ;

- zones de conversion touristique sur les piémonts , en particulier le sud du Massif central et des Alpes ;

- zones industrielles en difficulté (ensemble des Vosges, également dans le Jura et certaines zones de Savoie, pôles dans le Massif central, voire Pyrénées : vallée de l'Aude, zone des Hautes-Pyrénées) ;

- zones agricoles en crise (essentiellement dans le Massif central).

Une évolution très intéressante est à souligner : les zones de haute montagne, autrefois considérées comme les plus sinistrées et à l'origine de la politique agricole de la montagne, s'en tirent aujourd'hui plutôt bien. Les zones les plus fragiles sont celles des hauts plateaux (Massif central et certaines zones de piémont) qui, si elles ne souffrent pas de gros handicaps naturels, ne disposent pas non plus de beaucoup d'atouts à valoriser. Ceci signifie, que face à une diversité de situations, nous nous sommes demandés si le discours classique, uniforme, de compensation des handicaps était toujours valable. Les pouvoirs publics vont devoir développer des interventions territoriales de plus en plus différenciées et de mieux en mieux ciblées. La notion même de handicap a considérablement évolué : la neige, qui était le handicap majeur dans les années soixante pour l'agriculture de montagne est aujourd'hui l'atout essentiel de ces zones.

Le taux d'activité en montagne est identique à la moyenne nationale (43 %), le taux de chômage est inférieur de deux points. Le nombre d'emplois se maintient entre 1982 et 1990, bien que cette période corresponde par ailleurs à une période de fort exode agricole (perte de 70 000 emplois agricoles, soit 30 %). On constate également une baisse de 42 % des exploitations agricoles de montagne en l'espace de 16 ans (1980-1995), ce qui paraît considérable, mais demeure néanmoins dans la moyenne nationale. J'insiste donc sur le constat d'une relative bonne résistance de l'agriculture de montagne.

En ce qui concerne les exploitations agricoles de montagne, il est très difficile d'évaluer l'impact spécifique de la politique de compensation des handicaps naturels dans un cadre général où la Politique agricole commune (PAC) est déterminante. Sur les cinquante milliards de francs d'aides directes à l'agriculture fournis par la PAC, environ deux milliards et demi vont à l'agriculture de montagne. Il demeure donc délicat de bien évaluer cet impact quand il est noyé dans une politique générale, la PAC, qui n'est pas favorable à ces zones.

On dénombre en 2000 environ 95 000 exploitations agricoles en montagne, soit 14 % des exploitations françaises. La surface agricole utile (SAU) est estimée à 3,7 millions d'hectares (soit 13 % de la SAU française), les pâturages collectifs représentant quant à eux une surface d'un million d'hectares. Le cheptel de montagne est relativement bien situé dans le palmarès français : 16 % des vaches laitières, 20 % des vaches allaitantes et 40 % des brebis, produisant 117 000 tonnes de fromage AOC, soit 70 % de la production nationale. De même, malgré la mise en place de quotas laitiers au niveau national en 1984, la montagne a augmenté sa production fromagère d'AOC. Il y a eu dans ce domaine une co-gestion entre l'administration et la profession agricole, qui a plutôt été favorable à la montagne : cette dernière a augmenté son quota laitier de 10 % dans les années quatre-vingt-dix, alors que la plaine diminuait de 8 %. Des directives européennes ont ainsi rendu la montagne prioritaire en matière de produits laitiers. Malgré cela les quotas par exploitation restent inférieurs de un-tiers en montagne.

Sur ces 95.000 agriculteurs, 60.000 touchent l'indemnité compensatrice de handicap naturel (ICHN), mise en place en 1971. Cette indemnité correspondait à la fameuse prime à la vache tondeuse, suite à la loi pastorale de la même année, prime qui a ensuite été étendue en 1975 à l'ensemble des zones de montagne et défavorisées communautaires. En conséquence, le tiers des agriculteurs est exclu de cette politique de soutien, pour des raisons de taille (si l'exploitation est inférieure à trois hectares), des raisons d'âge (s'ils sont âgés de plus de 60 ans), des raisons de production (les productions animales sont soutenues partout mais les productions végétales ne sont soutenues qu'en zone de montagne sèche).

Sur les années 1979-1995, l'évolution du nombre d'exploitations est la même en montagne que pour le reste de la France (- 42 %). Pendant cette période, il n'y a pas eu de forte déprise agricole en montagne. La prime à l'herbe, accompagnant la réforme de la PAC en 1992 a eu un impact important, touchant tous les éleveurs herbagers extensifs montagnards. Prime d'un faible montant (300 francs/hectare), elle a néanmoins permis de reconquérir un certain nombre d'espaces jusque là en voie d'abandon. La montagne a perdu 3 % de sa surface agricole utile (SAU) en seize ans, conquis par la forêt ou la friche.

Toute la politique agricole de la montagne a porté sur le maintien de l'élevage d'herbivores, qui contribue à entretenir la montagne. L'évolution de l'élevage est donc un paramètre d'évaluation de cette politique. Le nombre de vaches laitières en montagne a diminué moins vite qu'au niveau français. En revanche, le nombre de vaches allaitantes a augmenté plus rapidement que dans le reste de la France, le nombre de brebis s'étant par ailleurs maintenu. Il y a donc eu un remarquable maintien de l'élevage en montagne, certainement lié au soutien apporté par animal.

L'avenir des exploitations reste très préoccupant. Dans les zones de montagne, le pourcentage de chefs d'exploitation âgés de moins de cinquante ans est supérieur à la moyenne nationale. Ce rajeunissement est sans doute lié au renforcement de la dotation jeune agriculteur (DJA) en montagne, qui atteint environ 175.000 francs contre 85.000 francs en plaine. En revanche, le taux de renouvellement est moins bon en montagne puisque 28 % des agriculteurs de plus de cinquante ans déclarent ne pas avoir de successeurs. A ce rythme, il ne devrait plus y avoir qu'entre 75 000 et 80 000 exploitations en montagne en 2005, contre 95 000 actuellement.

En ce qui concerne la politique de soutiens publics, en 2000, la politique agricole de la montagne a mobilisé environ 2,3 milliards de francs dont 1,9 milliard pour l'indemnité spéciale montagne (ISM) et 300 millions pour l'aide à l'installation, le soutien à la construction de bâtiments d'élevage et la mécanisation. L'ICHN, qui a représenté 31 700 francs par exploitation qui la touche en 2000, est variable d'un massif à l'autre.

Répartition de l'ISM selon les massifs en 2000

 

Vosges

Jura

Alpes du Nord

Alpes du Sud

Massif central

Pyrénées

Corse

Nombre de bénéficiaires de l'ISM

913

3.280

7.453

2.664

36.768

6.896

365

Montant (en millions de francs)

13,3

123,6

189,8

122

1.153,7

131

37,7

Montant par bénéficiaire (en francs)

14.580

37.680

25.470

45.800

31.880

19.000

27.580

Source : Ministère de l'agriculture

Les agriculteurs des Alpes du Sud (grands troupeaux ovins de haute montagne) touchent, en moyenne, 45 800 francs au titre de l'ISM, alors que ceux des Vosges, où dominent des petits troupeaux laitiers de moyenne montagne, reçoivent 14 580 francs. Il y a donc malgré tout un problème avec l'ISM : les petits troupeaux sont défavorisés par rapport aux plus grands.

Le budget de l'ICHN a crû de manière spectaculaire ces trois dernières années (+ 30 % entre 1999 et 2002), sans que cela ne coûte à l'Etat, étant donné que ces mesures qui étaient éligibles à 25 % le sont désormais à 50 %.

Du point de vue des revenus et de la parité des conditions de vie des montagnards par rapport au reste de la nation, le bilan reste assez négatif. La montagne, qui était la zone bénéficiant le plus d'aides en 1990, est aujourd'hui celle qui est la plus dépourvue en aides directes. Pour les zones défavorisées, notamment celles périphériques à la montagne, l'ensemble du revenu des exploitants est égal au soutien qu'ils perçoivent réellement. En effet, la réforme de la PAC a particulièrement favorisé ces zones. En revanche, la montagne est la zone où les revenus sont les moins élevés et les soutiens publics à l'agriculture les plus faibles. Contradictoirement, la PAC aide donc davantage les régions les plus riches.

Revenu courant avant impôts et aides directes en 2000

 

Zones de montagne

Zones défavorisées

Zones normales

Total

Revenu (en francs)

138 500

170 800

197 400

181 900

Aides directes (francs)

98 600

165 000

122 700

128 700

Dont ICHN

31 700

7 300

_

6 900

Aides/revenu

71 %

62 %

_

71 %

Aides/hectare (en francs)

1 680

1 990

1 950

1 930

Source : Réseau d'information comptable agricole

Le revenu des exploitants de montagne reste inférieur de 30 % à la moyenne nationale. L'ICHN en montagne représente aujourd'hui le tiers des aides et environ 20 à 25 % du revenu. Un élément doit être pris en compte pour l'avenir : la disparition de la prime à l'herbe en 2003, remplacée par les contrats territoriaux d'exploitation (CTE). Actuellement le ministère de l'Agriculture a signé 25 000 CTE dont 20 % en montagne ; la montagne conserve ici son rôle de « laboratoire » en matière de politique agricole, comme cela avait été le cas pour la dotation jeunes agriculteurs, inaugurée en montagne. Cependant, si la prime à l'herbe est supprimée pour les 30 000 éleveurs de montagne, il n'y aura pas le même nombre de CTE. Que sera-t-il fait pour poursuivre le soutien à ces éleveurs extensifs qui gèrent les espaces montagnards et notamment les plus menacés ? Il faut absolument que le ministère de l'Agriculture prenne un relais entre la prime à l'herbe qui va disparaître et ces CTE qui se mettent en place lentement.

Le rapport d'évaluation de la politique montagne avait ainsi formulé huit recommandations.

revaloriser le plafond européen de l'ISM

Cette revalorisation était une des premières recommandations de notre rapport. De fait, les modalités d'attribution de l'ISM ont été modifiées : lorsque le ministère de l'Agriculture a demandé une reconduite de cette mesure dans le cadre du nouveau plan rural national en 2000, la Commission européenne a exigé de changer le dispositif. Ainsi, d'un dispositif de soutien par UGB (unité de gros bétail), le soutien se fait désormais par hectare (plafonné à 50 hectares), afin de se conformer aux dispositions de l'OMC.

rechercher un dispositif de compensation des handicaps naturels plus proche des handicaps réels de chaque exploitation en montagne

Aujourd'hui l'altitude est un des paramètres essentiels pour mesurer effectivement ce handicap (zonages de haute montagne, montagne et piémont). En outre, le fait de prendre en compte la pente, comme le font les Suisses et les Autrichiens, aurait permis de compenser les handicaps véritables rencontrés par chaque exploitant. Ainsi, il se serait agi d'utiliser un indice synthétique permettant de tenir compte de la spécificité de chaque exploitation, ce qui était réalisable compte tenu des informations dont disposent les DDA. Cette mesure n'a cependant pas été retenue par le ministère de l'Agriculture, qui a estimé qu'elle aurait trop compliqué les modalités de calcul.

soutenir la modernisation et la diversification des exploitations

En effet, l'ISM s'apparente aujourd'hui plus à un soutien aux revenus qu'à une simple compensation : il est vrai que ce soutien équivaut à un soutien de l'investissement puisque le revenu correspond à un investissement futur. En conséquence, le fait qu'il y ait un tel différentiel de revenus entre les zones de montagne et les zones de plaine pose des questions de différentiel de productivité à long terme : moins on investit, plus les écarts vont s'accroître. Il y a donc une nécessité de soutenir l'investissement en montagne, ce qui a été jusqu'à présent négligé dans la politique de la montagne : exceptés les soutiens à la mécanisation et quelques soutiens renforcés à l'installation, on dénombre très peu d'aides accordés aux bâtiments. Or, le surcoût d'un bâtiment en montagne est patent : celui-ci coûte deux fois plus cher par vache logée en Savoie, à 1 200 mètres d'altitude, qu'en Bretagne. Il conviendrait ainsi de prolonger l'effort engagé à ce titre par le ministère de l'Agriculture.

rééquilibrer les soutiens publics à l'agriculture dans le cadre de la réforme de la PAC

Le cadre était celui de l'Agenda 2000 et de la loi d'orientation agricole. Le renforcement des soutiens à l'élevage extensif est certes intervenu, au même titre que le déplafonnement de l'ISM. Néanmoins, cela concerne des sommes relativement faibles : le deuxième pilier de la PAC représente aujourd'hui 15 % des crédits à l'agriculture. Le soutien de la PAC reste ainsi l'élément primordial qui influence le développement des exploitations au niveau individuel ou régional.

renforcer les droits à produire et les droits à la prime

Cette politique doit en effet être poursuivie, dans la mesure où les exploitations de montagne produisent 30 % moins de litres de lait que les exploitations de plaine. Néanmoins, chaque région est aujourd'hui crispée sur son droit à produire, ce qui rend des transferts de quotas, d'une région à l'autre, improbables voire impossibles. En revanche, si la prochaine réforme de la PAC organise l'attribution de quotas supplémentaires, la montagne devrait être considérée comme prioritaire.

mieux valoriser les atouts de l'agriculture de montagne

Ceci concernait notamment les CTE, qui ont bien progressé en montagne.

soutenir le développement des filières agroalimentaires de qualité

réhabiliter l'appellation montagne


Cette réhabilitation est intervenue récemment.

Mme Josette Durrieu, Président - Concernant la population, vous avez souligné la diversité des situations selon les régions. Pouvez-vous donner des informations plus précises pour les Pyrénées, au sujet d'un éventuel transfert d'une partie de la population rurale vers les villes ? Par ailleurs, vous n'avez pas abordé le thème des politiques de massifs lors de votre exposé. Enfin, la lecture de journaux et de documents semble indiquer que les CTE ne se développent pas de manière harmonieuse. Quel est votre avis sur la question ?

M. Gilles Bazin - Les Pyrénées pris dans leur totalité fournissent l'exemple d'un renversement démographique. Ainsi, la population déclinait jusqu'en 1982, date à partir de laquelle une légère augmentation est intervenue et se maintient. Cette augmentation est essentiellement due au solde migratoire, car le solde naturel demeure négatif.

D'une manière générale, le solde migratoire des Alpes, des Pyrénées est désormais positif, grâce à l'arrivée de jeunes actifs, mais également de retraités. En revanche, la région la plus marquée par des soldes naturels et migratoires négatifs est incontestablement le Massif central, qui correspond à la moitié de la zone de montagne française en termes de surface.

Concernant les politiques de massifs, le rapport a également évalué les modalités de fonctionnement des institutions spécifiques de massifs mises en place par la loi « montagne ». Nous nous sommes ainsi aperçus que ces institutions, notamment les comités de massifs, ne disposaient pas d'un pouvoir réel. Certes, ces modalités de fonctionnement sont variables d'un massif à l'autre. Je pense néanmoins que les institutions mises en place par la politique de la montagne n'ont pas vraiment fait leur preuve. Ainsi, le Conseil national de la montagne, ne s'est pas réuni pendant trois années consécutives et certains dossiers majeurs n'ont jamais été tranchés (notamment les difficultés financières de certaines stations de sport d'hiver).

Enfin, la mise en place des CTE s'effectue à l'échelle départementale. Si l'administration, mais surtout la profession agricole, font du CTE un outil prioritaire dans le développement des exploitations, ils se développeront. Ainsi, dans les Pyrénées audoises, la moitié des techniciens agricoles ont été affectés au développement des CTE : plus de 100 CTE ont par exemple été créés dans la région de Quillan. En revanche, certains départements ont initialement rechigné à instaurer des CTE. Ils sont aujourd'hui en train de combler ce retard, dans la mesure où l'essentiel des soutiens passera désormais par les CTE.

M. Pierre Jarlier - Votre exposé souligne bien le paradoxe entre les montants alloués aux exploitations de montagne et ceux accordés aux exploitations de plaine, alors même que les handicaps y sont moins prégnants. Le fait que 66 % des revenus agricoles de montagne soient constitués d'aides pose la question de la pérennité de l'agriculture en montagne par la régulation de la prime. Il s'agit là d'un danger imminent : si d'autres critères ne sont pas mis en place lors de la modification du dispositif, il y aura un impact direct sur le nombre d'agriculteurs montagnards. C'est sans doute là que de nouveaux dispositifs, intégrés aux CTE, pourraient prendre en compte le handicap spécifique et permettre des réponses adaptées. En effet, les modes d'exploitation créateurs de valeur ajoutée s'en trouveraient valorisés, afin de sortir de cette spirale infernale du revenu lié à la prime directe.

Ceci peut constituer une orientation intéressante pour le futur, car l'on sait très bien qu'avec l'évolution des politiques européennes, le montant de ces primes risque de baisser, entraînant mécaniquement une baisse du nombre d'agriculteurs. Ne pensez-vous pas qu'il serait pertinent d'établir un dispositif spécifique montagne sur les CTE pour inciter fortement les agriculteurs à vivre de leurs produits ?

Le second aspect que je souhaite aborder a trait à l'évolution entre le soutien à l'ISM, à l'UGB et le soutien à l'hectare. Ce dernier favorise certes un mode de production respectueux de l'environnement, mais il provoque également une course à l'agrandissement des exploitations. Or, dans des secteurs démographiques déjà fragilisés et où le nombre des agriculteurs est essentiel pour le maintien d'une vie locale, cette course à l'agrandissement accroît le risque de désertification.

M. Gilles Bazin - Concernant la question de la dépendance de l'agriculture aux aides directes, il convient de souligner que les montagnards ne sont pas les plus dépendants en matière d'aides. Ainsi, 100 % des revenus des céréaliers sont aujourd'hui constitués d'aides ; dès lors ce sont eux les plus exposés à la prochaine réforme de la PAC. Il faut en effet s'attendre à un transfert du premier au deuxième pilier de la PAC, à une dégressivité des aides à l'hectare, et surtout à un éco-conditionnalité de ces aides. Dans ce contexte, je ne pense pas que les montagnards figurent parmi les plus menacés : en termes d'éco-conditionnalité, ils remplissent généralement les meilleures conditions de mise en valeur du point de vue agro-environnemental.

Ensuite, il est certain qu'un des effets pervers des soutiens à l'hectare est de favoriser l'agrandissement plutôt que l'installation, et d'augmenter les fermages et le prix de la terre. Cependant, l'ISM demeure plafonné à 50 hectares. Il est néanmoins exact que dans des massifs de petites structures comme les Vosges, les Pyrénées, les Alpes de Nord, cette pression foncière s'exerce inévitablement. Cela me semble en revanche moins évident pour le Massif central.

Faudrait-il créer des CTE de montagne ? Jusqu'à présent, les CTE contiennent deux mesures nationales : la conversion à l'agriculture biologique d'une part, et d'autre part la conversion des terres arables en élevage. Pour ma part, je ne pense pas qu'il y soit nécessaire de créer des CTE spécifiques à la montagne. De plus, les professionnels agricoles veillent à ce que les mesures de compensation de handicaps demeurent bien limités à leur champ de compétence initial.

Dans les départements exclusivement montagnards, les éleveurs se sont très bien adaptés à cette situation. Dans les départements où la montagne ne constitue qu'une petite partie du territoire, il est sans doute plus difficile d'établir un CTE dévolu à une région de montagne. Néanmoins, les Pyrénées audoises ont réussi cet effort, ce qui confirme bien que la réussite des mesures dépend de la volonté professionnelle et administrative locale. Dès lors, je réaffirme qu'il n'y a pas vocation à avoir de CTE nationaux comprenant des mesures spécifiques à la montagne.

M. Jean-Paul Amoudry - Vous avez proposé des perspectives au sujet du maintien des quotas laitiers, qui contribuent tant à la vitalité relative de l'agriculture en montagne. Comment voyez-vous l'avenir de ces quotas ?

D'autre part, les CTE semblent se heurter ici ou là à des problèmes institutionnels, là où existent des sections de communes. Que pensez-vous de cette situation ?

Enfin, malgré l'aide à l'installation, il est aisé de constater que le nombre d'exploitations diminue de manière conséquente. Une aide à l'installation organisée de manière plus intégrale, plus horizontale a-t-elle été envisagée ?

M. Gilles Bazin - Dans le domaine des quotas laitiers, nous sommes confrontés à une véritable interrogation. Les quotas étaient menacés en 1999, dans le cadre de l'Agenda 2000 qui envisageait leur suppression en 2007. Aujourd'hui, les pays qui prônaient cette suppression (les Pays-Bas, le Danemark, la Grande-Bretagne) tendent à revenir sur leur position. Ainsi, les Néerlandais, qui ont acheté très cher leurs quotas laitiers (jusqu'à 3,05 euros le litre de lait), perdraient beaucoup si les quotas disparaissaient.

Je pense effectivement que la mise en place des quotas laitiers a constitué un atout indéniable pour conserver une production laitière en montagne. Le dispositif risque d'être un peu allégé à l'avenir, en laissant une part plus importante au marché. Une des solutions consisterait selon moi à agir de la même manière que pour la betterave : établir un quota européen correspondant à la consommation de l'Europe, le surplus étant valorisé par le marché au prix mondial, ce qui éviterait de subventionner les exportations de beurre et de poudre.

Sur la question des problèmes institutionnels et des CTE, je ne me sens pas compétent en la matière pour pouvoir répondre

Enfin, environ 1 000 DJA sont attribuées dans les zones de montagne chaque année et environ 400 installations hors DJA intervenant également sur la même période. Je pense qu'il faudrait effectivement davantage différencier les politiques d'installation en montagne. L'installation a en effet toujours été pensée comme l'installation des fils ou des filles d'agriculteurs. Or, de plus en plus de jeunes, dont les familles ne sont pas agricoles, souhaiteraient s'installer en montagne. Cependant, ils éprouvent les plus grandes difficultés à pouvoir le réaliser. Il pourrait être pertinent de mettre en place des politiques différenciées : une politique pour les enfants d'agriculteurs d'une part, et d'autre part une politique permettant à des personnes qualifiées mais sans patrimoine agricole, de s'installer.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous renouvelle tous nos remerciements, de la part de la mission. Je souhaiterais que vous fassiez parvenir au secrétariat de la mission les éléments écrits qui permettront de nourrir notre travail.

3. Audition de M. Yves Cassayre, délégué national aux actions de restauration des terrains en montagne (RTM) (3 avril 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Nous recevons à présent M. le délégué national aux actions de Restauration des terrains de montagne, M. Yves Cassayre. Nous vous remercions vivement d'avoir répondu à l'invitation que vous a adressée le Président Jacques Blanc, que je suis chargé ici d'excuser.

Je voulais simplement vous dire en préliminaire que vous êtes devant un certain nombre de sénateurs, à ma gauche, monsieur Jean-Paul Émin qui est sénateur de l'Ain et monsieur Pierre Jarlier, qui est sénateur du Cantal et également le secrétaire général de l'Association nationale des élus de montagne. Cette mission d'information sur la montagne s'est donnée pour but de dresser un bilan de la politique montagne depuis la loi de 1985, d'approcher cette réalité et ce bilan à travers trois grands thèmes : l'aménagement du territoire, l'économie, et l'environnement. Nous avons pour objectif de présenter les conclusions de cette mission au début de l'automne. Ce travail est réparti entre des auditions, dont les premières se déroulent aujourd'hui, et des visites de terrain sur les principaux massifs métropolitains. Voilà donc le cadre général. Je vais donc sans plus tarder vous inviter à nous présenter l'exposé que vous jugez bon, sur la base du questionnaire.

M. Yves Cassayre - Mon exposé suivra le déroulement du questionnaire. Je n'ai pas réussi à produire un document écrit mais je vous remettrai différents écrits qui répondent pour toute ou partie aux différentes questions, qui n'ont peut-être pas toutes la même importance. Certaines demeurent, de toute façon, sans réponse, en tout cas de ma part.

Les services de Restauration des terrains de montagne (RTM) sont une institution qui existe depuis 1860. Au milieu du siècle dernier, il n'y avait jamais eu autant de population en montagne dans l'histoire. Cette population était essentiellement constituée d'agriculteurs-éleveurs qui avaient entrepris pour leur subsistance d'importants défrichements, ayant pour conséquences du sur-pâturage et une accélération de l'érosion en montagne. Des rapports d'ingénieurs l'avaient déjà relevé dans les années 1840-1850.

La reprise de l'érosion en montagne a vraiment été constatée dans la décennie 1850-1860. Cette décennie a en effet été marquée par d'importantes crues de la Garonne, du Rhône et de la Loire, tous ces fleuves prenant leur source dans les départements de montagne. Les dégâts occasionnés par ces inondations étaient intervenus non pas uniquement dans les régions de montagne, mais aussi vers l'aval des fleuves. Le phénomène physique était le suivant : la montagne étant déboisée, les sols étaient mis à nu, entraînant d'une part des crues plus fortes puisque les sols épongeaient moins, et d'autre part un entraînement beaucoup plus important de matériaux solides. Ces phénomènes d'inondations au cours de cette décennie ont occasionné un grand nombre de victimes et de dégâts.

L'intervention des pouvoirs publics date de 1860 et du vote de la première loi, une loi sévère de l'Etat centralisateur qui avait fait le raisonnement suivant : « les populations de montagnes ont mal géré leur terrain, on les exproprie, et l'Etat reboise ». Il est certain que cette mesure a engendré des résistances dans bien des campagnes, puisque cette loi privait certains agriculteurs de pâturages. Cette loi a ensuite été modifiée en 1864, 1880 et 1882, amendée à plusieurs reprises, passant d'un reboisement unique à un reboisement associé à un ré-engazonnement (à vocation de pâturage).

Ce reboisement a commencé à porter ses fruits, mais vers 1890, les praticiens se sont aperçus qu'il fallait également effectuer des travaux de génie civil. Ces missions de reboisement ont naturellement été confiées à l'administration des Eaux et forêts de l'époque. Cette politique volontariste de l'Etat fut assortie de crédits réguliers et abondants. Les expropriations se sont faites de plus en plus à l'amiable. La réussite des grands reboisements a été patente, surtout dans les Alpes du Nord et les Pyrénées. La politique de l'Etat d'acquisitions et de grands travaux s'est ensuite ralentie à partir des années 1930, pour se modifier à nouveau en 1950, date à laquelle l'État a décidé de responsabiliser les communes en les subventionnant.

L'application de cette politique a été confiée au service RTM, qui a toujours été un service spécialisé de l'administration des Eaux et forêts, et elle s'est poursuivie de la même manière jusqu'en 1970. La technicité des agents des services RTM a été employée non seulement dans les forêts de l'Etat mais aussi comme maître d'oeuvre ou comme assistant technique auprès des collectivités. Ce savoir-faire RTM acquis dans les forêts de l'Etat a ainsi été utilisé au titre de l'ingénierie publique, et plus largement de l'assistance aux collectivités.

L'année 1970 marque un tournant. En effet, cette année a été marquée par deux catastrophes en montagne : le plateau d `Assy en Haute-Savoie, occasionnant 72 morts, et l'avalanche de Val d'Isère en Savoie (36 morts), à trois semaines d'intervalle. Cette époque voyait le « boom » du développement touristique de la montagne, avec des milliers de lits en plus tous les ans. Ces catastrophes ont entraîné une prise de conscience au niveau national qu'on ne pouvait pas accroître l'accueil en montagne sans prendre en compte la sécurité des personnes et des biens. Ceci a fait l'objet du rapport du Préfet Saunier, suite à la catastrophe de Val d'Isère.

Pour les services RTM, le complément d'activités a consisté à concourir au zonage des risques naturels, zonage qui n'avait jamais été effectué de manière rigoureuse et systématique auparavant. Ce zonage a permis d'établir une cartographie d'avalanches, confiée au CEMAGREF (Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts). Cette cartographie s'est traduite également par les cartes de zones d'exposition au risque du mouvement de sol et du sous-sol (cartes ZERMOS). Ensuite, par l'ancêtre des plans de prévention des risques (PPR) d'aujourd'hui : les plans des zones exposées aux avalanches (PZEA) et les plans des zones exposées aux risques naturels (PZERN). C'est ainsi que les services RTM, aidés du CEMAGREF ont fait leurs premières armes en matière de zonage des risques naturels.

La loi de 1982 sur les catastrophes naturelles a repris ces dispositions à travers deux volets : d'une part la cartographie, avec les plans d'exposition aux risques naturels prévisibles (PER) et d'autre part l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles. En 1995, la loi montagne du 2 février 1995 a substitué aux PER les PPR, qui, en pratique ne sont guère différents, selon moi. Depuis 1995, le véritable changement a surtout concerné les moyens mis en oeuvre, beaucoup plus importants. Peu à peu, la technique des zonages s'est affinée. Il faut ainsi relever que les PPR se sont d'abord construits en zone de montagne (PZEA, PZERN), avec la technicité des services RTM. Nous sommes passés du système des PER, orienté sur la protection des biens, à la protection des personnes à travers les PPR.

Pour des raisons de continuité, les services RTM ont été maintenus dans le giron de l'administrative forestière, l'Office national des forêts (ONF), qui est un établissement public. Le ministère de l'Agriculture subventionne chaque année l'ONF à hauteur de 6,1 millions d'euros hors taxe, pour la mise en place des services RTM dans onze départements de France métropolitaine. Les effectifs s'élèvent à une centaine de personnes, auxquels viennent s'ajouter vingt-cinq personnes dont la présence est justifiée par les financements provenant du ministère de l'Environnement.

Pour ce qui concerne le coût direct ou indirect des phénomènes naturels, je ne dispose pas d'informations précises me permettant de répondre. Je dispose néanmoins de quelques éléments, issus du rapport d'activités de l'année 2000, que je laisserai à votre disposition. Cependant, il est certain que cette politique nécessite des investissements de grande ampleur, comme en témoignent les sommes gigantesques consacrées par les conseils généraux à la protection des routes départementales.

Quant aux enjeux menacés, il est assez difficile de répondre de manière définitive, tant les phénomènes naturels demeurent en grande partie imprévisibles. Ainsi, je me suis rendu la semaine dernière à Chamonix, sur le site de l'avalanche du Brévent. Si nous savons à peu près jusqu'où cette avalanche est descendue, on ne peut pas estimer précisément jusqu'où elle pourrait continuer. Il n'y a pas aujourd'hui, à ma connaissance, de méthodologie permettant d'apprécier sérieusement les enjeux menacés en termes économiques.

Je me permets cependant de vous donner un chiffre, pour relativiser la question : celui du nombre de morts par avalanche chaque année. M. Sivardière développera certainement cette question cet après-midi. Sur les dix dernières années, ce chiffre s'élève à trente personnes par an. Ces victimes se répartissent en deux catégories : d'une part, ceux qui pratiquent des activités de haute-montagne ou qui sortent des pistes de ski balisées (27 morts) et d'autre part, les trois victimes se trouvant dans des zones où le citoyen peut s'estimer en sécurité, c'est-à-dire les bâtiments, les routes ouvertes à la circulation, les pistes de ski ouvertes, les remontées mécaniques. Ce chiffre des trois victimes qui ne s'étaient pas mises en danger volontairement est donc relativement faible, notamment si on le compare à d'autres catastrophes naturelles.

Néanmoins, nous pouvons constater que chaque catastrophe est perçue socialement comme inadmissible. Il nous faut donc essayer de renforcer toujours plus la sécurité. En matière d'avalanches, nous tentons constamment de nous améliorer, notamment depuis 1999, mais il demeure toujours plus difficile de faire mieux quand on atteint des nombres aussi faibles.

Les facteurs de risques sont essentiellement ceux que l'on appelle les risques gravitaires rapides :

- les avalanches ;

- les mouvements de terrain lents ou rapides, comme des chutes de blocs, les éboulements de falaise et les glissements ;

- les risques torrentiels.

Ce sont ces derniers qui occasionnent l'essentiel des dégâts causés aux biens, mais affectent assez peu les personnes. La dernière catastrophe due à des dégâts torrentiels est celle du Grand-Bornand en 1987.

Dans le domaine de la responsabilité du risque je bénéficie d'une assez grande expérience. En effet, avant d'être nommé délégué national aux actions de RTM, j'ai été chef du service départemental de Haute-Savoie pendant sept ans où j'ai signé plusieurs milliers d'avis concernant les risques naturels. Il s'agissait aussi bien d'avis sur les procédures unités touristiques nouvelles (UTN) que d'avis sur des permis de construire, des plans d'occupation des sols (POS). Malgré cette longue expérience, je ne sais toujours pas quel est réellement le rôle de l'Etat, celui du maire et encore moins leur partage de responsabilité en matière de risques naturels.

Je prends comme exemples deux extrêmes : est-ce que la mission de l'Etat ou du maire consiste simplement à faire connaître ce qu'il a dans ses tiroirs, ses archives ? Ou cela doit-il aller jusqu'à l'avis technique, qui implique des visites de terrain par un expert et des préconisations graduées ? Je ne le sais toujours pas. Je ne le sais pas ni pour un permis de construire ni pour une information sur des POS, ni comment le Préfet doit exercer son contrôle de légalité.

Il existe une exception concernant la logique des plans de prévention des risques, qui est selon moi, une excellente procédure du point de vue du contenu mais aussi du point de vue de la sécurité juridique des élus et des services de l'Etat. Au lieu de donner des avis au coup par coup, la commune est étudiée dans son ensemble, ce qui permet de publier un document doté d'une vraie valeur juridique et qui a pu faire l'objet d'une vraie discussion. Cependant, je me pose parfois la question de savoir s'il est raisonnable, par rapport à l'esprit des lois de décentralisation, d'avoir cette logique de PPR où tout s'est re-centralisé sur la responsabilité de l'Etat.

En revanche, le document technique et la manière dont il est élaboré, et les échanges qu'il nécessite avec les collectivités, me semblent être une très bonne chose. J'insiste sur ce point car lorsque l'on lit les textes, que cela soit la loi de 1995 ou son décret d'application, on ne trouve rien concernant la procédure d'échange. Or s'il n'y a pas un réel échange avec la collectivité locale, le PPR ne fonctionne pas, comme nous avons pu le constater dans un certain nombre d'endroits. Il est nécessaire qu'il y ait à la fois une responsabilisation de la collectivité pour qu'elle formule des propositions constructives, et au niveau des services de l'Etat, des cellules spécialisées pour mener cette action tant sur le plan technique que sur le plan de la concertation. Si ces deux conditions sont remplies, je suis persuadé que nous tenons là une très bonne politique en matière d'affichage des risques. Je laisse également à votre disposition un document émanant du ministère de l'Environnement sur l'état d'avancement des PPR.

Pour ce qui concerne la pratique de l'expropriation préventive, je suis plus circonspect au sujet de la mise en oeuvre de la politique d'expropriation : je pense que nous n'avons pas aujourd'hui suffisamment de recul, ni suffisamment de cas traités pour établir un jugement pertinent. En revanche, il est certain que l'expropriation concerne essentiellement la montagne. On doit déplorer que la mise en oeuvre de cette politique manque de précision et de transparence. En conséquence, il est difficile de bien comprendre dans quelle logique les dossiers doivent être présentés. Si le principe de l'expropriation préventive me semble bon, il génère cependant des effets pervers, notamment concernant les travaux de protection. En effet, le coût de ces derniers doit être supérieur à la valeur des biens pour que l'expropriation intervienne. Je prends un exemple : pour une maison valant 152.500 €, si les travaux de protection coûtent 167.700 €, l'expropriation est décidée, le propriétaire de la maison étant dédommagé à hauteur de 152.500 €. En revanche, si les travaux coûtent 137.200 €, l'expropriation n'intervient pas et le financement des travaux est difficile à assurer. Cet effet de seuil n'est pas toujours facile à faire comprendre aux maires ou aux intéressés. Ceci dit, les procédures d'expropriation sont bien moins conflictuelles qu'auparavant.

Pour ce qui est du fonctionnement du fonds de prévention des risques, je ne préfère pas répondre à cette question puisque je ne l'ai abordée qu'à travers les reconnaissances de catastrophes naturelles et par les expropriations. Je pense qu'un spécialiste du ministère de l'Environnement ou du ministère de l'Intérieur serait plus à même de vous éclairer sur cette question. Je peux cependant suggérer une meilleure transparence en ce qui concerne ce qui est éligible aux reconnaissances de catastrophes naturelles.

En ce qui concerne la prise en compte des risques d'avalanches dans les documents d'urbanisme, il y a deux systèmes : soit la procédure PPR, déjà évoquée, soit une gestion au coup par coup, en fonction des cartographies qui peuvent préexister. Il me paraît souhaitable d'accélérer la procédure PPR en montagne, ce qui nécessite sans doute l'attribution de moyens complémentaires et qui permettrait également de réviser quelques anciens PER.

Nous sommes aujourd'hui confrontés à une demande croissante de sécurisation, de la part des maires, de l'Etat, de la justice, de la presse et des particuliers. Les quelques PPR que nous sommes amenés à réviser doit faire l'objet d'un toilettage presque intégral. De plus, les discussions avec les communes, sans qu'elles deviennent plus conflictuelles, sont de plus en plus longues et de plus en plus pointues : les communes sont désormais de plus en plus en exigeantes, ayant déjà l'expérience de plusieurs années de PPR.. Je pense qu'il reste énormément à faire dans ce domaine.

Les acteurs de la gestion du risque sont au nombre de trois, à mon sens :

- l'Etat ;

- le maire ;

- le particulier.

Comme je l'ai évoqué précédemment, le partage des compétences entre ces trois acteurs est difficile à cerner. Il y a en la matière un manque de clarté juridique.

Vous m'avez demandé si selon moi, le risque zéro était accessible, et si oui, à quel coût. Je ne peux répondre à cette question autrement qu'en disant que ce risque est certes atteignable, mais à un coût infini. A mon avis, le courage d'afficher le risque accepté manque : quelle que soit l'efficacité du zonage effectué, la qualité des travaux de protection, il existera toujours un risque résiduel. Il faut avoir le courage de dire aux citoyens qu'un tel risque existera, ce qui signifie que, concrètement, un ouvrage paravalanche ne peut être totalement étanche en cas de très fortes précipitations, par exemple.

Cela signifie également qu'une zone a priori sûre peut être exposée à un danger extrême, bien que statistiquement improbable. Les montagnards, comme les marins, sont conscients qu'on ne peut prévoir l'imprévisible, qui, parfois, survient malgré tout. Or, ceci n'est pas assez dit, selon moi. Les fonctionnaires et les élus se retrouvent ainsi confrontés à une exigence sociale, relayée par les médias et la justice, de sécurité absolue, qu'ils ne peuvent jamais garantir intégralement. Les catastrophes deviennent à la fois de plus en plus rares, et corollairement, de plus en plus inacceptables.

Le déclenchement préventif des avalanches en montagne demeure orphelin d'une solution juridique depuis 1980, date de la dernière circulaire en la matière. Or, celle-ci ne concerne que les déclenchements par explosifs, tandis que, suite aux nombreuses évolutions techniques ayant vu le jour depuis cette époque, les déclenchements sans explosifs se multiplient. Il y a dans ce cas un vide juridique important, alors même qu'il s'agit d'un domaine où les dangers sont nombreux, et qui engage une forte responsabilité des maires et des intervenants (cette circulaire date d'avant les lois de décentralisation). Nous avons eu la chance jusqu'à présent que de gros accidents ne se soient pas produits, les victimes à déplorer se limitant aux rangs des artificiers sans atteindre le grand public.

Mon exposé touche à sa fin. J'ai essayé de traiter les différents sujets que l'on m'avait demandé d'évoquer et suis désormais prêt à répondre à d'éventuelles questions. Pour finir, je tiens à dire qu'après relecture de la loi montagne de 1985, il me semble que son contenu en matière de risques naturels reste très anodin et n'apporte pas de précisions particulières par rapport aux textes antérieurs.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie, monsieur le délégué national. Sur le dernier point évoqué, nous avons effectué le même constat : depuis 1985, la demande de sécurisation de la société, comme vous l'avez justement souligné, est un des phénomènes qui nous ont amenés à nous pencher sur toutes ces questions. Avant de laisser la parole à mes collègues, je souhaite vous poser deux séries de questions.

Tout d'abord, je voudrais savoir si, au-delà des onze départements dont vous vous occupez -et pouvez-vous nous les rappeler-, il y a peut-être des départements de montagne où les risques, bien que moindres, existent. Y a-t-il de la part du ministère de tutelle une volonté d'extension de vos services à ces départements ? Faut-il le proposer ? Avez-vous un regard sur ces départements, quand bien même ils ne sont pas ceux parmi les plus exposés à des « risques montagne » spécifiques ?

Ma seconde question est issue de mon expérience de terrain : je souhaiterais savoir comment s'évalue le risque, dans la mesure où, il semble bien que vous ne soyez pas le seul service consulté. En effet, ce qui me semble curieux dans notre droit français, c'est que la police des eaux, des rivières et des torrents relève soit de la compétence de la Direction départementale de l'équipement (DDE), soit de la Direction départementale de l'agriculture et de la forêt (DDAF). Or ces services, comparativement aux vôtres, sont moins habitués aux procédures de concertation. Comme vous l'avez évoqué, l'élaboration d'un PPR nécessite de votre part un débat préalable, une évaluation des risques, une cartographie. Les autres services apparaissent bien plus rigides. Par conséquent, comment se fait-il qu'il y ait ainsi plusieurs services d'Etat, et non pas une seule voix autorisée ?

M. Yves Cassayre - Concernant votre première question, les onze départements couverts par les services RTM se répartissent ainsi :

- trois départements des Alpes du nord : Savoie, Haute-Savoie, Isère ;

- trois départements des Alpes du sud : Hautes-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence et Alpes-Maritimes ;

- cinq départements du massif pyrénéen : Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées, Haute-Garonne, Ariège et Pyrénées-Orientales.

Autrefois, jusqu'à 26 départements étaient couverts par les services RTM, à l'époque où l'Etat avait acquis un grand nombre de terrains pour les reboiser. Une fois reboisés, ces terrains relèvent désormais de la forêt domaniale, gérée classiquement par les services de l'ONF.

La question qui mériterait d'être posée est la suivante : serait-il utile de disposer de services tels que les nôtres dans ces départements dans les domaines de l'urbanisme et de l'expertise au sens large ? Ceci ne semble pas être à l'ordre du jour : actuellement, le financement des services RTM est tenu à bout de bras par le ministère de l'Agriculture. Chaque année, les discussions sont âpres pour que le financement ne soit pas revu à la baisse.

Ainsi, je regrette fondamentalement que, depuis trente ans qu'existe le ministère de l'Environnement -et alors même qu'il a logiquement été doté d'un nombre croissant de compétences, notamment en matière de risques naturels-, ce ministère n'ait pas pris en charge, au moins partiellement, les services RTM qui travaillent sur ce créneau.

Votre deuxième question avait trait à la répartition des compétences entre différents services de l'Etat. Je ne l'ai pas abordée tout à l'heure, et ce de manière volontaire. Je pense en effet qu'avant de se poser cette question-là -qui mérite cependant d'être posée-, il faut déjà savoir quelle est la mission de l'Etat, comme je l'ai évoqué précédemment. Il est bien évident que certaines domaines font l'objet de compétences partagées, voire diluées, qui nuisent en définitive au bon accomplissement de l'action administrative. Je prends pour exemple la politique de l'eau, répartie entre de nombreux intervenants : la DDASS, la DRIR, la DDA, la DDE, les services RTM. A mon avis, il manque un service unique traitant de la gestion de l'eau sous tous ses aspects, qui permettrait d'accroître l'efficacité de cette politique.

M. Jean-Paul Émin - Vous nous avez parlé des grandes crues intervenues au milieu du XIXème siècle. Pensez-vous que les risques de grandes crues de plaine sont désormais très faibles ?

Ensuite, comme Jean-Paul Amoudry l'a signalé au début de votre audition, un des angles retenus par la mission pour l'évaluation de la politique montagne concerne l'économie. Quelle corrélation peut-il y avoir entre la pérennité de l'activité rurale en montagne et la gestion des risques naturels ? Dans quelle mesure cette activité est-elle réductrice des risques ?

M. Yves Cassayre - L'objectif initial de protection des zones aval a été parfaitement rempli : les investissements consentis par l'Etat ont porté leurs fruits. Il ne faut pas oublier que l'Etat assure également l'entretien de ces ouvrages (ligne budgétaire 35-92 du ministère de l'Agriculture) et que les moyens financiers dégagés à cette fin sont globalement suffisants. Aujourd'hui, la protection est assurée essentiellement à l'intention des populations de montagne, ce qui n'était pas le cas initialement.

Concernant la pérennité des activités rurales, je ne peux véritablement l'affirmer. En effet, si cette activité cesse, un reboisement naturel interviendra, qui n'augmentera pas les risques. Il reste néanmoins deux cas de figure où l'activité du monde rural est nécessaire pour la prévention des risques naturels :

- certains pâturages permettent de prévenir des départs d'avalanches. Un sol brouté, tondu, constitue un terrain moins propice à ces déclenchements qu'une herbe séchée, qui se couche et qui se lisse. Mais ces cas demeurent relativement anecdotiques.

- les zones en mouvements de terrain, où le monde rural entretenait, et entretient encore mais de moins en moins bien, les réseaux d'assainissement et les fossés qui permettent d'évacuer l'eau des terrains.

Néanmoins, je ne pense pas que globalement, on puisse affirmer que la présence d'agriculteurs soit un gros plus en matière de prévention des risques naturels.

M. Pierre Jarlier - Je pense que l'exploitation de certaines terres en milieu humide peut justement susciter des risques de crues en aval. On a beaucoup de difficultés à résoudre ce problème avec des documents d'urbanisme, puisqu'on ne se situe pas sur le même territoire. Il y a donc une indépendance totale entre le choix politique effectué en amont, et celui effectué en aval concernant la gestion du risque.

M. Yves Cassayre - Je suis entièrement d'accord avec vous. Cependant, en zones de montagne, je n'ai pas connaissance de problèmes de grande ampleur. En revanche, j'ai eu parfois l'occasion d'observer des travaux agricoles réalisés en dépit du bon sens.

M. Pierre Jarlier - Comme le drainage par exemple ?

M. Yves Cassayre - Effectivement, un drainage extrêmement performant, qui ne soucie pas de l'évacuation de l'eau en aval, est potentiellement très dangereux. Cependant, en termes quantitatifs, je ne suis pas sûr que cela représente quelque chose de réellement significatif. Autant je disais à l'instant que le monde agricole n'avait pas un gros impact pour la prévention des risques naturels, autant je ne dirais pas non plus qu'il soit particulièrement dangereux.

M. Pierre Jarlier - Rassurez-vous, je n'accusais pas les agriculteurs. Elu du Cantal, j'ai été confronté au phénomène des planèzes basaltiques, sur lesquelles il y a des milieux humides qui sont un régulateur très important. Comment justement peut-ont pérenniser ces zones humides en les liant à l'activité agricole ?

M. Yves Cassayre - Je ne suis pas sûr que les PPR soient l'outil le mieux adapté dans le cas présent, ils n'ont pas cette vocation de préservation. Selon moi, il serait plus efficace de préserver ces zones à l'aide de dispositions environnementales.

M. Pierre Jarlier - Tout à fait. C'est d'ailleurs ce qui est envisagé.

M. Yves Cassayre - Cependant, si ces zones humides sont utiles à la faune et à la flore, il ne faut pas perdre de vue qu'elles peuvent également exercer un effet d'éponge sur les sols, ce qui peut représenter un avantage ou un danger selon les circonstances locales.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie à nouveau, Monsieur le délégué national, pour votre contribution et pour les précisions que vous avez bien voulu nous fournir.

4. Audition de M. François Sivardière, directeur de l'Association nationale pour l'étude de la neige et des avalanches (ANENA) (3 avril 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Monsieur Sivardière, bonjour. Je vous remercie d'avoir regagné le Sénat pour cette audition que nous avons souhaitée dans le cadre des travaux de la mission sur l'évaluation de la politique montagne. Je voulais vous dire en introduction que cette mission s'est donnée pour objectif d'évaluer l'implication de la loi montagne de 1985. Nous désirons remettre de l'ordre dans la vision que l'on porte sur la montagne, mettre à jour des problématiques et établir des conclusions destinées au législateur. Nous entendons ainsi déposer des préconisations, qui prendront pour certaines la forme de règlements, pour d'autres, la forme d'actes législatifs. Vous êtes l'un des premiers que nous entendons sur ce sujet, plus particulier au massif alpin et pyrénéen. Je vous remercie encore de votre présence et je vous laisse la parole.

M. François Sivardière - Je vous remercie de bien vouloir m'auditionner. Mon propos va être essentiellement axé sur les avalanches, dans la mesure où je suis le directeur de l'Association nationale pour l'étude de la neige et des avalanches (ANENA).

L'ANENA a été créée en octobre 1971, par décision du Conseil des ministres d'octobre 1970, suite à l'avalanche qui entraîna 39 morts à Val d'Isère le 10 février 1970. Cette création avait pour vocation de rassembler l'ensemble des personnes qui travaillaient sur le risque d'avalanche, de façon à ce que la dispersion des compétences ne soit pas un frein à l'amélioration des connaissances en la matière. Avec le temps, les missions et la composition de l'ANENA ont quelque peu évolué. En 2002, les membres de l'ANENA sont multiples et variés.

- les organismes de recherche : il s'agit des deux grands laboratoires français travaillant dans le domaine de la neige et des avalanches : le Centre d'Etude de la Neige de Météo France et le CEMAGREF, qui dépend du ministère de la Recherche ;

- les professionnels des stations de ski : les services de remontées mécaniques, les services de sécurité des pistes, les guides, les moniteurs, les accompagnateurs ;

- les représentants des collectivités locales : ainsi, trois représentants de l'Association des maires de stations de sports d'hiver et trois représentants de l'ANEM sont membres du Conseil d'administration de l'ANENA. Parmi ces maires, un grand nombre est titulaire d'autres mandats, ce qui permet une bonne représentation des collectivités locales au sein de l'ANENA ;

- des administrations concernées par la gestion du risque d'avalanches : il s'agit des Eaux et Forêts avec le service RTM, les directions de l'Equipement, les services publics de secours en montagne (CRS et gendarmes de Haute Montagne). On retrouve également l'Ecole nationale de ski et d'alpinisme, dépendant du ministère de la Jeunesse et des Sports. Enfin, un certain nombre de ministères sont membres de droit de l'ANENA : les ministères de l'Environnement, de la Défense, de l'Intérieur, de l'Agriculture, des Transports, et le secrétariat d'Etat au Tourisme ;

- les pratiquants de sports d'hiver : c'est une particularité de l'ANENA par rapport à d'autres associations similaires à l'étranger. Sont membres du conseil d'administration de l'ANENA des représentants du Club alpin français, de la Fédération Française de Montagne et d'Escalade, de la Fédération Française de Ski.

L'ANENA dispose également d'autres partenaires, à l'instar de fabricants de matériels de sécurité, individuelle ou collective. Enfin, et de plus en plus, l'association est en contact étroit avec les institutions judiciaires et les médias.

L'ANENA dispose de quatre grandes activités.

- L'information constitue désormais la principale activité de l'ANENA, bien qu'historiquement apparue plus tardivement. L'association a pour mission de vulgariser l'information et les connaissances, de diffuser des conseils pratiques aux professionnels mais également au grand public. L'ANENA publie ainsi une revue trimestrielle qui a pour vocation de faire le point sur l'état des connaissances, des études en cours, du matériel. Des témoignages d'accidents, riches d'enseignements, sont également publiés ; une chronique juridique est également assurée. L'accent est mis sur la vulgarisation pour que le lecteur n'ait pas besoin de pré-requis pour pouvoir comprendre le contenu de la revue, tirée à 1700 exemplaires.

Ensuite, nous réalisons des documents, allant du dépliant - fourni par exemple lors de l'achat d'une paire de raquettes - aux ouvrages très complets qui traitent de l'ensemble des problèmes liés aux avalanches, en passant par des brochures plus simples, des documents destinés aux enfants, des produits audiovisuels (cassettes vidéo, diapositives). L'objectif de ces documents est double : il s'agit à la fois de sensibiliser le grand public, mais aussi de lui permettre de se former lui-même. Cette documentation est essentiellement vendue par correspondance, ou au siège de l'association, à Grenoble.

Nous disposons également d'un centre de documentation pour des requêtes plus précises et plus ciblées ; d'un site Internet fournissant des données générales sur la neige, les avalanches, des conseils pratiques mais aussi des articles de fond. L'ANENA intervient également beaucoup auprès des médias, à travers des entretiens, la relecture d'articles. L'association est fréquemment sollicitée par les médias pour apporter des éclairages sur des questions ayant trait aux avalanches.

- La formation professionnelle

L'ANENA assure deux formations spécifiques, dont elle a l'exclusivité :

- la formation de spécialistes en déclenchement d'avalanches, sous forme de stages d'une dizaine de jours (quatre stages du 15 novembre au 15 décembre). 120 personnes sont ainsi formées chaque année au déclenchement des avalanches par explosif.

- la formation des maîtres-chiens d'avalanche. L'ANENA est agréée par le ministère de l'Intérieur pour cette formation, hors gendarmes et CRS, qui disposent de leurs propres structures d'enseignement. L'ANENA forme ainsi une vingtaine d'équipes cynophiles chaque année.

En outre, l'ANENA assure des formations à la demande, à destination des guides, des moniteurs, des agents de l'ONF, des vendeurs de matériel de ski désireux d'approfondir leurs connaissances sur la neige et la formation des avalanches.

- L'ANENA est un organisme de concertation

Regroupant la quasi-totalité des personnes physiques, morales ; publiques ou privées, concernées par le risque d'avalanche, l'association est un lieu d'échanges et de concertation. Ainsi, chaque solution retenue et mise en place sur le terrain fait préalablement l'objet d'une discussion et d'un accord de la totalité des parties qui seront ensuite chargées de sa mise en oeuvre.

A titre d'exemple, cette plate-forme de discussion, de partage d'expériences, a ainsi contribué à mettre en place l'échelle européenne de risque d'avalanche à l'hiver 1993-1994. En effet, Météo France était en discussion avec ses homologues dans les autres pays européens, mais rendait compte, via l'ANENA, aux futurs utilisateurs français de l'état d'avancement des travaux. Les différents utilisateurs potentiels comme les services de sécurité des stations de ski, les guides et moniteurs, les pratiquants, ont ainsi pu donner leur avis sur les différentes orientations envisagées.

En outre, des groupes de travail ont également été institués, traitant des problèmes liés à la prévision du risque d'avalanche, aux secours, à l'information des pratiquants, aux aspects juridiques. De manière plus générale, l'association organise des colloques nationaux ; le dernier en date s'est tenu en novembre 2001 sur le thème de la gestion du risque d'avalanche en France depuis 1970.

- Les études

Initialement, l'ANENA était très axée sur la recherche et la production d'études destinées à améliorer les connaissances en matière d'avalanches. Néanmoins, il n'y a jamais eu à l'association de chercheurs au sens classique du terme. En effet, l'ANENA est surtout un organisme fédérateur, un gestionnaire financier, porteur de projets. Elle fait réaliser les études techniques par le Centre d'Etude de la Neige, le CEMAGREF ou d'autres laboratoires comme le Centre d'Etudes nucléaires de Grenoble, qui a notamment travaillé sur les techniques de déclenchement d'avalanches.

Actuellement, la part études et recherches de l'ANENA est minime, principalement circonscrite depuis trois ans aux sciences humaines, à l'instar d'une thèse financée par la Fondation MAIF sur les enjeux de l'information pour la prévention des accidents liés à la pratique de sports d'hiver. L'ANENA effectue également un travail sur les problématiques juridiques, à travers notamment le rassemblement des textes réglementaires - de la loi à l'arrêté municipal - ayant trait à un titre ou à un autre à l'avalanche. Ici, il s'agit de rassembler l'ensemble des textes existants sur une base de données disponible sur le site Internet de l'association. L'idée est ainsi d'offrir une facilité d'accès à ces textes, mais également, un certain nombre d'analyses sur des questions juridiques posant régulièrement problème. Enfin, l'association s'attache à traiter l'accidentologie des avalanches, à travers l'établissement d'un bilan des avalanches. Nous disposons ainsi de données complètes depuis 1990 sur les accidents mortels afin d'optimiser l'information, en ciblant mieux les messages.

En résumé, les activités principales de l'ANENA consistent d'abord à rassembler l'information pour mieux la diffuser, puis à permettre les rencontres, les échanges, les discussions pour faire avancer la réflexion sur la sécurité en montagne, à travers le filtre des avalanches. L'ensemble de ces actions semble d'ailleurs bien répondre à un réel besoin, à en juger le nombre croissant de demandes dont l'ANENA est saisie.

L'ANENA est composée de sept permanents et dispose d'un budget de 500 000 euros pour 2002, dont la moitié sert à couvrir les dépenses de fonctionnement. Nous devons ainsi trouver chaque année 265 000 euros pour payer les frais de structure et de fonctionnement. Malheureusement, l'activité de l'association dépend en grande partie, des moyens qu'elle parvient à dégager. Ainsi, ces trois dernières années, nous étions parvenus à disposer de suffisamment de ressources financières pour éditer des dépliants ; ce n'est malheureusement pas le cas pour l'exercice 2002. Nous sommes donc limités par nos moyens. Ces derniers proviennent de différentes sources :

- des aides de l'Etat : le ministère du Tourisme, la réserve parlementaire ;

- des aides des conseils généraux ;

- des aides des mairies ;


Nous disposons d'un accord avec l'Association des maires des stations françaises de sports d'hiver et d'été dont 80 mairies cotisent à l'ANENA ;

- des cotisations de membres, qu'ils soient personnes physiques ou morales ;

- des dons.


Cette partie, constituée des subventions, des cotisations et des dons, représente environ 60 % des revenus nets de l'ANENA. Les 40 % restants proviennent des prestations de l'association, c'est-à-dire essentiellement la formation des artificiers et des maîtres-chiens, voire la vente de la revue et de documentations. Nous arrivons donc à équilibrer à peu près le budget pour l'exercice 2002, mais nous demeurons limités dans nos actions par nos ressources financières.

La prévision du risque d'avalanche à l'échelle d'un massif, soit 500 kilomètres carrés, est aujourd'hui bien maîtrisée. Météo France réussit ainsi à effectuer une prévision du risque d'avalanche fiable sur cette échelle. En effet, on connaît relativement bien l'influence de grands paramètres météorologiques sur le risque d'avalanche : les chutes de neige (le risque est aggravé à partir de vingt à trente centimètres de neige fraîche) ; le vent, qui provoque des accumulations de neige ; le réchauffement, quand il provoque une fonte de neige importante, peut également être à l'origine d'une fragilisation du manteau neigeux. A partir de ces paramètres, il est possible d'évaluer le risque sur plusieurs jours, en le quantifiant sur une échelle comportant cinq niveaux.

Malheureusement, ce risque est également très influencé par la topographie des lieux. La grosse difficulté consiste ainsi à passer de l'échelle du massif à l'échelle de la pente. Ce changement d'échelle pose de ce fait un problème très difficile à résoudre, et même les pratiquants, professionnels de la montagne les plus expérimentés ne sont pas à l'abri d'un accident, quel que soit leur niveau de compétences.

Un autre facteur de risque, qui est en revanche modifiable, correspond au « facteur humain ». En effet, outre les paramètres météorologiques, le risque d'avalanche dépend également de la façon dont un groupe de skieurs se comporte sur une pente. Si les différents membres de ce groupe conservent des distances respectables lors de la descente d'une pente, la surcharge sera bien plus faible et le manteau neigeux résistera bien mieux. A l'inverse, si les skieurs effectuent un passage groupé, les risques de voir ce manteau céder seront accrues. En terme d'information, le pratiquant ne peut donc pas être considéré comme un acteur passif puisqu'il se met en danger de manière délibérée bien que souvent inconsciente : personne ne l'a forcé à faire du ski ou du surf en dehors des pistes balisées.

Ceci met à nouveau en exergue la nécessité d'informer le public. En effet, des précautions peuvent permettre de ne pas déclencher une avalanche, ou au pire, si elle a lieu, de limiter les conséquences de l'accident. Le pratiquant, peut donc avoir par son comportement une action réduisant les probabilités d'accident. Il s'agit donc d'une particularité par rapport à d'autres risques naturels : l'individu dispose d'une réelle influence sur le déclenchement de l'avalanche.

En revanche, étant confronté à un phénomène naturel d'une ampleur parfois insoupçonnée, je ne pense pas qu'il soit possible de viser le risque zéro : aussi expérimentés soient-ils, les pratiquants et professionnels les mieux formés ne sont jamais à l'abri d'un accident. Les connaissances actuelles demeurent trop lacunaires pour évaluer à coup sûr la stabilité d'un manteau neigeux.

Pour ce qui concerne le coût économique de l'avalanche, il me semble très difficile de répondre, dans la mesure où, à ma connaissance, il n'existe pas de regroupements d'informations et de données sur les dommages relatifs aux avalanches. Les assurances, les RTM disposent peut-être de données éparses, mais celles-ci ne sont pas réunies dans une base de données globale. La seule donnée disponible à l'heure actuelle en la matière est le bilan des accidents effectué par l'ANENA, depuis que l'association existe, et ce grâce à la collaboration active des pelotons de gendarmerie de haute montagne, de sections de CRS et de certaines stations de ski. Ainsi, depuis une trentaine d'années, on estime à trente le nombre de décès annuels dus à une avalanche, soit près d'un millier de morts depuis les années soixante-dix.

Les inondations, les tempêtes peuvent occasionner ponctuellement un grand nombre de victimes, mais sur une longue période, le risque d'avalanche est considéré comme le risque naturel le plus meurtrier en France. Il y a donc environ une trentaine de décès par an ; sur environ cent-cinquante à deux cents personnes accidentées lors d'un déclenchement d'avalanches. A peu près 90 % de ces décès sont le fait des victimes elles-mêmes, qui sont à l'origine des coulées de neige les ayant ensevelies. Les cas où un pratiquant ou un groupe déclenchent une avalanche emportant une personne située plus bas dans la pente sont ainsi très rares. De même, les cas d'avalanches spontanées ensevelissant un skieur situé en aval sont également très peu fréquents.

Par ailleurs, on estime que 80 % voire la totalité des accidents concernent des personnes pratiquant une activité de loisir. Il s'agit essentiellement aujourd'hui du ski hors-piste, alors que jusqu'au début des années quatre-vingts dix, les randonneurs étaient les plus exposés. Les cas d'avalanches touchant soit les maisons, soit les routes ou les pistes de ski ouvertes sont très rares. Ainsi, l'accident de 1999 de Montroc, à côté de Chamonix a certes marqué les esprits, mais il s'agit d'une exception au regard des statistiques établies sur les douze dernières années. Il en va de même pour les routes (une personne en 1990) et les pistes balisées (quatre ou cinq sur les douze dernières années).

Encore une fois, concernant les données strictement économiques, il n'existe pas aujourd'hui de procédures de retour d'expérience mises en oeuvre qui permettraient d'établir un coût économique des avalanches en France, à l'inverse de la Suisse qui le pratique.

Enfin, au sujet de la cartographie des accidents d'avalanche, on observe que ces derniers interviennent au deux tiers dans les trois départements des Alpes du Nord : Savoie (qui représente à elle seule le tiers de ces accidents), Haute-Savoie et Isère. Les Alpes du Sud (essentiellement le département des Hautes-Alpes) et les Pyrénées (Hautes-Pyrénées) représentent respectivement 20 % et 10 % de ces accidents. Ceci ne signifie pas pour autant que certains départements soient plus dangereux que d'autres ; le taux est tout simplement lié à la fréquentation des massifs. Les autres montagnes, Vosges, Jura, Massif central sont également touchées, mais de manière beaucoup plus ponctuelle.

La gestion du risque d'avalanche fait intervenir un grand nombre d'acteurs qui sont quasiment tous représentés au sein de l'ANENA. Concernant le traitement du risque, il est loisible de distinguer deux grandes catégories : la gestion collective du risque, où l'objectif consiste à protéger un grand nombre de personnes ; la gestion ou sécurité individuelle.

La gestion collective du risque est la plupart du temps de la responsabilité du maire sur sa commune. L'autre part de la responsabilité est dévolue à l'Etat, notamment en ce qui concerne les plans de prévention des risques. Pour gérer le risque, le maire peut faire appel à un certain nombre d'acteurs. Pour les risques liés à l'urbanisme et aux infrastructures de transport (protection des routes, des bâtiments), il s'appuie essentiellement sur les compétences des services RTM, qui interviennent sur les chantiers de génie paravalanche, sur la cartographie réglementaire et le plan de prévention des risques.

Le deuxième aspect auquel est confronté le maire dans sa gestion du risque a trait au domaine skiable. Ici, il ne peut mettre en oeuvre une protection permanente, comme des systèmes de digues, d'ouvrages retenant la neige dans les zones de départ. L'élu s'appuie sur le travail de Météo France, en termes de prévision du risque, les mesures qu'il édicte dépendant de l'intensité du risque déterminé par Météo France.

Les mesures les plus régulièrement prises concernent le déclenchement volontaire des avalanches, mesures réglementées par le Plan d'intervention et de déclenchement des avalanches (PIDA), ce dernier faisant l'objet d'un contrôle de légalité par le Préfet. Ces déclenchements sont mis en oeuvre par le service des pistes de la station.

Les autres principales mesures prises par le maire ont trait à la réglementation. La plupart du temps, il va s'agir d'interdire l'accès à des routes, des pistes de ski par voie d'arrêtés. Le maire peut également soit évacuer des bâtiments, soit demander le confinement.

Enfin, l'information constitue le dernier outil à la disposition du premier magistrat de la commune. Une des grandes difficultés dans la gestion du risque réside dans l'arrivée massive d'une population touristique qui dispose rarement de connaissances pointues en matière de nivologie. En matière d'information, la principale mesure, outre différentes brochures distribuées, est le drapeau d'avalanche (trois couleurs en fonction de l'acuité du risque), qui constitue un premier niveau d'information, information qui peut être complétée par les services de secours, trop rarement sollicités par les pratiquants.

Le maire porte ainsi l'essentiel de la responsabilité en cas d'accident. Il dispose, comme outils, de la cartographie réglementaire réalisée par les services de l'Etat. Cette cartographie fait souvent l'objet de négociations, parfois vives, avec la population locale concernée. En effet, le souci de prévention, qui peut conduire à déclarer des zones inconstructibles, est parfois confronté aux pressions économiques, liées notamment au développement de l'activité touristique sur la commune.

Certains problèmes peuvent voir le jour. Ainsi, au sujet du déclenchement des avalanches par explosif, les répartitions de responsabilité sont partagées entre le maire, responsable juridiquement et le directeur du service des pistes, responsable de la mise en oeuvre du déclenchement et bien souvent de la décision elle-même, tant il est vrai que l'élu ne dispose pas souvent des compétences en la matière. En outre, les arrêtés pris pour évacuer ou interdire les pistes souffrent fréquemment d'une trop grande généralisation (par exemple, l'interdiction d'un secteur pour tout l'hiver, dès qu'il neige) et pourraient se voir sanctionner par le contrôle de légalité.

Pour ce qui concerne la sécurité individuelle, comme je l'ai évoqué précédemment, les pratiquants sont les premiers concernés par le déclenchement des avalanches. Un premier recours consiste à se faire encadrer par des professionnels : guides, moniteurs, accompagnateurs mettant leur formation et leur expérience sur le terrain à la disposition du grand public. Il ne s'agit toutefois pas d'une garantie totale contre la survenue de l'accident, mais plutôt d'un facteur de réduction des risques.

Le pratiquant doit également faire la démarche de s'informer, de se former, par le biais de clubs de montagne tels que le Club alpin français, la fédération française de montagne et d'escalade qui jouent un rôle essentiel pour la responsabilisation des pratiquants. Il demeure cependant très difficile de toucher le grand public qui n'appartient pas à des structures associatives et se sent rarement concerné bien qu'il représente l'essentiel des victimes.

Lorsque qu'un accident survient, deux grands types de services assurent les secours. En premier lieu, les services publics qui interviennent systématiquement en montagne, loin des domaines skiables : gendarmes, CRS, médecins des SAMU spécialisés, voire pompiers. Dans les autres cas de figure, lorsque les accidents ont lieu à proximité des domaines skiables, les pisteurs secouristes interviennent. Là encore, pour que le secours soit efficace, les pratiquants doivent pouvoir être leurs premiers secouristes : les chances de survie décroissent considérablement après quinze minutes. Ceci pose un problème en terme d'équipement, dans la mesure où un appareillage efficace existe certes (petites balises émettrices, pelles, sondes) mais coûte relativement cher, environ 382 €.

Au sujet des avalanches et de l'urbanisme, une idée fausse serait de considérer qu'en mettant le prix, on pourrait sécuriser toutes les zones perçues comme dangereuses. En réalité, les ouvrages paravalanches sont construits en référence à un certain type d'événements ; mais ceci ne constitue pas une garantie définitive, dans la mesure où des phénomènes encore plus violents peuvent survenir. Dans certaines vallées, il n'est plus possible de construire ailleurs que dans des zones menacées par les avalanches. En conséquence, la prévention des risques peut se trouver confrontée dans certains cas avec une volonté de développement touristique.

Cependant, et même si des progrès doivent être faits en la matière, on peut prévoir le risque dans une certaine mesure et donc ne pas se voir obligés de supprimer des activités sur de grands domaines suite à une chute massive de neige. D'une manière générale, les professionnels peuvent maintenant affiner leurs prévisions et un développement économique raisonné, qui prend en compte les conditions météorologiques, ne se trouve pas menacé par le risque d'avalanche. En résumé, le risque d'avalanche demeure certes une contrainte à prendre en compte mais cela ne m'apparaît pas comme étant un frein à une activité économique et touristique.

Les réformes souhaitables concernent plusieurs aspects.

Les connaissances : il demeure nécessaire d'approfondir les connaissances dans certains domaines. Je pense en particulier aux effets des explosifs, aux manteaux neigeux stables, fréquemment skiés. En effet, si les manteaux neigeux instables sont plutôt bien répertoriés, il n'en va pas de même pour ceux considérés comme stables.

Un meilleur retour d'expérience : Au niveau de l'ANENA, nous essayons d'obtenir un maximum d'informations sur les accidents d'avalanche, compte tenu de nos moyens limités. D'une manière générale, beaucoup d'enseignements restent à tirer en la matière et malheureusement nous ne disposons pas de suffisamment de moyens tant humains que financiers pour pouvoir exploiter toutes les informations disponibles.

La prévision des avalanches à l'échelle locale : la prévision au niveau d'une station de ski demeure difficile à établir. En outre, les prévisions locales effectuées par les professionnels des stations ne sont pas toujours considérées à leur juste valeur, par les juges en particulier. Ceci est dommageable, tant le savoir-faire local est pertinent pour appréhender les phénomènes d'avalanche, compte tenu de la diversité des topographies.

Une réactualisation des textes réglementaires : cette réactualisation s'impose tout particulièrement concernant le déclenchement des avalanches. Dans ce domaine, les textes datent du début des années quatre-vingts et ne prennent pas en compte certaines techniques apparues entre-temps.

Enfin et surtout, un effort considérable reste à effectuer pour l'information des pratiquants.

M. Jean-Paul Amoudry - Je souhaite vous poser deux questions complémentaires. Ma première question porte sur un aspect technique et la nivologie en règle générale : êtes-vous amenés à vous intéresser au lien entre l'évolution du manteau neigeux et certains phénomènes climatiques tel que le réchauffement ? Au lien entre la nivologie et la ressource en eau en montagne ? La deuxième est la suivante : avez-vous le sentiment que les avis que vous émettez sont suivis par les juridictions ou les assurances qui font appel à vous ?

M. François Sivardière - Concernant votre première question, je dois préciser que l'ANENA en tant que structure ne s'est pas intéressée aux conséquences des phénomènes de réchauffement climatique. Le Centre d'étude de la neige de Météo France a travaillé sur cette question et a indiqué qu'un réchauffement de la température de l'ordre de un à deux degrés se traduirait par une remontée de la limite inférieure de la neige qui risquerait de poser un problème aux stations de basse et moyenne altitude. Ainsi, à 1 500 mètres, la période d'enneigement ne durerait plus que deux mois ou deux mois et demi. A plus haute altitude, il n'y aurait guère de différences, si ce n'est quelques jours en début et fin de saison. En ce qui concerne le risque d'avalanches, il n'y aurait pas non plus d'incidence particulière, tout au plus une augmentation des avalanches de type humide, l'humidité étant directement liée au réchauffement de la température.

Au sujet des ressources en eau, je ne dispose pas d'informations. A ma connaissance, je ne crois pas qu'il y ait de grosses variations, dans la mesure où le réchauffement climatique s'accompagnerait également de précipitations plus importantes. Il y aurait donc moins de neige à basse altitude mais plus de neige à haute altitude. Les stocks seraient donc a priori constants. Mais ce ne sont que quelques hypothèses car je n'ai pas entendu parler d'études à ce sujet.

En ce qui concerne l'ANENA en tant que personne experte, les assurances ne m'ont jamais approché depuis ma prise de fonction en 1994. En revanche, concernant les institutions judiciaires, l'ANENA n'est pas experte en tant que personne morale auprès des Cours d'appel : les experts dans le domaine de la neige et des avalanches sont nommés à titre personnel. Un certain nombre d'experts appartiennent cependant à l'ANENA depuis un certain temps, mais ils interviennent en leur nom propre auprès des tribunaux. Pour ma part, j'ai déjà été sollicité à plusieurs reprises. J'y vois une difficulté qui est celle de devoir donner raison à une des parties d'un procès. Or, l'ANENA et son directeur ayant plutôt la vocation d'être un liant entre différents acteurs, un organisme de conciliation, cela pourrait contribuer à dégrader des relations entre l'association et une partie de ses membres.

Néanmoins, il nous est arrivé d'intervenir en tant que « sachants », notamment lors du procès d'un guide, suite à l'accident intervenu près de Gap au cours d'une randonnée de raquettes et qui avait entraîné la mort de neuf enfants et de deux adultes. A cette occasion, le Procureur de la République a souhaité que j'effectue un exposé, en introduction du procès, de façon que toutes les parties bénéficient des mêmes informations. Pendant plus de deux heures, j'ai ainsi effectué un exposé, comme je peux le faire auprès des clubs de pratiquants, en expliquant comment la neige se modifie, comment se forme une avalanche, quelles sont les conduites à tenir en cas d'accidents... A deux autres occasions, les compétences de l'ANENA ont été sollicitées à travers la voix de son directeur : récemment pour un accident survenu dans le Jura, où l'on m'a demandé des informations sur les chances de survie ; une autre fois à la Cour d'appel de Chambéry au sujet des appareils de recherche des victimes d'avalanches (ARVA).

Enfin, il nous arrive de plus en plus d'intervenir à la demande, notamment pour la formation de magistrats, soit par le biais de l'Ecole nationale de magistrature, soit à la demande expresse de juridictions, comme le Tribunal administratif de Grenoble ou la Cour d'appel de Chambéry.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie, monsieur le directeur, pour votre contribution.

5. Audition de M. Patrice Vermeulen, directeur des entreprises commerciales, artisanales et de services auprès du ministre délégué à l'industrie, aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation (23 avril 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Je suis heureux de vous accueillir au nom de la mission d'information sur la montagne. J'excuse le président de cette mission, qui a dû se rendre dans le Sud de la France. Je vous reçois en présence de Jean Boyer, sénateur de la Haute-Loire et de Pierre Jarlier, sénateur du Cantal.

Le président de cette mission, Jacques Blanc, Pierre Jarlier et moi-même avons proposé au Sénat la constitution d'une mission d'information sur la politique de la montagne. La loi de 1985 s'applique déjà depuis quelques années. Depuis, d'autres textes, portant en particulier sur la ruralité et la montagne, ont été élaborés. La loi de 1985 est ainsi corrigée notamment par la loi sur la solidarité et le renouvellement urbain (SRU), par des lois d'aménagement du territoire, par nombre d'autres textes relatifs à la forêt ou à l'agriculture, et par la loi Chevènement dédiée à l'intercommunalité.

Outre ces textes, un certain nombre d'éléments extérieurs sont intervenus depuis 1985, touchant aussi bien au droit européen qu'à des événements climatiques.

Dans ce contexte, nous avons jugé intéressant de nous pencher sur l'actualité de la loi Montagne, et sur la façon dont ce texte a été appliqué. Nous avons voulu mettre à profit la suspension des travaux législatifs du Parlement, qui concerne directement le Sénat, ainsi que le fait que l'année 2002 soit l'année internationale des montagnes, pour réfléchir à ce sujet et tenter de parvenir à des conclusions porteuses, à l'échéance de l'automne prochain.

Cette mission regroupe des sénateurs appartenant à différentes familles politiques du Sénat et à quatre de nos commissions.

Je souhaiterais que votre intervention respecte l'ordre chronologique des questions que nous vous avons posées. La première d'entre elles concernait l'article 58 de la loi Montagne du 9 janvier 1985. Cette loi prévoit qu'un rapport « rendant compte des mesures prises par l'Etat en faveur des commerçants et des artisans installés en zone de montagne » soit déposé chaque année. Pourriez-vous nous faire part des cinq derniers rapports élaborés dans ce cadre ?

M. Auguste Cazalet, sénateur des Pyrénées-Atlantiques et M. Marcel Lesbros, sénateur des Hautes-Alpes nous rejoignent à l'instant.

M. Patrice Vermeulen - Nous avons préparé des réponses écrites à vos questions. Je vous remettrai donc un document qui reprendra les éléments dont je vous ferai part lors de ma présentation, en sachant que l'expression orale est plus libre que l'expression écrite.

La loi Royer de 1973 a également prévu l'élaboration annuelle d'un rapport sur le commerce. Ce rapport est élaboré au nom du Premier ministre et déposé sur les bureaux de l'Assemblée et du Sénat. Nous pourrons vous remettre un exemplaire de ces rapports, suffisamment détaillés pour que la situation des départements couverts par la loi Montagne puisse être mise en exergue.

M. Jean-Paul Amoudry - Quel est le bilan, en termes statistiques, du commerce et de l'artisanat en zone de montagne ? Comment le nombre d'entreprises a-t-il évolué depuis cinq ans ? Comment les différentes filières se structurent-elles ?

M. Patrice Vermeulen - Nous ne disposons pas, concernant le nombre de commerces et leur évolution, de statistiques fines par zone.

M. Jean-Paul Amoudry - Il vous est donc impossible de déterminer si le nombre d'entreprises a augmenté, diminué, ou s'il s'est stabilisé.

M. Patrice Vermeulen - La direction des entreprises commerciales, artisanales et de services (DECAS) dispose de données nationales, ainsi que de données portant sur les zones rurales, mais pas de données spécifiques aux zones de montagne. Le document écrit que nous vous transmettrons fait état d'une diminution générale des commerces de détail, mais l'outil statistique utilisé par l'INSEE n'est pas suffisamment précis pour fournir des indications très détaillées à ce sujet.

La stratégie définie s'applique à l'ensemble du territoire. Elle consiste, d'une part, à aider le commerce traditionnel, grâce à un certain nombre d'outils, notamment, le fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce. Elle consiste, d'autre part, à refuser de faire des zones rurales ou de montagne des mouroirs. Il importe d'attirer dans ces zones des populations jeunes, en répondant à leurs attentes. Ces populations souhaitent notamment disposer de commerçants et d'artisans proposant les mêmes produits que ceux qu'elles peuvent acheter dans les grandes villes.

Notre politique ne vise pas à maintenir des petites épiceries qui ne vendraient que quelques boîtes de conserve périmées et chères ou des commerces non-alimentaires du type quincailleries, mais à favoriser la venue des jeunes, ainsi que l'implantation d'activités économiques, notamment touristiques.

Il est important que des touristes venant passer un week-end ou une semaine dans un village y trouvent un approvisionnement varié en produits de qualité, et à des prix compétitifs. Ainsi, ils n'éprouveraient pas le besoin de remplir leur coffre en quittant la région parisienne ou de se rendre dans la vallée ou dans la grande ville la plus proche pour faire leurs achats. Corollairement, l'épicerie locale ne servirait pas uniquement à approvisionner quelques personnes âgées. Il est préférable d'aider l'approvisionnement de ces personnes grâce à des systèmes de tournées, soutenus par le fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (FISAC), et permettant de répondre au quotidien à leurs besoins. Il importe par ailleurs que les zones rurales ou de montagne ne soient pas mises à l'écart du développement économique. Cela suppose que ces zones mettent à la disposition des jeunes et des touristes un approvisionnement correspondant à leurs besoins, dans le domaine du commerce, de l'artisanat, du bricolage et de la distribution alimentaire.

Nous intégrons donc la politique de la montagne à la politique générale que nous avons définie pour le territoire autre que les grandes villes. Cette politique consiste par exemple à inciter la grande distribution à ce que les supermarchés d'entrée de ville ou de petite ville s'implantent dans les zones rurales ou de montage, afin que les populations jeunes ou en transit puissent consommer sur la base d'un bon rapport qualité-prix.

Cette politique va à l'encontre d'un certain nombre d'idées, selon lesquelles il importerait de conserver une épicerie et un débit de tabac dans chaque petit village. Dans certaines configurations, il est possible de mettre en place un système de multiservices, avec l'aide du FISAC. Il me semble néanmoins préférable de développer les systèmes de tournées, notamment en incitant les supermarchés à organiser ce type de tournées, de telle sorte que les produits distribués en zone rurale ou de montagne le soient à des prix compétitifs et de qualité, et de telle sorte que leur rotation soit suffisante pour qu'ils soient frais. Certains produits sont portés par un important dynamisme commercial. Le nombre de boulangeries s'élevait à quelque 50 000 après la guerre, contre 40 000 aujourd'hui. Les commerces de proximité de ce type ont réussi leur conversion, et se maintiennent.

La politique des massifs est pertinente pour les zones de montagne. Néanmoins, la politique des pays mérite d'être renforcée, dans la mesure où le pays forme une aire géographique représentative du développement économique et susceptible de permettre une analyse en termes de zones de chalandise. Par ailleurs, l'intercommunalité présente nombre d'avantages, tant dans les zones urbaines que dans les zones de montagne. Cette organisation permet en effet de mieux répartir la taxe professionnelle. Corollairement, l'implantation des surfaces alimentaires de plus de 300 mètres carrés, notamment, profite à plusieurs petites communes. Leur implantation se fait en outre de manière rationnelle. Il est par exemple possible qu'une supérette de 300 à 500 mètres carrés, voire un supermarché de 1 200 mètres carrés, s'implante dans une zone de montagne, et assure un approvisionnement de qualité. Toutes les communes de cette zone, si elles sont organisées sur la base de l'intercommunalité, toucheront une partie de la taxe professionnelle versée par la supérette ou le supermarché en question. Par ailleurs, cette grande surface peut organiser un système de multiservices ou un système de tournées dans les zones les plus reculées. Le FISAC peut intervenir pour mettre en place un système autonome de même nature.

Le domaine de la montagne s'insère parfaitement dans cette politique, définie initialement pour le domaine rural, à tel point que depuis 1997, aucune stratégie spécifique à la montagne n'a été développée.

M. Jean-Paul Amoudry - Avant de laisser la parole à mes collègues, qui représentent des départements concernés au plus haut point par cette problématique, je souhaiterais vous demander de quantifier les effets de la politique que vous avez décrite.

M. Patrice Vermeulen - Entre 1992 et 2001, le FISAC a aidé 867 opérations portées par des petites entreprises de moyenne montagne, et 72 opérations portées par des petites entreprises de haute montagne, pour un total de 30 millions d'euros environ. Cette contribution du FISAC a représenté environ 20 % des aides qu'il a distribuées au total, et 55 % des décisions qu'il a prises, mais la tendance est à l'accroissement de l'aide en faveur des zones de montagne.

M. Auguste Cazalet - J'ai écouté avec attention l'intervention de Monsieur Vermeulen.

La politique idéale consiste bien à attirer des jeunes et, corollairement, des commerces, dans les zones de montagne, mais cette politique est insuffisante. Il est nécessaire au préalable qu'une vie économique se développe dans ces zones, afin notamment que les jeunes qui s'installent puissent gagner leur vie.

Mon département a la chance d'avoir hérité de quelques usines du Nord de la France, telles que Messier Fonderie, qui ont été rapatriées dans notre région durant la seconde guerre mondiale. Ces usines ont permis le développement d'une vie économique dans notre région.

Un commerce rural ne se pérennise que s'il est viable. Dans ma commune, un couple de jeunes a tenu un tel commerce, qui a dû être fermé et qui a été repris par une femme qui vend de l'épicerie et des produits régionaux. Ce commerce a alors bénéficié de sa localisation sur un grand axe et de la construction d'un vaste parking, sur lequel une buvette a été installée. Cependant, le mari de la gérante de ce commerce occupe un bon emploi, et cette femme a davantage choisi de reprendre ce commerce pour avoir une activité que pour gagner sa vie. Autrement dit, ce commerce n'aurait pu être repris par un couple de jeunes, ceux-ci ayant besoin, dès lors qu'ils ont des enfants, de les faire vivre et d'assurer leur avenir.

Il est nécessaire de repenser la politique à mettre en oeuvre dans les zones qui se désertifient, tels que certains endroits de la vallée d'Aspe, par exemple. Pour ces zones, l'intercommunalité est insuffisante. Sans usine ou station de ski, une zone ne se développe que difficilement.

M. Patrice Vermeulen - J'utiliserai pour vous répondre la parabole selon laquelle « on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif ». Un commerce ne peut assurément pas fonctionner sans clients. Il faut que l'offre réponde à l'attente de ces derniers.

Les acteurs en charge du tourisme et de la politique industrielle se doivent de créer les conditions pour qu'une population vienne dans une zone, y trouve ce dont elle a besoin, et éprouve l'envie d'y revenir ou d'y demeurer. Ils doivent notamment assurer des conditions d'approvisionnement répondant aux besoins de cette population. Les préoccupations des citadins ne sont pas celles que certains films véhiculent : loin de la vision poétique de la France à la Marcel Pagnol, les touristes, lorsqu'ils passent une semaine dans un lieu de location, souhaitent pouvoir y acheter un paquet de lessive à des prix raisonnables. Si ce n'est pas le cas, ils auront l'impression que les commerçants qui leur vendent ce produit sont des voleurs, sans prendre conscience qu'une petite épicerie ne bénéficie pas de conditions d'approvisionnement intéressantes comme les grandes surfaces. Les touristes parisiens risquent alors d'acheter leur paquet de lessive en région parisienne, plutôt que sur leur lieu de vacances.

Une fois les conditions créées pour que des touristes viennent dans une zone et pour que des personnes s'y installent, la DECAS intervient pour assurer à ces personnes des conditions d'approvisionnement intéressantes. Notre objectif est de sédentariser le plus possible ces personnes, et de faire en sorte que la valeur ajoutée se fasse sur place. Corollairement, notre politique consiste à faire en sorte qu'elles trouvent sur place des produits correspondant à ce qu'elles ont l'habitude de consommer, via l'implantation de supérettes et de supermarchés bénéficiant des conditions d'approvisionnement des groupes auxquels ils seront associés. Parallèlement, il est parfaitement possible d'assurer la présence d'un commerce plus traditionnel. Enfin, pour les personnes ne se déplaçant que difficilement, les personnes âgées notamment, il importe d'organiser des systèmes de tournées. Pour cette dernière catégorie de personnes, le fait d'être approvisionné prime sur le prix d'achat. Le principe sous-jacent à cette politique consiste à satisfaire toute demande. Cependant, en l'absence de demande, il est impossible et inutile de pérenniser un commerce.

Cette politique, qui s'applique plus globalement à toutes les zones rurales, est coordonnée par la DATAR. Le FISAC s'appuie en outre sur certains fonds communautaires, ainsi que sur le fonds des collectivités locales, afin de créer une synergie entre les partenaires et de développer le commerce en zone rurale.

M. Pierre Jarlier - Vous indiquez que sans demande, les commerces ne peuvent se pérenniser. Il importe a contrario de souligner que sans commerces, nombre de personnes refusent de s'installer dans une commune rurale. Cette constatation pose le problème de l'aménagement du territoire en matière d'artisanat et de commerce, ainsi que celui de la qualité des services offerts, en particulier dans le domaine de la médecine. Il est donc nécessaire de permettre à des populations de s'installer en milieu rural, notamment en lui offrant un niveau minimum de services, vraisemblablement via le développement de l'intercommunalité et de la notion de pays, et via la mise en oeuvre de projets de territoire contractualisés.

L'article 55 de la loi Montagne stipule que « l'existence en zone de montagne d'un équipement commercial et d'un artisanat de service est d'intérêt général » . Il est ensuite expliqué qu'il revient à l'Etat de veiller à cet équilibre en assurant le maintien, sur l'ensemble du territoire montagnard, d'un réseau commercial de proximité, ou en améliorant les conditions d'exercice des activités commerciales. Des actions spécifiques ont-elles été engagées en ce sens ? Quels types de procédures s'appliquent spécifiquement à la montagne ? Je précise que le FISAC n'est pas un fonds spécifiquement dévolu aux zones de montagne, même si ces zones ont beaucoup bénéficié de son aide. Quelle a été l'évolution des crédits du FISAC au cours des cinq dernières années ? Je souhaiterais connaître votre sentiment sur le frein à l'installation ou au maintien de l'artisanat que constituent les contraintes administratives qui pèsent sur les porteurs de projets, ainsi que sur les commerçants et artisans. En particulier, les gérants de commerces alimentaires sont confrontés à des problèmes de mise aux normes, amplifiés par les faibles chiffres d'affaires fréquemment enregistrés en zone rurale. Les exigences sont les mêmes pour les secteurs urbains ou ruraux, ce qui met en péril nombre de commerces localisés en zone de montagne.

M. Patrice Vermeulen - Concernant l'article 55, nous n'avons pas conduit, au cours des cinq dernières années, une politique spécifique aux zones de montagne. En revanche, nous menons une action particulière pour les zones rurales, qui incluent les zones de montagne. Cette action a été menée via le FISAC.

Les crédits alloués par le FISAC sont passés de 45 millions d'euros en 1997 à 65 millions cette année. Les documents qui vous seront remis présentent des données chiffrées détaillant l'évolution de l'action du FISAC au cours des dernières années. L'évolution des crédits alloués par le FISAC témoigne d'un réel effort pour soutenir les zones rurales.

Dans le domaine alimentaire, les discussions que j'ai eues avec mes collègues de la DGCCRF ont confirmé mon avis personnel selon lequel la France va fréquemment au-delà des dispositions prévues dans les règlements et directives communautaires. Cette tendance tient vraisemblablement au fait que par le passé, la France a très souvent pris des dispositions en avance par rapport aux règles communautaires, à tel point qu'il arrivait que les dispositions communautaires soient calquées sur les dispositions prises au niveau national. Il serait à mon sens préférable de s'en tenir aux dispositions prévues dans les directives et règlements communautaires.

Sous l'impulsion de mon département ministériel et de ma direction, la plupart des prêts bonifiés à l'artisanat, qui représentaient chaque année quelque 21,4 millions d'euros, ont été transformés en un système de cautionnement et de garantie, placé sous l'égide de Sofaris. Nous avons cependant maintenu les prêts bonifiés dédiés à des mises aux normes. Les commerçants et les artisans devant emprunter pour une mise aux normes peuvent donc toujours bénéficier de prêts bonifiés. Le FISAC porte une attention particulière à la mise aux normes des commerces localisés dans des marchés couverts : dans ce domaine, il mène une action spécifique. Nous pourrons d'ailleurs vous communiquer les données chiffrées relatives à cette activité.

M. Jean Boyer - Nous avons conscience que vous n'êtes pas le législateur, et que nous le sommes davantage que vous. Soyez donc très à l'aise vis-à-vis d'observations que nous formulons parce que nous vivons dans des départements de montagne confrontés à d'inquiétants problèmes.

Le département de la Haute-Loire compte 35 cantons, dont dix-huit sont classés « zones de revitalisation rurale ». Ces dix-huit cantons sont caractérisés par un nombre d'habitants par kilomètre carré inférieur à trente. Cinq de ces cantons comptent moins de six habitants au kilomètre carré.

Ces observations ne montrent-elles pas que la politique de la montagne n'a pas été corrélée à une application suffisamment courageuse de la loi, notamment les lois Pasqua et Voynet ? La présence de travail est génératrice de présence humaine. Nous considérons donc que le commerce et l'artisanat devraient être considérés, dans les zones rurales, comme des services publics.

Il semblerait par ailleurs que le nombre d'artisans se maintienne au niveau de chaque département. Néanmoins, les artisans sont de plus en plus fréquemment localisés dans les villes ou dans les grands bourgs. Nous constatons en la matière un manque de courage politique. Certains cantons en zone de montagne présentent certaines similitudes avec le Sahara et ses oasis. Ces cantons, localisés pour certains en Haute-Loire, comportent en effet des villages où il ne reste qu'un ou deux agriculteurs et des friches agricoles.

Ce débat de fond nous échappe, mais nous inquiète, car nous nous sentons désarmés face à cette situation.

M. Patrice Vermeulen - Les zones marquées par la disparition d'un certain type d'agriculture, ont l'avenir devant elles, du fait de certains phénomènes de société, notamment les 35 heures et la manière dont les personnes aménageront leur temps de travail, d'une part, les départs en retraite des salariés de ma génération qui interviendront dans les cinq prochaines années, d'autre part. Les populations concernées par ces deux phénomènes sont susceptibles d'être attirées par ces zones.

Notre subconscient à tous abrite le modèle de la France de Marcel Pagnol, caractérisé par un monde agricole très peuplé, structuré autour de villages comprenant cafés, commerces traditionnels et artisans. Vouloir maintenir ou re-constituer ce modèle pour ce type de zones me semble être une erreur. Il est préférable de construire un modèle prenant en compte les attentes des populations susceptibles d'être intéressées par ces zones.

Ces zones évoquent les loisirs et l'inactivité. Or les retraités peuvent avoir envie de passer une partie de l'année dans de telles zones, et ce, d'autant plus si elles sont situées à deux ou quatre heures de route d'un grand pôle urbain. Par ailleurs, les 35 heures offriront aux salariés des temps de vacances beaucoup plus importants. Ces personnes ne disposeront peut-être pas de suffisamment de moyens pour partir à l'étranger, mais seront probablement désireuses de se rendre dans des zones qui ne leur coûteront pas trop cher, et où elles pourront séjourner dans des maisons.

Dans les zones rurales, la démarche consiste à prendre en compte les besoins de ce type de population, sans chercher à recréer un modèle « à la Marcel Pagnol », car un tel modèle ne fonctionnera pas. Il est préférable que ces zones s'attachent, en accord avec les grands groupes de la distribution, à assurer des conditions d'approvisionnement répondant aux besoins des populations. Il conviendrait en outre qu'elles créent des groupements d'artisans. Grâce à de tels groupements, les artisans seront en mesure de garantir aux populations toute prestation en matière de plomberie, de réparation des toits, etc. Ces groupements pourront être localisés dans les villes, mais rayonneront sur tous les villages avoisinants.

Ainsi, les zones rurales doivent adapter leur stratégie à des comportements nouveaux. Elles ne peuvent plus se baser sur les seuls agriculteurs producteurs. La loi d'orientation agricole et la loi d'orientation sur l'artisanat montre que dans les zones rurales, la valeur ajoutée émanera tant du monde du commerce et de l'artisanat que du monde agricole. Le Ministère de l'Economie s'attache à développer un certain nombre de domaines fondamentaux pour les zones rurales, tels que Internet et le haut débit. Il est en effet essentiel que dans les zones rurales, les artisans, les commerçants et les retraités puissent se servir d'Internet et si possible, sur la base d'un accès à haut débit, de la même manière qu'il est apparu nécessaire, il y a cinquante ans, que ces zones disposent de l'eau courante et de l'électricité. Les zones rurales doivent pouvoir accéder rapidement à des images et échanger via Internet.

Une certaine souplesse n'en demeure pas moins nécessaire : par exemple, la mise en place de multiservices en association avec la collectivité locale est parfaitement envisageable. En revanche, la vision du village avec son petit bistrot est sympathique mais insuffisante : accéder à Internet sur la base d'un réseau haut débit est davantage attrayant, notamment pour les jeunes. Un tel réseau peut notamment permettre à un gérant de PME de se connecter en haut débit depuis sa résidence secondaire.

Le DECAS s'attache prioritairement à faire en sorte que l'approvisionnement proposé soit en adéquation avec les besoins des consommateurs et notamment pour les populations jeunes et les familles. Il convient certes de prendre en compte l'imagerie du village telle qu'elle est véhiculée par l'inconscient collectif mais également la réalité des besoins du consommateur. C'est en associant commerce traditionnel pour des produits typés et de qualité avec de bonnes conditions d'approvisionnement pour les produits courants que ces zones trouveront leur place sur le plan économique. L'objectif prioritaire réside dans le développement des zones rurales. Or un tel développement ne peut être basé sur un mythe tout à fait dépassé.

M. Marcel Lesbros - Le département que je représente est entièrement classé en zone de montagne. Il apparaît nécessaire de désenclaver ce département, grâce à des autoroutes, des routes, et des aménagements à destination du tourisme. Je m'incline devant le département de Savoie, qui constitue déjà un fleuron du tourisme de montagne.

Le département des Hautes-Alpes s'étend depuis la frontière italienne jusqu'au midi de la France. Sa position frontalière avec l'Italie représente un avantage certain : il bénéficie ainsi de la fréquentation d'une clientèle italienne.

Ce département compte une ville de 15 000 habitants, Briançon, ainsi qu'une grande ville, Gap, où vivent près de 40 000 habitants.

Il ne suffit pas de faire de la montagne pour faire de la montagne : il importe qu'un ensemble prenne corps, d'un point de vue financier, pour que les personnes se rendant à la montagne y trouvent les aménagements dont ils disposent dans les villes de moyenne importance.

La politique de la montagne a évolué au cours des vingt ou trente dernières années. Actuellement le département des Hautes-Alpes, à l'instar d'autres départements, vit uniquement du tourisme, et notamment, du tourisme de montagne. Ce département offre notamment aux touristes de passage un air pur. En outre, sa proximité avec Marseille, métropole régionale, et Grenoble représente un avantage certain. Il se situe ainsi entre deux départements qui bénéficient de pôles de développement, ce qui favorise son propre développement.

L'exploitation des richesses de la montagne est nécessaire. Elle s'est faite jusqu'à présent via l'implantation de stations de sports d'hiver. J'ai présidé le Conseil général pendant dix-huit ans et j'ai durant cette période endetté le département au maximum, afin de favoriser l'implantation de stations de sports d'hiver, puis je me suis attaché à renflouer leurs dettes financières. Le département compte désormais plusieurs grandes stations, telles que Serre-Chevalier et Orcières Merlette, ainsi que des stations de moyenne importance. Ces stations représentent un potentiel économique tout à fait conséquent, mais ont contribué à endetter le département.

Par ailleurs, les personnes vivant dans les zones de montagne n'exercent pas toutes un travail saisonnier. En outre, une fois la pleine saison passée, la question de l'emploi des saisonniers se pose. La question de l'emploi s'avère primordiale. Pendant longtemps, la bivalence a été développée, avec comme modèle un couple dont le mari est moniteur de ski et dont la femme tient un café, un tabac ou un hôtel.

Les gouvernements qui se sont succédés ont mené des actions en faveur de la montagne, mais ces actions s'avèrent insuffisantes. Les zones de montagne sont en effet confrontées à plusieurs difficultés. D'une part, les investissements qui y réalisés sont deux fois plus lourds financièrement que les investissements réalisés dans d'autres zones. En outre, la clientèle est difficile à gérer, car saisonnière. Malgré cela, ses exigences sont les mêmes que celles des populations autochtones.

Gap et Briançon représentent des pôles de développement qui permettent d'irradier les villages avoisinants.

Les autres départements de montagne sont confrontés à des problèmes similaires, même si la Savoie bénéficie d'une certaine avance, ayant engagé une politique touristique une vingtaine ou une trentaine d'année avant les autres départements. Nous souhaiterions essayer de mener une politique de tourisme durable, qui complèterait les différents pôles attractifs dont les zones de montagne disposent.

Le département des Hautes-Alpes ne compte que 120 000 habitants. Or il est conduit à accueillir quelque 500 000 habitants pendant la période d'été : le lac de Serre-Ponçon, notamment, représente un pôle attractif très important. Les touristes, bien que seulement de passage, exigent des routes en parfait état, ce qui oblige le département à engager d'importantes dépenses.

En tant que directeur des entreprises commerciales, votre rôle ne se situe pas seulement sur le plan de l'aide aux investissements : vous endossez également un rôle éducatif. Dans une logique similaire, il m'arrive de conseiller à certains maires de ne pas trop investir, en leur rappelant que les dépenses qu'ils engagent devront être remboursées. Orcières Merlette, très belle station du département, n'avait pas de dette au moment où j'ai quitté le Conseil général. Tout maire souhaite réaliser des investissements, mais une certaine prudence est nécessaire en la matière, et il ne m'a pas paru raisonnable de mettre en place 3 000 lits supplémentaires à Orcières Merlette, ce que j'ai fait savoir. Inviter les élus à une certaine prudence relève également de votre rôle.

Les personnes qui habitent dans les zones de montagne doivent exercer un double métier : elles ne peuvent se contenter de travailler pendant la saison. Il importe donc de développer un tourisme durable.

M. Jean-Paul Amoudry - Quelles actions ont-elles été menées en matière de saisonnalité ?

M. Marcel Lesbros - Les aides accordées aux zones de montagne me semblent insuffisantes. La priorité est d'orienter ces aides vers la promotion d'un tourisme durable, et vers des zones porteuses. Par exemple, le maire de Gap a engagé un projet de développement touristique de la ville, et il convient en effet de ne pas porter uniquement le développement des stations de sports d'hiver.

Promouvoir un commerce durable implique de créer des commerces pérennes et d'assurer la présence d'artisans. L'artisanat semble d'ailleurs faire l'objet d'un certain engouement, et des artisans s'installent dans les zones de montagne. En effet, leur activité répond à un réel besoin.

L'aménagement de la montagne doit être en ligne avec le développement touristique. Le département des Hautes-Alpes a connu, à l'instar d'autres départements de montagne, certains déboires. A une certaine période, le climatisme a constitué un facteur important de développement, mais ce n'est plus le cas désormais.

Je suggère que les aides que votre ministère apporte aux entreprises qui se créent dans le domaine commercial, industriel ou artisanal soient détaillées. Ces entreprises doivent recevoir le plus d'aides possible. Le développement durable doit en effet être solidaire, ainsi que l'indiquait Dominique Voynet, c'est-à-dire notamment qu'il doit être porté par un certain nombre d'aides. Il doit également être orienté par les conseils que vous êtes en mesure de donner aux élus. Aujourd'hui, il est nécessaire, pour sauver la montagne, de promouvoir un tel développement. Par-delà les efforts que chacun d'entre nous porte dans son département, il importe de repenser l'aménagement de la montagne et son articulation avec le tourisme.

M. Pierre Jarlier - Le commerce itinérant pourrait constituer une réponse adaptée à la problématique des zones de montagne. Comment la mise en place de cette forme de commerce est-elle soutenue ?

M. Patrice Vermeulen - Le FISAC finance les camions utilisés dans les tournées, à hauteur de la moitié de leur prix. Le système de tournée constitue une réponse parfaitement adaptée à la situation des zones isolées.

Le dossier que nous vous avons remis comprend une fiche qui s'intitule « les petites entreprises maillent le territoire ». Nous avons en effet conduit une étude avec l'INSEE. Cette étude ne concerne pas spécifiquement les zones de montagne mais, plus globalement, les zones rurales. Elle a permis de tracer une courbe décrivant la concentration de la population et des équipements en 1998. Grâce à cette courbe, il est possible de déterminer, dans les villes de cent, cinq cents ou mille habitants, les types de commerce implantés, ainsi que le pourcentage de population se trouvant à telle ou telle distance d'un médecin ou d'un boulanger par exemple. Cette courbe répond parfaitement à certaines de vos interrogations. Nous avons déterminé la zone formant ce que nous avons appelé « une gamme de proximité » : cette zone comprend entre cinq cents et mille habitants, et est caractérisée par la présence de commerces et de services tels qu'un boulanger, un plâtrier, un coiffeur, un électricien, un infirmier et un pharmacien. Cette courbe, très éclairante, figure dans le dossier statistique : elle permet de juger la proximité des commerces et services par rapport à une population déterminée. Nous nous sommes aperçus que le point d'attractivité se situait entre cinq cents et mille habitants. En deçà du seuil de cinq cents habitants, il apparaît nécessaire de mettre en oeuvre des systèmes tels que le commerce itinérant.

M. Jean-Paul Amoudry - Je ne prolongerai pas cette audition, Pierre Radanne, notre prochain invité, étant arrivé. Je vous remercie pour votre présentation. Nous n'avons pas eu le temps d'aborder les questions relatives à la saisonnalité, aux groupements d'employeurs, au statut des femmes, au conjoint collaborateur. Je suppose que ces éléments sont intégrés à la note que vous nous avez remise et, à nouveau, je vous remercie.

6. Audition de M. Pierre Radanne, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) (23 avril 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Nous vous remercions tout d'abord de votre coopération à nos travaux. Le Président de la Commission, Jacques Blanc, vous prie de l'excuser pour son absence. Il m'a chargé de le remplacer, aussi bien pour présider la séance que rapporter les travaux. Je suis accompagné de mes collègues Jean Boyer, Sénateur de la Haute-Loire, de Marcel Lesbros, Sénateur des Hautes-Alpes, Auguste Cazalet, Sénateur des Pyrénées Atlantiques et Pierre Jarlier, Sénateur du Cantal et Secrétaire général des élus de la montagne. Nous sommes ici pour vous entendre sur les sujets qui intéressent la montagne dans le cadre de la mission impliquant plusieurs commissions du Sénat et dont le dépôt de conclusions aura lieu au mois d'octobre prochain. L'objectif de cette mission est d'établir des propositions à l'adresse du Parlement qui sortira des urnes dans quelques semaines. Dans cette optique, nous souhaitons faire le bilan de l'application de la loi de 1985 et des nombreux textes qui l'ont enrichie ou modifiée. Nous souhaiterions donc connaître vos positions sur les sujets dont la liste vous a été transmise.

Je vous propose de nous faire une brève présentation de l'ADEME, avant d'aborder les questions plus techniques concernant en particulier les énergies renouvelables et le bois énergie.

M. Pierre Radanne - Monsieur le Président, Messieurs les Sénateurs, mon intervention se structurera essentiellement autour de trois sujets. Un sujet général sera consacré à l'exposé des modes d'intervention de l'ADEME, afin que nous précisions les difficultés d'intervention que la montagne nous pose ; un autre sujet sera consacré à la politique déchets et aux énergies renouvelables ; enfin, je vous communiquerai quelques éléments sur le développement durable.

L'ADEME est forte de 830 personnes et de 30 implantations territoriales, si l'on inclut les DOM et les TOM. Nos trois sites centraux d'implantation sont Paris, Angers, qui deviendra à partir de la semaine prochaine notre siège national, et Sophia Antipolis, à proximité de Nice. Placée sous la triple tutelle des ministres chargés de l'environnement, de l'industrie et de la recherche, l'Agence est un EPIC qui est notamment chargé de coordonner, de faciliter ou de réaliser les opérations suivantes :

- la prévention et la lutte contre la pollution de l'air ;

- la limitation de la production de déchets, leur élimination, leur récupération et leur valorisation, la protection des sols et la remise en état des sites pollués ;

- la réalisation d'économies d'énergie et de matières premières et le développement des énergies renouvelables ;

- le développement des technologies propres et économes ;

- la lutte contre les nuisances sonores.

Ces différents secteurs correspondent à l'essentiel des métiers techniques dans le domaine de l'environnement, en dehors des métiers de l'eau qui sont traités par d'autres agences.

Dans ces domaines, l'agence exerce des actions d'orientation et d'animation de la recherche, de formation, de diffusion technique, de soutien aux études de préparation de projets, d'information et de sensibilisation.

L'ADEME conduit 20 000 projets par an, pour un budget de 3 milliards de francs par an, soit un peu moins de 500 millions d'euros. Notre impact en investissements induits atteint 20 milliards de francs par an, soit 3 milliards d'euros.

Un Conseil d'administration définit la politique de l'ADEME, mais nos commissions d'attribution des aides sont très ouvertes sur la société. Des commissions régionales traitent les budgets de taille modeste, alors que les très gros projets sont gérés par des commissions nationales. Ces commissions associent les services de l'Etat, des représentants des élus, dont notamment l'Association des maires de France, ainsi que l'ensemble des secteurs de la vie économique et sociale (fédérations professionnelles ou associations). Au total, environ 500 personnes, en majorité extérieures aux services de l'Etat sont associées aux processus de décision de l'ADEME. Le Sénateur Gaudin est d'ailleurs le représentant du Sénat à notre Conseil d'Administration.

Pour diriger l'établissement, nous avons conclu avec l'Etat un contrat de plan sur une période de sept ans (2000-2006). Il ne s'agit pas seulement d'un contrat d'objectif, puisque des engagements de résultat quantifiés y figurent.

L'ADEME n'a pas pour vocation de fonctionner seule. Notre mode d'intervention privilégié est le partenariat, notamment avec les collectivités territoriales. Ainsi, nous sommes associés dans le cadre de contractualisations annuelles avec un grand nombre de départements, ainsi qu'avec l'ensemble des 26 régions, dans le cadre du contrat de plan Etat-région (CPER). Ce type de partenariat représente le tiers de notre budget et entraîne une contribution des collectivités territoriales équivalente, soit 140 millions d'euros.

La montagne constitue un espace d'application des politiques nationales. Un certain nombre de nos actions ont en effet pour cadre le territoire national dans son ensemble. Il se trouve d'ailleurs que la loi de 1992 sur les déchets ne comporte pas d'éléments prenant en compte la nature et les spécificités des territoires, alors que des difficultés se posent au niveau de la collecte sélective et le traitement des déchets en montagne. La montagne est évidemment pour nous un espace à protéger et à valoriser. J'évoquerai cet aspect au travers du problème spécifique de la réhabilitation des décharges d'ordures ménagères et de celui des constructions touristiques. Nous avons ainsi une collaboration avec le Club Alpin en matière de tourisme durable, pour réguler l'équipement et la gestion des sites de montagnes. A ce propos, je vous rappelle que les parcs naturels régionaux apparaissaient, au moment de leur constitution, comme des zones protégées. Pourtant, ces zones apparaissent aujourd'hui, du fait de l'action des syndicats de communes, comme plus dynamiques que des zones situées en dehors. Il y a là une capacité d'organisation et de travail que le temps a largement récompensé.

La montagne est également pour nous un espace de solidarité, notamment à travers des activités créatrices d'emplois. A cet égard, la filière bois nous apparaît être l'activité qui reste quand « tout est parti ». A partir de l'exploitation du bois et du développement de l'économie locale qui en résulte, il est possible de mettre en place des capacités de prise en charge collective.

Dans la même logique, nous avons à tenir compte des difficultés financières des petites communes. Nous avons aussi à conduire dans les zones de montagne une action particulière en matière d'information. Ainsi soutenons-nous des associations locales pour faire de l'information directe auprès des particuliers.

La montagne est aussi à nos yeux un espace de développement dans lequel nous devons soutenir des stratégies pertinentes, par exemple en promouvant le Contrat ATEnEE (actions territoriales pour l'environnement et l'efficacité énergétique) mis en place sous l'égide du MATE 1( * ) , en association avec la DATAR, afin de proposer à l'ensemble des pays, agglomérations ou parcs naturels régionaux un contrat d'intervention avec l'ADEME et ses partenaires.

Après cette présentation générale, je vais exposer la politique que nous conduisons en montagne en matière de déchets. Comme vous le savez, le ramassage des ordures en montagne est particulièrement coûteux. Par ailleurs, l'incinération ne semble pas adaptée aux communes à la population peu nombreuse. A cela s'ajoute une difficulté particulière liée à la présence d'activités saisonnières à forte variation, avec la nécessité de mettre en place une logistique supplémentaire. Pour faire face à ce problème de capacités, nous expérimentons des solutions transitoires de stockage, afin de pouvoir étaler le traitement des déchets. Nous vous fournissons sur ce point un dossier consacré aux déchets en montagne. Il récapitule toutes les préconisations que nous faisons dans ce domaine aux collectivités locales.

Notre démarche en matière de déchets en montagne se décline selon deux types. Nous conduisons d'une part des actions de regroupement de déchets en vue d'amortir certains équipements. Cela dit, un regroupement trop poussé génère des camionnages importants, notamment lorsqu'il s'agit de zone difficile d'accès. Il faut donc développer aussi des solutions locales, avec des circuits courts.

Comme je l'ai dit précédemment, la loi de 1992 ne prenait pas en compte les spécificités territoriales. La constitution d'un ministère de l'environnement et de l'aménagement du territoire a permis, grâce à une circulaire signée par Dominique Voynet en avril 1998, de reconnaître des spécificités territoriales. Sur la base de cette circulaire, nous avons mis en place un système de discrimination positive en faveur notamment des zones de montagne, avec l'application d'un taux d'aide de 10 % supplémentaire. Dès qu'une zone présente des difficultés de prise en charge structurelles, nous faisons jouer la solidarité nationale. D'après des études menées en commun avec l'AMF (Association des maires de France) portant sur les écarts de coûts entre traitement des déchets en zones urbaines denses, périurbaines, le rural profond et les zones d'accès difficile, il est fait souvent état d'un surcoût allant jusqu'à 20 %, et cela malgré une fréquence très basse de ramassage. Au travers de la contractualisation avec les 26 régions et les 99 départements, nous avons pu mettre en place un système de programmation pluriannuel de la politique des déchets permettant de planifier des capacités d'intervention. Cela nous permet également de mobiliser sur la politique déchets des crédits du FEDER.

Si l'on analyse l'état d'avancement de la politique déchets, il s'avère que la mise en place des déchetteries sur l'ensemble du territoire national est pratiquement achevée. Celles-ci sont désormais au nombre de 3 000, soit pratiquement l'objectif fixé. La collecte sélective des emballages est réalisée à 72 %. Les zones de montagne ne sont pas d'ailleurs pas forcément celles où il y a le plus de retards en la matière, puisqu'une région comme Rhône-Alpes a toujours été en avance dans ce domaine. On constate cependant un retard dans le renouvellement des parcs d'incinérateurs. Cela est dû au fait que certains départements, à l'image de la Savoie, ont été contraints de fermer une bonne partie de leurs incinérateurs en raison de leur vétusté.

Nous avons encore beaucoup à faire dans le domaine de la valorisation des fermentescibles, c'est-à-dire de la partie biologique des déchets. Ce dossier est crucial car nous constatons dans notre pays un appauvrissement régulier des sols. L'agriculture puise dans le sol sans que l'on réinjecte assez de matière organique. L'ADEME mène dans ce domaine une politique de la qualité axée sur la valorisation des déchets agricoles, des déchets verts des collectivités locales, voire de certains déchets organiques produits par les ménages. Avec le compost ainsi produit nous parvenons à un amendement de qualité, adapté au terroir, et qui vient en complément d'engrais classiques n'apportant rien en termes de liants structurels sur le sol. Il faut savoir, et cette réalité est également valable pour la montagne, que 74 % des sols du pourtour méditerranée sont classés dans des zones ayant atteint un stade d'appauvrissement, celui qui précède la désertification. On constate en outre dans les zones de montagne, en particulier sur le flanc Sud du Massif Central, des problèmes de ravinement qui conduisent à une dégradation de la qualité des sols. Nous devons donc nous associer à une politique de reconstruction des sols.

Les volumes actuels d'investissement de la politique des déchets, en application de la loi de 1992, avoisinent les 10 milliards de francs, soit 1,5 milliard d'euros par an. La masse de déchets dont on modifie l'écoulement à travers ces actions est de l'ordre de 2 millions de tonnes de déchets.

En matière d'énergies renouvelables, le bois joue un rôle central dans les zones de montagne. Le bois reste un secteur de consommation d'énergie important pour la France, puisque 5 % de l'énergie qui y est consommée provient du bois. Le bois est la deuxième énergie de chauffage des ménages. Il est surtout utilisé dans les maisons individuelles du secteur rural. Ainsi, la consommation du secteur rural est-elle de 8,5 millions de tonnes équivalent pétrole. On assiste toutefois aujourd'hui à une certaine tendance au recul, dans la mesure où le bois est un mode de chauffage qui reste souvent l'apanage de personnes âgées ou de maison présentant des standards de confort assez faibles.

Pour le chauffage domestique au bois, l'ADEME a engagé trois actions majeures. Tout d'abord, nous encourageons le développement de systèmes de chauffage plus performants, afin que les personnes utilisant le bois bénéficient d'un standard de confort comparable à celui des autres modes de chauffage. Dans cet esprit, nous avons lancé, avec l'ensemble des producteurs de matériel de chauffage existants en France, le label Flamme Verte. Son objectif est d'améliorer de 10 % le rendement des systèmes de chauffage, ce qui revient à réduire « la corvée de bûches ». Le label Flamme Verte progresse bien.

Les modes de chauffages classiques tels que le fioul ou le gaz atteignent des rendements (taux de conversion en chaleur) allant de 80 % à 95 %, alors que les meilleurs poêles à bois atteignent 70 %. Pour mémoire, les poêles de notre enfance avaient un rendement de 35 % ; une cheminée ouverte a quant à elle un rendement limité à environ 10 %.

Notre second axe d'action porte sur la caractérisation du bois pour mieux informer le consommateur. Dans ce cadre, une marque NF doit être mise en place en partenariat avec des producteurs de bois de chauffage.

Enfin, en vue de soutenir l'utilisation du bois comme énergie d'appoint, notre action consiste à associer le bois à d'autres énergies, comme par exemple l'électricité. Ce type de solution se développe très rapidement, notamment dans les zones périurbaines et chez des ménages jeunes. Compte tenu de ces efforts de relance, nous envisageons d'accroître d'ici à 2010 la consommation de bois dans le chauffage domestique des ménages de plus de deux millions de tonnes équivalents pétrole, au détriment de combustibles importés comme le gaz ou le pétrole.

A côté des actions menées dans le domaine de l'habitat individuel, nous encourageons le développement de petits réseaux de chaleur, c'est-à-dire adaptés au chauffage de petits hôpitaux ou de bâtiments communaux (écoles, HLM, etc.). Nous avons dans notre contrat de plan un objectif de 1 000 chaufferies collectives et industrielles d'ici à 2006. Le rythme actuel, qui atteint 150 installations par an, devra donc être accru. Les systèmes mis en place équivalent d'ores et déjà à un transfert vers le bois d'une consommation annuelle de 50 000 tonnes d'équivalent pétrole ; ils présentent l'intérêt de permettre une substitution des importations d'énergie par du travail dans les zones qui ont le plus besoin d'emplois. Ces actions portent sur des programmes qui concernent essentiellement la moyenne montagne : ils connaissent plus de succès dans les Vosges, le Jura et le Massif central que dans les Alpes et les Pyrénées. Actuellement, le montage de projets collectifs bois représente un investissement total de 50 millions d'euros.

Outre le bois, nous intervenons dans le domaine des énergies renouvelables permettant de produire de l'électricité. Certaines actions visent à apporter l'électricité dans des zones reculées hors réseau, grâce notamment à l'utilisation de cellules photovoltaïques qui captent l'énergie solaire pour la convertir en électricité. Ces techniques nous permettent de procéder à l'électrification de refuges et de bâtiments très isolés.

L'essentiel de l'activité en matière d'énergies renouvelables est bien évidemment raccordé sur le réseau EDF. Une directive européenne indiquant des objectifs précis dans ce domaine a été transcrite dans le droit français à travers la loi électrique de février 2000, puis dans le cadre d'une programmation pluriannuelle des investissements. L'objectif fixé à la France est l'accroissement de 15 % à 21 % de la part des énergies renouvelables. Ce volontarisme s'explique tout d'abord par le fait que la Commission européenne voudrait réduire le taux de dépendance énergétique prévisible de 70 % pour l'ensemble de l'Union à l'horizon 2030. En outre, il s'agit pour la Commission de contribuer à atteindre la réduction des émissions de gaz à effet de serre, conformément au protocole de Kyoto dont la ratification conjointe par les pays de l'Union Européenne devrait intervenir cet été, avant le sommet de Johannesburg sur le développement durable. Je tiens à préciser à cet égard que la consommation de bois n'est pas émettrice de gaz à effet de serre. En effet, si toute combustion émet du CO2, la combustion du bois dans un pays qui ne connaît pas de déforestation est absorbée dans l'atmosphère par les nouvelles générations d'arbres.

Nous devons produire d'ici à 2010 une quantité d'énergie supplémentaire à partir des énergies renouvelables se situant, selon les estimations, entre 40 et 46 térawattheures (TWh), ce qui est considérable. Pour y parvenir, il faut citer avant tout, en ce qui concerne les zones de montagne, l'énergie hydraulique. Pour atteindre les objectifs que j'ai cités, il faudra mettre en service une capacité supplémentaire de 1 000 mégawatts. Les nouvelles installations devront bien entendu respecter les contraintes environnementales des zones concernées. Une part importante de notre effort sera par ailleurs consacrée à l'éolien. Des tarifs de rachat incitatifs ont été décidés par le ministère de l'Industrie, de sorte que nous avons la possibilité de développer l'énergie éolienne sur le littoral, dans le couloir de la vallée du Rhône ou en offshore.

Le dernier domaine de recherche concernant les énergies renouvelables est le solaire thermique. L'accent avait été mis dans les années 80 sur l'utilisation du solaire pour produire de l'eau chaude domestique. Nous avons prolongé cette action par le lancement d'un programme très actif, à la fois dans les DOM et sur le territoire métropolitain, notamment dans le Sud du pays. Le Plan Soleil permet actuellement une très forte augmentation des parts de marché des capteurs solaires, grâce à des subventions conjointes de l'ADEME et des conseils généraux. Ces programmes impliquent bien entendu l'ensemble des régions alpines, la Corse, les régions pyrénéennes et le Massif central.

Je vous propose à présent d'analyser spécifiquement les investissements que l'ADEME réalise dans le domaine des énergies renouvelables en montagne (Alpes du Nord, Alpes du Sud, Vosges, Jura, Pyrénées, Massif Central). En 2001, nous avons déclenché à ce titre 17,4 millions d'euros, soit 114 millions de francs, à travers 651 interventions, dont un peu plus de la moitié concernent le bois combustible (9,7 millions d'euros).

L'ADEME intervient dans le domaine des transports à un double titre. Afin de réduire la pollution atmosphérique et l'émission de gaz à effet de serre, nous soutenons en premier lieu les transports collectifs en secteur diffus. C'est le cas notamment dans le Massif Central, avec des opérations d'affrètement de taxis en relais du réseau ferroviaire pour assurer l'acheminement des populations vers leur domicile. Nous avons d'autre part soutenu le transfert des déchets par rail dans la vallée de la Maurienne pour dégager les voies de communication routière. Le point capital qu'est le passage du transport routier de marchandises à travers les grands massifs fait l'objet d'une collaboration avec les autres services de l'Etat en vue de promouvoir les transports combinés. Nous avons finalisé d'importants projets de réutilisation du Rhône comme voie de transport fluvial, notamment dans le cadre des échanges entre l'Italie et la France. La mise en place d'une liaison de transport combiné fluviale régulière entre Fos et Châlon-sur-Saône a été décidé la semaine dernière ; il se substituera à la circulation de 10 000 camions par an. Nous travaillons également avec les Italiens et les Espagnols à la mise en place des liaisons de transports fluviaux-maritimes Barcelone/Marseille/Dijon et Livourne/Marseille/Dijon, à travers du cabotage et des bateaux spéciaux permettant de remonter le Rhône. Ces initiatives, dont je précise qu'elles sont rentables, peuvent paraître marginales, mais elles démontrent que le transport fluvial permet de réduire des trafics de biens non périssables. Elles permettent de désengorger le trafic routier, notamment pour le franchissement des Alpes et des Pyrénées.

Avec le Contrat ATEnEE, il ne s'agit pas de soutenir une action particulière. Nous voulons en effet proposer aux collectivités territoriales des modes de contractualisation avec l'ADEME qui soient communs à tous nos secteurs d'intervention (déchets, énergie...) et qui permettent d'apporter une solution dans trois cas de figure.

Tout d'abord, une collectivité territoriale peut vouloir participer à l'une des politiques de l'Agence, mais ne dispose pas des capacités suffisantes en personnel ou pour le faire. De fait, les zones rencontrant le plus de difficultés dans notre pays sont aussi celles qui disposent du moins de ressources humaines pour monter des projets. Le Contrat ATEnEE permet dans ce cas d'aider à hauteur de 30 % la mise en place de chargés de mission dans les structures de gestion des territoires retenus, afin de mettre en place des politiques de développement durable.

Il existe d'autre part des collectivités qui, si elles disposent du personnel adéquat, ont un problème d'accès aux méthodes. Nous leur proposons alors un soutien de 50 % lors du recours à des cabinets d'études extérieurs chargés d'assurer l'animation de la démarche et la mise en place des dispositifs.

Enfin, nous apportons un soutien aux collectivités disposant de personnel et d'une expérience en matière de méthodes, mais désireuses de s'engager dans une activité pluriannuelle, sous la forme d'un cadre de contractualisation de trois ans grâce auquel les collectivités identifient leur programme d'intervention. Cet aspect est pour nous quelque chose de nouveau ayant nécessité un long temps d'élaboration. Il s'agit d'une structure de contrat territorial, qui favorise les intercommunalités autour des projets de territoires. Elle est destinée non seulement aux pays constitués au sens de la loi sur l'aménagement du territoire, mais aussi aux pays en cours de constitution. Elle s'adresse également dans le même esprit aux agglomérations et aux parcs naturels régionaux. Notre fierté est d'être à la disposition de nos partenaires et de leur donner la visibilité nécessaire au montage de leurs projets.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie pour cette présentation très complète. Vous avez su mettre l'accent sur les particularités de votre activité qui sont liées à la spécificité montagne.

M. Pierre Jarlier - Vous nous avez en effet exposé une vision très détaillée de ce que fait l'ADEME. La politique de contractualisation a créé beaucoup d'espoirs au moment où a été mise en place la collecte sélective des déchets ménagers. Elles ont créé une dynamique au sein des territoires intercommunaux. Cependant, force est de constater que les contractualisations ont connu certaines difficultés, dans la mesure où certains engagements n'ont pas été tenus. Une fois la contractualisation lancée, des collectivités ont amorcé des politiques d'investissement très lourds, au point qu'il ait fallu faire appel à la DGE pour pallier le fait que l'ADEME n'a pas été, pour des raisons budgétaires indépendantes de sa volonté, en mesure d'honorer ses engagements. La contractualisation n'a donc pas pu servir l'ensemble des investissements envisagés au départ. Aussi faudrait-il examiner aujourd'hui s'il existe d'autres modes de contractualisation que le contrat territorial. Vous nous avez parlé de la valorisation des déchets organiques. Or si des solutions de valorisation sont trouvées dans le domaine des fermentescibles, nous nous trouvons confrontés à de grandes difficultés, en zone de montagne, dans le domaine des boues de stations d'épuration, en liaison avec l'épandage. Quelles propositions faites-vous face à ce problème ? Avez-vous établi des comparatifs de coûts au sujet de l'évolution des modes de transport de marchandises, notamment sur le réseau fluvial ? Comment l'ADEME appuie-t-elle l'alternative rail ?

M. Pierre Radanne - Je vais m'exprimer devant vous très durement et très franchement. A mon arrivée à l'ADEME, la politique développée nécessitait un budget de mise en place de plus de 15 milliards d'euros. La gestion des moyens disponibles nous a très vite mis dans le mur. Ce problème a été masqué après 1992 par la phase de constitution des intercommunalités. A partir des collectivités de 1995, les collectivités municipales ont commencé à nous faire part de leurs projets. Or à l'époque, l'ADEME s'était inquiétée d'une insuffisance de projets, de sorte qu'elle avait, bien imprudemment, augmenté ses taux d'aides. Je me suis donc aperçu dans le courant de l'année 1998 que l'ensemble des projets des années 1999/2001 représentaient un montant de 1,15 milliards d'euros, alors que les recettes que nous pouvions y affecter ne dépassaient pas 366 millions d'euros. Une rallonge a donc été demandée à Bercy. Les Finances n'ont malheureusement apporté que 76 millions d'euros. Par ailleurs les alliances passées avec les départements et les régions nous ont permis de bénéficier de concours d'environ 91,5 millions d'euros par an, ce qui représente un tiers du soutien public à la politique déchets. Ces concours ont été absolument décisifs pour nous permettre de passer ce difficile cap budgétaire. J'ai néanmoins été contraint d'opérer un arbitrage : nous pouvions soit prévoir des délais d'attente de plusieurs années, au risque de susciter une impatience de la part des élus et de leurs électeurs, soit nous pouvions réduire, comme nous le faisons actuellement, les taux d'intervention. Cette seconde option a le mérite de nous permettre de servir tous les projets et de réduire les marges souvent excessives que s'adjugeaient les professionnels intervenant dans le cadre de la politique déchets. Une politique de subventions publiques systématique mais faible a été retenue, j'incite donc les collectivités à une très grande vigilance en matière d'appels d'offres. Cette façon de procéder est d'ailleurs la seule qui pourra permettre d'inscrire la politique déchets dans l'économie de marché. Si la politique déchets est chère, elle ne sera pas durable. Les taux de subvention doivent donc été diminués, même si cette attitude est considérée comme sévère. Il est toutefois prévu une bonification de 10 % dans les zones difficiles de montagne, grâce notamment au FEDER. Aujourd'hui, le flux d'investissement de la politique déchets s'élève à 1,5 milliard d'euros d'investissements par an, mais nous essayons d'en diminuer l'impact budgétaire. Il s'agit d'un sujet sur lequel le prochain gouvernement devra trancher dès son arrivée. Il y a en effet concomitance, à une semaine près, entre l'échéance de la loi de 1992 et le deuxième tour des législatives.

M. Pierre Jarlier - Le problème des interventions nécessaires en zone de montagne tient au fait que le coût de la collecte des déchets y est beaucoup plus élevé. Les collectivités ont par ailleurs un pouvoir d'investissement beaucoup plus faible, dans la mesure où elles se sont organisées la plupart du temps en régie directe. On débouche sur une situation où les collectivités n'ont pas le moyen de procéder à une mise aux normes rendue pourtant obligatoire, et cela malgré une réelle volonté politique. On comprend donc aisément que la baisse des interventions ait, dans ce type de situation, un impact très lourd en montagne.

M. Pierre Radanne - Je reconnais ces difficultés, mais il se trouve que j'ai triplé les investissements déchets en trois ans, afin d'endiguer le flux de dossiers qui nous a été soumis. J'entends cependant la totalité de vos critiques.

S'agissant des boues, plusieurs hypothèses sont possibles : si les boues sont polluées, notamment par des métaux lourds, il est impossible de les mettre sur des champs et elles doivent être traitées en incinérateur ou stockées dans une décharge de bassin. Si les boues ne sont pas polluées, nous essayons de faire des « cocktails » avec les déchets des collectivités locales et de l'agroalimentaire en formulant un amendement en fonction des besoins du terroir. Cette politique pose toutefois une difficulté sanitaire, dans le cadre du débat sur l'ESB. Pour y répondre, nous avons constitué, avec plusieurs organismes homologues, sous la houlette du ministère de la Recherche, un groupement d'intérêt scientifique (GIS) pour tenter de mettre en place une qualification des procédés de traitement de la matière organique en fonction de critères de sécurité sanitaire. Ce GIS sera composé de l'INRA, de l'INSERM, de l'Institut de veille sanitaire et de l'Ecole nationale de Vétérinaires. Nous allons tenter ensemble de faire en sorte que les germes contenus dans les matières fécales que l'on retrouve dans les boues de stations d'épuration soient neutralisés avant d'être à nouveau utilisées pour la production alimentaire. Cette hygiénisation des matières organiques doit en particulier être menée dans le domaine des lisiers porcins. Nous sommes engagés dans un processus de fiabilisation de l'ensemble des procédés organiques, afin de satisfaire nos obligations en matière de traçabilité et de fiabilité.

En ce qui concerne le coût du transport fluvial, je me propose de vous apporter une réponse précise par écrit, étant entendu que les services offerts par les différents modes de transport ne sont pas équivalents : on met 4 ou 5 heures à aller de Châlon-sur-Saône à Fos par la route, alors que cela nécessite 29 heures par voie d'eau. Cela dit, toutes les marchandises n'ont pas besoin d'aller à grande vitesse. Le transport de granulat que nous avons organisé ne s'intègre pas dans une logique du « juste à temps ». Dans le domaine du rail, nous soutenons, avec le ministère des Transports, l'acquisition de caisses mobiles par les entreprises, afin de développer le transport combiné. Notre souci, dans la perspective du percement alpin est de faire le départ entre les marchandises qui doivent impérativement passer par le Mont-Blanc et celles qui peuvent transiter ailleurs. A cet égard, la voie d'eau, le contournement ferroviaire et le canotage offrent des opportunités de desserrement de contraintes.

M. Jean-Paul Amoudry - Nous vous remercions, Monsieur le Président, pour cet exposé très complet.

7. Audition de M. Bernard Baudin, président de l'Association nationale des chasseurs de montagne, membre du Conseil national de la montagne (23 avril 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie Monsieur Baudin d'avoir accepté, à l'invitation du Sénat, le principe de cette audition en présence de mes collègues Messieurs Jean Boyer, Sénateur de la Haute-Loire, Marcel Lesbros, Sénateur des Hautes-Alpes, Auguste Cazalet, Sénateur des Pyrénées Atlantiques et Pierre Jarlier, Sénateur du Cantal. Nous avons décidé de conduire une mission d'information sur la politique de la montagne comportant des auditions et des visites sur le terrain. Nous avons souhaité vous rencontrer dans le cadre de cette mission, et plus particulièrement dans celui du volet environnement de la loi montagne. La chasse en haute montagne et en moyenne montagne est intimement liée à la vie rurale traditionnelle et à la problématique de la protection de la nature et de l'environnement.

M. Bernard Baudin - Il est important qu'une mission parlementaire s'intéresse à une activité aussi spécifique que celle de la chasse, puisqu'elle varie autant en fonction des territoires que des espèces. La chasse en montagne est encore une chasse authentique, ce qui n'est pas toujours le cas dans d'autres départements français où l'on assiste à une artificialisation de la chasse visant à pallier le manque de gibier sauvage. Nous constatons en revanche dans les zones de montagne une désertification des villages, à l'exception des sites consacrés aux sports d'hiver. Le tissu social des communes de montagne a été bouleversé. Alors que la chasse était auparavant considérée comme une activité totalement naturelle dans les familles, la disparition des agriculteurs a laissé le terrain aux vacanciers issus des villes.

Les espèces étaient en diminution du fait des importants prélèvements effectués après la guerre à des fins alimentaires et de l'absence de gestion du patrimoine cynégétique. Une fois la prise de conscience de la raréfaction des espèces, de grands parcs nationaux ont été créés : celui des Pyrénées, le Mercantour, les Ecrins, la Vanoise, les Cévennes. 26 départements de l'hexagone sont concernés par ces parcs nationaux qui permettent de mettre en réserve des superficies très importantes. Cela a engendré, en une décennie, une recolonisation d'espèces telles que le chamois, le chevreuil, le sanglier, le mouflon ou le cerf. Cette colonisation a bien évidemment débordé la zone centrale des parcs pour atteindre les zones périphériques. Une gestion très pointue permet de prélever chaque espèce en fonction d'un plan de chasse. Celui des cervidés date de plus de vingt ans, alors que celui du chamois a été instauré en 1989. Ces plans de chasse permettent de fixer des objectifs de prélèvement en fonction des effectifs comptabilisés et de maîtriser ainsi de manière précise la croissance des populations. Le résultat de tels dispositifs ne s'est pas fait attendre, puisque l'on constate que les effectifs des zones concernées sont beaucoup plus importants qu'au début du siècle. Aujourd'hui, il se prélève dans les 7 départements des Alpes 10 000 chamois, 24 000 chevreuils, 3 000 cerfs, 2 000 mouflons. Dans les Pyrénées, on prélève 3 000 isards, 15 000 chevreuils, 4 000 cerfs et 300 mouflons. Le sanglier a colonisé tous les départements, si bien que 5 000 sangliers sont prélevés tous les ans dans chaque département, soit un prélèvement national de 80 000 à 100 000 sangliers. Je passe sur les dégâts que les populations de sangliers sont susceptibles de causer en montagne, et dont l'indemnisation incombe aux chasseurs.

Le petit gibier a moins subi de prédation dans la période d'après-guerre, de sorte qu'il était en parfaite santé. Les cultures ont certainement beaucoup contribué au développement des populations de perdrix et de lièvres. Le phénomène de désertification des zones rurales a eu une incidence notable puisqu'il a entraîné une baisse des populations de petits gibiers comme celle du grand Tétras, du petit Tétras, de la perdrix grise, de la bartavelle, de la gélinotte, du lièvre variable et de la marmotte. La chasse est loin d'être la cause principale de la diminution des populations de galliformes.

M. Jean-Paul Amoudry - Le grand Tétras est-il protégé ?

M. Bernard Baudin - L'adoption des plans de chasse concourt même à ramener à zéro les attributions de cette espèce qui reste encore chassable. Par ailleurs, 1 200 petits Tétras sont prélevés dans les Alpes, ainsi que 1 600 perdrix grises dans les Pyrénées, 600 lièvres variables et 150 bartavelles. Ces populations sont suivies de très près par des comptages au printemps et à l'été. Le grand gibier est beaucoup plus facilement suivi que le petit gibier qui évolue souvent sur des territoires qui ne sont pas spécifiquement aménagés par les associations de chasse. Le petit gibier, et notamment les galliformes de montagne, est constitué d'espèces très sensibles à la fréquentation, et notamment à la fréquentation touristique. Le ski de randonnée comme la pratique des raquettes posent des problèmes croissants de partage de l'espace. Il y a seulement une dizaine d'années, une station avait procédé à une extension de site sans exiger une étude d'impact, ce qui a entraîné la disparition d'une population de 65 tétras tués dans les collisions avec les câbles.

Nous observons actuellement une nouvelle incidence liée à l'impact des populations de sangliers sur la nidification, puisque ces animaux dévorent les oeufs des oiseaux qui nichent à terre. Ce phénomène a même amené le Parc national des Cévennes à donner une autorisation de prélèvement portant sur 3 500 sangliers dans sa zone centrale.

Vous le constatez, il ne faut pas s'attacher seulement, en matière de chasse, à la relation chasseurs/gibier. La sensibilité des écosystèmes nous porte à réfléchir de manière beaucoup plus large.

M. Jean-Paul Amoudry - Pouvez-vous nous préciser ce qu'est un tétras ?

M. Bernard Baudin - Le tétras lyre appartient au genre tétras qui comprend trois autres espèces : le grand tétras (tétras urogalle), le tétras lyre du Caucase et le grand tétras à bec noir. Le tétras lyre ou petit coq de bruyère peuple le massif alpin et le nord des Ardennes. Dans les Alpes, son aire de répartition s'étend sur près de 12 000 km². Le grand tétras habite les montagnes de l'est de la France, Vosges, Jura, et dans les Pyrénées. Il a pratiquement disparu dans les Alpes.

M. Jean-Paul Amoudry - Nous nous intéressons particulièrement, dans le cadre de notre mission, à l'articulation entre l'activité de la montagne, avec d'une part les activités sportives et de loisirs, et d'autre part les préoccupations environnementales. Pouvez-vous nous parler à présent de la présence de l'ours dans les Pyrénées ou du loup dans les Alpes. Quel est l'impact de ces espèces de grands prédateurs ?

M. Bernard Baudin - On compte en France trois grands prédateurs : le lynx, l'ours et le loup. L'introduction de l'ours a été précédée par une phase de réflexion dans laquelle se sont impliqués tous les partenaires (chasseurs, agriculteurs, éleveurs, élus). Il n'en a pas été de même pour le loup à propos duquel l'Assemblée Nationale a créé une mission qui s'est traduite par un rapport concluant que le loup est incompatible avec le pastoralisme. Le loup est arrivé de manière incidente, c'est-à-dire sans introduction officielle, dans les Alpes-Maritimes, de sorte qu'il a toujours été contesté, notamment par les élus, les agriculteurs et les chasseurs. J'affirme qu'il n'y a jamais eu au ministère de l'Environnement, de projet spécifique concernant l'introduction du loup. En 1986, le parc national du Mercantour s'est plaint de prédations importantes dont il s'est avéré par la suite qu'elles étaient le fait d'un loup d'élevage ; en effet, rien n'interdisait à quiconque de posséder un loup. Lors de cette découverte, le ministère de l'Environnement nous a assuré qu'il faudrait au moins une décennie au loup pour se développer. Résultat : quatre à cinq ans plus tard, nous comptions une trentaine de loups dans le département des Alpes maritimes, avec une colonisation systématique de toutes les vallées.

Une telle propagation n'a pas manqué de nous intriguer, d'autant que les prédations n'ont pas été observées sur le versant italien des Alpes. Sont concernées les Alpes de Haute Provence, les Hautes Alpes, les deux Savoies, l'Isère et même la Drôme, avec une incursion dans le Var. Pour mémoire, je vous rappelle que le programme Life pour le loup atteignait 3,66 millions d'euros en 4 ans, soit une somme considérable par individu. On compte cette année dans les six départements concernés, plus de 450 constats officiels, dont 277 pour les seules Alpes-Maritimes. S'y ajoute l'ensemble des sommes dévolues à la protection en vue de la construction de cabanes pastorales, du recrutement d'aides aux bergers et de l'acquisition de chiens spécialisés dits « chiens Patou ». Ces derniers, dont l'achat est onéreux, ont permis de limiter les prédations, mais ils présentent l'inconvénient de poser quelques problèmes ce qui occasionne de nombreuses plaintes auprès des mairies. D'autre part, il est difficile de trouver des chiens Patou en nombre suffisant, dans la mesure où il en faut un pour cent ou cent cinquante bêtes, alors que certains troupeaux comptent 2 000 bêtes. Enfin, ces chiens agressifs ont un impact sur la petite faune. Le fait que la réglementation concernant les zones centrales de parcs stipule clairement qu'il est interdit d'y pénétrer avec un chien, achève de cristalliser le mécontentement de la population.

Le loup peut être un facteur de développement économique pour les parcs. Des milliers de personnes se rendent chaque année dans le Centre du loup de Lozère. Si l'on met à part ces expériences marginales, le loup ne suscite aucun attrait touristique puisqu'il est pour ainsi dire impossible d'en voir, compte tenu de sa discrétion.

Les agriculteurs et les éleveurs demandent une éradication totale du loup. Ils considèrent qu'il leur est impossible d'exercer leur activité professionnelle. Il est clair qu'ils sont placés dans une situation difficile, puisque la transhumance suppose de faire monter depuis la plaine des troupeaux de plusieurs centaines de bêtes et de les faire stationner plusieurs mois malgré les agressions constantes. Au début, le système d'indemnisation a engendré certaines dérives, mais cela n'a pas duré longtemps. Désormais, les éleveurs sont excédés, ne serait-ce que parce qu'il est déprimant de voir des bêtes être dévorées.

Le problème de la chasse tient au fait qu'il ne s'agit pas d'une activité professionnelle, mais d'un loisir. Lorsque nous critiquons la présence du loup, on nous objecte, sans doute avec raison, que le plus gros prédateur d'un département de montagne, c'est le chasseur. Il reste que le chasseur ne voit aucun intérêt à l'arrivée du loup. Ce qui nous gêne, c'est que cet animal s'attaque à toutes les espèces. Tous les ongulés sont touchés, à commencer par les mouflons, dont la population est passée de 1 500 individus à 250 dans les Alpes maritimes, notamment sous l'effet de deux hivers très enneigés. Le chamois, du fait de sa méfiance, de son agilité et du fait qu'il va dans des endroits escarpés et découverts, résiste mieux. Le cerf paie en revanche un lourd tribut.

Les élus ne sont pas favorables au loup, puisqu'ils craignent un abandon de la location des terrains communaux de transhumance. A ce problème économique, s'ajoute le fait que les troupeaux de moutons jouent un rôle environnemental, puisqu'ils assurent lors de leur stabulation en altitude, un nettoyage des pâturages.

M. Auguste Cazalet - Le recul de la transhumance crée également des problèmes d'avalanches.

M. Bernard Baudin - En effet, l'herbe qui n'est pas mangée constitue un facteur d'avalanches favorable à leur déclenchement naturel.

M. Jean-Paul Amoudry- Pouvez-vous nous donner l'analyse de votre fédération au sujet du lynx ?

M. Bernard Baudin - La présence du lynx dans les Alpes françaises est due à une extension de l'espèce depuis la Suisse. En effet, entre 1971 et 1976 ce pays a procédé à des lâchers de réintroduction qui sont à l'origine de la colonisation des départements de l'Ain, du Doubs, du Jura, de la Savoie et de la Haute Savoie. Depuis, le lynx a étendu son aire de répartition vers le sud en gagnant progressivement les départements de l'Isère, des Hautes Alpes, des Alpes de Haute Provence et des Alpes Maritimes. A la limite de ces deux départements, des indices de présence ainsi que des observations de l'espèce se sont révélés depuis quelques années.

Sur initiative du ministère de l'environnement et du WWF, l'espèce a fait l'objet de lâchers de réintroduction dans les Vosges à partir de 1983. Le lynx occupe depuis une partie de l'est de la France.

Dans les Pyrénées, l'espèce est également mentionnée et semble ne jamais avoir disparu du massif.

S'agissant de l'ours, le problème est moindre dans la mesure où les moyens mis en amont permettent de le suivre, de sorte que des prélèvements peuvent être pratiqués sans difficulté en cas d'incident.

M. Auguste Cazalet - Quand j'étais enfant, on ne voyait pas de sangliers, alors qu'aujourd'hui des battues aux sangliers sont nécessaires. Dans ma région, la prolifération des chevreuils devient un phénomène nuisible. Et je ne parle pas des renards... J'ai l'impression que le braconnage permettait auparavant une forme de régulation.

M. Bernard Baudin - Ces phénomènes sont tout d'abord la conséquence de la population des animaux. Je vous rappelle que les chevreuils ont des fréquences de reproduction rapide, puisqu'une chevrette donne chaque année naissance à deux, voire trois petits. Une population de chevreuils quintuple en cinq ans. Face à la surpopulation, certaines associations de chasseurs n'ont pas souhaité beaucoup prélever. Dans le cas du sanglier, des fédérations ont interdit, outre l'abattage de meneuses de hardes, le fait de tirer sur des individus de plus de 50 kilos. Lorsque l'on sait que le taux de reproduction du sanglier est de 300 %, on imagine la croissance de sa population. Face à ces problèmes, nous avons assisté à une politique d'aménagement du territoire axée sur des implantations de cultures et de l'agrainage. Il en découle aujourd'hui que la population de sangliers culmine aujourd'hui à 350 000 têtes.

Le renard figure depuis toujours dans la liste des 18 espèces « susceptibles d'être nuisibles ». Cette classification le rend susceptible d'être piégé. Alors que cette pratique était développée dans le passé, la disparition de bon nombre d'agriculteurs l'a raréfiée. La suppression des décharges sauvages en montagne a permis toutefois d'y limiter la prolifération des renards. On assiste donc à une colonisation par ces animaux des zones périurbaines, où il reste encore des décharges.

M. Auguste Cazalet - Combien compte-t-on de petits dans une nichée de renard ?

M. Bernard Baudin - On en compte rarement plus de deux ou trois. J'ajoute que les poisons comme la strychnine ont été interdits. Le renard bénéficie donc d'un contexte très favorable à sa prolifération.

M. Pierre Jarlier - Natura 2000 a suscité de nombreuses interrogations. Pensez-vous que Natura 2000 soit compatible avec la pratique de la chasse traditionnelle ?

M. Bernard Baudin - Natura 2000 a été créé en application de la directive Habitat, Faune, Flore. L'aménagement des habitats est un point essentiel à nos yeux. Il se trouve que l'information n'a pas été très bonne. Des zones de protections spéciales appelées ZPS ont été mises en place sans que l'on ait connaissance des interdictions de chasse qui en découlent, si bien que le traumatisme suscité lors du lancement des parcs nationaux revient dans la mémoire des chasseurs et des agriculteurs. Alors que la relation conflictuelle existant entre les parcs et le monde agricole commençait, si l'on omet le problème du loup, à s'estomper, Natura 2000 risque de raviver les tensions. Cela dit, on ne peut être que partisan de Natura 2000 si ce programme se borne à l'aménagement de l'espace.

M. Pierre Jarlier - Connaissez-vous des cas où l'on ait interdit la chasse ?

M. Bernard Baudin - Pour le moment, je n'en connais pas, mais j'ignore quelles mesures seront prises à l'avenir. Nous avons apprécié que le préfet de mon département nous demande de procéder à l'inventaire de la faune, car cela nous a amenés à formuler des propositions pour les différentes espèces.

M. Jean-Paul Amoudry - L'essentiel a été retracé dans votre intervention. Nous avons maintenant une bonne idée de l'impact des grands prédateurs que sont le loup, le lynx ou l'ours sur l'évolution des peuplements de grand et de petit gibier.

8. Audition de M. Christian Dubreuil, directeur des exploitations, de la politique sociale et de l'emploi au ministère de l'agriculture et de la pêche, accompagné de M. Jean-Claude Tarty, chef de bureau de la montagne et du pastoralisme (15 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Bonjour, et merci d'être présent pour cette mission commune d'information sur la montagne. Je suis le rapporteur de cette mission, à laquelle travaille activement Monsieur Jean Boyer, qui est à mes côtés, ainsi que Monsieur Pierre Jarlier, Secrétaire Général de l'ANEM. Nous avons parfois constaté, en cette période printanière, l'absence de certains de nos représentants, liée à une période de vacances, mais également au contexte de travaux en tout genre, tels que ceux de la commission des affaires économiques, qui se tiendront dans quelques instants. Mais je laisse la parole à notre Président, qui vient d'arriver.

M. Jacques Blanc - Je souhaite simplement la bienvenue aux représentants de la mission commune sur la montagne, et je vous demande, Monsieur le Rapporteur, de poursuivre ce que vous avez si bien commencé, en saluant les personnes qui nous font l'honneur de répondre à notre invitation.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci Monsieur le Président. Monsieur Dubreuil, si vous le voulez bien, après nous avoir rappelé vos qualités, nous allons vous entendre sur la base de la grille de questions que nous vous avons communiquée. Nos collègues pourront demander des précisions et des éclaircissements au cours de votre présentation. Je vous remercie encore pour votre contribution.

M. Christian Dubreuil - Monsieur le Rapporteur de la mission d'information, Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de bien vouloir m'auditionner dans le cadre de vos travaux. Je suis Christian Dubreuil, Directeur des exploitations, de la politique sociale et de l'emploi depuis janvier 1998 au ministère désormais dénommé de l'Agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, et en charge de la politique agricole de la montagne. Je suis accompagné de Monsieur Jean-Claude Tarty, qui est chef du bureau de la montagne et du pastoralisme dans ma direction. Je vous propose, à partir de vos douze questions, qui m'ont été communiquées fin avril, de survoler les réponses afin d'éviter un exposé trop long, tout en vous indiquant que je vous remettrai une réponse écrite permettant de vous aider dans la rédaction de votre rapport, qui sera remis à l'automne. Par ailleurs, je tiens à votre disposition tout document que vous souhaiteriez vous voir communiquer, permettant d'évaluer la politique agricole de la montagne.

Je vous propose de partir de votre première question, qui est certainement la plus pertinente et la plus accrocheuse : « est-ce que l'agriculture de montagne de demain est une agriculture économique, s'appuyant sur la production d'un certain nombre de produits agricoles, ou une agriculture que nos concitoyens, la puissance publique, décident d'aider, en contrepartie de son rôle environnemental ? » Il s'agit donc de la question de l'économique versus l'environnemental. Le sentiment du Ministère de l'Agriculture est que cette approche binaire doit être dépassée, dans le sens où l'agriculture est une activité économique qui doit trouver sa rémunération sur le marché, à travers la valorisation de ses produits. Pour ce qui est de la montagne, comme d'ailleurs pour l'agriculture en général, nous constatons que l'avenir est désormais à la production de produits de qualité, identifiés, à la traçabilité assurée, et issus de territoires dont l'image peut être valorisée. En effet, les consommateurs souhaitent bénéficier de produits de qualité, dont la sécurité est parfaitement assurée, mais qui ont des qualités gustatives et d'apparence, et qui s'identifient bien à une origine géographique. Or, pour proposer ces produits de qualité, la montagne dispose d'atouts incontestables, à travers ses modes de production, ses modes de commercialisation, ses signes de qualité, mais également l'aspect environnemental et la qualité du territoire où ils sont produits, ces deux aspects étant tout à fait liés. Pour utiliser une formule que j'ai connue lorsque j'étais directeur de cabinet du préfet de l'Ain, je citerais M. Blanc, restaurateur à Vonnas, ville dans laquelle une polémique avait éclaté concernant la présence d'un site d'enfouissement des déchets nucléaires en Bresse. En effet, ce dernier disait : « on n'attire pas les touristes avec une poubelle dans sa vitrine ». Ainsi, la qualité environnementale de la production agricole fait partie de cette qualité globale. Je pense que nos concitoyens sont prêts à soutenir leur agriculture de montagne à la fois parce qu'elle produit des produits de qualité et parce qu'elle joue un rôle fondamental dans le maintien de paysages, dans une action sur l'environnement, qu'elle respecte, et qui, finalement, fait partie intrinsèque de la qualité du produit. Lorsque nous parlerons du contrat territorial d'exploitation, prévu par la loi d'orientation agricole, nous verrons qu'une telle loi nous permet d'établir un lien entre l'économique et l'environnemental dans un soutien global à l'agriculture. Cela permet de prouver qu'il existe bien un lien entre l'économique et l'environnemental et que nous n'avons pas intérêt à les séparer, car il s'agit d'une voie de légitimation des aides de soutien à l'agriculture, et notamment à l'agriculture de montagne.

Dans la seconde question que vous avez formulée, le seul terme que je récuserais est celui de « modèle d'une agriculture autonome ». M'adressant à vous, sénateurs de montagne, je peux dire qu' a fortiori en montagne, l'agriculture ne peut pas se penser comme autonome, c'est-à-dire comme une activité unique ne prenant pas en compte les autres activités de ses espaces ruraux. En effet, vous connaissez mieux que moi les liens qui existent entre l'activité agricole, qui est fondamentale dans le maintien de ces espaces, l'activité touristique, qui s'appuie sur cette activité agricole, et les différents services rendus à la société. Il s'agit bien d'une agriculture dans son espace rural d'une part et dans le lien avec les villes importantes qui se trouvent dans les zones de montagne d'autre part. Dans ce sens, je pense que le nouveau ministre, qui est un montagnard, a souhaité ajouter le terme d' « affaires rurales » au nom du ministère de l'Agriculture et de la Pêche pour bien rappeler non seulement que les agriculteurs sont des acteurs essentiels du monde rural mais également que le monde rural doit être pris en compte dans sa globalité.

Pour résumer ce premier point, je ferai un lien entre, d'une part, produit de qualité, qui est l'avenir de l'agriculture de montagne, et respect de l'environnement, ces deux aspects suscitant des soutiens légitimes de la part de la puissance publique, et, d'autre part, une agriculture qui se pense bien comme élément essentiel de la montagne, mais qui se vit aussi en lien avec les autres acteurs du monde rural.

Cela permet de faire le lien avec la question posée concernant les aides aux agriculteurs de montagne : « les agriculteurs sont-ils suffisamment aidés, les rapports d'évaluation ayant montré dans le passé que les revenus des agriculteurs de montagne étaient plus faibles que ceux de la moyenne nationale ? » Il est certain que les aides à l'agriculture, notamment les aides dites du premier pilier de la PAC, à savoir les aides directes, qui ont appuyé l'agriculture moderne et exportatrice en France, ont soutenu et continuent à soutenir toute une série de filières de production qui, pour certaines, sont peu représentées dans l'agriculture de montagne. Il est exact que ces très volumineux soutiens accordés aux céréales et aux oléoprotéagineux concernent très marginalement l'agriculture de montagne. En revanche, l'agriculture de montagne est aidée par les aides animales, avec des majorations, notamment sur la prime au maintien du troupeau des vaches allaitantes, mais peu sur les aides surfaces aux grandes cultures, au titre du premier pilier sur les aides aux productions animales, notamment pour la production de viande bovine. Par ailleurs, pour les aides du deuxième pilier de la PAC, qui sont en voie d'augmentation depuis les accords de Berlin de 1999, certaines de ces aides sont ciblées sur des soutiens à la montagne, notamment pour les soutiens à la compensation du handicap. D'autre part, ces aides sont certainement beaucoup plus mobilisables par l'agriculture de montagne.

Les différences de revenus perdurent. Je vous donnerai, dans les documents en annexe de ma présentation, des éléments chiffrés qui montrent que, d'après les études réalisées en 2000, ce différentiel demeure, même s'il s'est probablement réduit par rapport aux indications du rapport d'évaluation de 1998. Il semblerait que les écarts de revenus disponibles soient de 16 % pour la montagne et la haute montagne par rapport à la moyenne nationale, et de 19 % par rapport aux agriculteurs de plaine. Je poursuivrai en évoquant l'évolution de la PAC, qui n'est pas encore totalement décidée puisque des discussions vont prochainement avoir lieu, notamment le 10 juillet, date à laquelle le Commissaire Fischler envisage de dévoiler les propositions de la commission pour l'évolution de la PAC au titre de la révision à mi-parcours. Ces propositions seront discutées lors du conseil européen de fin juillet. Or, dans les évolutions en cours nous observons une tendance à favoriser le deuxième pilier de la PAC, mais également à envisager des transferts entre le premier et le deuxième pilier. Ce transfert peut se faire à travers la modulation des aides directes. Il s'agit, dans ce cas, non pas de la modulation facultative actuelle à la française mais de la modulation générale et probablement obligatoire à laquelle pense la Commission Européenne. Il peut se faire à travers la dégressivité des aides directes. Je pense que l'agriculture de montagne a beaucoup à gagner d'une augmentation des soutiens du deuxième pilier de la PAC mais également d'un transfert de soutiens du premier au deuxième pilier de la PAC, notamment à travers un instrument, qui est l'un des outils privilégiés de la politique agricole de la montagne : la politique de compensation des handicaps naturels. Je souhaite vous en dire quelques mots car il s'agit d'un soutien financier important. Cette aide a été inventée par la France dans les années 70 comme ceci est souvent le cas en matière européenne. Il est important de le rappeler, car le rôle de la France doit rester important dans l'avenir, en tant que première puissance agricole européenne. En effet, la France doit être pionnière dans le domaine des idées et des propositions, et votre commission va y contribuer, pour entraîner nos amis européens, d'autant plus que nous sommes l'un des principaux pays montagnards, même si, par bonheur, d'autres pays de l'Union Européenne sont également concernés par ces problèmes comme l'Espagne, l'Italie ou l'Autriche. En revanche, nos partenaires de l'Europe du Nord sont beaucoup moins concernés par les problèmes de la montagne. Ainsi, l'idée de compensation des handicaps naturels est une idée française, qui a été reprise au plan européen, et qui figure de nouveau dans le règlement développement rural de 1999, et qui a été aménagée durant ces dernières années.

Je souhaiterais faire le point avec vous sur la réforme des ICHN, comme je l'ai fait auprès du groupe politique agricole de la montagne, qui se réunit mensuellement depuis janvier 1999, que je préside, et qui regroupe l'ANEM, l'Administration centrale et déconcentrée de l'Etat, les commissariats de massifs et les organisations professionnelles agricoles. L'indemnité compensatoire des handicaps naturels a été maintenue en 1999. Cette indemnité a été modifiée et nous sommes ainsi passés d'un soutien à la tête de bétail à un soutien à l'hectare. Je pense qu'il s'agit d'une bonne idée dans le sens où le soutien à la tête de bétail pouvait laisser penser que ce soutien était corrélé au volume de production. Or, je pense qu'un soutien à la surface garantit mieux que ce type de soutien sera durablement compris dans la boite « verte » des négociations internationales. Ainsi, ce choix réaffirme mieux le fait qu'il s'agit d'un soutien découplé de la production et donc totalement protégé dans le cadre des négociations de l'Organisation Mondiale du Commerce. D'autre part, l'affirmation selon laquelle ces soutiens devaient être accordés si les agriculteurs respectaient les bonnes pratiques agricoles habituelles est importante. La France a obtenu qu'en montagne on parte, par principe, du postulat suivant : les bonnes pratiques agricoles habituelles sont respectées. Il ne s'agit pas d'une novation majeure mais de l'affirmation d'un principe assez utile. Par ailleurs, il s'agit d'un soutien exprimé à travers un moyen simple puisque sont présumés respecter ces règles les agriculteurs qui ont un chargement, à savoir des animaux sur des hectares, qui évite à la fois le sous-pâturage et le sur-pâturage. Ces mesures ont suscité des débats et des inquiétudes, mais ont finalement été mises en oeuvre, et le bilan qui en a été tiré, dans le cadre d'une analyse objective, réalisée par l'Institut d'Agriculture Méditerranéenne, et que je suis prêt à vous communiquer, a montré qu'avec cette réforme, les grands équilibres avaient été maintenus. En effet, 80 % des soutiens vont à la montagne contre 20 % pour les zones défavorisées et de piémont. Le nombre d'exclus est très minime : 1,4 %. Enfin, 70 % des éleveurs ont un soutien financier en augmentation. Les quelques difficultés concernant les éleveurs en piémont laitier devraient être réglées durant l'année 2002, et l'on cherchera à mieux soutenir les élevages ovins. D'autre part, la puissance publique a décidé d'augmenter les soutiens financiers à l'agriculture de montagne de 18 millions d'euros en 2000, de 47 millions d'euros en 2001 et il est prévu, pour cette année, une augmentation de 30 millions d'euros. Je précise qu'il s'agit d'un engagement pris par le précédent gouvernement en octobre dernier et il est très souhaitable que l'actuel gouvernement confirme cet engagement pour la campagne ICHN, puisque les agriculteurs déposent actuellement leurs dossiers et doivent être payés de leurs indemnités en septembre et octobre prochain. Ainsi, si cette réforme des ICHN a suscité des difficultés, elle permet, selon moi, de conforter la politique de compensation du handicap et de centrer les soutiens sur la montagne. Il s'agit en outre d'un moyen privilégié de soutenir l'agriculture de montagne. Ces aides sont cofinancées par l'Union Européenne. Ainsi, si je souhaitais résumer à l'extrême ma pensée sur ce point, je dirais que l'un des moyens très simples pour aider l'agriculture de montagne consisterait à augmenter les ICHN.

Je poursuivrai en parlant plus brièvement d'un autre mode de soutien par lequel l'agriculture de montagne peut être confortée : la mise en oeuvre, par la loi d'orientation agricole de juillet 1999, du contrat territorial d'exploitation.

M. Jean-Paul Amoudry - Excusez-moi de vous interrompre, mais je souhaiterais avoir une précision. Vous avez parlé de l'engagement du gouvernement d'augmenter de 30 millions d'euros pour 2002 l'enveloppe des ICHN. S'agit-il simplement de la part de l'Etat français, et avez-vous en tête le montant affecté par Bruxelles en parallèle ? En effet, il existe un lien entre l'effort de l'Etat et l'engagement de l'Union Européenne.

M. Christian Dubreuil - Il existe en effet un lien automatique entre les deux puisque l'ICHN est co-financé à 50 % par l'Union Européenne. Ainsi, compte tenu du cofinancement global que nous apporte l'Union Européenne, puisque nous sommes autorisés à mobiliser plus de 760 millions d'euros en moyenne, par an, de cofinancement européen, lorsque la France augmente les ICHN, le cofinancement européen est automatique. Or l'engagement pris à l'automne dernier était d'augmenter les ICHN de 200 millions de francs, soit 30 millions d'euros, cette somme comprenant la part européenne pour 15 millions d'euros.

M. Jean-Claude Tarty - En effet, il s'agit de 100 millions de francs pour l'Etat français et de 100 millions de francs pour l'Union Européenne. Ce cofinancement à 50/50 est automatique.

M. Jacques Blanc - Les classements en zone de montagne sont très importants pour les personnes et pour les collectivités. Or, nous assistons, dans certains lieux, à des situations paradoxales, car les zones amont peuvent ne pas être classées en zone de montagne alors que l'aval bénéficie d'un tel classement. Nous avons tous en tête des exemples précis dans ce sens. Or, existe-t-il des perspectives de révision de ces classements, non pas à la baisse, bien évidemment, mais à la hausse. En effet, ce que nous avons appris sur les coefficients de pente et d'altitude est souvent contredit par de tels exemples. En effet, certaines communes de montagne, plus basses que d'autres en altitude, sont classées en zone de montagne alors que d'autres communes plus élevées en altitude ne le sont pas, ce qui heurte le bon sens. Nous avons beau arguer du fait que les coefficients d'altitude doivent être recoupés avec les coefficients de pente, nous ne sommes pas entendus sur le terrain. Or avons-nous une chance à saisir dans ce cadre et la commission serait-elle bien inspirée en proposant quelque chose pour faire avancer ce problème, tout en ayant le souci des collectivités, qui sont sans doute mieux traitées lorsqu'elles sont en zone de montagne que lorsqu'elles n'y sont pas. Cette question concerne, bien entendu, la basse et la moyenne montagne, et non pas la haute montagne.

M. Christian Dubreuil - Je vais vous présenter une carte, que je vous remettrai, reprenant l'état actuel du classement des zones défavorisées en France, qui comporte les zones de haute montagne, les zones de montagne, les zones de piémont, et les zones défavorisées. Il s'agit d'une construction progressive puisque la France a inventé la compensation du handicap dans les années 70 et a donc délimité ses propres zonages. Or, lorsque cette aide a été reprise au niveau européen, la France a demandé que ces zonages des années 70 soient repris tels quels. Ensuite, ils ont été consolidés à travers des critères objectifs d'altitude et de pente. Si nous observons cette carte, certaines incohérences apparaissent. Néanmoins, comme pour toutes les belles oeuvres anciennes, nous nous posons toujours la question de savoir s'il existe plus ou moins d'inconvénients à les retoucher. Ainsi, nous constatons que le classement en zone défavorisée de tout le Sud Ouest a consisté à considérer, dans les années 70, que l'agriculture du Gers ou celle de la Dordogne, deux départements se trouvant intégralement en zone défavorisée, étaient défavorisés en termes de revenus. Trente ans plus tard, il serait beaucoup plus difficile de démontrer que l'agriculture du Gers souffre d'un déficit économique. Or, les élus et les agriculteurs sont très attachés à ce type de soutien. Tout le zonage a fait l'objet d'une construction par étapes, d'où un certain nombre d'incohérences. Mais ce zonage est évolutif. Ainsi, l'année dernière, nous avons pu faire élargir la zone montagne au Morvan, après 25 ans d'étude de ce dossier. En effet, les élus de ce secteur souhaitaient voir reconnaître et élargir cette zone, qu'ils estimaient être un massif spécifique qui n'était pas le Massif Central. Les changements de zone sont donc possibles. Mais le problème avec l'Union Européenne est le suivant : lorsqu'il lui est demandé de rajouter de nouvelles zones de montagne, elle souhaite que d'autres zones soient retirées de ce classement, dans un souci d'équilibre. Auquel cas, nous répondons toujours que nous ne pouvons rien retirer. Cette révision du zonage est donc possible, mais elle doit être réalisée prudemment. Néanmoins, certains dossiers peuvent être présentés. Ainsi, l'année dernière, nous avons reclassé une partie du Morvan et quelques communes en Isère, en Corse, dans l'Aude et les Pyrénées orientales. Dans le projet de cette année, nous avons prévu quelques reclassements de l'Isère, dans le Rhône et pour quelques communes des Pyrénées, mais cela renvoie à des questions financières. En effet, si nous étendons le zonage, il faut que la puissance publique affecte les crédits nécessaires.

M. Auguste Cazalet - Vous ne parviendrez jamais à satisfaire tout le monde. Je suis moi-même Sénateur des Pyrénées-Atlantiques. Or, je constate que la question de l'altitude ne veut rien dire, exceptée dans la haute montagne. En effet, dans certaines régions, des exploitations agricoles très belles sont situées en altitude et ne sont pas confrontées à des handicaps trop importants, et, en basse altitude, certaines exploitations agricoles requièrent beaucoup de courage pour y travailler avec des tracteurs. Or cette inégalité entraîne la colère des agriculteurs, qui ne comprennent pas que certaines communes soient classées en zone de montagne alors que la leur ne l'est pas, mais qu'ils sont encore contraints de travailler avec des traîneaux et des boeufs. Vous aurez donc toujours affaire à des contestations, d'un côté ou de l'autre, et les élus en savent quelque chose. Ainsi, dans ma commune, les élus se font interpeller à ce sujet. En outre, durant chaque période électorale, et ce pour tous les bords, chacun promet qu'il fera classer les communes concernées en zone de montagne, mais ceci n'est jamais fait. Nous ne parviendrons donc jamais à satisfaire tout le monde.

Par ailleurs, je souhaiterais connaître la position des organisations agricoles au sujet de l'ICHN. En effet, les aides sont octroyées à la surface agricole. Néanmoins, en zone de montagne, il n'est pas toujours facile d'avoir de grosses exploitations. Ainsi, si les éleveurs se débrouillent bien, ils parviennent à vivre en montagne en se faisant livrer des fourrages sur place pour pouvoir y demeurer. Or, dans les zones où se trouvent les belles exploitations, les gens quittent l'agriculture alors qu'en montagne, certains agriculteurs luttent pour rester sur place, malgré les difficultés. A cela s'ajoute le problème des esquives, qui leur permettent de conserver sur place les vaches ou les moutons durant l'été. Ainsi, en termes de chargement par hectare, certaines petites exploitations ont un chargement très important car les agriculteurs laissent les bêtes enfermées tout l'hiver et font arriver sur place du maïs doux et des fourrages, ce qui permet de maintenir la vie en montagne. Dans ce cadre, je souhaitais vous poser une question : les bergers sans terre bénéficient-ils des aides en montagne ? En effet, autrefois, ils ne les touchaient pas.

M. Jean Boyer - Je souhaite vous poser, Monsieur Dubreuil, une question d'ordre général. Nous entendons parler d'une part des primes compensatrices et d'autre part des primes compensatoires. Pour être logique, doit-on dire « primes compensatrices des handicaps » ou « primes compensatoires des handicaps » ? Par ailleurs, ma question porte sur les primes à la montagne haute, puisque l'on dit, depuis deux ou trois ans, prime à la montagne haute et non plus prime à la haute montagne. Je suis l'un des élus de Haute-Loire. Or, la référence, pour le classement en haute montagne, est la mairie de la commune. Toutefois, les mairies se trouvent dans les vallées et les agriculteurs sont très contrariés de voir que la référence est la mairie, puisque les terres de culture sont sur le plateau. Or le fait que la mairie se trouve en dessous de l'altitude définie pour les zones de montagne haute, qui est de 1 050 mètres, les pénalise. Ainsi, dans mon département, une pétition a été signée par les habitants de 11 communes, dont la mairie se trouve dans la vallée, et dont les trois quarts des zones cultivées se trouvent au-dessus de la référence prescrite. Dans ce cadre, comment pouvons-nous envisager une adaptation de cette référence à la réalité ?

M. Christian Dubreuil - En reprenant la perspective du classement de zone de votre rapport, je pense qu'avec les organisations professionnelles agricoles, un certain consensus a été trouvé pour dire qu'il ne fallait pas ouvrir la boîte de Pandore. En effet, ce classement est important pour la France et il y a peut-être plus de risque à le réexaminer qu'à le maintenir. Le débat consistant à comparer les situations entre elles est sans fin. Néanmoins, le rapport peut rappeler qu'année après année, il est possible de reclasser quelques petites zones qui ont le sentiment d'avoir été maltraitées. Je vous propose cette solution car je pense qu'il serait dangereux, pour l'agriculture de montagne française, de revoir le zonage général, mais que nous pouvons néanmoins procéder à des adaptations chaque année.

Pour ce qui est des aides octroyées à la surface, votre question est de savoir si ces aides sont plus bénéfiques à l'agriculture de montagne. Je parlerai en ce sens sous le contrôle du sénateur Amoudry, qui connaît très bien ces questions. Je pense que, potentiellement, il s'agit d'un excellent moyen de soutien supplémentaire à l'agriculture de montagne. En effet, il fait état de la déprise qu'il faut combattre et de la nécessité d'entretenir, voire de reconquérir des terres. Ce soutien à la surface peut permettre aux agriculteurs, d'une part d'engager des surfaces supplémentaires et d'avoir potentiellement des soutiens plus élevés, et, d'autre part, de mieux rémunérer tous les espaces pastoraux, les estives, les alpages, utilisés tant dans les Pyrénées que dans les Alpes. Ainsi, cette reforme des ICHN est positive, bien qu'elle n'ait pas produit immédiatement les effets escomptés, puisque, lorsqu'elle s'est mise en place, les animaux et les hectares des agriculteurs ont été basculés d'un système à l'autre. Toutefois, vous connaissez tous la capacité d'adaptation des agriculteurs, ce fameux bon sens paysan. Ainsi, aujourd'hui, le soutien étant à la surface, des surfaces complémentaires vont pouvoir être engagées, notamment les terres des groupements pastoraux, qui pourraient être mieux soutenues. Je pense donc que ce changement de critère pourrait être plus favorable, tant dans le domaine des ICHN, qui, d'après les textes, sont des « indemnités compensatoires » et non pas compensatrices des handicaps naturels, que dans le second domaine, que sont les soutiens agro-environnementaux, qu'ils soient inscrits dans ou hors des contrats territoriaux d'exploitation.

Concernant les bergers sans terre, je pense qu'ils bénéficient désormais du soutien. Je vous propose que Monsieur Tarty complète cette réponse et qu'il réponde par ailleurs à la question de l'appréciation du zonage et de la remise en cause éventuelle du référentiel représenté par les mairies.

M. Jean-Claude Tarty - Les bergers sans terre bénéficient effectivement des ICHN depuis une dizaine d'années. Auparavant, cette aide était calculée à la tête de bétail et elle est désormais calculée à l'hectare. Il suffit que le berger sans terre fasse, comme tout agriculteur de France, une déclaration de surface et que la Direction départementale reconnaisse qu'il est l'utilisateur de ces territoires pour qu'il puisse bénéficier des différentes aides sur les terres qu'il exploite.

Concernant le classement en zone de montagne haute, la règle communautaire, qui est reprise dans le règlement développement rural indique qu'il existe en termes communautaires des zones de montagne et des zones défavorisées. En France, nous avions établi une différenciation entre haute montagne et montagne, et entre piémont et zone défavorisée. Cette différenciation continue à exister. Néanmoins, lorsque nous avons négocié le passage de l'unité de gros bétail (UGB) à l'hectare, nous nous sommes rendus compte que le chargement, qui est aujourd'hui le critère essentiel de la totalité de la prime ou d'un certain pourcentage de cette prime, n'était pas forcément le même, même à l'intérieur de la zone montagne d'un département. Par ailleurs, depuis un certain nombre d'années, les organisations départementales agricoles et les directions départementales de l'agriculture avaient déjà établi des sous-zonages, notamment dans le Cantal. Mais cette distinction avait été établie dans la notion de montagne et non pas selon la notion nationale de haute montagne, qui est située au-delà de 1 200 mètres d'altitude. Ces sous-zonages ont été reconduits dans le système actuel. Nous avions ainsi, dans notre système de paiement comportant quatre marches, zone défavorisée, piémont, montagne et haute montagne, créé un escalier avec des marches supplémentaires, de façon à mieux lisser les écarts de paiement entre ce qui est donné à la montagne et ce qui est donné à la haute montagne. Or, il se trouve que certains agriculteurs étaient proches des caractéristiques de handicap de la haute montagne et il était anormal que le pallier soit trop important. Le système d'étagement a donc été reconduit.

Concernant la référence à la mairie, si nous lancions le vaste sujet de la révision du classement des zones, nous devrions utiliser un logiciel de calcul qui nous permettrait de travailler à partir de sites géo-référencés tous les 100 mètres. Ainsi, actuellement, le CEMAGREF calcule l'altitude et la pente de chaque point géodésique tous les 100 mètres de la commune en question. Ensuite, on calcule un coefficient, qui doit être supérieur à 2. Ainsi, si le coefficient est supérieur à 2, la zone est classée en montagne, et s'il est inférieur, elle n'est classée qu'en piémont. Or, il est vrai qu'à une certaine époque, nous ne disposions pas d'outils de calcul précis. La référence était donc la mairie. Mais si nous réalisions de nouveaux calculs, avec le risque que certaines zones soient exclues et d'autres incluses, nous pourrions nous abstraire de cette notion. Par ailleurs, dans le cadre de la réflexion menée avec le groupe Montagne, sur le passage de l'UGB à l'hectare, nous avons réfléchi à cette problématique. Longtemps, les organisations professionnelles agricoles nous ont dit que, lorsqu'un agriculteur avait son siège d'exploitation en zone défavorisée et ses animaux en haute montagne, il était payé au taux de la zone défavorisée. Ils considéraient que cette situation était anormale puisque le handicap que subissaient les animaux était un handicap de haute montagne, bien que l'agriculteur habite dans la vallée. Nous avons donc profité du passage de l'UGB à l'hectare pour modifier la règle de calcul. Ainsi, un agriculteur, qui a son siège d'exploitation dans une zone défavorisée, même si cette zone est située en piémont, sera payé au taux montagne si ses surfaces sont situées en montagne. Cette modification, qui a commencé à se mettre en place l'année dernière, doit permettre à un certain nombre d'agriculteurs de bénéficier de primes plus importantes. Monsieur Dubreuil a cité le nombre d'agriculteurs concernés par les ICHN. Or, sur les 115 000 agriculteurs qui ont bénéficié des ICHN en 2001, 70 % ont bénéficié d'une augmentation de ces aides par rapport à 2000. Le système de basculement de l'UGB vers l'hectare a donc été globalement favorable pour une majorité d'agriculteurs en montagne.

M. Christian Dubreuil - Je vous propose de poursuivre sur les questions qui nous ont été posées. Parmi elles, un point fait débat et concerne au premier rang les parlementaires, puisque vous faites la loi et que vous veillez à son application. En effet, je pense que le débat relatif au contrat territorial d'exploitation va de nouveau s'ouvrir. Nous devons nous demander si cet outil de politique agricole est utile ou non, et surtout, s'il est utile à la montagne. Le contrat territorial d'exploitation, prévu par la loi d'orientation agricole de juillet 1999, vise à considérer l'agriculture dans ses différentes fonctions : l'économie, le social, l'emploi, l'environnement, l'aménagement du territoire, et à concevoir un soutien à l'ensemble de ces fonctions, qui agglomère les soutiens traditionnellement accordés aux investissements ou à l'environnement. Les soutiens sont reconnus et cofinancés par l'Union Européenne, tel que le préconisait le règlement développement rural. Par ailleurs, l'idée spécifiquement française d'un contrat global passé avec les exploitants agricoles a été rajoutée. Ce contrat a commencé à se mettre en place durant l'automne 1999. Dans les zones de montagne, à la différence des ICHN, ce contrat n'était pas un soutien spécifique à la montagne. Les agriculteurs de montagne se sont donc demandés si ce soutien pouvait leur être bénéfique. Ainsi, l'inquiétude liée à l'approche globale, ou globalisante des CTE, ayant vocation à rassembler les soutiens, était liée à la question suivante : que vont devenir les soutiens spécifiques aux ICHN ? Dans ce contexte, la sénatrice Jeanine Bardou avait défendu le fait que les ICHN ne soient pas fondues dans les CTE, mais soient préservées, ce qui a été fait. Or elle a eu raison de soutenir cette option malgré les débats de l'époque, consistant à se demander si un outil non spécifique à la montagne pouvait être utile à la montagne, et s'il n'allait pas susciter en échange la perte d'outils anciens auxquels les agriculteurs étaient attachés. Ce débat est aujourd'hui dépassé. Les CTE se sont mis en place plus lentement que prévu car un certain nombre de difficultés se sont présentées. En mai 2002, nous pouvons reposer cette question de manière sereine et pragmatique, au vu de ce qui a été mis en place. A travers ce type de soutien, nous sommes parvenus aux résultats suivants : 25 000 contrats territoriaux ont été signés, 32 000 ont été approuvés dans les commissions départementales d'orientation de l'agriculture, 6 500 dossiers sont en cours d'instruction. Ainsi, 40 000 agriculteurs ont déjà demandé un contrat, un peu plus de 30 000 l'ont vu approuver et un peu plus de 25 000 l'ont vu signer. La part des exploitants agricoles de montagne est de 20 %, ce pourcentage se maintenant depuis la mise en place de cette aide. Ainsi, la part des agriculteurs de montagne et de haute montagne dans les CTE est un peu supérieure au pourcentage que représentent ces exploitants agricoles dans l'ensemble de l'agriculture de notre pays.

Je constate également que ces aides ont permis d'engager 2 millions d'hectares. En effet, les surfaces des 25 000 exploitants ayant signé un CTE représentent 2 millions d'hectares, dont 1,3 million d'hectares qui font l'objet d'engagements. Ainsi, en deux ans de CTE, les surfaces engagées sont supérieures à celles qui l'ont été durant plus de huit ans d'opérations locales agro-environnementales et d'opérations groupées d'aménagement foncier entre 1992 et 1999. Le montant global des contrats signés pour cinq ans représente d'ores et déjà 1 milliard d'euros, et la moyenne des contrats est de 40 000 euros par contrat et de 27 000 euros par exploitant ou associé. Ainsi, après des débuts difficiles, des questions sur le positionnement de ce contrat par rapport à d'autres types de soutiens à l'agriculture, je pense que les agriculteurs et les responsables des organisations professionnelles agricoles considèrent désormais que ce type de soutien est positif. Je pense par ailleurs que ce soutien pourrait être mieux utilisé par l'agriculture de montagne. En effet, on pouvait craindre au départ que les exploitants de plaine s'en saisissent bien avant. Ainsi, en mai 1999 le Président du Conseil Régional du Limousin, proche du gouvernement de l'époque, me demandait si cette aide n'allait pas consister à aider les agriculteurs bretons, qui ont pollué l'environnement, alors que les agriculteurs du Limousin, ayant des pratiques environnementales correctes, n'allaient pas être aidés. Or, si nous regardons la carte des contrats territoriaux d'exploitation, que je vous communiquerai, nous constatons que ceci n'a pas été le cas. En effet, étant donné les problèmes de respect de la réglementation, dont je respecte par ailleurs l'agriculture très performante, le nombre de CTE signés en Bretagne est assez faible. Dans les grandes zones céréalières, pour des raisons liées à la modulation des aides directes, nous avons assisté au même schéma. Ainsi, les régions qui se sont principalement appropriées les contrats territoriaux d'exploitation sont plutôt les régions Midi-Pyrénées, Rhône-Alpes, Auvergne, Pays de Loire ou Languedoc-Roussillon, tandis que les régions du Nord de la France ou de la Provence Alpes Côte d'Azur en ont moins profité. Ce type de soutien convient donc bien aux filières qui sont moins soutenues par les organisations communes de marché, notamment l'agriculture de montagne.

Le gouvernement précédent avait beaucoup soutenu le CTE en soi. Mais, plus récemment, un décret permettant de contracter des mesures agro-environnementales en dehors du CTE a été publié. Le nouveau gouvernement dispose donc aujourd'hui de deux outils à sa disposition et pourra choisir en fonction de ses priorités et de ses moyens financiers. Ainsi, nous sortons peut-être de ce débat manichéen consistant à limiter les soutiens aux contrats territoriaux d'exploitation. Désormais, le gouvernement dispose de ces deux outils différents, dont il peut co-régler l'application. Il pourrait ainsi mettre en place des mesures agro-environnementales hors CTE pour les agriculteurs non-éligibles aux CTE, comme les agriculteurs âgés, ou encore pour les estives gérées par des commissions syndicales, comme ceci est le cas dans les Pyrénées atlantiques. Ainsi, cette nouvelle situation doit être intégrée dans l'appréciation de l'avenir des contrats territoriaux d'exploitation. En effet, un soutien bien adapté à l'agriculture de montagne a été trouvé, qui mobilise des moyens financiers importants, et je pense que la fin des CTE ferait plaisir à une seule personne en France : le secrétaire d'Etat au Budget. Pour nous, dans le cadre du ministère de l'Agriculture, pour vous, parlementaires du monde rural, il sera important de répondre aux attentes des organisations professionnelles agricoles, qui souhaitent que le CTE soit simplifié, centré sur ses objectifs, et qu'il ne soit pas l'outil unique de soutien. Toutefois, ils ne souhaitent pas la fin de cette politique. Je pense que la sagesse conduirait à adapter le dispositif sans le briser.

Concernant les questions que vous m'avez posées à propos de la situation des différentes productions qui intéressent la montagne, la viande ou le lait, il me semble que vous allez auditionner, le 17 juin, l'adjointe de mon collègue directeur des politiques économique et internationale, Marie Guittard. Je ne m'attarderai donc pas sur ce sujet, mon propos étant déjà très complet. En revanche, je vous ai fourni des réponses écrites pour vous aider à préparer vos travaux.

J'aborderai ensuite la question suivante : que faire auprès de l'Union Européenne pour aider la montagne ? Cette question est pour moi d'actualité puisque je m'envole dans quelques heures vers Inverness, pour assister aux troisièmes assises de l'agriculture de montagne, en Ecosse, où je vais plaider, avec mes collègues européens, sur le thème « Défense de la montagne au sein de l'Europe ». L'Europe soutient l'agriculture de montagne, mais il n'existe pas une politique européenne de la montagne totalement constituée. Une sorte de plaidoyer permanent est donc nécessaire pour que toutes les actions européennes bénéficient à la montagne. Ainsi, les pays de l'Europe du Sud ou de l'arc alpin sont dans une situation de lobbying par rapport aux pays de l'Europe du Nord, qui sont peu sensibles à cette problématique. Nous devons prouver que les montagnes sont un patrimoine pour l'Europe, et qu'il faut en défendre l'agriculture et la valeur patrimoniale. Par ailleurs, nous devons nous préparer à poursuivre ce combat avec l'élargissement de l'Europe à l'Est. En effet, nous allons nous trouver confrontés au même type de contraste avec l'entrée de grands pays agricoles qui ne sont pas du tout montagnards comme la Pologne ou la Hongrie, et de quelques pays montagnards, qui iront dans le même sens que nous, comme la Slovaquie ou la Slovénie. La même opposition sera donc présente entre ceux que cette politique n'intéresse pas et ceux que cette politique intéresse.

Vous me posez la question : dans quel sens agir ? Je vois plusieurs solutions : le renforcement du deuxième pilier de la PAC, le développement rural, proposé par le commissaire Fischler et la majorité des Etats membres, est une évolution favorable. Il s'agit tout d'abord du soutien aux élevages herbagers avec la fameuse question de l'herbe. En effet, pour aider la montagne dans la politique agricole, il faut défendre des soutiens à base d'herbe, y compris pour nos élevages de viande ou de lait. Nous sommes la principale puissance agricole, avec 28 millions d'hectares de surface agricole utile et de nombreux espaces herbagés. Dans ce contexte, tous les soutiens pouvant être augmentés vis-à-vis de l'herbe seront bons pour l'agriculture de montagne, qui détient ces espaces herbagers. Ainsi, tant la prime dite « à l'herbe », qui va s'achever en 2003, et qui trouvera sa suite dans les actions agro-environnementales, que des réflexions sur l'évolution des soutiens à la viande sont favorables. Ainsi, dans le cadre de la réflexion sur l'évolution de la PAC, qui va avoir lieu au second semestre notamment au sommet de Copenhague de décembre 2002, nous pouvons très bien, en France, aider notre viande bovine à travers des soutiens à la tête de bétail ou à l'herbe. Dans la situation actuelle, la PAC aide davantage les productions céréalières ou le maïs que l'herbe. En effet, la prime à l'herbe s'élève à 46 euros à l'hectare contre 533,6 euros pour les soutiens au maïs. A travers les aides environnementales, nous avons mis en place un soutien supplémentaire. Ainsi, la prime à l'herbe va passer de 68,6 euros à 91,5 euros à l'hectare. Mais tout ce qui conduira à aller plus loin dans ce sens est bon pour l'agriculture de montagne. Vis-à-vis de l'Union Européenne, sensible à la problématique de passage de soutiens à la tête de bétail, qui sont critiqués à l'OMC, à des soutiens à la surface et à l'herbe, qui sont moins menacés à l'OMC, nous devons montrer que cette transition est bénéfique pour notre agriculture de montagne.

Par ailleurs, nous pouvons évoquer un autre dossier important : le soutien au pastoralisme. Il s'agit d'un mode, spécifique à la montagne, de gestion de nos élevages, conforme à des traditions rurales que nous devons maintenir. Or ces soutiens au pastoralisme peuvent être amplifiés car le pastoralisme constitue une bonne pratique agricole, respectueuse des hommes et des territoires, conforme à nos traditions européennes. Ainsi, tout ce qui peut aller vers sa reconnaissance et son soutien est bon pour l'agriculture de montagne. Il faudrait également que nous amenions la Commission Européenne à donner des suites concrètes au travail réalisé par le Parlement Européen en septembre 2001 sur 25 ans d'application de la législation communautaire en faveur de l'agriculture de montagne. En effet, le Parlement a fait des propositions et il serait très utile que nous encouragions la Commission Européenne à passer de l'analyse du Parlement à des propositions concrètes. Enfin, l'action de lobbying des montagnards d'Europe doit être commune et résolue au sein de l'Europe des 15 actuelle et de la future Europe des 25, pour convaincre tout le monde de l'intérêt de l'agriculture de montagne. Dans ce domaine, nous pourrions valoriser des expériences réussies d'agriculture de montagne, notamment le travail réalisé par l'agriculture valaisanne en Suisse, et qui a été étudié par le Groupe Politique Agricole de la Montagne. En effet, à travers des approches scientifiques, ce travail tend à démontrer la multi-fonctionnalité de l'agriculture de montagne dans le Valais en décrivant les services rendus par l'agriculture aux concitoyens de ce territoire. Ce travail permet aussi de savoir ce que les concitoyens attendent de leur agriculture et donc de s'orienter vers une agriculture conforme à ces attentes. Ainsi, il est possible de décider des soutiens publics nécessaires dans ce sens et permet de légitimer des soutiens accrus. Ce travail, qui fait l'objet de travaux poursuivis avec le groupement d'intérêt scientifique Alpes du Nord et le Commissariat du Massif des Alpes, constitue une très bonne perspective d'évolution et de recherche pour l'avenir, car ce type d'approche permet de donner un contenu plus concret à la notion de multi-fonctionnalité de l'agriculture, d'apport de l'agriculture de montagne. Ainsi, en reconnaissant cet apport, il est possible de légitimer les aides en les expliquant mieux à nos concitoyens urbains, qui ont perdu leur culture rurale.

Concernant le pastoralisme, je serai assez bref, puisque vous connaissez bien le sujet. Le Conseil National de la Montagne a confié, en février 2001, à Clermont-Ferrand, au ministère de l'Agriculture, un travail sur le pastoralisme. Ce groupe de travail interministériel s'est réuni durant toute cette année sous ma présidence, et il a associé des professionnels agricoles, des élus de la montagne, et des parlementaires, au premier rang desquels le sénateur Amoudry. Je vais vous remettre les résultats de ce travail, sous la forme d'un rapport provisoire, qui a été rédigé en mars. En effet, à cette époque, nous approchions des échéances démocratiques que notre pays est en train de connaître, et le précédent gouvernement, étant dans la période dite de réserve, a estimé qu'il n'était pas pertinent que ce rapport lui soit remis à un mois des élections. J'ai demandé à Hervé Gaymard, nouveau Ministre de l'Agriculture, s'il souhaitait que ce rapport lui soit remis. Il sera remis au ministre au plus tard au mois de juillet. Il s'agit d'un travail très consensuel, qui offre de nombreuses pistes législatives, notamment pour les associations pastorales. En effet, nous souhaitons nous appuyer sur le Parlement, au premier rang desquels le Sénat. Il appartiendra à la douzième législature, qui s'ouvrira à partir du mois de juillet, d'en traiter. Je pense que le Sénat pourrait porter cette évolution législative, organisationnelle et financière afin de soutenir le pastoralisme.

Je terminerai sur un sujet qui constitue un problème, et sur lequel je pense qu'il serait utile que votre rapport se prononce : l'adaptation des bâtiments d'élevage, notamment en montagne, aux nouvelles règles du bien-être animal, de la sécurité sanitaire, de la traçabilité des produits. En effet, il existait dans ce sens un programme global, qui a peu bénéficié à l'agriculture de montagne : le Programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA), mis en place en 1993. Or la Commission Européenne a découvert ce programme. Il s'agit là d'un défaut important dans la gestion des politiques agricoles en France, car certaines politiques sont lancées sans être notifiées au niveau européen. Il s'agit, en l'occurrence, d'une politique élaborée dans le cadre d'un accord entre le ministère de l'Agriculture et les organisations professionnelles agricoles, en 1993, par un protocole d'accord signé entre le ministère et la FNSEA, puis repris dans un texte qui n'était qu'une circulaire de ma Direction, et qui a pourtant suscité 915 millions d'euros de dépense. Toutefois, ce programme n'avait pas été notifié à l'Union Européenne. Or, le jour où elle s'en est aperçue, elle a entamé une procédure d'infraction à l'encontre de la France et nous avons dû modifier et justifier ce programme. Ceci a suscité un an de négociations. L'essentiel du programme, à savoir les concours publics qui pouvaient attendre 60 % des coûts, a été admis. Néanmoins, ce programme, qui va s'achever en 2006, est désormais centré sur les zones vulnérables et sur les zones prioritaires en matière environnementale. Ce programme concernait déjà de nombreuses régions, telles que la Bretagne ou les Pays de Loire. Or, a fortiori , ce recentrage sur ces zones prioritaires cible encore plus que par le passé ces zones dans lesquelles se pose un problème de qualité de la ressource en eau. Il est donc important, dans votre rapport, d'examiner l'adaptation des élevages en montagne. Dans ce cadre, nous disposons d'outils spécifiques tels que l'aide au bâtiment des élevages en montagne, l'aide à la mécanisation en montagne, qui sont des outils anciens, mais également les aides aux investissements, notamment le contrat territorial d'exploitation. Toutefois, nous devons concevoir un dispositif de soutien aux investissements d'adaptation des élevages en zone de montagne, hors PMPOA, et dotés de moyens financiers à une hauteur supérieure à celle que nous connaissons. En effet, nos aides aux bâtiments d'élevage ou à la mécanisation ont été augmentées, représentant actuellement 13,720 millions d'euros à 15,25 millions d'euros par an. En outre, le freinage du dispositif PMPOA a favorisé ces investissements. En effet, les moyens financiers étant sur une même ligne budgétaire, j'ai utilisé le fait que des crédits étaient non-dépensés sur le PMPOA pour les bâtiments d'élevage en montagne. Nous avons ainsi résorbé une bonne partie des files d'attente, mais ce problème va se reposer à partir de cette année. La question de l'adaptation des élevages, étant donnée la progression des normes sanitaires, ne sera pas donc réglée avec un soutien du ministère de l'Agriculture à 12,200 millions d'euros par an. Ainsi, votre rapport peut montrer que, puisque le PMPOA est centré sur les zones sensibles du point de vue de l'environnement et de la ressource en eau, et qu'il concerne donc peu la montagne, il existe encore des problèmes d'adaptation de nos élevages. Or ces problèmes peuvent entraîner le départ des agriculteurs de ces zones difficiles, le métier y étant trop contraignant et les normes devenant de plus en plus draconiennes. Une réflexion doit donc être conduite pour déterminer un mode de soutien aux investissements et aux adaptations de l'élevage en zone de montagne. En outre, même si nos partenaires du Budget ont tendance à considérer les aides aux bâtiments d'élevage comme des aides anciennes, datant des années 70, et devant être supprimées, je suis intimement persuadé que ces aides doivent non seulement être maintenues, mais qu'elles doivent aussi être amplifiées, dans le cadre d'un vrai programme d'adaptation des élevages de nos montagnes.

M. Jacques Blanc - Je vous remercie de cet exposé très intéressant et très brillant. Je laisse à présent la parole à mes collègues pour vous poser des questions.

M. Jean Boyer - Monsieur le Directeur, vous avez remarquablement brossé le tableau de la situation de l'agriculture de montagne, y compris pour le PMPOA, dans le cadre duquel nous constatons certaines anomalies. Je souhaiterais très modestement attirer l'attention sur un problème que vous connaissez. Vous avez évoqué la prime à l'herbe de 46 euros. Je voudrais ajouter que certains critères sont, en outre, posés pour accéder à cette prime, avec un pourcentage minimum de 75 % de la surface. Or, dans ce cadre, il semble que les lectures de l'administration manquent d'objectivité. Je peux vous citer deux exemples concrets. Tout d'abord, dans le département de la Haute-Loire, une parcelle a été détruite par des sangliers. L'agriculteur a eu l'honnêteté de dire que cette parcelle n'aurait pas, pour cette année, une vocation de prairie, ce qui a entraîné la suppression de la prime à l'herbe. Un autre agriculteur a vu ses terres faire l'objet d'un boisement progressif. Il a donc considéré que ce qui était en pâture trois ans auparavant ne l'était plus et il a eu l'honnêteté de faire une déclaration dans ce sens. Or, l'interprétation administrative de cette situation a entraîné une remise en cause de sa prime à l'herbe de 46 euros. Ainsi, je pense qu'il faudrait appliquer des règles de bon sens, tout d'abord en augmentant les primes, la somme de 46 euros à l'hectare étant ridicule, mais également en révisant les critères appliqués.

M. Pierre Jarlier - Monsieur le Directeur, je souhaite vous poser une question quant à la fiabilité du label montagne. En effet, nous savons que l'avenir de l'agriculture de montagne passera par une production de qualité. Or se posent aujourd'hui certaines questions quant à ce label. Tout d'abord, n'existe-t-il pas un risque de dérogation sur ce label et quelles sont les garanties que nous pouvons avoir sur ce dispositif ? Par ailleurs, pour que ces produits soient identifiés comme des produits de qualité, comment pouvons-nous augmenter la possibilité de réaliser ces démarches de labélisation dans la mesure où les acteurs de la filière reculent souvent devant une labélisation considérée comme inaccessible en termes de coûts ? Des dispositifs peuvent-ils être envisagés afin de faciliter ces démarches ?

M. Christian Dubreuil - Je souhaite tout d'abord revenir à la remarque de M. Amoudry concernant l'agriculture valaisane. En France, nous disposons d'une agriculture moderne, économiquement impliquée dans les courants d'échanges mondiaux, puisque nous avons beaucoup investi sur les progrès de la génétique. Néanmoins, l'approche valaisane pourrait représenter un apport supplémentaire dans nos travaux puisqu'il s'agit d'une agriculture plus archaïque, que les moyens financiers considérables de la région permettent de sauvegarder.

En effet, la Suisse peut se payer une agriculture qu'elle rémunère à un haut niveau, notamment à travers le prix du lait. Pour notre part, nous sommes la première agriculture européenne et la deuxième mondiale et nous partons de notre qualité pour nous inscrire dans les courants d'échanges mondiaux. Toutefois, l'apport Valaisan peut s'inscrire dans un travail assez fin d'identification des multiples apports de l'agriculture à la société, afin d'ouvrir le dialogue avec nos concitoyens urbains, et ainsi d'améliorer l'image de l'agriculture, pour permettre de légitimer les soutiens apportés à l'agriculture et de demander leur augmentation. J'ai, pour ma part, travaillé dans le cadre de l'Outre-Mer et je fais partie de ceux qui pensent que l'Outre-Mer constitue une chance pour la république. J'ai donc passé mon temps à expliquer l'importance de l'Outre-Mer à des personnes qui me disaient que ces territoires ne servaient à rien et coûtaient très cher. Or il en est de même pour l'agriculture, plusieurs années plus tard, bien qu'il s'agisse d'une activité économique très importante, car nos concitoyens ont le sentiment que l'agriculture coûte très cher, notamment sur le plan européen. L'exemple de l'agriculture valaisanne pourrait donc être intéressant à étudier dans ce contexte.

Concernant la question de l'appellation montagne, je pense qu'il s'agit d'un objectif nécessaire, même si ces labels peuvent apparaître comme des contraintes supplémentaires en termes de financement. Je pense que, dans le cadre d'une politique de qualité, nous devons avant tout expliquer les différents signes utilisés dans ce cadre (AOC, certificats de conformité, labels...), ainsi que leur contenu et la façon dont ils s'articulent. Pour cela, il serait important de donner un véritable contenu à un texte, qui est très bon dans son contenu juridique : l'Appellation montagne, en termes de qualité des produits transformés en zone de montagne. Or nous n'en sommes qu'aux prémisses de l'utilisation de ce texte. Je citerais en cela l'exemple du Cantal. Dans ce département, nous nous trouvons confrontés à un paradoxe total en ce qui concerne la viande porcine. En effet, du fait des problèmes de pollutions de l'élevage porcin intensif de Bretagne, nous ne pouvons plus construire de porcherie, y compris dans le Champsaur, alors que les problèmes d'épandage ne se posent pas du tout de la même façon et que, dans ces régions, il est possible de faire une agriculture locale de qualité. Ainsi, l'appellation « porc montagne », sur laquelle travaillent M. Champeix, et le Groupe de Cahors, réunissant des producteurs d'élevages porcins du Sud, constitue une voie pour dépasser ce balancier par lequel nous sommes passés de l'adage « dans le cochon, tout est bon » à la situation « plus aucune porcherie nulle part ». Ainsi, je pense que le décret Montagne est un bon décret qu'il faut appliquer strictement, même s'il n'a pas encore produit tout ce qu'il avait à produire. Il s'agit d'un véritable appui pour l'agriculture de montagne. Nous devons donc d'une part mieux expliciter les différentes entre les labels.

D'autre part, en termes de soutien, nous avons clarifié dans des textes récents ce que nous entendions par « agriculture raisonnée » ou « qualification des exploitations agricoles ». Ainsi, il existe des outils que nous pouvons mobiliser, notamment le CTE. En effet, la règle européenne est la suivante : au-dessus du niveau réglementaire et des bonnes pratiques agricoles, toutes les démarches peuvent être soutenues par la puissance publique et cofinancées par l'Union Européenne. Je peux citer le cas de l'opération « qualiterre », à savoir la qualification des exploitations agricoles en Picardie, qui est pionnière dans ce domaine. Or, dans le cadre de cette opération, le cahier des charges correspond aux mesures du CTE. Ainsi, l'agriculteur signe un CTE et une partie du coût des investissements en termes de certification de ses exploitations est finançable. Il faudrait donc, sur un certain nombre d'aspects, mieux articuler ce que l'Etat et l'Europe peuvent financer à travers des investissements éligibles, et ce que l'Etat peut continuer à financer à travers son budget 2003, notamment dans le cadre de la politique des CTE qui mobilisent des investissements importants en faveur de l'agriculture ou de l'agro-environnement. D'autre part, les questions sur lesquelles l'Etat peut plus difficilement intervenir pourraient incomber aux collectivités territoriales.

Quoi qu'il en soit, je pense que l'appellation montagne constitue un atout mais qu'il faudrait mieux qualifier les critères de qualité et mieux expliquer ce que sont les contraintes des uns et des autres. Ainsi, le débat entre l'agriculture durable et l'agriculture raisonnée a pu obscurcir les choses. Nous disposons désormais d'un référentiel récent concernant l'agriculture raisonnée. Par ailleurs, le terme « développement durable » doit être clarifié car nous avons intérêt à montrer que notre agriculture va dans le sens de la durabilité. Néanmoins, nos agriculteurs ont du mal à s'y retrouver parmi ces termes. Vous pourrez donc chercher à approfondir cette question avec mes collègues de la Direction des politiques économique et internationale et vous référer aux travaux récents du Conseil supérieur d'orientation de l'économie agricole et agroalimentaire ainsi qu'aux décrets récents sur l'agriculture raisonnée, qui contribuent à montrer quels sont les référentiels. Je pense que votre rapport pourrait contribuer à clarifier cette situation. Les agriculteurs vous en seraient reconnaissants.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie, Monsieur le Directeur, pour votre intervention.

9. Audition de Monsieur Henri Savornin, président de la Fédération française d'économie montagnarde (15 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Monsieur le Président Savornin, merci de vous être déplacé des Alpes-de-Haute-Provence pour les besoins de cette mission d'information sur la montagne. Vous connaissez le sens de cette mission et il n'est pas utile que je vous en expose les grandes lignes. Nous mettrons à profit, dans le cadre de nos travaux, la contribution que vous voudrez bien nous apporter. Je vous laisse la parole, puis nous laisserons place à la discussion.

M. Henri Savornin - Mon cher Président, Messieurs les Sénateurs, en préambule, je souhaite dire que j'apporte simplement ici ma vérité, qui n'est pas la vérité, tant il est vrai que les montagnards sont aussi différents les uns des autres que le sont les massifs et les montagnes qui les environnent. Vous aurez, bien entendu, le droit de me contredire. Je précise que je suis non pas un théoricien, comme le sont les représentants du ministère avec qui nous avons travaillé très régulièrement, mais plutôt un praticien. En effet, je suis à l'affût des textes relevant des différents ministères, depuis le 24 octobre 1967, date de la création de la rénovation rurale en montagne, qui m'avait donné l'idée de mettre en pratique une certaine philosophie et de profiter des quelques avantages annoncés par ces dispositions. Ainsi, j'ai trouvé, à l'époque, une commune disposant d'un budget de 2.287 euros et qui dispose aujourd'hui d'un budget de 2,287 millions de francs. A cette époque, 9 enfants fréquentaient l'école de la commune contre 59 aujourd'hui. Nous n'avions aucun service puisque la dernière épicerie avait fermé ses portes en 1967. Or la commune compte aujourd'hui 22 commerces et services et, parallèlement, une association que je préside gère 850 lits de tourisme social, qui font un chiffre d'affaires de 4,878 millions d'euros et qui permettent d'employer 130 personnes. Ainsi, la preuve est apportée que dans notre montagne réputée pauvre et désertique des Alpes du Sud, nous pouvons créer de l'activité et maintenir une population, à condition de rencontrer un partenariat public compréhensif. Néanmoins, il se peut que je sois marqué par ma propre expérience et que je ne puisse donc pas forcément répondre aux interrogations des uns et des autres.

Tout d'abord, la politique de la montagne a connu un certain nombre de chicanes. Ainsi, depuis 1967, puis les discours de Clermont-Ferrand de 1972-73, nous avons commencé à mener des actions très efficaces dans le domaine de la prise en compte des handicaps. Par la suite, nous avons connu une évolution notable avec la décentralisation. En effet, la politique montagne qui avait été conduite par les divers responsables de l'agriculture, en particulier, durant de nombreuses années, avec la FNSEA et le CNJA, est remise en cause au moment de la décentralisation, les accords passés préalablement ayant alors été remis en cause. Ainsi, nous avions obtenu une majoration portant les subventions à 60 % pour les adductions d'eau ou les assainissements contre 40 % pour la plaine. Avec la décentralisation, conduite par un homme certainement très intelligent mais maire d'une commune d'un million d'habitants, ce qui est très loin de la réalité de la plupart des communes de montagne qui comptent environ 200 habitants, du jour au lendemain, ces accords ont été remis en cause par les assemblées régionales qui ont pensé leur politique d'aménagement du territoire de manière forcément plus urbaine que celle que nous avions instaurée. Ensuite, durant cinq ans, nous avons préparé ensemble la loi Montagne, qui aboutira le 9 janvier 1985. Cette loi, que nous avions considérée comme étant une étape dynamique, est rapidement, dans les faits, apparue, au contraire, comme un acquis. En effet, il a été considéré que, du moment que nous avions obtenu la loi Montagne, nous n'avions plus besoin de faire vivre autant les organismes d'animation rurale. Cette loi Montagne, qui est l'objet de notre rencontre aujourd'hui, a donc marqué un arrêt du dynamisme de la part des défenseurs de la montagne. Par la suite, nous avons tenté, année après année, de nous inscrire dans la Politique Agricole Commune et de faire en sorte que la montagne continue à trouver sa place.

Aujourd'hui, nous abordons un virage important, qui nous oblige sans doute à remettre en cause la politique d'aménagement du territoire et peut-être également une certaine politique d'aménagement rural. Votre première question porte sur les forces et faiblesses de l'économie montagnarde. La France dispose d'une surface montagneuse exceptionnelle comparée à d' autres pays d'Europe. Elle dispose d'une montagne qui est convoitée, car elle représente la liberté des grands espaces, elle bénéficie, le plus souvent, d'un climat exceptionnel, même si nous sommes parfois confrontés à la neige ou à la sécheresse. En outre, cette montagne est encore habitée, cultivée, elle dispose d'un environnement agréable de par son climat, ses sites préservés, sa faune et sa flore. Néanmoins, si cette montagne est convoitée, elle bute sur une culture, une philosophie, une politique, qui se veulent extrêmement protectionnistes, comme si cette belle montagne, que nous avons aménagée, était tout d'un coup menacée par des personnes qui voudraient la mettre à mal. Ce protectionnisme, tout à fait excessif selon moi, a conduit à un arrêt des volontés de développement. Or la montagne ne peut conserver cette force et cette attractivité que si les hommes continuent à y vivre avec un niveau de vie acceptable. Cela ne peut se penser seulement dans le cadre de la protection, qui conduit généralement à la désertification des zones de montagne, avec des cantons qui ne comptent que de cinq à sept habitants au km 2 .

Ainsi, l'économie montagnarde dispose d'atouts incontestables puisque l'agriculture y conserve un dynamisme qui lui assure un avenir économique, à condition que les hommes et les femmes qui y vivent puissent avoir une vie sociale et des services en rapport avec la modernité actuelle. Pour cela, nous devons, dans le cadre d'autres activités, multiplier les emplois dans ce secteur montagnard. J'irais jusqu'à dire qu'il vaut mieux souffrir d'un manque de services plutôt que d'entretenir ces services artificiellement si l'argent qui est prévu pour cela n'est pas utilisé dans le développement économique. J'ai moi-même agi dans ce sens puisque nous n'avions aucun service et que nous comptons aujourd'hui 240 emplois permanents sur la commune, en partie du fait de la présence de 4 000 lits touristiques basés sur une station touristique été-hiver. Ainsi, la force de l'économie montagnarde passe avant tout par le maintien de l'agriculture, une agriculture qui assure l'entretien de l'environnement, en même temps qu'elle apporte des produits de qualité dans une nation qui en est restée assez gourmande.

Concernant les faiblesses de l'économie montagnarde, je dirais que nous en souffrons d'un certain nombre au niveau du moral et de la philosophie parce que, au cours de ces dernières années, alors que la politique de développement du territoire urbain a été dynamique et a reçu les aides de diverses collectivités publiques, le monde agricole a été oublié. Pour ne prendre qu'un exemple, il nous a été dit à Marseille que la multiplication par sept du budget du chemin de fer était une décision merveilleuse. Or, nous n'avons, dans notre vallée, - comme c'est le cas de nombreuses vallées des Alpes de Haute Provence et des Hautes Alpes - aucun chemin de fer et aucune gare. Pour nous, la solution ne se trouve donc pas là. Dans le même temps, notre ministre de l'Aménagement du Territoire a arrêté l'autoroute, faisant ainsi de notre massif le seul massif enclavé. En effet, nous attendons toujours que 80 kilomètres d'autoroute soient aménagés pour lier le nord et le sud de l'Europe, en passant par Grenoble. Ces décisions constituent aujourd'hui des faiblesses pour l'économie de montagne car lorsque la masse urbaine se déplace en vacances, elle préfère, en arrivant à Grenoble, aller vers la Savoie plutôt que de faire trois heures de bus pour arriver chez nous. Et lorsque les touristes arrivent chez nous, la première chose qu'ils nous demandent est : « faut-il vraiment repasser par là pour repartir ? » L'enclavement est donc catastrophique pour certains massifs, dont celui des Alpes du Sud. Je peux citer, en comparaison, le cas de Saint Chély d'Apcher, et de son développement depuis que l'autoroute a été construite dans le Massif Central. Dans le même sens, je pense que le fait de bénéficier d'une autoroute constituerait pour nous une chance. A cela s'ajoutent les problèmes de relations internes, car les routes sont longues et étroites et qu' il est difficile de développer le tourisme en l'absence de moyens de circulation.

En outre, de nombreux hommes politiques et de nombreuses administrations, qui ont souvent encore plus de pouvoir, ne croient pas en l'avenir et au développement économique et social de la montagne. C'est pourquoi il est toujours proposé de rechercher les moyens d'attendre. Ainsi, les études s'ajoutent aux études avant que l'on décide qu'elles coûtent trop cher et que l'on n'a plus d'argent à investir. Actuellement, contrairement à l'esprit initial de 1967, on favorise plus facilement la grande station que la petite station alors que cette dernière maintient la présence des hommes et des femmes. Il y a donc un virage important à prendre et le Sénat, qui a un certain pouvoir en la matière, doit montrer la nécessité d'aménager le territoire en tenant compte des chances que représente toute la montagne française.

Je rappelle, dans ce cadre, que nous avions connu une certaine période d'aménagement du territoire efficace. Le Languedoc-Roussillon a notamment bénéficié de cet aménagement, la zone montagne également. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, ce qui empêche le développement de certaines potentialités. En effet, nous ne rencontrons pas, aujourd'hui, de problème en termes de développement du tourisme, puisque ce développement est évident et que les experts nous annoncent même une évolution de 600 millions à 1,2 milliard de touristes en quinze ans. Il est donc possible d'ouvrir, dans nos montagnes, un marché touristique qui viendrait consolider les économies. Toutefois, pour développer le tourisme en montagne, avec le retard que nous avons pris, nous devons obligatoirement bénéficier d'une aide substantielle des pouvoirs publics, que ce soit l'Europe, l'Etat, ou encore les régions ou les départements, afin de créer une nouvelle capacité d'accueil confortable et de réhabiliter l'habitat de loisir. Cet habitat de loisir a vieilli et n'est ni attractif ni rentable. Dans ce cadre, il n'y a pas d'autre solution que l'intervention des caisses publiques dans le cadre de formules de développement touristique, productrices de services et de vie sociale.

Néanmoins, ceci met en cause le problème fondamental des responsabilités. Nous avons, depuis la décentralisation, et la loi du 29 juillet 1982, confié cette responsabilité aux régions. Mais quel est le rôle de l'Etat qui laisse à la région le soin de décider des interventions dans le cadre des contrats de plan, mais également des taux d'intervention ou des choix essentiels ? Je pense que l'Etat devrait, aujourd'hui, se repositionner dans ce domaine, pour assurer une certaine cohésion nationale au sein de la région par rapport à l'Europe. Pour cela, l'Etat doit conserver un certain nombre de moyens financiers permettant d'établir des partenariats respectant les volontés et émanant de Paris. Or ces partenariats n'existent pas. C'est la raison pour laquelle nous assistons à certaines distorsions dans l'application de cette politique.

Le tourisme constitue donc une chance pour la montagne, à condition que certains cadres d'action soient établis. Dans ce sens, je souhaite évoquer le cas de la Vallée de l'Ubaye. En effet, dans un lieu désertique, j'ai créé un établissement avec mon association. Nous avons mis en place 300 lits de tourisme social qui ont représenté cette année 70 000 journées, en pension complète, et 2,44 millions d'euros de chiffre d'affaires. La confiance peut donc être accordée à des régions et à des structures pourvu qu'il existe une volonté de l'exploiter correctement. Nous avons donc cette chance mais encore faut-il établir des choix. En effet, le développement du tourisme rural, des gîtes, est une chose facile. J'en ai moi-même créé trente dans ma commune. Mais le développement des gîtes ne représente pas le meilleur emploi de l'argent. La présence d'une hôtellerie ou de villages de vacances constitue un meilleur entraînement social ou économique, parce qu'il permet la création d'emplois, que le tourisme rural, même si ce dernier est indispensable pour valoriser un secteur. Je pense que l'Etat, l'Europe et les régions doivent favoriser l'accueil des touristes dans des villages vacances au sein de nos zones de montagne, grâce à des financements spécifiques. En effet, pour reprendre l'expérience de mon village de vacances, il compte 52 employés et permet de ce fait d'assurer une animation pour les enfants ou pour les personnes du troisième âge, animation désormais nécessaire pour attirer le touriste. Cette présence est très précieuse dans le village où seuls trois ou quatre agriculteurs subsistaient. Mais cette idée est souvent évacuée par les pouvoirs publics qui pensent que le tourisme doit vivre par lui-même. Or ce n'est pas mon avis. Je plaide donc en faveur du développement du tourisme, mais d'un tourisme maîtrisé et qui s'adapte aux conditions d'existence en montagne.

En ce qui concerne la pluri-activité, les propositions de la FFEM sont les suivantes : lorsque nous disposons d'une agriculture moderne, avec la possibilité de réaliser rapidement des travaux, nos agriculteurs ont du temps. Toutefois, il faut pouvoir valoriser ce temps, grâce à la pluri-activité. Pour continuer l'expérience de Montclar, 44 emplois ont été créés aux remontées mécaniques et ces personnes ont toutes du travail durant l'été. Inversement, les personnes qui travaillent durant la saison d'été bénéficient d'une activité durant l'hiver, du fait d'une pluri-activité organisée. Cette solution s'inscrit dans le cadre du groupement d'employeurs, qui permet une entente entre les divers employeurs. Nous avions envisagé de constituer un groupement assurant du travail toute l'année, avec un seul et même contrat ; malheureusement, nous avons buté dans la dernière phase de ce projet car il n'était pas admis que nous puissions intégrer, et ce pour des questions de TVA, les employés des remontées mécaniques à une régie directe. Or, nous disposions déjà de 25 employés et nous devions en regrouper une quarantaine pour que la gestion ne coûte rien à celui qui en profiterait. Peut-être faudrait-il reprendre les textes concernant la pluri-activité afin que les régies puissent y participer.

Par ailleurs, aucune avancée n'a été observée sur cette question de pluri-activité. Ainsi, il y a cinq ans, suite aux rapports de la Fédération française de l'économie montagnarde, Hervé Gaymard alors secrétaire d'Etat aux Affaires sociales, avait réalisé un rapport. Or, nous attendons toujours la caisse unique, la caisse pivot, qui devait permettre de réduire à une seule déclaration et à une seule cotisation le travail des employeurs, mais qui devait également assurer la pérennité de la situation de la pluri-activité. Il est temps qu'un texte de loi permette aux pluri-actifs de ne pas être confrontés à ces problèmes.

Quant à l'importance des services de proximité, ma philosophie est la suivante : chaque fois que nous pouvons investir pour créer des emplois et maintenir des hommes et des femmes à la montagne, nous justifions la présence des services et nous donnons, par ailleurs, les moyens de les utiliser. C'est ce que nous avons fait au sein de notre commune. En effet, notre école devait fermer ses portes, mais, du fait du développement économique, nous accueillons aujourd'hui 59 enfants et nous avons créé trois classes. Le problème du ramassage scolaire se posant, nous avons mis en place un bus, qui fonctionne très bien aujourd'hui. Les relations avec la gare la plus proche --45 kms - pour l'acheminement des touristes venus en train, posaient également de sérieux problèmes. Notre budget, qui est passé de 2 287 euros à 2,287 millions d'euros, nous permet désormais de développer un service de taxi à la carte, qui depuis la gare, nous amène la clientèle. Ces services de proximité peuvent donc se développer dès lors qu'il y a une activité économique et une population suffisante. Ceci n'empêche pas que, dans notre France dépeuplée, il existe de nombreux lieux dans lesquels nous devons maintenir les services publics minimums afin de satisfaire la population.

Par ailleurs, de nombreuses initiatives peuvent être développées pour permettre de faire vivre les communes de montagne. Nous avons, par exemple, dans notre département, mis en place les « bistrots de pays ». Ainsi, alors que, durant une centaine d'années, nous avons lutté contre les licences pour diminuer le nombre de bars (car on trouvait que les Français buvaient trop), aujourd'hui, nous subventionnons la création des bistrots de pays comme lieu d'animation de la vie locale.

Dans le texte de présentation de votre rapport, il serait intéressant de mettre en évidence, afin que tous les Français le sachent, l'idée selon laquelle la montagne constitue une chance pour la nation toute entière. Nous plaidons, certes, pour la chance des montagnards dans le cadre de notre activité, mais, par ailleurs, pour les 10 millions de parisiens, nous devons faire apparaître l'intérêt de la montagne. Il ne s'agit pas de la montagne protégée, dans laquelle on trouve, depuis quelques années le loup et la vipère ! En effet, si nous écoutons les discours actuels, de type « Natura 2000 », nous constatons que si, auparavant, la vipère était chez nous, nous sommes aujourd'hui chez la vipère ! De plus, nous nous étions passé du loup pendant 97 années, et nous avons aujourd'hui « la chance », nous dit-on, que le loup revienne et qu'il mange non plus les chiens mais les agneaux, présents sur l'ensemble de nos pâturages. En effet, si, autrefois, nos pâturages étaient peuplés de troupeaux de 100 têtes, 2 000 têtes sont désormais nécessaires pour payer un berger, et nous voilà obligés d'accepter que de nombreuses têtes soient dévorées régulièrement par le loup. Autrement dit, autrefois, on protégeait l'agneau, aujourd'hui, on protège le loup..... !

La montagne doit donc apparaître comme une chance pour tous, permettant, certes, de se détendre, mais également de retrouver ses racines, à condition que nous l'entretenions.

Par ailleurs, la loi Montagne nous laisse espérer le développement d'un droit à la différence. Pour cela il faudrait que, si l'Etat a son mot à dire lors de l'établissement d'un contrat de plan, les priorités données dans un coin des Alpes ou du Massif Central soient respectées, et non pas purement et simplement abandonnées à la décision de ceux qui ont le pouvoir local.

Ainsi, au moment du vote de la loi, nous avions espéré que la création des comités de massifs supprimerait le besoin de toute autre structure, notamment d'une fédération française d'économie montagnarde, et permettrait de développer notre pensée et de la défendre auprès des puissances qui investissent en notre faveur , ceci n'a pas été le cas. Nous avons donc pensé que la présidence de ces comités par un préfet de région, qui vit dans une ville d'un million d'habitants, que ce soit à Lyon ou à Marseille, n'était pas la solution, puisque ces comités de massifs n'ont été d'aucun effet. En outre, se sont créées entre temps les commissions permanentes du conseil national de la montagne et les commissions permanentes des comités de massifs. Néanmoins, à partir du moment où la commission permanente propose des thèmes de débat et des orientations qui, de toute façon, ne parviennent jamais à ceux qui décident, ces conseils ne servent à rien. D'où la nécessité de mettre en place soit une double présidence, qui serait la solution idéale, soit une présidence d'élu, qui serait plus dynamique et plus respectueuse de l'esprit et des actions que nous engageons. Or, le comité de massif est aujourd'hui une simple chambre d'enregistrement dans laquelle il nous est demandé chaque année ce que nous avons fait de l'argent qui nous a été octroyé. Nous souhaitons que le changement de ministre permette de faire évoluer les choses dans ce sens. Cela dit, le comité de massif a tout de même mené une bonne action, en décidant de la décentralisation des unités touristiques nouvelles (UTN). En effet, jusqu'en 1981, pour l'UTN qui concernait ma commune, c'est à Paris que les décisions se prenaient. Or je pense qu'il est plus facile de discuter du développement d'une vallée d'un coin de notre Provence à Marseille que d'en discuter à Paris, même si ce n'est pas systématique. Quoi qu'il en soit, la formule de type UTN me paraît être une bonne formule car elle permet d'évacuer des affaires bloquées par la loi et les directeurs départementaux de l'urbanisme. Je pense que nous devons maintenir ce principe, une certaine souplesse étant souhaitable. En outre, les critères d'intervention doivent pouvoir évoluer.

Certaines actions nous ont été soumises dans les communes classées en secteur de montagne. Je pense qu'il est nécessaire, dans ces affaires, d'introduire une possibilité « d'exception ». Je citerai le cas de Paille et de Paillon, deux communes situées près de Nice. En effet, lorsque les délimitations du domaine montagneux, qui remontent, pour une partie, à 1961, ont été mises en place, Paille et Paillon comportaient encore quelques agriculteurs. Il était donc normal que la règle soit appliquée dans cette zone comme ailleurs. Aujourd'hui, ces villes sont soumises à un autre problème, comme un bon nombre de villes françaises. En effet, Nice s'agrandit, mais il est impossible de construire car il s'agit d'une zone de montagne, que cette zone a été vidée de ses agriculteurs, et que la ville ne peut pas profiter de ces territoires, qui sont superbement bien situés, face à la mer. Une exception devrait donc pouvoir être apportée dans les textes régissant les UTN.

Ainsi, la loi Montagne a constitué une chance. Elle doit passer aujourd'hui par un certain nombre de modifications, car elle existe depuis 17 ans, même si tous les décrets d'application ne sont pas encore parus. Reste aujourd'hui, avec les perspectives d'évolutions de l'Europe, à se poser des questions, car, étant donné le nombre de pays pauvres qui vont entrer dans l'Union Européenne, la montagne française pourrait paraître riche à côté de celle des pays entrant et si le peu d'aides dont elle bénéficie disparaissait, nous aurions sûrement à craindre la fin des exploitations agricoles. Il est important que soit donnée, dans les nouveaux textes à paraître, la certitude aux jeunes agriculteurs que, demain, la rémunération de l'agriculteur pour l'entretien de la végétation, du paysage, qui constitue un véritable patrimoine, sera assurée. Dans le cas contraire, plus personne ne voudra s'engager dans ces zones de montagne.

Pour conclure, je rappellerai un discours qui avait lieu à l'époque du Président François Mitterrand, consistant à dire que l'agriculture de montagne nécessitait des sommes d'argent si importantes qu'il reviendrait moins cher de confier les exploitations à des fonctionnaires. On voit, aujourd'hui, qu'une telle solution est à rejeter : elle nous coûterait trop cher, en particulier dans le cadre des 35 heures : il est infiniment préférable de laisser aux agriculteurs le soin de faire ce qu'il savent faire, ce qu'ils aiment faire, la seule solution consiste donc à les aider à se maintenir.

Je vous laisse à présent le soin de me poser des questions, voire de me contredire, si je suis passé à côté de vos pensées intimes.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci Monsieur le Président, je ne pense pas que vous soyez passé très loin de nos pensées intimes. En revanche, vous n'avez pas évoqué la question des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Puis-je vous demander si, que ce soit à l'échelon local de votre département, ou à l'échelon de la Fédération française d'économie montagnarde, ces pratiques sont encadrées ?

M. Henri Savornin - Je me suis un peu désintéressé, à tort, de ces nouvelles technologies, car d'autres sujets me semblaient plus urgents, en termes d'investissements routiers ou économiques, pour créer de l'activité. Mais effectivement, nous avons cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Ainsi, alors que chacun a accès au téléphone portable, nous constatons encore, dans nos montagnes, que certaines zones en sont privées. Or, du point de vue de l'égalité des chances, nous devrions pouvoir utiliser le téléphone mobile dans nos montagnes, d'autant plus qu'il s'agit d'un élément sécurisant pour les promeneurs, qui leur permettrait de se situer en cas de problème. En tant que parlementaires, vous pourriez plaider en faveur d'une égalité de service et donc d'une intervention dans ce sens. En effet, il existe, en montagne, un risque de remise en cause du service pour tous, y compris en ce qui concerne l'électricité. Heureusement, nous disposons d'énergies non polluantes, notamment avec les éoliennes. Il semble difficile, cependant, d'utiliser des éoliennes de manière discrète dans notre paysage, comme nous le demandent les partisans des solutions alternatives, tout au moins s'agissant de grandes quantités d'énergie.

M. Auguste Cazalet - Je constate, Monsieur Savornin, que vous gardez toujours un talent et une verdeur extraordinaires. Je suis d'accord avec vous quant aux forces et aux faiblesses de la montagne. Vous venez d'évoquer le problème des portables et vous avez évoqué au préalable le problème des communications en montagne. Or, un pays qui n'a pas de communication est fichu. Dans les Pyrénées-Atlantiques, nous disons toujours que « le malheur des uns fait le bonheur des autres ». Or, durant la seconde guerre mondiale, nous avons eu la chance de voir des usines comme Messier, Dassault ou Turbomeca s'implanter dans notre zone, pour fuir le nord de la France et échapper ainsi aux bombardements. Or ces usines veulent aujourd'hui quitter la région car elles sont confrontées à des problèmes de communication. Nous pouvons citer le cas avec la Vallée d'Aspe, où l'usine japonaise Alcantoyo, qui fonctionne très bien, avec une main d'oeuvre qualifiée, mais également Messier Fonderie à Arudy, ou Messier Bidos à Oloron. Dans le même temps, on évoque la réouverture de la ligne Pau-Canfranc, sur une voie ferrée locale, alors qu'un bon coureur cycliste parviendra, en vélo, bien avant le train à Canfranc. Les usines ne s'intéressent pas à ce type de décision, mais ont besoin de moyens de communication rapides. Le problème de l'implantation des réseaux de téléphones mobiles s'inscrit dans ces difficultés de communication. Or ce sont les écologistes qui bloquent cette évolution. Lorsqu'un projet de construction de route est annoncé, ils s'y opposent parce qu'ils trouvent une libellule ou un ver à protéger. Ainsi, nous gaspillons des millions d'euros sans pour autant faire évoluer les choses. Dans mon propre secteur, lorsque je quitte ma commune pour me rendre au chef-lieu de canton, à deux kilomètres de distance de mon logement, je ne peux plus téléphoner chez moi car la communication ne passe pas. En effet, nous ne pouvons pas implanter des relais de téléphonie mobile parce que les écologistes s'y opposent. Ainsi, faute de communications, de routes, le pays se vide. Nous avons créé de la vie dans notre petite commune, mais les habitants ont besoin de services, en plus de la beauté de la ville, pour demeurer sur place. Or, ils sont souvent confrontés à des problèmes de transport pour se rendre sur leur lieu de travail, car les routes ne sont pas aménagées et qu'aucun moyen de communication n'est mis à leur disposition.

M. Henri Savornin - Je suis tout à fait d'accord avec vous. En effet, nos massifs drainent depuis quelques années des RMIstes et des chômeurs. Ce n'est pas la solution, pour assurer la vie en montagne, et nous avons besoin d'installer des actifs qui eux-mêmes ont besoin de moyens de communication. Par ailleurs, je souhaitais aborder la question des pays. En France, et ceci est assez caractéristique de l'esprit français, pour pallier tout dysfonctionnement, on crée une structure. Après avoir constaté que le comité de massif ne fonctionnait pas, on parle de créer des pays. On déplace donc le problème et on nous demande de réunir dans des pays 10 000 ou même 60 000 habitants, plutôt que de conserver une zone qui, dans nos montagnes, est naturellement délimitée , on nous oblige à passer d'une montagne à l'autre et à englober dans cette zone une ville. Une fois de plus, le secteur rural n'est pas écouté. Je me suis moi-même rendu dans l'une des réunions organisées dans ce cadre. Sur 43 maires réunis, nous trouvons toujours les agitateurs et les animateurs qui apportent certains éléments de discussion, mais nous avons seulement été deux à prendre la parole pour élucider les problèmes. Cela représente une sacrée évolution de la démocratie dans nos pays !

Je pense que le fait de créer des hameaux ou des quartiers à l'intérieur des villes peut permettre d'améliorer la démocratie locale mais je ne pense pas que ce soit utile dans nos montagnes. Je voudrais profiter du fait que nous changeons actuellement de ministres et prochainement de députés pour poser la question de savoir s'il est préférable de poursuivre cette politique jusqu'en 2003, date à laquelle les contrats de plan seront accrochés à des pays, ou, pour simplifier la vie des montagnards, s'il ne vaut pas mieux en rester aux structures intercommunales qui ont été mises en place et qui ont bâti et exécuté des contrats de plan. Néanmoins, il s'agit d'une opinion très personnelle.

M. Jean Boyer - Vous nous avez cité l'exemple d'un développement personnel réussi. Or ceci n'est pas le cas dans toutes les zones de montagne car il n'est pas toujours facile de maintenir le commerce dans ces zones et donc d'y créer de l'emploi. Ne pensez-vous pas, en termes de maintien du commerce ou de l'artisanat, qu'il faudrait mettre en place une politique de la montagne plus offensive ? Ne pensez-vous pas qu'une aide différenciée serait nécessaire pour l'installation des artisans en zone de montagne ? En effet, l'artisanat est devenue la plus grande entreprise de France et le nombre d'artisans, dans mon département, a dépassé celui des agriculteurs. Toutefois, l'artisanat est localisé dans les villes et non dans les campagnes. Or une politique d'installation de l'artisanat en zone rurale permettrait d'y remédier.

M. Henri Savornin - Nous devons tenir compte du coût de l'installation. En effet, le prix du sac de ciment est doublé entre le point le plus bas du département et ma commune. Ainsi, le coût de revient de l'installation est d'environ 30 % plus cher à partir de 1 000 mètres d'altitude. C'est la raison pour laquelle les départements et les régions ont créé des fonds d'intervention qui octroient 30 % d'aide pour ces installations. Il s'agit du seul moyen de diminuer la charge fixe liée à cette installation. Je peux évoquer par ailleurs la question de l'investissement hôtelier ou celle de la réhabilitation des logements. En effet, si, pour cette réhabilitation, nous ne consentons pas 30 à 40 % de fonds publics, nous ne pourrons pas faire évoluer notre parc immobilier, car les avantages fiscaux ne suffisent pas à déclencher l'investissement. Si nous voulons mobiliser l'épargne locale, un apport de l'Etat, de l'Europe ou de la région est nécessaire pour démarrer. Ainsi, dans ma commune, environ 400 logements mériteraient une réhabilitation, mais aucun propriétaire ne prendra le risque d'investir s'il n'est pas substantiellement aidé au départ. Or l'argent placé de cette façon est rentable à court terme car il permet de créer des emplois. Je peux citer l'exemple de l'évolution des aides dans cette commune. En effet, il y a 25 ans, nous lui apportions 2 286 euros chaque année au budget du département ; nous apportons aujourd'hui 228.600 euros, mais le département n'a apporté que 457.200 euros en 25 ans. Ainsi, l'argent placé par le département et l'Etat constitue un investissement productif non seulement en terme de rentabilité mais également en terme d'emploi et d'activité.

M. Jean-Paul Amoudry - Si vous n'avez pas d'autre question, je suggère un échange concernant la dernière question posée à M. Savornin à propos du colloque, organisé en 1997, sur la place et le rôle des femmes dans les communes montagnardes. Ce point mérite-t-il des commentaires ?

M. Henri Savornin - Je vous adresserai le rapport réalisé suite à ce colloque. Ce débat a éveillé le sentiment d'une recherche nécessaire dans ce cadre. Néanmoins, nous avons constaté un certain progrès car les jeunes filles trouvent plus facilement du travail dans nos stations qu'auparavant. Il existe donc une volonté de les faire entrer dans le cadre de la pluri-activité. Ainsi, là où nous avions, en station, une ou deux femmes travaillant aux remontées mécaniques ou à l'accueil, nous en employons aujourd'hui une dizaine, du fait de cette évolution de l'état d'esprit. Nous avons réalisé cette étude sur un certain nombre de cantons et je vous en communiquerai les résultats.

M. Jean-Paul Amoudry- Je vous remercie, M. Savornin, au nom de la mission et en mon nom personnel et nous ne manquerons pas de vous tenir informé de l'état d'avancement de notre mission et, le cas échéant, de lui demander certains éclaircissements.

M. Henri Savornin - Je vous demande de pardonner mes insuffisances et mes vérités personnelles. Nous tenterons de vous montrer, dans notre commune, les applications de la loi Montagne au sein de nos massifs.

10. Audition de M. René Sournia, président de la Commission internationale pour la protection des Alpes (CIPRA) (15 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Bonjour Monsieur Sournia. Nous vous avons contacté dans le cadre de notre mission d'évaluation de la politique de la montagne, que le Sénat a décidé de constituer en février dernier, à la fois pour mettre à profit la période de cette année internationale de la montagne, au cours de laquelle des échéances électorales démocratiques nous ont obligés à suspendre les travaux législatifs du Sénat, donnant aux sénateurs ici présents l'occasion de s'arrêter sur la politique de la montagne, et en particulier sur l'application de la loi de 1985. Sont présents aujourd'hui les sénateurs de l'Isère, de l'Ain, de la Haute-Loire, du Cantal, de la Haute-Savoie, qui sont tous membres de cette mission, dont le Président est Monsieur Jacques Blanc, Sénateur de Lozère, aujourd'hui excusé, et dont je suis le rapporteur. Notre projet est de déposer les conclusions de notre mission au début du mois d'octobre prochain, de rédiger notre rapport dans le courant du mois de septembre, et donc de travailler par auditions et visites sur le terrain d'ici à la fin du mois de juillet. Notre mission comporte trois angles d'investigation : l'aspect aménagement, l'aspect protection de l'environnement et l'aspect économie et emploi.

Nous vous recevons aujourd'hui dans le cadre du thème de la protection des Alpes. Vous allez vous présenter à nous et nous vous proposons d'échanger par la suite avec nous. Vous nous avez également déposé des contributions écrites et je pense que votre apport sera très utile à nos travaux.

M. René Sournia - Je vous remercie de m'avoir invité. Je suis Président de la Commission internationale pour la protection des Alpes pour la France. La CIPRA est une ONG très ancienne, puisqu'elle fête ses 50 ans cette année. Pierre Bontemps est le Vice-Président de la CIPRA et il a également des responsabilités au sein du Club Alpin Français. La CIPRA est à l'origine de la convention alpine, signée par les États de l'arc alpin, de l'Union Européenne ainsi que par Monaco, qui a rejoint cette convention plus tard. Mais la CIPRA ne se situe pas uniquement en tant qu'organisation de défense de l'environnement. Elle prend également en compte les dimensions économique ou sociale des dossiers. Dans ce cadre, des conflits peuvent être possibles avec les uns et les autres, mais ceci permet également des échanges d'idées, dans le cadre d'un débat démocratique. Notre but est de parvenir à ce que la convention alpine se concrétise. Nous avons donc lancé pour la CIPRA un réseau de communes, dans lequel nous voulons mettre en pratique, avec les élus, le développement durable en montagne, plutôt que de nous en tenir à de simples discours.

Souhaitez-vous que nous abordions des sujets particuliers dans le cadre de cette présentation ?

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous propose de balayer les questions que nous souhaitions vous poser, concernant notamment le dernier rapport sur l'état des Alpes.

M. René Sournia - Nous vous avons fait parvenir un exemplaire de ce rapport, avec les réponses écrites à vos questions.

M. Jean-Paul Amoudry - Vous pourriez nous présenter les principales positions de la CIPRA sur les propositions de protocoles « transports » et « population et culture », mais également sur la question des risques et nuisances dans le secteur du transport interalpin et alpin, ainsi que sur les enjeux de la politique énergétique pour les Alpes, qui constituent les trois points essentiels pour une bonne information de la mission. Vous pourriez, pour commencer, rappeler les principaux axes de la convention alpine.

M. René Sournia - Les principaux axes de la convention alpine, qui a été signée par l'ensemble des états de l'arc alpin et de l'Union Européenne, sont les suivants : protection de la nature et entretien des paysages, agriculture de montagne, aménagement du territoire et développement durable, forêts de montagne, tourisme, énergie, protection des sols et transports.

Concernant les problèmes de transport, notre démarche s'inscrit parfaitement dans l'actualité. En effet, une manifestation a eu lieu avant-hier à Chamonix pour refuser l'entrée des camions dans le tunnel du Mont-Blanc. Je précise que ce ne sont pas les riches Haut-Savoyards de Chamonix qui refusent le passage des camions chez eux pour éviter la pollution, acceptant ainsi qu'ils soient présents dans la Vallée de la Maurienne. En effet, il s'agit d'un combat plus global, pour dire non aux camions dans toute la région. Il est important de remettre les choses à leur place car certains élus de la Maurienne avaient tendance à stigmatiser les Chamoniards. Pour notre part, nous sommes très défavorables à la politique du « tout routier » actuellement en place et nous souhaitons que le rail soit préféré à la route. Malheureusement, les gouvernements n'ont pas pris la mesure du drame du tunnel du Mont-Blanc survenu il y a trois ans. En effet, ils n'ont pas exploité, durant ces trois années, les propositions qui ont été faites pour transférer une partie des marchandises sur le rail. Or ce transfert aurait pu avoir lieu en une ou deux années pour 40 % des marchandises, ce qui aurait permis de soulager le trafic de la Maurienne. Ainsi, pour le transport international, nous prônons l'utilisation du rail en ce qui concerne le transport de marchandises.

Le problème du transport local, qui représente 85 % des marchandises, se pose également, de même que celui du transport journalier des individuels, du fait d'un déficit d'offres au point de vue cadencement et confort pour le rail voyageurs. Nous pensons qu'il serait nécessaire de transférer des pouvoirs aux régions, à condition de leur transférer aussi les moyens financiers, afin que, localement, les élus, les usagers, ainsi que les partenaires comme la SNCF ou les compagnies de cars, puissent développer une offre plus importante. Je citerais l'exemple du sillon alpin, où, depuis Chamonix ou Genève jusqu'à Grenoble, nous assistons à un flot continu de voitures du matin au soir, dans le cadre d'une urbanisation outrancière qui rend de plus en plus difficile la relance du rail, d'autant plus qu'il n'existe pas de volonté politique assez forte dans ce sens. Ainsi, les transports TER ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Par ailleurs, nous sommes confrontés au problème du transport des touristes vers les stations. Nous devons faire un effort important dans ce sens. Pour cela, nous pourrions prendre exemple sur le Valais, en Suisse, où l'on peut arriver en train de tous les pays d'Europe, sauf de France, si ce n'est avec le TGV hiver Paris-Lausanne. Or il est anormal que nous ne puissions pas avoir une offre dans ce sens, alors qu'à l'arrivée des trains, dans chaque gare suisse, des cars amènent les touristes vers les stations. Neuf stations du Valais proposent même des remontées mécaniques pour aller directement de la vallée vers la station. Ceci permet d'empêcher la circulation de voitures dans la station. Or il s'agit d'un enjeu économique à venir car les touristes souhaitent de plus en plus sortir de l'urbanisation, qu'ils connaissent durant 11 mois de l'année, pour se rendre dans une zone où ils ne sont pas confrontés aux contraintes des voitures.

Concernant la politique énergétique en montagne, il est évident que nous ne pouvons pas supprimer le nucléaire d'un revers de la main. Nous pouvons envisager de sortir du nucléaire sur trente ans, comme l'ont prévu les Allemands. Néanmoins, nous pouvons travailler sur des économies d'énergie, ce thème étant lié à celui des transports, qui dépensent beaucoup d'énergie. Nous devons travailler sur les énergies renouvelables. En effet, en montagne, nous disposons du soleil, mais également du vent, dans certaines zones, et surtout de surfaces importantes de forêt, que nous pouvons utiliser aussi bien pour le chauffage que pour l'eau chaude. Nous pouvons en cela nous inspirer de l'exemple de l'usine qui développe du chauffage collectif avec du bois, à Faverges ou aux Gets. Nous pouvons également utiliser l'énergie solaire en montagne à partir d'une certaine altitude pour obtenir de l'électricité comme cela se fait dans les refuges. Ainsi, des recherches sont possibles pour développer des énergies renouvelables, afin d'être plus indépendant des énergies fossiles extérieures sur le plan national et européen, et de réduire les pollutions et l'effet de serre.

Vous m'avez également interrogé sur les conditions d'un développement de l'activité touristique en montagne et sur la compatibilité avec la protection de l'environnement. Nous pouvons citer, par exemple, la solution choisie par les Allemands, dans certaines zones, où l'on interdit l'escalade. Toutefois, côté français, nous sommes défavorables à une telle démarche. Même s'il est vrai que l'escalade peut présenter certains risques pour l'environnement montagnard, néanmoins, nous pouvons en discuter avec les grimpeurs afin d'établir des périodes précises d'autorisation de l'escalade, et limiter cette pratique durant les périodes critiques de nidification. En effet, nous pensons que la politique d'interdiction développée en Allemagne repousse simplement le problème, puisque les Allemands viennent désormais pratiquer l'escalade en France, d'où une surpopulation dans certaines zones, et la destruction de certaines falaises. Par ailleurs, la venue de ces personnes en voiture suscite une pollution plus importante. Ainsi, une décision qui semble, à la base, écologique peut susciter des dégâts supplémentaires en termes d'environnement.

En revanche, nous avons réfléchi aux conséquences des activités touristiques en montagne. Nous pensons que nous devons travailler avec les professionnels du tourisme, depuis le guide de montagne jusqu'au tour operator, afin de les sensibiliser à l'éducation du touriste. En effet, le touriste vient en montagne pour se détendre et se faire plaisir et non pour détruire. Il n'imagine donc pas que, lorsqu'il pratique le rafting, il détruit les frayères à poisson, ce qui entraîne des conflits avec les pêcheurs. En effet, ces derniers se plaignent de la multiplication des lâchers d'eau organisés par EDF dans le cadre de la pratique de rafting et de canyoning, ce qui entraîne la destruction des fonds où se trouve la faune microscopique qui sert de nourriture aux poissons. Néanmoins, il ne semble pas judicieux d'interdire l'accès à une rivière. Un travail de sensibilisation est donc nécessaire auprès des professionnels pour leur expliquer que ces activités peuvent être acceptées pour certaines périodes de l'année, mais pas pour d'autres.

Il en est de même pour les utilisateurs de VTT que nous parvenons, petit à petit, à canaliser, afin qu'ils n'utilisent que des chemins bien précis. Pour cela, tous les professionnels doivent travailler ensemble afin d'être formés sur ces problèmes d'environnement et de transmettre cette information aux touristes. Ainsi, dans les conclusions d'un travail effectué par le Groupe Montagne de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en 1998, nous avons préconisé la présence, dans chaque département, de conseils lorsque la création d'activités nouvelles est prévue. Entre temps, la loi de juillet 2000 sur le sport a créé ces structures. Aujourd'hui, les associations d'environnement, ou les associations d'activités sportives de plein air, entrent dans ces structures qui sont sous la coupe du président du conseil général. Nous sommes très satisfaits de la présence d'une telle structure qui peut permettre de faire évoluer ces activités vers un plus grand respect de l'environnement. En effet, un certain aménagement du territoire est nécessaire, mais il faut également tenter de maintenir les populations en montagne pour éviter que la montagne ne devienne une simple zone permettant aux urbains en mal d'oxygénation de se défouler.

La CIPRA souhaite qu'il y ait un arrêt des créations de remontées mécaniques et pistes de ski dans les zones encore non dénaturées. Nous demandons également un arrêt des créations de production de neige artificielle. Il nous semble utile et urgent d'avoir un débat de fond sur ce genre de développement au vue des nouvelles tendances des souhaits de la clientèle touristique mais aussi, et surtout, du fait des changements climatiques à venir et leurs conséquences environnementales, économiques, sociales et en termes de risques naturels accrus.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci Monsieur Sournia. Mes chers collègues, avez-vous des questions à poser à notre invité ?

M. Jean Boyer - Je souhaite faire une observation concernant les énergies renouvelables. Pensez-vous que, sur le plan pratique, nous pouvons revenir à l'utilisation du bois, dans une société où nous aspirons tous à plus de facilité, sachant que le travail en forêt suscite des problèmes importants de main d'oeuvre ? En effet, nous constatons que les personnes qui ont longtemps travaillé en forêt, et qui atteignent un certain âge, partent travailler dans le gaz ou l'électricité.

D'autre part, concernant la maîtrise des transports routiers, il est vrai que les régions ont la compétence ferroviaire depuis le 1 er janvier en termes d'acquisition des véhicules. Toutefois, sur nos routes régionales, circulent les véhicules de la région, mais également des véhicules étrangers dans le cadre d'un trafic national et international. Ainsi, il me semble qu'il serait judicieux de proposer, ceci permettant sans doute d'entrer dans un débat plus constructif, de mettre sur rail les camions effectuant une très longue distance. En effet, les régions n'ayant pas la maîtrise des circuits courts, une telle décision est très difficile à mettre en pratique dans ce cadre.

M. René Sournia - Effectivement, sur le plan régional, je ne vois pas comment nous pourrions développer le transport ferroviaire. Or ce transport régional représente 85 % du transport. En revanche, pour le transport sur longue distance, nous pouvons faire évoluer les choses, mais, pour cela, une volonté politique est nécessaire. Or, aujourd'hui, nous constatons qu'entre 30 et 40 % des camions roulent à vide, ce qui pose le problème des flux tendus en termes de circulation des marchandises. Nous devons donc parvenir à établir une vérité des coûts afin de faire évoluer cette politique de transports. Par ailleurs, l'externalisation des coûts doit être réalisée au niveau européen, en bloquant l'arrivée des chauffeurs routiers venant de l'Europe de l'Est, qui sont souvent payés à l'heure roulée. Ainsi, lorsque ces chauffeurs se voient infliger des amendes par les gendarmes pour avoir dépassé le quota d'heures autorisées, ils les paient de leur poche et ils en arrivent ainsi à devoir de l'argent au patron. C'est la raison pour laquelle le patronat routier est d'accord pour généraliser le rail et pour externaliser les coûts, à condition que ceci soit régulé au niveau européen afin d'éviter la concurrence sauvage des chauffeurs routiers d'Europe de l'Est. En effet, lorsque ces chauffeurs sont payés 305 euros, ils sont satisfaits, en comparaison de ce qu'ils gagnent chez eux. Tout ce système doit donc être revu, ce qui suppose un travail de fond qui dépasse le simple cadre de la montagne.

Concernant la question du bois en termes d'énergie de chauffage, nous sommes confrontés au problème du prix du bois. En effet, nous manquons de main d'oeuvre dans ce domaine. Or nous pouvons nous demander pourquoi l'Education Nationale, au lieu d'amener 80 % d'une classe d'âge au bac, n'oriente pas certains élèves vers le travail manuel, qui n'est pas dévalorisant. En effet, un département comme la Haute-Savoie manque cruellement d'apprentis menuisiers et charpentiers, et les rares jeunes qui se lancent dans ce domaine sont attendus par des patrons dès la fin de leurs études. Par ailleurs se pose le problème du transport du bois, puisque nous constatons que le bois qui vient de Scandinavie est moins cher que le bois qui est exploité en France. Il s'agit donc d'un problème de régulation, lié au problème du coût des transports, qui n'est pas totalement internalisé. Enfin, un autre problème se pose : celui de l'habitat proprement dit. Or, dans la construction, le bois est beaucoup moins cher en consommation d'énergie que le béton. Nous pouvons donc utiliser ce bois pour faire de la construction, et nous devons tenter de travailler dans ce sens. En effet, il est anormal que de nombreuses communes qui disposaient de ressources très importantes grâce au bois, aient vu ces ressources diminuer de 80 % parce que le bois ne leur rapportait plus, alors que des forêts envahissent ces communes, en l'absence de pâturages. Une réflexion de fond semble donc devoir être menée dans ce sens.

M. Jean-Paul Amoudry - Je souhaitais vous poser deux questions. La première est la suivante : avez-vous un point de vue ou un avis comparé sur les deux formules de protection que sont d'une part la formule centralisée du parc naturel, et d'autre part la formule décentralisée de type espace Mont-Blanc ? Pourriez-vous nous présenter les avantages et les inconvénients de ces ceux formules ?

Ma deuxième question est la suivante : nous avons été un certain nombre au Sénat à émettre l'idée d'une action préventive et de responsabilisation de tous les praticiens de la montagne, qui courent des risques de façon irréfléchie et qui font multiplier les opérations de secours de toutes sortes. En effet, certaines personnes vont se défouler au sommet d'une montagne et, lorsqu'elles sont trop fatiguées pour redescendre, elles appellent les secours depuis leur téléphone portable. Or ceci coûte très cher à la nation. Il est vrai que cette pratique concerne essentiellement une certaine partie de la montagne, notamment les Alpes ou les Pyrénées et qu'elle se rencontre peut-être moins dans le Massif Central ou les Vosges, mais il s'agit d'une tendance forte. Seriez-vous, en tant que protecteur, favorable à l'avancée d'une telle pratique, encadrée et gérée sous l'autorité des communes, vue sous un angle préventif, afin de responsabiliser les gens ?

M. René Sournia - Je pense qu'au-delà de l'activité en montagne, nous retrouvons de telles pratiques à risque en mer. Or il s'agit d'un problème de fond de refus des responsabilités des individus. J'ai, pour ma part, réalisé des ascensions en solo, mais j'ai toujours dit à ma famille qu'elle ne devrait en aucun cas attaquer une quelconque autorité en cas d'accident. J'ai moi-même perdu ma seconde épouse en montagne mais je ne m'en prends qu'à moi-même en me disant que j'ai dû commettre une erreur au cours de notre ascension.

M. Jean-Paul Amoudry - Malheureusement, tout le monde ne réagit pas comme cela et, même si vous signez une décharge, les secours sont tenus d'intervenir en cas d'accident. Dans notre société, la mécanique de secours est obligatoire et suscite un coût important. Or nous devons trouver un moyen de sensibiliser les personnes en leur indiquant que des frais importants seront occasionnés si elles encourent des risques inconsidérés. Cette démarche n'est pas un frein au secours, que nous ne remettons pas en cause, puisque le secours est inscrit dans la Constitution. Il s'agit simplement d'un moyen préventif.

M. René Sournia - Dans le cadre du club alpin français (CAF), nous sommes confrontés à ce problème. En effet, certains représentants du CAF ont été traînés devant les tribunaux car ils étaient soupçonnés d'avoir pris des risques suite à certains accidents. Nous avons pu récemment lire dans la presse le cas de Polonais qui, alors que le mauvais temps était annoncé, ont décidé de réaliser quand même l'ascension du Mont-Blanc. Or ils ont fait prendre des risques inconsidérés aux secouristes. Nous pouvons également citer l'affaire de la Vanoise, qui a eu lieu il y a quatre ou cinq ans. Pour ma part, j'étais partisan de ne pas intervenir car ces personnes avaient décidé, contre vents et marées, de partir en montagne, alors qu'on leur avait dit que la situation était dangereuse. J'estime que, dans ce cas, les gens doivent prendre leurs responsabilités pour rentrer. Tel est mon point de vue. Par ailleurs, le problème du paiement des secours est très complexe. En effet, nous sommes assurés en cas d'accident en voiture. De la même manière, dans le cadre du CAF, nous proposons une assurance obligatoire qui inclut l'adhésion, mais nous ne nous laissons pas pour autant aller à faire n'importe quoi, même si certaines personnes nous le demandent. Nous tentons d'informer les personnes en demandant des informations à la météo, aux guides... Mais je pense qu'il faut responsabiliser les gens et que ceci ne peut se faire que financièrement.

Concernant la question de la protection de l'environnement, je pense que, dans la mesure où des protections fortes sont instaurées, dans le cadre de parcs nationaux, ou de réserves naturelles, cela signifie que l'homme a échoué. En effet, l'homme n'a pas été capable de gérer suffisamment les ressources naturelles pour ne pas trop en dépenser ou en détruire. Ainsi, je considère que la création d'un parc national ou d'une réserve naturelle constitue la preuve que l'homme a fait des erreurs et qu'il a pris des décisions qui ne sont pas logiques par rapport à l'environnement. Dans ce cadre, je reviendrai sur le cas de l'espace Mont-Blanc. J'ai vu la naissance de cet « Espace Nature Mont-Blanc » avec beaucoup d'espoir en 1992 ou en 1993, mais nous nous sommes vite aperçu qu'il s'agissait simplement d'une « pompe à fric ». En effet, je pense que certains élus n'y ont vu que cela. Par ailleurs, l'Etat n'a pas eu le courage de dire aux élus qu'ils devaient agir dans certaines directions, en donnant une certaine impulsion. Ainsi, l'Etat a trop laissé faire. Au final, cet espace Mont-Blanc n'a accouché d'aucune décision, ce que je regrette profondément. En effet, les différentes associations comme le Club Alpin Français, la CIPRA, ou encore un regroupement d'associations italiennes, suisses et françaises sur le développement durable souhaitaient faire de cet Espace Mont-Blanc transfrontalier un symbole en Europe de ce qu'aurait pu être le développement durable. Or nous avons échoué. Selon moi, aujourd'hui, il n'y a plus rien à faire pour sauver le massif du Mont-Blanc car de nombreuses zones ont été saccagées. Ainsi, le fait de ne plus toucher à cet espace contribue déjà à le protéger.

En revanche, le concept de sites décentralisés, comme le sont les parcs régionaux, me semble être une bonne idée, qui a fait ses preuves, notamment dans le Parc des Bauges ou dans le Parc du Queyras. En effet, l'homme a été mis au coeur du projet, et l'on prend le temps de discuter avec tous les acteurs concernés, afin qu'une confrontation ait lieu. Dans ce cadre, de telles structures peuvent déboucher sur un projet intéressant, comme ceci a été le cas pour la Chartreuse ou les Bauges. A l'inverse, l'exemple du parc du Mercantour, qui, dans les années 70, a été imposé à la population, est un très mauvais exemple. Ainsi, 25 ans après, il suscite toujours un rejet de la part de la population locale. Or, au-delà du combat concernant la réintroduction des loups, il s'agit d'un refus de cette intervention étatique autoritaire.

M. Jean-Paul Amoudry - Pour conclure, pouvez-vous nous présenter le réseau de communes « Alliance dans les Alpes » ?

M. René Sournia - Le but de ce réseau est de faire appliquer la convention alpine sur le terrain. Nous ne souhaitons pas expliquer aux élus ce qu'ils doivent faire, mais simplement leur proposer de visiter certains villages pour observer les réalisations qui y sont développées. Nous avons réalisé certaines visites en France durant le mois de mai l'année dernière, puis durant le mois d'octobre. Ainsi, nous avons organisé, pour les élus, la visite d'un village du Valais, Saint-Martin. Les élus de ce village songeaient à mettre en place des remontées mécaniques, puis, après discussion avec la population, et notamment les milieux économiques de la vallée, ils ont décidé de repartir sur d'autres bases en développant l'agriculture et en aidant les agriculteurs à se maintenir en place. Par ailleurs, ils ont transformé des alpages en gîtes d'étape. Cette décision a permis de faire travailler les artisans locaux. Ainsi, la dynamisation du village a été permise simplement à partir du local. Or il s'agit d'un exemple de développement durable très intéressant. Notre but est donc de mettre en réseau ces différentes communes, qui sont au nombre de 130 pour tout l'arc alpin, afin qu'elles voient ce qui se fait ailleurs. En outre, ce réseau permet d'apporter une aide technique à ces communes en termes de secrétariat, d'ouverture de comptes pour des financements, de réalisation d'audits dans le cadre de cabinets conseil, mais il ne s'agit surtout pas de leur donner des directives. Il s'agit simplement d'une aide à la confrontation et à la concertation avec d'autres communes mais ce sont les élus locaux qui doivent développer leur projet concrètement.

Par ailleurs, l'agriculture me semble constituer l'un des maillons importants de la montagne. Or, au sein de la CIPRA, nous pensons que la Politique Agricole Commune doit être revue, pour aller vers des aides à la qualité et pour se tourner vers les jeunes agriculteurs, afin de les maintenir, mais également de les former pour qu'ils viennent à l'agriculture de montagne. En effet, nous nous apercevons que les agriculteurs qui vieillissent quittent la profession sans être remplacés, et que, dans quelques années, nous n'aurons presque plus d'agriculteurs dans nos montagnes, si ce n'est pour faire du folklore dans le paysage. Or ce n'est pas le folklore qui fait vivre la montagne.

Pour conclure, je dirais que, si nous regardons la composition du nouveau gouvernement, nous constatons que Monsieur Gaymard, élu de la Savoie, est, entre autres, Ministre de la Pêche. Or, si je ne pense pas qu'il soit incompétent dans ce domaine, je trouve quelque peu ennuyeux de voir qu'il n'existe jamais un Secrétariat d'Etat à la montagne, alors que 43 départements en France sont directement touchés par la montagne contre seulement un peu plus de 30 départements touchés par la mer. Il n'est donc pas normal que, dans ce gouvernement, comme dans tous les autres gouvernements précédents, il n'existe pas au moins un Secrétariat d'Etat à la montagne, alors même que nous avons une loi Montagne.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci Monsieur Sournia pour votre contribution, qui a enrichi très utilement nos travaux.

11. Audition de M. Philippe Martin, directeur du Service d'études et d'aménagement touristique de la montagne (SEATM) (15 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie de votre présence et d'avoir fait le déplacement depuis Challes-les-Eaux pour vous rendre à Paris et rejoindre le Sénat. La mission sénatoriale d'information sur la montagne a été constituée au mois février dernier et permet aux sénateurs de profiter de la période électorale, qui les prive en quelque sorte du travail législatif habituel, pour se consacrer à ces sujets. Nous profitons également de l'année internationale des montagnes pour faire le point sur l'application de la loi du 9 janvier 1985 et sur les textes ultérieurs, qui ont pu venir corriger cette loi fondamentale. Une fois le bilan dressé, notre second objectif consiste à moderniser cette loi et à déterminer les adaptations à proposer au législateur qui entrera en fonction dans quelques semaines, ainsi qu'à l'actuel et au futur Gouvernement. Je suis heureux que vous puissiez nous faire part de votre expérience et de votre avis sur une partie importante de la loi, à savoir les volets du tourisme et de l'équipement, qui font partie des socles de ce texte. D'avance, je vous remercie de nous faire part de vos avis, à partir de la grille de questions que nous vous avons préalablement adressée.

M. Philippe Martin - Je tiens à signaler que je ne représente pas, dans cette instance, le secrétariat d'état au Tourisme. En effet, mes propos n'ont pu être validés étant donné que je n'ai pas pu les soumettre à une quelconque autorité. Par contre, je veillerai à ce que les réponses écrites au questionnaire, soient validées.

Le service d'études et d'aménagement touristique de la montagne (SEATM) a été créé pour concevoir et mener les procédures visant à la création, ex-nihilo , de stations de sport d'hiver. Au cours des dernières années, la mission première du SEATM a beaucoup évolué. Sans perdre la compétence en matière de domaines skiables, de nombreuses évolutions sont intervenues dans le domaine des activités de pleine nature et nous avons fait de gros progrès sur la connaissance des clientèles et de leurs attentes. Depuis deux ou trois ans, nous nous penchons aussi sur un gros dossier qui est celui de la moyenne montagne, mais ce dossier nous laisse assez perplexes.

Mon exposé s'articulera en quatre points et reprendra les principales questions posées dans le questionnaire. Nous étudierons premièrement la question des indicateurs en regardant la fiabilité des mesures qui sont réalisées dans ce domaine. Nous verrons quelle est la représentation de l'activité de tourisme en montagne. Deuxièmement, nous traiterons des extensions de domaines skiables en nous penchant plus particulièrement sur l'avenir des petites stations. Troisièmement, nous aborderons une question fondamentale, qui est celle de l'évolution des attentes de la clientèle et de la nature de ces évolutions. Enfin, nous aborderons les questions de freins ou de blocages et des perspectives de progrès. Selon moi, ces perspectives concernent davantage les textes d'application que la loi Montagne elle-même.

Pour l'instant, nous ne disposons que d'un seul indicateur véritablement fiable. Il porte sur l'activité des remontées mécaniques. Cet indicateur est très fiable et très réactif. Chaque saison hivernale est découpée en cinq périodes (trois périodes de vacances scolaires et deux périodes inter-vacances). Nous connaissons les résultats précis de la situation rencontrée sur chacun des massifs de montagne dans les deux à trois semaines suivant la fin de chaque période. Ce système fonctionne bien dans la mesure où la profession est remarquablement bien organisée, à travers le syndicat national des téléphériques de France (SNTF). Qu'il s'agisse de la conception du système ou du travail de collecte, nous avons à faire à des interlocuteurs fiables et bien organisés. Aujourd'hui, le travail de collecte est informatisé, à travers le serveur du SNTF, dans lequel nous allons directement chercher les informations dont nous avons besoin, et qui sont traitées et re-diffusées.

Même si les circulaires prises de 1994 à 1997, qui traitaient des aides aux stations en difficulté, notamment par manque de neige, ont indiqué que l'activité des remontées mécaniques était représentative du tourisme hivernal en montagne, cela est de moins en moins vrai, et pas seulement en Haute-Savoie. Aujourd'hui, nous manquons cruellement d'indicateurs fiables et représentatifs pour les autres acteurs du tourisme et notamment en ce qui concerne les hébergements (surtout les meublés). Un certain nombre d'acteurs s'est mobilisé pour trouver des palliatifs. C'est notamment le cas de l'Observatoire National du Tourisme (ONT) qui, en partenariat avec l'association des maires des stations françaises de sports d'hiver et d'été, a monté un système d'observation. C'est aussi le cas de l'ANEM qui a créé le bureau d'études Comète. Mais dans le cas de l'ONT, nous sommes confrontés à une fiabilité inégale des sources. Le recul est également insuffisant et la pondération absente. Dans le cas de l'ANEM, la représentativité des territoires est inexistante puisque le nombre de stations suivies très précisément par le bureau d'étude Comète est extrêmement limité. Une piste de progrès pourrait consister à exercer une certaine pression sur la profession, et notamment sur la FNAIM et sur les différents syndicats hôteliers, pour qu'ils acceptent l'instauration d'un dialogue permettant de constituer un panel représentatif, basé sur une approche scientifique, et la mise en place d'un système de collecte. Evidemment, le SEATM pourrait prendre en charge le traitement ultérieur des données recueillies. Pour le moment, nous disposons des méthodes mais nous manquons d'interlocuteurs pour organiser le système.

Par ailleurs, le secrétariat d'Etat au Tourisme ne dispose d'aucun indicateur fiable pour appréhender la situation en montagne rencontrée en été. Je rappelle que le chiffre d'affaires touristique global de l'été est supérieur au chiffre d'affaires hivernal, même s'il ne porte pas sur le même territoire. En montagne, l'économique touristique estivale est encore plus importante qu'en hiver (+ 10 %).

Dans le domaine du ski, nous avons la connaissance des chiffres d'affaires réalisés et nous connaissons assez bien la fréquentation de chaque domaine skiable (nombre de journées skieurs), son utilisation par les skieurs (les passages), mais nous ne connaissons pas vraiment le nombre de skieurs. En effet, les exploitants des remontées mécaniques commencent depuis peu à s'intéresser à l'identification de leurs clients. A partir du seul nombre de clients fréquentant le domaine skiable, nous ne pouvons pas déduire précisément le nombre de skieurs. De ce point de vue, nous avons de grandes difficultés à connaître le marché, en termes de nombre de pratiquants des activités de glisse.

A côté des indicateurs concernant les activités économiques, nous disposons d'autres indicateurs, géographiques ou d'équipement, qui sont beaucoup plus précis. Là encore, les remontées mécaniques sont remarquablement instrumentalisées et nous sommes capables de déterminer, à l'unité près et en partenariat avec le STRMTG (service technique des remontées mécaniques et des transports guidés), le nombre de remontées mécaniques, leur nature, leur puissance, et l'ensemble de leurs caractéristiques. Nous avons une connaissance précise de toutes ces données sur la France entière. Ces données sont totalement fiables, mais les remontées non autorisées ne figurent pas dans ce fichier.

Nous connaissons un peu moins bien les pistes. Le travail de recensement des pistes est effectué par le SEATM. Toutes les stations ne sont pas équipées de systèmes d'information géographiques - loin s'en faut - et certaines n'ont même pas de plans des pistes. En France, nous pouvons dire qu'il existe environ 25 000 hectares de pistes, dont environ 3 000 faisant l'objet d'une production de neige de culture. Concernant la description physique de l'offre, la situation se complique lorsque nous parlons de domaines skiables. En effet, personne ne partage la même définition de cette notion, et surtout pas les professionnels, dont les points de vue divergent d'une station à l'autre, et en fonction des enjeux commerciaux spécifiques. Même les maires ne partagent pas la même vision, qui peut varier en fonction des enjeux pénaux (pour les questions relatives à la sécurité). Quoi qu'il en soit, nous pouvons dire qu'il existe environ 120 000 hectares de domaine skiable, ce qui représente environ 1 % de l'espace de montagne français (11 400 000 hectares). Au regard de ces chiffres, nous voyons que l'activité de tourisme de montagne hivernal est très concentrée. Si l'on inclut les installations induites par l'activité humaine (urbanisme, infrastructures routières, etc.) qui représentent aussi environ 1 % de l'espace de montagne, nous pouvons dire que le ski représente, en France, 2 % de l'espace de montagne. Le chiffre d'affaires réalisé en hiver sur 2 % du territoire est équivalent au chiffre d'affaires réalisé l'été sur 100 % du territoire de montagne. En effet, le tourisme estival est beaucoup plus diffus.

La source première des autres indicateurs d'offre touristique est l'INSEE. Il y a quelques années encore, le SEATM tentait de tenir à jour un recensement de tout ce qui pouvait contribuer à l'offre touristique (les hébergements, les hôtels, les piscines, les équipements de loisirs, etc.). En raison de l'absence d'un système centralisé de collecte d'informations autre que celui de l'INSEE, le SEATM a renoncé puisqu'il ne possède pas les moyens financiers lui permettant d'acheter des fichiers à l'INSEE. Le prix des fichiers pose donc un problème d'accès à l'information.

Le récent transfert de compétence (27 février 2002) aux régions des secteurs relevant de la collecte et du traitement des statistiques peut représenter une avancée intéressante et permettre une bonne approche de ces problèmes. Cependant, il sera difficile, dans un grand nombre de régions, de convaincre les partenaires d'identifier ce qui concerne la montagne, qui risque d'être diluée dans une approche globale du tourisme.

En l'état actuel des choses, une extension pure du domaine skiable n'est pas envisageable. Actuellement, l'offre de ski est de plus en plus supérieure à la demande. En effet, l'offre croît fortement, en termes de capacité des équipements. Si le nombre de remontées mécaniques décroît régulièrement, leur puissance et le nombre de skieurs pouvant être transportés augmentent régulièrement. Dans ce contexte, la demande ne justifie pas une extension du domaine skiable. Cependant, deux cas de figures justifient, outre le renouvellement et la modernisation du matériel, l'installation de nouveaux équipements de montagne. Il s'agit premièrement de l'interconnexion des domaines skiables existants. La loi Montagne considère la commune comme étant l'unité de base du développement touristique. Ainsi, de nombreux domaines skiables ont été définis en fonction des limites communales. Si l'on croise cette situation avec les évolutions de la clientèle, nous nous apercevons que certaines stations ayant un domaine skiable réduit à la commune, à l'exception des stations du Massif central où les problèmes d'interconnexion sont extrêmement limités, ont une offre qui n'est pas assez diversifiée, soit trop facile, soit trop difficile. Dans ce contexte, l'interconnexion peut apparaître comme une solution attirante, permettant de faire face aux évolutions des attentes de la clientèle. Tout comme l'extension, l'interconnexion ne doit pas être une fin en soi, et l'attente du client doit toujours prédominer. En effet, une interconnexion qui ferait intervenir un ou deux kilomètres de plat et qui forcerait les skieurs à avancer en poussant sur les bâtons n'est pas utile dans la mesure où elle ne remporterait pas l'adhésion des clients. Les transferts de skieurs sur des télésièges longs de deux ou trois kilomètres ne sont pas non plus satisfaisants. Si l'interconnexion n'est pas une fin en soi, c'est un bon moyen de diversifier l'offre de ski, de mélanger des espaces de ski présentant différents niveaux de difficulté, et de faire en sorte que chaque espace d'urbanisation ait accès à un domaine skiable aussi varié que possible.

Le deuxième cas de figure d'implantation de nouvelles remontées mécaniques peut être lié à la densification des pistes à l'intérieur du domaine skiable existant. Là aussi, il faut être vigilant et tenir compte de l'offre d'hébergement. Il s'agit en effet de savoir s'il convient de laisser se développer davantage l'offre d'hébergement. La question de la fréquentation des domaines skiables se pose aussi. En effet, il convient de veiller à ne pas réduire l'attractivité du produit ski en permettant une densité de pratiquants excessive. Si la question de la densité peut varier de façon importante d'une station à l'autre en fonction du type de clientèle, il convient toutefois de respecter certaines limites.

Si nous densifions le domaine skiable existant, nous n'allons pas améliorer la situation des petites stations de ski, qui risquent de se trouver confrontées à une concurrence accrue. Je pense que deux cas de figure peuvent justifier le désarmement :

- La disparition pure et simple des remontées, qui ont été installées par erreur ou qui ne correspondent plus à un besoin, peut se concevoir si l'offre devient hors marché (téléskis trop raides, situés dans des bois, etc.). En effet, il peut arriver que les installations remettent en cause la sécurité des pratiquants ou que la difficulté de ski proposée soit inadaptée (difficulté trop importante pour des débutants, des classes scolaires, etc.). La situation est appréciée au cas par cas, en fonction de la clientèle visée.

- Le deuxième cas de figure pouvant justifier le désarmement est la situation où l'impact négatif de l'été est supérieur à l'impact positif de l'hiver. En effet, l'existence de remontées mécaniques mal conçues, et présentes dans un paysage agréable en été, peut être repoussante et dissuader certains clients de fréquenter la station pendant les mois d'été. Nous avons déjà fait plusieurs propositions de désarmement, basées sur cette seconde considération. Peu de dossiers aboutissent ; toutefois un dossier concernant la Lozère est en bonne voie. C'est aussi le cas de certains dossiers concernant les Vosges.

Pour les petites stations, le cas de figure le plus fréquent n'est pas celui du désarmement mais d'un repositionnement commercial et touristique. Dans cette optique, le ski peut devenir une des composantes de l'offre touristique et non la composante majeure, si une demande existe notamment pour la promenade ou pour d'autres activités. Il arrive aussi très fréquemment que ce qui a été baptisé « station » ne soit qu'un stade de neige, fréquenté par les habitants d'une grande ville, située à proximité. De mon point de vue, il conviendrait, dans ces cas, de nouer des partenariats originaux entre les villes concernées et les collectivités qui supportent la station « stade de neige ». En effet, il n'est pas choquant qu'une grande ville ayant besoin d'espaces de loisirs noue un tel partenariat avec la collectivité compétente.

S'agissant des évolutions climatiques, nous pouvons dire, après avoir comparé les points de vue des scientifiques français, suisses, et autrichiens, que leur effet est moins prégnant et rapide que l'évolution de la demande, en particulier pour les petites stations. Par ailleurs, l'évolution du climat est négligeable, comparée aux aléas climatiques pouvant intervenir d'une année à l'autre. De la même façon que les agriculteurs supportent de moins en moins les aléas climatiques, ces variations posent aussi des difficultés au niveau des personnels des stations de sports d'hiver qui demandent des emplois stables, avec des dates de prise de poste et de fin d'activité très régulières. D'une année sur l'autre, ces aléas deviennent de plus en plus insupportables pour les employés et les acteurs intervenants dans ce type d'activité. En résumé, je considère que l'évolution des données climatiques doit être prise en compte dans toute décision d'investissement, qu'il s'agisse des remontées mécaniques ou de la neige de culture. En effet, pour produire de la neige dans de bonnes conditions, il ne suffit pas d'avoir de l'eau, mais il faut également avoir du froid.

Avant d'aborder les questions relatives aux attentes de la clientèle, je vais souligner certains éléments majeurs survenus au cours des dernières années, et qui ont marqué l'évolution du tourisme en montagne.

Nous avons assisté, tout d'abord, à la création de PAM (Professionnels Associés de la Montagne) qui s'est traduite par la mise en place d'un lieu de discussion et de débat traitant de la façon de positionner l'image de la montagne. Je regrette seulement qu'aucun hébergeur ne fasse partie des membres composant cette cellule. A une époque, la FNAIM participait aux débats. Aujourd'hui, elle n'est plus présente et personne n'a réellement cherché à la retenir. Il est regrettable que l'hébergement, qui est un aspect fondamental du tourisme, ne participe pas à ces travaux, alors que tous les autres secteurs sont représentés (remontées mécaniques, ski de fond, fabricants de matériels et de vêtements, etc.).

Comme je ne l'ai pas dit en introduction, je précise que le SEATM est un service technique central, à compétence nationale, et rattaché à la direction du Tourisme. De fait, l'essentiel de notre activité (60 %) rentre dans le cadre des missions de l'AFIT (Agence Française d'Ingénierie Touristique). Si le SEATM n'existait pas, c'est l'AFIT qui fournirait cette prestation. A partir d'expériences menées antérieurement, l'AFIT a provoqué la création d'un panel national ski. Il s'agit d'un ensemble de 2 000 à 2 200 foyers qui présentent la caractéristique de comporter au moins une personne pratiquant un sport de glisse. Cet ensemble est représentatif à la fois des lieux de résidence et des destinations choisies, dans les différentes stations de sports d'hiver des massifs. L'échantillonnage a été assez coûteux et compliqué à élaborer. Le panel peut renseigner sur n'importe quelle question concernant la clientèle des stations de sports d'hiver. Nous avons déjà compilé un certain nombre d'idées intéressantes et nouvelles. Ces informations sont à la disposition des professionnels qui ont toutefois de la peine à se les approprier, bien que ce système soit très économique. En effet, la question coûte 760 euros, ce qui n'est pas cher comparé au coût d'un ré-échantillonnage d'un panel représentatif.

Troisièmement, NIVALLIANCE a été mis en place par le syndicat national des téléphériques de France (SNTF). Vous savez que la question du « fonds neige » n'est plus d'actualité et qu'elle a été réglée par une démarche purement professionnelle des exploitants de remontées mécaniques, qui repose sur un système d'assurance mutualisé. Le coût de cotisation est à peu près équivalent à l'ancienne taxe qui portait sur le contrôle des remontées mécaniques. Ce système d'assurance offre un niveau de compensation de perte de chiffre d'affaires qui est tout à fait convenable. Nous pouvons féliciter le SNTF d'avoir mis en place ce système, dans un contexte particulièrement difficile, et dans lequel les assureurs étaient encore échaudés par les drames de septembre 2001. Ce système contribue à protéger un élément de la profession qui est ainsi à l'abri d'un certain nombre de risques économiques qui ne peuvent être imputés aux exploitants de remontées mécaniques (manque de neige, grève des trains, etc.). Nous ne pouvons que souhaiter que d'autres professions adoptent la même démarche, plutôt que d'attendre des compensations financières de la part des pouvoirs publics. Ce système d'assurance présente le mérite d'être en grande partie mutualisé. Ainsi, les cotisations sont davantage fonction de la capacité contributive que du niveau de risque réel encouru par le cotisant. Ce système est remarquable.

Le carnet de route de la montagne a aussi été mis en place. Il s'agit d'un outil méthodologique, à disposition des professionnels ou des territoires, qui leur permettra de réfléchir de manière très objective à leur positionnement touristique.

Le dernier élément concerne les outils qui mettent en place au niveau de l'immobilier de loisir. Nous y reviendrons.

Une des caractéristiques de la montagne est d'avoir pris en compte, sans doute en premier par rapport à d'autres destinations touristiques, les attentes de la clientèle. Une approche sociologique, initiée en 1992, a été mise en place. Cependant, le résultat de cette étude n'a pas été utilisé. En effet, la diffusion de données sociologiques auprès des professionnels du tourisme n'a donné aucun résultat, les professionnels étant habitués à entendre un autre langage. Pour cette raison, l'actualisation intervenue en 1999 n'a pas été diffusée avant la création concrète d'un guide méthodologique. Ce guide a pris la forme du « carnet de route de la montagne » que j'évoquais précédemment, et que vous connaissez déjà.

J'ai été extrêmement étonné par la vitesse de diffusion de ce document, qui témoigne de l'attente qui existait, et de son appropriation. En quelques mois, nous avons assisté à un changement fondamental du contenu des discours, qui révèle une très bonne appropriation de cet outil. Cependant, l'appropriation n'est pas la même à tous les niveaux. Le secteur de l'hôtellerie et de la restauration est encore un peu en retrait de cette démarche, qui, de toute façon, a apporté beaucoup d'éléments positifs.

J'évoquerai rapidement l'avenir du ski de fond. En 2000, France Ski de Fond (FSF) s'est engagée, dans le cadre de la mise en place et de l'élaboration du carnet de route de la montagne, dans une ambitieuse démarche de réflexion stratégique. Actuellement, beaucoup de fédérations contestent l'opportunité d'une telle démarche et ne sont pas convaincues que la demande a changé et que des pratiquants désirent faire autre chose que du sport, qu'ils peuvent considérer comme un sport dur et ingrat. Certaines fédérations, notamment dans le Cantal, ont du mal à accepter des avis qui recommandent de réduire la longueur totale des pistes, trop importante par rapport à la demande. En effet, beaucoup de pratiquants pensent qu'il vaut mieux avoir moins de kilomètres de pistes, mais mieux entretenues. Pour ces fédérations, qui se sont dévouées au nom d'une éthique sportive, ce type de raisonnement n'est pas toujours facile à admettre. Je pense que nous devons beaucoup soutenir le travail entrepris par FSF.

Je vous donnerai un autre exemple, volontairement provocant. D'autres pays n'ont pas connu l'érosion qui a frappé le ski de fond français, puisqu'ils n'ont pas hésité, quand la demande le justifiait, à placer des fils neige dans les montées (notamment dans les endroits très pratiqués). En France, cette pratique reste encore très choquante pour beaucoup de gestionnaires de ski de fond, qui pensent que la pratique du ski de fond doit se conjuguer avec un effort physique important. En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas choqués par une demande consistant à mettre en place du fil neige.

Aujourd'hui, grâce au « carnet de route de la montagne », chaque territoire a les moyens de choisir un équilibre. Néanmoins, il ne faut pas considérer que seules les attentes du client doivent commander aux choix effectués, ce qui aurait des effets très pervers, comme une banalisation de l'offre qui conduirait à trouver les mêmes choses sur la totalité du territoire, qu'il s'agisse de la montagne ou du bord de mer. Inversement, celui qui participe à l'offre touristique d'un territoire (un hôtelier, un exploitant de remontée, etc.) ne doit pas considérer qu'il est le seul à connaître les attentes des touristes. Il appartient donc à chaque territoire de définir, avec les outils mis à sa disposition, le bon équilibre, entre les attentes de la clientèle, qui doivent évidemment être prises en compte, et une offre qui doit rester personnalisée et qui correspond à un savoir-faire et à une rentabilité d'investissement. Sur ce point, il n'y a pas de recette miracle et l'équilibre doit être trouvé, territoire par territoire. Je tiens à votre disposition certains exemples des pratiques à suivre, ou à ne pas suivre, dans la prise en compte des clients (hébergement, restauration, apprentissage du ski).

En matière d'immobilier, vous savez mieux que moi combien les mesures intervenues l'année passée se sont fait attendre. Le décalage entre les promesses et les réalisations a posé des difficultés à de nombreux acteurs. Nous manquons encore aujourd'hui d'un guide technico-administratif. En effet, les différents textes (décrets et arrêtés) sont insuffisants et sont de nature à conduire à des interprétations extrêmement différentes d'un territoire à un autre, en fonction du préfet ou du service de contrôle de légalité qui intervient. Grâce à l'ANEM notamment, le guide technico-administratif devrait sortir à la fin du mois de mai.

La grande difficulté consiste à convaincre les propriétaires à consentir des baux de longue durée. Une autre difficulté consiste à faire comprendre aux propriétaires qu'ils n'ont pas forcément le meilleur goût pour choisir la façon dont les logements doivent être aménagés. A trop respecter les exigences des propriétaires, nous pouvons arriver à des situations se traduisant par une désertion rapide des clients. En matière d'hébergements collectifs, l'intégration des attentes des clients est vraiment fondamentale. Cependant, nous ne disposons pas encore de véritables outils, de véritables méthodes, ni de maîtres d'oeuvre véritablement formés à cette question, d'autant plus que la chaîne entre le concepteur et le client est relativement longue.

Le dernier point porte sur les besoins de subventions. Un département des Pyrénées s'est notamment lancé dans cette démarche, en finançant des travaux à hauteur de 60 %. Si les conventions interrégionales de massifs prévoient des dispositions aidant à la réalisation des études d'ingénierie, je suis un peu inquiet quant à l'efficacité de ces mesures, en l'absence d'une aide lourde prévue pour les travaux. Dans le même temps, la réhabilitation des espaces collectifs me paraît aussi fondamentale.

En ce qui concerne les freins et les perspectives de progrès, la principale difficulté de la loi Montagne est qu'elle considère la commune comme l'autorité organisatrice du développement touristique, alors que le périmètre communal tend à ne plus être le périmètre le plus pertinent, de nature à permettre un développement touristique optimal. Les textes fondateurs de la République étant fortement attachés à la liberté d'association des communes, personne ne peut, pour le moment, contraindre à l'intercommunalité, sauf à commettre un chantage ou un abus de droit. La question de l'intercommunalité est pourtant fondamentale. En effet, le fait que la compétence de l'autorité organisatrice du développement touristique reste basée au niveau de la commune me semble être un frein très important.

Les autres points sont moins gênants et suscitent peut-être davantage de débat. Je ne m'attarderai pas sur la question des servitudes que vous connaissez bien. Sur ce point, je pense que la loi Montagne doit être remise à jour. En effet, en vingt ans, les technologies ont évolué et la loi n'est plus exhaustive. Même si la loi est complétée aujourd'hui, le problème de son exhaustivité se reposera forcément dans dix ou vingt ans. Nous ne devons pas rajouter un article de loi, mais, au contraire, supprimer certains passages de la loi afin de nous en tenir au principe suivant : peut faire l'objet de servitudes tout ce qui concourt à l'exploitation d'un domaine skiable.

La question de l'utilisation estivale des domaines skiables est problématique. Si les agriculteurs ne sont pas opposés à l'industrie touristique hivernale, dans laquelle ils trouvent souvent une source de revenus complémentaires, la situation est différente en été. En effet, les conflits d'usage risquent de croître fortement si nous imposons, par des servitudes, des activités touristiques sur des territoires qui ont d'autres vocations agricoles pendant la saison estivale. Un équilibre reste donc à trouver territoire par territoire.

La dernière question concernant la loi Montagne porte sur les redevances. Si la question suscite un peu moins de polémiques, les débats pourraient rapidement reprendre, de façon assez dure. Il existe une population d'« urbains montagnards » (les Grenoblois, par exemple) qui ont l'habitude de fréquenter les espaces de montagne situés à proximité, sans avoir à débourser la moindre somme d'argent. Cette situation est problématique dans la mesure où l'aménagement et la sécurisation des espaces de montagne a un coût, qu'il est tentant de couvrir par l'instauration d'une redevance. Actuellement, la redevance n'est possible que pour le ski alpin ou le ski de fond. Cependant, la question d'une extension de la redevance, même si elle est conflictuelle, devra être posée. Il existe des espaces, comme le plateau de Beille, dans les Pyrénées, où la mise en place d'une redevance a été assez aisée. En effet, cet espace de nature n'offre quasiment qu'un seul accès, où on peut matérialiser une porte. Une fois la redevance payée, les visiteurs sont libres de pratiquer l'activité de leur choix. Cependant, tous les espaces ne permettent pas ce type d'organisation. A côté de la loi, d'autres outils, comme la délégation de service public par exemple, permettraient de résoudre le problème. Cependant, je pense que le législateur va continuer à être interpellé sur la question de la redevance, pour les activités de pleine nature.

Nous pouvons donner deux exemples de difficultés d'application de la loi Montagne.

La première difficulté tient à la définition du domaine skiable, qui, comme nous l'avons déjà dit, est extrêmement floue. En effet, le domaine skiable doit-il être considéré comme un espace sur lequel existent des pistes ou comme un espace sur lequel la configuration des remontées mécaniques permet la présence de skieurs, même en l'absence de pistes ? Lors de la démarche de normalisation de la signalisation des pistes, initiée il y a deux ans, nous espérions arriver à une définition du domaine skiable, mais tel n'a pas été le cas. Les professionnels ont refusé de sortir des pistes stricto sensu . Actuellement, le domaine skiable reste défini par une circulaire de janvier 1978. Cette circulaire énonçait expressément que sa validité n'allait que jusqu'à l'ouverture de la prochaine saison. Elle est donc caduque depuis très longtemps. Le ministère de l'intérieur s'est enfin aperçu de ce décalage et a envisagé d'abroger cette circulaire qui ne parlait que des problèmes de sécurité et d'organisation des secours sur les domaines skiables. Ces questions de sécurité, qui sont très contraignantes pour les élus locaux, influent aussi sur les enjeux environnementaux. Si la normalisation est la bonne solution, un décret (ou une autre mesure) devra être pris afin de sortir de cette situation de flou et de mieux définir la notion de domaine skiable.

Un deuxième exemple d'application déviante de la loi Montagne concerne les procédures unités touristiques nouvelles (UTN), pour lesquelles les exigences se multiplient, qu'il s'agisse de l'extension d'un hôtel, de l'installation d'une pissotière sur un circuit automobile existant depuis vingt ans dans le Beaujolais, etc. Si nous surveillons la situation, les procédures UTN sont encore trop souvent utilisées pour contraindre à la révision d'un POS. En effet, lorsqu'un dossier reçoit un agrément au titre des UTN, il convient en effet de réviser le POS afin de permettre à la procédure de s'appliquer.

J'aimerais aborder d'autres points qui ne relèvent pas de l'application de loi Montagne mais qui peuvent être des freins au développement du tourisme.

Un des principaux handicaps de la montagne est qu'elle est perçue comme étant une destination onéreuse, où chaque prestation est chèrement monnayée. Il est donc très important d'afficher du « non marchand ». Aujourd'hui, la carte d'hôte amène une très bonne réponse à cette préoccupation. Il me paraît important de sécuriser, sur le plan juridique, la carte d'hôte, qui permet aux touristes de recevoir des avantages en contrepartie du paiement d'une taxe de séjour. Cependant, des habitants de stations contestent les avantages offerts aux touristes, au moyen de la carte d'hôte. Les habitants de Chamonix, par exemple, ne comprennent pas que les touristes ne paient pas le bus alors que les résidents permanents, qui ne s'acquittent pas de la taxe, doivent payer leur titre de transport. Ces réactions sont des freins importants au développement de la carte d'hôte. Ce problème se pose aussi sur le littoral. Il faudrait donc remédier à la grande insécurité juridique qui existe pour améliorer la situation en ce domaine

Je terminerai par la question relative à la communication sur la sécurité en montagne. Je partirai d'un exemple. En Suisse, chaque année 800 personnes perdent la vie sur les routes (soit l'équivalent d'environ 6 000 morts en France, en proportion de notre population) et cette question attire le plus vif intérêt des pouvoirs publics, qui souhaitent que le nombre de morts diminue. Alors que 400 personnes par an perdent aussi la vie dans les montagnes suisses, aucune mesure n'est prise car les accidents sont considérés comme étant la conséquence d'un risque voulu. En France, environ 120 personnes par an trouvent la mort en montagne, en été ou en hiver, la moitié trouvant la mort au cours de randonnées, par crise cardiaque le plus souvent. Le nombre de morts sur le domaine skiable se limite à quelques unités par an. Cependant, ce type d'activité sportive est le mieux instrumenté, en matière de sécurité. Je pense que cette situation est de nature à produire quelques effets négatifs, notamment en matière d'attractivité.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci pour cet excellent exposé, aussi complet que précis. Vous avez balayé l'ensemble des questions concernant le SEATM, ainsi que les différentes problématiques touristiques, qu'elles soient hivernales ou estivales, et portant sur l'ensemble des massifs. J'aimerais revenir sur la question des délégations de service public et voir notamment quelle suite est réservée à la loi Montagne de 1985, par la loi « Sapin » de 1993. La première loi conduit en effet à donner à la collectivité locale qu'est la commune, la maîtrise de son développement, la seconde obligeant à ouvrir à la concurrence le service de la prestation. Au moment où certains contrats arrivent à échéance, certaines collectivités s'interrogent et craignent que la maîtrise, inscrite dans la loi et voulue localement, échappe aux responsables locaux.

M. Philippe Martin - Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet, que je n'ai volontairement pas abordé puisque, dans le cadre de l'organisation précédente des services de l'Etat, une note rédigée par le directeur de cabinet de monsieur Gayssot mentionnait que ce sujet ressortait de la compétence exclusive de la direction des transports terrestres. Appartenant à la direction du Tourisme, je ne me suis pas permis d'aborder ce sujet, qui pourtant me passionne. Je pense qu'un des freins principaux à certains investissements en matière de remontées mécaniques n'est pas le manque d'argent mais la complexité qui existe actuellement au niveau des pratiques. Aujourd'hui, chaque préfet (ou sous-préfet) interprète en effet les lois Montagne et Sapin à sa propre façon. La loi Sapin étant bien ancrée dans le paysage français, je ne pense pas qu'un consensus visant à la remettre en cause se dégage. De mon point de vue, il n'est pas question, lors de l'arrivée à terme d'une délégation de service public, de remettre en cause le principe de la mise en compétition qui précède le renouvellement de la délégation. Certaines situations sont cependant problématiques et notamment lorsqu'un investissement important, qui n'a aucune chance d'être amorti avant la fin de la délégation de service public, doit être réalisé sur un domaine skiable. Je me sens très en phase avec le délégué général du SNTF, mais je pense que le SNTF devrait moins souvent recourir aux termes de « prolongation de délégation de service public », alors que d'autres solutions pourraient être utilisées dans les avenants. Si le contenu de la délégation de service public et les obligations des délégataires sont modifiés, il est logique qu'une contrepartie soit prévue à l'intérieur du contrat.

Le cas de figure le plus grave est celui des investissements intervenant en cours de délégation et rendus nécessaires notamment pour des raisons d'évolution des attentes de la clientèle, et pour lesquels la rédaction des avenants pose des problèmes redoutables. En 2000, un travail a été réalisé avec l'AMSFSHE et le SNTF. Quoi qu'il en soit, ce sujet ne passionne pas les foules au niveau de la direction des transports terrestres. Ce sujet est assimilé à un problème de transport et est considéré à travers la lunette des transports urbains ou régionaux, alors que la problématique est assez différente. Il ne faut pas perdre de vue que l'industrie du ski doit, chaque année, réinvestir 25 % du chiffre d'affaires réalisé pour renouveler les équipements, et que les conventions en application de la loi Montagne ne concernent pas que les remontées mécaniques. En matière d'hébergement, la préoccupation des services de l'Etat quant la cohabitation des lois Montagne et Sapin risque de générer des dérives, à défaut d'une unité au niveau des services centraux de l'Etat. Aussi, je souhaite que les associations d'élus reprennent l'initiative dans ce domaine, afin que nous puissions faire valider, par la direction générale des collectivités locales (DGCL), une sorte de guide technique, contenant quelques exemples d'avenants, pour les principaux cas de figure. Nous ne devons pas nous laisser polluer par des cas d'école, comme celui de Corrençon par exemple, qui passionnent les juristes mais qui ne présentent pas d'enjeux autres que locaux. Les enjeux les plus importants portent sur les très grandes stations pour lesquelles nous devons trouver des solutions juridiques qui soient acceptables par les investisseurs. Nous sommes dans un cas de figure qui est totalement différent de celui des autres délégations de service public, car il n'existe pas de conflit chronique entre les autorités organisatrices et délégataires, qui sont engagées dans le même combat.

M. le Rapporteur - Merci monsieur le Directeur. Nous recevrons avec beaucoup d'intérêt les notes écrites que vous pourrez nous communiquer. D'ores et déjà, vos commentaires nous sont très précieux.

12. Audition de MM. André Marcon, président de l'Union des chambres de commerce et d'industrie du Massif central, président de la Chambre régionale de commerce et d'industrie Auvergne, premier vice-président de l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACFCI) et Marc Gastambide, directeur général adjoint de l'ACFCI (15 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Bienvenue au Sénat et merci de votre présence. Vous allez pouvoir apporter des réponses aux attentes exprimées par la mission d'information sur la montagne. Je vous présente les excuses du Président de notre mission, Jacques Blanc, sénateur de Lozère, qui est retenu à l'étranger. Les sénateurs présents, et ceux du Massif central notamment, sont heureux d'accueillir le Président de l'Union des chambres de commerce et d'industrie du Massif central, qui est un massif important.

Notre mission, créée en février dernier, doit rendre ses travaux en octobre. Vous voyez que nous nous sommes accordé un laps de temps assez court, pour mener à bien notre étude comprenant à la fois le bilan d'application de la loi Montagne et celui des dispositions intervenues, sur le plan européen, depuis son adoption. Nous souhaitons aussi esquisser des correctifs, des améliorations, et des simplifications que nous pourrions proposer au nouveau Gouvernement et au futur législateur que sera l'Assemblée Nationale, prochainement élue.

Nous envisageons de travailler sur trois thèmes :

- l'économie ;

- l'environnement et la protection de la nature ;

- l'aménagement.

M. André Marcon - Je suis Président de l'Union des chambres de commerce et d'industrie du Massif central qui regroupe 26 chambres sur 17 départements et 5 régions de programme. Je suis aussi vice-président de l'Association Interconsulaire du Massif central. Je m'exprimerai donc au titre des socioprofessionnels et à celui des CCI, au regard des leurs travaux en matière d'aménagement du territoire. Je suis un « rural des hauteurs », qui vit à 1 130 mètres d'altitude et maire d'une commune de 200 habitants, appelée Saint Bonnet le Froid. Je vous présente Marc Gastambide, qui est directeur général adjoint à l'ACFCI, à Paris, et qui a la charge des réseaux et de l'appui aux entreprises. Il a également été commissaire à l'aménagement du Massif central. Il possède à ce titre, une bonne expérience de la question qui nous intéresse.

J'essayerai d'être rapide et assez synthétique puisque je sais que les contributions que vous avez sur le sujet sont nombreuses. Je reprendrai les questions que vous avez posées, en m'attardant plus sur certaines d'entre elles et en les réorganisant différemment. Nous pourrions parler du bilan de la politique française de la montagne, des forces et des faiblesses de l'économie montagnarde, et du haut débit, sujet sur lequel j'ai rédigé un rapport dans le cadre du Conseil économique et social (CES). Je vous ferai aussi des propositions qui doivent être considérées sous un angle global, ainsi que des propositions qui prendront la forme de petits éclairages sur les mesures qui devraient pouvoir être proposées

Premièrement, je regrette que la loi Montagne apparaisse comme un catalogue de bonnes intentions et qu'elle ne dépasse pas ce stade. Nous pouvons nous en rendre compte en regardant, par exemple, la faiblesse des moyens dédiés. En effet, les outils financiers ne sont pas assez pertinents pour permettre la mise en oeuvre de ces bonnes intentions. Nous constatons, par ailleurs, que la loi Montagne avait la volonté de réussir une péréquation entre les territoires de notre pays, au profit des territoires et des populations de montagne. Cependant, cette péréquation n'a pas eu le succès escompté.

Malgré tout, la loi Montagne a eu certains effets positifs. Elle a permis de redonner de la fierté aux personnes résidant en montagne, ce qui est une avancée remarquable. Elle a aussi permis d'instaurer un dialogue entre les socioprofessionnels. Le plan Massif central, qui était un plan pour gommer les handicaps, n'avait pas eu cette vocation. De ce fait, nous avons, au niveau du Massif central, un excellent dialogue entre l'ensemble des structures consulaires et assistons à l'établissement de projets communs.

Cette loi a aussi permis la mise en place d'inter-régionalités, exercice difficile survenant après une dizaine d'années de décentralisation. La loi a permis d'afficher les richesses et les initiatives, non plus considérées sur le plan individuel, mais en les rassemblant et en leur donnant un effet de masse. La culture et la pratique du partenariat ont permis l'accès aux politiques européennes. Au regard des propositions de partenariat qu'il a formulées dans le cadre d' « interreg », le Massif central est très en avance. Elles ouvriront, en 2006, des perspectives intéressantes, lorsque les fonds traditionnels européens vont s'épuiser.

Le dernier point positif est la création de l'outil « comité de massif » qui a réellement dynamisé la politique conduite au niveau du commissariat à l'aménagement du Massif central. Dans cet ensemble de faiblesses et d'atouts, les CCI et les corps consulaires se sont plutôt bien retrouvés et les élus ont eu à coeur de faire des propositions. Nous avons acquis, depuis une quinzaine d'années maintenant, une culture de la proposition du projet. A cet égard, la loi Montagne a été tout à fait positive.

Je passerai rapidement sur les forces et les faiblesse de l'économie montagnarde et ne rappellerai pas un certain nombre de poncifs que vous connaissez déjà très bien. Je citerai une phrase de Gandhi qui disait que « de la pauvreté naît le génie ». En effet, la pauvreté des territoires ruraux leur a permis de développer leur imagination. La force de l'économie montagnarde est d'abord liée à la solidarité des populations, qui travaillent beaucoup plus ensemble qu'ailleurs. La qualité des hommes, des espaces, et du patrimoine est un autre aspect.

Je suis assez sensible à la communauté d'appréhension des problèmes. Les territoires, et notamment les régions, ne raisonnent pas toujours en ces termes. Nous avons réussi à créer, du côté des socioprofessionnels, une communauté d'appréhension des problèmes, chez les habitants du Massif central. Cette communauté d'esprit ne concerne pas la résolution de problèmes localisés. Cependant, l'appréhension des problèmes peut être globalisée. En effet, elle est la même dans l'Aveyron, dans l'Allier, en Haute-Loire, ou en Corrèze. Il faut donc apprendre à appréhender les problèmes liés à la faible démographie, aux grands espaces, et à la dispersion des équipements.

Les territoires de montagne sont marqués par la qualité de l'environnement et la grandeur de l'espace. Concernant ce dernier point, nous nous situons en effet dans des échelles très particulières, beaucoup plus vastes que celles pouvant être rencontrées à Paris, où posséder quelques mètres carrés est synonyme d'espace.

La première faiblesse de l'économie montagnarde est l'accessibilité. Nous devons aussi souligner la faiblesse des services, aux personnes ou aux entreprises. Une autre faiblesse tient à la démographie qui est encore dans une phase stagnante. Nous voyons enfin que les espaces de montagne créent deux sensations. La première est une sensation de désert, qui se traduit par un sentiment de solitude et un manque de communauté. Il existe, en effet, dans l'esprit de l'homme, une certaine réticence à vivre dans le désert. Deuxièmement, il existe aussi une perte de confiance des populations dans le devenir de leur pays. Le plus gros frein au développement de l'économie montagnarde est ce manque de confiance, ressenti par ceux qui n'ont pas quitté la montagne, au moment où les villes ont attiré de nombreux habitants des montagnes. Nous devons donc redonner de la fierté à ces populations, afin de revaloriser les territoires.

Je m'attarderai davantage sur les technologies de l'information et de la communication, qui sont un enjeu capital, pour nos montagnes comme pour le reste du territoire. L'année dernière, j'ai remis un rapport relatif à la desserte des territoires en téléphonie mobile et en haut débit. Il a eu l'avantage de guider les décisions qui ont été prises au niveau du Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) de Limoges, en juillet 2001. Je vous annonce que je fais un avis de suite de ce rapport, pour le compte du CES.

En reprenant les idées fortes du rapport, nous devons admettre que le marché ne règlera jamais l'équipement du territoire au regard des technologies. En effet, le marché n'est pas fait peut-être pour cela. En conséquence, nous ne pouvons pas lui demander de le faire. En outre, je considère que, concernant ces technologies qui sont relativement compliquées, l'Etat n'a pas suffisamment joué son rôle de chef d'orchestre, d'anticipateur, et de gardien, en charge de l'unicité de nos territoires. Je considère enfin que nous avons laissé partir beaucoup trop de coûts dispersés en nous basant sur l'économie de marché, dont je suis, par ailleurs, un fervent défenseur. Pour moi, l'économie de marché ne fonctionne jamais aussi bien que lorsque les règles du jeu sont clairement établies. Je ne pense pas que la Suède, le Canada, les Etats-Unis, ou l'Angleterre soient des pays où l'économie soit spécialement dirigiste. Or dans ce domaine, ces pays ont été plus dirigistes que nous ne le sommes et les opérateurs s'en portent très bien.

La deuxième constatation de fond est la suivante. Nous avons demandé au marché de résoudre ce problème en confondant les infrastructures et les usages. S'agissant des infrastructures, la priorité est que tout le monde soit correctement équipé, afin de pouvoir communiquer. Je vous rappelle l'installation du téléphone en 1974. Dans mon village, nous n'avions pas l'automatique et il fallait attendre deux à trois mois avant d'avoir une installation téléphonique. En quelques années, le plan Téléphone a entraîné le développement de l'usage du téléphone. Cet usage s'est considérablement développé, pour devenir une source de profit très important pour l'Etat. Au regard des nouvelles technologies, la situation est à peu près similaire. Cependant, nous aussi avons demandé au marché de régler la question des infrastructures. Aujourd'hui, nous avons, dans les grandes villes, des infrastructures pléthoriques. Dans le réseau secondaire, les infrastructures sont présentes mais moins nombreuses. Sur ce plan, France Télécom est relativement bien présent. Mais lorsque nous nous situons en dehors de ces réseaux (en matière de chevelu), la situation est plus chaotique et chaque opérateur a tendance à équiper les zones où il existe un fort usage.

Le CIADT a décidé de mesures courageuses. Il a notamment opté pour la mutualisation des pylônes, pour le GSM. Cette mesure semble tout à fait normale. Dans ce cadre, la participation est tripartite, à parts égales entre l'Etat, les opérateurs, et les collectivités. Le problème est que le CIADT s'est tenu le 9 juillet 2001 et que tous les décrets d'application ne sont pas encore sortis. Pour le moment, nous nous trouvons donc en présence d'une simple déclaration de bonnes intentions qui n'a pas encore produit d'effets. Cette situation se traduit par des conséquences pernicieuses. Toute couverture, en termes de GSM est, par exemple, stoppée sur le pays, dans la mesure où les opérateurs attendent que des études soient effectuées par les départements, avant de poser de nouveaux pylônes. Seul Bouygues Télécom pose de nouveaux pylônes, étant donné qu'il avait un retard à combler.

Dans le prochain rapport, nous allons souligner le fait que nous continuons à prendre du retard, alors que ce domaine nécessite d'agir très rapidement. En outre, nous allons souligner la nécessité pour l'Etat de mettre en place des moyens dédiés. Ces moyens ne sont pas colossaux. D'après nos estimations, l'équipement en fibres optiques de toutes les communes de France, qui permettrait de faire le chevelu, représente 10,67 milliards d'euros. Nous pouvons considérer que 3,81 milliards sont déjà investis. Dans ce cas, il me semble que la somme restante (environ 7,62 milliards) n'est pas une somme si importante, pour un pays comme la France. Je vous rappelle, en effet, que, pour la vente des licences UMTS, 3,96 milliards ont été réclamés à chaque opérateur. Si nous comparons les sommes à investir aux recettes dégagées, la somme finale apparaît raisonnable.

Dans le domaine des nouvelles technologies, nous considérons que les territoires ruraux, et notamment les territoires de montagne, doivent exiger la couverture. S'ils ont souvent manqué, en termes d'accessibilité, les grands enjeux des infrastructures autoroutières, de train, ou d'avion, ils ne peuvent plus se permettre de manquer l'ouverture représentée par les hautes technologies de l'information et de la communication.

Au risque d'être un peu iconoclaste, je pense qu'il ne faut pas écouter le discours de France Télécom, qui obéit à une logique d'entreprise, qui est respectable mais dont nous devons nous méfier. Cette entreprise est en train d'équiper le territoire de fibres optiques, son intérêt étant de louer la fibre optique le plus cher possible aux utilisateurs potentiels. Du point de vue de l'entreprise, ce raisonnement est très logique. Par ailleurs, pour que la concurrence n'arrive pas trop vite, France Télécom laisse un peu « traîner » ses affaires, de façon à prendre le temps d'équiper le territoire. De toute façon, France Télécom n'est pas dans une situation financière exceptionnelle, lui permettant d'aller beaucoup plus vite. Le fait que France Télécom soit la seule entreprise qui pourra équiper le territoire en fibres optiques pose le problème de la mise en place du réseau intermédiaire. Je suis un peu circonspect quant à l'installation de la fibre noire par les collectivités locales. En effet, outre l'installation, la fibre noire nécessite d'être activée et entretenue. Dans certains cas, l'usage ne permet pas d'envisager l'installation de la fibre noire sous l'angle de la rentabilité.

Nous insistons aussi beaucoup pour que les territoires utilisent les nouvelles technologies qui vont permettre de résoudre le problème le plus important qui est celui du chevelu. Ces technologies doivent être utilisées jusque dans les plus petits villages ruraux. Grâce à ces technologies, qui ne coûtent rien du tout, nous allons pouvoir « décomplexer » le débat et nous attacher à la sécurité du transport sur le réseau intermédiaire, afin d'arriver dans toutes les communes de France. C'est à cette seule condition que les gens pourront rester dans les territoires de montagne et que d'autres pourront venir s'y installer.

Je pense que l'impact des nouvelles technologies est considérable et produira, dans les années à venir, un impact sur nos comportements, qui sera bien supérieur à celui provoqué par l'arrivée de l'automobile. Dans le rapport, nous avions mentionné qu'il fallait, d'ici à 2005, arriver à 2 mégabits. Si nous pensions avoir placé la barre un peu haut, force est de constater que la Suède est aujourd'hui équipée d'un gigabit dans tous ses foyers. En termes d'usage, nous voyons que les Suédois utilisent complètement ces nouveaux outils, et ce suite à de nombreuses mesures incitatives. Sur le Massif central, nous lançons une opération « Cyber massif » qui va permettre la « culturation » de toutes les entreprises.

Je ferai deux types de proposition. Je tiens d'abord à souligner que l'accessibilité des territoires de montagne et des territoires ruraux reste la question primordiale. Sur ce point, nous ne devons pas écouter les discours parisiens qui estiment que le nombre d'autoroutes est suffisant. Cela n'est pas vrai et du travail reste à accomplir sur le territoire, en routes, en trains, et en avions. Deuxièmement, je pense que pour être efficace, la politique de la montagne doit être une politique de valeur ajoutée. A l'heure où les nouveaux systèmes et les nouvelles organisations territoriales se mettent en place, les actions engagées au niveau de la montagne doivent amener de la valeur ajoutée aux mesures prises par les départements et les régions.

Pour moi, la mise en place des comités de massif, par la loi Montagne, est une excellente idée. Certains comités fonctionnant mieux que d'autres, je prendrai l'exemple d'un comité qui fonctionne bien, à savoir celui du Massif central. Le comité de massif a été prévu comme une instance devant permettre à tous de débattre des problèmes de développement du massif. Petit à petit, il est devenu un outil davantage opérationnel. En effet, les socioprofessionnels ont pris une place importante au sein de ces comités et font de nombreuses propositions systématiques de développement. Grâce à la contractualisation, l'Etat, qui prend en compte les orientations dégagées au sein des comités de massif, a amené un certain nombre de remèdes aux maux dénoncés et a permis la mise en place de certaines procédures. Pour moi, le mouvement devrait être accéléré du côté des comités de massif. Je considère que les collectivités territoriales locales doivent réinvestir les comités, dans lesquels elles ne sont pas assez présentes. Seul l'investissement des collectivités locales permettra de dégager la valeur ajoutée mentionnée. En effet, les opérations proposées par les seuls socioprofessionnels ne permettraient pas d'atteindre une qualité de travail optimale. Nous devrions également simplifier le système, afin qu'il soit encore davantage opérationnel. Nous l'avons bien vu avec les conventions de Massif qui ont été mises en place parce que le Massif central avait exigé une convention spécifique, qui, par la suite, a été étendue à tous les massifs. Maintenant, nous devons faire des comités de massif, à condition que les régions et les départements remplissent bien leurs rôles, une véritable instance prospective de développement des territoires montagnards. Ces territoires doivent être envisagés comme des territoires d'avenir. En effet, il convient de ne plus penser en termes de handicaps, mais en termes de territoires du futur, qui sont des territoires sécurisés qui donnent envie à la population d'y venir ou d'y revenir.

Le système doit parallèlement être simplifié. Le commissariat, qui appartient à la DATAR, doit devenir totalement l'animateur du Massif central. Il doit être le centre de compétences du Massif central. Nous devons aussi gérer les problèmes financiers qui sont insolubles dans ce type de massif. Dans cette hypothèse, je préconise la mise en place de SGAIR (secrétariat général aux affaires interrégionales), qui devrait permettre de simplifier la gestion des affaires, qui porte sur des enveloppes très petites et très étroites.

Je terminerai par des propositions moins générales et plus ponctuelles. Premièrement, il est important que le phénomène Montagne, qui a été pris en compte en France, ait une reconnaissance au niveau européen. Deuxièmement, nous devons aussi travailler sur la simplification des procédures mises en place dans le cadre des massifs. La loi Montagne n'étant intervenue qu'au début de la décentralisation, les habitudes n'étaient pas encore prises, à cette époque. Cette situation s'est traduite par le développement de jurisprudences totalement différentes d'une région à l'autre. Nous devons aussi travailler sur des aides spécifiques à la localisation, les massifs ne pouvant survivre que dans un contexte engendrant de l'activité économique. Il faut donc inciter les gens à développer l'économie dans ces régions. Les massifs devraient aussi se préoccuper de contribuer à l'harmonie des grands équipements d'accessibilité. Si les régions et les départements sont soucieux de ces sujets, il est regrettable que ces préoccupations ne se recoupent pas davantage. Une plus grande harmonie devrait donc permettre de dégager de la valeur ajoutée. La convention Massif central l'a bien montré, avec ses 114,337 millions d'euros, dont 8,385 millions sont spécifiques au domaine routier.

Nous souhaitons aussi mettre en place un véritable SMIC, pour les petits commerçants. Si nous voulons attirer des habitants dans les régions montagneuses, celles-ci doivent compter un certain nombre de petits commerçants. S'il est normal d'aider les agriculteurs pour qu'ils restent au pays, dans la mesure où ils participent à l'entretien du paysage, il devrait en être de même pour les commerçants. Les revenus de ces professions indépendantes devraient être complétés, avec un contrôle des centres de gestion, pour que ces personnes puissent continuer à exercer leurs métiers sur nos territoires. Cela éviterait la fermeture de nombreuses échoppes et d'augmenter le nombre de chômeurs. Dans ces régions vastes et faiblement peuplées, la diffusion de la presse est une autre difficulté.

Nous devons aussi mettre en place une politique très volontariste, dans le cadre de l'accueil des jeunes actifs. En effet, les régions de montagne ne pourront se développer que si nous offrons la possibilité aux jeunes arrivants d'y rester.

Le dernier point concerne l'aspect touristique. Pour répondre à la question de l'avenir du tourisme dans le Massif central, je citerai la grande étude IPK, dont le Président fondateur est un des acteurs incontournables du tourisme mondial. Selon lui, l'avenir est aux territoires ruraux de moyenne montagne. En effet, ces territoires présentent des valeurs de qualité, d'authenticité, de terroir, qui sont les valeurs qui seront les plus demandées par les populations, dans les vingt prochaines années. Au regard de cet accueil, notre territoire donne l'impression d'un désert et n'est pas organisé. Nous avons privilégié l'hébergement locatif de type social. De ce point de vue, nos populations les plus pauvres ont permis que des populations encore plus pauvres viennent en vacances. Mais dans la pratique, cette démarche doit relever de la solidarité nationale et ne doit pas être supportée par le Massif central. En outre, nous avons aussi perdu notre tourisme marchand de qualité, qui est créateur de richesse. Comme l'a fait l'Ecosse, par exemple, nous devons affirmer l'importance d'investir dans ce type de tourisme, qui est générateur d'emplois et d'activités.

Nous devons aussi travailler sur l'aide à la pierre, tellement les investissements sont lourds. Pour avoir créé trois hôtels et en avoir repris deux autres, je peux vous affirmer que les aides sont nécessaires, d'autant plus qu'elles permettent souvent d'obtenir de bons résultats.

Le problème du logement des saisonniers doit aussi être pris en compte. Il convient aussi de conférer au personnel saisonnier de réels statuts, afin de donner de la souplesse au système, et de permettre à ces personnes de passer d'un métier à l'autre, en conservant une couverture effective. Enfin, nous devons travailler sur l'aide à la production, pour la mise en marché. En effet, nous devons passer d'une économie de cueillette à une économie de production ( package , forfaitisation). Dans ce dessein, nous devons favoriser la professionnalisation et l'émergence de nouveaux marchés. Au niveau du Massif central, nous travaillons dans cette direction depuis 1992, grâce au comité de massif. Tous les deux ans, nous favorisons l'arrivée de 100 opérateurs du monde entier sur le Massif central et ses produits spécifiques.

Actuellement, nous avons trop d'opérateurs et nous manquons d'offreurs et de propositions.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci pour cet exposé, riche et complet. Il a retenu toute notre attention, qu'il s'agisse des questions relatives au Massif central ou des questions plus générales portant sur la montagne et les régions rurales. Je vous propose que mes collègues vous posent à présent leurs questions.

M. Jean Boyer - Dans votre discours, vous avez souligné la nécessaire évolution d'un état d'esprit. Comme vous l'avez dit, il est important de ne pas se résigner et d'avoir envie d'entreprendre. Cet état d'esprit est d'autant plus important dans les zones de montagne et dans la politique des massifs. Aujourd'hui, les massifs ont encore peut-être une politique trop passive. Concernant la politique de la montagne, nous pouvons considérer que cette politique n'est pas assez offensive et manque d'esprit d'initiative.

J'ajouterai à votre présentation que nous devons aussi prendre en compte des réalités économiques et réglementaires. Dans le monde rural, l'implantation des abattoirs, par exemple, se faisait dans les lieux de production et d'élevage. Aujourd'hui, un audit national a été fait dans ce domaine. Ses principales conclusions montrent que, pour des raisons économiques et de pratique, il serait préférable d'implanter les abattoirs dans les lieux de consommation. A proximité de Lyon, par exemple, le projet d'implantation d'un abattoir (en Haute-Loire) suscite beaucoup de réflexions.

En outre, les zones de montagne doivent prendre en compte les dispositions de la réglementation européenne. En matière d'agroalimentaire et d'élevage de volailles notamment, il faut savoir que certains élevages sont remis en cause, au regard des délais de transports arrêtés. En effet, la stricte application de la législation européenne et le respect des délais de transport entre les lieux de production et d'abattage conduisent à remettre en cause l'existence de certains élevages de volailles, qui sont implantés à plus de deux heures des abattoirs. Nous voyons que ce contexte réglementaire et économique est pénalisant. Même si nous avons la volonté d'entreprendre et de ne pas nous résigner, nous nous interrogeons sur l'attitude à adopter.

M. André Marcon - Je suis d'accord avec vous. Cependant, le discours consistant à mettre en avant notre pauvreté et le fait que personne ne prenne en compte notre situation n'est plus porteur. Aujourd'hui, le problème doit être pris dans l'autre sens et les agriculteurs et les transformateurs doivent se prendre en main et réfléchir à la manière de mettre en place une agriculture différente, basée sur la qualité. Nous devons effectivement être capables d'empêcher l'entrée, dans nos abattoirs, de marchandises qui ne correspondent pas à la qualité existant au niveau du Massif central. Ainsi, nos abattoirs seront en mesure d'offrir les meilleurs produits et la situation sera réglée par le marché. En effet, si l'abattoir de Saint Paulien est celui qui propose les meilleurs bêtes, il ne sera plus utile de se rendre à l'abattoir de Lyon. Au niveau du Massif central, les agriculteurs sont en train de se battre pour arriver à imposer une agriculture de qualité. Ainsi, le problème des abattoirs et de la volaille sera réglé. Comme en matière de tourisme, je pense que nous devons jouer la politique des niches, de la valeur ajoutée, et de la grande qualité, si nous voulons mettre en place des équipements et apparaître sur le marché avec une proposition différente.

Mme Michèle André - La situation de la filière viande et celle des ses acteurs conduisent actuellement à se poser un certain nombre de questions. Si l'on regarde la situation curieuse de l'abattoir de Clermont-Ferrand, nous nous apercevons que malgré la volonté du Conseil général de trouver une solution, nous sommes encore tiraillés entre deux options ; abattre à l'endroit où se trouvent les bêtes, ou à l'endroit où sont les clients. L'attentisme de ceux qui mènent actuellement cette réflexion et qui devraient être les premiers financeurs, est tel qu'il compromet le maintien d'un abattoir de qualité dans la région de Clermont-Ferrand. Je tenais à attirer votre attention sur ce point.

Dans votre présentation, vous avez souligné la nécessité d'une meilleure présence des collectivités locales au sein des comités de massif. Pouvez-vous nous préciser quels types de collectivités vous manquent. Toutes les collectivités ne connaîtraient-elles pas un niveau d'engagement équivalent ?

Je terminerai par une remarque. Je suis une infatigable défenderesse du travail des femmes, qui est porteur de richesses, et d'avenir. N'ayant pas été pris en compte depuis un certain nombre d'années, le travail féminin a connu un déclin qui s'est traduit par la disparition d'une population qui serait volontiers restée au pays si le travail féminin était rémunéré par un vrai salaire, et non par un salaire d'appoint ou secondaire. J'apporte une attention particulière à cette question, afin que la présence des femmes puisse permette la réouverture de services, qui pourraient être de nature à attirer les jeunes sur les territoires de montagne.

M. André Marcon - S'agissant de la place des collectivités territoriales dans le comité de massif, vous avez compris que les socioprofessionnels sont très présents et très actifs. Je vais passer la parole à Marc Gastambide, qui a été commissaire à l'aménagement du Massif central. Il vous expliquera comment il a ressenti les choses et combien, à son sens, le comité a souffert de la non-présence des hommes politiques, qu'ils soient des élus départementaux ou régionaux. En matière d'emploi, il pourra vous présenter les dispositions mises en place dans le cadre de l'accueil des jeunes actifs.

M. Marc Gastambide - Lorsque les comités de massif ont été mis en place, il a été proposé que ces comités bénéficient de moyens financiers identiques à ceux de l'Agence de l'eau. Gaston Deferre, qui a été l'un de leurs derniers concepteurs, a refusé cette mesure. Pour moi, cette décision a un sens politique très fort et exprime bien la position de nos hommes politiques, en ce qui concerne les territoires fragiles, comme le sont les territoires de montagne.

Les comités de massif ont, pendant longtemps, pris la forme de réunions conviviales, où les participants avaient plaisir à se retrouver. Les actions engagées dans le Massif central sont tout à fait originales. Premièrement, les consulaires se sont engagés très tôt, avec la création de l'UCCIMAC, du COPAMAC SIDAM, pour les chambres d'agriculture, et de l'APAMAC, pour les chambres de métiers. D'autres structures en MAC (comme Massif central) ont suivi ce mouvement, comme l'ADIMAC, qui est structure d'Etat, la SOFIMAC, qui est une structure de financement et de capital-risque, la SOMIVAl, et plus récemment l'IPAMAC, qui réunit les parcs naturels du Massif central, le GIP sur les centres de recherche du Massif central, et les pays. Dans un premier temps, ce mouvement a été l'expression des socioprofessionnels.

Par la suite, ce mouvement a été déterminant pour les élus locaux, pour qui l'engagement des socioprofessionnels a fait office de déclic. Le premier élu à s'engager après le président de la Commission permanente, le député Jean Brianne, a été le Président du Conseil général du Puy de Dôme, qui a pris un réel engagement politique interdépartemental. Le consensus qui s'est mis en place s'est aussi traduit par la convention Massif central, qui a été demandée par le Ministère de l'Aménagement du Territoire de l'époque, sur l'initiative du Massif central. Cette initiative a pu être prise grâce au comité de massif qui avait préalablement pris conscience de la nécessité de mettre en oeuvre une politique interrégionale plus forte.

Aujourd'hui, les collectivités locales s'engagent dans une démarche très nouvelle, qui repose sur un consensus d'une nouvelle nature et qui est, progressivement, en train de faire son chemin. Je pense que ce consensus s'inscrit dans une voie d'avenir. En effet, la rencontre qui est organisée, au niveau du Massif central, entre les socioprofessionnels, d'une part, et les collectivités territoriales, d'autre part, est de nature à faire naître des idées et des concepts de développement totalement inédits. Cette rencontre entre de nouveaux acteurs permet d'envisager le développement futur des massifs.

Le Massif central est un territoire de moyenne montagne qui, par rapport à la haute montagne, ressemble davantage à un territoire de piémont ou de zone rurale qu'à un territoire alpin ou pyrénéen. Ce point devait être précisé puisque l'utilisation du terme de massif renvoie la plupart du temps à l'idée de territoire alpin ou pyrénéen.

Je pense que la problématique des politiques de montagne doit s'impliquer davantage sur les aspects de développement économique au sens large, notamment à travers les TIC et l'emploi.

M. André Marcon - Pour revenir aux comités de massif, je tiens à souligner que les régions et les départements ont eu tendance à envoyer, au sein de ces instances, des « seconds couteaux ». Lorsque les interlocuteurs étaient, au contraire, des personnes de qualité, les choses se sont naturellement mieux déroulées. Il existe donc, en ce domaine, une réelle responsabilité des collectivités territoriales. J'estime qu'il appartient aux présidents des Conseils généraux et aux premiers vice-présidents des Conseils régionaux de siéger dans les comités de massif.

M. Pierre Jarlier - La situation de nos territoires ne doit pas être vécue comme une fatalité. En effet, le discours tenu par monsieur Marcon est de nature à redonner confiance aux différents acteurs implantés dans les territoires. Il est également important d'avoir des ambassadeurs de qualité, pour travailler sur la question des politiques de développement.

Vous avez parlé d'accessibilité. Sur ce sujet, je pense que l'accessibilité routière est effectivement une priorité. A côté de cela, nous savons que l'accessibilité numérique aura également un rôle majeur dans le développement des territoires de montagne. Malheureusement, le territoire du Massif central, tout comme les autres territoires de montagne, est en train de prendre un sérieux retard, que l'on peut comparer au retard qu'il a pris au sein du dispositif routier ou autoroutier. Suite au CIADT, des espoirs sont apparus, laissant supposer un fort engagement de l'Etat et des collectivités. Mais outre les investissements dégagés pour les infrastructures, une autre difficulté se pose. En effet, l'absence d'interconnexions entre les différents opérateurs laisse présager un échec assuré, puisqu'il faudrait, dans ce cas, installer autant de pylônes qu'il y a d'opérateurs. Cette situation serait aberrante. Nous savons très bien que la couverture optimale du territoire ne se fera qu'au moyen d'une interconnexion entre les opérateurs. J'aimerais connaître votre point de vue sur cette question, tout en rappelant que la couverture des territoires en installations et lignes haut-débit sera, demain, le facteur essentiel de développement des territoires reculés. J'insiste beaucoup sur ce sujet qui, pour le moment, est loin d'être réglé.

Ma deuxième question porte sur le comité de massif. L'idée de faire intervenir le SGAIR à la place ou en complément du SGAR me semble très intéressante. Nous nous rendons compte que les politiques interrégionales existent et qu'elles présentent des axes de développement transversaux (le long des axes autoroutiers, d'un bassin versant, etc.). Cependant, la réalisation de ces mesures reste extrêmement complexe. Si les acteurs locaux sont favorables à ces projets, l'absence de coordination rend la gestion de ces dossiers impossible. Même en la présence d'un préfet coordonnateur, ils sont systématiquement renvoyés aux préfets des différentes régions concernés. Ensuite, une fois que les programmes sont contractualisés, chaque dossier de demande de subvention est traité selon le même schéma, qui nécessite d'attendre la réponse au projet et l'avis du préfet pendant plusieurs mois, alors que les projets devraient être traités rapidement, puisqu'ils sont basés sur des considérations d'opportunité.

Dans ce contexte, le comité de massif ne pourrait-il pas avoir un rôle de coordinateur, assimilable à celui d'un SGER, de façon à simplifier les procédures et impulser les programmes régionaux qui sont de plus en plus nombreux. Par ailleurs, je me demande si les comités ne devraient pas bénéficier d'une animation plus forte, et d'une relation encore plus proche avec les commissaires de massif, en renforçant les commissariats de massif. De cette façon, des acteurs plus proches du terrain pourraient impulser, plus efficacement, les politiques de massif.

M. André Marcon - J'abonde complètement dans votre sens. Nous devons simplifier le système et mettre en exergue le rôle d'animation devant être tenu par le commissariat ou par le comité de massif. Nous devons à tout prix dissocier l'outil financer, qui doit être propre, de l'animation. Je suis d'accord avec votre analyse et notamment sur le renforcement du rôle du commissariat.

Je reviendrai rapidement sur la question du haut débit. En matière de téléphonie mobile, la priorité porte sur le GSM, qui est un outil de sécurité et dont toutes les populations ont l'usage. En ce domaine, les trois opérateurs doivent être d'accord pour s'installer sur le même pylône. Je regrette que nous ayons abandonné le roaming , qui permettait, là où il n'existait pas assez de pylônes partagés, de passer d'un opérateur à l'autre, sans que la communication soit coupée. Dans ce domaine, je pense les opérateurs n'ont pas souhaité envisager cette possibilité, qui sur le plan technique était réalisable. Il faut savoir que les opérateurs ne sont pas intéressés pour faire passer de la voix et préfèrent faire passer des services. Il est à regretter que l'Etat, qui avait la possibilité d'imposer le roaming , n'ait pas usé de cette prérogative.

S'agissant du filaire, il est important que les territoires de montagne soient correctement raccordés, étant donné que l'UMTS n'est pas près d'arriver sur ces territoires. Dans ce domaine, la mutualisation est nécessaire et les différents protocoles doivent être coordonnés. En effet, il est inutile que France Télécom pose de la fibre optique avec ses propres protocoles, pendant que d'autres opérateurs posent de la fibre en fonction d'autres protocoles. Nous avons vu les difficultés engendrées par la présence des différents protocoles en matière d'ADSL. Les autocommutateurs de France Télécom ne pouvaient pas être équipés en fonction des besoins des autres opérateurs. Il a donc fallu construire de petites cabanes, pour les autres opérateurs, à côte des premiers autocommutateurs. L'Etat doit donc véritablement jouer son rôle de chef d'orchestre. Il a, en effet, le devoir d'organiser le système pour que tout se passe bien.

M. Marc Gastambide - Je pense que le commissaire de massif devrait être désigné à la fois par le Président de la commission permanente du comité de massif et par le préfet coordinateur du massif.

M. Pierre Jarlier - Nous devons effectivement aller dans le sens d'une plus grande coordination.

Nous vous remercions tous deux de votre contribution. Elle se révèle être un témoignage très précieux.

13. Audition de MM. Claude Falip, responsable du dossier de la montagne des « Jeunes Agriculteurs », Michel Lacoste et Yannick Fialip (22 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Messieurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat, et je vous remercie d'avoir fait le déplacement pour un échange de vues et d'informations qui nous seront précieuses dans le cadre de la mission sénatoriale d'information sur la politique de la montagne. Je vous prie d'excuser le Président Jacques Blanc, qui nous rejoindra dans quelques minutes. Je souhaite vous présenter deux membres de notre Mission, Monsieur Cazalet, sénateur des Pyrénées Atlantiques, et Monsieur EMIN, sénateur de l'Ain.

M. Claude Falip - Je vous remercie de nous accueillir au Sénat, pour étudier cette problématique de la montagne. Je suis responsable du dossier Montagne pour le CNJA. Je vis dans l'Aveyron, j'ai 35 ans, et je travaille sur une exploitation de 50 hectares, en collaboration avec deux associés. J'appartiens au CNJA, devenu « Jeunes Agriculteurs » depuis 1996. Depuis quatre ans, je suis responsable du dossier Montagne ; j'ai connu plusieurs crises, en particulier sur la problématique des Indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN).

M. Michel Lacoste - Je m'appelle Michel Lacoste, et je suis agriculteur dans le Cantal.

M. Yannick Fialip - Je m'appelle Yannick Fialip, je suis agriculteur en Haute-Loire. Je suis administrateur au CNJA depuis deux ans. J'ai une exploitation agricole, en Groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) avec mon père, dans les domaines des productions laitière et ovine.

M. Claude Falip - Vous nous avez transmis une grille de questions. Concernant la première question qui nous a été posée, relative au profil de l'agriculture de montagne de demain, je pense que nous devons parler des volumes de production en montagne. Je pense que l'agriculture de montagne, au travers de la gestion du territoire, doit avoir cet acte de production. Les agriculteurs de montagne sont des acteurs économiques, et doivent conserver cet acte de production, pour avoir une dimension économique tant au niveau des exploitations que des outils de transformation.

Je crois que nous devons travailler sur la valorisation de la production. Nous devons en effet trouver des solutions pour adapter les exploitations et les industries agroalimentaires par rapport au relief et à la distance.

M. Michel Lacoste - Nous remarquons que l'installation en zone de montagne résiste mieux qu'ailleurs face à la baisse générale du nombre d'installations. La situation n'est pas parfaite, dans la mesure où le nombre d'exploitations diminue en montagne. Cependant, nous observons un meilleur taux de réussite du renouvellement des générations dans les zones de montagne.

Concernant le système actuel, il est vrai que de nombreuses personnes le contestent. Quant à nous, nous sommes attachés au maintien des niveaux de formation et de fiabilité, nous permettant de vérifier le niveau de compétences des jeunes qui s'installent, ainsi que leurs dossiers. De tels choix portent en effet sur de nombreuses années et supposent des investissements lourds. Par conséquent, les jeunes doivent s'installer dans des conditions viables, avec un niveau de formation suffisant. Nous estimons en revanche que des améliorations pourraient être apportées sur les dispositifs d'accompagnement, en particulier pour les prêts bonifiés. En outre, nous pensons que ces améliorations doivent concerner les mesures de transmission.

Plus que l'accompagnement du jeune, nous croyons qu'il faut orienter les moyens de production qui sont libérés par des agriculteurs n'ayant pas de successeurs vers les jeunes. Peut-être faudrait-il mettre en place une agriculture spécifique pour la zone de montagne. En effet, le métier de l'agriculture en zone de montagne est plus dangereux qu'ailleurs, et plus exigeant d'un point de vue physique. Par rapport à cela, nous pourrions justifier des mesures spécifiques pour accompagner les agriculteurs des zones de montagne partant en retraite, et lier ces mesures au fait que ces agriculteurs cèdent leur exploitation à un jeune.

Concernant les démarches de filière, nous remarquons que l'agriculture se libéralise de manière de plus en plus forte. Les organisations communes de marché sont de plus en plus affaiblies. Nous souhaiterions donc que l'agriculture puisse vivre par son adaptation au marché. A ce titre, nous pensons que l'agriculture de montagne peut faire valoir de nombreux atouts, par les démarches qualité qu'elle peut mettre en avant. L'air, le territoire de la montagne, l'environnement et les races et les produits spécifiques en font bien évidemment partie. Certaines productions ont déjà été développées sous le signe de la qualité, les AOC et les labels rouges notamment. La démarche biologique se développe également, tout comme l'appellation Montagne. Celle-ci a été actée le 15 décembre 2000, et se met en place petit à petit. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas en donner les premiers résultats, mais cette démarche est très avancée concernant le porc de montagne. Celui-ci apporte une réelle plus-value, mais les volumes demeurent faibles. Une réflexion est par ailleurs en cours sur le lait et la viande bovine. Par contre, si nous voulons aller plus loin, il est évident que l'agriculture de montagne a besoin d'accompagnement, notamment sur le volet de la modernisation des exploitations.

En effet, il existe certes les ICHN, qui ont connu un relèvement cette année. Par contre, nous connaissons des problèmes au niveau de la modernisation des exploitations et, d'une manière générale, sur l'accompagnement des filières. Nous connaissons des problèmes de coût de collecte en montagne, notamment dans la filière laitière. Il existe des surcoûts, par rapport à d'autres zones, qui ne sont pas pris en compte notamment au niveau des investissements économiques de la filière. Par ailleurs, la confection de produits de qualité suppose des ateliers de moindre capacité. Logiquement, nous ne pourrons donc pas réaliser des économies d'échelle, et nous avons enfin tout intérêt à accompagner l'investissement de petites PME dans les zones de montagne ; cela permettra de développer de la valeur ajoutée au niveau des petites exploitations, maintenir celles-ci et, de manière générale, maintenir de l'emploi dans les zones de montagne. Tel est notre objectif principal.

On parle beaucoup du deuxième pilier de la PAC ; je pense que celui-ci pourrait prendre en compte des mesures d'accompagnement de la démarche qualité, ou encore des mesures d'investissement. Aujourd'hui, nous ne savons pas quels sont nos interlocuteurs au niveau communautaire. Nous aimerions connaître ces personnes pour savoir comment nous pouvons construire des mesures d'aide à l'investissement, pour les exploitations agricoles et pour la filière dans les zones de montagne.

L'année 2002 est l'année internationale de la montagne. Nous avons prévu plusieurs actions pour mettre en avant notre agriculture. En outre, nous estimons que cet événement peut constituer une bonne occasion pour réfléchir, au niveau européen, à la manière dont nous pouvons trouver des mesures d'aide à l'investissement pour accompagner toutes les démarches de qualité. Aujourd'hui, l'une de nos principales problématiques réside dans notre volonté de bien cerner nos interlocuteurs au niveau européen. Nous estimons que la zone de montagne pourrait éventuellement être le laboratoire de la France pour l'émargement sur le deuxième pilier de la PAC. Nous attendons beaucoup de vous à ce titre.

M. Claude Falip - Ce laboratoire, que vient d'évoquer Monsieur Lacoste, revient à la conception qui prévalait dans les années 70 pour la politique de montagne. Jusqu'à présent, nous n'avons pas su faire preuve d'anticipation. Aujourd'hui, si nous voulons que des jeunes restent sur les exploitations, si nous comptons conserver les PME, nous devrons passer par le niveau européen. Nous devons donc savoir quels sont nos interlocuteurs au niveau communautaire. Nous sommes aujourd'hui tournés vers l'Europe ; ceci dit, nous devons conserver nos territoires.

Comment voyons-nous le dispositif global d'aide à l'agriculture aujourd'hui ? Dans les zones de montagne, les exploitations sont dotées de faibles surfaces. Lorsque nous parlons de primes à l'hectare, nous ne sommes que très rarement gagnants. Par ailleurs, le système de valorisation de l'herbe est insignifiant par rapport aux primes versées pour les céréales. L'herbe est quand même une partie importante de l'économie des zones de montagne. Ainsi, la montagne ne doit pas se passer de l'élevage, celui-ci permettant l'entretien de la nature et la valorisation des produits. Il faut donc trouver les outils pour répondre à cette problématique, rendue difficile en raison du relief des zones de montagne.

M. Yannick Fialip - Je souhaite tout d'abord saluer Monsieur Boyer, sénateur de la Haute-Loire, avec qui nous avons souvent l'occasion d'aborder la question des problèmes agricoles des zones de montagne.

A mes yeux, les ICHN représentent une question fondamentale. Elles sont à la base de la politique de montagne, et existent depuis 1972. Cette aide a permis à bon nombre d'exploitations de rester dans des zones de montagne, et est basée sur le triptyque hommes - produits - territoires. Ces mesures demeurent une excellente chose, essentiellement en termes d'implantation. Si nous devons réformer la PAC dans les années à venir, je pense que nous devrons nous attacher à revenir sur l'exemple de l'ICHN.

Cette ICHN a été réformée l'année dernière, ce qui n'a pas été sans poser quelques problèmes d'adaptation. Nous sommes passés de l'unité de gestion de programme (UGP) à l'hectare, avec des conditions de chargement, ce qui était nouveau. Certains agriculteurs ont été exclus de ce dispositif, et nous avons besoin de votre aide pour essayer de récupérer ces agriculteurs ; ils sont dans une zone de montagne, et ne doivent pas être exclus au motif que leur chargement est trop élevé.

En raison de la réforme que nous avons connue en 1999, avec les accords de Berlin, nous avons bénéficié d'un financement supplémentaire de la part de la Commission européenne. Nous sommes passés de 381 millions à 457 millions d'euros. Malheureusement, l'Etat français n'a pas voulu utiliser toute cette somme, ce qui est très dommageable. Avec ces réserves de trésorerie, nous aurions pu régler le cas de bon nombre d'exploitations qui ont été exclues de l'ICHN. Je crois que nous devrons nous attacher à changer cette situation et, peut-être, revaloriser cette ICHN, notamment sur les petites exploitations.

Nous avions été habitués à percevoir la totalité de l'ICHN à la fin du printemps. Aujourd'hui, en raison d'un règlement européen, le versement est reporté au 16 octobre, ce qui ne va pas sans poser des problèmes de trésorerie pour nombre d'exploitations. Il existe un co-financement français, et je crois que la France pourrait avancer une partie de l'acompte.

M. Michel Lacoste - Les exploitations étaient habituées à recevoir les ICHN à la fin du printemps. Les remboursements étaient prévus à la même période. Aujourd'hui, il existe une forte attente sur le terrain, car les agriculteurs sont très préoccupés par cette situation. Les acomptes sont remis en cause, alors que, dans le même temps, des efforts ont été faits pour les producteurs de céréales. Une mesure équivalente serait la bienvenue aujourd'hui pour les agriculteurs de montagne. Je pense que cela représente un point sur lequel les agriculteurs sont véritablement dans l'attente, même s'il ne représente pas une question structurante pour l'avenir.

M. Yannick Fialip - Nous sommes attachés aux ICHN, mais les volumes de production représentent une question plus importante. Nous nous sommes longtemps battus pour disposer de volumes de production suffisants. Même s'il est satisfaisant, nous estimons que le système des quotas laitiers devrait être revu afin que nous disposions de volumes de production plus importants. Il ne serait pas aberrant que nous demandions des volumes de production supplémentaires dans les zones de montagne. En effet, si le volume de production augmente, cela génère de l'emploi. Cela va donc au-delà de l'agriculture, et concerne l'aménagement du territoire en général. Nous pourrions ainsi conserver des populations sur nos territoires. C'est à partir du territoire que nous parviendrons à développer de la valeur ajoutée et des revenus pour les agriculteurs.

M. Claude Falip - Dans certaines zones, nous assistons à une restructuration des outils, ce qui est difficilement compréhensible : nous oublions en effet une partie des produits affiliés à un territoire. Certes, nous avons les AOC, mais les grands industriels arrivent sans avoir la volonté de valoriser les produits ou les territoires. En outre, je crois que nous devons réfléchir à la mise en place d'un circuit de production organisé en fonction des attentes des consommateurs. Je suis pour le moins effaré de constater que nous oublions les produits basiques que le consommateur cherche tous les jours, le lait pasteurisé par exemple. Nous avons aujourd'hui les outils adéquats, les coopératives par exemple. Par conséquent, il serait bon de pouvoir drainer ces initiatives afin de rapprocher le producteur du consommateur. Aujourd'hui, je crois que nous devons avoir une réflexion pour fidéliser nos clients et, pourquoi pas, développer des initiatives de distribution sur des zones comme Montpellier ou Clermont-Ferrand. Il existe un potentiel d'achat qui pourrait permettre à nombre d'exploitations de vivre et à des PME de se développer. Nous n'avons rien contre les initiatives de vente à la ferme ; seulement, nous croyons qu'il serait dommage de ne pas trouver d'autres idées.

Concernant les contrats territoriaux d'exploitation (CTE), il est évident que de nombreux agriculteurs de montagne verraient d'un mauvais oeil leur suppression. Je pourrais suggérer, afin de les valoriser, de déplafonner l'axe économique dans le cadre de la montagne. Cela peut permettre la mise en place de l'aménagement des exploitations, ou même des cours de ferme. En effet, je crois qu'en montagne, plus qu'ailleurs, nous devons faire des efforts au niveau de l'élevage. En montagne, nous préservons le territoire et l'espace, et nous ne pouvons pas considérer que nous sommes une force de nuisance ou de pollution pour l'environnement. Notre agriculture est donc bien différente de celle de l'Ouest, et nous ne pouvons pas appliquer les mêmes critères relatifs à la pollution. Malheureusement, les dérogations sont les mêmes pour tout le territoire. Nous ne sommes pas contre ces mesures ; simplement, nous devons savoir comment nous faisons pour adapter les exploitations qui, je le rappelle sont des structures plus petites que la moyenne nationale. Autrement dit, comment faire pour adapter ces exploitations, qui doivent pouvoir continuer à vendre leurs produits ?

En zones de montagne, la question des subventions se pose avec une réelle acuité. Nous sommes souvent au plafond des subventions européennes, et une partie des enveloppes budgétaires prévues ne sont pas utilisées. Cela représente un réel souci, dans la mesure où les jeunes agriculteurs ne parviennent pas à utiliser les fonds auxquels ils ont droit, car ils sont trop rapidement au plafond.

Concernant la problématique foncière, il est évident que celle-ci varie d'une zone à l'autre. Nous devrions réfléchir sur ce point : en effet, l'activité agricole est plus ou moins en concurrence avec l'urbanisation. En zones de montagne, les éleveurs essaient d'avoir une autonomie fourragère. Pour cela, il faut une surface suffisante, et nous entrons de manière indirecte en concurrence avec l'urbanisation. Nous ne sommes pas contre l'urbanisation, mais nous sommes directement liés au problème de la distance avec les bâtiments d'élevage. De manière générale, nous devons pouvoir trouver des cohérences, en définissant des priorités selon les zones.

Nous avons parlé tout à l'heure de l'acte de production. A ce titre, je pense que nous devons conserver tous les types de production dans les zones de montagne. En outre, je crois que nous devons avoir des productions « hors sol » en montagne, le porc et les volailles par exemple. La montagne ne doit pas être seulement synonyme de sports d'hiver ; je rappelle que les meilleures charcuteries se trouvent en montagne. Malheureusement, dès que nous voyons une porcherie se constituer, les producteurs de porc sont mis à l'écart... Nous devons être vigilants car, face à une telle situation, les agriculteurs arrêtent la production porcine. Pour autant, nous transformons toujours autant de cochons, sous l'étiquette « charcuterie de montagne », alors que les porcs viennent de l'Ouest. Je demande donc que nous soyons dans une situation d'autosuffisance de production. En fait, on s'aperçoit que nous sommes déficitaires en termes de production, alors que les agriculteurs ne demandent qu'à remplir cette mission.

M. Yannick Fialip - 2002 est l'année internationale de la montagne, et les jeunes n'ont pas voulu demeurer absents d'une telle manifestation. Nous organiserons donc une manifestation, à Clermont-Ferrand, rassemblant l'ensemble des massifs français. Cette manifestation aura lieu les 6, 7 et 8 décembre 2002.

Nous aurons un double objectif : tout d'abord, nous voulons communiquer politiquement sur la montagne, et nous vous invitons à participer à nos travaux. En outre, nous voulons communiquer par rapport à la Commission européenne, afin qu'elle reconnaisse la zone de montagne au sein du Comité des organisations professionnelles agricoles (COPA) de l'Union européenne. Demain, avec l'élargissement de l'Europe, nous aurons tout intérêt à avoir une zone de montagne reconnue. Par ailleurs, nous essaierons, avec l'ensemble des massifs français, de communiquer sur tous les produits de montagne. Tous les jeunes agriculteurs des régions de montagne françaises essaieront d'être présents. Par conséquent, nous vous donnons rendez-vous les 6, 7 et 8 décembre pour cette manifestation. Nous pourrons également mener une réflexion quant aux points que nous venons de vous présenter.

M. Jean-Paul Amoudry - Messieurs, je vous remercie pour cet exposé. Vous avez balayé l'ensemble des points que nous vous avions soumis, à l'exception de quelques sujets à la marge. Je souhaite vous poser quelques questions, mais je vais avant tout laisser la parole à mes collègues.

M. Jean Boyer - Vous avez deviné que je résidais dans le même département que Monsieur Fialip. Je siège par ailleurs à la Chambre d'Agriculture avec son père. Vous avez évoqué quelque chose qui va devenir un phénomène de société : les agriculteurs, en zone de montagne, vont se trouver dans deux contextes. Certains se trouveront isolés, dans des villages où il n'y aura plus personne. Vous avez parfaitement dit à ce titre que vous aspiriez à avoir davantage d'hectares, mais aussi à avoir des voisins. En outre, nous ne devons pas oublier que, dans la périphérie des agglomérations, les agriculteurs deviennent des « corps étrangers ». Nous devons donc communiquer, dans la mesure où l'agriculture est encore trop perçue comme composée d'hommes capables de barrer les routes, épandre du fumier ou encore générer des pollutions. Nous devons expliquer à la population qu'un ouvrier bloque une usine lorsqu'il manifeste. Les agriculteurs, quant à eux, ne peuvent pas conserver leur lait pendant des semaines, et doivent trouver leur moyen d'expression. Je crois que les citadins doivent savoir cela. Malheureusement, ils ne sont pas convaincus que les agriculteurs ne peuvent pas manifester autrement.

Nous devons également rappeler ce que les agriculteurs ont fait hier, font aujourd'hui et feront demain, leurs missions, ainsi que l'évolution de celles-ci. Autrement dit, nous devons rappeler le rôle joué par l'agriculture, et apporter un message plus positif.

Deux points de votre exposé ont attiré mon attention, dans la mesure où je n'y ai pas trouvé beaucoup de détermination. Tout d'abord, la prime à l'herbe s'élève à 46 euros, alors que la prime aux céréales est à 350 euros en zone de montagne. Cela n'incite pas du tout les agriculteurs à travailler dans le sens de la qualité. Quant à la simplification des règles administratives, elle ne semble pas non plus faire partie de vos priorités. Pourtant, nous sommes souvent sollicités, en tant qu'élus, à répondre à des questions techniques. A ce titre, ne pensez-vous pas que les directions départementales de l'agriculture (DDA) doivent appliquer ces règles avec un peu de bon sens ?

J'ai entendu votre message. La prime à l'herbe va être reprise dans le cadre des CTE, et j'aimerais avoir votre avis sur cette question.

M. Pierre Jarlier - Nous sommes parfaitement en phase avec ce que nous venons d'entendre. Concernant le problème des ICHN, le soutien est important, et doit être affirmé comme étant indispensable à la spécificité de la montagne. Cependant, je souhaite avoir votre sentiment sur un petit effet pervers, à savoir le problème de l'agrandissement. En effet, nous sommes liés à des taux de chargement et à l'hectare, et on incite fortement à l'agrandissement. Dans ces conditions, nous devons nous poser la question des voisins, qui disparaîtront si certaines exploitations s'étendent trop. Cela revient au problème du juste équilibre de la ruralité, celle-ci devant être fondée sur la qualité mais aussi sur l'homogénéité du territoire.

Par ailleurs, j'ai été très satisfait d'entendre votre position sur le CTE, d'autant que les points de vues sont pour le moins divergents sur cette question. A ce titre, je dois dire que j'ai été inquiet face à certains propos tenus lors de la campagne électorale. Dans mon département, j'entends en effet des élus nationaux qui font campagne en disant que le CTE doit être supprimé. Je crois que cette position est très dangereuse. A mon avis, nous devons aller vers la simplification évoquée tout à l'heure par Monsieur Boyer. Je crois par ailleurs qu'un réel manque de volonté s'est manifesté au départ pour se lancer dans cette démarche, pourtant particulièrement porteuse pour les territoires sensibles qui sont les nôtres.

J'ai retenu vos propos relatifs au déplafonnement du volet économique en montagne. Il y a là un créneau important, passant par la mise en place d'un CTE spécifique à la montagne. Il est logique de déplafonner le volet économique, dans la mesure où des investissements en montagne sont plus lourds que des investissements en plaine. Je pense que nous pouvons nous rejoindre facilement sur ce point, et aller dans votre sens dans nos préconisations.

Concernant le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA), je trouve que votre position est à la fois responsable et volontaire. En effet, je trouve qu'il est dommage de pénaliser des zones où l'exploitation est de qualité en nous concentrant sur des zones qui sont, par définition, des zones polluantes. Il est totalement aberrant de vouloir priver les exploitations étant dans les normes des aides. Nous devons insister fortement sur ce point. En outre, nous devons affirmer fortement que les agriculteurs ne sont pas contre la mise aux normes. Au contraire, ils sont volontaires, et nous devons le faire savoir.

Aujourd'hui, les SAFER sont-elles opérationnelles pour permettre au monde agricole de pouvoir se maintenir dans une ruralité habitée. L'expérience nous montre que cela n'est pas le cas. Par conséquent, pouvons-nous estimer que ces outils sont parfaitement adaptés ? J'aimerais avoir votre avis sur cette question, car les avis sont pour le moins partagés. Devons-nous les faire évoluer ? Faut-il davantage de concertation à la base ? Devons-nous changer le dispositif pour que nous ayons une véritable régulation du foncier ? En effet, avec les courses aux primes, les SAFER sont au coeur du débat.

Vous avez fait état de l'initiative que vous prendrez au mois de décembre, dans le cadre de l'année internationale de la montagne. Je voudrais vous dire que je souhaite que l'ADEME participe à vos côtés à cette opération. Concernant la reconnaissance des zones de montagne au niveau européen, je suis persuadé que cela doit représenter notre principal axe d'action. Nous allons évidemment aborder ce problème avec les instances européennes dès demain matin.

Enfin, je tiens à vous dire que je suis particulièrement heureux d'entendre des jeunes agriculteurs tenant des propos très responsables, et éloignés de toute démagogie.

M. Auguste Cazalet - En tant qu'ancien jeune agriculteur, je suis très heureux de vous rencontrer et de vous entendre parler avec beaucoup de foi et de passion. Je n'oublierai jamais que je suis fils de paysan et je me suis installé sur 13 hectares de superficie agricole utile, en zone de montagne. De nombreuses personnes pensaient que je ne pourrais pas vivre sur une exploitation d'aussi petite taille, ce qui me faisait de la peine.

Lorsque j'étais secrétaire général du département des Pyrénées atlantiques, il a fallu que je me plonge dans le syndicalisme agricole pour me rendre compte de ce qui se passait dans mon département. Certaines personnes abandonnaient en effet l'agriculture, alors qu'ils disposaient de belles exploitations ; les agriculteurs de montagne étaient ceux qui s'accrochaient le plus.

Monsieur Lacoste a rappelé que les zones de montagne étaient celles qui contenaient le plus d'AOC. A mon avis, cette situation est dûe au fait que les agriculteurs des zones de montagne se battent, car ils sont souvent pris à la gorge et doivent s'en sortir.

Monsieur Falip a dit qu'il n'était pas venu avec des dossiers, et je m'en félicite. Si vous étiez venus avec des notes de synthèse toutes préparées, j'aurais estimé que vous étiez des paysans embourgeoisés ; au contraire, vous avez parlé avec votre coeur, ce qui représente, à mes yeux, la vérité.

Personnellement, je m'interroge sur la prime à l'hectare, et je souhaite que vous me donniez votre position sur ce point. Je suis par ailleurs d'accord avec vos propos sur les ICHN, qu'il faut revaloriser pour les petites exploitations. Là aussi, nous sommes encore des déshérités. Quant aux volumes de production, nous pouvons faire le même constat : pourquoi empêche-t-on les exploitations de montagne de produire davantage ?

Vous avez évoqué le sort des petites exploitations qui ne parviennent pas à utiliser toutes les subventions disponibles. Sur ce point encore, cela représente un drame dans les zones de montagne.

Vous dites qu'il faudrait parvenir à l'autonomie fourragère. Personnellement, je n'y crois pas beaucoup, dans la mesure où seules les exploitations de grande taille peuvent atteindre une telle situation. En effet, il est souvent difficile de parvenir à l'autonomie fourragère, en particulier pour les petites exploitations. En outre, tout dépend des zones de montagne dans lesquelles nous nous situons. Personnellement, j'habite à l'entrée de la vallée d'Ossau : les exploitations de ma commune sont classées en zone de montagne, mais d'autres sont dans des situations bien plus difficiles.

L'urbanisation, quant à elle, représente un véritable problème. Pour autant, allons-nous empêcher un village de s'étendre ? En effet, cela représente un important travail de diplomatie et d'acrobatie pour les élus municipaux : étendre les zones habitables revient parfois à supprimer une partie des terres agricoles.

Monsieur Falip a rappelé que nous avions oublié les produits basiques. Je suis d'accord avec ce point de vue, et je dois dire que je nourris à ce titre de réelles inquiétudes. En outre, je suis, comme vous, tout à fait favorable au maintien de la vente de produits directement dans les exploitations. Il serait dommage de voir certaines exploitations fermer au motif qu'elles ne répondent pas aux normes d'hygiène européenne. Ces paysans se battent, en transformant leurs produits dans leurs propres fermes, et nous devons leur laisser leur chance.

M. Jacques Blanc - Je tiens à m'excuser pour mon retard. Je remarque que le Massif Central est particulièrement présent aujourd'hui. Ceci dit, nous n'oublions pas les autres montagnes.

M. Michel Lacoste - Certaines de vos questions n'appellent pas réellement de réponses. Nous rejoignons votre analyse, mais vos questions ne concernent pas seulement l'agriculture de montagne. C'est le cas, par exemple, pour vos observations relatives à la simplification administrative ou au PMPOA.

Concernant le CTE, nous ne devons pas oublier que certains agriculteurs l'ont signé ; d'autres sont candidats à ce dispositif. Si, demain, le CTE venait à disparaître, il est évident que la déception serait grande parmi les agriculteurs. Vous devez être conscients de ce phénomène.

L'herbe représente de toute évidence un point essentiel, mais cette problématique ne concerne pas seulement l'agriculture de montagne. Celle-ci doit se rallier aux zones herbagères, et nombre de régions sont concernés par cette problématique. Il existe aujourd'hui des mesures dans le cadre du CTE ; il suffit de les ouvrir en-dehors du cadre du CTE, ce qui représentera un premier pas pour le moins important. Les moyens administratifs existent ; il ne manque plus que la volonté.

La question du volet de l'acompte est bien présente dans l'esprit des Jeunes Agriculteurs. De manière plus globale, nous demandons que les travaux sur l'ICHN se poursuivent, même si nous reconnaissons qu'un important effort a été réalisé sur ce point au cours des dernières années. Aujourd'hui, nous estimons qu'il faut surtout travailler sur la reconnaissance des zones de montagne au niveau européen. A ce titre, nous souhaitons inviter, à Clermont-Ferrand, les zones de montagne des PECO pour adopter une position commune. Par rapport à ces zones de montagne, nous souhaitons aborder la problématique des volumes de production. Nous sommes favorables aux quotas laitiers ; on parle d'une évolution possible des quotas en 2005, et il avait été dit, en 1999, que cela ne concernerait que les zones de montagne. Aujourd'hui, nous parlons toujours d'une augmentation des quotas, mais ils ne seraient pas spécifiques à la montagne.

Concernant la problématique des vaches allaitantes, les droits ont été gelés. Dans le cadre de l'année internationale de la montagne, nous estimons que les droits pris en zones de montagne pourraient être dégelés. En effet, l'élevage est vital dans les zones de montagne. Si nous ne consacrons pas les hectares des zones de montagne à l'élevage, ces surfaces repartiront à la friche.

Quant à l'installation, nous avons dit que des mesures spécifiques devaient exister, ou l'aide à l'installation devrait être revalorisée. En effet, nous pensons que des mesures de transmission spécifiques doivent être mises en place pour les éleveurs de montagne, car le métier est plus risqué et plus fatigant qu'ailleurs. Il faut donc des mesures favorables pour accompagner les agriculteurs de montagne à la retraite, et en liant ces mesures à la libération de l'exploitation vers l'installation.

Le meilleur lien de communication entre l'agriculteur et le consommateur est le produit. Si nous pouvons travailler au travers du produit de qualité, je suis persuadé que l'agriculteur retrouvera une bonne image. Je crois que l'agriculture de montagne a beaucoup à faire en la matière, mais nous avons besoin d'un accompagnement en termes financiers ; nous avons également besoin de personnes compétentes sur ces questions.

Il existe aujourd'hui des aides nationales, mais certaines d'entre elles sont remises en cause par l'Europe. Dans le cadre du deuxième pilier de la PAC, nous pensons qu'il est peut-être possible d'utiliser notre financement national. Malheureusement, nous éprouvons des difficultés pour trouver l'interlocuteur adéquat au niveau européen pour bâtir de telles mesures. Ce point est essentiel pour l'avenir.

M. Jacques Blanc - Nous allons demain à Bruxelles dans cette perspective. Au niveau du Comité des régions d'Europe, nous avons réussi à faire passer le principe d'un rapport européen sur la montagne. Il est vrai que nous devons utiliser les crédits du FEOGA et, surtout, ne pas les renvoyer car nous ne les utilisons pas. Je suis persuadé que nous pouvons trouver un accord avec Bruxelles, d'autant que nous voulons répondre aux besoins de vie et d'identification des produits. Nous sommes donc en phase, à condition que nous ayons des droits à produire. Par ailleurs, nous devons pouvoir offrir des actions de formation pour les jeunes dans ces zones de montagne.

M. Michel Lacoste - Vous avez raison, nous sommes vraiment en phase. Logiquement, nous souhaiterions, avec vous, travailler plus en avant.

M. Claude Falip - Le pastoralisme est important dans les zones de montagne. Nous y sommes très attachés, et le principal problème que connaît ce type d'agriculture est lié à la question des grands prédateurs. Nous privilégions l'activité agricole avant les grands prédateurs.

Il existe une réelle unité dans les zones de montagne, et je crois que nous devons la conserver. En effet, nous devons toujours pouvoir échanger nos savoir-faire, malgré les différences existantes. Nous devons parvenir à conserver cette unité au niveau des massifs montagneux de la France.

Quant à la formation, nous estimons que cette dimension est particulièrement importante pour les jeunes. En effet, nous avons besoin de personnes capables de gérer les entreprises que sont les exploitations. Les agriculteurs doivent pouvoir vivre au même rythme que l'ensemble de la société. Autrement dit, nous ne devons pas oublier la dimension sociale de l'agriculture.

M. Jean-Paul Amoudry - Messieurs, je vous remercie chaleureusement pour vos contributions. Les sénateurs de vos départements respectifs ne manqueront pas de vous tenir informés de l'avancée de nos travaux. Je rappelle que nous rendrons nos conclusions au mois d'octobre.

M. Michel Lacoste - Nous vous remercions de nous avoir accueillis.

14. Audition de M. Dominique Barrau, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des Syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), chargé de la montagne, accompagné de MM. Jean-Luc Birnal et Nicolas Hartog, chargés de mission (22 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Je suis heureux d'accueillir la délégation de la FNSEA, dans le cadre de notre mission sénatoriale d'évaluation de la politique montagne. Certains d'entre nous ont souhaité travailler sur l'ensemble de cette politique. Cela représente un vaste chantier, que nous comptons mener à bien pour le mois d'octobre.

Nous avons trois portes d'entrée sur ce sujet : l'environnement, l'économie et l'aménagement. Nous souhaitons avoir votre éclairage sur l'ensemble de ces chapitres, l'agriculture étant à la fois un élément de l'aménagement du territoire, un élément économique et un élément environnemental. Nous sommes donc très heureux de vous accueillir.

M. Dominique Barrau - Je vous remercie de nous donner l'occasion de nous exprimer sur cette politique de la montagne, qui nous est particulièrement chère. En effet, cette politique a permis aux zones de montagne d'avoir accès au développement, en devenant des espaces attrayants. Nous voulons maintenir ces espaces, certes attrayants, comme des espaces économiques sur lesquels peuvent s'épanouir des populations.

Nous avons reçu vos documents, et nous allons essayer de balayer dans un premier temps les questions que vous nous avez posées. Concernant votre première question, je crois avoir répondu dans mon introduction : l'acte essentiel de l'agriculture de montagne doit s'appuyer sur l'acte de production. Malheureusement, nous avons toujours autant de mal pour trouver des bases nous permettant de rémunérer le travail de l'agriculteur effectué en direction de l'espace. Par conséquent, il nous semble important de rappeler que l'acte de production de biens alimentaires constitue toujours une base. Nous restons bien sur une agriculture de production, que nous considérons toujours comme une source de richesse.

Les agriculteurs de montagne sont-ils les agriculteurs les moins aidés de France ? Je crois que nous ne devons pas situer le débat sur la question du montant des aides. En effet, la politique de montagne a institué, en 1973, la notion de correction de handicap. L'idée était simple : il fallait donner les moyens aux agriculteurs de ces zones de montagne de produire dans les mêmes conditions économiques que les autres zones. Nous restons sur cette idée, mais nous sommes obligés de constater que la réforme de 1992 a affaibli la notion de correction de handicap. Si les différentes compensations ont évolué en valeur absolue, leur valeur réelle s'est bel et bien érodée. Le différentiel entre les zones de montagne et les zones de plaine n'existe plus aujourd'hui. En effet, les politiques verticales sont venues se greffer sur cette politique agricole.

En outre, les agriculteurs des zones de montagne ont eu le souci de plafonner les aides, et de les lier à l'acte de production. Par exemple, l'indemnité compensatrice de handicaps naturels (ICHN) limitée à un hectare entraînait un maintien des productions liées au sol. Le plafond, apporté en complément, a permis de conserver davantage d'agriculteurs. Au-delà des aides, cela représentait une politique volontariste ayant réellement porté ses fruits.

Sur certaines productions, notamment en zones de montagne, de nombreuses initiatives ne sont pas épaulées. Je pense, par exemple, à des démarches qualité ou à des initiatives particulières. Celles-ci s'appuient sur des productions différenciées, et sont aujourd'hui en phase avec le marché. Par conséquent, les agriculteurs de montagne sont-ils les moins aidés ? En fait, nous sommes face à trois cas de figure. Ils sont moins aidés en effet en raison de la réforme de 1992, à laquelle je viens de faire référence. Dans le même temps, ils ont su accepter la politique de plafonnement. Enfin, ils ont réussi à dégager des initiatives en n'ayant pas recours à l'aide aux produits.

Concernant votre troisième question, relative à la réforme de l'ICHN, je souhaite tout d'abord dire que nous n'étions pas favorables à cette réforme. Nous nous sommes battus pour que son impact soit le moins négatif possible au niveau des exploitations. L'augmentation de l'enveloppe a permis de corriger la majorité des effets négatifs. Il reste néanmoins, sur la production ovine et dans les zones les plus difficiles - les zones sèches notamment -, des perdants. En outre, dans l'ancien système, une partie de l'enveloppe pouvait être utilisée avec une certaine souplesse à l'échelon du département. Cette partie de l'enveloppe, représentant 10 % du montant total, permettait de corriger les imperfections. Malheureusement, nous n'avons plus cette possibilité aujourd'hui.

Concernant les petites exploitations, l'ICHN, au-delà d'être plafonnée, mettait en place deux paliers : les 25 premiers hectares sont mieux compensés que les suivants. Aujourd'hui, nous considérons qu'il serait opportun d'augmenter significativement l'ICHN. Notre demande est claire : il faut doubler les 25 premiers hectares. Cela réglerait les problèmes des petites exploitations. Surtout, cela permettrait de mettre un terme à la course au foncier, celle-ci étant bel et bien présente par rapport aux effets de seuil. Cette course est d'autant plus aiguë que nous sommes sur des terres favorables. Nous rencontrons plus ou moins globalement ce problème sur tous les massifs.

Quant au contrats territoriaux d'exploitation (CTE), il est évidemment trop tôt pour faire un bilan quantitatif et qualitatif. Aujourd'hui, nous estimons que le principe du CTE doit en être conservé, dans la mesure où il correspond tout à fait à notre logique. Par contre, nous sommes conscients que le CTE ne permettra pas de régler tous les problèmes. Ainsi, nous devons rester sur une logique de projet et de diagnostic ; pour les problématiques liées aux aides, nous devons passer sur d'autres systèmes, plus pragmatiques. Le CTE demeurera ainsi un outil d'analyse et de diagnostic. Nous pensons donc qu'il ne faut pas supprimer les CTE, d'autant que l'agriculture de montagne se retrouve dans cette logique environnementale. En effet, les impacts de ce type d'agriculture sur l'environnement sont particulièrement faibles. Un problème demeure néanmoins sur la partie économique. En effet, nous sommes au même niveau que l'ensemble du pays, et nous souhaiterions que le CTE en zone de montagne soit déplafonné. Je vous rappelle que tout investissement économique sur un bâtiment en montagne génère automatiquement un surcoût dans la mise en oeuvre. Par ailleurs, je vous rappelle que les bâtiments de zones de montagne sont souvent plus grands qu'en zones de plaine. Par conséquent, nous estimons qu'il serait bon que le CTE en zones de montagne soit déplafonné à un seuil permettant à l'agriculteur d'investir dans des conditions normales.

Pour la production, je crois que nous devons distinguer la production de la viande de la production de lait et de fromages. Pour la viande, il est évident que les consommateurs ont retrouvé un certain goût pour les achats de proximité suite aux crises successives que nous avons connues. Par conséquent, il y a lieu de remettre en activité les abattoirs de proximité, et favoriser la mise en place d'ateliers de découpe. Ces ateliers présentent deux intérêts : ils permettent de dégager de la valeur ajoutée en direct pour l'éleveur, et de valoriser les races spécialisées pour la viande. Il y a là un véritable chantier, qui correspond à une demande des consommateurs et à une problématique sur la spécificité des races à viande. Concernant le lait et les fromages, nous sommes attachés au maintien des quotas laitiers. En effet, en cas de libéralisation, nous savons pertinemment que nous ne serions pas compétitifs. Les zones ayant gardé le plus de trayeurs se verraient éliminées par la concurrence économique. Nous sommes donc favorables au maintien des quotas laitiers. Certainement, il serait opportun d'envisager une gestion différente de ces quotas. Nous rencontrons en effet un réel problème avec la départementalisation. Certains départements remplissent leurs quotas de manière régulière, et certaines AOC sont limitées par les quotas d'exploitation alors qu'elles pourraient vendre davantage. Autrement dit, le marché existe, mais nous sommes limités par cette question des volumes de production. Parallèlement, des départements n'atteignent pas leurs quotas. Nous sommes donc limités par cette gestion départementale ; cela constitue un problème, qui mériterait d'être étudié.

Concernant l'utilisation du décret montagne, nous souhaiterions faire une proposition concrète. Nous voulons mettre en place, autour de ce décret, une différenciation de la production qui serait reconnaissable par une signalétique particulière et vérifiable par un cahier des charges. Il faut tout d'abord mettre en place une signalétique commune, puisque le décret Montagne ne prévoit pas l'utilisation du logo Montagne existant. Par conséquent, l'ensemble des productions sont d'accord pour se ranger derrière une signalétique commune. Il est tout à fait possible, ensuite, de décliner cette signalétique par produits. Nous allons proposer cette initiative au Ministère de l'Agriculture, afin qu'il nous autorise à mettre en place cette signalétique, qu'il en fixe les conditions et détermine la structure qui doit la porter. Cette structure pourrait établir un cahier des charges d'utilisation du logo Montagne, et le mettrait à disposition des différentes interprofessions.

Cela représente, à nos yeux, l'axe fédérateur de la reprise en main de l'acte de production par les agriculteurs de montagne. Depuis de trop nombreuses années, nous sommes trop axés sur la question de l'aide financière ; nous souhaitons donc désormais mettre à nouveau l'accent sur le produit. Nous avons maintenant l'aval de toutes les productions. J'ai eu l'occasion d'évoquer ce sujet lors des Assises du regroupement, la semaine dernière : d'autres pays de l'Union européenne sont séduits par cette idée, même s'ils ne disposent pas des mêmes conditions de faisabilité que nous. Quoi qu'il en soit, je crois que cela représente un axe profond de recherche, comprenant plusieurs étapes. Tout d'abord, nous devons mettre en place une signalétique commune, avant de constituer un cahier des charges correspondant à la réalité de la montagne.

Ces questions ont été discutées, pour le lait, dans le cadre des organisations interprofessionnelles laitières. Certaines productions, disposant déjà d'un label qualité, se demandaient si de telles initiatives n'allaient pas perturber les démarches existantes. Cela dit, nous nous sommes entendus pour que de telles situations ne se produisent pas.

Concernant le statut de l'agriculteur dans les zones de montagne, nous devons dire que nous rencontrons quelques problèmes. Quant au pastoralisme, nous n'avons pas beaucoup travaillé sur cette question. Cependant, nous n'avons aucun a priori sur ce point.

M. Jean-Luc Birnal - Concernant les expériences des agricultures de montagne, je réalise, en particulier par rapport à d'autres pays européens comme l'Autriche, combien l'étroitesse du statut de l'agriculteur est un frein à une politique de montagne dynamique en termes de création de richesse et de captation de fonds. Si nous regardons les blocages que nous connaissons sur le tourisme rural, les difficultés d'avancement de la question des produits fermiers, nous prenons conscience du travail qu'il reste à faire sur cette question du statut. Certes, cela ne concerne pas seulement l'agriculture de montagne, mais nous sommes confrontés au premier chef à cette question.

A mon sens, tout cela entraîne un réel manque de développement. Souvent, nous sommes bloqués vis-à-vis de l'extension des surfaces ; les gains de productivité doivent donc être effectués à travers la recherche de débouchés nouveaux et de services novateurs. Malheureusement, nous éprouvons des difficultés pour faire cela, compte tenu du statut actuel.

Concernant le plan de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA), nous sommes également en première ligne. A la FNSEA, nous avons la perception suivante : on nous demande de ne pas polluer. Hormis quelques rares exceptions, très limitées territorialement, l'agriculture de montagne n'altère pas le milieu par ses pratiques. Logiquement, il nous semble stupide d'appliquer le même programme pour l'agriculture de montagne que pour l'agriculture de plaine, celle-ci devant de toute évidence faire un effort curatif. Nous voulons travailler très rapidement sur ce dossier, pour que le programme de mise aux normes des exploitations concernées permette certes d'éviter des accidents écologiques graves, mais non pas de mettre en place un système visant à avoir un effet curatif sur la pollution ; celle-ci n'existe pas en zone de montagne. Par conséquent, une telle logique serait complètement fausse, car non adaptée à l'agriculture de montagne. Si nous parvenions à avancer sur ce point, nous retrouverions une certaine équité avec l'agriculture de plaine. Pour le moment, l'agriculture de montagne est très défavorisée sur ce point. Cependant, si nous reprenons le PMPOA, en le modifiant, je pense que nous pourrons retrouver un certain équilibre financier.

Concernant l'attribution des aides ICHN, je crois que nous devrions rectifier rapidement quelques distorsions, notamment sur les fruits. Les producteurs de pommes, de poires et de pêches qui sont en zones dites sèches peuvent en bénéficier, alors que les producteurs en zones humides n'en profitent pas du tout. J'insiste sur ce point, dans la mesure où cela ne représenterait pas un effort budgétaire colossal ; pourtant il permettrait de rétablir une certaine équité entre les agriculteurs des zones sèches et ceux des zones humides.

Quant au surcoût dans les zones de montagne, je voudrais développer la question des zones de montagne dites touristiques. Cela concerne tout ou partie des massifs et, lorsque nous imposons des contraintes d'intégration paysagère ou de concept de bâtiment, le coût des bâtiments construits est sensiblement augmenté. Certes, les bâtiments construits sont jolis, mais de telles mesures créent une discrimination totale par rapport aux zones de plaine. Ces surcoûts n'ont rien à voir avec l'agriculture ; par conséquent, ils ne doivent pas être pris en charge par des fonds destinés à l'agriculture. Si l'on estime que de tels investissements sont réalisés dans une optique touristique, il faut se tourner vers le tourisme ; si l'on estime qu'il est bon d'avoir des bâtiments d'élevage conformes aux traditions de construction, il faut se tourner vers la culture. Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons pas continuer à faire peser de tels surcoûts sur l'agriculture.

Quant au piémont, nous remarquons un comportement discriminatoire vis-à-vis des producteurs de lait. En fait, une différenciation a été créée entre un piémont dit laitier et un piémont « normal », où l'agriculture est beaucoup plus partagée. Au total, tous les agriculteurs installés sur une zone de piémont laitier - toutes les montagnes au nord des deux Savoie - ont droit à des compensations de handicap, selon certains critères. Malheureusement, un producteur de lait, ayant le même cheptel mais étant en dehors de cette zone, ne bénéficie d'aucune aide de ce type. Evidemment, nous estimons que cette situation n'est pas normale.

Par conséquent, nous avons identifié de nombreuses petites améliorations pouvant être apportées relativement rapidement. Elles sont par ailleurs peu conséquentes d'un point de vue budgétaire.

Nous avons répondu à la question relative au foncier ; en revanche, nous n'avons pas parlé des problèmes relatifs à l'aménagement. Cette question est pour le moins complexe dans les zones de montagne : certains territoires se trouvent dans des situations de désertification avancée ; d'autres en revanche, courent le risque d'être asphyxiés par excès de « bétonnage ». Prenons l'exemple des Causses et des Alpes du Nord, qui constituent deux cas extrêmes : les Causses se vident, et l'économie disparaît peu à peu. Je sais qu'une telle situation ravit nombre d'écologistes, qui y voient la recréation d'une zone naturelle. Nous pensons quant à nous que l'écologie sans hommes est inutile. Quant aux Alpes du Nord, nous remarquons une forte pression urbaine, notamment sur les surfaces mécanisables. Au total, nous ne parvenons pas à entretenir les terrains pentus qui se boisent peu à peu. Cette région court ainsi le risque de perdre son identité touristique, et, finalement, d'être dotée de handicaps économiques particulièrement préoccupants pour l'avenir.

Nous en reparlerons peut-être plus longuement au cours de la discussion, mais je tiens à évoquer rapidement la question des commissaires de massif. A mon avis, ils ne servent pas à grand-chose actuellement. Pourtant, ils pourraient être très utiles s'ils faisaient un travail constructif. Notamment, ils doivent nous permettre de mieux préparer les projets, en relation avec le deuxième pilier de la PAC.

M. Jean-Paul Amoudry - Messieurs, je vous remercie chaleureusement pour cet exposé. Je vous propose maintenant de passer à un échange de questions et de réponses.

Vous avez évoqué une ligne passant au nord des deux Savoie. Je n'ai pas compris quels agriculteurs bénéficiaient d'aides. Quant à la pluri-activité, vous avez évoqué les freins résultant du statut de l'agriculteur. A ce titre, vous avez rapidement parlé de l'exemple autrichien. Selon vous, la réponse passe-t-elle par le statut de la poly-activité. Au contraire, avez-vous une autre vision du métier de l'agriculteur ?

Monsieur Barrau, vous avez parlé de l'accompagnement du décret Montagne, avec une signalétique d'une part, et un cahier des charges d'autre part. Selon vous, quelle est la compatibilité entre ce cahier des charges, qui reste à construire, et celui en vigueur pour les AOC et les IGP (Indications Géographiques Protégées)? Comment ces dispositifs peuvent-ils cohabiter ?

M. Jacques Blanc - Concernant la valeur ajoutée en montagne, le décret fait état d'une exigence d'abattage et de transformation sur place. Nous nous demandions si les dérogations permettant de contourner cette obligation étaient nombreuses. Si nous voulons à la fois éviter les phénomènes de triche et répondre au besoin d'apporter cette valeur ajoutée afin de maintenir la vie en montagne, il est évident que le problème des abattoirs et des ateliers de découpe est fondamental. Par ailleurs, nous pouvons désormais apporter des sécurités supplémentaires pour tout ce qui concerne l'alimentation des animaux. Nous avons tous été frappés par le problème de la vache folle. Demain, à tort ou à raison, la question des OGM se posera de toute évidence, et des phénomènes d'angoisse collective pourraient se développer par rapport à des animaux en ayant consommé. Cela dit, il est possible d'apporter ces sécurités pour les animaux de montagne. Ceux-ci sont en effet nourris pour l'essentiel sur des pâturages, mais l'alimentation doit néanmoins être complétée. Je me demande s'il est possible d'avoir une approche spécifique à la montagne, par rapport à l'alimentation du bétail, qui serait garantie comme non génétiquement modifiée. Cela commence à être un problème pour la viande, et ce le sera demain par rapport au lait et aux fromages.

Soyons très clairs : je ne suis pas du tout un partisan de José Bové, et je soutiens les recherches génétiques. Dans ma région, nous soutenons la recherche génétique, tant dans les domaines médical que végétal. Par contre, nous avons lancé une action pour apporter une sécurité au niveau des produits venant de la région Languedoc-Roussillon.

Concernant les droits à produire, vous avez dit que vous étiez favorable au maintien des quotas, sous réserve qu'il y ait autorisation de droits à produire dans les zones de montagne. Quand la taxe de coresponsabilité est apparue, j'avais fait en sorte pour qu'elle ne s'applique pas en montagne. Lorsque nous sommes passés de la taxe de coresponsabilité aux quotas, aucune différenciation n'a été faite. Or les quantités de lait produites par animal ou pour hectare dans les zones de montagne sont sans aucune mesure avec celles produites en zones de plaine. Ainsi, comment pouvons-nous trouver des solutions ?

M. Jean Boyer - Plusieurs questions me viennent à l'esprit. Dans le cadre de la détermination de l'entité montagne, quelles références utiliseriez-vous ? Prendriez-vous les territoires aujourd'hui concernés par l'ICHN ?

Concernant le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole, nous savons tous que trois financeurs entrent en jeu : les collectivités, l'Agence de l'eau et l'agriculture elle-même. Ne pensez-vous pas que nous devrions laisser une liberté d'initiative ? En effet, nous avons cloisonné les hommes, ce qui est dommageable.

Vous avez évoqué la filière viande. L'ESB n'a-t-elle pas attiré notre attention sur la nécessité de réorganiser et de maîtriser cette filière ? Par ailleurs, avons-nous des moyens de contre-attaque sur la « démagogie médiatique » ? En effet, vous savez comme moi que la filière viande a été cassée en quelques jours. Malheureusement, nous restons silencieux, et nous n'apportons pas de réponses.

Concernant l'éventuelle libéralisation du prix du lait, il est évident que les zones de montagne seraient encore plus pénalisées, dans la mesure où les volumes de production sont réduits. Cette situation pourrait être évitée si une identité montagne existait.

Plus que personne, vous savez que l'agriculture a évolué considérablement en quelques décennies. Je suis persuadé que nous avons besoin de professeurs adaptés à l'évolution de l'agriculture de demain.

Dans le cadre de la PAC, l'Allemagne traîne les pieds. Avez-vous des inquiétudes fondées sur ce sujet ? Que pensez-vous des menaces de George Bush Jr vis-à-vis du soutien à l'agriculture américaine dans le cadre de la comparaison avec l'agriculture européenne.

M. Auguste Cazalet - J'ai cru comprendre que vous voyiez quelques injustices à propos de l'ICHN. Comment pouvons-nous régler ce problème ? Je crois qu'il aurait fallu faire un inventaire de toutes les exploitations, mais on nous a rétorqué que cela n'était pas possible. Je pose cette question depuis des années, et je souhaiterais savoir si vous avez une réponse sur ce point.

M. Pierre Jarlier - Vous avez parlé de la mise en place de signalétiques communes, de cahiers des charges... Aujourd'hui, nous savons qu'il existe une forte attente de la part des acteurs du secteur économique de montagne, qui souhaitent retrouver la valeur ajoutée de leurs produits, avec leurs acteurs locaux. Je pense que vous comprenez parfaitement de quoi je parle : par exemple, la notion de jambon d'Auvergne ne veut rien dire ; souvent ce jambon est fabriqué dans d'autres régions, à partir d'animaux qui ne sont pas élevés en Auvergne. Ma question est donc très simple : comment pouvons-nous maîtriser la production, la transformation et la commercialisation sur un secteur de montagne ? Comment éviter les dérogations qui ne manqueront pas d'être demandées ? En effet, nous savons tous que nous sommes dans le cadre d'une réelle mutation, qui ne manquera pas de poser un certain nombre de problèmes. Je crois que nous aurons besoin d'un énorme courage politique pour traiter cette question, et je souhaite savoir comment ce courage se déploiera sur le terrain. En outre, que pouvons-nous faire pour nous assurer que la production en montagne pourra susciter sa valeur ajoutée dans le pays de production, avec ce fameux label ?

Je souhaite aborder également la question de l'évolution de la problématique laitière. Nous avons des inquiétudes sur cette politique laitière : nous savons tous que les quotas ont sauvé la filière laitière en montagne. Grâce à la mise en place de ces quotas, nous avons vu une réelle valorisation survenir, dans le Jura par exemple. Quoi qu'il en soit, l'inquiétude est forte. Si, demain, nous connaissions une libéralisation du lait, il est évident que nous assisterions à une disparition rapide des agriculteurs de montagne, qui ne pourraient pas lutter. Comment, dans les nouveaux dispositifs envisagés, est-il possible de réorganiser la politique de prix dans la filière laitière ?

M. Dominique Barrau - Notre position demeure inchangée : nous voulons garder la maîtrise de la production et des produits dans les zones de montagne. Nous restons sur cette position, et nous ne nous lançons pas dans des recherches de solutions à horizon 2005 ou 2006. En 1999, nous étions face aux mêmes questions : comment faut-il envisager l'évolution du système des quotas laitiers ? Notre obstination et notre persévérance ont permis que nous restions sur un schéma de maîtrise de ces quotas. De toute façon, je ne vois pas comment nous pouvons envisager une libéralisation de la production laitière, notamment dans un cadre européen.

Il reste une piste, d'ordre réglementaire, à travers les accords de Berlin. Il existe en effet la possibilité d'accompagner les zones de montagne, selon le schéma d'accompagnement appliqué aux pays de l'Est entrant dans la Communauté. En outre, il est possible de passer d'une gestion des quotas départementale à une gestion régionale. Je pense qu'une telle logique peut donner des bouffées d'oxygène à certaines zones de montagne qui, régionalement parlant, contiennent des zones de plaine. Je crois que les pouvoirs publics doivent entrer dans un tel schéma. En effet, si l'administration ne le fait pas, il est évident que les entreprises prendront le relais. Rapidement, celles-ci préféreront aller s'installer en plaine.

Pour conserver la production en montagne, il est également possible de mettre en place un différentiel de produits. Je suis persuadé que cette logique peut fonctionner, en particulier dans un cadre interprofessionnel. Nous le voyons parfaitement avec l'exemple du Roquefort.

Concernant le décret montagne, nous avons lancé un chantier le 15 septembre 2001. Ce chantier n'est évidemment pas achevé, et nous ne maîtrisons pas encore tous les éléments d'information. Nous voulons créer une signalétique, celle-ci étant portée par une structure large, et disposant d'un cahier des charges. Autrement dit, nous voulons adopter une démarche volontariste, mais qui ne soit pas verrouillée. En outre, pour que le consommateur ne soit pas trompé, nous devons construire un cahier des charges susceptible d'évoluer dans le temps. En effet, il est évident que les niveaux d'exigence des consommateurs peuvent également évoluer.

Quant aux dérogations, je pense que nous devons nous appuyer sur les zones de montagne actuelles. Je ne pense pas qu'il soit opportun de rouvrir ce dossier. Cependant, nous devons nous demander ce que nous pouvons faire pour que toute la production de montagne soit bel et bien valorisée en montagne.

Notre position est donc claire : nous ne sommes pas favorables aux dérogations aujourd'hui. Par contre, un problème économique se pose : je ne vois pas l'intérêt d'utiliser le décret montagne pour valoriser 3 % de la production. Cela n'a strictement aucun sens. Au contraire, nous devons utiliser le décret montagne pour valoriser la majorité de la production de zone montagne. Notre approche sur ce point est on ne peut plus simple : nous préconisons donc de constituer un inventaire avant de donner des dérogations. Lorsque l'inventaire sera fait, nous pourrons en reparler, mais nous ne devons pas entrer dans un schéma dérogatoire a priori.

Les Pyrénées par exemple rencontrent un réel problème : aucun des producteurs des Pyrénées atlantiques, classé en zone montagne, ne voit son produit transformé en zone montagne. Cette transformation a lieu dans la vallée... Nous devrons donc nous poser de telles questions.

M. Jacques Blanc - Peut-être la notion de distance vis-à-vis de la limite de la zone montagne entre-t-elle en compte.

M. Pierre Jarlier - Il est vrai qu'il existe de réelles interrogations quant à la localisation de certaines entreprises. Cependant, nous ne devons pas oublier qu'il est pour le moins difficile de générer de la valeur ajoutée sur des territoires en grande difficulté. Peut-être ne devrons-nous pas céder complètement au lobbying des entreprises si nous voulons laisser une chance aux territoires que je viens d'évoquer. Sinon, ces derniers produiront toujours, mais la valeur ajoutée sera générée ailleurs. Autrement dit, nous devons savoir ce que nous voulons. Je reconnais que le choix est difficile, mais nous devons pouvoir laisser une nouvelle chance à ces territoires.

M. Dominique Barrau - Quoi qu'il en soit, nous devons être très rigoureux. Nous faisons le choix d'une signalétique portée par les producteurs, dans la mesure où nous voulons redonner aux producteurs quelque chose à négocier. Aujourd'hui, les entreprises disposent du marché, sur lequel les producteurs n'ont aucune influence et aucune marge de manoeuvre.

M. Jean-Luc Birnal - Lorsque nous examinons les produits de montagne qui ont réussi, nous remarquons, et ce de manière systématique, que la grande majorité des outils économiques se situent en zone de montagne. Dès qu'une délocalisation survient, nous nous rendons compte que la valorisation est réduite à néant. Seule une belle appellation demeure, ce qui est dommageable.

M. Dominique Barrau - L'objectif est clair : il faut garder de l'économie et de la valeur ajoutée dans les zones de montagne. Dans le même temps, nous devons demeurer très réalistes et très rigoureux, en particulier au niveau de la signalétique. .

M. Jacques Blanc - Dans votre signalétique, comptez-vous parler d'IGP, d'AOC ?...

M. Dominique Barrau - Nous nous arrêterons, dans un premier temps, à la certification complémentaire de protection (CCP), qui représente un des quatre signes officiels de qualité. En outre, il est l'un des moins exigeants. La CCP nous permettra de mettre en avant deux éléments différenciateurs des produits concernés. En montagne, il nous semble que les notions d'herbe, d'environnement et de bien-être animal représentent des atouts devant être mis en avant. Parallèlement le département de la Haute-Loire travaille en relation avec l'Institut national de la recherche agronomique (l'INRA) sur des recherches consacrées à la caractérisation technique des produits de montagne.

M. Auguste Cazalet - Cet audit apportera des preuves que le lait de montagne contient des éléments différenciateurs.

M. Jacques Blanc - Pour les animaux finis, une alimentation complémentaire est nécessaire. Cette alimentation ne vient pas obligatoirement des zones de montagne. En effet, les protéines végétales ont différentes provenances. Est-il envisageable, dans le cadre de cette signalétique, de faire mention des exigences existant pour l'alimentation des animaux ? Autrement dit, pouvons-nous mentionner que les aliments donnés aux animaux de montagne sont garantis non-génétiquement modifiés ?

M. Dominique Barrau - Tout d'abord, il faut rappeler que la production d'animaux jeunes représente une excellente voie. Je pense, en particulier, aux génisses. Quant à la finition des animaux de réforme valorisés sur une filière spécifique, l'intérêt est clair : une telle logique peut permettre de valoriser le troupeau à l'hectare, quel que soit le massif.

Où en sont les travaux par rapport à ce cahier des charges ? Nous voulons que la législation sur les OGM soit respectée, mais nous ne voulons pas aller plus loin pour le moment. En effet, nous devons être très réalistes sur le sujet : dans certaines zones de montagne, nous éprouvons des difficultés à faire finir les animaux, car il existe des quotas. Notre discours est clair : nous avons réussi à obtenir qu'il existe 15 % d'animaux finis dans les quotas existants, il est possible de valoriser 15 % des génisses. Comme nous sommes dans le cadre d'une incitation à l'alourdissement des animaux, nous essayons de ne pas placer trop de contraintes. Pour les zones laitières, la production à l'hectare est très organisée. Ce n'est pas le cas partout.

M. Jean-Luc Birnal - Pour votre question relative au piémont, je précise que ce sont les agriculteurs de la zone Sud qui sont laissés pour compte.

Concernant la pluri-activité, la France a adopté une approche exclusivement fiscale, et non une approche par fonctions. L'exemple autrichien, quant à lui, repose avant tout sur une approche fonctionnelle, ce qui donne une plus grande liberté aux agriculteurs de ce pays. Malheureusement, les agriculteurs français décidant de se tourner vers de nouvelles activités, le tourisme ou le service par exemple, se trouvent face à de réelles contraintes ; ils dépassent le chiffre d'affaires « légal », et doivent donc changer de statut. Cela engendre des frais colossaux. Ensuite, les agriculteurs reprenant les exploitations choisissent parfois de ne travailler que dans le tourisme. En outre, un récent texte relatif aux taux d'actifs va entraîner la disparition de 100 à 200 exploitations de haute montagne, au mépris de toute règle d'aménagement du territoire. Seuls les aspects fiscaux sont pris en compte, ce qui représente un mal bien français. Au lieu de nous attacher à la dimension fiscale, nous devrions nous attacher à la fonction.

Quant à la question de la formation des agriculteurs, je pense que ce sujet dépasse largement la problématique de l'agriculture de montagne. Si vous me le permettez, je vais prendre un exemple propre à mon département : il était de coutume de nous inviter, en fin d'année, pour faire une présentation devant les élèves ayant achevé leur cycle d'études secondaires. Nous nous sommes aperçu que les enseignants nous invitant ignoraient tout des projets agricoles départementaux. Un important travail doit donc être effectué, afin que les enseignants se replongent dans le monde agricole. Ils doivent arrêter de ne s'appuyer que sur des données techniques, qu'ils ont acquises par ailleurs il y a bien longtemps. Les enseignants doivent connaître le monde agricole.

Concernant la contre-attaque médiatique, nous sommes face à un problème particulièrement lourd. Vous aviez voté le principe de la création d'un fonds de communication agricole, dans la loi d'orientation agricole. Celui-ci nous a été refusé, dans la mesure où l'on n'a jamais voulu sortir les décrets permettant l'application de ce texte. Nous essayons de relancer cela actuellement, et je pense que nous pourrons en parler dans un autre cadre.

M. Dominique Barrau - Concernant les ICHN, nous demandons de ne pas revenir en arrière. Par contre, la notion de subsidiarité permettrait de régler nombre de problèmes. En outre, je tiens à rappeler que nous percevions les ICHN au printemps et en octobre. Je crois qu'il y a là matière à accompagner les agriculteurs.

Quant à la position actuelle de George Bush Jr vis-à-vis de la PAC, nous demandons qu'il existe, de notre côté, une véritable ambition pour l'agriculture européenne. Surtout, le budget de celle-ci ne doit pas servir pour l'environnement, le social ou encore la sécurité alimentaire. L'agriculture doit conserver son propre budget. Si l'Europe a des ambitions, elle doit définir un projet, des axes, un budget et les contributions des Etats.

M. Jacques Blanc - Je tiens à vous remercier pour votre contribution. Nous avons besoin, sur tous les sujets fondamentaux que nous avons évoqués, de votre éclairage. Je tiens à dire, en particulier sur la question des OGM que nous ne devons pas nous laisser dépasser, ni laisser certains s'accaparer ces sujets.

Vous avez évoqué tout à l'heure la nécessaire réflexion vis-à-vis de l'élargissement de l'Union européenne. La semaine dernière, j'étais en Hongrie, pour la réunion des régions viticoles d'Europe. Si nous n'intégrons pas les phénomènes qui se développeront au moment de l'admission des PECO, ainsi que les phénomènes euro-méditerranéens, je suis persuadé que nous verrons condamnée la réussite de l'élargissement de l'Union. Pourtant, je pense que nous devons intégrer cet élément dans notre propre réflexion et faire preuve d'anticipation.

15. Audition de M. François Servoin, professeur de droit à l'Université de Grenoble (22 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Monsieur Servoin, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Nous connaissons la place éminente que vous occupez, au vu de vos connaissances juridiques, sur les questions liées à la montagne. Nous vous remercions de vous être déplacé à Paris pour nous apporter votre contribution.

Notre mission a pour objectif de dresser un bilan de la loi de 1985, de tenir compte dans l'application de ce dispositif juridique des lois ultérieures ; je pense à la loi de solidarité et de renouvellement urbain (SRU), à la loi d'aménagement, ou encore aux lois consacrées à la forêt et à l'agriculture, qui ont corrigé la loi fondatrice de 1985. Dans le cadre de cette mission, nous souhaitons apporter les correctifs et les propositions et, si la matière est suffisamment vaste, proposer de nouveaux dispositifs au gouvernement.

Tel est le sens de notre démarche. Nous vous avons adressé une grille de questions portant sur deux centres d'intérêt : le comité de massif et les unités touristiques nouvelles. Evidemment, vous avez toute liberté de nous apporter les éclaircissements complémentaires que vous jugerez utiles. Nous souhaiterions ensuite vous poser quelques questions, en particulier sur le problème de la constructibilité limitée, et la place de la jurisprudence dans le droit sur la montagne.

M. Jacques Blanc - Je m'associe à ce message de bienvenue.

M. François Servoin - Je vous remercie de m'avoir convié à cette réunion. Je suis maître de conférences à l'Université Pierre Mendès France de Grenoble. Je m'intéresse à la montagne depuis près de 30 ans. A Grenoble, j'ai créé dès 1987 un DESS intitulé « Développement des collectivités territoriales montagnardes et droit de la montagne ». Ce DESS est très apprécié par les collectivités locales et territoriales de montagne. Je suis membre du Comité de massif des Alpes du Nord depuis une dizaine d'années, et j'ai été membre titulaire de la Commission spéciale des Unités touristiques nouvelles. Je suis encore membre de cette Commission à titre suppléant. Par ailleurs, j'ai écrit un ouvrage, La commune de montagne , publié chez Economica en 1996.

Vous m'avez adressé une grille de questions, celles-ci tournant autour de deux thèmes : les comités de massif d'une part, et les unités touristiques nouvelles.

Vous m'avez posé une question sur le fonctionnement des comités de massif depuis le vote de la loi Montagne. En fait, il s'agit d'une institution qui ne fonctionne pas de manière satisfaisante. L'institution trouve son origine dans le rapport Besson de 1983. A l'époque M. Louis Besson proposait, pour représenter les massifs montagneux, la création d'organes institutionnels. Trois organes étaient prévus :

- un comité de massif, organe politique et décisionnel ;

- une agence de massif, organe de réflexion, de montages d'opérations et de préparation des dossiers ;

- un fonds financier spécialisé pour accompagner l'ensemble.

Ce schéma n'a pas pu voir le jour du fait de l'hostilité conjuguée du ministre de l'intérieur et celle du ministre des finances. M. Defferre, le premier, soucieux de mettre sur pied sa décentralisation n'entendait pas voir l'apparition d'institutions parallèles qui nuiraient à la lisibilité de l'ensemble, articulé autour du triptyque : commune, département, région. Le second, voyait d'un mauvais oeil l'apparition d'un fonds financier mal contrôlé.

La question a été encore rendue plus complexe par la nécessité de réformer le Comité national des unités touristiques nouvelles. Le fonctionnement de ce comité avait fait l'objet de vives critiques de la part des maires en particulier et des élus locaux en général qui lui reprochaient son caractère d'instance parisienne, dictant ses oukases aux élus locaux en méconnaissance, parfois, de la réalité locale. La création des comités de massif comprenant une commission spécialisée des unités touristiques nouvelles (UTN) paraissait l'occasion de décentraliser les décisions en matière d'UTN.

Le résultat de l'ensemble est cependant ambigu. La constitution d'organes locaux ne constitue pas pour autant une décentralisation. Les comités de massif nés de la loi de 1985 ne sont en fait rien d'autre qu'un « service déconcentré de l'Etat », structure consultative liée au préfet coordonnateur de massif, qui est l'un des préfets de région du massif. Il y a bien déconcentration, mais pas de décentralisation. Les comités de massif sont une institution de l'Etat, en aucun cas une institution locale.

A partir de là, toute une série de malentendus sont apparus. Notamment, un certain nombre de préfets se sont trouvés embarrassés face à cette institution et ont éprouvé des difficultés pour l'animer et lui trouver une identité. Je me souviens de certaines séances du comité de massif des Alpes du nord dont l'ordre du jour était assez léger, où les fonctionnaires régionaux intervenaient pour faire le point sur certaines questions, sans que s'instaure un véritable débat ou une véritable discussion. En revanche, la commission spécialisée des unités touristiques nouvelles était le lieu d'une véritable activité dans la mesure où le champ de compétences et les enjeux apparaissaient de manière précise. Mais le fonctionnement de cette commission lui-même n'est pas sans soulever quelques questions. Créée par la loi au sein du massif, cette commission dispose de pouvoirs propres et fonctionne en dehors de celui-ci devant lequel elle ne rapporte pas. Les membres du comité qui ne sont pas membres de la commission n'ont aucune vocation à être au courant de ce qui se dit dans cette dernière. C'est une ambiguïté supplémentaire, d'autant plus importante que le travail essentiel s'effectue dans la commission spécialisée des UTN.

L'institution n'a pas véritablement trouvé sa voie. Ceci ne constitue pas un jugement négatif, mais simplement nuancé. Les ambiguïtés originelles n'ont pas été levées et n'ont pas permis le développement normal de cette instance. D'un autre côté, les élus locaux ne se sont pas pleinement servis de l'instrument que pouvaient constituer ces comités. En conséquence, il est arrivé, notamment dans les Alpes du nord, que le préfet annule une réunion par défaut d'ordre du jour. Enfin, on peut souligner le fait que la cohabitation d'élus du suffrage universel et de personnalités représentatives d'intérêts particuliers n'est pas toujours aisée. On sait d'ailleurs que le législateur en 1985 a accepté la création de ces comités à la condition que les « élus »y aient la majorité.

Mais surtout, la construction du fait régional depuis 1986 a pesé d'un poids important sur le développement des comités de massif. Soucieuses de s'intéresser prioritairement à l'ensemble de leur territoire, les régions ne se sont pas embarrassées de ces institutions parallèles qui ne couvrent pas le même territoire et dont la vocation est même clairement interrégionale. Ainsi, par exemple, on a l'habitude d'identifier le massif des Alpes du nord à la région Rhône-Alpes. C'est oublier que celle-ci s'étend aux franges du Jura ou du Massif central.

Ces difficultés sont apparues notamment dans la préparation des contrats de plan Etat-région. Malgré la préservation d'un « volet montagne », la collaboration a été réduite au minimum et les comités de massif n'ont pas été impliqués, au-delà d'une simple information, dans la discussion des contrats. Se trouve posée ainsi, de manière claire, la question de la place des comités de massif dans la décentralisation. On voit mal, dans la situation actuelle, de solution à cette question sans modifications structurelles importantes telles, par exemple, que l'érection des massifs en établissements publics personnalisés, ce qui lèverait l'ambiguïté du rôle de l'administration préfectorale. Ceci permettrait en outre aux élus locaux de disposer, comme ils le souhaitent, d'une instance réellement décentralisée.

C'est dans ce contexte que s'inscrivent les modifications apportées par la loi du 4 février 1994 instituant les commissions permanentes. Elles sont incontestablement positives. La mise en place de ces commissions permanentes a permis de faciliter le travail, de prendre l'initiative et de proposer des ordres du jour plus élaborés et plus satisfaisants. Mais elles ne règlent pas la question de la légitimité de l'institution. Ceci dit, le comité représente le massif et la question essentielle est plutôt celle de la place du massif dans les structures territoriales nationales. C'est cette question qui doit recevoir une réponse et dès lors, celle de la légitimité de l'organe qui le représente sera réglée en même temps.

Ceci dit, les commissions permanentes, présidées par un élu local, ont donné un regain d'intérêt et une identité continue aux comités de massif qui ne disposaient pas, par exemple, de secrétariat permanent. Les services du Secrétariat général aux affaires régionales (SGAR), qui faisaient leur travail, n'étaient pas là pour faire fonctionner et animer une instance qui ne relevait pas de leur responsabilité. La mise en place de ces commissions permanentes est donc particulièrement positive.

A cette question de la création des commissions permanentes s'ajoute celle de la co-présidence du comité de massif depuis la loi « solidarité et renouvellement urbain » (SRU). Il est encore trop tôt pour établir un bilan et je n'ai personnellement pas de grande idée sur la question. Ceci dit, on peut explorer les pistes que cette innovation ouvre. L'hypothèse la plus probable est celle d'un désengagement de l'Etat et du préfet qui se reposerait désormais sur la commission permanente et son président. Mais alors, qui détient véritablement le pouvoir au sein du comité et quelle est la nature de celui-ci ? Il est encore trop tôt pour répondre.

En conclusion on peut dire que les comités de massif ne fonctionnent pas de manière totalement satisfaisante.

M. Auguste Cazalet - Devons-nous estimer que la faute revient à l'Etat ?

M. Jacques Blanc - De toute façon, nous sommes face à une contradiction fondamentale. Les régions se sont vu confier des responsabilités fortes en matière d'aménagement du territoire ; dans le même temps, on leur a imposé un carcan administratif pour le moins rigide. Soit nous ferons une coopération interrégionale, soit nous tournerons en rond...

Je préside la région Languedoc-Roussillon ; nous devons nous occuper des Pyrénées et du Massif Central. Nous avons conduit une politique forte en faveur de la montagne, à travers, entre autres, une politique d'investissement forte. Pour autant, je n'assiste jamais aux réunions des comités de massif.

M. François Servoin - A plusieurs reprises, je dois vous avouer que je me suis demandé si je devais y assister également.

M. Jacques Blanc - J'envoie simplement une personne pour me représenter. De toute façon, si nous voulons que de telles opérations réussissent, il est évident que l'Etat doit apporter des investissements importants. En effet, il est nécessaire d'entrer dans une telle logique si l'on veut que les élus exécutifs y trouvent un intérêt. S'il n'y a qu'un pouvoir consultatif, il est évident que la plupart des élus ne s'y intéressent pas. Ils ont l'impression de perdre leur temps, sauf s'il existe de vrais pôles d'intérêt.

M. François Servoin - Les centres d'intérêt ne manquent pas, mais ce sont parfois les conditions matérielles qui font défaut. Je me souviens de la tentative de constitution de groupes de travail au sein du comité de massif Rhône-Alpes, à l'instigation du préfet. Les groupes de travail ont été constitués et chacun s'y est inscrit. Ils n'ont jamais fonctionné pour des raisons matérielles. Chacun est reparti aux quatre coins de la région et les problèmes de communication ont fait le reste.

Par ailleurs, il faut souligner que les comités de massif n'ont jamais souhaité s'impliquer dans des fonctions de nature réglementaire ou tout simplement normative. J'ai pu constater ceci à plusieurs reprises. La loi avait donné aux comités des compétences de proposition afin de définir et préciser les actions qu'ils jugent souhaitables pour le développement, l'aménagement et la protection du massif. Ils devaient également avoir un rôle dans l'élaboration de prescriptions particulières de massif. A ma connaissance aucun comité de massif ne s'est jamais pleinement saisi de ces compétences. L'absence de propositions dans ce domaine s'est traduite par une reprise en mains par l'Etat sous la forme des directives territoriales d'aménagement (DTA).

Le comité de massif aurait pu jouer un rôle dans ce domaine. L'exemple des UTN est sur ce point intéressant. Lorsque j'ai été désigné à la commission spéciale des UTN des Alpes du nord, je pensais, sans parler d'un pouvoir réglementaire qui excèderait les compétences du comité, que l'attribution des autorisations serait l'occasion d'établir quelques règles du jeu et que se dégagerait une sorte de jurisprudence. Ça n'a pas été le cas. Chaque autorisation était attribuée au cas par cas et jamais une réflexion transposable à d'autres situations n'a été poursuivie. Dans un récent ouvrage intitulé « Tourisme et aménagement touristique », publié à la documentation française par Pierre Merlin, l'auteur termine le chapitre qu'il consacre à la montagne en regrettant le rôle insuffisant des élus « qui n'ont pas accepté la logique de la décentralisation responsabilisante ». Je confirme ce point de vue que j'ai constaté sur le terrain.

Cette logique se retrouve à propos de l'article 42 de la loi montagne. Cet article donne compétence aux communes pour encadrer l'aménagement touristique. A ma connaissance, il a peu été utilisé par les communes pour inciter les aménageurs d'équipements touristiques à se conformer à la politique locale de développement touristique. Le conventionnement est plus ressenti par les communes comme une contrainte qui leur est imposée que comme un instrument à leur disposition.

M. Jacques Blanc - Estimez-vous que nous devons supprimer les comités de massif ?

M. François Servoin - Il ne faut surtout pas les supprimer, ils représentent l'un des rares lieux où l'on parle de la montagne. S'ils disparaissent, le principal lieu de discussion sur la montagne aura disparu.

M. Jacques Blanc - Comment pouvons-nous les transformer ?

M. Jean-Paul Amoudry - Je pense que nous pouvons prévoir une évolution à travers une logique de coopération interrégionale. Nous pouvons imaginer un établissement public recevant délégation des régions concernées pour gérer un certain nombre de compétences propres à la montagne.

M. François Servoin - Vous avez raison, ceci règle la question du massif dont le comité n'est que l'émanation.

M. Jean-Paul Amoudry - Le comité de massif sera une émanation de collectivités décentralisées ; il sera donc indépendant de l'Etat, et aura les moyens que les régions lui donneront. Il aura vocation à parler de la montagne.

M. Jacques Blanc - Cette idée est d'autant plus pertinente que nous connaissons des logiques de coopération interrégionale qui fonctionnent. Dans le massif pyrénéen, nous parvenons à conduire des actions, dont certaines sont réalisées en coopération avec les régions espagnoles limitrophes. Par conséquent, nous pouvons peut-être créer une dynamique nouvelle de coopération interrégionale centrée sur le territoire de la montagne. Cela permettrait par ailleurs de supprimer les délégués de l'Etat. En effet, certains commissaires de massif font un excellent travail, mais d'autres constituent essentiellement des freins à notre action.

M. François Servoin - Je ne peux pas me prononcer sur cette question. Les commissaires de massif représentent une réponse de l'Etat au mauvais fonctionnement des comités de massif. Les commissaires existent depuis 1976, ce sont les anciens commissaires à la rénovation rurale. Au moment de la loi montagne, aucune liaison n'était faite entre les différentes instances oeuvrant dans le domaine de la montagne. Pour suivre et coordonner l'ensemble, l'Etat a utilisé, dans le cadre de la DATAR, une structure qui avait fait ses preuves dans d'autres domaines. C'est l'origine des commissaires de massif dont l'origine ne se trouve pas dans la loi montagne.

M. Jean-Paul Amoudry - Je pense que nous avons fait le tour du sujet relatif aux comités de massif. Nous souhaiterions donc vous poser quelques questions.

M. Jean Boyer - Les comités de massifs sont le résultat de ce que les élus ont voulu en faire. Dans le cadre des régions, hormis pour la région Languedoc-Roussillon, les zones de montagne ne bénéficient pas d'un traitement particulier. Je suis personnellement en Auvergne : une commune située à 900 mètres d'altitude ne bénéficie pas d'une meilleure participation de la région lorsqu'elle réalise un aménagement, par rapport à une commune située à 500 mètres d'altitude. Autrement dit, les handicaps ne sont pas compensés.

M. François Servoin - Vous avez raison. Cette situation est le résultat des politiques régionales, mais provient également des ambiguïtés de la loi. En fait, au sens de la loi il y a deux montagnes : le massif d'une part, et la zone de montagne d'autre part. Par exemple, Grenoble qui est dans le massif Alpes du Nord, n'est pas en zone de montagne. Il y a donc deux réalités qui se chevauchent. Elles sont souvent confondues dans le vocabulaire qui devient ainsi confus. Derrière la sémantique il y a une réalité importante : doit-on englober les villes et les piémonts dans la montagne. La montagne doit-elle se définir sans référence aux principaux pôles de développement économique.

M. Jacques Blanc - Il peut exister de petites villes en montagne.

M. François Servoin - Certes, mais les perspectives ne sont pas forcément les mêmes. Si on prend l'exemple des Alpes du nord, il existe des bourgs marchés de fond de vallée en zone de montagne, mais le sillon alpin, poumon économique qui va de Genève à Grenoble, n'est pas en zone de montagne.

M. Jacques Blanc - Cela représente en effet une question fondamentale. Si nous ne la posons pas, nous éprouvons de logiques difficultés pour définir le label montagne et pour traiter la question des unités de transformation de lait, qui sont souvent en plaine.

M. François Servoin - Grenoble est située à 200 mètres d'altitude. A même hauteur que les monts du Perche.

M. Jacques Blanc - Certains estiment que Grenoble n'a pas une politique de montagne, mais une politique urbaine.

M. François Servoin - Y'a-t-il une antinomie entre les deux ? Il peut tout à fait y avoir coïncidence entre les deux ou cumul. Quoi qu'il en soit, la question mérite d'être posée. En quoi consiste la différence entre une politique de montagne et une politique urbaine ?

M. Jacques Blanc - Quelle est la zone de compétence du comité de massif ?

M. François Servoin - Le comité de massif est bien relatif au massif.

M. Jacques Blanc - Nous pouvons alors comprendre pourquoi le comité de massif n'a pas trouvé son identité : il n'est pas un comité de montagne.

M. François Servoin - Dans ce cas, qu'est-ce que la montagne ?

M. Jean-Paul Amoudry - Quoi qu'il en soit, nous devons réfléchir à cette question. Si nous reprenons l'exemple du sillon alpin, il est vrai que le réseau de villes a parfaitement fonctionné, mais au détriment de la zone d'altitude. Pourtant, il représente le maillon étant le support de la montagne, et fait vivre celle-ci.

M. François Servoin - C'est bien pour cela que les Alpes du nord sont une montagne riche. On y connaît un développement économique et démographique positif, contrairement à d'autres régions de montagne qui n'ont pas ce réseau de villes. Notamment le Massif Central, où l'isolement est difficile à rompre du fait de l'absence de ce réseau de villes.

Concernant la réunification des Alpes au sein d'un seul massif, je pense que cette initiative est tout à fait opportune. En effet, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur tourne le dos à sa montagne. Son activité économique, touristique comme sa démographie sont tournées vers la mer, la montagne apparaît un peu comme un désert. Le comité des Alpes du nord a établi des contacts très fructueux avec son homologue des Alpes du sud dont les membres étaient très demandeurs.

S'agissant des DTA, elles constituent un outil très intéressant mais elles sont actuellement une coquille vide. Dans un souci de perfection, peut-être, elles ne parviennent pas à naître. En outre quelques questions juridiques qui se posent ici méritent attention. Normes directives et impératives n'ont pas toujours le même régime juridique et ne remplissent pas les mêmes fonctions.

Enfin, si on examine la question des unités touristiques nouvelles, les UTN, il faut rappeler qu'il s'agit d'une procédure d'encadrement des projets touristiques d'une certaine importance apparue avec la directive nationale d'aménagement et d'urbanisme en montagne de 1977. Celle-ci faisait une distinction entre la moyenne et la haute montagne dont la fragilité nécessitait qu'elle ne fasse pas l'objet d'aménagements inconsidérés et dispersés. Pour ce faire, le législateur avait mis en place un comité national des unités touristiques nouvelles chargé d'autoriser les projets. Cette tentative a été très mal perçue par les élus locaux qui lui reprochaient son caractère centralisé et parisien. Ceci étant dit, le comité a fait un travail satisfaisant et a souvent permis la maturation et l'amélioration des projets avant autorisation et au total le nombre de mètres carrés autorisés a été, de 1977 à 1985, considérable.

Il faut cependant souligner que la loi montagne a mis au point deux procédures de création d'UTN. La première, qui doit être considérée comme le droit commun, est celle des schémas directeurs qui doivent prévoir les UTN, lesquelles se réalisent ensuite au fur et à mesure. C'est en l'absence de schéma directeur que l'article L. 145-9 du code de l'urbanisme prévoit, par exception, une procédure d'autorisation par le préfet coordonnateur de massif.

En fait, le droit commun et l'exception se sont trouvés, par la force des choses, inversés. L'absence de schémas directeurs et la difficulté à modifier ceux qui existaient ont rendu exceptionnelle la procédure normale de création des UTN. En d'autres termes, on peut dire que à défaut d'entente intercommunale négociée en la forme d'un schéma directeur, on s'en remet souvent à l'autorisation unilatérale du préfet. Je prends ici quelques précautions oratoires pour souligner que la loi SRU ne change pas grand chose à la matière. Elle institue avec les schémas de cohérence territoriale une nouvelle procédure de droit commun permettant de prévoir les UTN. A défaut, la procédure d'autorisation reste inchangée. Mais on retombe dans le même dilemme. Ou il y a, à travers le Schéma de cohérence territoriale (SCOT), une entente intercommunale en matière d'aménagement touristique et la procédure est décentralisée. Ou le projet reste communal et c'est le préfet qui l'autorise. Soulignons simplement que dans le cadre de la procédure SCOT, le comité de massif n'intervient que pour un simple avis, qui peut être tacite, dans le cadre général de l'élaboration du schéma.

Ainsi, la procédure UTN est incorporée dans la procédure SCOT.

Il existe cependant quelques aspects particuliers. Je pense notamment à la composition du dossier qui n'est pas le même dans le cas UTN et dans le cas SCOT. Certes, même si le dossier ne peut être aussi précis pour un projet qui ne constitue qu'un aspect particulier du SCOT, quatre des éléments du dossier sont communs, qu'il s'agisse de l'état antérieur du site, des caractéristiques du projet, de l'analyse des risques naturels ou de l'effet prévisible du projet sur l'environnement. En revanche, l'étude des conditions générales de l'équilibre économique et financier du projet disparaît totalement dans la procédure SCOT. On sait que cette exigence avait été ajoutée à la suite des opérations aventureuses mises en évidence, en 1991, par le rapport d'inspection générale de M. Lorit. Il y a donc là quelques problèmes d'ajustement.

Au-delà de cela, je pense sincèrement que la nouvelle procédure entraîne une réelle décentralisation. L'initiative est locale et les avis donnés par une instance locale. Si les communes s'investissent dans les schémas de cohérence, la procédure d'autorisation deviendra marginale et le préfet sera en dehors du circuit.

Ceci étant dit, plusieurs problèmes n'ont pas été résolus par la procédure UTN. L'article L. 145-9 du code de l'urbanisme qui donne la définition des UTN n'a pas été modifié. Par conséquent plusieurs équipements n'entrent pas dans le champ d'application de cette définition, notamment les installations d'enneigement artificiel dont les impacts économiques, environnementaux et en termes d'aménagement touristique devraient être mieux analysés. De manière moins flagrante, certains équipements de pleine nature échappent à la procédure UTN alors qu'ils sont parfois importants. Je pense aux aires de parapente ou aux falaises d'escalade. A l'inverse, je me souviens de certaines décisions UTN relatives à l'implantation de campings ou de bungalows pour lesquelles une simplification de la procédure serait souhaitable, sans toutefois aller jusqu'à la supprimer dans la mesure où elle joue le rôle de filtre et présente un caractère pédagogique évident.

Quant à votre question relative aux caractéristiques du patrimoine culturel, naturel et montagnard, je pense que M. Calderaro vous donnera l'état de la jurisprudence actuelle. Je tiens seulement à signaler un fait, presque anecdotique : le mot montagne ne figure pas dans le code de l'environnement et aucun développement n'y est consacré. Je crois pourtant que la définition des caractéristiques du patrimoine naturel et culturel de la montagne y aurait sa place. Cette absence de précisions donne carte blanche aux juges pour donner un contenu à ces notions.

M. Jacques Blanc - Vous avez ouvert de nombreuses interrogations, en particulier sur la question de la différenciation entre massifs et montagnes et sur les Comités de massif. Sur ce dernier point, je pense que nous déboucherons sur des coopérations interrégionales. Souvent, les zones de montagne ne sont pas dominantes dans les régions, et il est vrai que nous pouvons rencontrer une certaine sensibilité au niveau des conseils régionaux. En outre, nous ne devons pas oublier que nous sommes toujours dans une période d'installation des conseils régionaux.

M. François Servoin - Les régions commencent à monter en puissance, effectivement.

M. Jacques Blanc - En montant en puissance, elles s'intéresseront encore plus aux problèmes d'aménagement du territoire. Si elles ont la possibilité d'entrer dans une logique de coopération, via les Comités de massif, elles le feront.

M. Jean-Paul Amoudry - Je souhaiterais faire un bref commentaire sur la DTA. J'ai apporté ma contribution à l'élaboration de la DTA des Alpes du Nord, et à la définition de la notion de hameau. Lorsque la DTA est sortie dans la loi Pasqua, nous nous réjouissions de disposer d'un échelon normatif nous permettant de décliner la loi dans un contexte particulier de massif. Sur les deux points que j'ai évoqués, je n'ai constaté aucune action. Aujourd'hui, nous en sommes toujours, pour la DTA Alpes du Nord, dans une situation où les principaux chantiers sont constitués par la fluidification de la circulation dans les vallées et les couloirs, la protection de la nature et le renouvellement de l'offre touristique. Autrement dit, le foncier et la préservation des espaces agricoles ne sont pas pris en compte, dans la mesure où nous restons sur une vision tournée autour de l'environnement, des transports et de la rénovation de l'offre touristique. Par conséquent, la DTA ne prend pas en compte les objectifs initiaux que nous lui avions assignés initialement. Nous pouvons donc comprendre que les élus ne se soient pas suffisamment saisis de cet outil, qui est aujourd'hui le fruit de réflexion de fonctionnaires. La DTA est vécue comme le moyen, pour l'Etat, de reprendre la main sur l'aménagement du territoire.

M. François Servoin - Vous avez raison : pour l'Etat, c'est clairement un moyen lui permettant de reprendre la main. Cela dit, nous devons attendre un peu ; lorsque les DTA seront appliquées, nous verrons si elles sont malléables, amendables et aménageables. Personnellement, je pense que cela peut représenter un guide intéressant. Tant qu'elles ne sont pas appliquées, nous ne pouvons pas réellement nous prononcer. En outre, je vous rappelle que les schémas de cohérence doivent être compatibles avec les DTA, mais ils ne doivent pas forcément être conformes.

Telle est la logique des choses ; le calendrier en a une autre. Les DTA sont en chantier depuis 1995, et nous aurions pu penser que certaines seraient déjà sorties.

M. Jean-Paul Amoudry - Seule la jurisprudence définit ce qu'est un hameau : il faut six habitations pour constituer un hameau. Nous sommes clairement dans une espèce de déni de création du droit de la part des pouvoirs publics, puisque la définition du hameau appartient aux juges. Estimez-vous que cela représente une situation normale ?

M. François Servoin - Personnellement, j'ai toujours considéré que l'article L. 145-3-3 du code de l'urbanisme était très mal rédigé. L'article L. 111-1-2, quant à lui évoque les « parties actuellement agglomérées de la commune » et définit la constructibilité limitée. Faire référence aux parties actuellement urbanisées de la commune m'a toujours semblé beaucoup plus précis que ces notions de villages, bourgs et hameaux de l'article L. 145-3-3. ces notions ont été sources de conflit et ont simplement pour origine une mauvaise interprétation de la loi. Je ne cherche donc pas à définir ce qu'est un hameau, je pense au contraire qu'il serait nécessaire d'abandonner cette notion.

M. Jean-Paul Amoudry - En montagne, quelle est d'après vous la formule de protection étant à la fois efficace et suffisamment souple pour que tout aménagement soit proscrit, donc impossible ? Il existe en effet les notions de biotope, de réserve, les prescriptions de Natura 2000. Que doit faire l'élu lorsqu'il se trouve, par exemple, devant une zone humide ou un site dont les vertus naturelles sont reconnues ? que doit-il faire pour éviter que ce site soit interdit à l'Homme à jamais ? En effet, les élus ont beaucoup de mal à accepter de telles situations.

M. François Servoin - Il existe de nombreuses possibilités. Je pense que la solution contractuelle, faisant intervenir les propriétaires et les promoteurs, est la meilleure. Sans revenir sur mon cheval de bataille habituel, je tiens à rappeler que cet instrument est donné par l'article 42 de la loi montagne. En effet, il prévoit la possibilité de conventionner avec les aménageurs. Rien n'empêche les collectivités de prévoir conventionnellement le contexte environnemental du développement touristique. Je me souviens à cet effet que lors des Jeux olympiques d'Albertville, le conseil général de la Savoie avait pleinement utilisé la politique contractuelle pour mettre en place un certain nombre d'outils de protection de l'environnement. Ce ne sont pas des outils lourds, bien au contraire.

M. Jean-Paul Amoudry - A vos yeux, l'article 42 est donc un bon article.

M. François Servoin - C'est cela. Il est peu connu, mais il fonde une compétence pour les collectivités, qui peuvent demander légitimement nombre de choses aux contractants. Pour les grosses actions, nous pouvons recourir aux réserves, aux biotopes... Par contre, pour les petites actions environnementales, la voie contractuelle me semble être la plus pertinente.

Tant que nous sommes dans un cadre strictement communal, je crois que l'affrontement est inéluctable. En revanche, à partir du moment où les négociations entrent dans un ensemble plus grand, il devient beaucoup plus facile d'intégrer des éléments environnementaux.

M. Jean-Paul Amoudry - Monsieur le Professeur, nous vous remercions infiniment pour votre contribution.

16. Audition de Mme Brigitte Phémolant, sous-directrice du droit de l'urbanisme à la Direction générale de l'habitat et de la construction au ministère de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, accompagnée de M. Philippe Baffert, chef du bureau de la législation et de la réglementation (29 mai 2002)

M. Michel Moreigne - Je suis heureux d'accueillir Brigitte Phémolant, sous-directrice du droit de l'urbanisme à la Direction générale de l'habitat et de la construction du ministère de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, ainsi que Philippe Baffert, chef du bureau de la législation et de la réglementation. Nous vous avons adressé une grille de questions. C'est avec plaisir que je salue votre présence, vous en remercie et vous donne la parole pour entrer sans tarder dans le vif du sujet.

Mme Brigitte Phemolant - Merci Monsieur le Président. La première question que vous nous avez posée nous invite à rappeler les principales dispositions relatives à l'urbanisme dans la loi montagne puis les modifications apportées depuis 1985.

La loi montagne se veut une loi d'équilibre et de développement prenant en compte les spécificités du milieu montagnard selon un objectif triple : assurer la pérennité des exploitations agricoles -- d'où des obligations de préservation des terres -- ; préserver le patrimoine naturel et culturel de la montagne ; assurer le développement des activités économiques nouvelles dans ce cadre. Ces objectifs se trouvent directement traduits dans des contraintes en matière d'urbanisme.

La première de ces contraintes consiste dans l'obligation de préservation des terres nécessaires au maintien de l'activité agricole ainsi que des espaces et milieux caractéristiques du patrimoine montagnard. Ceci porte des conséquences en termes d'urbanisation puisque cette préservation est assurée par l'obligation de réaliser les éventuelles extensions de l'urbanisation en continuité avec les zones urbaines existantes. Néanmoins, certaines exceptions modèrent ce principe.

Ainsi, la loi initiale autorise la création de hameaux nouveaux, tandis que la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) admet celle de zones urbaines nouvelles en discontinuité, à condition que cette discontinuité soit nécessaire à une meilleure préservation des terres agricoles et des espaces naturels. En effet, la construction en continuité immédiate des urbanisations existantes conduit souvent à consommer des terres de haute qualité ou à porter atteinte à des paysages ou espaces intéressants -- qu'ils soient urbains ou naturels --, ce qui revient à aller à l'encontre des objectifs affichés. Il est donc un principe fort d'urbanisation en continuité, sous réserve d'exceptions autorisant les hameaux nouveaux et, depuis la loi SRU, les zones d'urbanisation nouvelles.

Le développement touristique s'opère sous forme d'unités touristiques nouvelles, qui font l'objet de procédures d'autorisation particulières dans les secteurs qui ne sont pas couverts par un schéma directeur ou un schéma de cohérence territoriale. Elles doivent être prévues par ces documents s'ils existent. Bien entendu, ces unités touristiques nouvelles sont également dispensées de l'obligation de respecter le principe d'urbanisation en continuité.

Dans ce contexte, qu'est-il possible de faire dans les secteurs non encore urbanisés situés en discontinuité ? Il est possible de procéder à la réfection ou à l'extension limitée des constructions existantes. La loi SRU a également introduit la possibilité d'un changement de destination des bâtiments existants, en autorisant leur adaptation. En outre, des dispositions spécifiques aux chalets d'alpage permettent leur restauration mais aussi la reconstruction de leurs ruines et leur extension lorsqu'elle est liée à des activités saisonnières. Il convient de noter que ces mesures spécifiques relatives aux chalets d'alpage, qui ont été introduites par la loi du 9 février 1994 afin d'assurer une meilleure protection de l'un des éléments patrimoniaux majeurs des zones de montagne, font l'objet d'une procédure d'autorisation particulière par le préfet en sus des autorisations d'urbanisme habituellement requises.

Du point de vue administratif, les communes des zones de montagne disposent des mêmes documents d'urbanisme que toute autre commune de France :

- la carte communale ou le plan local d'urbanisme (PLU), qui détermine la constructibilité au niveau communal ;

- le schéma directeur devenu schéma de cohérence territoriale (SCOT), qui fixe les principes d'aménagement à une échelle supérieure et détermine les unités touristiques nouvelles pouvant être créées.

Il est également des documents spécifiques à la montagne d'échelle plus vaste :

- les directives territoriales d'aménagement (DTA) approuvées par décret en Conseil d'Etat, qui peuvent préciser les modalités d'application de la loi ;

- les prescriptions de massifs, dont la possibilité a été renouvelée par la loi SRU.

Toutefois, ces différents documents à une échelle plus vaste n'ont encore jamais vu le jour : si la possibilité législative de les mettre en oeuvre existe, aucun n'a encore été approuvé.

Tel est de façon très résumée l'état de droit en ce qui concerne les dispositions d'urbanisme dans le secteur de la montagne.

M. Michel Moreigne - Merci. Nous poserons des questions sur l'ensemble de vos propos...

M. Philippe Baffert - Je vais poursuivre en essayant de répondre aux questions que vous nous avez posées par écrit.

Pour ce qui est de l'analyse que propose le rapport d'évaluation de la politique de la montagne, je dirai que la loi montagne comme la loi littoral ont posé des problèmes d'application -- celle-ci plus que celle-là, comme le concède habituellement le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat. Si la loi montagne apparaît plus facile à interpréter et plus claire dans son contenu que la loi littoral, il n'en demeure pas moins qu'un certain nombre de difficultés doivent être prises en compte.

Certes, l'analyse du rapport d'évaluation est exacte et tous les élus le constatent : lorsque l'implantation ou le développement touristique est important, le mécanisme de la loi montagne et le système de conventionnement prévu par son article 42 fonctionnent relativement correctement, malgré quelques difficultés afférentes au manque de précision quant à l'objet de ce conventionnement. Il en résulte un cadre qui permet aux communes de maîtriser le développement de leur urbanisation. La difficulté apparaît supérieure lorsque la pression ou la présence touristique est moindre.

Le gouvernement précédent a désigné une mission d'inspection et de réflexion sur la question des petites unités touristiques nouvelles (UTN) à la suite de la tenue, à Clermont-Ferrand, du Conseil national de la montagne. L'un des problèmes évoqués tient dans ce que, en zones de montagne, la coïncidence des problèmes posés par l'urbanisme et l'agriculture n'est pas systématique.

Les zones de montagne ont été initialement délimitées en fonction des besoins de protection de l'agriculture et de l'octroi des primes à l'élevage et à l'agriculture de montagne. Ainsi, tout le département du Cantal est-il situé en zone de montage, y compris l'agglomération d'Aurillac. Je ne suis pas certain que nous en avons tiré toutes les conséquences quant à l'interdiction d'éventuelles possibilités d'extension hors les zones de continuité urbaine pour les diverses surfaces commerciales ou hôtelières intéressées.

Certains proposent de réfléchir à la nécessité de faire coïncider les secteurs et périmètres aux sens de l'agriculture et de l'urbanisme. Une distinction envisageable sur ce point constitue, quoi qu'il en soit, l'une des pistes de réflexions que les trois inspecteurs -- de l'agriculture, de l'environnement et de l'équipement -- sont en train de jauger.

De nombreuses autres questions ont également été posées.

En ce qui concerne les unités touristiques nouvelles, il serait possible d'envisager des procédures simplifiées pour les petites unités, notamment pour les projets situés en secteur vierge tels les refuges de haute montagne. Toutes les opérations nouvelles sont soumises à la même procédure UTN. Cela pose un premier problème de coordination avec les schémas directeurs et les schémas de cohérence territoriale. Le Conseil d'Etat a estimé que, lorsqu'une commune est dotée d'un schéma directeur ou d'un SCOT, elle ne peut engager de procédure UTN. Les UTN doivent être toutes prévues par le SCOT. Les mécanismes mis en place par un certain nombre de schémas directeurs par le passé et déterminant une enveloppe globale pour de petites UTN ne sont donc pas conformes à la loi.

Il semble nécessaire, dès lors, de revoir la relation entre SCOT et UTN pour imposer l'alternative suivante : soit le SCOT règle exclusivement le principe des UTN principales et laisse les plus petites soumises à des autorisations ponctuelles ; soit le SCOT fixe le principe général pour l'ensemble des UTN mais les dispense toutes, alors, d'autorisations autres. Quoi qu'il en soit, il est un choix à opérer, le mécanisme actuel ne s'avérant pas satisfaisant.

Le gouvernement avait proposé un mécanisme différent dans le décret d'application de la loi SRU, mais le Conseil d'Etat a disjoint sa proposition, la considérant comme contraire à la lettre de la loi montagne -- bien qu'elle eût été certainement plus conforme à ce qui semble souhaitable du point de vue de la gestion de l'urbanisme. En conclusion, nous sommes ici confrontés à un réel problème, sur lequel le gouvernement ne se prononcera pas tant que la mission des inspecteurs n'aura pas abouti.

Un autre problème a trait au développement des toutes petites communes ne délivrant de permis de construire qu'occasionnellement. La loi était plutôt imprécise quant à la notion de changement de destination et a donné lieu à diverses interprétations. En principe, cette loi interdisait les changements de destination dans le cadre de transformations de remises agricoles ou de bergeries mais cela s'est avéré catastrophique en termes de patrimoine agricole. Lorsqu'une exploitation agricole cesse son activité, il n'est pas souhaitable que les bâtiments soient menacés de ruine du fait de l'interdiction des changements de destination. C'est pourquoi la loi SRU, par un amendement du Sénat, a autorisé les changements de destination dans les zones agricoles.

En revanche -- et je sais que cela pose problème --, cette loi SRU n'a pas modifié le fait que dans les zones de montagne comme dans les zones littorales, on ne peut pas autoriser de construction isolée nouvelle qui ne soit pas en continuité avec l'urbanisation existante, sauf en cas de création des hameaux nouveaux ou de petites zones d'urbanisation telles que prévues par les documents d'urbanisme. En d'autres termes, l'exception votée par la loi SRU relative aux communes de taille et de population restreintes rarement confrontées à des demandes de permis de construire et peu enclines, conséquemment, à rédiger quelque document d'urbanisme que ce soit, si elle fonctionne parfaitement en plaine, ne joue ni en montagne ni en zone littorale puisqu'elle ne fait pas exception au principe de continuité.

Le gouvernement a été saisi d'une question écrite sur ce point de la part d'un sénateur ici présent. Mais j'insiste sur le fait que depuis que ces lois montagne et littoral existent, les gouvernements qui se sont succédés ont toujours montré un très grand attachement au principe de continuité. En outre, je ne suis pas certain qu'il soit souhaitable de faire exception au principe de constructibilité limitée dans les communes qui n'ont pas pu se donner les moyens de rédiger un document d'urbanisme aussi simple qu'une carte communale... Il faut y réfléchir et en débattre plus avant..

Vous avez également soulevé la question de la définition des vocables de chalet d'alpage et de hameau.

Il apparaît que les amendements que le Parlement a votés au sujet des chalets d'alpage dénotent une sensibilité géographique apparentée aux Alpes du nord. Or ce vocable de chalet d'alpage revêt un sens différent selon qu'il est employé dans les Alpes du nord, la Corse, les Vosges, les Pyrénées ou le Massif central. Il s'ensuit que la mesure concernée perd en clarté. Il n'est pas certain qu'une modification législative soit nécessaire dans le sens d'une clarification : peut-être le Parlement a-t-il entendu couvrir, sous ce vocable large, toute une catégorie de constructions utilisées par les bergers, etc. Cependant, les DTA voire les SCOT ou les prescriptions de massifs devraient affiner cette définition de chalet d'alpage selon la localisation régionale, afin d'éviter toute une série de discussions dans l'application de la loi.

Quant à la notion de hameau, elle requiert elle aussi ce type de précision. Si la loi montagne s'avère plus aisée à appliquer que la loi littoral, la raison en incombe sans doute pour partie au fait qu'elle résulte d'une élaboration profondément parlementaire, dans la mesure où c'est un groupe de travail présidé par un parlementaire qui a été à l'origine de son élaboration. Il semble indubitable que dans ce cadre, les élus, qui ont prévu la possibilité de créer des hameaux nouveaux comme celle de développer des hameaux existants, avaient à l'esprit l'acception montagnarde du terme de hameau. Or l'acception du terme change ici aussi d'un massif à l'autre.

En outre, la jurisprudence qui applique cette notion de hameau le fait sous un angle quelque peu citadin à mon sens, décidant, par ses arrêts, que « constitue un hameau une organisation de l'urbanisation où il n'existe pas plus de trente mètres entre deux bâtiments ». Quiconque a traversé les Alpes du nord sait qu'il est des hameaux ne répondant pas à ce critère ! Il y a donc là une réelle difficulté de vocable. Toutefois, des tentatives de mieux définir la notion de hameau dans la loi, risquent d'aggraver le problème, en liaison avec la jurisprudence. Ici aussi, la solution pour déterminer cette notion dans le sens où elle est vécue par la population passe sans doute par les SCOT et les prescriptions de massifs -- lesquelles possèdent l'avantage, étant approuvées par décret en Conseil d'Etat, de limiter le contentieux ultérieur. Les contentieux ou débats jurisprudentiels ont dévoyé la notion de hameau de sa signification originelle dans l'esprit des élus parlementaires.

Fondamentalement, la difficulté d'application de la loi montagne ne dérive pas de la loi elle-même mais du fait que l'on ne s'est pas donné les moyens de son application : non seulement l'Etat n'a pas opéré les prescriptions de massifs attendues, mais les communes n'ont pas fait suffisamment de schéma directeur ou de SCOT, qui auraient pourtant permis de préciser l'application de la loi localement et en fonction des circonstances particulières, fournissant, en cas de contentieux, une définition claire des notions concernées.

En l'absence de tels moyens prenant les mesures d'application de la loi, chaque tribunal, en fonction des circonstances locales, tente de dégager sa propre appréciation des diverses notions à une opération particulière. Or cette appréciation, qui ne porte pas sur une vue générale de l'aménagement de l'espace mais sur des cas particuliers, se révèle systématiquement plus sévère que nécessaire dans l'application de la loi, afin d'éviter tout dérapage. Le fait que la loi SRU relance les documents de planification intercommunaux par le biais des SCOT en des lieux qui n'en disposent pas m'apparaît donc comme une chance réelle pour l'application de la loi montagne comme de la loi littoral.

Le problème tient dans ce que nous ne surmonterons pas complètement les conséquences des erreurs antérieurement commises - l'absence de documents d'urbanisme, notamment -- et que nous pâtirons de la sévérité de la jurisprudence, qu'une meilleure planification peinera à surmonter. Cette remarque semble particulièrement vraie dans le cadre de la loi littoral. En effet, les notions d'extension urbaine limitée ou d'espace remarquable posent un véritable problème, aujourd'hui, dans la mesure où l'absence de leur définition à une échelle significative -- sur une vue d'ensemble -- conduit les juges à prendre en compte les risques éventuels d'urbanisation excessive et, en conséquence, à qualifier remarquables des espaces qui ne le sont pas véritablement. Le problème est le même pour les extensions de constructions...

Les communes montagnardes doivent comprendre qu'à moins de ne presque jamais délivrer de permis de construire, elles ont tout intérêt à établir ne serait-ce qu'une carte communale. Alors, la question des hameaux ou celle des extensions limitées poseront moins de problèmes. Plus avant, l'établissement de SCOT -- fussent-ils ruraux -- peut leur permettre de mieux appliquer la loi, en leur conférant les moyens financiers et matériels pour réaliser les études nécessaires à leurs documents. Certains départements l'ont bien compris, qui sont en train de voir leur territoire se couvrir d'un maillage de SCOT, y compris sur de petits secteurs ruraux dont la ville principale ne dépasse pas trois mille habitants. Une fois que les communes rurales s'entendent entre elles pour établir ces SCOT, elles peuvent mutualiser leurs efforts -- notamment financiers -- pour mener ensemble les études de diagnostic ou d'environnement exigées par la loi, tout en demeurant chacune compétente dans le cadre de sa propre carte communale.

Aller dans ce sens ne peut qu'améliorer l'application de la loi. Les revendications fréquentes consistant à prôner une diminution des protections ne semblent pas devoir être votées. Vous avez vu à quel point la très légère atténuation de la loi montagne a induit une campagne de presse faramineuse sur le thème « le gouvernement bétonne ! »), alors que rien de ce que le Parlement a voté dans la loi SRU n'était choquant. En réalité, autoriser l'établissement de zones d'urbanisation en dehors de la continuité urbaine -- puisque c'est cela qui était en cause -- peut s'avérer nécessaire à la préservation des espaces agricoles et des paysages. Dès lors que l'accord de la Chambre d'agriculture et de la Commission des sites était donné, les précautions que la loi prévoyait pour cette adaptation étaient suffisamment grandes pour penser que cela n'aboutirait pas à des catastrophes.

Il est peu vraisemblable et d'ailleurs peu souhaitable que les protections qui sont prévues dans les lois montagne ou littoral soient sensiblement atténuées. La solution consiste à se motiver pour aller de l'avant et réaliser les planifications en termes de documents d'urbanisme, qui permettront de définir ce qui doit être protégé et développé tout en respectant les principes d'équilibre dont parlait, à l'instant, Brigitte Phémolant -- à savoir des équilibres locaux entre le développement, d'une part, la protection, d'autre part. Ne pas établir de tels documents nous condamnerait d'avance devant les tribunaux.

M. Jean-Paul Amoudry - Je remercie Philippe Baffert pour son exposé. Je me demande simplement si les définitions des SCOT et des prescriptions de massifs sont soumises au contrôle du juge. Le cas échéant, ne risquons-nous pas, à partir de là, d'aboutir à une nouvelle jurisprudence, à la fois très abondante et tout aussi complexe ?

Mme Brigitte Phémolant - Comme tout document d'urbanisme et tout acte administratif, les SCOT, effectivement, sont soumis au contrôle du juge. Toutefois, l'échelle d'appréciation s'avère différente. Je ne reviendrai pas sur ce qu'a développé Philippe Baffert mais le fait qu'il s'agit d'une planification à une échelle intercommunale conduit à une appréciation nécessairement globale sur les notions de continuité et de préservation des activités. Qui plus est, cette appréciation s'appuie sur un diagnostic poussé. Il ne s'agit donc pas d'un alibi mais d'une étude réelle.

Quant aux prescriptions de massifs, le débat contentieux joue d'une manière différente. Les prescriptions de massifs sont des documents approuvés par décret en Conseil d'Etat, après passage au travers du filtre que constituent les sections administratives. Cela apporte une véritable sécurité juridique. Si les tribunaux administratifs, lorsqu'ils jugeront de la légalité d'un PLU, pourront éventuellement être saisis par les requérants d'une contestation de la légalité de la prescription de massif, il sera rarissime qu'ils la déclarent illégale. Les exemples dont nous disposons, aujourd'hui, ne touchent pas à des prescriptions de massifs mais à des schémas d'aménagements régionaux également approuvés par décrets en Conseil d'Etat, pour lesquels pratiquement aucun tribunal administratif n'est allé jusqu'à formuler une exception d'illégalité. Si le débat contentieux existe, il n'est absolument pas analogue au débat qui peut se nouer sur un projet ponctuel, en dehors de toute réflexion de planification.

M. Pierre Jarlier - Chacun s'accorde à dire qu'avec la loi SRU, nous disposons d'outils nouveaux permettant de répondre à un certain nombre de préoccupations (y compris en montagne) dès lors que des documents de planification existent. C'est là un acquis fort. Pour autant, la difficulté tient dans ce que ces outils de planification -- jusqu'à la carte communale, qui peut répondre elle aussi à cette préoccupation -- ne sont pas toujours envisageables au regard de la taille des communes s'engageant dans ces procédures. C'est pourtant précisément sur des territoires restreints, isolés et soumis à de faibles pressions foncières que se pose parfois le problème de l'opportunité d'une construction, quand bien même les élus sont conscients du capital premier que constituent l'environnement, le paysage et le patrimoine. Nous trouvons là une interprétation extrêmement restrictive de l'administration quant à la notion de continuité urbaine. Dès lors, je voudrais savoir quelle est la définition précise de la continuité. Nous raisonnons souvent en termes de distance alors qu'il serait préférable de raisonner en termes d'intégration. N'y aurait-il pas là matière à clarification pour pouvoir apprécier l'opportunité d'une construction ?

Par ailleurs et plus largement, nous savons que la loi SRU ouvrira sans doute des possibilités d'adaptation locale meilleures en rapport aux prescriptions de massifs -- ce qui a son importance, comme vous l'avez dit. En outre, la prescription de massif peut constituer une réponse en complément de la mise en oeuvre d'un SCOT, par exemple, qui permet, par la suite, de définir aisément des cartes communales et donc de régler le problème de l'urbanisation. Ceci rappelé, ma question est simple. Quelles sont les méthodes actuelles de mise en place de prescriptions de massifs ? En d'autres termes, qui en est le maître d'ouvrage et comment les choses se décident-elles ? Plus avant, n'y a-t-il pas une incompatibilité entre l'idée d'une prescription de massif décentralisatrice, destinée à prendre en compte les spécificités locales des territoires, et les DTA, quelque peu jacobines à mon sens ?

M. Philippe Baffert - Votre première question a trait au problème de la continuité. Il me paraît clair et indubitable que l'esprit des lois montagne et littoral telles qu'elles ont été votées sous-tendent une continuité en termes de distance métrée. La prise en compte de la notion d'insertion dans les paysages et l'environnement passe par une meilleure étude des documents d'urbanisme. On peut estimer que la notion de continuité retenue par le Parlement dans ces deux lois constitue souvent une fausse garantie en matière d'urbanisme. En effet, dans bien des cas, la qualité urbaine profite davantage d'une discontinuité que d'une continuité. Néanmoins, la loi a pris en compte l'idée selon laquelle construire en un lieu vierge revient à gâcher l'espace et à menacer l'environnement naturel.

Cela renvoie à mes propos afférents à la campagne qu'a provoquée l'autorisation accordée aux documents d'urbanisme -- et seulement à eux -- de délimiter des zones d'urbanisation en dehors de la continuité urbaine (malgré toute une série de garanties). Quand bien même une telle réaction serait erronée en termes d'urbanisme, nous ne pouvons pas ne pas tenir compte de cette conception sociale qui veut que la continuité passe actuellement pour garante d'une certaine qualité. La loi est donc claire sur ce point. Si le Parlement souhaitait revenir sur cette conception dans la loi montagne ou littoral par la suite et s'inspirer de ce qui a cours en plaine, sur des cas isolés, il faudrait très clairement préciser que cela ne s'appliquerait qu'en des lieux en perte de population, ne voyant que peu de demande de permis de construire.

Comme je l'ai dit, il me semble qu'élaborer une carte communale se justifie dès lors que la commune attend quelques permis de construire par an. Dans ce cas il semble légitime que chacun puisse construire mais aussi que chacun se discipline à le faire raisonnablement en certains lieux, afin d'éviter de perturber le développement de la commune concernée en termes d'investissement, de paysage ou d'agriculture. Il importe de discuter convenablement de ces choses au préalable, en particulier avec l'ensemble des propriétaires concernés. Je suis persuadé, d'ailleurs, qu'une carte communale établie en concertation entre la commune et la population sera beaucoup plus respectée. Un agriculteur désireux de vendre l'une de ses parcelles choisira naturellement, à cette fin, l'un de ses terrains reconnus comme constructibles.

Votre deuxième question a trait aux prescriptions de massifs et à la DTA. La DTA se justifie là où les enjeux d'Etat se révèlent importants.

Je ne suis pas persuadé que tous les secteurs de montagne nécessitent la mise en place d'une DTA. En revanche, une prescription de massif paraît tout à fait adaptée partout, pour préciser les conditions d'application de la loi. Il y a des résistances, sans doute, mais elles peuvent toujours être surmontées lorsque la volonté politique des élus est forte et je pense qu'il faut que ceux-ci mesurent clairement, aujourd'hui, la nécessité de ces prescriptions de massifs.

M. Philippe Leroy - J'ai noté avec grand intérêt l'axe fort de présentation des SCOT comme fondements, notamment au regard des difficultés que l'on peut rencontrer dans l'application des lois montagne et littoral. Malgré tout, je voudrais poser deux questions.

Premièrement, je m'interroge, tout comme mon collègue Pierre Jarlier, quant à la hiérarchisation de la DTA par rapport aux SCOT. En tant qu'élu de la Savoie, je suis comblé de voir des réflexions engagées pour la couverture de l'ensemble de mon département par des SCOT. Néanmoins, certaines inquiétudes se font jour au sein des trois départements de Haute-Savoie, de Savoie et d'Isère face à l'arrivée de la DTA, les orientations qui nous sont communiquées par le préfet de région faisant apparaître qu'il s'agit de dispositions à caractère réglementaire au niveau cadastral. Lorsque nous mettrons en place les SCOT, les élus bénéficieront-ils d'une marge d'appréciation ou devront-ils transférer au niveau du SCOT ce que le préfet de région est en train d'arrimer au niveau de la DTA ? Peut-être les préfets devraient-ils être rappelés à l'ordre en rapport à cette hiérarchisation. Pour ce qui concerne mon exemple, les trois présidents des conseils généraux concernés -- Haute-Savoie, Savoie et Isère -- ainsi que les maires des réseaux de villes impliquées vont adresser au préfet de région un courrier conjoint pour lui rappeler que la DTA doit s'articuler aux SCOT comme aux PLU. Sans quoi, les élus se verraient soustraits du pouvoir qu'ils ont de mettre en place une doctrine d'aménagement au niveau des SCOT...

Deuxièmement, je m'interroge quant à l'application des SCOT dans le cadre de la loi littoral. J'apprécie beaucoup, effectivement, la solution qu'ils apportent pour ce qui est des opérations limitées ou isolées. En revanche, nous n'avons pas parlé des aménagements. Je connais le cas d'une commune qui s'est vu déférer un permis de construire pour raison de discontinuité. Dans ce cas, la mise en place d'un SCOT aurait réglé les choses. En revanche, je connais également le cas d'un contournement routier actuellement bloqué parce qu'au regard de la loi littoral, il s'avère illégal de construire l'ouvrage nécessaire. Or l'inspecteur général de l'équipement missionné sur ce cas invoque la règle des deux kilomètres de périmètre de protection autour d'un lac assujetti à la loi littoral, alors que dans ce périmètre, une colline fait rupture géographique ! Nous voyons là une situation complètement ingérable, qui bloque la construction d'une infrastructure nécessaire aux deux premières villes du département au regard de la loi littoral. Y aurait-il, dans ce cas, une solution en rapport à ce que permettrait le SCOT au regard des constructions ?

M. Jean-Paul Amoudry - Je vais vous livrer mes questions, en vous priant de m'en transmettre également les réponses écrites.

Mon intervention porte sur des éléments d'expérience locale.

Tout d'abord, nous sommes confrontés, en Haute-Savoie, au constat suivant : un certain nombre de certificats d'urbanisme accordés et renouvelés dans le cadre de plans d'occupation des sols (POS) approuvés par le préfet après avoir satisfait à l'intégralité de la procédure requise se trouvent subitement rejetés. Nous sommes donc face à des situations où des citoyens ayant par exemple réglé des partages familiaux et fait acter par leur notaire que tel terrain était classé constructible mais n'ayant pas immédiatement fait construire s'en voient refuser l'autorisation à la veille de le faire. Il s'ensuit plusieurs choses : la ruine d'un équilibre familial ; une sorte de spoliation, dès lors que ces personnes ont payé des droits sur des terrains réputés à construire ; enfin, un sérieux problème quant au pouvoir que le préfet s'arroge pour déclarer unilatéralement tel aspect du POS non conforme à la loi montagne. Ainsi, il est une commune, en Haute-Savoie, où plus d'une centaine de propriétaires se voient privés de droits ! A titre tout à fait instructif, j'ai ici la situation dramatique d'un jeune couple de fonctionnaires qui se trouve complètement ruiné, ayant mis toutes ses économies dans l'achat d'un terrain puis engagé des frais de géomètre, d'architecte, etc. (après avoir comme de droit renouvelé son certificat d'urbanisme dans le cadre du POS) pour se voir refuser, aujourd'hui, l'autorisation de construire. Voici la lettre pathétique qui leur a été envoyée et je me propose, si vous le voulez bien, de vous la soumettre.

Mon deuxième cas de figure concerne le problème de la règle des quinze kilomètres dans le cadre des SCOT. J'ai à l'esprit le cas d'une barrière rocheuse, les Aravis, qui culmine à près de trois mille mètres d'altitude. De part et d'autre figurent deux communes -- le Grand-Bornand et Sallanches, - distantes de moins de quinze de kilomètres à vol d'oiseau mais séparées par cette barrière naturelle. Pourtant, le SCOT stipule que le Grand-Bornand dépend légalement de la zone urbaine de Sallanches !

Mon troisième cas de figure touche à ce que j'appellerai, à titre personnel, des erreurs d'appréciation de fait, qui n'en sont pas moins graves de conséquences. Le contexte est celui d'une zone assez fortement urbanisée, à l'extrémité de laquelle sont installés trois chalets. Néanmoins, le propriétaire qui rêve d'y construire deux autres s'en voit refuser l'autorisation ! Il existe pourtant un POS réglementaire et la zone en question y figure bien...

Les cas comme ceux-ci se multiplient par dizaines, malgré l'existence de documents dûment validés par les services de l'Etat, actés autant que de besoin chez les notaires et renouvelés à plusieurs reprises. Tout cela s'apparente, à nos yeux, à une forme d'abus de droit. Je vous laisserai donc les documents afférents, vous remerciant par avance de l'attention que vous voudrez bien porter à des situations non uniquement localisées en Haute-Savoie.

M. Michel Moreigne - Pouvez-vous nous apporter quelques réponses synthétiques ?

M. Philippe Baffert - Très synthétiquement, je dirai que pour ce qui concerne le cas de la Savoie, il convient d'élaborer des SCOT et des PLU, y compris en rapport à une future DTA. L'existence de SCOT constitue pour le moins un terrain pour les discussions à venir. Le SCOT devra respecter la DTA dans des relations de compatibilité et non de conformité, comme l'ont confirmé le Conseil d'Etat et le Conseil Constitutionnel lors d'un arrêt célèbre rendu à Toulouse.

En ce qui concerne le problème des quinze kilomètres, la loi est claire : il appartient aux communes et non à l'Etat de proposer un périmètre intelligent et cohérent...

M. Jean-Paul Amoudry - Sauf accident de relief !

M. Philippe Baffert - La question des quinze kilomètres et celle du périmètre sont deux choses distinctes. Néanmoins, il est certain qu'il faut tenir compte des accidents de relief dans l'une comme dans l'autre, pour moduler la réalité et tenir compte, éventuellement, de logiques économiques différentes, caractérisant des zones recouvrant plusieurs SCOT. En outre, hormis cette notion d'accident de relief, deux agglomérations ou deux secteurs situés à moins de quinze kilomètres l'un de l'autre peuvent recouvrir des logiques différentes induisant des périmètres de SCOT différents. Pour ce qui est du cas des Aravis, il me semble effectivement que l'accident de relief existe.

En ce qui concerne les certificats d'urbanisme et les autorisations de construire, à la suite d'un certain nombre de décisions des tribunaux administratifs, le contrôle de légalité a estimé que les POS qu'il a autrefois acceptés sont illégaux eu égard à la loi montagne, qui est directement opposable aux permis de construire. Les élus peuvent avoir légitimement une interprétation différente. Il appartient aux tribunaux de trancher ce genre de conflits juridiques.

M. Michel Moreigne - Merci infiniment. Nous ne prétendons pas avoir épuisé le sujet et sans doute la mission commune d'information réfléchira-t-elle à l'opportunité de vous entendre à nouveau, pour aller plus loin encore dans l'exploration de nos questions.

17. Audition de M. José Rey, chef du Service central des enquêtes et études statistiques au ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (29 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Je remplirai auprès de vous à la fois les fonctions de Président et de Rapporteur de cette mission, dont le Président Jacques Blanc, qui fut votre Ministre, vous prie de bien vouloir l'excuser de ne pouvoir nous rejoindre ce matin. Sénateur de la Haute-Savoie, j'ai la chance d'avoir à mes côtés un éminent collègue en la personne d'Auguste Cazalet, sénateur des Pyrénées-Atlantiques.

Je vous souhaite la bienvenue au Sénat, Monsieur Rey, et vous remercie d'avoir pris du temps sur votre journée pour répondre aux questions que nous vous avons adressées.

M. José Rey - Merci. Je me propose d'aborder de manière non formelle une série de points qui me semblent pertinents. Je vous prie, en outre, de m'excuser pour n'avoir pas rédigé de texte écrit. Toutefois, ayant lancé des travaux d'actualisation du commentaire afférent au secteur de la montagne que nous avons rédigé suite aux résultats du recensement de l'agriculture - travaux toujours en cours dont je me propose, ci-après, de vous livrer la « substantifique moelle » --, je m'engage à faire parvenir au secrétariat de votre commission le texte final dès qu'il sera disponible.

Permettez-moi, au préalable, de me présenter rapidement. Je remplis la fonction de Chef du service statistique du Ministère en tant que fonctionnaire de l'agriculture, ce qui peut apparaître quelque peu original -mes prédécesseurs étaient des fonctionnaires de l'INSEE. Auparavant, j'ai été directeur départemental dans l'Oise et directeur régional en Champagne-Ardenne. Vous constatez donc que ma connaissance du terrain de la montagne peut passer pour légère ! Pour autant, je suis tout de même d'origine dauphinoise...

Quant au service de statistique que je dirige, j'en dirai quelques mots. Comme vous le savez, les statistiques publiques se partagent entre l'INSEE, la direction générale du Ministère des Finances, et les services statistiques des divers ministères. Dans ce cadre, le service statistique du Ministère de l'Agriculture apparaît de très loin comme le plus important et le seul, en outre, à disposer d'échelons départementaux -- l'INSEE lui-même n'en disposant pas. A ce sujet, j'espère que vous connaissez, au sein de vos directions départementales de l'agriculture et de la forêt, sinon le statisticien lui-même tout au moins le directeur qui est à même de vous fournir ces statistiques. En effet, tout ce dont je vais vous parler mérite, en réalité, d'être analysé très finement du point de vue géographique : les moyennes nationales, quand bien même elles s'appliquent à un zonage par massifs, n'en demeurent pas moins extrêmement réductrices.

Je me propose donc de revenir sur les résultats du recensement de l'agriculture 2000 (qui est sans doute l'objet de cette invitation), en évitant toutefois un surplus de données chiffrées.

Le recensement montre que la montagne couvre 28 % du territoire et représente 19 % de la surface agricole utile (SAU) -- taux logique puisqu'une grande part des terrains sont constitués de forêts ou de sites minéraux -- et 20 % des exploitations. D'une manière générale, ces données sont fondées sur le chiffre de 135 000 exploitations agricoles comptées, sur un territoire incluant traditionnellement la région du Piémont mais non les départements d'outre-mer -- dont les statistiques s'avèrent toutefois disponibles par ailleurs.

Le point remarquable, pour la montagne, consiste dans le fait que le taux de 20 % des exploitations qu'elle représente se révèle globalement stable depuis trente années que les recensements modernes ont cours (suivant les échéances 1970, 1979, 1988 et 2000). Ceci signifie que le nombre d'exploitations est en baisse, dans la mesure où le nombre absolu d'exploitations sur l'ensemble du territoire apparaît lui-même en baisse.

Plus précisément, des enquêtes intermédiaires nous permettent de distinguer deux phases dans cette évolution touchant l'ensemble du territoire et des secteurs.

Au cours de la période 1988-1995, cette baisse a été forte, en lien avec l'abaissement de l'âge de la retraite de 65 ans à 60 ans, aux mesures de préretraite engagées et à la figure d'ensemble de la pyramide des âges. Les agriculteurs nés avant 1939, très nombreux, se sont massivement retirés de la vie active à ce moment-là.

Depuis 1995, en revanche, cette baisse semble ralentie, en rapport à une figure améliorée de la pyramide des âges. Nous n'en sommes pas encore à une représentation égale et régulièrement renouvelée de toutes les classes d'âge mais nous nous en approchons -- j'y reviendrai à propos des perspectives d'évolution.

Par ailleurs, la carte des systèmes d'exploitation révèle franchement que les zones de montagne constituent des systèmes herbagers, ce qui conditionne fortement les autres données. Certes, quelques exploitations exceptionnelles persistent, comme les vignes dans les Pyrénées orientales ou les céréales dans les Alpes du sud mais l'essentiel des zones de montagne y compris dans les Vosges, le Jura ou la Corse s'avère des systèmes herbagers.

Ces systèmes herbagers se répartissent à peu près à égalité entre production laitière -- avec des laits valorisés et des fromages AOC dans les Alpes du nord, le Jura voire les Vosges -- et viandes bovine et ovine. S'y ajoutent quelques productions maraîchères ou horticoles. En définitive, seules les productions céréalières, de grandes cultures et les vignobles de qualité semblent sous-représentées, ce qui explique qu'un certain nombre d'évolutions caractérisant précisément ces exploitations au niveau national -- formes sociétaires, part croissante de la main d'oeuvre salariée... -- ne touche pas les zones de montagne.

Il s'ensuit que la taille moyenne des exploitations de montagne (38 hectares) s'avère moindre que celle du niveau national (42 hectares), même si ce genre de moyennes paraît fort réducteur et peu significatif. Surtout, la dimension économique des exploitations de montagne -- obtenue par pondération des tailles et cheptels selon des coefficients indicatifs de valeur ajoutée -- apparaît moitié moindre que la moyenne nationale, dans la mesure où une fois encore, les très grandes exploitations travaillant les céréales, les betteraves et les pommes de terre dans le Bassin parisien ainsi que les vins de qualité en Champagne ou dans le Bordelais ne sont donc pas présentes en montagne.

Cette absence de grande dimension économique en montagne constitue un point remarquable, qui induit une faible modulation des primes dans les zones concernées. Les zones de montagne comptent pour autant peu d'exploitations de petite dimension économique, laquelle semble davantage caractériser les vignobles de consommation courante -- les statistiques agricoles allant jusqu'à recenser des exploitations viticoles de 5 ares en Champagne.

Il en résulte une description représentative des systèmes herbagers, qu'ils soient montagnards ou non : des exploitations de taille moyenne ; une part importante de main d'oeuvre familiale (le chef d'exploitation, sa conjointe, ses parents voire ses enfants), notamment dans les systèmes d'élevage ; enfin, peu de salariés permanents.

Le recensement confirme, sur ce sujet, la constance du nombre de salariés permanents dans le domaine agricole au niveau national. Le nombre d'exploitations diminuant, nous en déduisons que la part relative des employés permanents dans les effectifs des exploitations a crû. Précisément, la main d'oeuvre salariée -- permanente et saisonnière -- représente dorénavant un quart de la main d'oeuvre totale des exploitations, contre un sixième précédemment. Néanmoins, cette tendance n'est pas patente en montagne.

De même, le constat de pluriactivité au sein du couple exploitant, s'il s'affirme de manière croissante au niveau national, ne se vérifie pas en zone de montagne. Quant à la pluriactivité individuelle, elle ne touche que 22 % des chefs d'exploitation en zones montagnardes. Peut-être la raison en incombe-t-elle, dans ce cadre, à la faiblesse de l'offre extérieure, particulièrement dans le Massif Central.

Le célibat, lui, demeure plus élevé dans ces territoires qu'au niveau national mais non spectaculaire. Outre la question de l'isolement géographique, il convient de rappeler, ici, que le célibat constitue une caractéristique générale des systèmes d'élevage, de par la difficulté des conditions de travail induites. Ceci s'avère particulièrement vrai dans le secteur de la viande bovine ou ovine. Or ce secteur d'élevage particulier est également celui dont les revenus sont les plus faibles. Personnellement -- et je sors ici de mon langage de statisticien, au vu des relations que je peux avoir avec des sociologues de l'INRA, par exemple --, je pense que nous pouvons invoquer l'ensemble de ces raisons, particulièrement les revenus et les conditions de vie et de travail.

Pour ce qui est du niveau de formation, les zones de montagnes suivent l'évolution nationale à système de production équivalent. Tout d'abord, le niveau de formation continue de croître spectaculairement de recensement en recensement, au point que l'agriculture ne me paraît presque plus en retard sur ce point. Toutefois, en interne, ce niveau se révèle plus faible dans les systèmes d'élevage que dans l'ensemble des systèmes -- productions céréalières et hors-sol notamment.

Les jeunes agriculteurs, eux, s'avèrent proportionnellement mieux représentés en zones de montagne qu'au niveau national dans son ensemble : l'on y dénombre 10 % d'agriculteurs de moins de trente ans (contre 8 % au niveau national), avec une pointe à 13 % dans le Jura et un palier à 7 % en Corse. Néanmoins, je suis dans l'incapacité de préciser s'il existe une relation, sur ce point, avec les montants attribués aux jeunes agriculteurs au titre de primes... Pourtant, je me permets de vous transmettre mon optimisme sur cette tendance.

Vous me demandez, en outre, d'éventuelles projections. Nous n'avons pas pu en faire, faute de moyens humains. En effet, je dispose d'une seule démographe dans mon équipe mais je noue des conventions avec l'INRA pour que ses chercheurs collaborent avec mon service. Quoi qu'il en soit, le message général indique un ralentissement de la diminution des exploitations agricoles au niveau national mais surtout en zones de montagne (la proportion de jeunes agriculteurs y apparaissant plus forte). Je prévois, pour les dix années à venir, des taux de décroissance annuels de l'ordre de 2,0-2,5 % (contre 4,5 % au début des années 90).

Vous me posez également une question difficile sur le rapport entre l'évolution de la surface moyenne des exploitations et celle des prix du foncier.

A titre de curiosité et hors recensement, j'ai réfléchi à ce qui peut conditionner les prix du foncier et je peux simplement dire qu'à mon sens, la taille des exploitations ne joue pas sur ce point. A titre d'illustration, je vous citerai trois exemples.

Premièrement, lorsque l'on franchit la frontière -- imperceptible -- entre l'Oise et le Val-d'Oise, le coût du foncier à l'hectare augmente de 1 525 euros. Pourquoi ? Tout simplement parce que dans l'Oise, les agriculteurs sont présents et luttent pour une baisse du prix de la terre, tandis que dans le Val-d'Oise, la spéculation immobilière prime et l'on cultive le COS plutôt que le blé ou les betteraves !

Deuxièmement, lorsque le groupe Eurodisney s'est installé en Seine-et-Marne, il a concédé un coût moyen à l'hectare de 15 250 euros, alors que le marché ne requérait que 6.860 euros. Les agriculteurs de Seine-et-Marne se sont installés dans l'Oise et ont concédé, à leur tour, un coût moyen à l'hectare de 10 670 euros, alors que 6 100 euros auraient suffi tout autant !

Troisièmement, lorsque la SNCF a mis en route un chantier TGV dans l'Ain, elle a spontanément consenti à indemniser à la fois les propriétaires et les exploitants expropriés comme elle l'avait fait en Picardie alors que ce n'était pas habituel dans cette région. D'où une spéculation à la hausse.

La PAC de 1992, qui incitait à l'agrandissement des exploitations, a induit une hausse sensible du coût du foncier. Pour autant, je n'ai pas d'idée précise sur cette relation entre le coût et la taille des exploitations. Au regard des chiffres disponibles en zones de prairies naturelles, je propose le constat suivant : les variations du prix de la terre en zones de montagne s'avèrent nettement atténuées par rapport au niveau national. Vous savez que dans une phase 1950-1978, le coût moyen du foncier a crû fortement au niveau national mais moins rapidement en zones de montagne ; à l'inverse, dans une phase 1978-1995, ce coût a chu mais là-aussi moins rapidement en zones de montagne ; enfin, depuis 1995, ce coût remonte mais là-encore moins rapidement en zones de montagne. Il n'en demeure pas moins que le prix de la terre est élevé et supérieur à celui de la moyenne nationale dans les Alpes du nord et les Vosges -- régions où la pluriactivité et le tourisme sont importants.

Une autre de vos questions a trait à l'évolution relative de la part des vaches laitières par rapport à celle des vaches allaitantes. Il est certain qu'en termes de cheptel laitier, la part que représentent les zones de montagne au niveau national croît nettement (de 15 % en 1970 à 20 % en 2000). Autrement dit, le cheptel laitier de montagne baisse moins rapidement que l'ensemble. Parallèlement, l'évolution se trouve inversée en termes de cheptel allaitant. Certes, les vaches allaitantes se substituent aux vaches laitières comme partout en France ; mais comme le cheptel laitier de montagne baisse moins rapidement qu'au niveau national, le cheptel allaitant de montagne, logiquement, croît moins rapidement ! Il s'ensuit que la part des zones de montagne dans la production nationale de viande baisse légèrement.

Vos sensibilités agricoles vous permettent naturellement de comprendre ce phénomène global de substitution : du jour où ont été imposés des quotas laitiers (1984), le nombre de têtes s'est restreint -- le rendement moyen des vaches continuant de croître. Cependant, dans la mesure où ces quotas laitiers ont moins diminué voire ont augmenté en zones de montagne, la part du lait de montagne dans la production laitière totale a crû.

J'ajouterai à cela un constat personnel: les races à très hautes performances laitières -- la Holstein, notamment -- sont peu présentes en montagne, où l'on a sélectionné, en revanche, des races à fort taux de matières grasses et azotées en vue de produire du fromage -- la Montbéliarde, etc. Pour produire une quantité de lait constante, il faut donc plus de vaches en montagne qu'ailleurs ! En d'autres termes, il n'est pas d'usine à lait en montagne et la substitution du lait vers la viande y apparaît moins forte qu'au niveau national.

Enfin, vous m'interrogez sur la question des revenus, qui sort du cadre du recensement -- tout comme celle du foncier. Néanmoins, nous menons une opération par sondage auprès de 8 000 exploitations professionnelles -- le Réseau d'information comptable agricole --, qui nous permet de suivre et d'interpréter dans le détail des comptabilités complètes. Il en ressort certains points sur la question des revenus, qui paraissent une fois encore liés aux systèmes de production.

Ainsi, il est connu que les éleveurs de viande ovine ou bovine révèlent les revenus les plus faibles, qu'ils soient installés en montagne ou non. Mais une observation plus fine s'avère intéressante.

Les exploitations laitières de montagne apparaissent plus restreintes que leurs consoeurs nationales en taille comme en cheptels mais emploient davantage de main d'oeuvre. Ceci explique leur productivité moindre. Malgré des aides allant dans le sens d'une compensation de ces handicaps, leurs revenus se révèlent inférieurs de 30 % à ceux de l'ensemble des exploitations laitières ! Plus avant, les aides représentent 50 % de ces revenus, alors qu'en plaine, les aides directes aux vaches laitières sont rares.

En matière de viande, le constat est le même : taille et cheptels plus petits ; main d'oeuvre plus élevée ; mais revenus inférieurs de 30 % également à ceux de l'ensemble des exploitations, alors que les aides représentent ici 150 % des revenus (et conditionnent, de fait, l'existence même de ces exploitations) !

Les ovins, eux, constituent un cas particulier dans la production. En effet, les cheptels ovins de montagne sont plus grands que ceux de plaine, d'une part ; le lait de brebis est essentiellement produit en montagne, d'autre part. En dépit de cela, le système ovin -- lait et viande considérés ensemble -- procure un revenu qui égale l'ordre de grandeur des aides.

Globalement, les chiffres 2000 correspondant aux exploitations professionnelles de montagne indiquent un revenu moyen disponible avant impôts de 21 000 euros par exploitation, dont 15 000 euros d'aides (parmi lesquels 10 000 euros d'aides européennes). Le tout compte pour 1,4 unité de main d'oeuvre équivalente temps complet, ce qui induit un revenu de 15 000 euros par UTA non salarié -- ce qui est tout de même supérieur au SMIC. Par comparaison, les chiffres 2000 correspondant aux exploitations professionnelles France entière indiquent un revenu moyen disponible avant impôts de 28 000 euros, dont 20 000 euros d'aides.

Depuis la PAC de 1992, les aides en zones de plaine sont plus importantes qu'en zones de montagne, notamment en direction des céréales, oléagineux et protéagineux. A ce sujet, la part des aides dans les revenus atteint 60 % dans les départements céréaliers de l'Oise et de la Seine-et-Marne (contre 1-2 % avant 1992), 100 % en Lozère mais uniquement 16 % dans les départements de Savoie et de Haute-Savoie (contre 10 % avant 1992). En définitive, l'agriculture de montagne n'est donc pas fortement aidée, surtout dans les zones laitières.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie pour ces propos, qui se sont avérés fort enrichissants. Avant de réagir, je vais passer la parole à Auguste Cazalet, qui a quelques questions à vous poser.

M. Auguste Cazalet - Je n'ai pas été surpris du taux de 28 % du territoire couvert par les zones de montagne -- bien que pour notre part, nous disposions d'un taux de 30 %...

M. José Rey - Il s'agit d'un chiffre issu des surfaces cadastrées.

M. Auguste Cazalet - Soit ! Cependant, il est des secteurs de ce territoire montagnard vierges de toute exploitation, ce qui fausse l'ensemble des statistiques. Quant au taux de 20 % des exploitations nationales sises en zones de montagne, il m'étonne davantage mais je le conçois, sachant moi-même à quel point les agriculteurs montagnards s'avèrent irréversiblement attachés à leurs terres et peu enclins à l'exil en plaine.

En revanche, je suis très surpris par la taille moyenne annoncée de 38 hectares par exploitation. Je serais curieux de connaître vos méthodes statistiques sur ce point ! Certes, je ne suis pas un intellectuel. Néanmoins, dans mon secteur de la vallée d'Ossau, 38 hectares constituent d'emblée une exploitation fort importante. Il est vrai qu'à une vingtaine de kilomètres de là, vers Pau, les cantons de Morlaàs ou de Lescar renferment des exploitations pouvant dépasser la centaine d'hectares mais je m'interroge tout de même...

Par ailleurs, vous relevez un taux de pluriactivité des chefs d'exploitation de 22 % en zones de montagne, qui m'interpelle lui aussi. Dans le canton de la Rance, que je connais bien -- vous avez sans doute entendu parler du col d'Aubisque lors du Tour de France --...

M. José Rey - J'ai entendu parler de ce secteur en rapport à l'écobuage !

M. Auguste Cazalet - L'écobuage concerne surtout le Pays Basque. Bref, la pluriactivité touche plutôt 80 % des ménages dans ces régions, qui profitent, il est vrai, de la délocalisation de certaines unités de production telles les usines Messier, Turboméca ou Dassault. A quelques dizaines de kilomètres de là, pourtant, les situations économiques peuvent être totalement différentes.

Vous abordez également la question du rajeunissement relatif des exploitants en zones de montagne. Peut-être s'agit-il d'un revers du fait que les jeunes se forcent à devenir paysans pour ne pas avoir à chercher d'emploi ailleurs.

Quant à l'accroissement du cheptel laitier aux dépens du cheptel allaitant, la raison en incombe, en effet, à la difficulté des conditions de travail. La traite est ce que je connais de plus contraignant ! Non seulement elle nécessite un personnel important mais elle ne souffre aucune défaillance quotidienne : que l'on soit fatigué ou malade ou qu'il y ait baptême ou mariage ne compte pas ! Aujourd'hui, le développement de l'entraide en améliore quelque peu les conditions mais cette contrainte demeure. Pourtant, le lait constitue pour le moins un revenu quotidien, dont les petites exploitations de montagne ne peuvent se dispenser. Il me plaît, à ce sujet, d'imaginer la maladresse des vaches Holstein -- trop hautes -- en montagne.

Enfin, la question des revenus me paraît elle aussi pouvoir être nuancée.

M. José Rey - Permettez-moi de corriger quelques points d'information.

Premièrement, les zones de plaine ne se vident pas. Depuis la PAC de 1992, chaque mètre carré est l'objet de toutes les convoitises, compte tenu des primes qui y sont attachées. En outre, les ressortissants des pays voisins n'investissent que peu dans nos terres et principalement aux alentours de leur résidence secondaire. C'est une surprise, étant donné que le prix de la terre peut apparaître trois à quatre fois plus élevé en Allemagne et dix fois plus haut aux Pays-Bas. Enfin, je rappelle que les chiffres que je vous livre ne sont que des moyennes statistiques, dans lesquelles, en l'occurrence, le Massif central pèse lourd. Or celui-ci correspond à une région à faible pluriactivité, où les exploitations sont de taille très importante.

M. Auguste Cazalet - Est-ce que ces statistiques incluent les pâturages collectifs ?

M. José Rey - Ces statistiques comportent l'artéfact suivant : nous ne comptons dans les surfaces que les exploitations correspondant à un utilisateur unique. Ceci mis à part, nous pouvons estimer qu'il y a 200 000 hectares collectifs en France entière. Hormis la Corse, qui se livre à des opérations de débroussaillage spectaculaires en vue d'obtenir le coefficient d'extensification et donc certaines primes majorées, cette surface totale tend à diminuer au profit des infrastructures et des développements urbains en zones de plaine mais aussi des forêts en zones de montagne.

M. Jean-Paul Amoudry - Je voudrais vous livrer quelques questions complémentaires, en vous priant de les noter afin de nous instruire de leurs réponses par une note écrite complémentaire.

Ma première question peut paraître technique mais elle servira à affiner la précision de notre rapport. Elle a trait à la vache Holstein, qui semble peu présente en zones de montagne. En complément de ce que vous nous en avez dit tout à l'heure, quelles sont les raisons qui font que son lait ne donne pas satisfaction en termes de production fromagère ?

M. José Rey - Je ne suis pas zootechnicien mais je crois savoir que la vache Holstein a été sélectionnée, de toute éternité, en raison de sa production laitière et non pour ses coefficients de matière grasse ou azotée. Ces deux critères s'avérant généralement contradictoires, les coefficients se sont dégradés. Les choses sont en amélioration depuis une dizaine d'années mais il n'en demeure pas moins qu'en comparaison d'une vache Montbéliarde, par exemple, le choix se fait clairement.

M. Jean-Paul Amoudry - Nous comprenons que ce sont d'autres races de vaches -- l'Abondance, la Tarine, la Montbéliarde... -- qui favorisent, dans les Alpes, les meilleures productions fromagères. Pour en revenir à l'Aubrac et à bien d'autres races de pays, est-ce que vous disposez de courbes d'évolution de ces cheptels, qui parfois semblent menacés ? La motivation de cette question tient dans ce que confrontés à l'éventualité d'une nouvelle crise de la vache folle, certains éleveurs prétendent que maintes races de pays pourraient tout simplement disparaître si elles se trouvaient à leur tour frappées. Nous savons que la race Tarine compte environ 15 000 têtes et l'Abondance environ 60 000 têtes, me semble-t-il. Est-il possible de connaître précisément les cheptels et, éventuellement, la tendance actuelle ? Nous saurons alors si ces races attachées à des productions de qualité et à des filières bien identifiées -- qui sont, pour l'essentiel, la survie de notre agriculture de montagne -- reposent sur des cheptels conséquents et en bonne santé.

M. José Rey - Nous disposons tout au moins de séries depuis le recensement de 1970, qui nous permettent de répondre à cette question avec finesse. De mémoire, il me semble que nous sommes portés, actuellement, à suivre avec attention l'évolution de certaines races classiques et à implémenter des mesures environnementales pour soutenir des cheptels rustiques locaux. Néanmoins, une race comme la Vosgienne, par exemple, apparaît localisée à une zone très étroite.

M. Jean-Paul Amoudry - Si nous n'y prenons garde à travers un travail de sélection et de pérennisation, certaines races de montagne pourraient donc disparaître...

M. José Rey - Il ne me paraît pas moins clair que nous assistons, depuis une vingtaine d'années, à une prise de conscience des chercheurs et des éleveurs eux-mêmes sur ce danger. Je tenterai de mesurer ce fait dans les chiffres.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous en remercie par avance.

Ma deuxième question a trait à la pluriactivité. Comment évolue-t-elle entre agriculture et tourisme ? Les statistiques montrent-elles une diversification de l'agriculture vers le tourisme en tant que revenu d'accompagnement ?

M. José Rey - Les activités touristiques liées à l'exploitation agricole apparaissent stables en valeur absolue, ce qui dénote une légère croissance en termes de taux, bien que celui-ci demeure très modeste -- 1,5 % environ, un peu plus dans le sud de la France et les zones de montagne. Nous sommes quelque peu surpris par cette stabilité relative, qui ne reflète pas la très forte augmentation du nombre de gîtes ruraux, par exemple. En conséquence, il semblerait que les agriculteurs se spécialisent sur leur métier ou distinguent nettement ces deux activités en termes juridiques ; à moins que ceux qui ont rencontré un certain succès dans le domaine touristique n'aient d'ores et déjà abandonné le domaine agricole. Nos enquêtes devront approfondir ce point. Il n'en demeure pas moins que d'une manière générale, nous constatons que les agriculteurs commencent systématiquement par spécialiser leur système et leur travail avant de les élargir, éventuellement, vers des activités extra-agricoles (un élevage d'agrément, une table d'hôte, etc.).

M. Jean-Paul Amoudry - Il s'agit là d'un sujet important, qui porte des problématiques nombreuses (les caisses pivots, etc.).

M. José Rey -Je le comprends. Pourtant, en réfléchissant aux sources d'information possibles, il m'apparaît que le recensement de la population n'interroge que l'activité principale. A mon avis, la question des statuts juridiques distincts masque un peu les choses.

M. Jean-Paul Amoudry - Si un ménage conjugue un chef de famille exploitant agricole et une conjointe active dans un autre domaine, cela apparaît-il dans vos chiffres ?

M. José Rey - Cela apparaît, dans la mesure où nous posons directement la question. A ce sujet, les agriculteurs commencent à nous faire savoir que nous sommes parfois très indiscrets ! Quoi qu'il en soit, ils nous répondent à 99,9 %...

M. Jean-Paul Amoudry - Sans doute remplissent-ils des formulaires depuis longtemps !

M. José Rey - Oui. En outre, nos enquêteurs les y assistent.

Nous posons des questions sur l'activité des autres membres de la famille depuis 1963, ce qui nous permet de disposer de séries longues sur ce sujet. Il apparaît ainsi que la pluriactivité au sens du ménage et non de l'individu s'est fortement étendue mais moins en zones de montagne qu'ailleurs. En zones céréalières, par exemple, il est clair que le chef d'exploitation comme sa femme sont parfois de niveau bac+2 ou bac+4 et que celle-ci, la plupart du temps, occupe une activité hors l'exploitation.

M. Jean-Paul Amoudry - Ma dernière question concerne l'enfrichement, dont l'évolution me préoccupe en ce que nous assistons à la fermeture progressive des paysages, surtout en montagne. Avez-vous des données sur ce problème, qui illustreraient l'évolution de la pratique agricole et simultanément, à l'inverse, l'accroissement des terres agricoles laissées à la friche ?

M. José Rey - Au niveau de la France entière, globalement, la surface agricole a diminué de 3 %, alors que le nombre d'exploitations, lui, a chuté de 35 % en dix ans. Cette baisse de la surface agricole, si elle n'est pas négligeable, demeure donc relativement marginale. En zones de haute montagne, par ailleurs, elle apparaît même en croissance.

Pour autant, nous disposons d'une autre enquête sur l'utilisation du sol -- l'enquête annuelle TERUTI --, qui s'attache à l'observation par sondage de 550 000 points régulièrement répartis sur le territoire. Cette enquête révèle que des 85 000 hectares que la SAU perd annuellement, la première moitié concerne des terres de plaine de bonne qualité qui passent aux infrastructures et au développement urbain tandis que l'autre moitié concerne des terres de montagne de qualité médiocre qui basculent en landes ou en friches. Néanmoins, les flux jouent dans les deux sens puisque comme je l'ai évoqué, les Corses s'attèlent à une remise en valeur de certaines friches (dont le statut de propriété, d'ailleurs, n'est pas toujours très clair). En définitive, il semble que 40 000 hectares environ basculent chaque année en forêt à travers un processus progressif -- les définitions internationales qualifiant de forêt tout terrain comportant plus de 10 % de couvert ligneux.

M. Jean-Paul Amoudry - Il est vrai que cette fermeture du paysage se constate partout et de manière très symptomatique. Nous apprécierions donc quelques données chiffrées sur ce thème.

Je vous propose de nous en tenir là et vous remercie de votre contribution.

18. Audition de Mme Claudine Zysberg, chargée de mission à la Direction des études économiques et de l'évaluation environnementale du ministère de l'écologie et du développement durable (29 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - C'est avec plaisir, Madame Zysberg, que je vous accueille au Sénat. Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation pour participer à cette audition, que nous avons organisée dans le cadre des travaux de la mission sénatoriale d'information sur la politique montagne. Vous avez sans doute déjà pris connaissance des objectifs et du déroulement de ces travaux, qui doivent se conclure par le dépôt d'un rapport au mois d'octobre prochain. Nous avons encore quelques semaines pour auditionner et visiter les massifs montagneux français avant d'établir une synthèse.

Les travaux de cette mission s'orientent vers trois thèmes majeurs : le thème de l'aménagement, d'abord, qui comprend toutes les questions afférentes à la forêt, aux infrastructures de transport, aux techniques de l'information ou encore aux services publics en zones de montagne ; le thème de l'économie, ensuite, qui touche à l'agriculture, à l'artisanat, au commerce et au tourisme ; enfin -- et sans hiérarchie dans cet ordre --, le thème de la protection de l'environnement. C'est plus particulièrement au titre de ce troisième thème que nous vous accueillons, pour vous entendre puis échanger avec vous à partir de la grille de questions que nous vous avons adressée.

Je suis moi-même sénateur de Haute-Savoie et Rapporteur de cette mission. Malheureusement, son Président Jacques Blanc, sénateur de Lozère, vous prie de l'excuser pour son absence. A mes côtés, j'ai le plaisir de vous présenter Jean Boyer, sénateur de la Haute-Loire. Je compte que quelques collègues nous rejoindront d'ici quelques instants, sachant que le nombre restreint de sénateurs ici présents s'explique par le calendrier électoral, qui tend à les retenir dans leurs départements. Quoi qu'il en soit, votre déposition se trouvera naturellement inscrite au rapport et portée, le moment venu, à la connaissance de la mission réunie en séance plénière. C'est à partir des éléments que vous allez nous communiquer qu'en tant que Rapporteur, je présenterai les conclusions à ce groupe de travail. Aussi, sans plus attendre, je vous laisse la parole.

Mme Claudine Zysberg - Merci Monsieur le Président. La politique que mène le ministère de l'Ecologie et du Développement durable en matière de protection de la montagne se situe de toute évidence dans le cadre législatif actuel :

la loi montagne, d'une part, modifiée par la loi d'orientation d'aménagement durable du territoire en 1999 ;

les diverses législations de protection qui ont mis en place le dispositif de protection des milieux naturels et des paysages, d'autre part -- la loi sur les parcs nationaux de 1960 ; la loi de protection de la nature de 1976 ; la loi sur les paysages de 1973.

Nous considérons comme un devoir devant la nation, l'Europe et la planète entière de mettre en place un certain nombre de protections. Pour autant, nos axes ne se limitent pas à une acception contraignante de cette notion de protection : nous visons véritablement à maintenir la biodiversité d'espaces peu artificialisés, à assurer une gestion efficace des paysages et des ressources naturelles -- notamment de l'eau -- et à prendre en compte l'environnement dans les politiques sectorielles. Dans cette optique, les zones de montagne attirent toute notre attention en termes d'ouverture et de possibilités dans les différentes activités humaines qui s'y développent (qu'il s'agisse de l'agriculture, du commerce, des activités de transport ou encore du tourisme).

En ce qui concerne le développement durable en zones de montagne, comme l'indique l'intitulé actuel du Ministère, notre objectif consiste donc bien à la fois à assurer ces protections réglementaires, à considérer l'ensemble des politiques sectorielles à la mesure de l'enjeu environnemental et à porter une attention particulière à la montagne (la loi ayant donné le moyen d'encadrer pour vingt ans les différentes activités spatialisées sur le territoire français par le biais du schéma de service des espaces naturels et ruraux). Sur ce dernier point, effectivement, les secteurs montagnards passent pour des territoires dits « signal ». C'est en ce sens que leur gestion nécessite la mise en place d'un nouveau contrat sociétal -- nous avons parlé, au moment de la publication de la loi montagne, d'une solidarité nationale à l'égard des montagnards --, qui reconnaîtrait les handicaps induits par la vie en zones de montagne en valorisant les services rendus par celles-ci aux collectivités nationale et européenne en termes d'espace, de diversité biologique et paysagère et de récréation touristique.

Le territoire montagnard apparaît protégé à 30 %, alors que le taux de protection nationale moyen ne s'élève qu'à 6 %. Aussi avons-nous considéré préférable de développer une approche de cogestion entre les collectivités publiques et les habitants, tout en tenant compte des conditions socio-économiques de vie et de développement des populations résidentes mais aussi des conditions d'accueil des populations extérieures et de l'entretien des milieux naturels comme du maintien de leur fonction écologique.

A notre sens, le concept de développement durable doit pouvoir prendre tout son sens dans les zones de montagne. Dans cette optique, il paraît nécessaire d'obtenir la reconnaissance de la spécificité montagnarde au niveau européen, à travers la mise en place de politiques adaptées propres à ces zones. Cette revendication a constitué l'un des axes forts des Assises du développement durable de Toulouse, tenues récemment, lesquelles ont prôné, à cette fin, le renforcement de l'identité des communautés montagnardes mais aussi la diversification des activités en une articulation cohérente (sans monotourisme ni rejet de principe de toute activité industrielle) et l'affirmation du partenariat entre les différents acteurs en jeu.

Peuvent également être évoquées, à ce sujet, les thématiques suivantes : le besoin d'information, de formation et de participation des habitants ; l'aide à la gestion et à l'animation de projets de territoire (et la nécessité, notamment, de mettre en place des structures de gestion à bonne échelle) ; les conditions de garantie d'un tourisme durable ; le développement des démarches qualité pour les productions montagnardes ; le maintien des services publics et la garantie de productions énergétiques renouvelables et décentralisées ; enfin, le règlement de la question parfois cruciale des transports trans-massifs, qui touche à des aspects économiques et environnementaux.

Le capital économique des zones de montagne dépend directement de leur environnement exceptionnel. Négliger cet environnement conduirait à menacer le développement de ces régions et à accentuer la fragilité de ses populations et communautés montagnardes. Le concept de développement durable et son application prennent ici tout leur sens !

Telle est ma déclaration de principe, Monsieur le Président. Je peux, à présent, répondre plus spécifiquement aux questions que vous m'avez posées.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie pour cet exposé introductif et vous propose de nous envoyer dès que possible vos réponses écrites à la grille de questions que nous vous avons transmise. Quant à l'immédiat, nous pouvons sans doute aborder ensemble un certain nombre de thèmes tels les outils de protection, les mesures décentralisées ou encore Natura 2000.

Pour ce qui concerne les outils de protection et les mesures décentralisées, tout d'abord, comment voyez-vous les choses sur le terrain ? Nous connaissons les parcs naturels, les réserves, les arrêtés de biotope ou autres expériences de caractère plus ou moins décentralisé telles l'Espace Mont-Blanc, par exemple... Nous pourrions discuter de ces outils, pour qu'à la fois vous nous disiez comment ils répondent, selon vous, aux objectifs de protection qui leur sont opposés mais aussi lesquels d'entre eux, précisément, vous semblent devoir prospérer ou subir diverses améliorations. En d'autres termes, pensez-vous que les structures de parc des Cévennes ou de la Vanoise ou encore la réserve des Aiguilles Rouges, près de Chamonix, sont des systèmes satisfaisants ?

Mme Claudine Zysberg - Je ne suis pas certaine d'être la mieux à même d'évaluer ces outils de protection, en tant qu'agent travaillant au Ministère de l'Environnement, et affectée à une autre direction que la direction en charge de la protection, la direction de la nature et des paysages.

Les outils de protection mis en place, communs à l'ensemble du territoire français, sont le fruit d'une lutte de quarante années pour la protection de l'environnement au sens large. La première mesure a consisté à mettre en place des parcs nationaux dits à la française.

Pour la plupart d'entre eux, les parcs nationaux ont été installés en zones de montagne, du fait de la prégnance des espaces naturels dans ce cadre -- bien que la zone centrale, le parc des Cévennes, soit habitée. Chacun dispose d'un décret propre, qui aborde ses spécificités territoire par territoire.

L'avantage de cette structure publique tient dans le fait que le conseil d'administration qui l'assiste comporte en majorité des élus locaux, lesquels peuvent directement suivre les programmes d'aménagement et de protection envisagés. L'outil apparaît également intéressant du fait que la dénomination de « parc » s'entend sur les zones centrale et périphérique concernées, ce qui ajoute en notoriété au niveau régional. Pour autant, il convient de s'interroger sur la part que prennent véritablement les habitants dans la gestion de cette structure et la protection des espaces naturels. Cette part varie selon les territoires considérés, leur histoire et les équipes municipales ou locales en place -- lesquelles ne sont pas toujours à l'écoute.

Quoi qu'il en soit et même s'ils demeurent un outil d'exception de par l'effort important qu'ils requièrent de la collectivité nationale, les parcs nationaux constituent le fleuron du Ministère, lequel évalue régulièrement leur bilan.

Un second outil de protection tient dans les 150 réserves naturelles instaurées, dont un tiers apparaît sis en montagne. Cette structure résulte de deux législations : la loi sur le classement des sites, d'une part, qui a permis dès 1957 la création de réserves ; la loi de protection de la nature, d'autre part, qui leur a donné en 1976 leur mesure propre (codifiée depuis au Code de l'environnement du L. 332-1 au L. 332-19).

En général, les réserves naturelles couvrent des territoires moins importants que l'outil précédent. Leur intérêt réside dans le fait qu'elles se focalisent sur des milieux particuliers et que l'organisme généralement associatif qui les gère se trouve étayé d'un comité consultatif présidé par le préfet et composé d'acteurs locaux. Il en résulte un lieu de débat qui me paraît tout à fait intéressant. Enfin, chaque réserve s'appuie sur un décret propre pour autoriser ou non des activités humaines selon leur compatibilité avec les milieux préservés.

De tous les outils dits de protection -- auxquels se rattache un outil propre aux collectivités territoriales, que vous avez omis de citer (voir infra) --, le parc naturel régional me paraît l'outil de gestion ou d'appréhension d'un territoire le plus intéressant, notamment en milieu montagnard. C'est un outil de décentralisation complet puisque comme vous le savez, le territoire du parc est proposé par la région avant de conduire au rassemblement volontaire des collectivités concernées autour d'une charte pour se donner les moyens à la fois de préserver les paysages et de mener des activités et des politiques compatibles avec l'environnement.

Il convient de noter, à ce sujet, que les parcs naturels régionaux sont nombreux en zones de montagne et s'y révèlent parmi les plus actifs, notamment en matière de tourisme. Au total, 16 parcs naturels régionaux ont été créés, qui depuis le Vercors jusqu'aux Vosges en passant par les Grands Causses couvrent pratiquement tous les massifs français à l'exception des Pyrénées. Même s'il ne s'agit pas réellement d'un outil de protection, il me semble qu'il y a là une réponse à vos questions.

Enfin, je voudrais également citer les espaces naturels dits sensibles, acquis par le département au titre d'une taxe départementale du même nom. Ils constituent un outil fréquemment utilisé au niveau départemental pour protéger des espaces remarquables et les ouvrir aux habitants ou aux touristes étrangers, d'une part, pour appuyer la gestion des chemins de promenade et de randonnée, d'autre part.

Aujourd'hui, les outils majeurs de protection relèvent de l'Etat. Néanmoins, celui-ci agit presque toujours en concertation avec les collectivités territoriales et les habitants. Ceci vaut même pour les sites classés -- illustrations d'une législation régalienne --, dont aucun n'est issu, dorénavant, sans consultation de la population et accord avec les élus locaux. Plus avant, une gestion d'accueil de la fréquentation des grands sites classés est organisée, en vue d'en préserver la notoriété internationale.

J'ai tenté, ici, d'ébaucher des pistes. Le cas échéant, le législateur a toute latitude pour modifier ces outils. Néanmoins, il convient d'évaluer un outil au regard de son objectif attendu comme de sa réponse aux attentes formulées par les citoyens. Les parcs nationaux et les réserves naturelles attirent chaque année, en France, respectivement sept et huit millions de visiteurs ! Là est la réponse quant à la satisfaction populaire, dès lors que l'on considère que la préservation ne vise pas à établir des sanctuaires mais à protéger des milieux visitables. Pour autant, le problème de l'association des collectivités locales à la mise en place de ces outils demeure posé, en vue d'une meilleure responsabilisation des élus en matière d'environnement.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie pour cette réponse. J'ai encore deux questions à vous poser.

La première des procédures particulières a trait au principe de l'arrêté de biotope : quelle en est la procédure et en quoi celle-ci se différencie-t-elle des autres modalités ou classements ? La seconde évoque Natura 2000 : comment, dans ce domaine, sortir la France de sa situation d'exception et faire en sorte que les collectivités et les élus locaux s'approprient mieux et davantage Natura 2000 ?

Mme Claudine Zysberg - Pour ce qui est de l'arrêté de biotope, je dirai la chose suivante.

Les arrêtés de biotope sont un outil qui doit être manié avec précaution et utilisé à bon escient (sur un territoire relativement restreint) pour protéger une espèce, qu'elle soit animale ou végétale. Dans la mesure où il peut déboucher sur d'autres types de protection, il constitue, à notre sens, un outil en attente. Ceci fait précisément sa singularité en même temps que sa faiblesse, dans la mesure où il paraît possible d'envisager d'emblée d'autres types de protection plus pérennes et en quelque sorte mieux gérés -- tels le classement en site Natura 2000 -- voire de simples mesures plus appropriées. Quoi qu'il en soit, les arrêtés de biotope semblent aisés à mettre en oeuvre...

M. Jean-Paul Amoudry - Vous avez parlé de territoire « restreint » : est-ce un terme générique ou un qualificatif ?

Mme Claudine Zysberg - Le territoire des arrêtés de biotope apparaît généralement relativement restreint, l'outil jouant davantage par sa rapidité que par tout autre aspect. Cela ne dispense pas de réfléchir à sa gestion.

M. Jean-Paul Amoudry - Nous apprécierions que votre réponse écrite apporte des éléments typologiques de classement pour ces notions. Il me semble que les réserves naturelles couvrent habituellement 100 ou 200 hectares, tandis que l'arrêté de biotope peut se circonscrire à 1 hectare...

Mme Claudine Zysberg - Il ne s'agit pas prioritairement d'une question de superficie. L'essentiel est de savoir ce que l'on souhaite protéger. Un arrêté de biotope vise à la protection d'une espèce particulière, tandis qu'une réserve naturelle s'attelle à protéger un milieu donné (grâce à des fonds croisés Etat-région) ; un parc national, lui, regarde plus globalement un ensemble de milieux et de paysages et c'est en ce sens que son budget se trouve souvent directement soutenu par l'Etat. Il est donc tout autant question, en réalité, de protection visée que de moyens disponibles.

J'en profite pour préciser que les sites classés, eux, sont essentiellement des paysages et qu'ils autorisent le développement ou la construction. En ce sens, ils constituent une protection qui vise simplement à gérer l'évolution lente d'un paysage par le biais de l'instruction de la demande de permis. Là encore, c'est une conception différente de la protection.

Quant à Natura 2000, il me semble que la puissance publique -- Etat et collectivités -- doit intégrer sa responsabilité particulière en matière d'habitat. Il est un fait que des 222 types d'habitat définis dans la directive de 1992, le territoire français en offre 70 %. La question de la biodiversité constitue donc un passage obligé. L'enjeu consiste à comprendre que c'est un réseau écologique majeur qui va être mis en place au niveau européen et qu'à ce titre, nous avons tout intérêt à le soutenir.

Suite aux consultations que les préfets ont menées en ce début d'année, nous serons aptes à proposer une liste complémentaire de sites à protéger, qui bénéficieront de financements très importants : financements des contrats Natura 2000 ; financements du fonds de gestion des milieux naturels mis en place par la loi d'orientation d'aménagement durable du territoire ; financements européens par le biais de LIFE et de LIFE-nature, notamment ; enfin, financements en provenance du FEOGA-Garantie. Il nous faut intégrer le fait que l'Europe, qui nous a condamnés une première fois en 2001 pour manquement de désignation à la directive, impose dorénavant comme condition aux versements des fonds structurels la transmission d'une liste complète. Nous n'avons donc pas le choix.

En revanche, une fois que les propositions seront complétées et envoyées, le rôle des élus consistera à faire comprendre à tous les habitants -- propriétaires, agriculteurs, sylviculteurs, chasseurs, etc. -- ainsi qu'à l'ensemble des acteurs économiques, sociaux ou associatifs qu'ils sont associés. Ce ne sera pas facile mais telle est la nécessité. Si l'Europe peut nous contraindre, nous devons porter le débat plus avant et accompagner le mouvement général pour affirmer notre responsabilité. Nous n'en gérerons que mieux ces sites, qui de toute façon seront préservés d'une manière ou d'une autre (leur statut juridique n'étant pas une condition de leur préservation).

En d'autres termes, nous disposons de tous les outils possibles pour protéger les milieux naturels, ruraux et forestiers ainsi que des moyens de gestion nécessaires. L'enjeu, à présent, consiste à choisir notre voie. Dans certains cas, tourner le dos aux protections n'est pas nécessairement la meilleure solution pour préserver les paysages, améliorer les productions et favoriser le développement touristique. En effet, pratiquement toutes les régions françaises et plus précisément l'ensemble des régions montagnardes renferment des types d'habitat et des milieux intéressants de même qu'un fort potentiel touristique. A l'ensemble des acteurs de se concerter pour optimiser cet axe double et rendre les choses compatibles ! (Pour autant, le développement des zones de montagne ne doit pas reposer uniquement sur le tourisme.)

Natura 2000 est sans aucun doute le réseau écologique majeur qui structurera durablement le territoire européen. Ce sera aussi un outil d'aménagement du territoire et de promotion d'une utilisation raisonnée de l'espace.

M. Jean Boyer - Nous avons bien conscience d'évoquer un débat de fond voire de société. Si le législateur ne s'est que récemment penché sur la question de l'environnement, celle-ci s'insuffle pourtant progressivement dans les états d'esprit. Ceci constitue, d'ailleurs, le meilleur avocat possible pour sa mise en avant. Je souhaite engager quelques points complémentaires.

Tout d'abord, je voudrais savoir comment vous appréhendez le rapport écologie-économie en lien à l'environnement. Sur ce point, j'évoquerai l'exemple précis du subventionnement éventuel à l'assainissement des mouillères évoqué par certaines collectivités locales. Certes, ces zones marécageuses mériteraient une protection du point de vue environnemental ; néanmoins, elles constituent une gêne sur le plan économique, en ce qu'elles perturbent la mécanisation des travaux engagés sur les parcelles qu'elles occupent en partie. D'autre part, je souhaite évoquer le cas spécifique des conservatoires botaniques. Comme vous le savez, ceux-ci remplissent une mission d'inventaire de la flore à la fois in situ et ex situ . Le Ministère de l'Environnement a-t-il la volonté d'encourager leur action ? Enfin, ne pensez-vous pas que les concepts de développement durable et d'agriculture raisonnée vont dans le même sens ?

Mme Claudine Zysberg - Votre premier point a trait au rapport écologie-économie. Il est clair que ces deux termes revêtent étymologiquement la même racine grecque, oikos (maison), et s'intéressent donc tous deux au même domaine. Pour revenir à votre exemple des mouillères, je pense qu'il convient de retourner la question. En effet, cette zone particulière peut tout à fait se trouver prise en compte par le fonds de gestion des milieux naturels ou par d'autres financements, à condition de figurer dans le réseau écologique ou dans les inventaires de milieux intéressants. Ainsi, les agriculteurs ou propriétaires désireux de gérer un terrain comprenant une zone humide de ce type peuvent trouver leur intérêt dans la protection de cette zone contre compensation financière ou dans son exploitation paysagère, notamment. L'inventaire que nous avons dressé des zones humides montre que celles-ci diminuent. L'équilibre des écosystèmes en termes de faune comme de flore nous incite donc à les protéger. Toutefois, les cas méritent d'être considérés un à un, au vu des contraintes qu'ils induisent pour le propriétaire ou l'exploitant mais aussi en regard de l'ensemble d'un territoire et d'une région.

Votre second point porte sur les conservatoires botaniques. Effectivement, le ministère a encouragé leur création et les soutient autant en rapport avec leur mission d'inventaire qu'en lien avec leur rôle dans la conservation et le développement des espèces végétales rares. La gestion s'en montre relativement lourde mais l'enjeu réside dans le fait que contrairement à la faune, qui jouit d'une image d'affectivité aux yeux de nos concitoyens, la flore s'avère relativement difficile d'accès et donc fragilisée. Il est donc tout à l'honneur du ministère d'avoir créé puis de soutenir ces structures. Encore faut-il les faire évoluer dans le bon sens...

Enfin, votre dernier point traite du développement durable et de l'agriculture raisonnée. Il me semble indubitable que ces deux concepts vont de pair. Dès lors qu'un agriculteur se pose la question de sa production en rapport à l'environnement naturel et au devenir du paysage, il s'inscrit dans une démarche de développement durable. L'important est que toutes ces démarches se fondent en un ensemble au niveau du territoire, afin que tous les acteurs adoptent une seule et même démarche, garante de cohérence à une échelle plus globale.

M. Jean-Paul Amoudry - Nous allons bientôt prendre congé et je vous remercie pour votre contribution. Pour les besoins de notre rapport, je vous invite à répondre par écrit aussi précisément que possible aux questions que nous vous avons adressées. En particulier, il m'intéresse de pouvoir consigner les voies et moyens d'une sortie la meilleure possible de l'impasse dans laquelle la procédure Natura 2000 semble actuellement installée.

Vos propos ont été fort instructifs. Pour ma part, je constate que sur de nombreuses problématiques liées à l'environnement, nous souffrons, actuellement, de l'établissement d'un rapport de force entre deux parties : les associations représentatives de l'environnement et les fonctionnaires des services de l'agriculture ou de l'équipement, d'une part ; les élus, d'autre part, qui manquent parfois de pédagogie quant au contenu des mesures proposées. L'aide scientifique que peuvent nous apporter un certain nombre de chercheurs ou de personnages faisant autorité en la matière serait sans doute bienvenue pour rétablir et nourrir un dialogue sain entre tous. Bien entendu, je ne mets pas en cause les connaissances des fonctionnaires ou responsables d'associations ; simplement, l'arbitrage scientifique peut nous aider à accepter de transiger dans un sens ou dans l'autre et asseoir, de fait, l'autorité. C'est là une piste sur laquelle nous souhaiterions nous engager et j'aimerais connaître la réaction de votre Ministère quant à cette suggestion.

Un tout dernier point me vient à l'esprit à propos de la présence, dans les zones de montagne, des grands prédateurs réintroduits que sont le loup et l'ours. Pouvez-vous éclairer notre lanterne à ce sujet ?

Mme Claudine Zysberg - Cette question sera traitée dans le rapport écrit qui vous sera envoyé après mon audition. Une précision cependant, les ours des Pyrénées ont bien été réintroduits par l'homme. Les loups, en revanche, sont réapparus d'eux-mêmes.

M. Jean-Paul Amoudry - Au-delà de tout aspect polémique, ce sujet me paraît légitimement porté à figurer dans notre rapport. Il est important que nous puissions en maîtriser clairement les tenants et les aboutissants, afin d'envisager une réponse cohérente en termes écologiques mais également économiques. Comme vous le savez, l'activité pastorale est particulièrement vulnérable sur ce point. Je vous invite donc à nous communiquer tout élément complémentaire.

Mme Claudine Zysberg - Pour ce qui concerne l'aide pédagogique évoquée, je précise que les Cahiers Habitats viennent de paraître : ils fourniront une aide précieuse dans l'établissement des documents d'objectifs en lien aux différents sites Natura 2000.

M. Jean-Paul Amoudry - Pardonnez-moi cet esprit d'escalier mais vous avez préalablement évoqué une liste complète des sites... Nous en déduisons qu'il existe une liste a minima des divers sites institués, que complète une liste complémentaire. Par ailleurs, nous comprenons qu'il est des minima exigibles département par département. Qu'en est-il de ces pourcentages ? Ont-ils une valeur réglementaire ou indicative ? Comment cela s'articule-t-il à la définition des zones à couvrir et des habitats ? Y a-t-il un objectif national prolongé au fil de l'eau ?

Mme Claudine Zysberg - Non. L'inventaire concerne les types d'habitat définis dans la directive et la liste établie par chaque préfet correspond aux sites d'intérêt communautaire. En d'autres termes, tous les sites qui correspondent à ces habitats ne sont pas nécessairement des sites d'intérêt communautaire. Il n'y a pas de pourcentage : l'intérêt national est dépassé au profit d'un intérêt communautaire à la protection et donc à la désignation et les choses se décident territoire par territoire. Ce qui est jaugé est la qualité du site par rapport à la liste complète des habitats d'intérêt communautaire. Cette liste d'accès public est disponible -- avec la description de chaque site -- sur le site Internet du Ministère de l'Environnement.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie infiniment pour votre contribution et les éléments écrits que vous voudrez bien nous apporter.

19. Audition de M. Jean Faure, questeur du Sénat, ancien président de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM), vice-président de l'Association des maires des stations françaises de sports d'hiver et d'été (AMSFSHE) (29 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Je suis heureux de vous accueillir pour cette séance de travail consacrée à la montagne. En l'absence de son Président Jacques Blanc, qui se trouve retenu cet après-midi dans le sud de la France et vous prie de l'en excuser, j'aurai la charge et le privilège de remplir les fonctions de Président et de Rapporteur de cette mission. Nous vous entendrons sur ce que vous jugerez bon de nous communiquer, sachant que nous sommes à peu près à mi-parcours de nos travaux, ayant d'ores et déjà visité le Massif Central et les Alpes.

Je vous remercie vivement de prendre du temps pour nous aider à avancer et à explorer ce sujet vaste et complexe. Nous nous sommes permis, au préalable, de vous faire passer une grille de questions. Je vous laisse à présent la parole.

M. Jean Faure - Merci Monsieur le Président et cher ami.

La loi montagne, que j'ai eu l'honneur de rapporter au Sénat en 1984, avait pour objectif d'assurer un développement harmonieux des zones montagnardes tout en essayant de concilier croissance et protection. Invité, ce jour, à en dresser un bilan, je commencerai par en évoquer les aspects positifs.

Les aspects positifs de la loi montagne sont d'abord apparus clairement, dans la mesure où il s'est agi de la première loi spécifique aux zones de montagne.

Un certain nombre de lobbies , notamment, ont trouvé à s'affirmer. Ainsi, l'ANEM a vu le jour à cette occasion et a effectué, depuis, un travail considérable en direction des communes de montagne, qui a été très positivement perçu par les élus montagnards et s'est consolidé au fil des ans. D'autres organisations territoriales ont été créées sur la base de la taxe sur le ski de fond, comme en témoignent France ski de fond ainsi que de nombreuses structures départementales qui se sont agencées pour mettre sur pied divers systèmes de réciprocité et politiques de promotion ou d'encadrement en direction de cette activité.

A mon sens, cet aspect a induit, au niveau du milieu montagnard, la conscience que la montagne constituait un enjeu pour la nation. Nous avons d'ailleurs fait école dans d'autres pays puisqu'en qualité de rapporteur, j'ai été appelé à différentes reprises à témoigner au Maroc ou dans certains pays européens pour expliciter le contenu de cette loi et sa visée.

Pour ce qui est de la protection agricole et environnementale, sur les aspects purement franco-français et en ce qui nous concerne, je noterai à l'actif du bilan positif pour le domaine agricole deux points majeurs : d'une part, le maintien voire le développement d'aides spécifiques en direction de la montagne, notamment en matière d'élevage ; d'autre part, la confortation des AOC et leur utilisation dans la valorisation de certains produits. S'ajoute à ces points un troisième avantage, qui a trait à l'amélioration du système de protection des terres agricoles pour les agriculteurs professionnels -- mais non nécessairement pour les propriétaires fonciers.

Plus précisément, la notion de protection a constitué le volet majeur de la loi. Celle-ci s'est vue nourrie des travaux de la directive de 1978 suite à un discours sur la protection de la nature et de la montagne. Toute une série de procédures ont pu être mises sur pied, au titre desquelles figurent les unités touristiques nouvelles (UTN), qui ont permis, en dépit de leur lourdeur apparente, une forme d'encadrement et de contrôle du développement touristique selon certaines règles, tout en éduquant le regard au paysage et en favorisant une prise de conscience de l'intérêt patrimonial dans un esprit de concertation et de prudence. Les associations de protection de la nature ont amplement utilisé la procédure UTN pour revendiquer la nécessité de se voir systématiquement consultées pour tout projet.

En ce qui concerne les communes, plusieurs aspects bénéfiques ont émergé de la loi. L'un d'entre eux concerne l'aspect financier. Au regard des communes, en effet, les taxes sur les remontées mécaniques et sur le ski de fond ont été des moyens supplémentaires pour faire face à des frais inhérents à la pratique du ski. La possibilité de création de servitudes de passage pour le tracé des pistes de ski de fond, en outre, a permis de régler nombre de contentieux avec les agriculteurs ou les propriétaires fonciers dont les parcelles se voyaient inopinément traversées. Par ailleurs, les communes ont été confortées dans leur rôle d'autorités organisatrices, les conseils municipaux se sentant investis d'une mission définie par la loi. Je rappelle, à ce sujet, que la commune constitue l'autorité organisatrice à deux ou trois exceptions près en France, telles la station de Courchevel, par exemple, dont l'autorité organisatrice demeure le département (à l'origine de la création de la station). Enfin, le lobbying actif des élus a induit une augmentation substantielle de la dotation globale de fonctionnement (DGF) des communes de montagne par la prise en compte doublée de la longueur des chemins communaux en zone de montagne.

Au regard de ma pratique sur le terrain, tels sont donc les principaux aspects positifs qui me sont apparus à l'évocation de cette loi. Quant aux aspects négatifs, ils s'avèrent, malheureusement, bien plus nombreux.

En ce qui concerne les aspects négatifs, j'aborderai, en premier lieu, le domaine de l'urbanisme.

En matière d'urbanisme, les procédures que la loi montagne a induites en rapport à la reconnaissance du caractère spécifique des zones montagnardes se sont ajoutées au droit commun. Conséquemment, les démarches visant à établir des documents d'urbanisme -- édification d'un POS, délivrance d'un permis de construire... -- se sont sensiblement complexifiées pour les communes de montagne. A titre d'exemple, la loi montagne a généré la nécessité de construction en continuité des hameaux tandis que le droit commun imposait à toute construction le respect d'une distance minimum par rapport aux exploitations agricoles existantes (que celles-ci soient classées ou non) ! Il convient de rappeler que l'urbanisme ne se décide pas à partir de plans mais sur le terrain, en fonction d'une lecture paysagère ; or les règles inscrites se révèlent souvent inadaptées dans la réalité, comme l'illustre la règle des 300 mètres en bordure des lacs, qui conduit parfois à une impossibilité pure et simple de construction nouvelle dans certains villages montagnards.

Parallèlement, la complexité des procédures semble avoir renforcé le pouvoir des administrations. En effet, les lois de décentralisation conféraient des pouvoirs réels aux maires et aux élus locaux. Mais pour des communes peu importantes ne disposant pas de services techniques en interne, édifier, lire et appliquer un POS peut s'avérer si complexe qu'il est devenu nécessaire de faire instruire les dossiers afférents par des services étatiques tels la direction départementale de l'équipement (DDE). Or la lecture de la DDE apparaît souvent très restrictive en termes de droits à construire, ce qui revient à concéder à cet organisme l'exercice d'un droit réel. La tâche des élus ne s'en est pas trouvée facilitée.

Par ailleurs, l'empilement des procédures ou outils de protection de la nature paraît excessif. Les parcs naturels régionaux, réserves naturelles, sites classés, zones humides, sites Natura 2000 ou arrêtés de biotope se conjuguent les uns aux autres -- éventuellement dans une même commune -- pour finalement brouiller les cartes (au point qu'il devient difficile, parfois, de savoir où poser des toilettes publiques !). Certes, chaque porteur de projet se targue de justifier le maintien de ses propres classifications ; néanmoins, les choses deviennent rapidement illisibles et insupportables. Sans compter que s'ajoutent à ces procédures de protection de la nature d'autres procédures, nées des diverses lois ayant éclos au fur et à mesure que la société se complexifiait. Je pense, en particulier, à la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) et à son avatar : le schéma de cohérence territoriale (SCOT). Appliquée dans une zone de montagne à forte population, la règle des 15 kilomètres peut induire de facto le rattachement d'un secteur à un SCOT établi par une commune obéissant à une toute autre logique économique. Ainsi, les massifs du Vercors, de la Chartreuse ou de Belledonne apparaissent tous trois distants de moins de 15 kilomètres d'une ville de 50 000 habitants et rattachés au SCOT de celle-ci malgré une falaise de 2 000 mètres de hauteur les en séparant !

En outre, aucune aide spécifique n'a été consentie pour pallier les surcoûts architecturaux dérivant de la nécessité de conservation patrimoniale. Cependant, s'il est des villages montagnards dignes de conservation, inscrire au POS l'obligation de reconstruction à l'identique entraîne des surcoûts tels qu'il en résulte un nivellement architectural par le bas, les préconisations se voyant appliquées au minimum. D'où un développement urbain sans caractère ni qualité, qui constitue un échec patent au regard de la protection de la nature comme de la valorisation du patrimoine. Ce constat trouve à s'appliquer de manière générale : si la loi montagne se targuait de tenir compte de la spécificité de la montagne dans tous les domaines, aucune aide financière n'est venue soutenir en ce sens les services publics ou l'aménagement du territoire. En termes de travaux à caractère de saisonnalité, c'est souvent presque une année complète qui court, lorsque les normes budgétaires autorisent ces travaux, entre la mise à disposition de l'avis de financement et leur démarrage effectif -- en raison des délais nécessaires à la consultation des entreprises et à la constitution des équipes...

Pour ce qui concerne le domaine de l'agriculture, il me semble qu'il n'y a pas réellement eu de politique agricole nouvelle. Il m'apparaît même que l'instauration des quotas laitiers sur le territoire français, notamment, a simplement reconduit les pratiques qui avaient déjà cours ; si ce n'est que leur instauration dans des zones de montagne n'a pu qu'encourager le développement d'élevages extensifs contraires à une politique de qualité.

Imposer une production de 350 000 litres en zone de montagne revient nécessairement à justifier la présence d'une seule voire de deux exploitations par village, ce qui limite considérablement les possibilités de mise en oeuvre de structures de transformation. A l'exception de la région de Beaufort, qui est parvenue à conserver de petites fermes actives dans la valorisation sur place de certains produits, la plupart des zones de montagne ont ainsi assisté à la disparition de leurs petites unités de transformation -- autrefois appelées coopératives fruitières -- au bénéfice de grands groupes, indifférents, comme de bien entendu, aux politiques de valorisation sur place ou d'AOC. Il s'en est ensuivi, en particulier, des transferts laitiers hors zones de montagne. Sans doute eût-il été préférable d'encourager significativement l'organisation de la profession agricole autour de la qualité et de la valorisation des produits montagnards.

Par ailleurs, certaines normes européennes interdisant l'épandage des lisiers ou des fumiers à proximité des cours de rivières, interdisent de fait ce genre de travaux au pied des versants, ce qui se révèle aller à contre-courant de l'utilisation des matières premières dans la fertilisation des sols mais encourage indirectement le recours aux engrais !

En matière d'aménagement du territoire et plus précisément d'infrastructures, force est de constater les insuffisances et le peu de vigilance qui ont caractérisé certains aménagements routiers en montagne. A titre d'exemple, le massif du Vercors compte deux routes parallèles qui ont été récemment élargies : les gorges de la Bourne, d'une part (Isère) ; les Grands-Goulets, d'autre part (Drôme). Les gorges de la Bourne ont été refaites à l'identique, sans toucher aux surplombs mais en élargissant la voie par des encorbellements ou des massifs en pierrements partant du fond du torrent. La route des Grands-Goulets, suivant les prescriptions de la DDE, a simplement été décapée en sa partie amont sur une trentaine de mètres de hauteur, la chaussée supportant les parapets est en aval, ce qui a induit deux problèmes : premièrement, les parapets apparaissent architecturalement inadaptés à ce site classé comme exceptionnel ; deuxièmement, le décapage est à l'origine de chutes de pierres fréquentes et oblige les talus à se cicatriser sur des années. Pourtant, l'administration aurait dû se voir sensibilisée plus finement à la protection patrimoniale de cette zone de montagne.

Quant aux services publics, la classe montagnarde a été séduite par la promesse de mesures spécifiques dans tous les domaines mais peu d'entre elles ont été tenues. Au contraire, EDF, la DDE, la Poste, l'Office national de la forêt (ONF), l'Education nationale et le Ministère des Finances -- pour ne citer qu'eux -- ont supprimé des services publics sans tenir compte des intentions affichées. En effet, bien que la loi montagne ait prévu de réunir des commissions départementales de services publics coprésidées par les préfets et présidents des conseils généraux, celles-ci se sont avérées, dans la plupart des cas, des lieux non pas d'échange mais de consultations de principe, prenant acte des suppressions de postes sans plus de débat. Or dans le cas de la gendarmerie, par exemple, le regroupement des appels vers un centre unique à partir de 18 heures induit des délais d'intervention extrêmement longs ainsi qu'une dépersonnalisation des services et un manque d'efficacité conséquent.

Sur cette question des services publics, j'ajouterai qu'un autre point négatif tient dans le manque d'évolution du statut de la pluriactivité. J'irai même jusqu'à prétendre qu'il s'agit d'une régression, compte tenu des difficultés administratives que rencontre actuellement une personne qui voudrait reconstituer sa retraite ou sa couverture sociale en continuité d'un emploi précédent autre. L'on peut même parler de parcours du combattant ! Nous savons tous par quoi cette question pêche : le manque d'entente entre les diverses caisses sociales et leur mauvaise volonté à faire quelque effort que ce soit en vue d'une prise en charge unique des salariés, quitte à s'organiser entre elles pour d'éventuels remboursements ultérieurs. Je n'insiste pas, sachant que vous avez évoqué ces problèmes par ailleurs.

J'en viens à la seconde question que vous m'avez adressée, afférente aux frais de secours en montagne.

Nous avons longtemps peiné sur un article de la loi montagne prévoyant qu'à partir de la publication de la loi, les communes pourraient se faire rembourser les frais qu'elles engageraient dans le secours de personnes en difficulté. Il a fallu attendre quatre années, en effet, pour obtenir une application claire de cette loi puisque les dernières circulaires ne sont parues qu'en 1988 ou 1989. Outre ce délai important, le problème tient dans ce que seuls deux problèmes se sont vus réglés : ceux du ski de piste et du ski de fond.

Le résultat paraît pour le moins incroyable. En effet, le système résultant montre le paradoxe suivant : sur un versant damé et entretenu offrant des pistes à la pratique de skieurs possesseurs de forfaits, tout frais d'évacuation consécutif à un accident éventuel demeure légalement à la charge de l'accidenté ; en revanche, sur un versant non balisé et non entretenu, tout frais de secours occasionné par un skieur hors piste se voit pris en charge au niveau collectif ! Nous avons fait entendre notre voix à plusieurs reprises pour dénoncer ces lacunes. En 1999, une proposition de loi déposée par mes soins et présentée par Jean-Paul Amoudry a été votée au Sénat à l'unanimité mais ne s'est pas trouvée reprise par le gouvernement. Je l'ai donc introduite sous forme d'amendement dans le cadre de la loi sur la démocratie de proximité, dont elle constitue dorénavant l'article 54.

Il en résulte qu'à mes yeux, aujourd'hui, les frais de secours sont un problème réglé. En effet, toute commune peut préalablement définir les conditions de participation d'un accidenté aux frais de secours qu'il entraînerait -- par son imprudence ou non -- sur la part résiduelle restant à la charge de la commune sans qu'il soit besoin d'un décret d'application à cette fin.

Quant à la troisième question que vous m'avez adressée, elle m'invite à considérer plus spécifiquement les problèmes que rencontrent les stations de haute et moyenne montagne.

Tout d'abord, je dirai que pour une grande partie de la montagne française, les stations de ski représentent de véritables poumons économiques, qu'il convient de considérer comme tels par leurs retombées en termes de création d'emplois, de développement économique et de maintien des populations sur place. Malheureusement, la France n'a jamais reconnu le caractère prioritaire du tourisme ni des industries premières, sources d'équilibre des devises. Les stations de montagne n'ont pas été mieux considérées.

Le parc d'hébergement des stations montagnardes a beau impressionner par sa taille, il n'en souffre pas moins de vétusté et d'inadaptation à la demande de la clientèle. La disposition opération de réhabilitation de l'immobilier de loisir (ORIL) inscrite dans la loi SRU a pâti d'un manque de moyens pour atteindre son objectif de participation à la réhabilitation du parc immobilier : les aides dégagées par l'Etat dans ce cadre n'apparaissent pas suffisamment encourageantes, à moins que les régions, les départements ou les communes ne s'y associent sensiblement.

Parallèlement et comme partout en France, l'hôtellerie familiale disparaît progressivement au profit de la résidence hôtelière, laquelle ne profite pas d'une image conviviale (en dépit de la relève qu'elle assure en termes de capacités d'accueil). Pourtant, l'exemple de l'Autriche, de la Suisse ou de la Haute-Savoie montre qu'il doit être possible de concilier les deux aspects -- quantitatif et qualitatif -- du problème. En revanche, la dépersonnalisation de l'accueil montagnard ne touche pas les gîtes ruraux, qui affirment leur développement en moyenne montagne, notamment, grâce à une offre reconnue de bonne qualité et identifiable.

En ce qui concerne la fréquentation, nous ne disposons pas de lisibilité quant à l'image estivale de la montagne. Néanmoins, force est de constater que nous avons progressivement déchu en quatrième position des destinations favorites des Français en termes de fréquentation -- après la mer, la campagne et la ville. Sur le terrain, nous observons que hormis quelques rares sites particuliers, la fréquentation estivale des zones de montagne se concentre sur cinq voire six semaines uniquement. Par conséquent, il convient de conduire une politique de promotion de l'image de la montagne d'été, de concert avec les professionnels concernés et l'Etat. Préserver les activités estivales paraît parfois nécessaire à la rentabilisation des activités hivernales, en particulier dans les zones de moyenne montagne, qui ne connaissent jamais de pics de fréquentation.

Pour ce qui est d'une politique nouvelle dans ce domaine, je plaiderai franchement pour une politique canon-neige systématique partout où la technique l'autorise -- à l'image de ce qui se fait en Autriche et en Suisse. Opposer le réchauffement planétaire à cette position ne me paraît pas pertinent, compte tenu de la lenteur de l'évolution -- qui n'en demeure pas moins préoccupante -- : une augmentation d'un demi-degré par siècle nous permettra largement d'amortir les investissements consentis en matériel ! Il en va du maintien d'une activité de la moyenne montagne. Des efforts nombreux ont été portés sur le terrain pour modifier les profils de piste et les engazonner ; les températures s'avérant suffisamment basses, encore faut-il que les précipitations soient suffisantes ! Le canon-neige me paraît donc une réponse nécessaire à la rentabilité des stations moyennes. Je rappelle, à ce sujet, que nombre de stations d'altitude -- Flaine, les Deux-Alpes, Les Menuires... -- adoptent cette pratique jusque 2 600 mètres d'altitude, de façon à assurer leur début de saison dès Noël.

Bien entendu, cette question de la fréquentation touche directement le problème de la rentabilité des stations. A ce sujet, les chiffres montrent que si les grandes stations continuent de pouvoir assurer la rentabilité de leurs investissements, elles le doivent essentiellement à l'apport des clientèles étrangères -- certaines d'entre elles s'en montrant dépendantes à 80-90 % ! Il en va de même pour une grande partie des stations moyennes. La clientèle française, bien répartie sur l'ensemble des sites, s'oriente prioritairement vers les grandes stations en cas de mauvais enneigement de la moyenne montagne. En définitive, il paraît primordial de conserver si ce n'est de développer la clientèle française et étrangère proche -- belge, anglaise, hollandaise, etc. -- pour faire vivre nos stations moyennes.

J'en terminerai par un point concernant les remontées mécaniques. Comme vous le savez, la loi montagne, par la définition du statut d'autorité organisatrice, a conféré aux communes la possibilité de récupérer les biens d'équipement en fin de convention ou de concession, sans pour autant clairement déterminer les conditions de l'éviction des gestionnaires. Il convient de clarifier cette situation. En effet, nous connaissons quelques cas inextricables, dans lesquels la commune, ne souhaitant pas renouveler la concession à l'issue de la convention, n'est pas parvenue à trouver un accord avec le propriétaire exploitant. Il s'ensuit un cycle de procès qui laisse présager l'obligation, pour la commune, de payer un montant d'indemnités considérable. En effet, si la concession n'a jamais été identifiée à un fonds de commerce ordinaire, les tribunaux n'omettent pas, toutefois, de prendre en compte sa longévité, les efforts consentis par son exploitant et le chiffre d'affaires pour déterminer le montant des indemnités. Il en résulte que celles-ci ne se calculent pas uniquement sur la valeur résiduelle comptable des investissements. Il paraît donc important de clarifier la position que le législateur a voulu prendre dans ce domaine à l'occasion de la loi montagne.

Enfin, il convient également de préciser le domaine réglementaire des servitudes pour ce qui concerne les installations de canons-neige ainsi que l'assiette de la taxe des remontées mécaniques, qui pose problème, dans le calcul de la taxe professionnelle, en lien à l'écrêtement.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci infiniment. Nous avons eu là un exposé à la fois complet, clair et objectif des points positifs et négatifs du bilan. Je dirai même que c'est probablement la première fois que nous en obtenons une vision aussi vaste et précise. J'ai quelques questions à vous poser mais peut-être Pierre Hérisson, Auguste Cazalet et François Fortassin souhaitent-ils intervenir...

M. Pierre Hérisson - A la suite de cet explosé très complet, j'aurais souhaité recueillir l'avis de Jean Faure sur les questions des nouvelles technologies et de la couverture du téléphone mobile. Peut-être est-il nécessaire, aujourd'hui, de raccorder l'ensemble des stations estivales et hivernales -- quelle que soit leur population -- au système de haut-débit par téléphonie fixe ou tout au moins aux réseaux de téléphonie fixe existants.

M. Jean Faure - Les nouvelles technologies sont un sujet qui préoccupe beaucoup les zones de montagne.

En ce qui concerne les réseaux de téléphonie mobile, j'ai eu les pires difficultés à en faire équiper certains secteurs montagnards -- ayant même dû recourir, à l'époque, à l'aval direct du président de France Telecom à cet effet. Par la suite, l'ouverture concurrentielle a permis de faire jouer les opérateurs les uns contre les autres et les trois entreprises en question -- SFR, Orange et Bouygues -- ont peu à peu complété l'équipement. Il n'en demeure pas moins qu'en dépit des préconisations de la loi montagne, un service public aux mains d'un opérateur lui-même public se refusait de desservir certaines zones rurales de montagne !

Il en va de même de la télévision dans la mesure où certains relais de montagne ne reçoivent que trois chaînes nationales. Elargir l'offre nécessite des équipements d'un coût tel qu'il demeure impossible, pour les petites communes, de les financer. Cette injustice face au service public n'est pas acceptable.

Le problème me paraît encore aggravé pour ce qui est des nouvelles technologies. En effet, celles-ci apportent théoriquement aux zones montagnardes des chances de développement jusqu'alors inconnues. Le télétravail, en particulier, ne s'entend pas uniquement au sens d'emplois de sous-traitance (fiches de paye, comptabilité...) mais aussi au sens d'emplois de service créés par de petites entreprises s'installant en montagne. A titre d'exemple, j'ai créé, dans le Vercors, une unité de quarante emplois dans un bâtiment dit « intelligent », qui regroupait des travailleurs individuels désireux de structurer leur activité hors de leur cadre domestique autour de services partagés -- accueil, secrétariat, permanence téléphonique, etc. Au terme de trois années, une centaine d'emplois a été créée, dans mon canton, à partir de cette initiative. Aujourd'hui, cependant, nous nous heurtons au coût exorbitant de l'équipement haut-débit (c'est-à-dire du branchement DSL) pour ce bâtiment. Peut-être le nouveau système hertzien règlera-t-il ce problème mais les choses ne sont pas sûres...

Les nouvelles technologies constituent une opportunité fantastique pour les zones de montagne. Grâce à elles, ceux qui désirent vivre dans de petits villages isolés plutôt qu'en centres urbains ne se voient pas nécessairement exclus des réseaux d'information et trouvent donc à s'intégrer socialement au monde actif. En cela, elles méritent toute notre attention.

M. Auguste Cazalet - Quant à moi, votre exposé m'a rafraîchi la mémoire. N'étant plus maire depuis deux années (par ma volonté), j'avais oublié certaines expériences et tu quelques observations. Ainsi, il est vrai qu'en termes d'urbanisme, les interventions actuelles s'avèrent désastreuses faute de ligne directrice. Pourtant, nous étions parvenus, auparavant, à faire appliquer la loi pour assurer la beauté, la spécificité et le cachet des régions de montagne. Quant aux services publics, il est vrai que les coûts induits sont élevés mais il s'agit de savoir ce que l'on veut : sans eux, les villages courent à leur abandon !

Si vous le permettez, je relaterai rapidement un fait qui m'a fait bondir. A l'occasion de l'ouverture prochaine du tunnel du Somport, la commune toute proche d'Urdos, anciennement poste frontière de la vallée d'Aspe et actuellement en crise du fait de l'ouverture des frontières, a souhaité voir implanter dans des bâtiments neufs dont elle disposait le peloton de gendarmerie. Cela n'a pas pu avoir lieu en raison du refus catégorique des épouses des gendarmes de s'installer dans cette commune. L'ensemble des effectifs a préférentiellement choisi d'investir la ville d'Oloron-Sainte-Marie, quitte à devoir effectuer quotidiennement plusieurs rotations en car sur des routes de montagne pour rejoindre le tunnel, distant de cinquante kilomètres ! Par moments, je ne comprends plus les choses...

M. François Fortassin - J'ai moi aussi écouté avec beaucoup d'attention votre exposé. A propos des quotas laitiers, je voudrais simplement observer que les élus pêchent parfois par défaut d'action. En effet, si l'Etat intervient pour des cessations d'activité laitière dans tous les départements, il fait appel, notamment, aux conseils généraux. Or dans mon département, j'ai fait en sorte que les sommes dévolues par le Conseil Général ne participent à l'augmentation des quotas laitiers qu'à la condition que des activités de transformation soient liées. Cela est donc possible. Bien entendu, l'ensemble de l'industrie laitière et les grands exploitants n'approuvent pas cette démarche. Pourtant, une augmentation de 50 000 litres du quota d'un grand exploitant n'améliore en rien sa gestion alors que cette même augmentation accordée à un petit agriculteur pratiquant des activités de transformation peut faire toute la différence et lui permettre de vivre sensiblement mieux..

Par ailleurs, l'intervention d'Auguste Cazalet m'amène à dire que je trouve moi aussi que nos élus ont trop bon caractère ! Que signifie le fait de laisser les épouses des gendarmes décider de nos actes ? Il ne s'agit pas de se laisser endormir par les discours des énarques ou des polytechniciens. Je me souviens d'avoir vu, en séance de conseil général, un élu se coucher sur son manteau posé à terre et entamer une sieste dans l'attente que le préfet se décide à abandonner le langage trouble qu'il tenait ; le comportement du préfet s'en est trouvé affecté dans le bon sens. Nous nous étonnons que personne ne parvienne à appliquer les lois sur le terrain, compte tenu de l'incompréhensibilité de leur langage procédurier ; à nous de lutter collectivement contre ce fait.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci à tous. Nous nous attacherons, dans notre rapport, à intégrer cet excellent témoignage.

20. Audition de M. Jean-Charles Faraudo, président du syndicat national des téléphériques de France (SNTF) accompagné de M. Jean-Charles Simiand, délégué général (29 mai 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Monsieur le Président, Monsieur le Délégué général, je vous souhaite la bienvenue au Sénat et vous remercie d'avoir fait le trajet jusqu'à nous pour nous éclairer de votre vision des problèmes de la montagne dans la spécialité qui est la vôtre.

Vous venez de nous remettre un dossier très précis, qui répond sans doute très clairement aux quatre questions que nous nous sommes permis de vous adresser par écrit sur les points suivants : l'état actuel et l'évolution prévisible du parc français de remontées mécaniques ; le bilan que vous faites de l'application de la loi montagne ; les problèmes institutionnels et juridiques que vous rencontrez ; l'avenir des petites stations en rapport aux questions d'aléas d'enneigement et de caprices de fréquentation. Vous avez la parole pour un exposé liminaire, qui doit autoriser, par la suite, quelques échanges.

M. Jean-Charles Faraudo - Je vous remercie.

Qui sommes-nous ? Nous représentons le Syndicat national des téléphériques de France (SNTF), c'est-à-dire la Chambre syndicale patronale des exploitants de remontées mécaniques et de domaines skiables. Affiliés au MEDEF, nous sommes quelques 250 exploitants environ de remontées mécaniques, répartis dans l'ensemble des stations de sports d'hiver et d'été des massifs français. J'en suis le président élu ainsi que celui du Directoire de la SATA, société d'aménagement de l'Alpe d'Huez, M. Jean-Charles Simiand, est le Délégué général du SNTF.

J'en viens, à présent, à votre première question.

Le parc français de remontées mécaniques est le premier parc mondial. Ceci signifie, de toute évidence, que nos massifs comptent une multitude de remontées mécaniques. Plus précisément, le détail est le suivant : environ 3 000 téléskis ; 850 télésièges -- qu'ils soient à pince fixe (pince soudée au câble) ou débrayable (pince se désolidarisant du câble à l'entrée en gare) ; 140 télécabines ; 60 téléphériques ; 19 funiculaires ; 4 crémaillères ; enfin, 10 ascenseurs.

Conséquemment, la particularité de ce parc extrêmement vaste tient dans son caractère vieillissant : nombreuses sont les remontées mécaniques de plus de vingt, voire trente ans d'âge. Ceci n'est pas nécessairement grave, dans la mesure où la vétusté réelle, dans ce domaine (de même qu'en aéronautique), ne dépend directement que du nombre d'heures de fonctionnement et de l'utilisation qui en est faite. C'est pourquoi les matériels subissent un certain nombre de vérifications régulières. Toutefois, les choses s'aggravent lorsque les exploitants publics ou privés qui composent notre chambre patronale ne disposent pas des moyens d'assurer la maintenance de ces installations, ce qui arrive parfois.

La Direction des transports terrestres -- service de l'Etat ayant en charge le contrôle des remontées mécaniques et dépendant du ministère des transports -- comme nous-mêmes nous préoccupons beaucoup du vieillissement de ce parc de remontées mécaniques et des difficultés que rencontrent un certain nombre d'exploitants à renouveler ces installations. Pourquoi de telles difficultés surviennent-elles ? Tout simplement parce qu'au fil des années, toutes les aides instaurées au profit de la construction et du renouvellement de ces remontées mécaniques ont disparu. Au final, cette responsabilité, aujourd'hui, relève de la seule compétence des exploitants, que ceux-ci soient privés ou publics (voire les collectivités territoriales elles-mêmes).

Nous avons bien tenté, à travers les contrats de plan Etat-région, de faire prendre en compte ce vieillissement des remontées mécaniques par d'autres organismes mais cela n'a pas été possible. A ce sujet et bien que je sois porté à revenir sur ce point tout à l'heure, je précise dès à présent que nous ne sommes pas parvenus non plus à intégrer à ces contrats de plan le financement de la neige de culture et des « enneigeurs » -- terme que je préfère à celui de canon-neige. Quoi qu'il en soit, les difficultés financières liées à l'entretien du parc de remontées mécaniques dérivent de l'importance des coûts induits. Pour que vous en soyez convaincus, je me permets de vous en donner quelques références : un téléski moyen coûte entre 305.000 et 460.000 euros ; un télésiège à pince fixe entre 2,3 et 3,05 millions d'euros ; un télésiège à pince débrayable entre 3,05 et 4,6 millions d'euros ; une télécabine ordinaire entre 4,6 et 6,1 millions d'euros... Vous voyez donc que les chiffres sont loin d'être négligeables et qu'il est compréhensible qu'une petite régie communale du fin fond de l'Ariège, par exemple, peine à trouver les moyens nécessaires au renouvellement de son propre parc de remontées mécaniques.

Le deuxième axe de réponse à votre première question dérive d'une question nécessaire à poser : que veulent véritablement les skieurs ? Pendant de très nombreuses années, les exploitants de remontées mécaniques et les collectivités associées ont cru que les usagers voulaient simplement monter ; aujourd'hui, nous nous sommes aperçus qu'ils venaient davantage pour descendre ! La nuance est importante et nous avons mis longtemps à la circonscrire mais elle constitue une grande révolution intellectuelle dans le milieu de la montagne. En effet, si les remontées mécaniques sont importantes, ce qui prime tient dans l'adéquation entre le nombre de personnes à transporter et la capacité des appareils. Ce n'est donc plus tant le type d'appareil qui retient l'attention ; la course à la taille entre grandes stations semble révolue. Les skieurs veulent monter rapidement au point d'où entreprendre leur descente.

A mon avis -- je croise ici le propos de Jean Faure --, l'Etat a laissé passer sa chance, dans la mesure où il ne s'est pas suffisamment intéressé aux aléas de l'enneigement et a manqué à financer la neige de culture quel que soit le type de station. Il convient de comprendre, effectivement, que la neige de culture est un élément vital pour l'ensemble des activités économiques et de la fréquentation des stations -- hôtels, restaurants, etc. -- et non uniquement pour les exploitants de domaines skiables. L'erreur a donc été de ne pas mettre en place rapidement une aide au développement de la neige de culture dans les stations et ce quel que soit leur type. Sur le marché international du ski, seules peuvent se développer, aujourd'hui, les stations qui s'avèrent capables d'assurer une sécurité d'enneigement.

Je voudrais maintenant tenter de répondre à votre seconde question, qui concerne le bilan que nous tirons de l'application de la loi montagne.

Quels sont, selon nous, les problèmes que pose l'application de la loi en son état ? Suivant notre vision nécessairement patronale, la délégation de service public doit servir d'instrument de base aux collectivités territoriales dans la gestion de leur domaine skiable. La gestion directe par les collectivités locales, en revanche, doit rester une exception, à n'envisager que lorsque l'initiative privée ou semi-privée ne parvient pas à se substituer à la gestion publique. En d'autres termes, nous ne soutenons pas le développement des régies, dont la présence nous paraît fausser la concurrence puisque les exploitants en régie directe bénéficient d'un certain nombre de dispositions fiscales voire d'aides spécifiques.

Le principal problème tient dans ce que les règles définissant la délégation de service public dans la loi Sapin nous paraissent devoir être révisées pour tenir compte de la spécificité des investissements en zones de montagne. Aujourd'hui, effectivement, un grand nombre d'exploitants de remontées mécaniques arrivent au terme de leur durée de concession et rencontrent des difficultés avec l'administration départementale de l'Etat, notamment, pour définir un juste compromis entre les prorogations qui leur sont nécessaires pour renouveler leur parc et l'interprétation extrêmement limitative que fait l'Etat de la loi Sapin. A titre d'illustration, un exploitant de remontées mécaniques à qui il resterait cinq années de durée de vie dans une station et qui s'engagerait dans un important programme de développement ou de renouvellement de son parc se verrait obligatoirement mis en concurrence par l'application de la loi Sapin. Ne sachant pas s'ils pourront étaler et donc amortir leurs investissements éventuels sur une durée suffisamment longue -- entre 15 et 30 années --, de nombreux exploitants concessionnaires se dispensent donc simplement de tout investissement sur leur réseau de remontées mécaniques. Aussi avons-nous demandé à la Direction des transports terrestres d'interroger le Conseil d'Etat sur ce point. Néanmoins, il faudra peut-être réviser la loi Sapin, afin que ces interprétations très restrictives des services de l'Etat autorisent les prorogations.

Comme je vous l'ai dit, notre chambre patronale est constituée d'entreprises publiques ou privées ; mais elle comprend également des entreprises à la fois publiques et privées, c'est-à-dire des sociétés d'économie mixte (SEM). La SEM semble un outil intéressant pour concilier délégation de service public et gestion à caractère industriel et commercial. En revanche, la participation majoritaire des collectivités locales constitue, à notre avis, un frein au financement des investissements. Les SEM doivent pouvoir s'alimenter en fonds propres sans imposer aux collectivités territoriales actionnaires majoritaires de financer leurs investissements par des augmentations de capital. En d'autres termes, il nous semble que la loi sur les SEM récemment révisée, qui a maintenu cette disposition en faisant en sorte que les collectivités soient nécessairement majoritaires, constitue un frein au financement des investissements.

Voilà ce que je souhaitais dire sur l'application de la loi montagne. A notre sens, les incitations voire les aides de l'Etat au renouvellement du parc des remontées mécaniques et au financement de la neige de culture nous paraissent des éléments déterminants quant à la politique d'investissement des exploitants de remontées mécaniques et de domaines skiables.

J'en viens, à présent, à votre troisième question : les freins institutionnels ou juridiques, au fonctionnement de la loi montagne. J'en évoquerai quelques-uns, qui seront l'occasion de revenir sur un point d'intervention de Jean Faure.

Il est, tout d'abord, des difficultés fiscales et une injustice patente.

Comme vous le savez, la loi de 1985 a créé deux taxes sur les recettes de remontées mécaniques : l'une communale (3 %) ; l'autre départementale (2 %). Or avec le temps, nous constatons que le produit de ces taxes s'est transmué en recette ordinaire pour les collectivités et que l'utilisation qui en est faite s'avère souvent sans rapport avec les affectations prévues dans l'article 89 de la loi montagne. Peut-être n'avez-vous pas conscience du fait que ces taxes représentent tout de même 37 millions d'euros par an ! Nous exigeons donc que les collectivités retournent à l'affectation d'origine de ces taxes. Cette remarque vaut d'autant plus que l'administration fiscale n'a pas cessé, depuis leur création, de tenter de grever nos ressources. Pour expliquer ce qu'il en est, je reviendrai quelque peu sur un propos de Jean Faure.

Depuis la création de ces taxes en 1985, la nomenclature des impôts n'a pas été modifiée pour préciser qu'il s'agit de taxes assises sur le chiffre d'affaires. Il s'ensuit que par une note interne de la Direction générale des impôts, l'administration fiscale a récemment considéré qu'il fallait la sortir de l'assiette d'écrêtement sur la taxe professionnelle. Il en résulte que les entreprises soumises à l'écrêtement se trouvent, aujourd'hui, redressées de la part de cette taxe. Logiquement, les actions intentées devant les tribunaux administratifs pour contrer ce fait tournent à notre désavantage, dans la mesure où ces deux taxes de la loi montagne ne se trouvent mentionnées, effectivement, ni dans le Code général des impôts, ni dans la nomenclature des taxes sur le chiffre d'affaires.

Jean-Charles Simiand vous parlera, dans un instant, de Nivalliance. Toutefois, je souhaite également vous en dire un mot puisque je traite ici du volet fiscal. Au moment ou nous avons mis en place cette assurance mutualisée au sein de notre branche professionnelle (pour remplacer le fonds neige), nous nous sommes aperçus que nous allions être soumis à une taxe sur les assurances de 9 % au profit de l'Etat. Or cela nous est apparu illogique, dans la mesure où nous prenions précisément l'initiative d'organiser, dans notre profession, la mutualisation du risque de manque de neige, réalisant ainsi quelque chose que l'Etat n'avait jamais pu résoudre. Si les agriculteurs se voient exonérés du paiement de cette taxe sur les assurances au titre des calamités agricoles, il n'est pas de raison qu'il n'en soit pas de même pour nous puisque nous réagissions par rapport à une calamité.

Enfin, je voudrais tout de même insister sur un point. Mieux que les assurances ou que toute autre chose, les entreprises ont l'habitude de faire des provisions contre les risques. Vous m'opposerez que nous pouvons toujours réaliser des provisions contre le manque de neige. Le problème est que l'intérêt réside dans le caractère défiscalisé de ces provisions. Depuis de nombreuses années, nous tentons de convaincre le ministère de l'économie et des finances de nous laisser faire des provisions défiscalisées pour le manque de neige. Cela permettrait sans doute d'éviter bien des désagréments et nous disposerions, alors, de deux armes face à la difficulté d'enneigement : l'assurance mutualisée, d'une part ; les provisions défiscalisées, d'autre part. Nous n'y sommes pourtant jamais parvenus, même si notre discours a été relativement bien reçu. En effet, Bercy semble craindre par-là de créer un précédent qui pourrait être utilisé dans d'autres professions -- c'est la réponse qui m'est régulièrement faite.

Bien que vous ne m'ayez pas posé la question, je ne peux pas ne pas évoquer le pan social puisque notre branche professionnelle représente à peu près 19 000 emplois -- même si une grande part d'entre eux est saisonnière, notre activité l'étant aussi.

A ce sujet, les lois Aubry sur la réduction du temps de travail ont constitué, dans notre branche professionnelle, un véritable casse-tête chinois. Vous comprenez bien que les personnes venant travailler à rythme saisonnier en montagne espèrent réaliser un maximum d'heures en une période réduite ; c'est pourquoi ils n'ont pas accepté de ne pas pouvoir le faire ! Ceci explique que la mise en place de cette réduction du temps de travail dans le domaine des remontées mécaniques a été extrêmement complexe -- d'autant que les entreprises que nous représentons s'avèrent diverses, depuis la régie dénombrant trois salariés jusqu'à la société cotée en Bourse. Il nous semble que la libération du contingent des heures supplémentaires serait la moindre des mesures envisageables.

Je ne reviendrai pas sur le problème du logement, si ce n'est pour confirmer qu'en tant qu'employeurs, nous avons d'énormes difficultés à loger nos personnels saisonniers mais aussi permanents. Les différents textes parus sur les collecteurs de 1 % s'avèrent pour nous catastrophiques puisque les sommes que nous versons au titre du 1 % logement vont aujourd'hui vers les banlieues des grandes villes. Nous ne parvenons pas, actuellement, à récupérer l'argent investi au niveau de la branche pour créer des logements sociaux dans les stations, en liaison avec les collectivités.

Du point de vue institutionnel, toujours, nous rencontrons certains soucis à propos des unités touristiques nouvelles (UTN). Certes, c'est avec satisfaction que nous avons constaté qu'à la suite du Conseil national de la montagne tenu à Clermont-Ferrand, l'Etat a modifié les seuils de déclenchement des UTN. Néanmoins, quelle n'a pas été notre surprise, lors de la parution du texte le 2 mai, de voir que le montant de 4 millions d'euros s'entendait TTC ! C'est bien la première fois qu'un secteur économique se voit imposer un seuil TTC. En effet, la TVA est par définition quelque chose de neutre et qui, surtout, peut fluctuer. A mon sens, il y a là une erreur manifeste, qu'il faudrait corriger rapidement.

Je voudrais également signaler que nous avons appelé l'attention des parlementaires, à plusieurs reprises, sur l'aspect d'urgence de la loi montagne concernant la construction des remontées mécaniques. Il nous semble qu'une remontée mécanique subissant une avarie pendant l'hiver ne peut pas se permettre d'attendre plus de six mois d'instruction avant de passer devant une UTN pour réaliser les travaux nécessaires. C'est en ce sens qu'il faudrait revoir la procédure d'urgence.

Enfin, je voudrais vous dire que nous partageons totalement le point de vue de Jean-Paul Amoudry concernant les servitudes pour travaux nécessaires à l'aménagement des pistes de skis. Je vous ai dit, tout à l'heure, que réaliser des installations de neige de culture me semblait déterminant pour les stations ; encore faudrait-il pouvoir réaliser des travaux dans de bonnes conditions ! Lorsque la loi montagne a été créée, il était peu question de neige de culture et les servitudes inscrites n'y ont donc pas fait référence. Pourtant, autant il peut paraître relativement aisé de créer une piste ou de construire une remontée mécanique, autant faire passer des tuyaux dans un terrain privé en vue d'une installation de neige de culture paraît mission impossible.

J'en ai fini de mon propos. A présent, Jean-Charles Simiand va répondre à la dernière de vos questions, qui concerne Nivalliance. Au préalable, je rappellerai simplement que Nivalliance est une réponse au risque conjoncturel mais non structurel.

M. Jean-Charles Simiand - Merci Monsieur le Président. Avant toute chose, je préciserai que les cinq volets évoqués par le Président Faraudo -- volets économique, touristique, fiscal, social et développement -- se trouvent intégralement déclinés dans les cinq notes que nous avons rédigées par écrit et incluses au dossier que nous vous avons remis. En outre, ce dernier comprend une note concise de présentation du SNTF ainsi qu'un développement des données principales, un bilan des investissements 2001 et une présentation complète de Nivalliance, que je vais vous résumer sans tarder.

L'ANEM, l'Etat et le SNTF ont longtemps discuté pour essayer de mettre collectivement sur pied un fonds neige. Face au non-aboutissement de cette démarche, la profession a lancé une étude de faisabilité sur une assurance mutualisée n'existant nulle part au monde, laquelle s'est révélée, après deux années d'étude, positive. Nous avons donc pris notre bâton de pèlerin pour convaincre les grandes exploitations d'y participer et c'est ainsi qu'en dépit d'un contexte extrêmement défavorable -- suite aux catastrophes de New York et de Toulouse --, nous avons voté à l'unanimité de notre profession, en novembre 2001, une assurance mutualisée des aléas d'exploitation. Cette assurance mutualisée est entrée en application au 1 er décembre 2001 et sa première saison échoit ces jours-ci puisqu'elle porte sur les recettes d'exploitation du 1 er décembre au 31 mai. Bien que cette assurance soit volontaire, 196 exploitants de notre profession y ont d'emblée adhéré, parmi lesquels les 21 plus grandes entreprises. Les quelques retardataires, eux, nous rejoindront sans doute l'an prochain.

Si les assureurs avaient concédé à nous couvrir et si cette assurance mutualisée ne s'était adressée qu'à des entreprises petites à fort risque individuel, il y a fort à parier que la prime d'assurance aurait avoisiné un taux de 7 % à 10 % du chiffre d'affaires. Dans le cas présent, la prime ou cotisation -- qui s'opère par tranches -- atteint un ordre de grandeur courant de 0,35 % à 0,75 % du chiffre d'affaires. En d'autres termes, un petit exploitant à fort risque individuel ne cotise que 0,75 % de son chiffre d'affaires ! Si ce pourcentage est faible, c'est que c'est la masse de la profession qui fait bloc vis-à-vis des assureurs et que les 21 grands exploitants d'altitude que j'évoquais à l'instant, dont le risque s'avère très faible, représentent à eux seuls plus de la moitié de l'apport de prime à l'assureur.

D'une manière générale, l'assurance couvre les aléas d'exploitation externes. Au premier rang de ceux-ci figurent le manque de neige, bien entendu, mais aussi son excès, qui induit des routes coupées suite à des avalanches ou à des chutes de pierres, par exemple. L'assurance couvre également les grèves externes (camionneurs bloquant l'accès aux vallées et aux stations en période de pointe, grèves de la SNCF...) et les fermetures administratives d'appareils lourds desservant l'ensemble d'un domaine pour des raisons externes à l'exploitant (c'est-à-dire liées à un défaut d'origine et non d'entretien). Enfin, diverses autres choses se trouvent couvertes, telles une éventuelle modification du calendrier des vacances scolaires, dont les conséquences en termes de fréquentation seraient importantes pour les stations.

Sur ce dernier point et comme vous le verrez dans le volet économique, l'harmonisation des zones de vacances scolaires françaises entre elles et avec les pays européens voisins est capitale, en ce que les petites stations réalisent plus de 50 % de leur chiffre d'affaires sur le seul mois de février. Cette harmonisation participe donc d'une fréquentation optimisée et de résultats satisfaisants pour l'ensemble des stations. A titre d'exemple du risque encouru, je rappellerai simplement qu'il y a peu, la modification des vacances d'hiver induisant un début de période en milieu de semaine a induit un repli considérable du chiffre d'affaires dans certaines stations (de 20 % à 25 %).

Pour ce qui est du déclenchement de l'assurance, nous avons déterminé comme chiffre d'affaires de référence celui des cinq saisons précédentes, déduction faite de la plus mauvaise comme de la meilleure. Nous éliminons ainsi les extrêmes pour ne prendre en compte que les trois saisons moyennes parmi les cinq dernières. Dès lors, l'assurance se charge d'indemniser les cotisants dont la baisse du chiffre d'affaires par rapport au chiffre d'affaires de référence tel qu'explicité ci-avant atteint au moins 20 %. Ceci s'est produit, à la fin de la saison 2001-2002, dans certaines zones des Alpes du sud, du sud du Massif central et de la bordure des Alpes du nord.

Ainsi, une perte de chiffre d'affaires correspondant à un taux inférieur à 20 % constitue une franchise, en quelque sorte, qui correspond à une exploitation normale. A partir de 20 % de perte, en revanche, nous considérons qu'il y a sinistre et en prenons 60 % en compte -- sous plafond (sans quoi nous n'aurions pas disposé de taux accessibles). Ceci fait qu'un exploitant subissant cette année une perte de 40 %, par exemple, sera indemnisé à hauteur de 12 % de son chiffre d'affaires de référence. Cette somme non négligeable ne règlera pas tous ses problèmes mais lui permettra, notamment dans ses discussions avec les banquiers, d'apporter sa part d'effort personnelle.

A titre d'illustration, je peux vous dire que les primes, cette année, ont représenté 3,350 millions d'euros, dont près de 2,135 millions d'euros en provenance des 21 grands exploitants d'altitude évoqués. J'insiste sur le point fort de ce système, qui tient dans ce que ces exploitants d'altitude participent pleinement du système alors que leur risque s'avère infime. Cette mutualisation fait toute la force de cette initiative, qui représente, je le répète, une première au niveau mondial -- que nos collègues étrangers sont en train de considérer avec intérêt.

J'en ai fini et vous aurez peut-être quelques questions à nous poser. Je rappellerai simplement -- vous avez un rôle majeur à jouer sur ce point -- que compte tenu des délais très courts d'application, tous nos exploitants ont accepté, cette année, de supporter la taxe sus-évoquée de 9 % sur les assurances en plus des primes payables. Toutefois et en vertu d'un accord conclu avec les assureurs, nous avons pris l'engagement que si nous ne pouvions pas obtenir l'effacement de cette taxe sur les assurances à compter de la deuxième saison (en dépit du collectif budgétaire et de la loi de finances à venir), nous baisserions les primes de 9 %, afin de faire comme si la taxe n'existait pas. Conséquemment, toutes les indemnisations subiraient elles aussi une baisse de 9 %, de même que le montant des plafonds. Nous pensons qu'il y a là un élément à faire jouer auprès de Bercy et nous comptons sur l'ANEM et sur votre mission pour établir un dialogue direct en ce sens

M. Jean-Charles Faraudo - Si vous le permettez, je voudrais encore évoquer quelques éléments en marge de notre profession mais dont nous dépendons directement.

La promotion de la montagne en France comme à l'étranger me semble devoir être relancée. Nous avons la chance de disposer d'un outil unique en Europe -- l'outil des Professionnels associés de la montagne (PAM) --, qui rassemble les collectivités territoriales et l'ensemble des entreprises concernées quel que soit leur secteur (vêtements, remontées mécaniques, hôtels...) pour favoriser et promouvoir, via les cotisations, l'image des zones de montagne. Dans ce cadre, la part de l'Etat ne représente plus que peau de chagrin, aujourd'hui, alors qu'elle comptait encore pour 50 % des ressources il y a peu. Il nous faut pourtant relancer des campagnes. En effet, la montagne peut jouer comme facteur de cohésion sociale. Comment ne pas déplorer que de moins en moins d'enfants scolarisés visitent nos stations dans le cadre de classes de neige ? Par ailleurs, nous avons bien du mal à intéresser le service public de la télévision aux épreuves sportives de montagne en dehors de la période des jeux olympiques...

D'autre part, je ne reviendrai pas sur les questions de la qualification des lits touristiques et de la rénovation des parcs immobiliers. Néanmoins, les propos de Jean Faure afférents à la disposition opérations de réhabilitation de l'immobilier de loisir (ORIL) doivent nous interpeller : les outils à notre disposition se révèlent insuffisants, sur le terrain, pour remplir notre mission de rénovation immobilière.

Enfin, je me permettrai d'insister sur les infrastructures car l'accès aux stations constitue une nécessité absolue. En ce sens, le réseau autoroutier mais également les connexions intermodales rail-route-air doivent se voir finalisées. Quand bien même elles constituent une gêne sur le plan écologique, nous ne pouvons pas nous en dispenser.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci à vous deux pour ces exposés extrêmement précis et complets, qui nous ont permis de saisir à la fois l'importance économique des enjeux présents et les problèmes nécessitant solution. Vos propos dénotent une telle qualité que je me bornerai, ici, à vous demander quelques contributions ponctuelles complémentaires pour prolonger votre apport.

Premièrement, il me paraît intéressant de revenir quelque peu sur l'incompatibilité entre la loi montagne et son principe de délégation de service public affirmée au bénéfice des collectivités locales ainsi que sur les principes qui préfigurent d'ores et déjà le droit européen et la libéralisation inspirée par la loi Sapin. De manière très concrète, comment analysez-vous ces points ? Nous serions particulièrement intéressés si sur un ou deux cas précis, vous pouviez nous transmettre les données du problème à partir d'un cahier des charges indiquant la date d'échéance, les annuités, les frais d'exploitation, les enjeux en termes de renouvellement, les aléas de l'ouverture à la concurrence et les pistes de solutions envisagées. Nous pourrions alors plus justement illustrer vos propos dans l'optique d'une adaptation du droit français mais également européen de la montagne. Si vous disposez de tels exemples, vous seriez aimable de nous les faire passer...

M. Jean-Charles Faraudo - Nous avons ces exemples.

M. Jean-Paul Amoudry - Deuxièmement, vous avez évoqué la TVA et le problème de l'inclusion de deux taxes dans son assiette. Sur ce point aussi, nous apprécierions tout complément jurisprudentiel nous permettant d'affiner la précision de notre rapport.

M. Jean-Charles Faraudo - Cet élément est explicité dans notre dossier mais nous vous communiquerons un exemple de contentieux -- puisque le Tribunal administratif de Grenoble, malheureusement, a débouté un exploitant...

M. Jean-Paul Amoudry - Troisièmement, vous possédez sans doute une lettre de Bercy en ce qui concerne les provisions pour manque de neige et le refus de défiscaliser de la part de l'Etat. Cette lettre serait elle aussi la bienvenue dans notre dossier. Toutefois, je me demande s'il est possible de cumuler Nivalliance et des provisions pour manque de neige. N'y a-t-il pas redondance ou double emploi sur ce point ?

M. Jean-Charles Faraudo - Ces deux choses ne sont pas de même nature ! Il s'agit d'un côté d'une disposition comptable et de l'autre d'une assurance. Ce n'est donc pas du tout la même chose.

M. Jean-Paul Amoudry - Ceci signifie qu'en cas de difficultés, nous pourrions concevoir qu'une société puisse à la fois bénéficier de Nivalliance et renforcer ses garanties au moyen des provisions qu'elle aura pu constituer...

M. Jean-Charles Faraudo - Absolument. D'un côté, elle percevrait une prime (avec un plafond) ; de l'autre, elle opérerait une reprise de provisions, c'est-à-dire qu'elle réintégrerait des provisions constituées les années précédentes, en cas d'absence de sinistre.

M. Jean-Charles Simiand - Cette mesure semble devoir s'adresser préférentiellement aux stations moyennes et petites, en vue d'un lissage de leur chiffre d'affaires. Une grande station serait certainement moins intéressée par la provision défiscalisée qu'une station moyenne, laquelle connaît précisément des oscillations très fortes en termes d'activité. Plus globalement, l'enjeu de cette question tient dans la demande de ne plus nous voir considérés comme des artisans du monde touristique mais comme des industriels du tourisme. D'où la justification de la provision défiscalisée et de l'alignement sur le régime de droit commun.

M. Jean-Charles Faraudo - En effet, nous ne revendiquons rien d'autre que de nous voir considérés comme des entreprises touristiques à part entière. Je ne sais pas si j'en retrouverai des traces dans nos archives mais ce débat a déjà été porté par plusieurs ministres et secrétaires d'Etat de diverses tendances politiques ; or Bercy s'y est toujours opposé.

M. Jean-Paul Amoudry - Je me permets, ici, de vous rendre hommage pour la création de Nivalliance. Je salue particulièrement, en outre, la compréhension et l'esprit de solidarité qui caractérisent les 21 grandes entreprises en question, sans lesquelles rien n'aurait pu aboutir. C'est là une grande première que le Sénat se doit de saluer, qui permet, dans un esprit solidaire, de régler partiellement certains problèmes assombrissant le ciel de maintes petites ou moyennes stations -- d'autant que l'avenir de la moyenne montagne et des stations petites ou moyennes constitue l'une des préoccupations majeures de notre mission. Nous prenons donc acte de votre initiative comme de vos efforts et saluons l'ensemble de cette démarche.

Par ailleurs, nous constatons, dorénavant, un relatif plafonnement de la clientèle des skieurs. Comment envisager l'avenir dans ce contexte ? Il me paraît que la question du coût des séjours aux sports d'hiver trouve ici sa légitimité. Comment prendre cette problématique à bras-le-corps ? Vous avez souligné, à juste titre, le coût important des investissements matériels. Il est indubitable qu'un certain nombre de faits majeurs impondérables grèvent les budgets, déterminant des coûts de séjour pratiquement incompressibles. Il n'en demeure pas moins que cela pose problème au regard du choix des destinations. Que faire ? Si vous disposiez d'études ou de réflexions sur cet aspect de la cherté des séjours, nous apprécierions que vous nous les communiquiez. Alors, nous pourrions plaider un effort nouveau de la part de l'Etat.

M. Jean-Charles Simiand - Nous avons évoqué l'enjeu des calendriers scolaires et de l'étalement des périodes de fréquentation. Il y a là une piste importante, dans la mesure où la concentration des vacances et la nécessité induite d'amortir les dépenses sur des périodes courtes pose incontestablement problème. Plus les périodes de fréquentation se distendent, plus le prix moyen des séjours est porté à la baisse. Si vous comparez, dans certaines stations, le coût d'un séjour d'une semaine au mois de janvier à celui d'une semaine pendant la période des vacances d'hiver de la zone de Paris, vous constaterez une différence exorbitante ! Celle-ci est la conséquence directe de périodes courtes de rendement.

L'exemple de l'Autriche pourrait nous instruire sur cet aspect des choses : si le coût des séjours y demeure supérieur au nôtre, l'occupation s'y étale largement sur la quasi-totalité de la saison d'hiver, y compris dans les stations moyennes. Malgré un parc immobilier, un nombre de lits et un réseau de remontées mécaniques moindres que les nôtres, les Autrichiens accueillent davantage de clients que nous !

M. Jean-Charles Faraudo - Depuis quelques années, effectivement, nos voisins suisses et autrichiens opèrent des efforts très importants en termes d'investissements. Ils sont aidés, en cela, par leurs régions. Aujourd'hui, leur parc de remontées mécaniques, qui était très vieillissant par rapport au nôtre, devient tout à fait correct.

M. Jean-Paul Amoudry - Vous avez parlé des ORIL et de l'inadaptation de ce schéma de la loi au cas particulier des Alpes. Pourriez-vous rédiger une note explicitant les raisons de cet échec ?

M. Jean-Charles Faraudo - Avec plaisir !

Brièvement, je dirai que cela ne marche pas parce que nous n'avons pas les moyens de convaincre les propriétaires et les agences de location existantes de s'intégrer au système. Voilà la grande difficulté. Il y a quelque temps, la possibilité de récupérer une TVA à 19,6 % pouvait constituer un élément déclencheur fort dans ce sens ; aujourd'hui, un taux à 5,5 % n'apparaît pas suffisamment motivant. A l'Alpe d'Huez, malgré une aide au propriétaire égale à 20 % du montant des travaux, nous n'avons déclenché, en trois ans, que trois rénovations d'appartements alors que nous disposons de 50 000 lits. Vous voyez le ridicule de ce chiffre !

Les agences immobilières ne veulent tout simplement pas être les gestionnaires d'un village résidentiel de tourisme (VRT) : d'une part, cela nécessite une gestion particulière en termes d'accueil, d'entretien, etc. ; d'autre part, cela stipule de s'engager sur un revenu locatif garanti au propriétaire sur une période de neuf ans. Aussi, nous sommes condamnés à ce que ce soit l'organisme public qui s'investisse dans ces opérations. Les outils à notre disposition ne paraissent pas suffisants. Je joindrai donc une note sur ce point.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie infiniment. Bien entendu, nous vous rendrons destinataires de ce rapport, le moment venu, en souhaitant qu'il puisse trouver dans la loi, le règlement et les actions législatives et gouvernementales les solutions souhaitées.

21. Audition de M. Jean-Paul Chirouze, directeur de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse (18 juin 2002)

M. Jacques Blanc - Nous allons écouter notre premier intervenant à qui des questions ont préalablement été adressées pour mesurer précisément ce qui pourrait être fait dans le domaine de l'eau par rapport à la montagne.

En préambule, je tiens à exprimer mon inquiétude quant à l'emprise qu'ont les grandes villes sur ces grandes agences. De fait, les crédits consacrés à l'espace rural en montagne sont en chute libre alors que les communes rurales ont une incapacité totale à faire face aux investissements dans le domaine de l'assainissement. Pour ne pas se trouver dans la situation où les crédits ne seraient attribués qu'en aval et non pas en amont, il est judicieux d'entamer ensemble une réflexion.

Les montagnes sont le pays des sources. Pour ne pas y mettre de robinet comme d'autres en mettent aux puits de pétrole pour faire monter les prix, nous devons trouver des solutions.

M. Jean-Paul Chirouze - Merci Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur.

Je vais peut-être aborder la question par le dernier point de votre questionnaire qui faisait référence à la directive cadre publiée définitivement à la fin de l'année 2000. En effet, elle laisse augurer un renforcement de la politique de l'eau fondée sur une approche des problèmes par bassins versants. C'est sans doute une bonne façon de rentrer dans le sujet.

La directive-cadre dans le domaine de l'eau qui doit être transposée prochainement en droit français risque d'avoir de nombreuses conséquences pour l'Etat français à l'avenir dans la mesure où non seulement elle prévoit que les problèmes de l'eau soient abordés par bassins versants, ce qui est légitime dans notre pays où il existe depuis trente ans des agences de bassins versants, mais où elle conduit également les Etats membres à s'engager à ce que les rivières et les milieux aquatiques soient restaurés et considérés dans un bon état écologique à l'horizon de 2015.

Cette date peut paraître éloignée mais par rapport au problème de l'eau à traiter, c'est une échéance assez proche. Quand on voit les efforts entrepris depuis trente ans et les résultats obtenus, l'exercice consistant à obtenir le bon état écologique dans quinze ans sera sans doute extrêmement difficile.

Un certain nombre de dispositions dans cette directive laissent penser qu'il sera possible, par dérogation, d'aller au-delà de 2015. Ces dérogations sont toutefois très précises. Pour en bénéficier, il faudra argumenter auprès de Bruxelles pour expliquer les raisons pour lesquelles en 2015, nous ne serions pas arrivés au bon état écologique.

L'un des critères permettant de déroger à cet objectif est la profonde modification sur le plan de sa morphologie d'un milieu aquatique. L'état de ce milieu n'oblige alors pas à atteindre l'objectif de bon état écologique, mais seulement de meilleur état possible. C'est important car cela peut concerner de nombreuses régions de montagne, notamment celles atteintes par les ouvrages hydroélectriques qui ont modifié les débits des cours d'eau.

La première phase de la directive cadre sera d'établir pour 2004 un état des lieux. 2015 paraît éloigné, mais nous sommes bien dans un processus par étapes qui va contribuer à l'amélioration de nos milieux aquatiques.

En montagne, l'intérêt d'aborder les problèmes de l'eau par bassins versants est réel car les problèmes ne sont pas uniformes. Les problèmes de l'eau dans les Alpes ne sont pas le mêmes que dans le Massif Central. C'est ainsi qu'il peut non seulement y avoir des pollutions locales fortes comme dans les grandes villes telle Grenoble, mais aussi des pollutions diffuses dans les domaines de l'industrie et de l'agriculture, à prendre spécifiquement en compte.

A titre d'exemple, le bassin de l'Arve en Haute-Savoie connaît des problèmes de pollution par les métaux liés à l'activité de la mécanique ou du traitement de surface concernant plus d'un millier de petits industriels. Autre exemple sur le bassin Rhône-Méditerrannée-Corse : le Jura qui subit, lui, la pollution organique d'activités laitières et fromagères. Ces coopératives ont dû travailler ensemble pour améliorer en six ans la situation des cours d'eau. On s'aperçoit donc que dans ces régions, les problèmes de pollution ont des causes bien différentes. Il est donc essentiel d'adopter une approche spécifique de ces problèmes par bassins versants.

Je signale également le cas particulier des activités d'élevage, avec le PMPOA : Programme de Maîtrise des Pollutions d'Origine Agricole. Ce programme a été conçu il y a une dizaine d'années et a donné lieu à des négociations assez difficiles avec la Commission de Bruxelles au motif d'encadrements communautaires portant sur les aides accordées aux éleveurs. Elles ont amené le précédent gouvernement à redéfinir, dans des conditions difficiles, ce programme qui reste maintenant à conduire (le PMPOA n° 2).

Pour les rivières de montagne, ce programme est important, mais il est un peu effacé par les problèmes de la Bretagne. Le PMPOA, prioritairement par rapport aux enjeux bruxellois est un programme fait pour réduire les pollutions par les nitrates, avec essentiellement un objectif de qualité d'eau potable. La majeure partie des efforts engagés a concerné la Bretagne, où il est de notoriété publique que les problèmes de nitrate sont importants. Or en zone de montagne, ce sont moins des problèmes de nitrate dans l'eau potable que des problèmes de pollution bactériologique qui prévalent.

Un certain nombre de programmes locaux avaient été initiés dans le cadre du PMPOA, mais aujourd'hui les petits cours d'eau de montagne, pour des raisons de financements nationaux, sont en concurrence avec la Bretagne.

Pour ce qui concerne l'assainissement des collectivités, il est vrai qu'actuellement, la priorité est donnée aux grandes villes et ce pour respecter l'engagement communautaire. Une directive de 1991 avait déterminé avec un calendrier des priorités pour traiter les pollutions rejetées par les agglomérations. Les étapes étaient de 1998, 2000 et 2005. La logique de cette directive était de prendre en compte par ordre dégressif les projets des villes les plus importantes. L'échéance de 2005 concernait les villes de plus de 2.000 habitants. Si l'Etat français ne respecte pas les échéances de cette directive européenne, il tombe sous le coup des sanctions prévues.

Nous sommes donc face à une certaine contradiction entre les priorités communautaires et certaines priorités au niveau local. Sur certains bassins versants, de petites communes rurales peuvent en effet représenter un enjeu de pollution d'un cours d'eau, qui peut être considéré globalement comme aussi important que de respecter les échéances de la directive européenne concernant une grande ville sur un autre milieu aquatique.

Pour l'agence de l'eau Rhône-Méditerrannée-Corse, nous réfléchissons à une sorte d'équilibre entre les moyens à dégager pour traiter prioritairement les grandes agglomérations encore en retard par rapport aux échéances de la directive européenne et la possibilité de financer à des conditions comparables l'assainissement dans les petites communes, mais en ayant une certaine sélectivité au niveau des priorités territoriales.

Dans ce dernier domaine, on constate qu'il peut y avoir des propositions d'équipement pour l'assainissement des cours d'eaux inadéquats par rapport aux besoins de ces petites communes. Nous travaillons avec les conseils généraux, également impliqués dans le financement des communes rurales, pour établir ces priorités. Nous sommes en effet associés entre départements et agences pour définir les programmations communes de financement.

M. Jacques Blanc - Vous avez parlé du traitement des grandes collectivités. Mais il existe parallèlement des besoins de soutien financier dans les petites communes rurales de montagne. Ce soutien, portant sur des crédits de développement rural ou dans le cadre d'opérations spécifiques montagne, peut-il être européen ?

M. Jean-Paul Chirouze - Je ne suis pas qualifié pour répondre en matière de financement européen. Si cela était possible, il faudrait aborder la question en termes de zonage.

M. Jean-Paul Amoudry - Ceci étant, de nombreux départements sont inéligibles à l'aide européenne en raison de l'incapacité de leurs petites communes à faire financièrement face à ce que l'on attend d'elles en vertu de leur carte des sols.

Nous ne pourrons pas maintenir cette équation entre ce que la loi et certaines directives exigent des communes et ce qui leur est imposé en matière de mise aux normes d'urbanisme.

M. Jean-Paul Chirouze - Je ne cherche pas à donner des arguments montrant qu'il n'est pas intéressant d'aller chercher des solutions de financement européen, au contraire.

Mais sur un plan strictement financier, les choses sont plus nuancées. Il existe une capacité d'augmentation du prix de l'eau dans les petites communes qui devrait permettre de dégager un autofinancement pour renforcer leurs investissements. Mais pour les réaliser, il faut également prendre en compte la capacité de ces communes à s'endetter.

Le rapprochement intercommunal peut faciliter ces investissements. De plus, il permet aux communes d'être non seulement autonomes sur un plan hydraulique mais aussi de se regrouper pour bénéficier d'un système d'exploitation commun.

M. Jacques Blanc - Les agences peuvent-elles les aider dans ce cas-là ?

M. Jean-Paul Chirouze - Nous pourrions les aider à s'installer et à s'équiper. Nous finançons déjà des services d'assistance technique au niveau départemental pour les aider à faire un état de leur équipement.

Pour revenir au regroupement intercommunal, un autre point positif est l'assainissement non-collectif. Du point de vue des constructeurs ou des propriétaires individuels, cette solution peut être contraignante. Ils peuvent préférer avoir le tout-à-l'égout que d'avoir une fosse, un équipement autonome. Du point de vue collectif, cette solution est économiquement plus acceptable pour les petites communes, même si elle peut représenter un problème en montagne pour des raisons de pentes et d'insuffisance de sols.

Cela pose la question de la contrainte réglementaire que vous évoquiez précédemment. Si l'on se réfère au texte d'application de l'assainissement et de la dépollution qui sont la déclinaison en droit français de la directive de 1991, il n'y a pas d'obligation, au titre de la loi sur l'eau, de raccordement à un réseau collectif et de traitement des réseaux d'assainissement dans les petites communes.

En termes d'urbanisme en revanche, lors d'une construction, il faut proposer une alternative. Il s'agit alors soit d'un investissement autonome agréé, soit d'un raccordement sur réseau collectif. Cette contrainte réglementaire revient donc plus par le droit de l'urbanisme que par une obligation de la loi sur l'eau.

Cela pose le problème d'une approche globale de l'urbanisation et d'une prise en compte élargie des éventuels travaux de réseaux.

M. Jean-Paul Amoudry - Nous sommes tous conscients de ce problème financier. Au côté des collectivités, dans le cadre du PMPOA, quels sont les moyens que les agences de l'eau peuvent apporter pour répondre à ces problématiques financières ?

D'autre part, les élus de terrain imaginent que nous agissons tels des apprentis sorciers, préconisant au gré des décennies tantôt la mode du tout collectif, tantôt la mode du tout individuel. Partagez-vous ces sentiments au regard des visites que vous effectuez sur le terrain ?

On entend souvent dire que la pollution remonte les rivières et revient à la source. Quelle est votre opinion ?

M. Jean-Paul Chirouze - C'est la première fois que j'entends parler de remontée de la pollution. Je ne vois pas dans quel contexte on peut dire une telle chose, en particulier en zone de montagne qui me paraît le dernier endroit où la pollution puisse remonter.

En revanche, nous avons beaucoup parlé de pollution, de l'assainissement des communes, mais ce n'est qu'une composante du problème de la qualité des eaux en montagne. Les autres composantes sont peut-être la réponse à cette remontée dont vous faites mention.

M. Jean-Paul Amoudry - C'est tout le problème des extractions de matériaux dans les zones de montagne avec des cours d'eau à fort courant. Des abaissements de ces cours d'eau ont été constatés, dans le Languedoc-Roussillon par exemple, atteignant parfois quatre ou cinq mètres. Ils ont à la fois déstabilisé les ouvrages de franchissement, ponts et autres, mais aussi bouleversé la vie biologique de ces cours d'eau. A ce niveau-là, l'érosion est régressive.

Je voudrais me faire comprendre. Cette érosion ne remonte pas les cours d'eau comme un poisson. L'idée reçue selon laquelle le haut bassin est pur et propre a contrario de l'aval, pollué, est fausse. On retrouve la pollution à différents étages, et parfois presque à la source.

Comment évaluez-vous ce phénomène et à quel remède pensez-vous ?

M. Jacques Blanc - Cela rejoint ce que nous disions : nous nous concentrions sur la pollution des grandes cités en aval et nous réalisons maintenant qu'il existe une pollution nouvelle en amont, de plus en plus importante au demeurant.

M. Jean-Paul Chirouze - J'avais effectivement mal compris la question.

Techniquement, on ne dispose pas d'outils de mesure suffisants pour évaluer précisément le niveau de dégradation des cours d'eau en amont par rapport à l'aval. Ceci étant, il suffit de discuter avec les associations de pêcheurs ou de riverains, unanimes quant à la dégradation des petits cours d'eau ces dernières décennies.

Alors que les gros rejets sur les cours d'eau principaux sont directement entachés par les relais des grandes villes, c'est la combinaison de plusieurs facteurs qui fait que la situation des petits cours d'eau se dégrade.

Ce qui a été fait dans le secteur de l'assainissement pour certaines petites communes a pu être défavorable. En effet, dans les habitats anciens de peu de population, de telles infrastructures ont pu conduire à concentrer les rejets. C'est un premier facteur qui à lui seul ne peut expliquer une certaine dégradation. Il faut lui en rajouter d'autres

Si l'on combine une dégradation des milieux qui entourent les cours d'eau, comme les boisements, et les aménagements de berge comme les endiguements, on constate une diminution de la population de poissons.

L'eutrophisation des petits cours d'eau qui s'est développée en Franche-Comté par exemple s'explique en grande partie par cela. En supprimant les boisements alentours, l'eau s'est réchauffée modifiant l'équilibre du milieu.

Plus que sur les grands cours d'eau, c'est sur les petits qu'il faut faire du traitement multi-atteintes et être très attentif à la combinaison de ces différents facteurs.

Les programmes de maîtrise de pollution industrielle ou agricole sont donc un volet nécessaire et complémentaire au volet de l'assainissement des communes. Si l'on ne se concentre que sur ce dernier, le résultat sur les cours d'eau risque de ne pas être à la hauteur de nos espérances.

Nous évoquions le programme de maîtrise de pollution d'élevage. La dimension des cheptels concernés peut paraître faible, mais c'est un des facteurs qui peuvent concourir à la dégradation des cours d'eau.

Concernant l'appui qui peut être fait pour l'assainissement collectif auprès des petites communes, nous avons commencé à développer avec les conseils généraux concernés des mises en place de services d'assistance aux petites communes pour l'assainissement autonome, en recourant massivement à l'emploi jeune. Elles ne sont en effet pas nécessairement outillées sur le plan technique et réglementaire pour aborder ces questions.

Mais le conseil général ne peut être le seul impliqué. Il faut que des relais soient pris, ce qui soulève de nouveau la question : quel regroupement intercommunal doit prendre en charge ce type de prestations, maîtriser l'instruction des dossiers et l'assistance technique à l'exploitation et à l'installation individuelle ?

M. Pierre Jarlier - Je voudrais réaborder le problème du PMPOA. Les agriculteurs se sont rendu compte de l'intérêt à mener cette politique en parallèle aux filières de qualité qu'ils mettent en place. Or on constate aujourd'hui que les zonages ont été modifiés. A l'échéance du 31 décembre 2002, les zones de montagne ne seront plus concernées prioritairement. Les exploitations agricoles qui souhaitent s'inscrire dans un dispositif qualitatif vont ainsi être pénalisées. C'est un paradoxe entre la qualité que l'on souhaite obtenir et l'environnement auquel on ne peut consacrer suffisamment de moyens.

Comment sont préparés ces zonages ? est-ce au niveau européen ou français ? de quelle façon peut-on les faire évoluer pour réintégrer ces zones sensibles, où l'on ne peut pas dissocier la qualité du produit de celle de l'environnement, et inciter ces filières de qualité comme les politiques de qualité de l'environnement à se mettre en place ?

Concernant les programmes d'amélioration de la qualité de l'eau de nos rivières, bien que les inter coûts puissent être concernés au premier chef, on essaie plus souvent de réfléchir à l'échelle des bassins versants, car c'est là que l'on peut être efficace. Aujourd'hui, les programmes existants en termes d'amélioration sont les contrats de rivière. Leur mise en place est lourde et l'Etat n'apporte pas suffisamment de soutien au regard des enjeux sur ces secteurs où la pollution domestique est moins forte que les pollutions agroalimentaires ou agricoles.

Le contrat de rivière est très contraignant. Les gens se lancent peu dans ce type de démarche, car elles sont très longues. Existe-t-il des solutions plus simples comme des contractualisations avec l'Etat, les agences et les collectivités sur des procédures plus à l'échelle d'un petit bassin versant pour améliorer la qualité de l'eau dans ces zones sensibles sur le plan environnemental mais aussi touristique ?

Estimez-vous réalisable la mise en place d'une politique territoriale décentralisée ?

Concernant le contrôle de la qualité de l'eau, je confirme que lorsque les départements mettent en place des outils de type mission d'assistance à la gestion de l'eau, les résultats sont extrêmement efficaces. La contractualisation avec les agences est très intéressante. Nous avons été, dans le Cantal, le premier département à adopter cette procédure et nous avons désormais un service parfaitement concluant tant pour l'eau potable que pour l'assainissement.

Au sein du département, cela me semble être une bonne solution.

M. Jean-Paul Alduy - Dans toutes ces questions, c'est par la matière grise que nous trouverons les remèdes à apporter. Celle-ci ne se trouve pas au niveau des communautés de communes. Met-on cette matière grise au niveau du conseil général ou au niveau des associations départementales de maires ?

Ces associations peuvent avoir un rôle à jouer en tant qu'outil d'assistance technique, d'autant que les problèmes politiques qui peuvent parfois interférer sur la relation contractuelle ont moins d'emprise sur elles.

M. Jean-Paul Chirouze - La démarche du zonage du PMPOA est actuellement le résultat d'une négociation entre l'Etat français et la Commission, sachant que la France est condamnable sur le non-respect de la directive dite "nitrate". A ce titre, le territoire français est zoné et doit mettre en place un programme visant à réduire les pollutions par les nitrates essentiellement dans une optique d'eau potable. C'est le classement dit « zones vulnérables ».

Le programme a conduit, vu les contraintes de la directive européenne, à ce que les financements soient privilégiés sur ce territoire. Evidemment, si dans ceux-ci vous retrouvez le cheptel breton, la dimension budgétaire est considérable. C'est d'ailleurs un choix budgétaire qui a conduit le gouvernement précédent à limiter la prise en compte des programmes de ce domaine en dehors des zones prioritaires.

Le choix qui se pose ensuite est de prendre en compte soit les grands élevages puis les plus petits, soit une logique de territoire où l'on essaie de voir si d'autres zones non prioritaires présentent un intérêt important, pour des raisons bactériologiques par exemple.

Le fait que les zones prioritaires soient sur les zones dites « vulnérables » ou « nitrate » relève de la Commission européenne. S'il reste des moyens budgétaires, la priorité mise sur des zones au-delà des zones « vulnérables » relève d'un choix national. Ces derniers financements sont effectués par le Ministère de l'Agriculture, les agences de l'eau et les collectivités locales que sont les départements ou les régions en fonction des zones.

Au-delà des zones vulnérables qui relèvent d'une priorité communautaire, le choix des autres priorités relève d'une décision nationale.

M. Pierre Jarlier - Mais au 31 décembre 2002, ces zones ne seront plus éligibles. Le zonage prioritaire, pour répondre à la directive de résorption des nitrates, ira sur les zones prioritaires de Bretagne.

M. Jean-Paul Chirouze - S'il reste des moyens financiers, ils peuvent aller sur d'autres zones, qualifiées de zones dites "prioritaires".

M. Jacques Blanc - Les zones de montagne sont-elles qualifiées ?

M. Jean-Paul Chirouze - Ce sont des zones diverses et variées. Elles sont déterminées par la qualité des cours d'eau.

Dans le bassin Rhône-Méditerrannée-Corse, la tendance est plutôt d'aller vers des zones de montagne. C'est également le cas de la Franche-Comté et sans doute pour l'Adour-Garonne.

M. Jean-Paul Amoudry - L'état est-il condamnable sur des zones montagne au même titre qu'en Bretagne ?

M. Jean-Paul Chirouze - Non. Il n'y a pas de critère montagne.

M. Jean-Paul Amoudry - Il n'y a pas non plus de raisons aussi importantes que la pollution des nitrates en Bretagne pour justifier l'éligibilité des zones de montagne de façon prioritaire.

M. Jean-Paul Chirouze - Non, en effet. Il existe une carte nationale dite des zones vulnérables approuvée par décret. Je vous la ferai passer.

M. Pierre Jarlier - Il serait intéressant pour nos travaux que nous ayons un éclairage de votre part sur la hiérarchisation des normes de la responsabilité de l'Etat au regard des différentes catégories de pollution. Nous pourrons ainsi voir en montagne ce qui se passe par rapport aux autres parties du territoire.

M. Jean-Paul Chirouze - Par rapport au PMOPA, la hiérarchie retenue par l'Etat était dans l'ordre :

1. les zones vulnérables au titre de la directive nitrate. Un délai limité à 6 ans a été fixé avec Bruxelles pour résorber les pollutions dans ces zones.

2. les élevages supérieurs à 90 unités de gros bovins

3. les zones dites prioritaires qui relèvent d'un choix national qui vont au-delà des zones dites « vulnérables ».

M. Jacques Blanc - Les solutions autonomes pour des exploitations agricoles dispersées peuvent-elles rentrer dans le cadre d'un apport de financement agri-environnemental du plan national rural ?

M. Jean-Paul Chirouze - Là aussi, s'agissant de financements que l'agence ne maîtrise pas, je ne m'engagerai pas. Je peux toutefois vous dire que les financements de l'Etat prévus pour ce programme sont, pour la plus grande partie, inscrits dans les contrats inter-régions. Cela fait partie des crédits contractualisés. Ont-ils eux-mêmes une source pour partie budget national et pour partie européenne ? Je ne puis vous l'assurer, il faudrait poser la question au Ministère de l'Agriculture.

En ce qui concerne l'assistance technique, les contractualisations que nous avons pu avoir avec les conseils généraux sur l'assistance technique aux communes dans le domaine de l'eau potable, l'assainissement ou l'assainissement autonome ont été efficaces. Cette assistance technique, très utile, n'inclut pas la prise en charge technique de l'exploitation, qui ne relève pas du conseil général mais du maître d'ouvrage. Il appartient aux communes, une fois regroupées, d'agir elles-mêmes en tant que maître d'ouvrage.

Par ailleurs, j'estime qu'il sera difficile aux associations de maires d'assumer un rôle de conseil, car en tant qu'association loi 1901, ils risquent d'être confrontés à des problèmes d'autofinancement en raison de leur absence de fiscalité. Même financées à 50 ou 60 % par les agences, ce problème demeure. Le Conseil Général pourrait être l'apporteur de cette aide, mais serait alors une structure porteuse, qui de fait remettrait le procédé en question.

En revanche, le volet de la prise en charge par les communes elles-mêmes de l'exploitation me paraît essentiel.

L'approche des problèmes par bassins versants mérite une réflexion dans le cadre des évolutions futures. La contractualisation de type contrat de rivière peut être lourde, car il faut qu'il y ait un travail technique préalable pour identifier la cause des problèmes et essayer de trouver des solutions. Les acteurs ne sont pas toujours volontaires, il faut donc convaincre les maîtres d'ouvrage publics et privés. Le volet industriel ou agricole est aussi important que celui des collectivités. Convaincre et faire adhérer ces communes est simple, mais faire adhérer des agriculteurs ou des industriels peut être un travail énorme quand ceux-ci sont en nombre. Or, une opération sur un bassin versant ne fonctionne que si ces acteurs y adhèrent aussi.

Cette approche est lourde, mais efficace. Un audit a été réalisé en région Rhône-Alpes sur les contrats de rivière depuis 20 ans. Il fait apparaître échecs et réussites notamment dans la perspective de la directive-cadre qui va nous obliger en France à définir plus précisément les objectifs à atteindre sur les cours d'eau.

Il est obligatoire d'essayer de définir ce que vont être les structures porteuses de la politique de l'eau sur les bassins versants, à l'échelle locale d'un cours d'eau.

M. Jean-Paul Amoudry - Sur ce sujet, on compte deux écoles :

- La construction d'un château d'eau

Selon le bassin versant, ce système regroupe plusieurs départements, collectivités, groupements de communes. On constitue un château, une structure incroyable, trop lourde à mon sens mais qui peut être la solution. Or il ne faut pas oublier que l'administration conteste les structures syndicales de type syndicats à vocation unique et incite à certains moments à les constituer.

- Une formule souple

Une collectivité est porteuse du projet, pourquoi pas une collectivité de commune ? Elle est le noyau dur du projet et passe des conventions avec toutes les entités en aval. J'aimerais que le débat que nous avons en ce moment puisse déboucher sur des préconisations et que les préfets puissent agréer des formules.

M. Jacques Blanc - Pour la vallée du Lot et pour tout le secteur montagne entre l'Aveyron et la Lozère, nous avons monté un CIVU, qui regroupe 90 communes. Nous avons fait le schéma d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) en même temps et nous dépassons les limites départementales.

Je pense que nous devrions suggérer une grande souplesse. Ainsi, nous sommes prêts à recevoir les idées que vous pourriez nous apporter par la suite.

M. Jean-Paul Chirouze - C'est un sujet important et délicat.

Important car il faut que des initiatives soient prises d'ici 2004. Le résultat doit être atteint en 2015, le plan de gestion établi pour 2007, conclu en 2009. L'état des lieux doit être fait pour 2004.

C'est un enchaînement qu'il faut préparer.

Il faut à la fois de la souplesse pour s'adapter aux structures et aussi une logique existante de bassins versants. En matière d'outils législatifs aujourd'hui, tout est possible et rien n'est prévu. On parle maintenant d'établissements publics territoriaux de bassin, terme générique pour qualifier les structures du type syndicats communaux, interdépartementaux, mais ils ne sont pas du tout définis.

M. Jacques Blanc - Vos opérations de bassin fonctionneront si se trouvent à la clé des solutions de financement. Pourquoi l'Etablissement public d'aménagement de la loire et de ses affluents (EPALA) fonctionne-il ? Parce qu'il y a des redistributions, des taxes professionnelles versées par les centrales nucléaires. Mais on ne trouve pas forcément de possibilités de retombées financières dans tous les bassins.

Les collectivités locales en montagne ont un potentiel fiscal tel qu'en l'absence d'un financement de 80 % de leurs opérations, celles-ci ne peuvent avoir lieu.

Le problème fondamental est de savoir comment encourager les communes à adopter des solutions autonomes et individuelles en termes de traitement de l'eau et d'assainissement tout en limitant la part des investissements financiers. Il vaut mieux en effet parfois garder les fosses septiques et un bon système d'évacuation plutôt que de faire une station d'épuration qui ne fonctionnera pas et qui accumulera la pollution.

M. Jean-Paul Chirouze - On peut distinguer ce qui relève de la compétence dévolue aux communes et rechercher en revanche les regroupements que nous avons évoqués, mais dans la compétence eau et assainissement.

Pour ce qui concerne les programmes d'actions sur les bassins versants, le problème est plus large. Non seulement il s'agit du problème de pollution des communes, mais aussi le problème des privés, des aménageurs des cours d'eau. Lorsqu'il faudra définir le plan d'action, il faudra les prendre en compte également. Le choix sera alors politique : l'état doit-il prescrire la marche à suivre ou une représentation des acteurs locaux, privés et publics, se met-elle en place pour définir le plan d'action ?

Se repose alors la question de la structure au sein de laquelle ce programme d'actions peut être défini.

M. Jacques Blanc - C'est là que les agences de bassin peuvent avoir un rôle.

M. Jean-Paul Chirouze - C'est par-là peut-être que l'on peut avoir des incitations financières pour faire en sorte que s'organise localement un lieu dans lequel la politique d'action globale se construit.

M. Jacques Blanc - Avec un apport technique qui ne soit pas forcément celui de l'Etat, mais celui des agents de bassins ou de structures qui peuvent se monter.

M. Pierre Jarlier - Nous allons prendre congé de Monsieur Chirouze en le remerciant chaleureusement.

22. Audition de M. Dominique Cairol, ingénieur général du génie rural des eaux et forêts (CEMAGREF), adjoint au chef du département « gestion des territoires » (18 juin 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Nous recevons M. Dominique Cairol, ingénieur général du génie rural des eaux et forêts (CEMAGREF), adjoint au chef du département « gestion des territoires » qui a bien voulu nous remettre une note en réponse à nos questions.

M. Dominique Cairol - Un de nos axes de recherche sur les espaces à dominante rurale est basé sur la gestion de l'espace et les fonctions non marchandes liées à l'agriculture et à la forêt. Nous travaillons dessus dans une perspective de recherche et d'appui à l'action publique compte tenu du fait de la structure particulière du CEMAGREF. Il a en effet une double vocation de recherche et d'expertise affirmée.

Lorsque j'ai reçu la commande, j'ai relu l'évaluation de la politique montagne et ai vu que les conclusions de celle-ci se focalisent sur la gestion de l'espace dans le domaine agricole. Pour nous, cette question est au coeur de nos problématiques.

Dans la première question, vision et perspectives de l'agriculture de montagne, les travaux que nous menons sont focalisés sur quelques points précis et ne me donnent pas le recul nécessaire à une appréciation globale affinée. Mais en raison de notre participation à des projets de recherche et d'expertise européens, nous avons un certain nombre d'idées dans ce domaine.

Dans le domaine de l'agriculture durable, nous sommes en partenariat avec la plupart des institutions de recherche, d'expertise et de développement de l'arc alpin en analysant une approche de l'agriculture durable articulée avec le développement rural.

Pour ce qui concerne l'aspect environnement, et plus particulièrement l'enfrichement, la prime à l'herbe a été favorable à l'extensification, c'est-à-dire au maintien de l'élevage dans les zones de montagne, où les aspects intensifs, eux, ont reculé. Cela a permis d'assurer la gestion de l'espace.

Pour lutter contre l'enfrichement en Lozère, les cahiers des charges mis au point ont conduit à supprimer des parcours, à faire des rotations, des enclos, permettant ainsi de mieux maîtriser la végétation. La connaissance que l'on a du fonctionnement des exploitations permet de voir si ces mesures environnementales sont adaptables à d'autres exploitations. Par exemple, un projet paysager pour lutter contre l'enfrichement a eu lieu dans le Jura. Il ne tenait pas compte du fonctionnement des exploitations, sa pérennisation fut mauvaise.

Nous avons également conduit des travaux sur l'enfrichement en Tarentaise qui ont montré que celui-ci était généralisé sur les zones de pente exploitées autant par les grandes exploitations que par les petites.

M. Jacques Blanc - L'enfrichement est le mouvement spontané par lequel la friche apparaît et envahit. Notre préoccupation est de savoir quelles sont les méthodes permettant de lutter contre ce phénomène de dégradation des sols.

Avant, nous avions des reconnaissances territoriales, de montagne par exemple, de type article 19. A ce moment-là, nous faisions des montages avec des financements européens et régionaux ou départementaux. Aujourd'hui, l'article 19 n'existe plus. Plus exactement, les crédits qui finançaient l'article 19 financent le plan national durable et passent par le ministère.

Jusqu'à quelques jours, ces crédits ne pouvaient être véhiculés vers ces opérations que s'il y avait des contrats territoriaux d'exploitation (CTE), ce qui revenait à ne pas pouvoir consommer les crédits. Les opérations comme celles que vous évoquez, qui étaient portées par des groupements d'agriculteurs ou par des associations syndicales, ne peuvent plus être portées de la même manière aujourd'hui.

Dans le cadre de la montagne, nous cherchons à faire des propositions pour pouvoir reprendre les expérimentations de lutte contre l'enfrichement, de restauration des terres incultes. Cela va permettre de récupérer de la terre. En cas de capitalisation foncière, cela soulèvera un problème de réorganisation.

Ne serait-il pas souhaitable qu'il y ait des propositions d'actions territoriales en montagne pour lutter contre la friche avec des techniques agricoles telles que la viticulture héroïque qui consiste à récupérer les terrasses, à planter des vignes et ainsi à lutter contre les incendies ?

Que ce soit dans ce domaine ou dans celui de l'élevage avec la réorganisation des pâturages, on aborde le problème du foncier et des sections, souvent abordées dans le Cantal. On aborde également les mesures scientifiques que le CEMAGREF a expérimentées dans le cadre de ses opérations et qui pourraient servir de base aux orientations d'actions nouvelles en montagne.

M. Dominique Cairol - Le politique est un aspect sur lequel je ne peux me prononcer. Mais on a démontré que les mesures d'aide agri-environnementale de l'article 19 et de l'article 20 étaient un moyen de maîtriser l'enfrichement, bénéficiant aux populations et ayant un réel impact sur le paysage.

Le gardiennage électronique : à l'aide d'un fil émetteur posé par terre, le collier récepteur au cou du bovin émet une courte décharge électrique qui indique à son porteur la limite de terrain à ne pas franchir. Cette solution est intéressante car elle permet d'éviter la construction de parcs qui sont coûteux en réalisation.

L'organisation du travail permet de mieux maîtriser la gestion de l'espace. Nous conduisons actuellement des travaux dans ce domaine en relation avec la gestion territoriale. En effet, dans la mesure où les exploitations agricoles ont de plus en plus de mal à avoir des actifs dans leur exploitation, l'optimisation de la gestion du travail est stratégique. En fonction de l'option que l'agriculteur prend, l'utilisation de l'espace peut ne pas être la même.

L'agritourisme n'est pas une reconversion des agriculteurs vers le tourisme, c'est relier l'exploitation agricole et le tourisme. On constate une baisse de la fréquentation touristique en montagne, il faut donc trouver de nouvelles solutions comme celle-ci.

Dans l'agritourisme, on est souvent dans une logique de réponse à la demande. L'autre logique à aborder est celle de l'offre. Dans des zones considérées jusqu'alors comme peu touristiques, l'adoption de cette logique a permis de dynamiser la région par l'accent qu'elle a mis sur l'authenticité.

Poser la question des aménités rurales, c'est proposer un contrat entre l'espace rural et la ville, mais pas dans une logique d'affrontement. La multifonctionalité peut générer cette ambiguïté quand on est dans une logique d'offre pour obtenir en contrepartie des subventions.

Les aménités rurales peuvent être au service de la ville, car les citoyens ont des attentes vis-à-vis de l'espace rural. Elles sont aussi en relation avec les territoires. Les aménités sont des attributs matériels ou immatériels qui contribuent à ce qu'un territoire fasse l'objet d'une appréciation positive par des individus, des groupes sociaux indépendamment ou parallèlement à des aspects utilitaires. Généralement, ces attributs sont non-délocalisables.

Des travaux sont conduits dans ce domaine des exploitations agricoles et des enjeux environnementaux. Ils déterminent dans quelles conditions l'agriculture peut favoriser le développement d'aménités. Mais faciliter la production de ces aménités nécessite la mise au point de dispositifs d'organisation qui favorisent la coordination entre les différents acteurs.

Plusieurs problèmes se posent toutefois.

- comment évaluer ces aménités ? c'est-à-dire, comment évaluer la valeur de la modification d'un paysage ?

- comment faire émerger un paysage qui soit reconnu ?

Nous travaillons actuellement sur ces points et conduisons également d'autres travaux, nous interrogeant en particulier sur les mesures dans lesquelles les aménités permettent un développement territorial.

Qu'est-ce qu'une agriculture réussie ? Ne faut-il pas s'intéresser à l'analyse de processus qui conduisent à résoudre un certain nombre de problèmes ?

Je cite le cas du Groupement d'Intérêt Scientifique (G.I.S.) Alpes du Nord qui me semble être une réussite de l'ensemble des acteurs pour que les paysages et des produits de qualité soient reconnus, rendant ainsi cette zone attractive. Cela est plus difficile pour les zones disposant de moins d'atouts naturels ou éloignées des zones urbaines. Cette opération a toutefois fait des émules, puisqu'il s'est constitué dans le Massif Central un GIS des territoires ruraux sensibles qui regroupe l'Auvergne et le Limousin.

Le problème est la durée de cette mise en oeuvre compte tenu du fait que le GIS Alpes du Nord a été créé voici une vingtaine d'années. Cette dynamique nécessite d'être persévérant.

A l'étranger, je pourrais citer la Suisse et l'Autriche comme expériences réussies, mais l'analyse serait biaisée, dans la mesure où au moins 60 % de leur territoire est constitué de montagnes. Nous ne pouvons précisément en identifier les causes.

Les processus qui mènent à des réussites sont plus facilement identifiables. Ils mettent souvent en place la participation conjointe de plusieurs organismes publics et privés dont les instituts de recherche.

M. Jacques Blanc - J'ai quelques interrogations dans le cadre de notre démarche. Quels sont les financements possibles pour ces opérations ?

Il existait auparavant la prime à l'herbe qui offrait certaines latitudes, les crédits européens qui permettaient de financer certaines démarches que nous avons évoquées. Aujourd'hui, il s'agit d'une nouvelle mécanique.

Nous devrions proposer que dans le cadre des programmes nationaux ruraux que j'espère décentralisés, soient prises en compte au titre de mesures agri-environnementales, par des financements européens et nationaux, ces opérations qui débouchent sur :

- la valorisation de leur potentiel ;

- la lutte contre la friche ;

- les techniques de production ou d'élevage qui soient respectueuses de notre environnement et qui conviennent au droit public.

M. Jean-Pierre Amoudry - Je voudrais tout d'abord faire appel à une expérience qui m'est connue pour savoir si elle faisait partie de vos travaux de recherche et si elle tendait à être généralisée. Certaines régions de montagne pratiquent la transhumance hivernale consistant à délocaliser de jeunes bêtes de régions enneigées vers des régions sèches, là où la friche avance. Des centaines d'animaux ont ainsi été transférés des Alpes du Nord vers les zones montagneuses de Méditerranée pour entretenir des pare-feux.

Cette expérience qui se heurte à de nombreuses difficultés car demandant tout de même quelques crédits publics, est intéressante aussi bien pour :

- les espèces animales, plus heureuses dans la nature que dans un silo ;

- les agriculteurs, dégagés pour un temps du souci d'un troupeau ;

- les espaces qui accueillent ces bêtes, pour l'entretien, le point de vue de la sécurité et de l'utilité naturelle.

Or il semble que l'outil administratif français ne parvienne pas à prendre ces expériences en compte.

Vos études ont-elles déjà concerné ce type d'expériences, soit pour estimer qu'elles ne sont pas capables de gérer nos problèmes d'enfrichement, soit pour au contraire dire qu'elles sont bonnes sur le plan technique et qu'il faudrait alors soutenir financièrement leur développement ?

Pourriez-vous enrichir vos rapports à destination des administrateurs d'incitations à ce type d'initiatives pour mieux lutter contre l'enfrichement ?

M. Jacques Blanc - Nous avons entendu dire que dans les Alpes, plus de terre avait été perdue par le déboisement spontané que par le développement des constructions. En Cévennes, la situation était plus avancée et la restauration des sols fut réussie grâce à la présence de chèvres et à la viticulture héroïque.

Nous devrions affirmer que la nature livrée à elle-même se dégrade plus que par l'action des agriculteurs.

M. Dominique Cairol - Sur la question de transhumance, nous n'avons pas de travaux en cours.

Vous pouvez nous solliciter via le Ministère de l'Agriculture. En effet, nous avons des conventions avec la Direction de l'Espace Rural et avec la Direction des Exploitations, de la Politique Sociale et de l'Emploi (DEPSE).

Comme nous avons un programme sur un certain nombre de thématiques, si celle-ci est mise en priorité, le CEMAGREF réalisera certainement ce type de travail.

M. Jacques Blanc - Le CEMAGREF pourrait nous fournir certains éléments, mais il faudrait payer ?! Le CEMAGREF n'est-il pas pourtant un établissement public ?

M. Dominique Cairol - Nous nous sommes mal compris. Rassurez-vous, nos documents sont publics. J'expliquais juste que nous ne disposions pas d'étude sur la question de la transhumance. Pour tous les éléments déjà publiés et qui vous intéressent, je serai ravi de vous les faire parvenir.

M. Jacques Blanc - La politique en montagne a besoin en permanence de personnes qui cherchent et trouvent des solutions aux problèmes de nos agriculteurs, de nos montagnards. Si on laisse faire spontanément les choses, la montagne s'autodétruira. On peut constater une convergence des intérêts économiques et des intérêts environnementaux.

Je crois qu'il est capital que notre rapport fasse mention de l'obligation d'études et de mise en oeuvre des programmes. Ces programmes ne doivent pas concerner exclusivement une exploitation. Ils ne doivent pas être enfermés, quel que soit le jugement que l'on porte sur les CTE. L'heure est venue de refinancer la mise en culture. Il est donc important de mobiliser les crédits européens véhiculés aujourd'hui par le plan national rural et qui n'arrivent pas sur le terrain pour des raisons de contraintes administratives françaises comme les CTE.

Si nous avions une politique décentralisée à ce niveau, on pourrait favoriser l'éclosion de tels projets. Les exemples des travaux évoqués tout à l'heure prouvent que cela fonctionne.

En conclusion, nous travaillons sur la lutte contre l'enfrichement mais également sur les dynamiques des accrus. Nous essayons de prévoir en fonction d'une pression de l'utilisation de l'espace et de la pression de la forêt, comment va se développer le front forestier.

23. Audition de MM. Bernard Rousseau, inspecteur général du tourisme, Alain Wauters, inspecteur général de la construction, représentant du conseil général des Ponts et Chaussées et Louis Blaise, inspecteur général de l'environnement, chargés d'une mission interministérielle sur la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne (18 juin 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Je voudrais remercier nos invités pour avoir établi un contact avec nous. Nous avons décidé de créer cette mission d'information au cours de l'année internationale des montages et profitant de l'intermède des travaux législatifs jusqu'à la remise des travaux parlementaires en octobre. C'est dans cet espace de temps que nous auditionnons et allons sur le terrain rencontrer les responsables locaux. Nous nous sommes donné comme objectif de déposer en octobre prochain les conclusions de ce travail.

Nous sommes ce soir à un moment important, puisque nous avons conscience d'avoir en face de nous des hommes qui connaissent particulièrement leur sujet et qui sont donc investis de choses qu'il nous sera précieux d'entendre.

M. Alain Wauters - Nous souhaitions effectivement vous rencontrer parce que nos préoccupations se recoupent beaucoup.

Nous avons une mission depuis la fin de l'année 2001 qui consiste à apprécier la pertinence de la loi montagne sur deux grands aspects : la procédure UTN (unités touristiques nouvelles); l'aspect intercommunal de la gestion du territoire comme de l'offre touristique.

En pratique, nous avons commencé à établir un plan de travail à partir de la fin 2001 début 2002. Nous avons à ce jour pu rencontrer beaucoup de responsables publics et privés des différents massifs. Nous récoltons de nombreuses informations et d'ici peu, autour d'un plan de travail en train de se dessiner, nous allons rédiger une appréciation de la situation et des propositions. L'objectif est de produire ce document à la fin de l'été.

M. Jacques Blanc - C'est un document demandé par le gouvernement et qui doit déboucher dans l'été. Nous allons donc lui demander de vous charger de nous fournir tous les éléments.

On s'aperçoit d'ores et déjà de l'intérêt de cette mission. Des personnes ont travaillé, des documents ont été créés. Nous avons eu la chance de pouvoir nous auto-saisir. Si nous avons la possibilité de glaner les travaux développés par des experts tels que vous, cela peut nous permettre de ne pas nous disperser et de donner des suites intéressantes aux propositions qui peuvent en émaner.

M. Alain Wauters - Ces questions prennent leurs racines sur des travaux antérieurs. Mais les travaux les plus marquants sont ceux du commissariat au plan. Ils ont été présentés en 1999. Une partie de ces travaux s'est prolongée dans un autre dossier appelé la question de la moyenne montagne , présenté l'année dernière à Clermont-Ferrand. On trouve dans ces dossiers des éléments de diagnostics et des éléments de suggestion.

Nous exploitons, revisitons et complétons éventuellement ces travaux avec d'autres points de vue.

M. Jean-Paul Amoudry - J'aimerais que nous puissions bien nous entendre sur le champ d'investigation. Vous nous avez parlé de deux objectifs : UTN d'une part et gestion territoriale sous l'angle touristique que ce territoire peut avoir.

Avez-vous copie de la lettre de mission qui est la vôtre ?

M. Alain Wauters - C'est un premier élément que nous pouvons vous fournir.

M. Jean-Paul Amoudry - D'autre part, en ce qui concerne notre mission et le court temps que nous nous sommes imparti, nous ne pourrons pas aller au fond de toutes les choses. Mais nous n'avons a priori rien exclu. Notre champ d'investigation, les rencontres que nous faisons et les enquêtes que nous menons portent sur tous les sujets de la loi du 9 janvier 1985 et sur tous les sujets modifiés depuis par des lois ultérieures . Notre porte d'entrée d'analyse est aussi bien l'environnement, l'aménagement ou l'économie. C'est ensuite, par un travail de hiérarchisation des problèmes, que nous ferons des propositions.

Alors je crois qu'il serait utile que nous puissions coordonner le message qui sera le vôtre sur les deux sujets que vous avez désignés et ce que seront nos propres propositions.

M. Jacques Blanc - Nous avons déjà beaucoup entendu parler de l'UTN. C'est un sujet sensible. Quelle en est votre analyse rapide ?

M. Bernard Rousseau - Quand nous avons commencé nos auditions nous avons réalisé que la procédure UTN est un sujet sur lequel nous allions rencontrer de fortes divergences. Mais contre toute attente, nos interlocuteurs ont un avis plutôt favorable sur la procédure UTN. Il y a plusieurs raisons.

Nous ne sommes plus dans la forte période des UTN. La question arrive à un moment où la polémique est déjà retombée.

La procédure UTN est surtout intéressante avant qu'on la mette en oeuvre. Elle a souvent permis, par les confrontations qui ont eu lieu quand les dossiers ont été bâtis, une discussion et parfois une amélioration des projets, voire un abandon de projets inadaptés.

Cette procédure, bâtie à une époque où il s'agissait d'aménager les grands domaines skiables, continue à être appliquée sous la même forme, alors que les projets ont changé.

La procédure a montré son efficacité et son utilité. Dans certaines circonstances, elle doit cependant évoluer.

Nous n'avons pour l'instant pas choisi de voie particulière à explorer. La loi Corse a adopté une solution en aménageant la commission des sites.

M. Louis Blaise - Une des quelques critiques de cette procédure concerne le coût et la durée des études qui ont amélioré les projets. C'est assez mal accepté par les petites communes, pourtant nombreuses dans ces massifs.

Nous avons envisagé plusieurs scénarios possibles, notamment que la décision soit davantage rapprochée du terrain. Une voie administrative pourrait consister à ce que la procédure UTN ne soit plus décidée par le préfet de massif mais à l'échelle du département.

Pour que la prise de décision soit plus proche, il faut qu'il y ait une réflexion d'ensemble. Quand on regarde le décret de 1977, on constate qu'il y avait une procédure intéressante appelée PPDT (Programmes Pluriannuels de Développement Touristique) qui étaient une façon de se projeter au-delà du projet ponctuel, dans le temps, avec une programmation spatiale voire aussi financière ; malheureusement ils n'ont pas été repris par la loi de 1985, parce qu'ils relevaient d'une procédure réglementaire, hors du champ de la loi.

On peut le regretter, car c'était une sorte de parapet pour rapprocher encore plus les décisions des collectivités de base.

L'instance d'évaluation de la politique de la montagne, dans les propositions qu'elle faisait, essayait de réhabiliter en quelque sorte le PPDT.

Aujourd'hui, il faut le resituer dans le contexte de tous les outils qui ont été mis en application par les lois récentes. Cela risque de renforcer l'image d'une France qui sédimente.

M. Jacques Blanc - Existe-t-il un rapport avec le SCOT (schéma de cohérence territoriale) ?

M. Louis Blaise - Le PPDT concerne le tourisme uniquement. Il est difficile voire présomptueux d'imaginer qu'il y aura des SCOT partout.

Il peut également se poser le problème de l'échelle d'appréhension des problèmes. Celle du PPDT est bonne. C'est par exemple une partie de la haute-Tarentaise... Concernant le SCOT, nous n'avons pas suffisamment de recul pour l'apprécier finement.

Les prescriptions particulières de massif ont été abandonnées dans la loi montagne et réapparaissent avec la loi SRU (solidarité et renouvellement urbain).

C'est tout de même une idée intéressante puisqu'il est difficile d'imaginer une réglementation appliquée de manière indifférenciée à tous les massifs montagneux français.

Incontestablement, il nous semble que cette piste mérite d'être approfondie, car elle semble prometteuse. Cela sera confirmé ou non par les conditions d'élaboration des prescriptions particulières de massif.

Si c'est une production purement technocratique et réglementaire, cela échouera. Il faudrait une élaboration concertée de ces prescriptions. Cela rejoint la question de la vocation du comité de massif, instance qui doit jouer son rôle dans cette élaboration.

M. Alain Wauters - Concernant la loi montagne, on peut regretter une sorte de retrait par rapport à la directive, notamment sur le fait que la directive nuançait les massifs entre eux, en termes d'altitude par exemple. C'était une amorce intéressante pour développer des pratiques différentes selon les massifs.

Les dispositions de la loi montagne sont les mêmes pour tous les massifs, d'où sans doute une petite difficulté à surmonter.

D'autre part, les UTN n'intéressent que les opérations touristiques. Or, aussi bien dans les gros pôles touristiques qui se sont développés au cours des dernières décennies que dans des secteurs plus diffus, on s'aperçoit que cela peut intéresser des aménagements qui ne sont pas touristiques mais qui permettent à la vie locale de fonctionner. On voit alors des débordements paysagers, financiers et autres qui échappent à la procédure.

Pour rejoindre les remarques sur le cadrage général de développement, l'UTN qui cible le côté touristique, mais fait l'impasse sur d'autres aspects qui peuvent être gênants, devrait être encadrée par un dispositif à l'échelle du territoire pertinent.

Une autre remarque concerne le périmètre de la montagne qui rentre plutôt dans une logique agricole. Ce n'est pas un périmètre qui répond à des considérations urbanistiques. On cale donc des procédures qui ont leurs vertus et leurs limites alors même que le périmètre de la montagne n'a pas été conçu spécialement pour ça.

Mes collègues sont allés à Bruxelles où on s'aperçoit bien qu'au niveau européen, il y a peut-être une recherche d'harmonisation des critères qui permettrait de définir ce qu'est véritablement la montagne.

M. Jacques Blanc - Avez-vous pensé qu'ils cherchaient vraiment ?

M. Alain Wauters - Je ne suis pas sûr qu'ils cherchent avec vivacité.

M. Jacques Blanc - Nous sommes allés aussi à Bruxelles. Nous avons le sentiment qu'il n'y a pas pour l'instant de politique de la montagne, mais que cela peut venir avec la notion de territoire à handicap.

M. Alain Wauters - Oui, c'est cela.

Cela soulève une autre remarque, qui intéresse nos propositions : il nous faut les resituer par rapport aux grandes tendances générales, qu'elles soient nationales ou internationales.

Une deuxième remarque de portée générale : nos outils ont généralement été fabriqués pour encadrer des grands développements de type urbain. Mais ils ne sont pas forcément appropriés, au secteur rural, pour encourager des choses modestes, mais qui localement ont leur importance et qui contribuent au maintien de la vie, voire pour traiter le déclin par des reconversions, la préservation du patrimoine.

De ce point de vue, il y a un sans doute un intérêt pour des démarches de type contractuel et programmatique, comme les PPDT. Peut-être irons-nous vers des dispositifs d'encouragement contractuels en complément ou substitution de règles juridiques d'application ? C'est un problème de philosophie de la pratique administrative.

M. Gérard Bailly - Avez-vous entendu dire qu'il fallait supprimer la procédure UTN ?

M. Alain Wauters - Non.

Il n'est pas impossible que pour la plupart des montagnards, le fait d'avoir une loi à soi soit bien perçu, y compris avec ses contraintes.

M. Jean-Paul Amoudry - Un autre aspect de la procédure UTN concerne les zones de littoral où s'entrecroisent loi montagne et loi littoral. A partir des plans d'eau, artificiels ou naturels, les exigences pour leur constitution sont telles que rien ne se fait.

Avez-vous ressenti des problèmes particuliers à ce niveau ?

M. Louis Blaise - Là aussi, la nuance est nécessaire. A définition administrative égale de l'eau correspondent des réalités différentes selon la situation géographique et la vie qui l'accompagne.

M. Jacques Blanc - Sur le même espace, vous avez : des endroits où il faut maîtriser la pression et où ont été mises en place des procédures UTN d'envergure ; des endroits vides d'habitation. Si l'on applique les mêmes règles, cela ne peut pas fonctionner.

M. Gérard Bailly - Je voudrais citer l'exemple du lac de Chanin, cité lacustre et site archéologique à 480 mètres d'altitude, rattaché à une commune à 650 mètres d'altitude et donc sous le coup de la loi montagne. Nous voulions aménager le bord de ce lac, mais nous avons été bloqués du fait de la réglementation lac de montagne.

M. Alain Wauters - Cela évoque encore la nécessité du cadrage, PPDT, SCOT ou autre. S'il existait, il permettrait sans doute de mieux traiter ces projets en satisfaisant aussi bien l'environnement que l'économique. Les différents dossiers particuliers seraient ainsi gérés plus facilement. Malheureusement, les projets arrivent successivement et isolément.

Il existe des cas heureux où des schémas de cohérence volontaires ont été réalisés. Mais pour élaborer ces projets d'ensemble, on se heurte souvent à des difficultés de toutes natures.

M. Jacques Blanc - Il est plus facile de s'adapter lorsque les pressions sont clairement visibles fortes et identifiées. Dans les cas plus courants où elles le sont moins, il est important de s'adapter à la réalité de leur propre pression dans leur domaine et d'introduire de la souplesse.

M. Louis Blaise - Je pense que ce qui manque, véritablement, c'est la pédagogie à côté de tout l'arsenal législatif et réglementaire. En effet, si effectivement on prenait le temps de faire de la pédagogie, pour répondre à des situations comme celles-ci, l'administratif ne prendrait pas autant le pas sur l'intérêt public.

M. Jacques Blanc - Il manque également des urbanistes-paysagistes auxquels les communes puissent faire appel et que dans l'élaboration des POS

M. Louis Blaise - ...des PLU (plans locaux d'urbanisme)...

M. Jacques Blanc - ... il y ait cette introduction de dimension.

M. Louis Blaise - Les prescriptions particulières de massif peuvent aider dans ce sens-là. Elles permettraient d'avoir une meilleure compréhension des spécificités locales. Les textes le permettent, il suffit de se saisir de l'outil et de le faire vivre.

M. Jacques Blanc - Cela peut en effet faire évoluer les choses et faire prendre en compte les différences qui séparent un plan d'eau d'un autre, même si celui-ci est proche du premier. C'est là que le comité de massif peut tempérer celui qui dans sa commune souhaite entreprendre des travaux en dépit du bon sens.

Je crois que les élus et les populations sont sensibilisés à la sauvegarde du paysage. En montagne, les erreurs pouvant être désertifiantes, il est nécessaire que quelqu'un exerce un rôle de conseil.

M. Bernard Rousseau - Dans notre réflexion, nous voulions aussi rechercher quelques analogies. Une de celles qui nous sont venues à l'esprit est : massif / bassin. Il existe un comité de massif comme un comité de bassin. Pourquoi les réflexions de gestion politique des eaux ne pourraient pas fonctionner au niveau des massifs ?

M. Jacques Blanc - Dans les comités de bassins, des taxes sont prélevées et renvoyées par les agences de bassin. Dans les comités de massif, il n'y a pas d'argent.

M. Bernard Rousseau - Ce point-là nous est venu à l'esprit évidemment, mais je crois que l'argent est utile pour mettre en oeuvre une politique, sans être utile à une réflexion politique.

Le système qui se décline au niveau des bassins avec les SAJ et autres pourrait se décliner dans l'idée des massifs, pour transcender les limites communales.

M. Jacques Blanc - Je crois que le besoin est d'avoir des approches territoriales. Pendant trop longtemps, nous avons eu des règles générales et avons oublié les réalités de l'espace et du territoire. La politique de la montagne est d'amener la capacité de maintien d'activité de vie et d'environnement.

M. Alain Wauters - C'est vrai pour l'aspect environnemental et territorial, mais si on se met du point de vue du touriste, cela va de soi aussi. On sent que les esprits évoluent dans ce sens-là tout de même.

M. Louis Blaise - La procédure UTN, par définition était faite sur des projets ponctuels. A l'époque, ils étaient de grande dimension. Aujourd'hui, ce sont de petites opérations. Souvent, c'est de la réhabilitation.

M. Jacques Blanc - Faut-il une procédure UTN pour une réhabilitation de station ?

M. Louis Blaise - La réponse a été partiellement apportée par l'augmentation du seuil dans ce cas particulier. Partiellement car c'est un seuil financier.

M. Jacques Blanc - Bien. Pouvez-vous nous dire un mot sur l'intercommunalité ?

M. Alain Wauters - Que dire de plus qui n'ait été dit à propos des PPDT ou des prescriptions de massifs ? L'impression est que l'on ne pourra pas appliquer toutes les dispositions sur tout le territoire français. Selon les lieux, on peut imaginer qu'une charte sera intéressante pour développer une dynamique locale, ou un SCOT qui pourra être adapté à un domaine comme la Tarentaise. En revanche, dans le Massif Central, on peut sans doute trouver d'autres dispositifs plus légers.

L'essentiel est de pouvoir dépasser les périmètres administratifs issus d'un passé plus ou moins lointain pour gérer convenablement son territoire et répondre à l'intérêt local et au touriste..

C'est une pétition de principe car nous n'avons pas encore assez de recul.

M. Jean-Paul Amoudry - Vous êtes vous penchés sur l'avenir de la moyenne montagne et plus particulièrement quand elle est support de stations de sports d'hiver, foyers de ski de fond...tout ce maillage de petits sites de toutes sortes qui souffrent de différents facteurs comme l'enneigement et la vétusté des installations.

Il y a une grande interrogation sur cette moyenne montagne, alors même qu'elle avait pris le cap du développement touristique voici une trentaine d'années, à l'époque de la rénovation dite rurale où l'Etat incitait fortement à se lancer dans ces affaires.

Aujourd'hui, les collectivités se sentent seules et appellent à l'aide. C'est du moins notre ressenti. Le partagez-vous ?

M. Alain Wauters - Nous avons constaté le déclin d'un certain nombre de secteurs qui avaient pourtant eu du succès. Cela renvoie à des éléments compliqués comme le tourisme social, les classes de neige, le tout en relative désaffection. Cela pose la question de la pluri-activité, car on ne peut faire vivre une région sur une saison. Les investissements sont trop lourds. Ils n'ont pas dû être perçus comme tels à l'époque où ils ont été entrepris.

Cela pose également la question du conventionnement : le contrat passé entre les opérateurs, s'ils existent, et la collectivité.

M. Jean-Paul Amoudry - Oui, c'est la loi montagne et la loi Sapin.

M. Alain Wauters - La moyenne montagne est malheureusement le lieu où se conjuguent énormément de difficultés d'évolution de toutes natures que l'on maîtrise mal.

Que peut faire l'Etat dans ce cadre ? Le rapport que nous évoquions en début de séance essayait de cerner au mieux les questions qui se posaient pour voir dans quelle mesure on pouvait essayer d'y répondre.

Une des conclusions que nous avons pu avoir, il y a quelques années, est que l'on ne pouvait plus, par exemple dans le domaine de l'hébergement, se satisfaire d'un partage aussi net entre tourisme social et tourisme commercial et qu'il fallait rechercher des formules qui combinaient les deux pour faire vivre un système en toutes saisons. Etait aussi posée la question du statut des actifs, de l'organisation des prestations sociales pour les pluriactifs, des produits nouveaux, de l'évolution du temps de loisir...

M. Jean-Paul Amoudry - C'est un des gros problèmes de nos zones à handicaps.

M. Alain Wauters - C'est là où il faut investir en matière grise et en projets pour constituer des bons dossiers à présenter à l'Europe.

M. Jean-Paul Amoudry - Il faut que les solutions à venir puissent s'appuyer sur une définition de l'attente de nos concitoyens d'aujourd'hui et de demain et que ce soit assis sur une étude économique forte. C'est là une expertise à apporter à ces régions.

M. Bernard Rousseau - Une des difficultés de la moyenne montagne est qu'elle apparaît en creux ; c'est le territoire situé entre la haute montagne et la plaine. Plus elle est proche de la haute montagne plus elle proche de loisirs. Plus elle se rapproche de la plaine, plus elle est orientée vers le tourisme de campagne. On ne peut pas là non plus appliquer les mêmes recettes dans les deux cas. C'est une situation délicate dans la mesure où la moyenne montagne n'est pas une entité unique à qui on peut appliquer une recette unique.

Je ne suis pas sûr d'autre part qu'avoir qualifié ce domaine de moyenne montagne n'ait pas été un handicap en soi.

M. Pierre Jarlier - Il s'agit pourtant d'une zone qui dispose de nombreux atouts uniques. La preuve est donnée de ce qu'il faut décliner en fonction des massifs, du droit à l'expérimentation et à une capacité de mise en oeuvre décentralisée. C'est ce vers quoi nous allons aller.

M. Bernard Rousseau - J'ai vu une étude qui essayait d'analyser les cantons qui se situent dans cette moyenne montagne et d'en faire une typologie. Celle-ci est très variée. Il y a des cantons proches de zones urbaines et qui sont semi-industriels, d'autres typiquement ruraux et d'autres semi-ruraux, semi-touristiques, constituant un ensemble tout à fait hétérogène.

M. Gérard Bailly - La politique des pays va-t-elle modifier cela ? Les pays aujourd'hui vont créer leur conseil de développement, les comités de pilotage, les comités de développement, les commissions se réunissent pour dynamiser un territoire, il va y avoir une charte présentée au niveau local, ensuite aux structures, ensuite aux conseils généraux, ensuite régionaux... Dans ces pays, il va y avoir des projets de développement sur ces zones, et c'est heureux.

N'allons-nous pas nous trouver en conflit lorsque nous voudrons faire adopter ces projets qui émaneront d'un désir local fort et qui auront connu pendant un temps l'aval des collectivités pour les financements par rapport à des réglementations ?

M. Michel Moreigne - Je cite un exemple de village dont une partie est situé en zone de montagne, l'autre non. Quelles sont les procédures qui pourront s'appliquer à la rénovation de cet ensemble ?

M. Louis Blaise - La procédure de pays va dans la bonne direction. Cela aboutit, bien entendu, à une charte. Le jour où il y aura un projet, il sera plus facile de le situer par rapport à un cadrage général que cette charte apportera.

Cette charte renvoie ensuite à un système contractuel. En prenant le cas de Natura 2000 qui correspond à une obligation communautaire. Le territoire national fait l'objet actuellement de toute une série de sites dits Natura 2000. Mais le choix qui a été fait par le Gouvernement a privilégié une démarche contractuelle plutôt que réglementaire.

M. Bernard Rousseau - Sur le cas particulier que vous évoquiez Monsieur le Sénateur concernant un aménagement pour partie en zone de montagne, il est évident que nous ne nous sommes pas posé la question en termes de critères de procédure UTN.

M. Michel Moreigne - Quand vous allez sur le terrain, vous rencontrez l'administration ou des élus ?

M. Bernard Rousseau - C'est très variable selon les endroits. Les gens choisissent le type de rencontre. Mais nous avons évité dans un premier temps d'importuner les élus qui avaient sans doute d'autres soucis à gérer.

M. Alain Wauters - Concernant les politiques contractuelles et les dispositions réglementaires, on observe parfois que des projets abordés dans le cadre d'un pays ou d'un contrat de plan butent ensuite sur la réglementation en vigueur. Au niveau des services de l'Etat, ces connaissances devraient être développées en amont pour éviter ces dysfonctionnements. C'est obligatoire dans le cadre des SCOT ou des PLU. Cela implique aussi que tous les acteurs communiquent au plus tôt leurs projets.

En outre, de plus en plus, tout cela se fait d'une manière transparente, ce qui est positif, mais avec en contrepartie un développement du recours au contentieux.

M. Louis Blaise - Monsieur le Sénateur, avez-vous été amené, dans le cadre de vos réflexions à remettre en cause le périmètre montagne ?

M. Jean-Paul Amoudry - Nous avons évoqué cette question. Mais il nous a été déconseillé de remettre en cause les critères d'éligibilité. Mais la Commission se réserve sa prise de position.

M. Bernard Rousseau - Un dernier mot au sujet de Bruxelles. Il nous a été dit que jusqu'en 2006, la Commission n'envisageait pas de toucher à la politique qui est appliquée actuellement.

En revanche, ils sont en pleine phase de réflexion pour l'après-2006. Il semble qu'il y ait à Bruxelles un courant anti-zonage, préférant avoir recours à des critères d'éligibilité, même imparfaits.

Pour ce qui concerne la France, le travail que vous faites peut être un argument pour revendiquer votre exception.

L'arrivée de nouveaux espaces de montagne vient bouleverser leurs repères.

M. Jean-Paul Amoudry - Messieurs, je vous remercie et vous invite à formaliser par écrit telle ou telle de vos positions si vous souhaitez que notre rapport serve de résonance à vos propres conclusions.

24. Audition de MM. Philippe Huet et Bernard Glass, ingénieurs du génie rural des eaux et forêts de l'inspection générale de l'Environnement (19 juin 2002)

M. Jacques Blanc, Président - Je suis heureux de vous accueillir. Vous savez quelle ambition nous a amenés, avec monsieur le Rapporteur, nos collègues sénateurs et tous les élus de montagne, à demander la mise en place d'une mission, dans le cadre de l'année internationale des montagnes, pour faire le point et voir ce que nous pouvons proposer pour faire avancer les choses. J'ai le sentiment que nous avons peut-être une opportunité de ce côté puisque le nouveau ministre de l'agriculture a quelques racines de montagne.

M. Jean-Paul Amoudry, Rapporteur - Messieurs les ingénieurs généraux, bienvenue au Sénat. Merci de votre présence. J'ai besoin de vous dire, en quelques mots et pour compléter les propos du président Blanc, que nous avons commencé nos travaux d'information - selon le terme approprié ici au Sénat - début avril et que nous les avons interrompus quelques semaines, à la veille des élections présidentielles et législatives, pour permettre aux uns et aux autres de faire leur devoir sur le terrain. Nous allons à nouveau les interrompre en août. Nous terminons nos auditions et nos visites de terrain fin juillet. Tout ceci est mené assez diligemment car nous voulons synthétiser, dès la fin août ou début septembre, ce rapport qui doit être déposé début octobre. La raison en est que, dans le cadre de cette année internationale des montagnes, nous voulons boucler cette entreprise et surtout présenter des conclusions lors des congrès et rencontres qui auront lieu en fin d'année. Vous savez que nous avons plusieurs rendez-vous : celui de Bruxelles, de l'ANEM, etc. Il est donc important que le Sénat manifeste de la diligence et de l'efficacité dans ce domaine.

Partant de la loi de 1985, nous avons dessiné trois grandes entrées à cette étude : une entrée « aménagement », une entrée « environnement » et une entrée « économie », sans hiérarchie quelconque bien entendu. Nous en sommes, à ce jour, à la moitié de nos auditions. Nous avons visité les Alpes et le Massif central. Il nous reste à visiter le Jura, les Vosges et les Pyrénées. Des problèmes de calendrier nous empêcheront de nous rendre en Corse et à la Réunion. Dans la mesure du possible, notre groupe montagne complètera par des visites dans ces îles les travaux qu'il a menés cette année.

Nous vous avons adressé un questionnaire extrêmement bref. Vous êtes les représentants, au plus haut niveau, de l'environnement. Nous vous avons donc interrogés sur les parcs naturels et la politique des risques naturels en montagne. Cette liste n'est pas exhaustive. Nous pourrons intégrer vos messages dans votre rapport.

M. Philippe Huet - Merci monsieur le Président, merci monsieur le Rapporteur. Je vous propose de parler des risques. Mon collègue Bernard Glass parlera du patrimoine naturel. Ensuite nous pourrons répondre à vos questions.

Au préalable, je voudrais dire que nous donnons le point de vue de l'Inspection générale de l'Environnement où nous travaillons tous les deux. En ce qui concerne les risques, je crois que vous avez entendu Yves Cassayre, qui est le délégué national restauration des terrains de montagne. Je ne pense pas que vous ayez entendu Pascal Douard, qui est le délégué adjoint aux risques naturels majeurs à la Direction de la Prévention et des Risques. A vous de voir si cela peut être utile.

L'éclairage que je vais essayer de donner résulte des missions de retour d'expérience que nous faisons depuis 1995 sur les catastrophes et les accidents dans la montagne et ailleurs. Nous essayons d'en tirer des enseignements à portée générale. Il nous paraît particulièrement vrai, pour ce qui concerne le territoire montagnard, de dire que l'aménagement et le développement durable sont la rencontre et la prise en compte de plusieurs aspects : les risques naturels, la gestion des ressources naturelles et les activités socio-économiques.

Les événements de l'hiver 1998-1999 ont touché l'ensemble de l'arc alpin. De même, nos voisins ont tous été touchés par les catastrophes, malgré les systèmes de prévention très différents dont ils disposent. Il y a eu plusieurs dizaines de morts dans l'arc alpin. De notre côté, nous avons vécu l'accident de Montroc à Chamonix, pour lequel nous avons été missionnés, avec des collègues des Ponts. Nous avons établi un rapport, qui pourra vous être fourni, avec des recommandations. Je vous signale au passage que la Direction de la Prévention des Risques nous a confirmé que les recommandations qui y sont consignées constituent bien sa ligne de conduite sur la prise en compte des risques en montagne. Les mouvements de terrain ont aussi posé problème. Monsieur Blanc connaît bien l'affaire de Barjac, et plus généralement le problème des chutes de bloc dans les vallées de ces régions. En plaine, la saison 1994-1995 a été la plus dévastatrice, avec les grandes inondations du Rhône et de la Meuse. Mais en 1999-2001 aussi, les inondations de l'Aude, de la Somme et de la Bretagne ont causé des catastrophes. L'Aude est concernée au premier chef par vos travaux puisque les catastrophes ont touché des régions montagnardes. Nous pourrions d'ailleurs comparer les enseignements des catastrophes en montagne et sur le reste du territoire.

La caractéristique de la politique française de prévention des risques naturels est sa centralisation. Nous sommes une exception en Europe. Chez nos voisins, les autorités cantonales et régionales sont responsables de la prise en compte des risques. La loi française est une exception. A ce sujet, vous trouverez, dans le rapport de Montroc, un tableau comparant les régimes institutionnels de prise en compte des risques dans les pays de l'arc alpin. Pour nous c'est une vraie question. Ceci étant dit, le dispositif législatif français paraît assez complet. Ce sont les trois lois que vous connaissez : loi d'indemnisation de 1982, loi d'information de 1987 et loi d'aménagement du territoire, dite loi Barnier, de 1995, qui crée les plans de prévention des risques. Des lois annexes, dont la loi montagne et son article 78, prescrivent que les risques naturels doivent être pris en compte dans les aménagements. Cette rédaction est très générale et peut-être faudrait-il prévoir des décrets d'application qui permettraient aux services de l'Etat et des collectivités d'être mieux calés dans leurs expertises. Il y a aussi la loi de démocratie de proximité, qui contient, curieusement, un article sur les effondrements, et la loi « solidarité et renouvellement urbain » (SRU), qui recommande aussi la prise en compte des risques.

Nous pouvons retenir ceci de la période 1998-2002 : il y a eu une forte activité en France sur la politique de prévention des risques. Le Parlement, à travers votre collègue M. Dauge, a conduit une mission sur les problèmes de gestion des inondations qui a eu un certain retentissement dans l'administration. Votre collègue M. Galley a présidé une commission d'enquête sur les inondations. Il y a aussi eu une commission du Sénat sur la Somme. Des recommandations ont vu le jour, traduites dans la petite loi sur l'eau concernant la prévention des inondations, y compris donc dans les zones de montagne. La loi risques technologiques et la loi modernisation de la sécurité civile, qui concernent aussi les risques, n'ont pas encore été débattues. Il existe donc une forte activité législative et pré-législative dans ces domaines.

Les administrations de l'Etat ont fait beaucoup de choses entre 1998 et 2002. Plusieurs groupes de concertation et d'expertise, notamment, ont été mis en place. La commission interministérielle pour la prévention des risques naturels majeurs a été créée par décret. Des élus y participent et elle dispose d'un conseil d'orientation. C'est sans doute la plus importante. Il faut s'assurer que les élus de montagne y participent effectivement.

Une instance de conseil et d'appui technique a aussi été créée. Elle donne aux préfets qui le demandent des avis sur les cas difficiles. Nous en avons déjà donné deux concernant les avalanches de Saint-Hilaire-du-Touvet, en Isère, et les chutes de blocs de Barjac. Plus d'une dizaine de rapports et de retours d'expérience ont aussi été élaborés. Parallèlement, les budgets ont été augmentés. Les budgets d'étude des plans de prévention des risques (PPR) ont été triplés au moins en quatre ans. Les budgets de travaux ont été significativement augmentés suite à la décision de vos assemblées. Un effort d'information a également été consenti. Le nombre de documents communaux simplifiés - les documents élaborés par les préfets portés à la connaissance des maires - a été multiplié par trois en quatre ans. Nous pourrions discuter de leur impact. Quant à la politique d'indemnisation, 3 000 communes par an sont déclarées CATNAT. Les indemnisations varient d'une année à l'autre. Elles étaient de 250 millions d'euros il y a quatre ans, elles sont de 400 millions en 2000. Plusieurs programmes de recherche ont été initiés par l'Etat, en particulier sur les risques naturels. Enfin, suite aux catastrophes, des programmes de travaux significatifs ont été déclenchés, même s'ils concernent la plaine bien plus que la montagne. L'Aude, la Somme et la Bretagne ont reçu 228,700 millions d'euros mobilisés par l'Etat et les collectivités. Après les événements de Montroc, un programme important de remise à niveau et de restauration d'ouvrages de protection et du bâti aurait pu être envisagé, mais l'accent a été mis sur la rénovation des techniques de cartographie du risque.

Les collectivités ont aussi déployé une forte activité dans ce domaine à travers les contrats de plan. Nous constatons aussi l'émergence du secteur associatif en faveur des victimes et des sinistrés récemment organisé en association nationale. Suite à la Décennie internationale de prévention des catastrophes naturelles, l'Association française de prévention des catastrophes naturelles a été créée et elle est active. Elle est présidée par votre collègue M. Dauge et compte plusieurs sénateurs dans ses rangs. De façon similaire, le trentième anniversaire de l'association nationale pour l'étude de la neige et des avalanches (ANENA) a été l'occasion d'un bilan de 30 ans de prévention des risques en montagne.

Depuis peu, nous constatons aussi un réveil des assureurs et des professionnels. Sur le modèle allemand, les assureurs mènent des travaux intéressants sur les possibilités de rendre les travaux de cartographie des risques directement utilisables par leur profession.

Je souhaiterais donner quelques axes de réflexion. Le premier concerne l'équilibre des responsabilités entre l'Etat, les collectivités et les citoyens. En France, suite à la loi Barnier de 1995, l'Etat a la responsabilité première de dire le risque. C'est une exception. Il faudrait peut-être réfléchir à un équilibre mieux réparti entre l'Etat et les collectivités. Votre collègue, M. Dauge, avait proposé de mettre en place des commissions de concertation sur les PPR. L'idée est que le risque concerne d'abord les personnes qui habitent sur place. Pour ma part, je suis convaincu qu'elles sont les premières à devoir être interrogées. L'Etat décide, certes, mais il faut d'abord qu'ait lieu ce débat local sur le risque, qui fixe le niveau de risque acceptable. A mon sens, ce n'est pas assez bien organisé dans notre pays. Les préfets et l'Etat sont amenés à dire qu'il faut retenir l'événement centennal, ou le plus grand événement historique, alors qu'il n'y a pas de raison solide et objective aujourd'hui pour étayer ce raisonnement. Tout dépend du type de risque et d'enjeu auquel nous avons affaire. Tout dépend aussi de la culture de risque des populations locales. L'appréciation du risque dépend fortement d'une culture locale. De là doit découler une forte responsabilité locale. Je crois que nous n'avons pas mené une réflexion assez profonde dans ce domaine. L'exemple de nos voisins de l'arc alpin pourrait, dans ce cadre, nous être utile. Les citoyens pourraient aussi être mieux informés. Le système réglementaire de la loi de 1987 est efficace quantitativement mais son impact local ne l'est pas. La plupart du temps, lorsque nous demandons un document communal simplifié au maire pour un retour d'expérience, le maire avoue ne pas savoir ce que c'est ou le confond avec le PPR. Toute une pédagogie est à faire et la DPPR en est consciente.

Deuxièmement, la chaîne de prévention n'est pas homogène. La chaîne de prévention est composée des maillons suivants : connaissance du risque et de l'enjeu, gestion de l'occupation des sols et des ouvrages de protection, technique constructive, gestion des milieux, surveillance et alerte, mise en place d'un plan de secours, y compris conditions d'évacuation. Certains maillons sont très bien étudiés mais d'autres le sont moins. Des dangers existent donc. Par exemple, il existe aujourd'hui en France un déficit important en termes de connaissance de la vulnérabilité. Qui aujourd'hui sait comment bien construire en zone inondable ou en zone avalancheuse ? Il faudrait aussi mieux connaître l'état des ouvrages de protection, dont la moitié n'appartiennent pas à l'Etat. Ils demandent un entretien annuel. Qui en est responsable ? Quel budget est prévu ?

Finalement, en termes de politique d'objectifs, je dirai ceci. La loi organique que vous avez votée pour la présentation du budget de l'Etat à partir de 2005 oblige à présenter les actions publiques en termes d'objectifs. Tous les ministres ont voulu que la France soit couverte par des plans de prévention des risques. L'objectif quantitatif ambitieux qui avait été fixé - 5 000 PPR en 2005 - sera respecté. En effet, nous en sommes déjà à 3 200 alors que nous en étions à moins de la moitié il y a quatre ans.

Au-delà de ces objectifs quantitatifs, il nous paraît important de revenir aux questions qualitatives, car les PPR ne règlent pas la question de l'existant, de ces constructions et infrastructures mal protégées ou mal conçues vis-à-vis du risque. Il faudrait peut-être lancer une action de remise aux normes. Ca coûtera très cher, mais cela peut être fait progressivement.

Troisièmement, il faut prendre en compte les spécificités territoriales. En montagne par exemple, il faut prendre en compte les surcoûts. Un PPR coûte en moyenne entre 15.250 et 23.000 euros. Or, dans le Val d'Aoste, cela coûte environ 152.000 euros. Pourquoi ? La raison est que nos voisins font beaucoup plus d'études que nous. Ils se sont créé des obligations et ont passé des lois régionales. Le budget de la Suisse pour la prévention des risques, comme celui du Val d'Aoste, est bien supérieur au nôtre. Nous n'avons pas encore tout à fait admis le surcoût de la montagne.

Enfin, pour terminer, voici sans ordre, quelques remarques.

Nous devons aussi procéder à des simulations montrant ce que pourrait causer un événement extrême en montagne, et notamment en montagne enneigée. En France nous redoutons trois grands types de problèmes : un séisme aux Antilles, une grande inondation sur les bassins de la Loire, du Rhône ou de la Garonne, ou une longue période de grand mauvais temps en montagne en période touristique. Il faudrait au moins que les citoyens, les collectivités et l'Etat mettent en place un exercice complet de sécurité civile.

La prévision météorologique devrait se développer beaucoup plus en montagne. Des démarches ont commencé avec Météo-France mais il reste du chemin à parcourir. Enfin, il faut maintenir une expertise publique et privée spécifique aux risques montagnards. Nous avons la chance d'avoir un service RTM reconnu. Le problème du renouvellement et de l'extension des compétences techniques se pose à la fois dans les collectivités et dans les bureaux d'études privés. Ces compétences sont difficiles à trouver.

M. Bernard Glass - Mon propos se limitera au cas des parcs nationaux qui constituent l'outil privilégié de l'Etat pour aborder en montagne les problèmes liés au patrimoine naturel. L'Inspection générale de l'Environnement, après une série d'audits menés par le Conseil général du génie rural des eaux et fôrets (GREF) et le Conseil général des Ponts, se mobilise pour effectuer des inspections périodiques des parcs nationaux, afin d'évaluer la mise en oeuvre, établissement par établissement, des objectifs assignés aux parcs. Des outils de préservation sont nécessaires pour conserver un patrimoine naturel particulièrement riche, notamment en montagne, en termes d'habitats, d'espèces végétales et animales. En ce qui concerne la politique des parcs nationaux, il faut en rappeler d'abord les fondements. Deuxièmement, je ferai un état des lieux, pour montrer ce qui caractérise les parcs nationaux dans le patrimoine montagnard français. Troisièmement, je donnerai une vision plus critique du dispositif. Enfin, nous verrons quelles évolutions du système sont envisageables.

Les parcs nationaux existent depuis une quarantaine d'années. Ils répondent à l'impulsion donnée par le gouvernement De Gaulle, qui est à l'origine de la loi de 1960 les instaurant. Celle-ci est un monument législatif qui a le mérite de la souplesse et de la simplicité. En effet, elle pose comme objectif prioritaire - suivant le modèle états-unien dont le premier parc national, Yellowstone, voit le jour en 1872 - de préserver le patrimoine naturel, et de le soustraire, dans la mesure du possible, aux interventions qui peuvent le dégrader, qu'elles soient naturelles ou anthropiques (sous l'effet de l'action humaine). L'organisme de gestion du parc peut être un établissement public. La loi pose aussi l'objectif du développement en périphérie et envisage donc la création de zones périphériques. Dans cette zone, un ensemble de réalisations économiques, culturelles et sociales peut conforter l'objectif de protection assigné à la zone centrale.

Il faut se souvenir que le ministère de l'agriculture a hérité de l'élaboration de la loi après des arbitrages qui l'opposaient au ministère de la construction et au ministère de la culture. C'est un élément important pour comprendre l'état des lieux. Par la suite, deux ministères, l'agriculture et la construction ont été chargés de mettre oeuvre une politique concertée de développement des zones périphériques. M. Pisani, en 1965, après sa réforme du ministère de l'agriculture, a été le ministre de l'équipement qui a intégré la construction à l'équipement. C'est pourquoi la prise en compte des objectifs de développement est aujourd'hui moindre dans la zone périphérique.

La mise en oeuvre de cette loi a fait l'objet du décret de 1961 qui porte règlement d'administration publique et précise que l'établissement public gestionnaire d'un parc national est à caractère national et administratif. Tous les parcs créés à partir de ce RAP répondent à cette organisation juridique. La mise en oeuvre a été progressive. Aucun parc national ne s'est créé dans l'euphorie. Il y a toujours eu des conflits révélés par les enquêtes publiques. En toile de fond, la forte identité des sociétés montagnardes - qui ont toujours vu d'un mauvais oeil l'intrusion de l'Etat dans la vie locale - a été un facteur d'opposition. En effet, les montagnards considéraient qu'ils avaient façonné le patrimoine naturel dont ils sont légitimement les seuls dépositaires. Les intérêts des chasseurs étaient aussi très puissants dans tous les parcs nationaux de montagne.

Des ajustements juridiques sont intervenus. Il faut signaler la prise de position du premier ministre M. Barre en 1979. Il a voulu montrer, à travers une circulaire, l'attachement de l'Etat à deux outils portant le nom de parc naturel : parcs nationaux et parcs régionaux. La création de ces derniers avait été stimulée dès 1967 pour montrer qu'il pouvait exister une alternative dans une démarche de protection et de développement, en essayant d'être au plus près des préoccupations locales. Leur ambition était de rapprocher la ville de la campagne. Cette volonté de développer des solutions alternatives a donc existé dès 1967. Dans son prolongement, la loi de 1985 fait explicitement allusion au rôle que les parcs naturels nationaux et régionaux peuvent assurer au côté des collectivités territoriales en vue du double objectif de préservation et de développement.

L'état des lieux est celui-ci. Sur les sept parcs nationaux existants, six intéressent le patrimoine montagnard, y compris celui de la Guadeloupe, le dernier créé. Sur les 40 parcs régionaux, 16 intéressent le patrimoine montagnard français. Je rappelle que les parcs nationaux sont un des 36 outils qui interviennent dans la protection du patrimoine naturel en France. D'autres outils existent qui ont des fondements juridiques plus ou moins solides, puisque la position du Ministère aujourd'hui est de privilégier le contractuel par rapport au réglementaire. Le démarche Natura 2000 avec son réseau européen en est un exemple.

Les six parcs nationaux de montagne ont été créés entre 1963 et 1989. La création d'un parc national s'inscrit dans la durée puisqu'il prend entre quatre et dix ans. Il y a donc eu six réussites mais il y aussi eu trois échecs : l'Ariège, le Mont-Blanc et les Pyrénées Orientales. Sur les six parcs existants, les zones centrales fortement préservées représentent moins de 1 % du territoire national (zone périphérique : moins de 2 %) ou moins de 4 % du territoire montagnard français (zone périphérique : moins de 8 %). C'est donc relativement modeste. La population concernée est de moins de 200 000 habitants, soit 0,4 % de la population totale. Sur les six parcs nationaux, trois sont entièrement englobés dans le territoire français, tandis que trois sont frontaliers. Pour ces derniers, la zone périphérique a donc une signification moindre, puisque tributaires de ce qui se passe de l'autre côté de la frontière. Des démarches de jumelage et de préservation concertée y remédient.

Les effectifs budgétaires en 2002 sont de 375 agents titularisés. Ils viennent d'être regroupés avec d'autres personnels de la garderie : Conseil supérieur de la Pêche et Office national de la Chasse et de la Faune sauvage. Le budget global est de 30 millions d'euros - soit environ 200 millions de francs - pour le fonctionnement, et de 9 millions d'euros - soit 60 millions de francs - pour l'investissement. Environ 40 millions d'euros sont donc attribués. Cela représente à peine trois kilomètres d'autoroute en terrain difficile. C'est un ordre de grandeur utile pour situer l'incidence budgétaire de la politique des parcs nationaux de montagne. Cinq présidents de parcs de montagne sont des élus locaux.

En toile de fond, après la circulaire Barre et la loi montagne, des réflexions ont été conduites par certains hommes politiques. M. Pisani a produit, en 1983, un rapport sur le réseau des espaces naturels français. Il avait conclu à l'intérêt de fédérer les politiques résultant des nombreux outils de protection et de gestion existants. Sur les 36 outils existants, une dizaine seulement ont un réel impact territorial. Il avait donc préconisé, au moment de la décentralisation, la mise en réseau de ces outils pour déterminer ce qui relève du national et de l'international, dont les parcs nationaux, en respectant le contexte de la décentralisation. Il a donc préconisé un institut national du patrimoine national qui fédère tout ce qui est institutionnalisé pour protéger et gérer l'espace au nom de l'Etat. Une réflexion d'économie d'échelle devrait être menée pour voir si nous ne pouvons pas mieux valoriser les activités des établissements publics qui convergent sur le patrimoine naturel. C'est d'autant plus nécessaire que certaines organisations ou institutions risquent de connaître des problèmes d'existence suite à une diminution des recettes : ceux de la chasse, de la pêche, des forêts. Les parcs nationaux font donc partie de cette famille d'établissements publics s'intéressant au patrimoine naturel français.

Ma vision plus critique est fondée sur les cinq audits réalisés par le Conseil général des Ponts et le Conseil général des Eaux et Forêts. Le seul parc qui n'a pas été audité est celui des Pyrénées. Celui de la Guadeloupe est en cours d'audit.

Il y a trois objectifs, dont un est assigné par la loi et deux relèvent de l'exposé des motifs : la préservation, le développement et l'aménagement du territoire. L'objectif prioritaire, assigné par la loi, est la préservation du patrimoine naturel. L'esprit de la loi concerne l'ouverture au public, accompagné d'une pédagogie appropriée, et le développement durable en zone périphérique. Toutefois, les textes de loi ne sont pas assez explicites pour que nous puissions parler d'une politique concertée de préservation, de développement et d'aménagement du territoire.

Sur ces trois objectifs, le bilan est le suivant. Les parcs nationaux sont performants dans la protection. Les chasseurs partagent désormais ce point de vue après avoir campé sur une position critique. Ils considèrent par exemple que la protection de la faune chassable se traduit, depuis la création des parcs nationaux, par des tableaux de chasse plus intéressants en périphérie. L'exception à ce bilan positif de l'effort de protection est la disparition de l'ours des Pyrénées, dont la population est trop faible pour qu'elle puisse être sauvée. Les parcs de montagne ont accueilli, après leur ouverture au public, entre huit et dix millions de visiteurs. C'est un chiffre important. Les sondages partiels montrent des degrés de satisfaction variables selon les établissements. La contribution au développement local, de même, est variable.

Globalement, les retombées économiques constituées au niveau d'un parc national ne sont pas toujours évaluées. Le parc national des Ecrins reste la référence. En tant qu'élu local et président de la conférence des présidents de parcs nationaux, Patrick Ollier a montré le rôle que pouvait avoir cet établissement public. Parmi les points négatifs, il apparaît que le portage politique des parcs nationaux n'est pas à la hauteur de ce qu'il pourrait être. L'histoire spécifique et le contexte local de chaque parc national ont abouti à des portages plus ou moins marqués. Le système des zones périphériques est encore faible car l'articulation de la politique zone centrale / zone périphérique est souvent insuffisante. Par ailleurs, il reste des difficultés dans l'évaluation des performances des établissements publics dans ce domaine. Cela relève d'un partenariat. Nous constatons une évolution dans la reconnaissance locale que l'image nationale et internationale des parcs nationaux est payante. Les parcs nationaux français entrent dans la famille des parcs nationaux de la planète à travers une labellisation internationale dont l'union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources (UICN) est responsable. Ceci constitue un élément prioritaire pour le futur des parcs nationaux français. Il apparaît aussi de plus en plus nécessaire que les textes fondateurs soient révisés, actualisés en partie, en particulier pour garantir la mise en oeuvre d'une politique de développement en zone périphérique. Monsieur Ollier avait demandé une refondation de la politique des parcs nationaux. Cette démarche est engagée mais elle suppose un pilotage politique élargi à l'ensemble des outils de préservation des espaces naturels.

M. Jacques Blanc - Je me permets de dire que lorsqu'un parc se permet de poser un recours contre un permis de construire, alors que ce dernier a été accordé par le préfet et soutenu par tous les élus, au sujet d'un patrimoine qui a été abandonné et ensuite racheté pour le faire vivre, nous en avons assez de le défendre. Ces comportements font qu'au lieu de faire adhérer les gens à une défense du patrimoine, cela devient insupportable.

M. Jean-Paul Amoudry - J'ai relevé un certain nombre de points. J'aimerais que nous puissions échanger nos point de vues sur la question de l'exception française et sur cette politique centralisée des risques. Si d'aventure vous aviez des observations ou disposiez d'une étude de droit comparé, nous pourrions l'étudier et faire des observations afin de mieux connaître ce qui se fait à l'extérieur. Nous avons compris que vous êtes favorable à une évolution ou à un rapprochement de la décision et de l'évaluation, et à un équilibre mieux garanti entre l'Etat, les collectivités et la population locale.

M. Philippe Huet - La direction des risques est peut-être plus jacobine que les fonctionnaires de l'inspection que nous sommes. Nous ne ratons pas une occasion de dire ce que je vous ai dit. Nous l'avons écrit dans le rapport de Montroc et dans d'autres rapports qui nous ont été commandés.

Sur le point précis des risques naturels, il existe des problèmes de responsabilité pénale. Le jeu avec les élus est complexe. Dans la mesure où les élus assurent la responsabilité des plans d'occupation des sols, n'est-il pas possible que les responsabilités soient mieux partagées en termes de servitude attachée à ces plans ? 77 préfets ont été mis au « tourniquet » depuis 1982 sur ce type de sujet entre autres. Cinq seulement ont été condamnés. C'est quand même très désagréable pour tout le monde. De même, des ingénieurs d'Etat ont eu des comptes à rendre à la justice. Cela fait du bruit dans la corporation. Je pense qu'un travail commun des élus et des administrations doit être fait. Je suis convaincu qu'il faut un esprit nouveau. Une douzaine de parlementaires, députés-maires ou sénateurs-maires, ont participé à la commission de votre collègue M. Dauge. Ils ont souvent dit qu'ils ne signeraient jamais tout seuls. Or, actuellement, c'est nous qui signons tout seuls. Une cosignature serait déjà un progrès. Dans tous les cas, il faudrait que notre signature soit précédée d'un débat où chacun est responsable de ce qu'il a dit, comme dans vos commissions, où c'est enregistré. Il faudrait quelque chose de plus formalisé qui responsabilise les participants.

M. Jean-Paul Amoudry - Vous avez compris le contexte de notre mission. Nous n'allons pas régler ce problème dans notre rapport. Nous allons le signaler, quitte à reprendre le fil de nos discussions dans le cadre de notre groupe montagne au Sénat. C'est un travail qui demande un effort de longue haleine. Je le signale comme un des objectifs pour l'après octobre prochain. Comme Jacques Blanc vient de le dire, c'est un problème de culture administrative.

Dans ce même esprit, je voudrais pointer deux ou trois autres questions. Vous avez parlé de la gestion de l'entretien des ouvrages de protection en montagne et du fait qu'après Montroc, rien n'avait été concrètement entrepris en matière de travaux. Est-ce qu'il est possible de connaître l'état de ces ouvrages, qui mériteraient que nous nous y intéresserions, afin que nous puissions vérifier de façon plus rigoureuse la qualité de la protection qu'ils sont censés assurer ?

Deuxièmement, vous avez abordé le sujet de l'information et de la responsabilisation. Vous savez que la loi montagne a lancé l'idée d'une responsabilisation par l'argent et que la loi démocratie de proximité, sous l'impulsion de notre collègue Jean Faure, a repris l'idée d'une responsabilisation par le remboursement en tout ou partie des frais d'intervention, et d'une nécessaire information de cette responsabilité. Est-ce que vous pensez qu'il serait opportun et utile de joindre les deux ? Une meilleure information sur les risques ne passe-t-elle pas par une meilleure information par l'argent ? C'est peut-être un peu trivial et un peu bas mais c'est ce qui attire l'attention de nos concitoyens.

Enfin, au sujet de l'existant soumis au risque, est-ce que vous pourriez nous donner quelques exemples et nous dire si un travail de recherche préalable serait nécessaire ? Cela nous permettrait d'y voir plus clair et d'apporter des solutions. M. Glass, vous avez parlé de 36 outils de protection. J'aimerais que vous nous précisiez si ce sont des outils juridiques ou si ce sont des organismes, des institutions ou des associations qui participent à la protection. Est-ce qu'il ne serait pas possible de simplifier l'ensemble de ces outils, d'aller vers quelque chose de plus lisible et de plus explicable pour les acteurs du terrain que sont les chasseurs, les agriculteurs, les artisans et les élus ?

M. Jean Boyer - En ce qui concerne les inondations, la Haute-Loire est un département qui connaît malheureusement ces problèmes. Il y a eu neuf morts en 1981. Aujourd'hui, nous nous demandons si les priorités environnementales ne priment pas sur la mise en place d'ouvrages de sécurité. C'est tout un problème. Ce qui se fait en amont bénéficie à l'aval. Je pense qu'il y a un troisième décideur, à part l'Etat et l'élu. Ce n'est pas le pouvoir de la rue, mais il y a un peu de ça. Qu'en pensez-vous et comment pouvons-nous modifier cet état d'esprit ?

M. Philippe Huet - Chacun connaît le drame de Brives-Charensac. Certains souhaitent un barrage pour contrôler la rivière tandis que les autres souhaitent laisser la rivière vivre sa vie en évitant de se mettre sur son passage. Tout d'abord, je pense qu'il n'existe aucun exemple montrant qu'il est possible de maîtriser complètement les phénomènes par l'installation d'un barrage. Regardez Serre-Ponçon. Nous travaillons sur la Durance avec EDF notamment. Tout le monde pensait que nous allions assister à la fin de la Durance dévastatrice. C'était en 1955. Pendant un demi-siècle, nous pensions avoir gagné. Or en 1994, une crue a fait des dégâts tout à fait considérables.

Le barrage n'est pas en mesure de contrôler des crues extrêmes. Il domine les crues moyennes. L'effet pervers est que nous oublions le danger. C'est vrai partout, y compris sur les barrages de la région parisienne. Deuxièmement, cela relève du débat public. Si vous ne voulez pas d'ouvrages de protection, ou si vous voulez vous installer en zone inondable, il faut vous préparer, le jour où une catastrophe arrive, à en payer le prix. Ça doit être un débat public : nous prenons le risque collectivement et de façon consciente. Auparavant, les ingénieurs parlaient de crue centennale parce qu'on ne vivait pas longtemps et que l'on n'avait pas une grande chance de la revoir. Mais aujourd'hui il est possible d'en voir deux ou trois en une vie. Un débat public doit éclairer l'opinion.

Je voudrais faire une remarque sur un autre sujet : par le jeu des concessions, EDF est devenue de fait quasi propriétaire de rivières de montagne. Aujourd'hui où les enjeux de société évoluent, il y a sans doute d'autres impératifs que l'énergie à considérer.

Votre mission pourrait-elle aborder la question ?

M. Jacques Blanc - Nous vous remercions.

25. Audition de Mme Marie Guittard , adjointe au directeur des politiques économiques et internationales, chef de la production et des marchés au ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (19 juin 2002)

M. Jacques Blanc - Nous accueillons donc Madame Guittard, que nous sommes heureux de retrouver. La montagne a besoin pour vivre de produits reconnus et de qualité, et d'agriculteurs authentiques. Monsieur le Rapporteur, que souhaitiez-vous préciser ?

M. Jean-Paul Amoudry - Je voudrais simplement souhaiter la bienvenue à nos invitées. Vous avez là effectivement une grille de questions que nous vous avons adressée pour vous permettre de structurer votre propos et les réponses que nous attendons de vous.

Mme Marie Guittard - Merci monsieur le Président, merci monsieur le Rapporteur, merci messieurs les sénateurs, de nous avoir conviés à cette audition. Effectivement, nous avons reçu une grille de questions.

Vous souhaitiez avoir un éclairage sur le droit applicable au terme montagne et un bilan de l'application de la réglementation en vigueur. Actuellement, le décret du 15 décembre 2000, pris en application de la LOA (loi d'orientation agricole de juillet 1999) précise les conditions d'utilisation du terme montagne. Ce décret est l'aboutissement d'un long processus qui débute avec la loi montagne de 1985 et se poursuit avec le décret en application, qui a été remis en cause par un arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes en mai 1997. En effet, ce décret prévoyait un dispositif d'autorisation pour les seuls produits fabriqués sur le territoire national français et issus de matières premières françaises. Au nom de la libre circulation des produits, la Cour de Justice nous a demandé de modifier les conditions d'utilisation du terme montagne en France. Nous avons donc utilisé l'occasion de la LOA en 1999 pour que soit précisées les conditions d'utilisation de la dénomination montagne. Au terme d'une période où nous avons consulté les professionnels et la commission du projet de décret, nous avons abouti à un décret en décembre 2000 qui a reçu un avis favorable de la commission, mais un avis mitigé de certaines composantes professionnelles. En effet, par rapport à ce qu'ils auraient souhaité, la vigilance de la commission sur notre projet était telle que nous ne pouvions pas appliquer un dispositif d'autorisation pour des produits de zones de montagne d'autres pays de l'Union européenne. Nous avons été contraints de limiter notre dispositif aux produits élaborés en France avec une matière première venant de France ou d'ailleurs. Les professionnels, et notamment les producteurs de porc de montagne, ont craint que soit galvaudé le terme montagne et qu'arrivent des matières premières d'autres pays qui ne correspondent pas à l'idée que se faisaient ces producteurs d'un produit de montagne.

Cette difficulté n'est pas la seule. Le positionnement des produits de montagne par rapport à notre dispositif de signes officiels de qualité pose aussi problème. Nous avons des signes de qualité qui traduisent des caractéristiques qualitatives des produits. C'est le cas de l'AOC, qui est un produit qui répond à un cahier des charges, à une localisation de la production, à un savoir-faire des producteurs, qui garantit une typicité du produit et surtout une impossibilité de le dupliquer. Ce produit est ce qu'il est parce qu'il a été fabriqué dans un lieu donné et par des personnes données, avec du matériel végétal ou animal donné. Quant aux labels rouges, ce sont des produits qui tirent leur qualité supérieure du respect d'un cahier des charges qui garantit avant tout la qualité supérieure du produit par rapport au produit de base. Il a fait l'objet d'un examen organoleptique. Il a donc démontré que le cahier des charges lui conférait des caractéristiques supérieures au produit de base. Enfin, les certifications de conformité produit permettent à certains produits de se distinguer des produits standard parce qu'ils disent ce qu'ils sont et répondent à un cahier des charges avec des caractéristiques identifiées. Ils ne sont pas d'une qualité supérieure comme le label rouge, mais sont distincts des autres. Enfin, le dispositif d'agriculture biologique ne dit rien sur la qualité du produit mais dit que ce produit a été élaboré dans des conditions respectueuses des équilibres naturels.

La dénomination montagne, au sens de la LOA et au sens de ce que nous a laissé faire la Commission européenne, est un signe de provenance. Dans le paysage des signes officiels de qualité et des indications de provenance, le produit montagne est soumis à l'autorisation administrative parce qu'il répond à des critères d'origine. Le cahier des charges qualitatif n'est pas encadré. Ce n'est donc pas un produit de qualité supérieure, ni un produit typique au sens de l'AOC, ni un produit identifié par des caractéristiques quelconques. Il dit seulement qu'il est intégralement de provenance montagne, mais sans dire laquelle.

M. Jean Boyer - En Haute-Loire, nous avons voulu mettre en place une filière de porcs de montagne. La traçabilité était assurée puisque l'éleveur devait respecter un cahier des charges et l'origine de l'alimentation était connue : avoine de Haute-Loire, pommes de terre issues de zone de montagne. Le conseil général avait mis en place une action favorisant la transformation des aliments du bétail produits en Haute-Loire. Donc la traçabilité n'était pas seulement liée à la situation géographique. Nous sommes déçus aujourd'hui que la seule référence géographique soit mentionnée alors que le cahier des charges garantissait la traçabilité.

M. Jacques Blanc - La signature montagne n'est donc pas assimilée à une appellation d'origine ni même à une indication géographique protégée (IGP). Dans une IGP, vous avez à la fois la géographie et des méthodes de production. Il faudrait donc essayer d'avoir une appellation d'origine. Est-ce que vous pensez que nous pouvons sortir du décret ou l'améliorer ?

Mme Marie Guittard - Le décret tel qu'il existe aujourd'hui est, à mon sens, peu susceptible d'évoluer. En effet, il se heurtera toujours à l'absence de volonté des pays de l'Union européenne et notamment de ceux du nord de l'Europe. A cet égard, l'élargissement va accentuer cette séparation entre deux types de pays : nous allons sans doute avoir des intérêts communs avec la Slovaquie, par exemple, comme avec d'autres pays du sud de l'Europe qui ont des montagnes. Mais la Pologne et la Hongrie seront sans doute moins tentées par des législations. Que nous soyons quinze ou vingt-cinq, l'élargissement ne va donc rien changer au rapport de forces. Le décret est donc peu susceptible de changer. Par contre il ne me paraît pas incompatible avec la notion de signe officiel de qualité : rien n'interdit, a priori , qu'un produit de montagne soit également une AOC, une IGP, ou bio.

M. Jacques Blanc - Mais il est banalisé après. Le même qualificatif peut être utilisé en zone de plaine. Or notre objectif est de montrer que la montagne dispose d'une richesse supplémentaire.

Mme Marie Guittard - Je reprendrai les termes du président Valadier, qui est président du Comité national des Produits laitiers, un des quatre comités nationaux de l'Institut national des Appellations d'Origine. Lors de la dernière réunion du Conseil permanent de l'INAO, il a dit qu'il craignait que la montagne ne fasse pas la qualité des produits, que l'altitude ne faisait pas la qualité des produits.

M. Jacques Blanc - C'est parce qu'ils ont des difficultés pour définir le terme montagne dans l'Aveyron. Certaines zones ne sont pas classées montagne. Donc le président Valadier reste prudent !

Mme Marie Guittard - Il y a quand même une difficulté. Si nous mettons de côté l'axiome « montagne = qualité », il faut vivre la montagne comme une indication de provenance du produit et chercher des voies de progrès à travers des cahiers des charges qui vont conférer le label AOC, le label rouge, la certification de conformité ou la certification bio. Il me semble qu'à moyen et long terme, deux types de produits émergeront : les produits qui seront de montagne comme d'autres produits seront de la plaine, et des produits de montagne labellisés au titre d'une AOC ou d'autre chose.

M. Jacques Blanc - Vous ne pensez pas que nous pourrions réserver le label montagne aux produits qui sont élaborés et transformés dans la même montagne ?

Mme Marie Guittard - C'est justement la difficulté. Aujourd'hui les zones de montagne sont définies dans le contexte communautaire. A partir du moment où ce que vous dites est sur une étiquette, ce n'est plus une allégation. Donc au regard de tous les systèmes de contrôle, et notamment la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes française (DGCCRF), vous ne pouvez pas interdire ce qui est une vérité et non une allégation. C'est le droit à l'information du consommateur. Le souci d'une valorisation d'une production locale se heurte au droit à l'information du consommateur. A ce propos, il y a toujours une certaine ambiguïté lorsque nous réservons le droit de faire une mention valorisante aux produits qui respectent des cahiers des charges. Voyez le débat récent sur la possibilité de mentionner des cépages et les millésimes sur les vins de table. Dans les pays non-producteurs, des représentants demandaient pourquoi nous allions réserver aux consommateurs qui ont les moyens de s'offrir des vins AOC ou des vins de pays le droit de connaître le millésime et le cépage du vin qu'ils buvaient. Ils disaient qu'à partir du moment où un vin de table assure la traçabilité, il n'y a aucune raison de réserver les mentions aux vins AOC. Finalement, le problème s'est arrangé. Mais je pense que c'est la dernière fois, parce que nous allons avoir de plus en plus de pays porteurs de cette synergie nécessaire entre identification du produit et accès au maximum d'informations, à partir du moment où ce ne sont pas des allégations.

Du moment que la traçabilité du produit est garantie, il n'y a aucune raison pour que le bénéfice de l'information soit réservé aux consommateurs dont les revenus leur permettent de consommer les produits plus onéreux. Le souci des signes officiels de qualité est que les produis soient reconnus et qu'ils soient crédibles grâce au respect d'un cahier des charges validé par les pouvoirs publics.

M. Jacques Blanc - En Haute-Savoie et en Savoie, nous avons été saisis du problème suivant : la crainte que la signature montagne permette à des produits venant de n'importe quelle autre montagne d'Europe d'être traités sur une autre montagne. Il y aurait alors un recul par rapport à ce que nous pouvions espérer. Des grandes entreprises pourraient contribuer à ce mouvement. Nous devons trouver des solutions à ce problème.

M. Jean Boyer - Je voudrais vous donner un exemple très concret de reconnaissance nationale. Il y a l'altitude, mais aussi le sol et le produit du sol. Ce sol est reconnu. En zone de montagne, les références des primes aux céréales sont trois fois plus faibles que dans les plaines, parce qu'il est sous-entendu que l'utilisation d'azote est en moyenne de 40 unités à l'hectare tandis que la moyenne française est de 160 ou 170 unités. Il y a quand même une reconnaissance que l'utilisation de pesticides, d'herbicides et d'engrais azotés est bien plus faible en montagne. Donc ce n'est pas seulement une référence géographique, mais une réalité du sol. S'il n'y a pas de rémanence d'azote dans le sol, il n'y en a pas dans le produit non plus. Nous avons donc des références d'emploi rationnel d'azote.

Mme Marie Guittard - Il n'est pas question de nier qu' a priori , les zones de montagne disposent de conditions climatiques et de production qui leur permettent de prétendre, dans des conditions plus favorables que celles d'autres zones, à faire émerger des produits AOC ou IGP. Il est indéniable que les pratiques agricoles dans les zones de montagne sont plus favorables à l'émergence de produits qui sauront répondre à des cahiers des charges extrêmement sévères. L'idée est de dire que demain, ces produits de montagne répondront à des cahiers des charges. Je peux prendre quelques exemples. Le beaufort a existé avant la mise en oeuvre de la politique montagne. L'AOC Beaufort est aujourd'hui un fleuron. Elle a atteint ses objectifs en termes de rémunération des producteurs. Ce produit tire sa notoriété et la durabilité de sa notoriété du fait de sa qualité et d'un cahier des charges AOC plutôt que du fait qu'il est un produit du Beaufortin.

M. Jacques Blanc - Mais le décret permettra à n'importe quelle grande entreprise de produire du lait ou du fromage sans respecter les cahiers des charges et d'utiliser quand même le terme montagne.

Mme Marie Guittard - Cela pourrait être le cas si le décret montagne ne contenait pas des dispositions relatives à l'élaboration de règlements techniques. Il est prévu que l'ensemble des phases de production ait lieu en zone de montagne. Nous avons également prévu des dérogations, car il est évident que des accidents économiques ou des calamités agricoles peuvent justifier des approvisionnements de matières premières hors zone de montagne. Il me semble que les filières qui craignent que n'importe quel produit puisse devenir un produit de montagne doivent élaborer des règlements techniques afin d'encadrer, autant qu'ils le souhaitent, les dérogations à l'utilisation du terme montagne permettant que l'intégralité du processus de production ait lieu dans une zone de montagne. Prenons l'exemple du lait de montagne. Il est envisageable que seule la phase d'embouteillage ait lieu en montagne tandis que le lait pourrait venir d'ailleurs, en prévoyant des dérogations très larges. Mais il est possible aussi, comme le fait la filière des porcs de montagne, qu'il ne soit pas possible de se prévaloir de cette caractéristique dans n'importe quelle condition.

Les règlements techniques sont donc l'unique moyen de verrouiller et de minimiser les risques de dilution de la notion de montagne. Actuellement, nous travaillons à l'élaboration du règlement technique pour le porc de montagne et nous voyons bien que la production peut être canalisée et limitée quantitativement, et va donc pouvoir s'adjoindre un signe officiel de qualité. Pour l'instant, c'est une certification de conformité produit mais cela pourrait aboutir à un label rouge. Le porc de montagne pourrait donc se prévaloir, notamment sur le plan de la communication avec le consommateur, d'un règlement technique qui encadre de façon stricte les dérogations possibles, et d'un signe officiel de qualité. Il tirerait sa spécificité d'autre chose que sa provenance géographique, d'autant plus que cette provenance est extrêmement répandue dans l'Union Européenne. Nous suivons une stratégie de long terme. Le décret date de décembre 2000 donc il est difficile de tirer un bilan de son application en juin 2002, mais je vous demande de relire le texte et de faire en sorte que l'ensemble de la panoplie prévue et notamment les règlements techniques servent à encadrer les dérogations. Il faut que les professionnels se rendent compte que ce sont ces règlements techniques qui leur permettront d'atteindre un signe officiel de qualité et de faire en sorte que les produits de montagne ne puissent pas être élaborés n'importe comment. Je suis d'accord avec vous qu'ils sont tout à fait capables de le faire.

M. Jean Boyer - Ne pensez-vous pas que nous sommes victimes d'une inflation de signes officiels de qualité ou de signes d'attachement au terroir ? La ménagère a de quoi en perdre son latin lorsqu'elle va dans une grande surface. Les truies de Hollande sont abattues en zone de montagne et le saucisson est appelé montagnard alors que ce sont des coches, qui ont donné naissance à un grand nombre de porcelets. Or la ménagère voit « le montagnard ». C'est quand même très déconcertant.

M. Jacques Blanc - Nous débouchons, en réalité, sur le besoin d'avoir des signes de qualité. La signature montagne ne va pas au bout de ce signe de qualité parce qu'il n'existe aucun accrochage à telle montagne en tant qu'origine du produit, où la transformation s'opère. Vous nous dites que des mesures de réglementation imposées par les professionnels eux-mêmes sur les méthodes de production permettraient d'éviter les risques de dérapage. La question est de savoir si nous ne pouvons pas exiger qu'en plus de la localisation en montagne s'ajoute un signe officiel de qualité. C'est possible si la réglementation est respectée. Mais il faut que les consommateurs soient preneurs.

M. Jean-Paul Amoudry - Je voudrais poser une question subsidiaire et complémentaire. Vous avez évoqué le beaufort, qui est une région géographique. A l'origine, le beaufort n'est pas un signe de qualité, c'est un massif. Les efforts des producteurs de la région en ont fait un produit dont la saveur et le sérieux de fabrication font que son évocation est synonyme de qualité. Avons-nous le droit de faire un fromage dont l'étiquette dira « montagne du Beaufortin » et non « beaufort » ? Cela risque aussi de semer le trouble dans l'esprit des consommateurs. Ce serait l'appropriation d'un nom géographique devenu signe d'une qualité. Il existe d'autres exemples de massifs devenus synonymes de qualité parce que des personnes y ont créé des produits de qualité. Nous aurons du mal à nous protéger contre ces phénomènes et de permettre qu'un différentiel de prix assez fort existe entre les produits traditionnels et les produits de montagne. Ce sera un sérieux problème sur le terrain.

Mme Marie Guittard - Nous en revenons de manière très prosaïque à l'étiquetage et la protection des AOC. Notre dispositif prévoit que le mot beaufort est protégé à partir du moment où l'AOC Beaufort existe. Le mot Beaufort ne peut pas être utilisé pour des produits comparables si ces derniers ne respectent pas les cahiers des charges. Il est prévu aussi qu'il est protégé dans le cadre d'une utilisation confusionnelle pour le consommateur. Il est évident, me semble-t-il, qu'un fromage X se prétendant produit de montagne du Beaufortin rentrerait dans ce cadre et créerait une confusion chez le consommateur. Donc cet étiquetage ne pourrait être accepté ni par la DGCCRF ni par l'INAO. Même s'il passait au travers des mailles de la DGCCRF, le service juridique de l'INAO intenterait immédiatement un procès pour usage abusif et tentative de désinformation et de confusion des consommateurs au détriment de l'appellation.

M. Auguste Cazalet - Je voudrais obtenir une précision. Il y a quelques années, plusieurs ramassages de lait avaient lieu pour la fabrication du roquefort dans les Pyrénées-Atlantiques. Le roquefort était le même que maintenant. Est-ce que ça existe encore ? J'ai souvent visité les laiteries du Pays Basque et du Béarn qui s'appelaient les usines de roquefort autrefois. Ensuite le lait partait dans l'Aveyron.

M. Jacques Blanc - Roquefort est une AOC mais dans cette appellation, le terrain de production n'est pas mentionné. Par contre, l'affinage et le passage dans les caves de Roquefort est une condition. Il existait donc du roquefort dont le lait provenait de Corse, des Pyrénées, de la Lozère, de l'Aveyron ou du Tarn. Ils ont ramené leur aire de production mais la définition de l'AOC n'exclut pas que le lait vienne d'autres territoires que ceux autour de Roquefort.

Mme Marie Guittard - Toutes proportions gardées, c'est le même problème que pour le beaufort, mais l'histoire est différente. Il est évident que tout le fromage de beaufort ne vient pas de la commune de Beaufort. Mais le fromage s'appelle beaufort. De façon similaire, tout le vin de Bordeaux ne vient pas de la commune de Bordeaux, mais d'une zone qui entoure Bordeaux. Tout le lait nécessaire à l'élaboration du roquefort ne vient pas de la commune de Roquefort. Il est certain que l'AOC Roquefort a bénéficié, parce qu'elle est très ancienne, de la possibilité d'un bassin de production de lait gigantesque. Donc il est apparu que certaines de nos appellations avaient des zones de production trop larges si nous voulions, sur le plan communautaire et international, défendre la notion d'AOC. La notion de terroir nécessite quand même une certaine homogénéité. Or le bassin de collecte de lait de roquefort était énorme et pouvait donc prêter à la critique. Nous avons donc travaillé à un recentrage de la collecte de lait. Elle reste vaste mais ce qui sautait le plus aux yeux a disparu.

M. Jacques Blanc - Néanmoins, ils sont plus protégés que le beaufort parce que l'AOC exige que l'affinage ait lieu dans les caves. Les producteurs de beaufort étaient inquiets de voir que le ramassage de lait pourrait avoir lieu dans toutes les montagnes d'Europe et que l'implantation et la transformation aurait lieu dans le Beaufortin.

Les IGP ne répondent pas aux mêmes règles que les AOC mais sont quand même reconnues sur le plan européen. La feta est un problème. Est-ce que la feta est un nom générique ou une IGP ?

Mme Marie Guittard - Pour l'instant, les Grecs souhaitent que ce soit une AOC. Nous aurions aimé que les Grecs fassent avec la feta ce que nous avons fait avec le camembert. La production de feta est énorme et répartie au Danemark, en Nouvelle-Zélande, dans tous les pays du monde qui sont des grands producteurs de lait, puisque c'est, avec le gruyère, un des seuls fromages, je pense, qui fasse l'objet d'un marché mondial. C'est énormément consommé dans les pays d'Afrique du Nord. La production grecque n'est donc pas capable de couvrir la demande de feta .

Nous aurions souhaité que subsistent deux produits : un produit sous une norme codex alimentarius comme il existe une norme camembert codex alimentarius , qui signifie que tout le monde peut en faire sous réserve de respecter un cahier des charges minimal ; et un produit similaire au camembert de Normandie AOC, c'est-à-dire un produit sous signe officiel de qualité et dont les conditions de production et le cahier des charges serré lui confèrent une typicité. La feta issue de Grèce deviendrait par rapport à la feta produite partout dans le monde l'équivalent du camembert de Normandie par rapport à ce qu'est le camembert codex alimentarius , qui peut être vendu dans des boîtes métalliques, etc. Les Grecs ne se sont pas rangés à cette idée parce qu'ils considèrent que la feta n'est pas un produit générique. Contrairement au camembert, elle n'est pas devenue un produit générique et n'est pas une recette. Donc c'est au produit qui fait l'objet d'un commerce international de changer de nom. Voilà la position de la Grèce. Ils ont aussi cette spécificité qui est que les fromages issus de lait de vache ou mixte ne peuvent pas porter le nom de feta , qui est produite, en Grèce, à partir de lait de brebis. Ils se battent donc pour l'exclusivité du terme feta comme les Italiens se battent pour la disparition du terme parmesan, confondu avec le terme parmigiano .

M. Jacques Blanc - C'est vrai qu'en ce qui concerne la montagne, nous avons le sentiment aujourd'hui que ce sont surtout des accrochages montagne versus AOC et montagne versus IGP qui ont lieu, comme c'est le cas pour la Fleur d'Aubrac. Les montagnards ont un peu peur. Nous devons donc procéder à une modification du décret ou à une utilisation des règlements techniques permis par le décret.

M. Jean-Paul Amoudry - Sur ce point, je souhaiterais que vous nous précisiez, par une note, les conditions dans lesquelles l'application de ce règlement technique fait la distinction entre la protection des AOC et IGP d'une part, et d'autre part les conditions dans lesquelles ce décret n'est pas de nature à nuire à l'acquis. Pour ma part, la notion de dérogation que vous avez utilisée ne m'apparaît pas très clairement. Cela permettrait à notre rapport d'être le plus précis possible. Nous pourrions alors apporter à nos interlocuteurs des différentes provinces et régions des réponses qui puissent les rassurer.

Mme Marie Guittard - Pour terminer sur ce point, je dirais que ce décret, par rapport au décret précédent en application de la loi de montagne, a plutôt déçu les professionnels. Néanmoins, ils commencent à comprendre l'usage qu'il est possible de faire du décret si nous le regardons dans son exhaustivité et non pas seulement par rapport aux pertes de substance en comparaison avec le décret précédent. L'ensemble du dispositif semble être une architecture plus complexe. Il interfère dans le débat sur la lisibilité de tous ces signes, qui est un débat fondamental. Mais les produits de montagne ne sont pas inéluctablement condamnés.

M. Jean Boyer - Il faut essayer de nous comprendre. La montagne est utilisée par l'extérieur, y compris par l'extérieur de la France, pour valoriser des produits. Les produits de montagne français sont banalisés parce que le terme montagne est trop vulgarisé. Le problème est le même pour les lentilles. Les subtilités d'empaquetage et de production font que la ménagère n'y comprend rien. La montagne est banalisée tandis que les producteurs de montagne ne trouvent pas la valorisation nécessaire.

M. Jacques Blanc - En réalité, le mot « montagne » ne suffit pas aujourd'hui. Il faut voir comment nous pouvons éviter que cela se retourne contre les produits de montagne, en associant la montagne à des signes lisibles de qualité. Est-ce que vous pouvez nous renseigner sur le marché de la viande et sur la question de l'agriculture biologique ?

Mme Marie Guittard - En quelques mots, je dirais qu'il n'y a pas pour nous de marché de la viande de montagne comme il y aurait de la viande de plaine. Il y a un secteur qui a été frappé par la crise de la vache folle et qui retrouve petit à petit ses équilibres. Nous n'avons pas de politique spécifique pour la viande bovine de montagne. Le marché du porc connaît aussi ses cycles. La faiblesse de l'organisation commune de marché, à la demande de certains pays, ne lui bénéficie pas. Par contre, il fait l'objet, depuis quinze ans maintenant, d'une aide spécifique par l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL). Elle est, bon an mal an, de 6,098 millions d'euros. C'est une aide qui ressemble à celle accordée au lait de montagne : elle est conçue comme une aide compensatrice de handicap naturel (les surcoûts). Grossièrement, elle consistait à donner X euros par tête de porc de montagne vendue et X centimes au litre de lait collecté en zone de montagne.

Or ces deux dispositifs sont complètement anti-communautaires, car ils sont couplés à une production qui devrait tirer d'un revenu amélioré le comblement de ses coûts supplémentaires de production. L'aide permet donc d'entretenir des producteurs dans un système subventionné qui n'a rien à voir avec une politique de qualité. Nous sommes donc conscients, avec les producteurs, que ces aides sont appelées à évoluer comme elles ont déjà commencé à le faire, car la Commission nous a épinglés sur ces deux aides de 6,098 millions d'euros depuis plusieurs années. Pour ce qui est du lait, nous avons réussi à présenter à la Commission quelque chose qui ressemble à des aides à l'appui technique et au suivi qualitatif des produits. Mais in fine , même si c'est savamment réparti entre les opérateurs, cela revient au même. Nous avons plus de difficultés pour le porc. Les démarches sont en cours. De toute manière, ces aides sont appelées à disparaître progressivement. Nous n'avons pas de difficulté majeure dans ce domaine.

Par contre, nous avons des difficultés, par rapport à la réglementation européenne, avec l'agriculture biologique de montagne, notamment dans certains secteurs. Nous avons deux difficultés particulières. L'une est l'interdiction de l'attache des bovins, prévue dans la réglementation européenne relative à l'agriculture biologique, qui prévoit, en période hivernale, sous réserve d'un accès à l'extérieur deux fois par semaine, la possibilité d'attacher les animaux. Or nous ne savons pas le faire en zone de montagne. Le deuxième problème est le principe du lien de l'alimentation à l'exploitation, c'est-à-dire que l'alimentation doit être produite dans l'exploitation qui a le cheptel. Ces deux facteurs sont extrêmement limitants pour la production biologique animale en montagne.

M. Jacques Blanc - Il n'est pas possible d'utiliser une alimentation identifiable et provenant de zone de montagne ?

Mme Marie Guittard - Face à ces deux difficultés, nous avons introduit des demandes à la Commission pour que la réglementation évolue. Jusqu'à présent, nos démarches n'ont pas abouti parce que certaines personnes ont une conception du respect des équilibres et de la possibilité de produire en zone non apte à le faire extrêmement stricte. Selon eux, si la production céréalière adéquate pour nourrir les animaux n'existe pas dans un endroit donné, les animaux n'ont pas à être là. Ils inversent donc la démarche. Nous disons que nous pourrions mettre en place une traçabilité, mais ils ne l'acceptent pas.

M. Jacques Blanc - En réalité, ils veulent que nous restions des producteurs de maigre et que des vocations naissent ailleurs pour l'engraissement. Mais cela enlève des possibilités d'avoir des productions de produits finis. Nous l'avons vu avec l'IGP Fleur d'Aubrac, qui crée vraiment une valorisation du produit. Mais chez nous, en montagne, certaines personnes qui font du bio sont embêtés maintenant.

M. Jean-Paul Amoudry - C`est la réglementation européenne qui oblige à attacher les animaux deux fois par jour au moins ?

Mme Marie Guittard - C'est le principe de l'interdiction de l'attache des animaux.

M. Jacques Blanc - Comme vous, nous demandons à ce qu'il y ait une évolution de la réglementation, ou du moins une adaptation aux conditions de production en montagne. Tout le monde sait qu'il est impossible de sortir les animaux deux fois par semaine en montagne en période de tempête !

Mme Marie Guittard - Plusieurs écoles se sont développées sur le bio. Le respect des équilibres naturels signifie, pour l'école minimaliste, de faire sur un territoire donné ce que l'on peut faire. Mais ce qui a prévalu au niveau communautaire est l'école qui prône la composante « bien-être animal ». En effet, l'interdiction d'attache des animaux n'a rien à voir avec l'équilibre des territoires. C'est une composante « bien-être animal ».

M. Jean Boyer - C'est un bio élargi à l'élevage. Il ne concerne pas que l'alimentation.

Mme Marie Guittard - Effectivement, dans cette optique, le respect des équilibres inclut le respect des animaux.

M. Jacques Blanc - Ne pourrions-nous pas, dans le cadre de cette réglementation, avoir une signature montagne en exigeant que le complément d'alimentation consiste en des protéines végétales garanties non génétiquement modifiées ? Car le problème des organismes génétiquement modifiés va sûrement surgir. Je me disais que pour terminer les animaux en montagne, cette signature rejoindrait le besoin de compléter le territoire par une garantie relative à l'alimentation. Tout le monde sait qu'en montagne il n'y aura jamais l'alimentation suffisante pour finir les animaux. C'est pourquoi il y a plus de maigres. Nous retrouvons la notion de filière globale et des abattoirs de montagne qu'il faut maintenir.

Mme Marie Guittard - Ce sont des sujets qui vont être sur le devant de l'actualité. Deux préoccupations majeures interviennent. De nombreux producteurs sous signes officiels de qualité, et aussi de produits de montagne, veulent deux choses : s'interdire les OGM et s'interdire l'épandage des boues et gadoues. Cela pose d'énormes problèmes de contrôle. Nous ne souhaitons pas qu'à moyen terme cet avantage soit à double tranchant et que la contrôlabilité ne soit pas assurée. En effet, ce qui fait la force des AOC et des labels rouges, c'est qu'il n'y a rien d'incantatoire. Il est évident que les produits montagne vont nous proposer, à l'INAO, dans leurs cahiers des charges, l'interdiction des boues et gadoues et l'interdiction des OGM. Et nous ne saurons pas comment le contrôler.

M. Jacques Blanc - Il est possible de contrôler les protéines végétales. Le tout est de savoir jusqu'où nous pouvons aller. Et il faut négocier avec les Américains, parce qu'il est impossible de donner des garanties sur tout ce qui est importé. Cette question est posée dans les accords nouveaux pour autoriser les protéines végétales.

Mme Marie Guittard - Nous savons détecter les OGM quand elles sont autorisées mais pas quand nous ne savons pas ce que nous cherchons. Nous ne risquons pas de les trouver dans ce cas.

M. Jacques Blanc - Je vous remercie beaucoup. Ce sont des sujets très intéressants.

26. Audition de M. Jean-Louis Cazaubon, vice-président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), accompagné de M. Sylvain Confida, conseiller (19 juin 2002)

M. Jacques Blanc, Président - Bonjour messieurs. Nous vous accueillons avec plaisir. Nous connaissons un peu votre maison et je crois que vous connaissez le motif de notre mission sur la montagne dans le cadre de l'année internationale.

M. Jean-Paul Amoudry, Rapporteur - Nous sommes heureux de vous accueillir, messieurs, en vous remerciant d'avoir fait le déplacement de Paris. Vous avez dû recevoir la grille de questions qui a été préparée et qui nous permettra de vous entendre sur les sujets importants et d'actualité que sont les contrats territoriaux d'exploitation (CTE), les filières de transformation, etc. Je vous propose de synthétiser le message le plus fort que vous souhaitez nous adresser et de nous laisser le temps, au président, à Auguste Cazalet à moi-même de vous demander des précisions.

M. Jean-Louis Cazaubon - Tout d'abord je vous remercie de nous auditionner. Je suis ici au titre de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture. Je suis président de la Chambre d'agriculture des Hautes-Pyrénées et de la Chambre régionale des Midi-Pyrénées. Je connais bien Auguste Cazalet puisque j'habite le département voisin. Mon collaborateur est Sylvain Confida, chargé des questions de montagne au niveau national pour le compte des chambres d'agriculture. Nous allons vous donner le point de vue des chambres d'agriculture et des agriculteurs. Je sais bien que la montagne n'appartient pas qu'aux agriculteurs, mais il faut dire que la montagne aurait bien triste mine sans eux. Je pense que vous en êtes conscients.

La première question concernait notre vision sur les perspectives de l'agriculture de montagne. L'agriculture de montagne est fragile : d'une part à cause de ses structures, qui sont plus petites que la moyenne française, d'autre part à cause du relief, qui rend impossible la mécanisation sur une grande partie du territoire. Elle part donc avec plusieurs handicaps qui ont été corrigés par un certain nombre de mesures qui sont nécessaires. Je pense notamment aux indemnités compensatoires de handicap naturel (ICHN). Par ailleurs, les règlements européens, qui mettent en place un soutien aux ovins, aux bovins et aux productions herbagères, sont moins favorables qu'aux grandes cultures. Nous nous posons donc des questions sur l'évolution des débats concernant la politique agricole commune et de ses soutiens. L'entrée des PECO et l'évolution du premier vers le deuxième pilier nous préoccupe aussi : qu'adviendra-t-il de la ligne de partage de ce deuxième pilier, en termes de développement rural ? Si les financements servent à la construction de la salle des fêtes ou du mur du cimetière, la ligne de partage entre l'agricole et le rural pose problème. La montagne devra avoir sa part dans ces politiques. L`avenir de la politique de montagne dépendra aussi de cela. Nous avons aussi relevé un autre point : nous n'avons pas de données spécifiques à la montagne. Les statisticiens n'ont pas travaillé sur les spécificités de la montagne. Nous n'avons donc pas de chiffres propres à l'agriculture de montagne pour la dernière décennie. Il nous est donc difficile de mettre en évidence les évolutions qui ont caractérisé l'agriculture de montagne depuis 1988.

En ce qui concerne l'avenir, nous pensons qu'une carte à jouer est celle de la diversification, car c'est là que la valeur ajoutée prend tout son sens. Quelle est la définition, dans cette optique, de la valeur ajoutée ? Dans les filières organisées, les filières longues, je pense tout de suite au roquefort ou à la transformation de lait en fromage dans le Pays Basque. Nous nous apercevons qu'il y a une vie en montagne grâce à ces phénomènes. Grâce à un troupeau de 100 à 150 brebis dont la production de lait est transformée en fromage, sur une surface réduite, il est possible d'avoir des revenus suffisants pour faire vivre une famille. Donc il faudrait arriver à généraliser cela, notamment en mettant en place des ateliers individuels ou collectifs. Ces ateliers de transformation - salles de découpe, abattage de volaille, etc. - sont une carte à jouer. En même temps, j'espère que vous nous aiderez à obtenir toutes les aides aux équipements nécessaires. Je pourrais parler aussi de la potabilité de l'eau en montagne, qui est un obstacle coûteux que nous rencontrons souvent dans le cadre des fabrications fromagères.

Quant aux CTE, que faut-il en faire ? Faut-il des CTE spécifiques ? Nous pensons que la panoplie, telle qu'elle nous était proposée et après amendement, peut convenir aux zones de montagne. Nous retrouvons de nombreuses problématiques montagnardes. Une simplification serait peut-être nécessaire. Je pense que les CTE sont quelque chose dont nous pouvons tirer parti. Il faudrait quelques évolutions sur une des mesures du plan de développement rural national (PDRN), la mesure J : qu'elle puisse s'ouvrir pour pérenniser, animer et financer le fonctionnement des structures collectives. Nous estimons qu'il faudrait quadrupler cette enveloppe, notamment pour former, positionner et organiser les bergers, notamment dans les Pyrénées où nous rencontrons le plus de problèmes. Tout ce qui tend à entretenir et à valoriser le paysage est bienvenu. Cette mesure devrait aussi favoriser les équipements, les parcs de triage, les points d'abreuvement.

Dans plusieurs secteurs, les contrats de plan Etat-région permettaient d'émarger. Des groupes se sont réunis, dans le cadre du pastoralisme, et ont pensé que s'il serait avantageux de mettre en place une dotation globale de fonctionnement spéciale à connotation silvo-pastorale permettant de financer ce genre d'ouvrage. Le problème des CTE est qu'il va y avoir des bagarres entre les zones de montagne et les zones de plaine lorsque les enveloppes seront départementalisées. Donc il faudrait pouvoir disposer d'une enveloppe spéciale pour les premières. Les espaces montagnards se situent, pour beaucoup d'entre eux dans les zones Natura 2000. Ce sont des sites remarquables mais si nous ne maintenons pas le couple homme-animal dans ces zones, qui sait ce qui en adviendra ?

L'autre question concernait les conditions et les moyens nécessaires pour une meilleure restructuration des filières, notamment en ce qui concerne la transformation, afin de valoriser les produits de montagne. Nous manquons d'argent pour promouvoir tout cela, notamment au niveau du marketing et plus généralement, de l'accompagnement amont et aval, des demandes technico-économiques d'appui aux microfilières. L'avenir de l'agriculture de montagne se situe clairement dans ces filières et dans ces niches de production. Sur mon département, nous avons relancé une production de porc, appelé porc gascon, qui est un porc noir car il vit dehors, un peu comme les sangliers, dans un espace clôturé. Il y a 30 porcs à l'hectare. Cela permet de valoriser les espaces à faible potentiel. Les charcuteries sont positionnées sur un créneau haut de gamme, à l'instar des charcuteries espagnoles. Après 12 ans de travail, nous sommes arrivés à avoir 5000 ou 6000 porcs par an. C'est un petit marché. Cela prouve néanmoins qu'en employant des techniciens, vous pouvez sortir une race de l'oubli et monter une filière, avec tous les aléas que cela implique. Mais avant d'y arriver, il faut beaucoup d'argent et nous n'arrivons pas à nous financer pour animer ces filières. Là est le vrai problème.

Il faut savoir aussi que c'est dans les zones de montagne que nous avons installé le plus de jeunes. Notre économiste à l'APCA a constaté que c'était dans ces régions où l'emploi avait le moins baissé, notamment dans l'Aveyron et les Pyrénées-Atlantiques. Certains départements ont énormément restructuré et ont des exploitations de 200 hectares et plus, mais la valeur ajoutée n'est pas là : elle se trouve là où il y a des hommes. Dans ces régions de montagne, ce n'est qu'en jouant cette carte que nous pourrons favoriser l'agriculture. Dès qu'il devient possible de transformer le lait en fromage, comme dans les Alpes avec le beaufort, dès que des gens se battent contre vents et marées, il est possible d'arriver à fixer de la vie sur des territoires difficiles. Il faut travailler mais si c'est rentable ce sera toujours possible. Une autre difficulté est celle des aides au transport. Vous savez qu'en montagne des surcoûts existent et qu'ils ne sont pas financés.

Au sujet de la répartition des volumes des quotas laitiers, la question était de savoir s'il était possible de mettre en place des mesures plus favorables à la montagne. Je veux bien mais nous aurons un mal fou à en convaincre nos collègues bretons.

M. Jacques Blanc - Soyons sans complexes. En Bretagne, ils produisent 8 000 ou 9 000 kilos par bête, tandis qu'en montagne, ça tourne autour de 4 000 ou 5 000.

M. Jean-Louis Cazaubon - Tout dépend du cahier des charges. Pour le Beaufort, ils sont à 4 000. C'est une économie de cueillette.

M. Jacques Blanc - Et à l'époque, la taxe de coresponsabilité n'était pas appliquée à la montagne. Lorsque j'étais secrétaire d'Etat à l'agriculture, nous avions négocié pour que la taxe de coresponsabilité soit appliquée ailleurs. Mais ensuite les quotas ont été appliqués alors que les niveaux de production n'étaient pas comparables. Quand vous alliez dans une exploitation hollandaise où il y avait 80 bêtes sur 20 hectares et que chaque bête produisait 9 000 kilos, c'était pour la transformation du soja en lait. Et je pense que nous ne devrions pas être limités dans l'installation des jeunes en montagne.

M. Jean-Louis Cazaubon - Je suis d'accord. Mais quand nous allons soulever ce problème au niveau national au sein des sections spécialisées, il y aura un débat. Prenez la Mayenne : elle a plus de producteurs laitiers que toute l'Aquitaine et tout le Midi-Pyrénées réunis avec leurs 13 départements. Ce sont pourtant deux régions assez vastes. Il faut absolument qu'il y ait assez de droits à produire. Je crois comme vous que c'est une nécessité d'installer des jeunes mais il y aura des oppositions. Il faut que vous le sachiez.

M. Jacques Blanc - Dans certaines zones, les quotas ne sont pas utilisés. Pouvons-nous espérer qu'une réserve de droit soit mise en place pour les zones de montagne afin de favoriser l'installation de jeunes agriculteurs ?

M. Jean-Louis Cazaubon - Dans les zones de montagne, pour aller dans ce sens, les quotas morts et les sous-réalisations devraient pouvoir être régionalisés. Il faudrait pouvoir les faire basculer et ne pas les perdre, que la réserve nationale ne les prenne pas. Il faut qu'à un moment donné une mutualisation de la campagne laitière soit mise en place. Quand arrive le mois de décembre et qu'il reste un trimestre, si Pierre n'utilise pas son quota, il faudrait qu'il soit possible de procéder à une mutualisation à l'intérieur du département, et que Paul en dispose, pour ne pas sous-réaliser.

M. Jacques Blanc - C'est idiot parfois parce que vous n'avez pas le droit de produire et donc le jeune ne peut pas s'installer.

M. Jean-Louis Cazaubon - S'il existait un régime spécifique pour les zones de montagne dans l'utilisation des quantités, nous pourrions arriver à faire quelque chose.

M. Jacques Blanc - C'est une idée. Et c'est vrai pour le lait mais aussi pour l'ensemble des droits à produire.

M. Jean-Louis Cazaubon - En effet, c'est pareil. Il faut à tout prix que cela n'échappe pas de ces zones. La difficulté est que lorsque vous avez un département qui représente à lui seul plus que 13 autres, lui ne va pas sous-réaliser, parce qu'il peut piloter les choses de manière plus fine. Mais il ne faut pas les laisser prendre sinon nous allons fabriquer des déserts.

M. Jacques Blanc - Le problème de l'installation des jeunes est lié, d'une part, au problème foncier, et d'autre part au problème des sectionaux.

M. Jean-Louis Cazaubon - Ce n'est pas un problème chez nous. Nous avons des commissions syndicales et des réglementations qui permettent une indivision sur plusieurs communes. Au sujet de la diversification et des perspectives de diversification de l'agriculture de montagne, je dirais que l`avenir ne peut pas s'envisager sur les productions de masse. Nous avons parlé de la transformation. Mais il y a aussi la multifonctionnalité, qui est une forme de diversification. Il y a aussi une carte à jouer avec l'agritourisme et les chambres d'hôte, notamment dans les Hautes-Pyrénées. Un gîte rural est loué 30 semaines par an. Certaines exploitations en vivent.

Quand les technocrates parlent des externalités positives, je demande à voir. Qu'est-ce qu'elles amènent à l'agriculture ? Les paysans ne perçoivent pas un franc là-dessus. Or le thermalisme, le ski, l'industrie du tourisme, les ballades, ne sont pas possibles si le couple homme-animal n'est pas présent et si les espaces ne sont pas entretenus. L'agriculture n'est pas seulement un état de vie et il faudrait donc que la prestation de l'agriculteur soit reconnue. Il faut être imaginatif. La présence de l'agriculteur en montagne est nécessaire. Ce ne sont pas les brigades vertes qui maintiendront tout cela en place. Cela rentre dans le cadre de la diversification.

En France, je pense que l'expérience de Valadier avec le Laguiole, dans l'Aveyron, est une expérience réussie. Il n'a fait que recopier ce qui a été fait avec le beaufort : cahier des charges très rigoureux, fixé dans une zone où la production, accrochée à un territoire, permet de le valoriser. Je connais moins les expériences réussies à l'étranger, mais je sais qu'en Autriche, l'entretien du territoire et l'accueil des touristes se sont développés et ce sont sans doute des actions susceptibles d'être reproduites dans nos massifs montagneux. Il y a ensuite la valorisation de la biomasse, des déchets ménagers, l'entretien du paysage tel qu'il est pratiqué en Allemagne. La reconnaissance qu'ont ces agriculteurs de montagne résulte du fait que tout le monde sait que ce sont eux qui valorisent et entretiennent le paysage.

Nous avons un problème avec le plan de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA) en montagne. Il y a plusieurs niveaux. Aujourd'hui, pour bénéficier des aides pour la maîtrise de la pollution d'origine agricole, il faut être situé en zone vulnérable. Le plus souvent, les zones de montagne ne sont pas classées en zones vulnérables. Cela veut sûrement dire qu'il n'y a pas de problème. Pourtant, les mêmes contraintes existent. Si vous voulez investir de façon à avoir un label - un produit de qualité - par l'intermédiaire d'une filière territorialisée, il faut être aux normes. L'agriculteur dans la plaine, en zone vulnérable, va pouvoir bénéficier des aides. Mais l'agriculteur éleveur en zone de montagne ne le pourra pas, parce qu'il n'est pas en zone vulnérable. Il existe donc une disparité de traitement. Par ailleurs, dans l'épandage, il existe un critère de pente : il est interdit d'épendre du lisier s'il y a plus de 7 % de pente. Vu de Paris, tout va bien. Mais quand vous êtes dans une zone de montagne, même si le bâtiment est sur du plat, le terrain est souvent à plus de 7 %. Pourquoi est-ce idiot ? Parce que le jour où la terre est sèche, il n'y a pas de ruissellement, même au-delà de 7 %. Ça pénètre aussitôt. Et si c'est mouillé et que vous êtes en pente, c'est simple : vous laissez le tracteur et la tonne de lisier sous le hangar, sans quoi vous finissez au fond du talus. Il faudrait donc éliminer ce critère. Le problème se pose avec très peu d'acuité, car les animaux passent six à sept mois dehors et ensuite les déjections sont épandues sur les pâturages. Voilà le problème. Je crois qu'il faut le placer parmi les priorités dans votre rapport.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci beaucoup pour cet exposé très riche. Je voulais simplement vous demander si la pluriactivité est pour vous un élément important dans les perspectives d'avenir de l'agriculture ? Ou est-ce que c'est un peu désuet ? Deuxièmement, je voudrais avoir votre avis sur le décret du 15 avril 2000 sur la provenance montagne et ses conditions d'application au regard des signes de qualité et des traditions françaises de production. Enfin, vous avez évoqué un groupe de travail pastoralisme qui avançait l'idée d'une DGF pour les équipements sylvo-pastoraux. Est-ce que vous avez des choses à nous dire sur ce travail ? Est-ce que les propositions de ce rapport vous paraissent valables ?

M. Auguste Cazalet - Jean-Louis Cazaubon a bien posé les questions et donné des réponses. Nous avons souvent parlé de ces sujets avec les organisations professionnelles. Il a bien rapporté les problèmes que nous avons. Il est impossible de dire que les bêtes doivent faire leurs excréments sur le plat pour ne pas que ça descende dans la rivière. Certaines choses qui nous sont demandées sont impossibles à mettre en oeuvre, sauf à faire fuir des populations entières de la montagne. Il faut quand même que les gens y vivent. Les hommes de la montagne sont vaillants et se sont toujours accrochés à la montagne. J'ai fait du fromage jusqu'à l'âge de 35 ans et je sais que c'est du travail dans des conditions difficiles.

M. Jean-Louis Cazaubon - Nous allons nous répartir les tâches. Je parlerai de la pluriactivité et Sylvain Confida parlera du décret montagne et du pastoralisme.

La pluriactivité existait en montagne mais aussi en plaine, notamment dans la périphérie tarbaise. Il était possible de travailler à l'usine et à la ferme. Il a toujours existé, à ce propos, une jalousie entre agriculteurs, qui a perduré au sein des organisations professionnelles. Aujourd'hui nous n'avons plus d'états d'âme : dans les zones de montagne, la pluriactivité est une réalité, un fait. Elle est de plusieurs sortes. Cela peut consister en un emploi, en hiver, dans une station de ski. Je pense que c'est une bonne chose parce que ça permet d'avoir un complément de revenu pour faire bouillir la marmite. C'est souvent lié au pastoralisme. Un jeune peut occuper un poste de berger en été et en hiver un poste à la remontée mécanique. Il est aussi possible d'offrir des prestations de services, de valoriser le bâti ou les granges en les transformant en chambres d'hôte. Une demande importante existe. La qualité de l'accueil est réelle et elle initie aux métiers de la communication. La pluriactivité est donc souvent une nécessité en zone de montagne et je crois que nous avons tout intérêt à l'encourager, surtout si ça permet de pérenniser un emploi et une exploitation agricole.

M. Sylvain Confida - Je dirais un mot pour compléter ce qui vient d'être dit. La pluriactivité est quand même un choix subi et non un choix volontaire. C'est parce que les agriculteurs ne peuvent pas vivre de leur métier qu'ils vont chercher un complément de revenu dans une autre activité. Deuxièmement, pour qu'il y ait pluriactivité, il faut qu'il existe des possibilités d'emploi. Dans les Vosges, c'était le textile. Chez vous, dans les Pyrénées, c'était un certain nombre d'industries, et dans le Massif Central, c'était le charbon, etc. De ce point de vue, il faut donc prendre en compte le côté social des choses et s'interroger sur la façon dont les pluriactifs vivent ces situations. Mais il est vrai que les réserves qu'exprimaient autrefois les agriculteurs à l'encontre des pluriactifs se sont bien estompées.

Au sujet du décret appellation montagne, nous manquons de recul pour dire des choses sensées sur la façon dont il est appliqué. Il est trop récent, même s'il s'inscrit dans la lignée de la loi montagne de 1985. Nous pouvons dire néanmoins qu'il est protecteur de produits français. Mais il est possible que des produits venant de l'étranger et portant le mot montagne ne répondent pas aux cahiers des charges tels qu'ils sont définis par le décret et arrivent sur le marché national. C'est une distorsion de concurrence. Je ferais remarquer qu'il existe aussi une ambiguïté sur le sens de l'appellation montagne. L'ambition du législateur était sans aucun doute de protéger un mot et de valoriser la provenance d'un produit agricole ou agroalimentaire. Or ce sont deux démarches différentes et qui visent des objectifs différents. Aujourd'hui, le mot montagne est certes valorisant auprès du consommateur, mais il y a une ambiguïté vis-à-vis des autres signes de qualité comme les indications de provenance, les AOC, les labels, etc. Je crois qu'un travail de promotion et de clarification doit donc être entrepris pour que ce décret joue pleinement le rôle pour lequel il a été prévu.

Au sujet du pastoralisme, j'étais chargé d'animer le groupe de travail sur la valorisation des produits et des espaces pastoraux. Il y a beaucoup de choses à dire et qui s'appliquent aussi bien aux espaces pastoraux qu'à ceux qui ne le sont pas. Pour des raisons de calendrier, le rapport que nous avons établi n'a pas pu être remis au précédent ministre. Je crois que l'actuel ministre sait qu'il existe et qu'il contient de très nombreuses propositions. Notre travail à tous maintenant est d'essayer de transformer l'essai.

M. Jean-Louis Cazaubon - Je voudrais aborder un point qui n'a pas encore été abordé : les prédateurs. Vous en avez entendu parler et ce n'est pas terminé. La convention de Berne demande que les prédateurs soient protégés tandis que les hommes sur le terrain demandent qu'ils soient éliminés. Il y a aussi le programme de réintroduction. Je dirais que nous pouvons les protéger, mais pas les réintroduire, parce que culturellement, les populations qui se sont battues pendant des décennies contre l'ours, ou encore le loup, et vivaient constamment dans cette hantise, n'en veulent pas. Vous imaginez le choc des cultures lorsque nous leur disons que nous allons les réintroduire. C'est un réel problème.

Au sujet du pastoralisme, nous devons organiser et rationaliser pour adapter le pastoralisme aux méthodes d'élevage moderne d'aujourd'hui. La transhumance est sauvage aujourd'hui. Il y a une estive, un contrôle sanitaire, dont la profession et les services vétérinaires se sont occupés et qui fonctionnent. Le problème est qu'il n'y a pas de gardiennage. Il nous faut voir comment nous pouvons favoriser ce gardiennage. Une estive est très fréquentée parce qu'il y a une route. Elle est donc surpâturée. Mais s'il faut marcher plusieurs heures, au contraire, elle a tendance à être abandonnée. Dès qu'elle est sous-pâturée, la flore se détériore et il y a problème. C'est un vaste sujet qu'il faut prendre en compte.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci infiniment messieurs.

27. Audition de M. Michel Badré, directeur général adjoint de l'Office national des forêts (25 juin 2002)

M. Michel Moreigne - Mes chers collègues, nous poursuivons les auditions dans le cadre de la Mission commune d'information sur la montagne. Je donne la parole à Monsieur Michel Badré, Directeur général adjoint de l'Office National des Forêts.

M. Michel Badré - Monsieur le Sénateur, je vous remercie. Une partie de mes réponses sera probablement plus imprécise que je ne l'aurais souhaité. Je vous prie donc de bien vouloir m'en excuser à l'avance. En effet, à la suite des tempêtes de 1999, l'Office National des Forêts s'est engagé dans une profonde réforme interne. En revanche, une documentation présentant les principaux chiffres vous sera ultérieurement communiquée. Je vais maintenant m'attacher à répondre aux questions qui m'ont été transmises.

L'ONF a établi un tableau détaillant l'étendue des espaces boisés par région et par département. Ce document distingue les forêts domaniales et les forêts appartenant à des collectivités publiques. Au sein de celles-ci, les communes constituent la majeure partie des propriétaires de forêts. En effet, à l'exception des sections de communes en Auvergne, les autres collectivités possèdent rarement des espaces boisés.

Parler de forêt de montagne implique d'opérer une distinction nette entre moyenne et haute montagne. En effet, la moyenne montagne, correspondant aux massifs vosgien et jurassien ainsi qu'au Massif Central, constitue un espace très favorable à la forêt. Dès lors, le terme de « handicap montagne » présente peu de signification pour ces zones, à l'exception de sites très particuliers. En revanche, les zones de haute montagne font apparaître des conditions d'exploitation comportant des difficultés objectives importantes. La haute montagne correspond aux Alpes du Nord et du Sud, pour une part importante, ainsi à qu'une grande partie du massif pyrénéen.

Il convient de souligner que les forêts situées en zone montagneuse présentent une caractéristique forte. En effet, la forêt communale est fortement représentée dans les massifs montagneux, constituant 80 % des espaces boisés contre 20 % de forêts domaniales. Par comparaison, nous gérons sur la France entière, toutes régions confondues, environ 1,7 million d'hectares de forêts domaniales et 2,5 millions d'hectares de forêts communales, soit une proportion d'environ 40 à 60 % pour ces dernières.

Par conséquent, la situation socio-économique se révèle très particulière. En effet, dans la mesure où les forêts appartiennent aux collectivités, celles-ci exercent naturellement leur pouvoir de décision. Nous sommes donc gestionnaires de ces forêts, mais nous ne représentons pas le propriétaire. Il existe toutefois une exception notable qui concerne les propriétés domaniales en zone de haute montagne. Ces forêts ont été majoritairement acquises à la fin du XIX ème siècle au titre de la restauration des terrains afin de lutter contre l'érosion.

Vous avez auditionné, il y quelques semaines de cela, Yves Cassayre, Délégué national aux actions de restauration de terrains en montagne, qui vous aura informés des travaux engagés en matière de lutte contre l'érosion. Dans la mesure où l'expertise relative aux risques naturels a déjà été traitée, je m'attacherai plus à l'aspect de la gestion des espaces boisés. A cet égard, nous avons en charge environ 300 000 hectares de forêts domaniales, issues de telles acquisitions, qui se situent majoritairement dans les Alpes du Sud. Les forêts de massifs montagneux dont nous assurons la gestion présentent un équilibre d'environ deux tiers de résineux et d'un tiers de feuillus. Cette proportion est inversée sur la France entière. Parmi les résineux de montagne prédominent le sapin et l'épicéa. Il s'agit là d'une richesse économique très importante pour les Vosges, le Jura et le Massif central.

Dans les Vosges, le Jura, ainsi que les départements de la Franche-Comté et de l'Ain, les forêts publiques, sous maîtrise communale pour l'essentiel, représentent couramment plus de la moitié de la totalité des espaces boisés. Cette proportion est d'environ un tiers sur l'ensemble de la France. Cette emprise forestière présente donc une forte importance territoriale. En revanche, les statistiques font apparaître pour les zones de haute montagne d'importantes surfaces non boisées, pour l'essentiel sous propriété et maîtrise foncière communale. Ces alpages et terrains, situés au-delà de la limite de la végétation forestière, sont inclus dans les statistiques, sans toutefois produire de bois. Cette situation comporte des conséquences importantes en matière d'aménagement du territoire. Enfin, les données relatives à la forêt privée située en zones de montagne pourront être trouvées auprès du ministère de l'agriculture à partir de l'inventaire forestier national.

Le premier réflexe quant à l'état des forêts est de penser que dans la mesure où la gestion de l'ONF est exemplaire, les forêts sont également en bonne santé. Tel est globalement le cas.

En reprenant la distinction entre massifs de moyenne et de haute montagne, il apparaît que les forêts des Vosges en premier lieu, ainsi que du Jura, dans le Haut Doubs et le Haut Jura, ont été très sévèrement affectées par les tempêtes de 1999. Les cicatrices seront donc longues à disparaître. En particulier, dans la partie montagneuse du département des Vosges, plus de la moitié - et parfois près des deux tiers des surfaces boisées - a été plus ou moins sévèrement endommagée. L'équivalent de dix récoltes annuelles a ainsi été perdu. Il sera donc nécessaire de réviser l'ensemble des aménagements forestiers et des plans de gestion. Ainsi, nous revoyons actuellement la totalité des plans de gestion des forêts du département des Vosges, alors que la rotation normale s'étale sur vingt ans. Il s'agit là d'un point essentiel à court terme dans la question de la santé des espaces forestiers.

Les massifs alpins et pyrénéens ont été en revanche faiblement affectés par les tempêtes. Dans le Massif central, ce sont les forêts privées qui ont été les plus touchées. Il en va ainsi du Limousin où, la forêt publique étant faiblement représentée, les forêts privées ont été très fortement abîmées. L'Auvergne a été moins sévèrement atteinte.

En dehors de ces éléments climatiques exceptionnels, de fortes inquiétudes étaient apparues au début des années 80 quant à l'état de santé à moyen terme des massifs forestiers, en particulier en moyenne montagne. Ce débat portait sur les « pluies acides », comme il a été dit de manière simplificatrice. Des informations très alarmistes - doublées d'une certaine manipulation - se sont alors fait jour. La collectivité forestière a donc mis en place, avec le soutien de l'Union européenne, un dispositif de suivi. Ce système, qui est effectif depuis vingt ans, permet d'évaluer la santé des forêts grâce à des observations sur l'état du feuillage, sur un réseau de placettes de mesure. Il est complété depuis quelques années par un dispositif plus lourd de mesure de teneur en composants chimiques des sols et de recueil puis d'analyse de la pluie ruisselant sur les feuilles des arbres.

La communauté scientifique forestière s'accorde désormais pour considérer que cette grosse alerte était en réalité la conséquence de deux ou trois années de sécheresse exceptionnelle à la fin des années 70. Nous avons donc assisté, cinq ou six ans après, au contrecoup - classique en forêt - de cette sécheresse. En revanche, depuis vingt ans, aucune dégradation significative n'est à noter dans la santé des massifs de moyenne montagne. Toutefois, les tendances de très long terme font apparaître de manière significative une augmentation de la production ligneuse dans les forêts. Ce phénomène est probablement corrélé à l'augmentation du taux de CO2 dans l'atmosphère. Cette accélération de la photosynthèse peut entraîner un appauvrissement de la composition des sols à laquelle il faut être vigilant.

Parmi les éléments globaux de la santé des espaces forestiers de montagne, un point technique particulier est à signaler quant aux surfaces acquises au titre de la restauration en montagne. Certaines acquisitions ont été consacrées à des travaux de génie civil ou à des fins de lutte contre l'érosion active. D'autres, d'une superficie plus importante, ont donné lieu à reboisement afin de protéger les sols. Il s'agit là de boisements en essences rustiques - pin noir pour l'essentiel. Ces arbres arrivent maintenant à l'âge auquel ils doivent être régénérés. Se posent donc des problèmes techniques de recomposition d'une forêt plus diversifiée qui permette de reconstituer progressivement le sol.

Il s'agit ici de ne pas se retrouver dans une situation similaire à celle du siècle passé, où les terrains étaient soumis à un risque d'érosion. L'ONF s'efforce donc actuellement de gérer au mieux cette question technique de massifs arrivés à une centaine d'années. Par ailleurs, de nombreuses interrogations se posent quant à la diversification des essences et à l'évolution vers la constitution de peuplements plus mélangés. Les tempêtes de 1999 nous ont amenés à accélérer nos réflexions sur ces points afin de déterminer des méthodes sylvicoles permettant de limiter ces risques. Si un vent passe dans une forêt à la vitesse de 180 kilomètres/heure, il causera inévitablement des dégâts importants, quel que soit le type de peuplement. En revanche, un peuplement adéquat peut résister à un vent de 100 kilomètres/heure. L'enjeu actuel consiste donc à identifier le type de gestion le mieux adapté à la protection de ces espaces.

M. Michel Moreigne - Pouvez-vous nous fournir des indications quant aux insectes xylophages qui sont présents dans les zones montagneuses du Limousin et de l'Auvergne ?

M. Michel Badré - Je dois dire que cette situation, en effet préoccupante, était prévisible. En effet, après les tempêtes de 1982 qui avaient fortement frappé le Massif central, nous avions assisté à d'importantes attaques d'insectes xylophages. De tels phénomènes s'expliquent pour des raisons à la fois techniques et économiques. En effet, tout produit susceptible de valorisation économique - pour l'essentiel les gros bois et les grumes - est sorti de la forêt. Demeure donc un important volume de bois qui ne peut être sorti, sauf à débourser des sommes considérables. Ce bois mort resté en forêt constitue un biotope idéal pour les insectes xylophages et cela d'autant plus que le temps est chaud et sec. A cet égard, l'année 2000 a été très mauvaise pour le tourisme et donc bonne pour la forêt, ce qui a permis de différer temporairement ce problème. En revanche, ces attaques importantes se produisent aujourd'hui, avec un an de retard.

En matière forestière, l'on estime couramment qu'à la suite d'une tempête abattant un volume de 100, l'on récolte, dans les trois ou quatre ans suivants, un volume de 30 à 50 lié à ces dégâts d'insectes. Il s'agit là d'un volume très important. Le volume total de chablis de 1999 était compris entre 100 et 130 millions de mètres cubes, toutes forêts confondues, dont près de 45 millions pour la seule forêt publique. Aussi nous attendons-nous à récolter au cours des années 2001, 2002, 2003, voire 2004, une quinzaine de millions de mètres cubes, soit plus qu'une récolte annuelle normale de bois atteint par le bostryche. La seule parade consiste à récolter les bois le plus rapidement possible afin d'éviter la propagation des insectes. Cette solution apparaît plus facile à mettre en oeuvre dans les espaces gérés par nos services qu'en forêt privée, où certains propriétaires, absents, ignorent les attaques de parasites dans leurs forêts. Nous ne possédons pas de données quant à la ventilation par massifs de l'épidémie de xylophages. Nous pourrons néanmoins vous communiquer ultérieurement les volumes de bois atteints par le bostryche et récoltés massif par massif.

Dans la mesure où la biodiversité soulève des problèmes d'échelle, il est difficile d'apporter une réponse tranchée à la question de la protection de la biodiversité en forêt de montagne. En effet, les spécialistes naturalistes et la communauté scientifique s'interrogent quant à savoir s'il convient de raisonner sur quelques mètres carrés, sur une parcelle ou encore sur un massif. Notre approche de gestionnaires nous permet de constater que le gouvernement a mis en place toute une série de mesures de protection de la biodiversité. Le nombre d'outils utilisés à cette fin rend le dispositif un peu complexe.

Il apparaît que le pourcentage d'espaces protégés est toujours supérieur en zones de montagne. En effet, dans la mesure où ces zones sont faiblement peuplées, il est plus aisé de prendre des mesures de protection dans le Mercantour qu'en forêt de Fontainebleau. Les zones de haute montagne, dans les Alpes et les Pyrénées, renferment de nombreux sites présentant un intérêt majeur quant à la protection de la biodiversité. Il s'agit là d'une réalité scientifique. Aussi l'Office National des Forêts a-t-il mis en place un nombre important de mesures. Ainsi, les réserves biologiques domaniales permettent de définir un plan de gestion spéciale afin de protéger une espèce ou un espace donnés. Dans le cadre des directives « habitat » et « oiseaux », nous avons largement contribué à l'implantation de zones spéciales de conservation ou de protection. Ces sites sont respectivement plus représentés en forêt domaniale que communale, et plus en forêt communale que dans les territoires privés.

L'ONF contribue également à un certain nombre de programmes spécifiques de protection d'espèces inféodées à la forêt et emblématiques, tel l'ours pour les Pyrénées. Des programmes de protection du grand tétras sont menés à la fois dans les Vosges et le massif jurassien. Par ailleurs, plusieurs opérations de protection concernent le gypaète barbu, présent dans les massifs montagneux. C'est volontairement que je n'ai pas cité le loup, qui n'entre pas dans la catégorie des animaux inféodés à la forêt.

L'ours et le grand tétras constituent des exemples très différents de sauvegarde de la biodiversité en forêt de montagne. En effet, le programme de protection de l'ours relève pour partie d'une opération de communication menée depuis désormais vingt ans. Les scientifiques semblent en effet s'accorder pour reconnaître que la protection d'une dizaine de spécimens, voire moins, intervient trop tardivement pour pouvoir protéger l'espèce d'un point de vue écologique.

Au contraire, la protection du grand tétras - coq de bruyère forestier en voie de disparition, se comptant en quelques centaines dans les massifs des Vosges et du Jura, mais en plus grand nombre dans les Pyrénées - présente un intérêt écologique dépassant largement l'espèce elle-même. En effet, le grand tétras constitue une espèce dite « parapluie ». Cela signifie que la protection de cette espèce amène à prendre des mesures plus générales de gestion de l'espace, permettant ainsi de protéger d'autres espèces inféodées au même type de milieu. La mise en place de programmes de protection du grand tétras permettra donc tout à la fois de sauvegarder cette espèce et, à long terme, de favoriser la biodiversité. En tant qu'acteurs économiques locaux, les services de l'ONF participent à ces deux opérations. La protection de l'ours semble en revanche relever plus d'une question socio-politique que véritablement technique.

Pour conclure sur la spécificité de notre politique en forêt de montagne, je dirais que celle-ci est imposée à la fois par le cadre et les conditions locales. Aussi nous efforçons-nous de développer une politique multifonctionnelle. En effet, notre politique ne doit pas se limiter à la seule production de bois, mais également participer au développement de services et préserver d'autres fonctions, telle la biodiversité dans les zones de montagne. Actuellement, les massifs forestiers de montagne ne se trouvent pas dans une situation de grande menace comme cela était le cas à la fin du siècle dernier du fait des excès du pâturage. Ce choix de société possédait une certaine logique : en effet, le pâturage était à l'époque indispensable à la vie et à l'économie montagnardes. Toutefois, cette pratique s'exerçait au prix de très graves menaces sur la forêt. Aujourd'hui, l'évolution démographique et économique constatée sur l'ensemble des massifs de montagnes fait clairement apparaître que cette menace n'existe plus en tant que telle. Notre vigilance se reporte sur d'autres sujets : conditions techniques et économiques d'exploitation en haute montagne, protection de certaines espèces menacées, régénération de peuplements fragiles.

La détermination des conditions économiques d'exploitation des forêts impose de garder présente à l'esprit la distinction entre les deux grandes catégories de massifs : moyenne montagne d'une part, avec les Vosges, le Jura et le Massif central, haute montagne d'autre part avec les Alpes et les Pyrénées.

Pour le premier groupe, il apparaît, de manière simplifiée, que les conditions d'exploitation forestières sont similaires à celles constatées sur le reste du territoire. Il s'agit donc des conditions normales d'exploitation, à l'exception de quelques sites très spécifiques et marginaux, comme des vallées particulièrement escarpées ou pentues. Aucune mesure spéciale ne s'avère donc nécessaire en direction de ces massifs. En revanche, les massifs de haute montagne, alpins et pyrénéens, donnent une idée assez précise de ce que recouvre le « handicap montagne ».

Pour donner quelques ordres de grandeur du simple point de vue de l'exploitation forestière, je rappellerai que la production économique de ces massifs se compose pour l'essentiel de sapin et d'épicéa. Ainsi, le prix d'une grume d'épicéa en bord de route est compris, en fonction de sa qualité, entre 46 et 76 euros au mètre cube. Il s'agit là du bois exploité. En zone de moyenne montagne, le coût d'exploitation, incluant le salaire des bûcherons et le coût du tracteur pour amener le bois en bord de route, s'avère à peine supérieur à celui constaté en plaine. Ainsi, dans les Vosges ou dans les parties à faible relief du Jura ou du Massif central, en conditions normales, ces coûts varient entre un minimum d'une quinzaine d'euros et un maximum de 23 euros au mètre cube. Reste donc une valeur nette du bois, en valeur « sur pied », se situant entre 23 euros et 46 euros par mètre cube.

En revanche, en haute montagne, les surcoûts de bûcheronnage ou de débardage s'élèvent fréquemment à 7,62 ou 15 euros par mètre cube. Les valeurs résiduelles s'en trouvent donc abaissées à 7,62 euros. Il peut apparaître nécessaire de passer à des solutions comme le débardage par câble, portant le coût total de récolte entre 46 et 60 euros par mètre cube. Ces coûts étant égaux à la valeur du bois en bord de route, l'on aboutit alors à une valeur nette sur pied nulle. De même, le coût du recours au débardage par hélicoptère étant nettement supérieur à 46 euros, la valeur nette sur pied en devient négative. Ceci signifie donc qu'il est nécessaire de payer pour sortir le bois. Aussi l'hélicoptère est-il réservé à des situations extrêmes, où l'exploitation est rendue obligatoire, par exemple pour des motifs de sécurité. Ces chiffres sont aujourd'hui bien connus ; ils varient à la marge en fonction des conditions locales.

L'ensemble des acteurs locaux a désormais clairement connaissance de ce type de contraintes. Le câble a fait l'objet de différentes expérimentations afin de développer son utilisation. Ainsi, dans certains pays, comme en Autriche, il s'agit d'un mode de débardage très fréquemment employé. En France, dans les Alpes et les Pyrénées, différentes opérations ont été menées à cet égard. Ainsi, des dispositifs d'aides publiques, nécessaires à la pérennisation de ce système, ont été mis en place depuis une dizaine d'années, par exemple avec le programme « compétitivité plus ». Ces programmes se poursuivent actuellement dans le cadre du Plan de développement rural national (PDRN). Par ailleurs, plusieurs dispositifs de subvention à l'exploitation et au débardage de bois par câble ont été développés. Ces mécanismes peuvent prendre la forme d'aides au mètre cube sorti, ce qui implique alors un décompte complexe, ou de subventions à l'installation du câble, dont la gestion est plus simple. De même, la formule actuelle du PDRN prévoit dans certains cas des formules d'aides à l'hectare. L'idée commune sous-jacente consiste à réduire le handicap économique incontestable dû aux conditions d'exploitation en zone de haute montagne.

L'Office National des Forêts ne représente pas l'interlocuteur le plus compétent pour vous renseigner sur la question de la filière « forêt-bois » dans les massifs de montagne. Aussi le ministère de l'agriculture, qui bénéficie d'une vue d'ensemble, sera-t-il mieux à même de vous communiquer les renseignements relatifs à la première et à la deuxième transformation. En effet, l'ONF ne dispose sur ces points que d'informations de seconde main.

Les difficultés rencontrées par la filière « forêt-bois » renvoient à la problématique plus générale de la compétitivité mondiale de l'industrie du bois résineux. Là encore, il convient de ne pas perdre de vue la distinction entre haute et moyenne montagne, en particulier les Vosges et le Jura pour les massifs de moyenne montagne.

Depuis une vingtaine d'années, l'on assiste à une évolution extrêmement forte qui a abouti à une concentration forte et à une compétition mondiale accrue. Le marché apparaît ainsi entièrement déterminé par les grands pays producteurs - Canada, Finlande, Suède et Russie - et les pays fortement consommateurs - Etats-Unis, Japon et Europe de l'Ouest, en particulier la Grande-Bretagne, l'Allemagne, et, dans une moindre mesure, la France. Cette compétition économique aiguë se traduit par des conséquences très pratiques. Ainsi, le massif vosgien comporte aujourd'hui deux scieries qui produisent chacune environ 500 000 mètres cubes par an. Les deux leaders entraînent les autres, lesquels sont donc contraints à adapter leur activité et leurs prix. A titre comparatif, quinze ans plus tôt, la production de la plus grosse scierie du massif vosgien était inférieure à 100 000 mètres cubes par an. De même, dans les années 70, environ une centaine de scieries demeurait en activité.

L'évolution a été similaire dans le massif jurassien, quoique décalée dans le temps. Les Alpes et les Pyrénées connaissent en revanche des situations différentes. En effet, en raison de l'existence de conditions locales spécifiques, les entreprises bénéficient de certaines « niches ». Elles se heurtent toutefois à de nombreuses difficultés pour se situer sur le marché mondial. Cette évolution spectaculaire, engagée depuis une quinzaine d'années, devra conduire à une réflexion en matière d'aménagement du territoire afin d'identifier les moyens de survie d'industries du bois « de proximité », reposant sur des scieries de taille moyenne mais néanmoins compétitives.

Il a été dit que les chartes forestières de territoire, mises en place par la loi d'orientation forestière du 9 juillet 2001, constituent des outils destinés à résoudre un problème, avec un groupe d'acteurs, dans un espace géographique.

La loi forestière se propose d'aider ou d'améliorer, par des aides publiques ou des prêts à des taux plus intéressants que ceux du marché, des projets qui se mettraient en place dans les espaces forestiers. Actuellement, une vingtaine de projets de chartes forestières est en cours d'élaboration. Deux chartes ont été signées à ce jour, l'une concerne le Cantal, l'autre le massif des Bauges, à la limite de la Savoie et la Haute-Savoie. Au sein de ces zones de montagne, les chartes ont établi des listes d'opérations jugées intéressantes par les acteurs locaux. Ces actions sont ciblées à la fois sur le développement économique de la filière bois, le développement du tourisme et de l'accueil du public dans les forêts. Par ailleurs, une quinzaine d'autres projets est actuellement en cours d'élaboration. Si tous ne sont pas relatifs à des espaces de montagne, l'on peut cependant dénombrer 10 ou 12 projets concernant de telles zones. Les grands axes de ces projets s'articulent autour de thèmes similaires à ceux des chartes. Cet outil très intéressant n'en est toutefois qu'à ses balbutiements. Aussi serons-nous mieux à même de procéder à son évaluation d'ici quelques années.

M. Michel Moreigne
- Monsieur le Délégué général, je vous remercie pour vos précisions sur les chartes forestières. Vous avez en outre répondu très précisément aux questions que nous souhaitions vous poser. La question de la restauration des terrains de montagne a en effet été largement abordée avec le Délégué national aux actions de restauration.

M. Jean-Paul Amoudry - Je souhaiterais vous poser deux questions. Pouvez-vous nous fournir, plus globalement, une vision d'ensemble des pathologies du bois en haute montagne et des remèdes susceptibles d'y être apportés ? En effet, sur le terrain, les propriétaires comme les élus locaux ont noté une forte dégradation de la situation. La seconde interrogation est relative au séchage du bois et à son conditionnement afin de permettre à notre industrie du bois d'être concurrentielle. Il apparaît en effet que notre économie et nos pouvoirs publics n'ont pas su répondre entièrement à ces problèmes.

M. Michel Badré - La question des pathologies du bois nécessite une compétence d'expert que je n'ai pas. M'autoriseriez-vous donc, Monsieur le président et Monsieur le rapporteur, à vous fournir une réponse écrite sur ce point ?

Le séchage du bois se situe en aval de nos propres interventions. Signalons toutefois que cette question économique est entièrement liée au phénomène de concentration des scieries. En effet, l'investissement nécessaire au séchage ne peut être amorti que sur un volume de production de sciage suffisant.

En zones de montagne, particulièrement en haute montagne, le regroupement de scieries apparaît moins aisé du fait de conditions de transport et d'approvisionnement plus complexes. La réalisation d'une scierie importante pouvant justifier l'amortissement d'une installation de séchage y est donc particulièrement difficile. Dans les Vosges, il est possible d'alimenter dans un proche rayon une scierie de 100 000 mètres cubes. En revanche, il n'existe pas de situation similaire en Haute-Savoie. Pour vous citer quelques chiffres de mémoire, dans une scierie de taille suffisante, le coût du séchage est compris entre 15 et 23 euros le mètre cube. Par rapport à un prix du mètre cube scié d'environ 152 euros, la valeur ajoutée en est d'autant augmentée. Il devient ainsi possible de se placer sur un marché demandeur de ce type de produits. Mais une petite scierie, dont l'activité oscille entre 4.000 et 5.000 mètres cubes, n'a pratiquement aucun espoir de pouvoir se lancer dans ce type d'opération. En effet, l'amortissement de l'investissement en séchoir sur un volume aussi faible conduit à un coût du séchage prohibitif.

Certaines scieries ont procédé à des opérations de séchage collectif. Peut-être est-ce là la solution vers laquelle il convient de s'orienter. Rappelons cependant que les produits du bois résineux présentent par eux-mêmes une faible valeur, comprise entre 60 et 76 euros par mètre cube en bord de route. Le prix s'élève à 152 euros pour le bois scié. Dans tous les cas, le transport avec une rupture de charge, un départ et une arrivée, entraîne un coût supplémentaire de 6 à 7,6 euros par mètres cubes. Aussi est-il impossible d'introduire plusieurs ruptures de charge pour regrouper les grumes, les scier, les emmener au séchoir et en repartir. Une conception générale efficace doit donc intégrer à la fois le coût du transport et du regroupement.

M. André Rouvière - Je souhaiterais à mon tour vous faire part de deux questions.

Ma première interrogation est relative au transport du bois. Dans le Gard, en dépit de nombreuses rencontres avec les décideurs du chemin de fer, je n'ai pu obtenir pour un scieur le transport de bois par chemin de fer, alors même que la voie ferrée fonctionne. Il s'agissait, dans cette affaire, de bois en provenance des Landes qui était amené jusqu'au nord d'Alès, dans le Gard. Seule restait une dizaine de kilomètres à parcourir. La voie ferroviaire existe et fonctionne, mais transporte uniquement des voyageurs. Les autorités de la SNCF ont donc refusé que les locomotives utilisent une voie prévue pour les voyageurs mais non pour le fret.

Les modalités de transport en ont été rendues plus complexes pour la scierie, qui a dû accepter des ruptures de charge, entraînant par là un surcoût de fonctionnement. Dans la mesure où des aides ont été prévues pour sortir le bois, serait-il possible d'établir une meilleure coopération avec le chemin de fer dès lors que les voies existent ? Dans le cas qui m'a été soumis, je reconnais néanmoins que le chemin de fer aurait donné son accord si plusieurs trains complets avaient existé. Or en l'espèce, la SNCF disposait seulement de quelques wagons par mois, ce qui était donc peu pratique. Ce type de transport aurait été à la fois commode pour la scierie et avantageux pour la région. Il serait donc judicieux de pouvoir engager un dialogue au niveau national avec les responsables de la SNCF afin de déterminer si, parmi les aides mobilisables, certaines pourraient faire appel à leur compréhension.

La seconde question est relative à la politique de lutte contre les incendies de forêt, point que vous n'avez pu traiter. Force est de constater que, dans ma région, de nombreux efforts ont été engagés par l'ONF pour lutter contre les incendies par la construction de pistes forestières, qui, par la suite, deviennent bien souvent des pistes « défense de la forêt contre les incendies » (DFCI). Je souhaiterais émettre deux observations concernant des problèmes qui deviennent de plus en plus aigus et difficiles à traiter.

Ma première remarque est relative à l'entretien de ces pistes. En effet, l'ONF a permis la création de nombreuses pistes. Il apparaît toutefois que l'obtention des crédits d'entretien s'avère de plus en plus complexe. Il est donc regrettable d'assister à la dégradation de certaines pistes. Dès lors, j'aimerais savoir si l'ONF sollicite des crédits plus importants pour l'entretien de ces pistes.

Ma seconde remarque concerne la question de la propriété du sol. En effet, de nombreuses pistes nécessaires à la préservation des forêts domaniales ou communales sous régime forestier traversent souvent des propriétés privées. Vous avez obtenu l'autorisation de passage, mais non la propriété des sols, ce qui soulève de nombreuses difficultés. En effet, si certains propriétaires se montrent compréhensifs, d'autres barrent le passage. Il semble donc nécessaire d'essayer de régulariser cette situation afin qu'une piste réalisée avec le soutien de fonds publics soit établie sur un sol qui devienne également propriété publique. En effet, de nombreux problèmes se posent sur le terrain, en particulier lors de changement de propriétaire ou de transmission successorale.

M. Jean-Paul Amoudry - J'aurais encore deux questions. Ma première question est relative à l'organisation de l'ONF sur les territoires de moyenne montagne. Aujourd'hui, en dépit d'une réorganisation très utile, se posent des problèmes de taille critique et de coûts : apparaissent donc des regroupements, principalement au niveau régional. S'agissant des départements, l'ONF est aujourd'hui présente dans les seuls chefs-lieux. Ceci ne soulève pas de difficultés si le chef-lieu du département se situe en zone de montagne, mais est problématique lorsqu'il se situe en plaine où se trouve une faible proportion de forêts relevant de l'ONF. Il m'apparaît dommage que l'ONF ne demeure pas au coeur de son activité dans chaque département.

Ma seconde question est relative à la commercialisation du bois. Vous avez clairement mis en exergue la différence entre l'amont et l'aval. En effet, aujourd'hui, à l'exception des massifs de haute montagne, où la multiplicité des scieries demeure, seules deux grandes scieries sont présentes dans les massifs vosgien et jurassien. Serait-il donc possible d'envisager une commercialisation à la hauteur de ces partenaires situés en aval ? Il existe rarement, au plan territorial, des structures sous l'égide de l'ONF permettant de commercialiser durablement des volumes de bois significatifs avec les industriels, plutôt que d'agir au coup par coup. En effet, il existe d'un côté une approche de distribution industrielle et de l'autre, un aspect qui demeure lié à l'économie de production, quoique vieux de 200 ans. Les deux aspects se rejoignent avec difficulté dans le carrefour de la commercialisation. La loi forestière avait souhaité aborder ce problème, qui n'est toutefois pas encore réglé. Il sera donc nécessaire de créer des établissements publics de taille suffisante afin de pouvoir amener des volumes sur le marché. Tel n'a pas été le cas dans le département de l'Ain.

M. Auguste Cazalet - Monsieur le Délégué général, pouvez-vous nous rappeler jusqu'à quelle altitude pousse le bois ?

M. Michel Badré - Pour simplifier, cela dépend à la fois de la latitude et du versant. Dans le massif alpin du nord comme du sud, la limite se situe autour de 2000 mètres. La végétation forestière pousse un peu au-delà pour les versants frais exposés vers le nord, un peu en deçà pour les versants chauds exposés au sud. Dans les Alpes du sud, la forêt monte jusqu'à 2 500, parfois 2 700 mètres d'altitude. La moyenne, du point de vue biologique, se situe donc entre 2 000 et 2 500 mètres selon le versant et la fraîcheur.

M. Auguste Cazalet - J'ai beaucoup apprécié votre exposé sur l'ours, avec lequel je suis entièrement d'accord. Il est en effet aujourd'hui trop tard pour sauver l'espèce. Je n'ai jamais compris pourquoi l'on s'est attaché à introduire des ours slovènes plutôt que d'essayer de les croiser avec les ours des Asturies. En revanche, la protection des autres espèces est susceptible de poser plusieurs difficultés. Actuellement, les agriculteurs se plaignent fortement de l'invasion des vautours. Autrefois, le vautour ne s'attaquait qu'aux bêtes mortes et constituait le nettoyeur des montagnes. Aujourd'hui, il n'est plus possible de laisser dehors une vache mettant bas ou de jeunes veaux. J'ai en effet pu constater dans ma localité, à dix kilomètres de la chaîne du Piémont, l'arrivée de vautours affamés. Ces animaux, qui ont été trop protégés, s'attaquent désormais aux bêtes vivantes, et créent un déséquilibre. Les isards posent des problèmes similaires de sur protection.

M. Michel Badré - Au risque de paraître paradoxal, je me permettrai de regrouper les trois questions, concernant à la fois les chemins de fer, l'entretien des pistes DFCI et l'organisation de l'ONF dans l'Ain.

La SNCF, au même titre que l'ONF, constitue un organisme public. Je me permettrai simplement de relater une anecdote. A la suite des tempêtes, nous avons été confrontés à un problème similaire à celui que soulevait Monsieur le Sénateur. En effet, nous disposions de 40 millions de mètres cubes de bois à vendre dans des zones où les acheteurs étaient prêts à en acheter seulement 5 ou 6 millions. La seule solution consistait donc à évacuer le bois. Nous avons rencontré des difficultés identiques aux vôtres à l'égard de la SNCF. Notre directeur général connaissant personnellement Monsieur Gallois, nous l'avons rencontré et lui avons exposé nos problèmes. En dépit de son intérêt pour cette question, Monsieur Gallois nous a indiqué que le transport du bois, dont la valeur se situe environ à 46 euros par mètre cube, n'était pas rentable. En outre, dans la mesure où la longueur des quais doit être prolongée, le transport aurait également nécessité la réouverture de gares depuis longtemps fermées

Ces travaux complexes doivent être mis en perspective avec une faible rentabilité. Comme l'a indiqué Monsieur Gallois, nous nous situons là au coeur de la difficulté. Nous avons néanmoins monté nous-mêmes des opérations de vente de bois rendu en gare d'arrivée. Ainsi, au lieu d'être commercialisé dans les Vosges, le bois était vendu à Gap ou à Briançon. Ces opérations n'ont cependant concerné que quelques milliers de mètres cubes, soit une quantité tout à fait marginale.

Je rappelle que dans la mesure où l'ONF est un service public, l'Etat, qui représente la société, et les contribuables nous demandent, comme à la SNCF, d'équilibrer nos comptes. Ces demandes peuvent apparaître en totale contradiction. Comme l'a souligné Monsieur le Sénateur, les pistes DFCI doivent être entretenues. Cette dépense est prise en compte sur notre budget. Toutefois, cela ne nous permet pas de récolter un seul mètre cube de bois en plus pour équilibrer nos comptes. Naturellement, cet entretien relève de notre mission : si les forêts brûlent, il nous sera reproché de ne pas avoir répondu à nos missions.

Il nous est également demandé de disposer d'une organisation performante. Ainsi, le contrat conclu entre l'Etat et l'ONF fixe des gains de productivité de 30 % en six ans, ce qui est important pour une entreprise de services. Il nous est en même temps demandé de ne supprimer aucun poste en zone rurale, de conserver les personnels là où ils se trouvent, ainsi que des équipes administratives de deux personnes dans les chefs-lieux de canton, alors que chacun sait que la taille critique de fonctionnement n'est pas atteinte partout.

Nous nous efforçons donc de gérer ces contradictions et d'aboutir à des compromis. Je rappelle simplement qu'il est rare que les compromis satisfassent l'ensemble des attentes. Nous avons tenté d'instaurer une collaboration avec la SNCF. Les solutions envisagées n'ont toutefois pas permis de répondre entièrement au problème, mais je crois que c'est parce que la SNCF, comme l'ONF, est soumise à des contraintes de coût et à des objectifs de qualité dont la compatibilité n'est pas toujours évidente. Toute la réflexion sur la modernisation du service public, dans laquelle l'Office est engagé résolument, doit pourtant en tenir compte.

M. Michel Moreigne - Je vous remercie à nouveau et vous invite à nous transmettre par écrit les compléments de réponse aux dernières questions.

28. Audition de MM. Alain Griset, président de l'Assemblée permanente des chambres de métiers (APCM), Jacques Grassi, président de la Chambre des métiers des Hautes-Pyrénées, représentant de l'APCM au sein de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM) et Jean Vaquié, président de la Chambre des métiers de l'Aude (25 juin 2002)

M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur - Mes chers collègues, Messieurs les Présidents, avec la permission du Président de séance, j'ouvre cette nouvelle audition en remerciant les intervenants de leur présence au Sénat pour les besoins de la Mission commune d'information sur la montagne. Les auditions se poursuivront jusqu'au mois de juillet. La Mission présentera ses conclusions au mois d'octobre. Nous avons déjà passablement travaillé, mais nous sommes heureux de vous accueillir pour entendre le témoignage d'hommes de terrain. Avant de vous laisser la parole pour répondre aux questions que nous vous avons posées, je souhaiterais que vous vous présentiez aux membres de notre mission.

M. Alain Griset - Monsieur le Rapporteur, Messieurs les Sénateurs, je vous remercie d'avoir invité les représentants des chambres des métiers de France et donc des 845 000 entreprises artisanales de France à cette audition sur la loi Montagne. Je suis Président de l'Assemblée Permanente des Chambres de Métiers, et par ailleurs Président de la Chambre des métiers du Nord, qui n'est pas tout à fait un territoire de montagne. Aussi ai-je demandé à de véritables spécialistes des départements de montagne de m'accompagner. Avant de donner la parole à mes collègues, je souhaite rappeler qu'un chapitre de la loi Montagne était relatif au commerce et à l'artisanat en zone de montagne. Ce texte comprenait trois articles qui reconnaissaient le rôle nécessaire et les spécificités de l'artisanat dans ces zones. Or dix-sept ans après le vote de la loi, il apparaît que les mesures prévues à l'origine n'ont pas été mises en application, ou n'ont pas donné les résultats escomptés.

Les articles 56 et 58 prévoyaient la mise en place d'évaluations et de rapports sur les dispositifs relatifs au commerce et à l'artisanat. A l'heure actuelle, ces dispositions n'ont pas été appliquées. J'insiste sur le fait que nous considérons la présence d'un artisanat fort comme indispensable à la vie dans ces territoires au même titre que l'agriculture ou les services publics. Nous nous accorderons tous pour considérer comme inimaginable que de très grandes industries puissent prochainement venir revivifier ces territoires sur le plan économique. Au contraire, le tissu des petites entreprises, en particulier des entreprises artisanales, peut seul permettre le développement économique équilibré des territoires en favorisant des créations d'emplois.

En effet, au cours des dix dernières années, l'artisanat a contribué à la création de 1,6 million d'emplois en solde net sur l'ensemble du territoire. Naturellement, ce phénomène s'est également vérifié dans les zones de montagne. Nous considérons donc qu'aux côtés de l'agriculture et des services publics, l'artisanat représente le troisième pilier de création d'emplois dans ces territoires. En outre, l'artisanat permet d'apporter les services de proximité attendus par les habitants, par exemple dans le secteur de l'alimentation. Il s'agit là d'un point essentiel. En effet, notre secteur comprend, entre autres professions, les boulangers, les bouchers ou les charcutiers, qui représentent un gros potentiel économique. Sont également concernés les services aux personnes, comme les garagistes, coiffeurs, photographes ou taxis, ainsi que les activités du bâtiment nécessaires à l'entretien du patrimoine et des habitations. Ces 250 métiers regroupés au sein de l'artisanat apparaissent nécessaires, en termes de proximité, pour maintenir les populations dans ces territoires et leur garantir une certaine qualité de vie. A cet égard, dans le cadre de l'activité touristique, nos entreprises peuvent apporter un certain nombre d'atouts. En effet, l'artisanat comprend également des entreprises spécialisées dans ces activités.

Nous considérons que la loi de 1985 aurait pu apporter plus de satisfaction et de moyens pour ces régions. Nous pensons néanmoins qu'un certain nombre de mesures pourrait favoriser, dans les mois ou les années à venir, une nouvelle dynamique permettant aux entreprises déjà existantes de demeurer implantées sur ces territoires. Mes collègues évoqueront l'intérêt que nous portons à la transmission d'entreprise, problème commun à l'ensemble de la France, mais qui se pose de manière cruciale dans les régions de montagne où toute entreprise non transmise a vocation à disparaître. Cette situation appelle des mesures adéquates afin de conserver des activités sur place. Je passe maintenant la parole à mes collègues. Naturellement, nous restons à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous souhaiteriez nous poser.

M. Jacques Grassi - Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs, je suis Président de la Chambre de métiers des Hautes-Pyrénées, représentant de l'APCM à la commission permanente du Conseil National de la Montagne, et à l'Association nationale des élus de la montagne. Je suis également membre de la Commission permanente du massif des Pyrénées. Enfin, j'habite en zone de montagne car je réside à Bagnères-de-Bigorre. Je suis par ailleurs artisan charpentier. Pour compléter les propos d'Alain Griset, je dois dire que les chambres de métiers, en dépit de certaines déficiences de la loi Montagne, ont néanmoins accompagné et aidé les entreprises à s'installer et à se développer dans les zones de montagne. Je m'attacherai maintenant à répondre aux questions que vous nous avez fait parvenir.

A votre interrogation relative à l'existence de données permettant d'élaborer un bilan statistique de l'artisanat en zone de montagne, je ne peux qu'apporter une réponse négative. Il n'existe en effet aucun bilan statistique sur ce point. De même n'existe-t-il pas de données statistiques continues sur l'artisanat par massifs. Des tentatives de création de systèmes globaux d'observation sont apparues, notamment par l'INSEE au cours des années 1985 et 1986. Ces tentatives n'ayant pas abouti, nous manquons actuellement de statistiques, à tel point que certaines chambres de métiers, comme la Haute-Savoie et les Pyrénées-Atlantiques, ont créé leurs propres observatoires sur l'artisanat afin de suivre l'évolution des entreprises en zone de montagne. Cependant, les moyens demeurent restreints. Ainsi, l'observatoire mis en place dans les Pyrénées-Atlantiques est financé temporairement par le Conseil général ; je crois que c'est également le cas en Haute-Savoie. J'ignore en revanche si ces aides perdureront. Nous parvenons cependant à délivrer un diagnostic général sur les entreprises de montagne.

Je ne vous apprendrai rien en vous disant que les zones de montagne ne constituent pas des espaces homogènes. En effet, d'un massif à un autre, voire au sein d'un même massif, les conditions de développement se révèlent très diverses. La moyenne montagne se trouve souvent en déclin, alors que la haute montagne, qui bénéficie de l'apport des sports d'hiver, connaît un essor. Parmi ces massifs, les Pyrénées, que je connais bien, se composent de vallées parallèles, toutes axées nord-sud, et constituent un patchwork de diversité quant aux situations cantonales allant du grand tourisme confirmé au site industriel en déclin en passant par des zones agricoles en crise. L'interprétation générale s'avère donc délicate.

Vous noterez dans un second temps que les observations sur le terrain font apparaître à l'évidence, que le commerce et l'artisanat de montagne subissent des surcoûts économiques, fiscaux et sociaux. Vous demandez s'il est possible de chiffrer les handicaps qui pèsent sur les activités artisanales en montagne. En effet, de même qu'un particulier qui se déplace en montagne sait qu'existe un surcoût concernant les véhicules et le temps nécessaire, il existe des handicaps lorsque l'on travaille en montagne. Se posent en particulier des difficultés pendant les périodes hivernales pour se rendre d'un point à un autre. Lorsque l'on se rend en montagne pour les vacances, il est ennuyeux de perdre trois ou quatre heures dans des bouchons pour accéder à la zone de loisir. Cependant, ceci est encore plus gênant lorsque l'on se déplace pour le travail. Une estimation en heures ou journées perdues pourrait être réalisée. Toutefois, la diversité des situations rend difficile le chiffrage de ces surcoûts. Il est en revanche certain que pour les entreprises travaillant dans des zones à forte activité touristique, il s'agit là d'un surcoût. En effet, les prix varient en fonction de la basse et de la haute saison, au cours de laquelle l'effet neige entraîne une augmentation des prix. Ce surcoût existe donc de manière incontestable, mais reste difficile à évaluer.

M. Jean Vaquié - Permettez-moi de me présenter. Je suis Président de la Chambre des métiers de l'Aude et de la Conférence de l'artisanat pyrénéen, ainsi que Secrétaire adjoint de l'Assemblée Permanente des Chambres de Métiers. Je travaille dans l'agroalimentaire ; en effet, je suis charcutier traiteur. Je réside dans l'Aude, qui se situe dans la région Languedoc-Roussillon. Ce département présente une spécificité forte. En effet, l'Aude est encadrée par deux montagnes, les Pyrénées au sud et le Massif central au nord. Cette situation géographique constitue un point crucial à prendre en compte lorsqu'il s'agit de parler de l'artisanat.

Dans le Languedoc-Roussillon, nous bénéficions d'aides directes aux entreprises, qui doivent être maintenues. Il ne s'agit toutefois pas d'aides spécifiques à la montagne. En effet, ces subventions sont attribuées aux zones 2 et 5B. A cet égard, le nouveau zonage tend à nous desservir. Aussi serait-il pertinent de maintenir les zones de montagne et de moyenne montagne, en particulier pour la Lozère, qui se situe entièrement en montagne, ainsi que pour les autres départements du Languedoc-Roussillon, notamment l'Aude.

L'artisanat veut se maintenir et se développer dans nos régions. Il ne pourra cependant le faire que dans un environnement porteur. C'est pourquoi plusieurs orientations peuvent être proposées. J'ai déjà parlé des aides directes à l'entreprise. A ces aides pourraient utilement s'ajouter des mesures d'accompagnement pour l'artisanat, permettant leur intégration dans une démarche collective. Il apparaît en effet certain que les artisans qui demeureront isolés ne pourront se développer. Malgré nos efforts en ce sens, il s'avère impossible de mettre en oeuvre des groupements d'employeurs. En outre, l'application effective des 35 heures dans le monde rural et de l'artisanat apparaît rigoureusement impossible.

J'insiste sur le fait que l'artisanat ne souhaite pas tomber dans l'assistanat, mais au contraire bénéficier de « coups de pouce » afin de permettre à son économie d'avancer. Je citerai plusieurs exemples d'aides possibles en direction des zones de montagne. Ainsi, les professionnels des métiers de bouche, par exemple les bouchers ou les charcutiers, disposent d'un outil de travail qui leur permet de servir le client. En développant leur activité dans le respect des normes d'hygiène et de sécurité, ces professionnels pourront réaliser une production plus importante et procéder à son exportation. Plusieurs professionnels ont déjà été aidés par la région, l'Etat, les conseils généraux, et ont bénéficié de l'appui des chambres de métiers. En effet, l'appui technique des chambres de métiers est indispensable pour aider en pratique les bonnes volontés, les mettre sur les rails, permettre aux artisans d'avancer, les inciter à rester ou à venir au pays.

Je crois qu'une erreur fondamentale a été commise lors du vote de la loi Montagne. Il aurait en effet été nécessaire de procéder par une loi plus générale, concernant le monde rural dans son ensemble. En effet, si les artisans disparaissent, l'agriculture en viendra à connaître de nombreuses difficultés, et le monde rural n'aura plus droit à la vie. Je vous citerai également l'exemple du boulanger, qui est également un artisan. L'exercice de cette profession est difficile dans le monde rural ; il l'est plus encore en zone de montagne.

L'Assemblée générale de notre chambre des métiers a ainsi souligné récemment que le boulanger, qui desservait 14 communes rurales, devait remplacer les pneus avant du véhicule de tournée chaque mois, et les pneus arrière tous les cinq mois. Par ailleurs, le temps nécessaire à la tournée s'avère très long. S'ajoutent encore les normes d'hygiène et de sécurité, qui entraînent un coût supplémentaire. En l'absence d'aides, pas seulement financières, les artisans se décourageront. En effet, quelle que soit la localisation géographique, le prix du pain à la vente demeure le même pour le boulanger. Vous comprendrez qu'un artisan ne peut fournir un produit à son détriment, sauf à devoir cesser son activité. En Languedoc-Roussillon, les aides départementales, régionales et d'Etat ne comportent pas de subvention pour le matériel roulant. Ainsi, le boucher reçoit une aide uniquement pour la boutique se situant à l'intérieur de son camion, mais non pour le véhicule lui-même. En revanche, nous fournissons dans les Pyrénées-Atlantiques une aide technologique qui a vocation à être étendue à l'ensemble de la chaîne pyrénéenne.

M. Jacques Grassi - Plusieurs aides financières et mesures de simplification ont été mises en place au bénéfice des artisans et commerçants installés en zone de montagne. Dans certaines régions, comme le Languedoc-Roussillon, existe une aide aux artisans, qui n'est toutefois pas spécifique aux zones de montagne. En revanche, dans les Alpes-de-Haute-Provence, une aide spécifique a été mise en place. Il s'agit du FODAM, Fonds d'aide à la modernisation, dont le financement relève de l'Union européenne et des départements. Le FODAM s'attache à favoriser le maintien des services de proximité dans les communes de moins de 2000 habitants. Cette aide constitue une sous mesure du programme européen « objectif 2 ».

Au total, peu d'aides financières ont donc été recensées. En revanche, en Midi-Pyrénées, la signature de nouveaux contrats de plan Etat région a permis, pour la première fois, la mise en place d'aides financières spécifiques ciblées sur la montagne. Le contrat interrégional de massif comprend les trois régions Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées et Aquitaine. Le préfet coordonnateur se trouve à Toulouse. Ce contrat concerne donc en tout six départements. Au sein du contrat de plan Etat région, des aides financières ont été ciblées pour la montagne. Naturellement, nous pourrons en bénéficier.

Le quatrième point relatif à la nécessité de maintenir des services de proximité appelle une réponse affirmative. Il s'agit là d'un point essentiel pour les personnes vivant en montagne. Il faut, selon nous, conserver et soutenir l'existant, et aider les personnes à continuer à vivre dans les zones où elles habitent. Jean Vaquié a insisté sur les problèmes relatifs aux tournées. En effet, le véhicule de tournée constitue un élément essentiel de la vie rurale en général, dont l'importance se trouve encore accrue dans les zones de montagne. Aussi certaines opérations soulèvent-elles des difficultés de financement de ce véhicule. En effet, le véhicule de tournée peut être vu comme un élément de service au public, qui doit absolument être maintenu. De même est-il nécessaire d'aider des jeunes à s'installer ou à reprendre des entreprises. En effet, une entreprise artisanale, même située dans un petit bourg ou un village de montagne, représente un emploi ou un apprentissage. Aussi la présence des artisans est-elle susceptible de favoriser la vie du village, où l'on trouve généralement un boulanger et un maçon ou un charpentier qui répondent aux besoins de la population.

Plus encore, il est nécessaire de conserver les services publics en zone de montagne. Dans le cas contraire, il est en effet impossible d'inciter des entreprises à s'y installer et à y travailler. Ainsi, en l'absence d'école ou de services publics de proximité - bien qu'il existe aujourd'hui des regroupements scolaires bien organisés - un jeune couple ne viendra pas s'installer. A l'heure actuelle, il existe une forte demande de la part des maires de communes rurales de montagne pour obtenir des aides à l'installation de multiservices. Un grand groupe de distribution s'intéresse aujourd'hui à cette question. Je dirai que ce groupe fait du social, car il n'entre pas dans l'intérêt d'une grande surface d'en financer une petite. Or les multiservices répondent à des besoins réels de la population : l'on peut en effet y trouver une photocopieuse, un fax, ainsi que la plupart des services attendus.

Il serait également nécessaire de modérer l'implantation des grandes surfaces dans les zones de piémont. Je sais que chacun a droit aux prix pratiqués dans les grandes surfaces. Cependant, l'extension des super- et hypermarchés conduit à vider les vallées de toute leur substance. Par conséquent, les personnes habitant loin ne disposent plus de services de première nécessité. Il apparaît donc absolument nécessaire de modérer l'extension des grandes surfaces, surtout en zone de piémont. Il est en effet indispensable de laisser vivre les gens dans les vallées. Si l'épicerie, le distributeur de journaux ou le multiservice leur sont ôtés, la vie du village disparaît.

La pluriactivité peut se révéler obligatoire en zone de montagne lorsque les conditions climatiques ou de transport contraignent les personnes à exercer une autre activité. Ainsi, en été, la première activité peut être celle d'agriculteur. En revanche, en hiver, une seconde activité est souvent liée aux remontées mécaniques et au développement des sports d'hiver.

Il existe en outre, comme nous le découvrons dans les Pyrénées, une pluriactivité voulue, découlant d'un choix de vie des personnes. Il est caractéristique que les deux tiers des personnes exerçant une double activité ne relèvent pas de l'agriculture, contrairement à ce que l'on pourrait penser. Par ailleurs, 86 % des pluriactifs associent salariat et activité non salariée. Ainsi, certains artisans, par passion, exercent-ils une activité de montagne, comme moniteurs de ski pendant l'hiver ou accompagnateurs en été.

Ces personnes sont confrontées à de nombreuses difficultés au regard des régimes sociaux. En effet, dans la mesure où certaines caisses soumettent l'immatriculation à un minimum de 1200 heures de travail, l'exercice de deux ou trois activités différentes au cours de l'année soulève plusieurs problèmes. Parmi les actions de simplification, des tentatives de mise en place d'un guichet unique ont été menées, notamment en Savoie, dès 1985, sans aide financière spécifique. De tels exemples demeurent toutefois relativement rares. Par ailleurs, l'égal accès de tous les citoyens aux administrations sur l'ensemble du territoire, préconisé par la loi Montagne, n'est toujours pas d'actualité. En effet, si nous nous référons à la loi de 1985, cette disposition est encore loin d'avoir reçu une application effective.

Enfin, les groupements d'employeurs n'ont pas fonctionné dans les zones de montagne car la main d'oeuvre qualifiée y est rare et le nombre d'entreprises utilisatrices est trop faible. La diversité de nos métiers constitue également une source de difficultés. Il est évident qu'il est malaisé de réaliser l'adéquation entre le potentiel d'entreprises utilisatrices et le potentiel de personnes polyvalentes en zone de montagne. En revanche, dans les zones plus urbaines ou plus proches des villes, les groupements d'employeurs fonctionnent.

M. Jacques Blanc - Le statut des femmes et du conjoint collaborateur figure dans la dernière question. Je la cite simplement pour mémoire. Je vous propose de passer maintenant aux questions de mes collègues. Dans la mesure de vos possibilités, il nous serait très utile d'obtenir à l'appui de vos interventions des notes écrites, pas nécessairement aujourd'hui.

M. André Rouvière - Je souhaiterais vous poser deux questions. Nous avons implanté dans le Gard des points multiservices qui rendent de nombreux services à la population. Nous peinons en revanche à trouver des solutions sur deux points. Il s'agit en premier lieu des stations-service, qui ont quasiment disparu. Nous ne savons comment régler cette question. Ma seconde remarque est relative aux relais pour les téléphones portables. Ce point, bien qu'en voie de règlement, n'est pas encore totalement réglé.

M. Jacques Grassi - Au niveau du massif pyrénéen, une mission de la DATAR est en place avec l'appui du Conseil régional. Nous avons la chance de vivre dans un département dont 90 % du territoire se situe dans une zone blanche. En revanche, un département comme l'Ariège se trouve en zone noire sur des secteurs très importants. Il y a là un important travail à mener. Les opérateurs s'étaient engagés à couvrir 90 % de la population, mais non, malheureusement, 90 % du territoire. Aussi certaines zones de montagne ne sont-elles pas couvertes. En région Midi-Pyrénées, un important travail a été entrepris. Nous espérons qu'il portera ses fruits sur l'ensemble de ces départements, notamment l'Ariège.

Par ailleurs, les stations-services, qui ont fermé les unes après les autres, constituent un problème important. J'ignore comment nous pourrions le régler. En effet, il est souvent nécessaire de parcourir vingt ou trente kilomètres dans les vallées pour pouvoir se ravitailler.

M. Alain Griset - Si les stations-service ne relèvent pas directement de notre compétence, de nombreuses activités reposent en réalité sur la pluriactivité. Il nous faut être réaliste : nous nous situons dans une économie de marché, où l'entreprise, quelle que soit sa taille, doit faire des bénéfices. Dès lors, il n'est pas envisageable d'ouvrir une station-service en sachant que le nombre de clients dans la journée sera modeste et que l'on ne dégagera pas de bénéfices. En revanche, le cumul de cette activité avec d'autres peut permettre d'atteindre une surface suffisante pour pouvoir « gagner sa vie ».

La pluriactivité cumulant activité salariée et non-salariée constitue toutefois un véritable parcours du combattant, en particulier s'agissant du rattachement aux caisses. Comme l'a souligné Jacques Grassi, certaines caisses demandent en effet de justifier de 1200 heures pour calculer le rattachement à la caisse principale, ce qui, compte tenu du passage aux 35 heures, pose aujourd'hui de nombreux problèmes. Dès lors, l'exercice de plusieurs activités sur des régimes différents, régime salarié, agricole et artisanal, soulève des questions de détermination du régime d'appartenance en cas de maladie ou de retraite. Le législateur pourrait donc s'attacher à simplifier le choix du régime social pour le pluri-actif. Peut-être serait-il possible pour l'assuré de choisir lui-même le régime auquel il souhaite être affilié. Ceci simplifierait la vie des personnes et ouvrirait de nombreuses perspectives, aujourd'hui bloquées par la complexité des procédures administratives.

M. Pierre Jarlier - Je souhaiterais avoir votre avis sur les procédures menées au titre des appuis du Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (FISAC) et de l'Europe. Il existe aujourd'hui en particulier des procédures liées aux projets territoriaux intercommunaux qui présentent un volet fort en termes de maintien de l'artisanat, par exemple dans le cadre d'opérations « coeur de pays » ou « coeur de ville ». J'aimerais savoir comment ces actions sont vécues par les chambres de métiers, quels sont les partenariats envisagés, et dans quelle mesure ces procédures pourraient être encore améliorées. Je souhaiterais en particulier savoir ce que vous en attendez exactement. Ce travail de terrain mené en concertation avec l'Etat et les collectivités a permis d'obtenir des résultats intéressants sur certains territoires. De nombreux organismes consulaires ont également émis l'idée d'une instauration de nouvelles zones franches rurales dans les secteurs en difficulté. Je souhaiterais avoir votre sentiment sur ce point .

M. Alain Griset -
Plusieurs points sont ici abordés. Je tenterai d'y répondre successivement.

Le FISAC constitue une structure gérée - pour le moment - au niveau national, qui est financièrement alimentée par la taxe additionnelle au commerce et à l'artisanat (TACA). Je tiens à souligner que la TACA, qui constitue une taxe parafiscale appliquée à la grande distribution, n'est pas utilisée aujourd'hui comme nous le souhaiterions pleinement. En effet, le budget de l'Etat prélève chaque année en moyenne environ 50 millions d'euros sur le produit de cette taxe. L'administration gérant la TACA a donc pour objectif de ne pas l'utiliser en totalité afin d'en réintégrer une partie au budget de l'Etat.

De mémoire, au titre de l'année 2001, le budget de l'Etat a dû reprendre pour son fonctionnement habituel environ 100 millions d'euros à la taxe. Nous souhaiterions naturellement que la totalité du produit de la TACA revienne à sa finalité première, c'est-à-dire la dynamisation du commerce et de l'artisanat. La TACA, payée par la grande distribution, alimente donc en partie le FISAC. Le produit de la TACA se situe à environ 150 millions d'euros par an, et le budget du FISAC s'élève à 80 millions par an. Il existe donc là une marge qui permettrait certainement d'obtenir des moyens plus importants pour favoriser le commerce et l'artisanat, en particulier en zone de montagne. Des fonds pourraient donc être disponibles à cette fin.

Nous souhaiterions vivement par ailleurs que la gestion du FISAC soit plus décentralisée qu'elle ne l'est actuellement. En effet, il appartient à une commission nationale de décider de l'attribution des dossiers FISAC alors que, au contraire, dans un premier temps, ces dossiers sont étudiés au niveau local. Aussi une commission régionale, alliant des élus et des parlementaires, des conseillers généraux, des maires et des représentants consulaires, serait-elle mieux à même de voir les attentes du terrain. La commission nationale pourrait gérer une partie des fonds. Néanmoins, selon nous, la majeure partie de ces fonds devrait relever du niveau régional, qui apparaît adéquat pour la gestion d'une telle structure.

Des pays et des structures intercommunales sont actuellement en cours de création. Une réunion organisée au Sénat par l'Institut supérieur des Métiers s'est attachée au positionnement de l'artisanat au sein de ces structures intercommunales. Je peux déjà vous annoncer que les établissements consulaires nationaux, chambres de commerce, de métiers et d'agriculture, envisagent d'organiser, à la fin de l'année 2002, les premières rencontres interconsulaires du développement local. Nous souhaitons indiquer par là combien nos établissements publics sont concernés par ces structures de territoire et veulent s'y impliquer. Nous rencontrons cependant plusieurs difficultés sur ce point. Un exemple, dans le Nord, où la Communauté urbaine de Lille a créé un comité de développement. Si cette initiative devait être approuvée, le comité comporterait alors 103 personnes. Un tel comité en deviendrait totalement inefficace. En outre, alors que la chambre de métiers du Nord représente 22.000 entreprises, il existe plus de 90 associations représentant chacune 10 ou 15 personnes. Il devient donc impossible de s'orienter et de coordonner les actions des différents intervenants.

Naturellement, les chambres de métiers ne souhaitent pas ôter aux élus leurs prérogatives. Nous voudrions néanmoins, au sein des structures intercommunales, que les établissements publics consulaires, chambres de métiers, mais aussi chambres de commerce et d'agriculture, bénéficient d'une place à part entière dans le développement des territoires de montagne et puissent apporter leur contribution à leur économie. En effet, lorsque les trois établissements consulaires travaillent sur l'ensemble du territoire, ils représentent 99,5 % de l'économie. Il nous paraît donc logique qu'ils bénéficient de lieux de représentation afin d'apporter nos contributions à ces structures.

Nous constatons par ailleurs que de nombreuses structures administratives se mettent en place aujourd'hui - par exemple dans les pays. Nous préférerions que celles-ci utilisent plutôt l'existant et notamment les compétences des établissements consulaires, qui, à cet égard, ont une forte volonté d'être associés aux pays, communautés urbaines ou communautés de communes. Naturellement, selon la loi, ces structures sont composées par les élus, et nous ne souhaitons pas jouer un rôle politique. En revanche, nous souhaitons être présents sur le plan économique. Vous aviez également évoqué la possibilité de créer des zones franches. Nos collègues des territoires de montagne considèrent que la mise en place de zones franches spécifiques en milieu de montagne, calquées sur le modèle des zones franches pour quartiers difficiles, pourrait constituer une mesure favorable. Le dossier que nous avons constitué propose quelques critères pour la mise en place de ces zones franches. Celles-ci devraient bénéficier de soutiens fiscaux et sociaux, mais également de mesures quant à l'aménagement de locaux pour l'installation. Ces dispositions permettraient ainsi d'attirer de nouvelles entreprises.

M. Auguste Cazalet - En tant que maire, j'avais négocié avec la région Aquitaine l'obtention d'aides du FISAC. Il apparaît donc que les procédures ont de nouveau été centralisées au niveau national.

M. Alain Griset - Le FISAC fonctionne selon le principe suivant : une municipalité, en partenariat avec un établissement consulaire, étudie un dossier. La demande est alors transmise à une commission nationale qui attribue l'aide. La commission est donc décisionnaire quant à l'appui financier apporté au dossier. La commission du FISAC est par ailleurs composée pour l'essentiel de fonctionnaires d'Etat.

M. Auguste Cazalet - Je souhaiterais dire à Monsieur Grassi, que je découvre être mon voisin, que ma localité n'a pas la chance de bénéficier du Pic du Midi, qui n'est pas assez haut pour nous desservir. Aussi rencontrons-nous de grosses difficultés quant à la couverture des téléphones portables.

M. Jacques Blanc - L'émergence de l'artisanat devrait être soulignée comme facteur d'aménagement de la montagne. Pendant longtemps, l'on s'est exclusivement préoccupé du secteur de l'agriculture. Aujourd'hui, nous avons pris la mesure des enjeux de la présence et du développement de l'artisanat sous toutes ses formes et dans ses différents secteurs. En effet, lorsque les artisans quittent le village, la mort s'y installe. Se posent donc à la fois des problèmes d'installation et de transmission des entreprises artisanales. Aussi la question des successions mériterait-elle d'être encore mieux traitée en zone de montagne.

En outre, j'espère que l'on parviendra à faire reconnaître une véritable exigence de politique de montagne au sein des programmes européens. En effet, dans les programmes, de type « objectif 2 », il est nécessaire de mieux prendre en compte les initiatives de l'artisanat, qui permettent de créer des dynamiques. Enfin, les artisans se situent au coeur de la rencontre entre l'agriculture et le tourisme. Aussi peuvent-ils favoriser le développement de chacun de ces secteurs et représenter un facteur de synthèse dans l'utilisation des sols et la compétition des activités économiques. Dans ce mouvement général d'intercommunalité, il convient de laisser une place importante aux artisans qui font vivre la montagne. L'apport des chambres des métiers est à cet égard décisif.

M. Jean Boyer - Les chambres des métiers ont-elles réfléchi à une dotation spécifique lors de l'installation en zone de montagne, comme il en existe pour l'agriculture ? En effet, une dotation d'installation dans une commune rurale constituerait déjà un premier point. Une réflexion sur la modération des dépenses et la réduction des surcoûts a-t-elle été engagée ? A titre de comparaison, les agriculteurs bénéficient du fioul rouge pour circuler. Avez-vous donc demandé des dérogations en ce sens ? Par ailleurs, dans la mesure où les distances à couvrir sont importantes, il serait judicieux, à côté du fioul rouge, qui constituerait une première économie, de mettre en place un forfait kilométrage. Ce forfait pourrait par exemple être compensé par la TACA. De même, lors de l'arrivée d'une grande surface, il n'apparaît pas invraisemblable de lier l'autorisation d'installation à l'obligation d'assurer un service public minimal. Il s'agit là d'exemples très concrets. J'insiste sur le fait que la loi Montagne, la loi d'orientation et la PAC ne permettent pas de saisir dans leur globalité le commerce, l'artisanat et l'agriculture.

M. Jacques Blanc - Dans la mesure où la PAC évoluera, nous souhaitons un passage plus important de crédits du premier pilier, qui constitue un soutien aux produits, au second pilier, dit de développement rural. Nous voudrions donc, au sein de ce second pilier, bénéficier d'interventions européennes financières spécifiques pour la montagne susceptibles d'intéresser à la fois le secteur de l'artisanat et le développement plus général de ces zones.

M. Alain Griset - Nous considérons que le service public, l'agriculture et l'artisanat constituent les trois piliers indispensables à la vie économique des territoires de montagne. Un point nous apparaît fondamental : il s'agit d'appliquer les mêmes droits et les mêmes devoirs aux différents intervenants, quelles que soient les mesures envisagées. Lorsque vous parlez d'aides spécifiques à l'agriculture que devraient revendiquer les artisans, nous demandons plutôt l'application de ce principe sur l'ensemble des dispositifs. Ainsi, s'il existe des exonérations fiscales pour l'agriculture afin de vendre certains produits, l'artisanat doit bénéficier des mêmes droits. En effet, en situation de concurrence, il est nécessaire de traiter à égalité les entreprises sur l'ensemble d'un même territoire.

Il importe également que les pouvoirs publics ne complexifient pas la gestion des fonds européens. En effet, les critères européens apparaissent déjà en eux-mêmes suffisamment contraignants. Cependant, des pays comme l'Irlande, l'Espagne et le Portugal, qui ont su pleinement utiliser les aides européennes, ont fortement progressé. Or en France, faute d'avoir su utiliser leurs subventions, les régions renvoient ces aides. Il est ainsi extrêmement difficile pour nos entreprises d'obtenir des fonds européens. Les chefs d'entreprises font alors appel à nos établissements publics. Je demande donc à ce que les chambres de métiers des départements de montagne puissent bénéficier de soutiens financiers de la part des pouvoirs publics afin d'être en mesure d'accompagner les projets collectifs des artisans.

Des aides spécifiques doivent également être apportées à l'installation. Il faut en outre veiller à ce qu'une aide ponctuelle, sur un ou deux ans, n'entraîne pas une concurrence déstabilisatrice. A cet égard, un régime global est préférable. Comme l'a rappelé le Premier Ministre, en France, une entreprise qui se crée commence par payer des charges avant même de réaliser le premier euro de chiffre d'affaires.

En tant que sénateurs, vous serez prochainement sollicités dans le cadre d'une loi d'orientation pour l'artisanat, dépassant le cas des territoires de montagne. Nous souhaiterions que soient traités les problèmes du conjoint de l'artisan, de la formation et de la transmission de l'entreprise. Une attention particulière devra en outre être portée au statut de l'entrepreneur individuel, aujourd'hui contraint à constituer une société fictive. Nous souhaitons à cet égard que la possibilité de l'échec lui soit laissée et que l'ensemble de ses biens ne soient pas saisis en cas de faillite. Ces points doivent faire l'objet d'une loi globale. Ces dispositions législatives trouveront naturellement matière à s'appliquer à la montagne, mais devront également, pour traiter notre secteur avec équité, concerner l'ensemble des entreprises du territoire national.

M. Jean Vaquié - Nous avons en effet besoin de l'appui des sénateurs pour faire passer cette loi sur l'artisanat. S'agissant des critères pour la mise en place de zones franches en montagne, la Lozère a remis un dossier complet, qui vous sera transmis. Pour la transmission et la reprise, les CIFA (contrat installation à formation artisanale) avaient été mis en place. Aujourd'hui, l'on assiste à une importante vente de fonds dans les métiers de bouche. Un jeune ne disposant pas des fonds nécessaires ne pourra reprendre ce commerce. En revanche, l'artisan-boucher pourrait former un apprenti qui, le moment venu, prendrait sa succession.

M. Jacques Blanc - Je vous remercie de vos interventions.

29. Audition de M. Bernard Debarbieux, directeur du laboratoire « territoire, environnement montagnard et organisations sociales » à l'Institut de géographie alpine de Grenoble (26 juin 2002)

M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur - Nous vous remercions de participer à nos travaux de recherche dans le cadre de cette mission d'information du Sénat sur la politique de la montagne. Je me dois d'excuser le président Blanc dont les impératifs en Lozère empêchent la présence, ainsi que d'autres collègues, retenus par des travaux de commissions, mais qui devraient nous rejoindre dans la matinée. J'ai donc l'honneur de remplir, ce jour, la fonction de président et de rapporteur de la commission. J'aimerais vous laisser la parole afin que vous puissiez commenter à partir de la grille de questions que nous vous avons envoyée les éléments que vous souhaiteriez nous communiquer.

M. Bernard Debarbieux - Merci pour votre invitation à m'exprimer dans ce contexte. Dans un premier temps, je vous propose de vous expliquer ma position de chercheur sur ces questions de montagne afin que vous compreniez bien dans quel point de vue je me situe. J'essaierai de répondre à vos questions sachant que je ne me présente pas comme un spécialiste de la loi montagne ou des questions juridiques liées à cette loi, son évaluation, sa pertinence ou son actualité, mais j'espère vous proposer un cadre d'interprétation dans lequel cette loi trouvera sa place.

Je suis professeur de géographie aux universités de Grenoble et de Genève et depuis ma thèse de doctorat, je travaille beaucoup sur le thème de la montagne alpine ; spécialité que j'ai étendue à d'autres massifs. Mon analyse ne se singularise pas par une réflexion sur des aires géographiques précises, mais plutôt par ce qui est appelé dans le milieu scientifique la problématique, le paradigme, c'est-à-dire le type de regard porté sur cet objet montagne.

En tant que spécialiste de géographie culturelle, et, non pas de géographie physique, de climatologie ou de géomorphologie, j'essaie de comprendre et de montrer comment l'idée de montagne est apparue dans la civilisation occidentale, comment s'est dessiné progressivement un ensemble de représentations de la montagne. Représentations qui, j'espère le démontrer dans mes écrits et le prouver aujourd'hui, ont eu des effets considérables non seulement sur l'aménagement de la montagne et les mesures de protection et d'équipement qui ont été mises en oeuvre, mais aussi sur les identités collectives et les processus politiques qu'elle suscite.

En cela repose la spécificité de mon point de vue : étudier la montagne comme une construction culturelle, comme une représentation liée à une civilisation, à une histoire nationale comme celle de la France afin d'essayer d'interpréter, de comprendre les enjeux d'aménagement, de gestion et la vie quotidienne des habitants qui y résident. Cette problématique d'ensemble guide mes travaux et oriente la lecture que je fais des questions que vous m'avez posées.

Il est probable qu'un spécialiste de science politique analyserait les choses différemment. Cette diversité des points de vue contribue à la richesse des analyses scientifiques. Je vous propose de ne pas traiter les questions les unes après les autres, mais plutôt de vous répondre de façon globale en vous laissant toute la liberté de m'interpeller ensuite sur tel ou tel point.

Pour vous éclairer sur cette lecture que j'ai qualifiée de culturelle ou culturaliste des représentations de la montagne dans notre civilisation, je souhaiterais commencer par un développement historique afin de vous rappeler d'où viennent ces représentations contemporaines de la montagne avec lesquelles nous vivons et partir desquelles nous concevons sa gestion. Les représentations contemporaines de la montagne remontent au XVIIIe siècle, à une époque où la montagne est devenue un objet géographique, ethnographique et naturel. Dès ce moment, la montagne a été considérée comme un espace en soi qui méritait d'être étudié par les naturalistes, les premiers des scientifiques du XVIIIe siècle à s'y intéresser.

Beaucoup plus tard, au XXe siècle, cette vision, désormais ancrée conditionne l'idée que cet espace mérite un traitement spécifique et donc une loi particulière. Ce raccourci historique permet de comprendre comment germe l'idée selon laquelle la montagne constitue un ensemble de régions particulières, un milieu particulier, et comment cette particularité des représentations dont elle est l'objet au XVIIIe siècle conduit à une singularisation des processus politiques et juridiques dont elle sera l'objet. Afin de bien comprendre ce point, il faut expliquer ce que représentait la montagne dans l'imaginaire collectif. A cet effet, la toponymie constitue un indicateur particulièrement intéressant. Qu'appelait-on montagne avant le XVIIIe siècle, avant qu'un savoir naturaliste fixe progressivement une relative définition de la montagne ?

La montagne au Moyen Âge n'était ni un espace, ni un milieu, ni une région mais plutôt un contraste paysager. Quand des citadins, à l'Île de la Cité à Paris, à Reims, à Montpellier, se tournaient en direction d'une masse qui, dans le paysage, contrastait avec l'endroit d'où ils l'observaient, ils appelaient cette masse une montagne, indépendamment de son altitude ou de son ampleur. Cette masse est devenue la montagne Sainte-Geneviève, la montagne de Reims, la montagne languedocienne à Montpellier, la montagne de Bourgogne à Beaune ou à Dijon, c'est-à-dire des espaces qui, aujourd'hui où notre vision de la montagne est très influencée par les idées naturalistes du 18 ème siècle, ne seraient pas considérés comme montagnards.

La définition pré-scientifique de la montagne repose donc dans le contraste paysager ; un point haut qui se dégage à l'horizon et contraste avec l'endroit d'où je suis. Ainsi, pendant très longtemps, la définition de la montagne ou plutôt l'acception de la montagne (car la définition n'était pas très rigoureuse) était relative à un point d'observation. Cette acception était subjective car elle était liée à un regard de citadin ou de villageois, par exemple, pour désigner un lieu qui n'était pas habité, ou, en tout cas, qui n'était pas celui dans lequel l'observateur résidait.

Cette conception de la montagne est très différente de celle qui se met en place au XVIIIe siècle et dont nous avons perdu la filiation. Les noms de la montagne Sainte-Geneviève et de Reims subsistent dans la toponymie mais les rapprocher des objets que nous qualifions montagne aujourd'hui fait sourire. Au XVIIIe siècle, la montagne devient un type de milieu, un espace que l'on cartographie, un type de région. Elle devient donc un objet, une entité spatiale, ce qu'elle n'avait pas été auparavant.

A partir de ce moment, la montagne recueille les stéréotypes ; c'est-à-dire des images de ce temps, du XVIIIe siècle qui conditionnent les représentations culturelles, littéraires, scientifiques, les pratiques touristiques et petit à petit les formes de l'aménagement. Ces représentations sont liées à la vision du monde des hommes du XVIIIe siècle. Le siècle des lumières invente l'idée moderne de la nature et voit dans la montagne la plus naturelle des natures. Cette représentation dominante se cristallise au XVIIIe siècle et se diffuse au XIXe siècle et au XXe siècle. La montagne devient le symbole de la nature, devient le lieu privilégié par lequel on pense la nature. Les premières pratiques touristiques ainsi que l'histoire naturelle permettent de le vérifier, de même que certaines formes de gestion de l'espace montagnard, notamment la protection de la nature.

La montagne est considérée comme la plus naturelle des natures dans un siècle qui fait plutôt l'éloge de la civilisation, de la culture urbaine et qui précède l'industrialisation. La montagne va progressivement être confinée dans une image d'altérité. La montagne devient un lieu autre, naturel par rapport à une civilisation qui s'urbanise. La montagne est un lieu de tradition par rapport à la modernité symbolisée par les villes du XVIIIe siècle ou du XIXe siècle. L'hypothèse qui guide mes travaux consiste à essayer de montrer comment cette représentation a orienté les pratiques, les modes de gestion, les modes d'aménagement de la montagne jusqu'à aujourd'hui. Je pense d'abord aux pratiques touristiques.

Le tourisme en montagne naît au XVIIIe siècle et prend une ampleur qui n'a jamais cessé jusqu'à aujourd'hui. Sa croissance a même été exponentielle et la manière de faire du tourisme en montagne a beaucoup changé avec le temps. Ceci dit, de Rousseau jusqu'à aujourd'hui, apparaît une sorte de constante dans l'idée que la montagne représente le lieu de prédilection pour sortir de la ville, des contraintes du travail et de l'environnement urbain. À la montagne, l'individu pense trouver un contexte privilégié dans lequel se ressourcer, changer les règles du jeu, s'amuser, se détendre ; c'est-à-dire autant de façons de décliner les pratiques touristiques.

Il est remarquable de constater que ces pratiques touristiques sont presque toutes fortement orientées par la représentation naturaliste de la montagne. Il s'agit de la nature montagnarde, des éléments de la montagne que l'on recherche généralement dans les pratiques touristiques : les paysages, l'air pur, les eaux thermales au XIXe siècle, la neige au XXe, le roc pour l'alpinisme du XIXe siècle et du XXe siècle. Ces référents de la nature motivent les pratiques touristiques et montrent bien les conséquences de cette vision dans les pratiques touristiques.

Le deuxième domaine dans lequel l'effet de cette représentation contemporaine de la montagne est patent est celui de la protection de la nature. Que l'on soit partisan ou opposé aux thèses écologistes, le constat est frappant que, à l'échelle de la France, de l'Europe ou du monde, les espaces qui bénéficient des mesures de protection les plus sévères sont généralement situés en montagne. Les régions de montagne sont mieux protégées que les autres. Les premiers parcs nationaux aux Etats-unis sont des parcs de montagne. Il en est de même en Europe et en France, comme en atteste le parc de la Vanoise. L'histoire de la protection de la nature a commencé en montagne.

Il s'agit alors non pas de protéger des espèces ou des milieux fragiles, -ces notions en effet sont récentes - mais de sauvegarder de beaux paysages, de protéger de belles choses dont les pays, qui construisent des parcs nationaux, sont fiers.

La préoccupation est de protéger de beaux endroits avant de se préoccuper des espèces menacées ou des écosystèmes. Aujourd'hui, une très forte sur-représentation des régions de montagne peut être observée dans les espaces protégés à travers le monde. Cet imaginaire de la montagne considérée comme la plus naturelle des montagnes, a conduit à une protection importante d'une partie des espaces montagnards.

Troisième déclinaison thématique : l'agriculture. L'agriculture de montagne a connu deux phases contrastées. L'agriculture de montagne a souffert de la mise en concurrence des produits agricoles qui est favorisée par le développement des transports. A partir des années 1870-1900, l'agriculture de montagne décline dans les pays qui n'ont pas, dès cette époque-là, de politique de soutien aux produits agricoles ; c'est le cas de la France avant la seconde guerre mondiale. En revanche, la Suisse protège très tôt son agriculture de montagne des effets jugés néfastes de la concurrence. L'agriculture de montagne a donc connu des années très difficiles jusque dans les années 70 même si ce constat doit être nuancé : toutes les régions, en effet, ne sont pas touchées au même degré. Aujourd'hui, on assiste à une résurrection significative, quoique très relative et modeste, de l'agriculture de montagne, qui se joue de l'idée que les produits montagnards sont des produits traditionnels, présentés et vendus comme tels grâce, notamment, aux appellations contrôlées. La mise en place de circuits courts de commercialisation permet aux touristes d'acheter directement la production locale. Ce qui permet aux agriculteurs de bénéficier d'une plus grande plus-value. Nous avons donc affaire à une possibilité de renaissance de l' agriculture de montagne car ces produits se vendent assez cher. Cela ne signifie pas pour autant qu'il s'agisse de produits de bonne qualité. La qualité de ces produits se révèle dans la plupart des cas hétérogène. Mais l'image de qualité se vend.

Nous revenons ainsi à la conception naturaliste de la montagne puisque la montagne depuis le XVIIIe siècle est perçue comme étant le symbole de la nature et de la tradition rurale. L'agriculture de montagne sait très bien jouer de cette image afin de générer une plus-value. La publicité autour de ces produits est rarement mensongère. D'autant que les coopératives, les groupements de producteurs s'efforcent d'améliorer la qualité de leur production.

À l'aide de cette présentation déclinée en trois thèmes, j'essaye de vous montrer combien cette image de la montagne héritée du XVIIIe siècle perdure et oriente les différents modes de développement ou les différentes activités économiques qui, aujourd'hui, sont les activités déterminantes dans les espaces montagnards.

Ces trois piliers que sont l'activité touristique, la protection de la nature et la production agricole conditionnent la production économique et les modes de gestion de l'espace montagnard. En montagne, l'industrie se porte mal comparativement à d'autres régions françaises. De plus, les autres activités économiques ont connu un essor très faible.

La montagne est devenue un référent imaginaire très fort de notre civilisation notamment dans la société française (même si la France n'est pas le pays au sein duquel ce phénomène est le plus manifeste). Nous avons tellement investi la montagne comme lieu privilégié de cet espace symbolique que l'économie de la montagne s'est conformée à cet imaginaire en y trouvant les conditions de sa survie.

Vous m'interrogez sur la loi montagne, son esprit, son contenu et peut-être son évolution. Je ne suis pas spécialiste. En revanche, je voudrais profiter de cette question pour mettre en exergue le rapport entre l'émergence de cette représentation de la montagne et l'apparition de l'idée que les espaces de montagne étaient susceptibles de bénéficier de réglementations particulières comme en France, en Italie, en Suisse et plus largement dans les pays européens. D'où vient cette idée peu conforme à la tradition républicaine et juridique française ?

La France a en effet beaucoup hésité à introduire des différences dans les lois relatives à différentes portions du territoire national. L'idée qu'un espace méritait d'être qualifié de montagnard corrobore l'hypothèse selon laquelle la montagne est devenue depuis trois siècles un espace naturel doté de ses propres lois et dont la population locale est singulière. En effet, avec l'invention de la montagne, s'est forgée l'image du montagnard et des stéréotypes qui font sourire aujourd'hui : le bon sauvage ou le crétin des Alpes avec ses variantes pyrénéennes ou du Massif Central.

Le montagnard devait être différent car il vivait dans un milieu différent ; vision que les montagnards eux-mêmes ont réfutée pendant très longtemps. D'ailleurs, la qualification même de montagnard leur semblait incongrue. Pour les Français de l'époque, la montagne était toujours située ailleurs, ce n'était jamais l'endroit où l'on se trouvait. Il a fallu des décennies pour que les populations qualifiées de montagnardes par les touristes ou les citadins commencent à accepter cette appellation. En effet, l'image du montagnard avec ce qu'elle induisait d'archaïsme, de tradition, d'arriération était péjorative.

La France n'a jamais vraiment considéré que ses traditions montagnardes participaient de son identité, comme ce fut le cas dans les pays voisins, en Suisse par exemple ou dans l'Autriche du XXe siècle, pays au sein desquels l'image du montagnard est emblématique. Les habitants des Alpes ou du Jura suisse revendiquent l'appellation de montagnard depuis beaucoup plus longtemps que les Français. En France, les revendications identitaires qui apparaissent seulement dans les années 1960-70 se sont produites à des rythmes variables selon les régions. Il a fallu que les identités évoluent pour que l'idée d'une communauté de destin ou d'intérêts représentés par des élus et des institutions émerge.

Ces populations ont dû aussi changer la manière de se présenter aux autres Français ainsi qu'aux institutions chargées de soutenir ou de voter cette loi montagne qui émerge très tard dans le débat politique français. Car l'idée même qu'il puisse y avoir un espace dans le territoire bénéficiant d'une loi spécifique et s'appuyant sur l'idée que l'espace, ainsi que ses populations, sont spécifiques, est étranger à la culture politique de la France. Cette idée est beaucoup plus ancienne en Suisse. L'actualité de cette loi montagne réside dans la question de savoir si, indépendamment de son efficacité, la France a besoin d'une loi montagne.

Est-elle nécessaire à ses habitants afin d'exister en tant que montagnards ? Cette lecture de la loi montagne très culturelle car indéniablement liée aux identités, est-elle encore pertinente aujourd'hui ? Personnellement, je ne détiens pas la réponse, mais la forte attente politique en ce sens des élus, et notamment des représentants de l'Assemblée nationale des élus de montagne ainsi que de la population locale, paraît incontestable.

A mon sens, la loi montagne a un avenir si la société considère que ces populations doivent bénéficier de mesures spécifiques. L'actualité de la montagne réside dans ces représentations partagées ou réciproques que les Français entretiennent à l'égard de leurs montagnards et, inversement, dans l'idée que les montagnards se font de leur appartenance à l'espace français.

Se pose, de ce fait, la question des solidarités montagnardes infra-nationales, infra-communautaires ou internationales. En reprenant mon argumentaire, vous avez compris comment le montagnard est une invention culturelle du XVIII et XIXe siècle, un personnage sculpté, étranger aux populations concernées, étranger aussi pour les populations montagnardes qui relèvent d'autres civilisations. En effet, il est incongru pour les habitants de Tanzanie ou du plateau andin d'être qualifiés de montagnard par des gens appartenant à une civilisation qui ne relève absolument pas de la leur. Beaucoup de travaux ont porté sur les modes de désignation réciproque entre les groupes humains. La définition du montagnard n'est le fait d'aucune communauté traditionnelle pour parler d'elle-même ; elle est toujours plaquée par des communautés qui viennent de l'extérieur pour désigner une population qui vit dans un autre environnement que le sien. Pendant très longtemps, d'un point de vue identitaire et culturel, aucune communauté d'intérêt ne réunissait ces populations montagnardes.

Or, depuis quinze ans, nous constatons une mobilisation, un partenariat, une coopération décentralisée dans l'action des ONG, notamment à la faveur de l'année internationale de la montagne en 2002. Quantité de signes prouvent que se construit une communauté des montagnards du monde ; c'est-à-dire une communauté stratégique visant à faire porter la voix de ces populations généralement minoritaires, parfois opprimées, et de leur donner une tribune leur permettant de se parler entre elles, de parler au reste du monde et de s'exprimer du point de vue de la montagne.

Si les montagnards des pays européens se sont habitués à cette posture, celle-ci se révèle tout à fait nouvelle pour les montagnards d'Inde ou d'Asie centrale, bien qu'ils s'y prêtent volontiers, conscients des intérêts stratégiques qu'ils peuvent y trouver. L'image très positive de la montagne permet d'utiliser les médias et les instances internationales afin de promouvoir leur notoriété (comme cela s'est produit lors du conflit au Chiapas voici quelques années au Mexique : une mobilisation de l'imaginaire afin de faire passer un message politique). Se produit donc un processus de mobilisation très intéressant et auxquels les Français ne sont pas étrangers car ils y jouent un grand rôle.

J'apporte du crédit à cette communauté de montagnards du monde mais davantage sur le plan des identités telles qu'elles se construisent et sont affichées à l'extérieur pour des raisons stratégiques qu'au nom d'une vision selon laquelle ces habitants formeraient objectivement une communauté du simple fait qu'ils vivent à la montagne. Les milieux de vie sont en effet différents en Europe à 2000 mètres ou sous l'Equateur à la même altitude. De plus, les niveaux de développement technique ne sont pas non plus les mêmes. Cela dit, je pense qu'une vraie solidarité peut naître.

Cette communauté d'identité échappe aux référents culturels, politiques, géologiques nationaux. Tel est le crédit que j'apporte à cette mobilisation internationale qui, à mon avis, doit être prise au sérieux, car elle repose sur la capacité des groupes à se construire des identités réciproques et respectives.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci beaucoup pour ce très riche exposé. Je voudrais, Monsieur le professeur, vous interroger sur deux points. Le premier concerne les ressources. Vous avez évoqué le triptyque qui fonde toutes les orientations et la politique montagne : le tourisme depuis les aventures de Rousseau dans les Alpes et les Anglais à Chamonix.

Vous avez parlé de la production agricole et des difficultés rencontrées par ce secteur à partir de l'industrialisation au XIXe siècle, et enfin de la protection de la nature. Sur ce dernier point, quelle place accordez-vous à la ressource en eau ? Il est vrai que cet élément est d'abord physique mais vous êtes-vous penché dans vos travaux sur cet aspect qui devient une urgence s'agissant de la protection de la nature ? De plus, pensez-vous que l'existence de la loi montagne se justifie encore ?

Vous avez évoqué à plusieurs reprises l'exemple de la Suisse. À la différence de ce pays, si j'ai bien compris vos explications, la France a eu besoin d'une loi montagne, car l'identité culturelle du pays ne s'enracinait pas dans les traditions montagnardes, il a donc fallu rappeler que la montagne faisait partie de l'hexagone. Les habitants de la montagne ayant parfois eu le sentiment de ne pas être pris en compte dans cette identité nationale, ils ont revendiqué une égalité de traitement, une solidarité, une compensation des handicaps. Aujourd'hui, la France n'est toujours pas la Suisse et la culture des montagnes ne représente pas le drapeau de la culture française. Pensez-vous, comme je tends à le croire, que la loi montagne soit toujours d'actualité ? Ou peut-on faire l'économie de cette loi bien que la montagne ne soit pas au fondement de l'identité nationale ?

M. Bernard Debarbieux - Concernant votre première question, les forêts et les montagnes françaises sont bien pourvues en eau. Peu de régions souffrent d'un déficit hydrique important à la différence du Maroc, par exemple, ou d'autres régions du monde. Plus largement, les montagnes sont bien pourvues en ressources naturelles, la question est de savoir de quelle manière ces montagnes doivent contribuer à l'approvisionnement du territoire, essentiel au bon fonctionnement du pays dans son ensemble. Vos interrogations me semblent relever du terrain du politique. S'il est possible de considérer que les montagnes sont bien pourvues en eau et en forêt et ne constituent pas aujourd'hui une source de dégradation de ces ressources, les montagnards exerçant une pression modeste sur ces ressources, comment introduire des modes de gestion qui seraient conçus dans l'intérêt du territoire national dans son ensemble ?

Devons-nous équiper les régions de montagne de réservoirs afin que des ressources en eau douce soient maintenues en altitude et permettent d'irriguer la basse Vallée de la Durance ou de contrôler les inondations de la Vallée de la Loire ? Doit-on introduire des contraintes afin de permettre des usages en altitude basse qui sont impossibles sans les contraintes exercées sur les régions de montagne ? La réponse est éminemment politique. Tout dépend de la légitimité des instances nationales ou des pouvoirs économiques localisés à imposer des contraintes aux populations résidant sur les hautes altitudes et qui pourraient aller à l'encontre de leur intérêt et de leur propre mode de gestion.

À mon sens, les habitants de ces zones me semblent responsables des ressources dont ils disposent, mais, selon un principe simple de solidarité, il me paraît normal de concevoir la gestion de l'exploitation naturelle. D'ailleurs, au sein des schémas d'aménagement des eaux (SAGE), la gestion de l'eau donne déjà lieu à des plates-formes de discussion et de concertation où se retrouvent des individus dont les intérêts sont divers qu'ils soient concernés par les usages agricoles, hydrauliques ou touristiques de l'eau. La question des ressources en eau, abordée jusqu'ici uniquement sous l'aspect technique, devient donc une question politique. L'échange des points de vue me semble fondamental : la ressource est importante, et elle met le doigt sur des mécanismes fondamentaux de la démocratie contemporaine.

Votre deuxième question concerne la loi montagne. Au nom de la solidarité nationale, les régions, grands ensembles urbains, centres sidérurgiques en crise ou zones de montagnes, c'est-à-dire des territoires qui éprouvent des difficultés à être performants au sein d'un système économique libéral, doivent bénéficier d'aides. Il ne s'agit pas simplement d'un choix ou d'une action politique, cela me paraît plutôt respecter l'idée de nation, de solidarité. Cela dit, il faut rappeler que l'aide à l'agriculture de montagne existait avant que la loi montagne soit votée.

La loi montagne me paraissait intéressante quand elle posait la question du droit du travail et du droit des assurances sociales dans un contexte où la pluri-activité des montagnards se développait. Il fallait adapter le droit du travail dans un milieu où le salariat n'était pas forcément la norme. Même si la loi a contribué à faire émerger le débat, je ne suis pas sûr que toutes les questions ont été résolues d'autant que les décrets d'application ont mis du temps à paraître. Si les outils de solidarité sont indispensables, la loi montagne est-elle le cadre indispensable pour résoudre ces problèmes ? Des textes sectoriels sont aussi envisageables. Un juriste pourrait vous répondre plus précisément.

Enfin, je voulais ajouter que les processus actuels de la décentralisation, de la démocratie participative, de la recomposition territoriale, entraînent de grands changements dans les façons de concevoir la prise en charge de leur destin par les collectivités territoriales. La loi montagne est arrivée au moment où les lois de décentralisation venaient juste d'être votées, mais n'avaient pas encore eu d'effets considérables sur les processus de développement territorial. Cette loi a été utile à la reconnaissance de ces territoires.

Mon sentiment aujourd'hui est que la loi Voynet, la mise en place de l'intercommunalité, des pays, la multiplication des Parcs naturels régionaux et surtout la multiplication des initiatives locales spontanées font que tout territoire local sera capable de prendre en charge une réflexion sur son propre destin, sur la singularité de son contexte, sur les outils visant à permettre son développement. Cela ne signifie pas que la solidarité soit inutile, mais ces lois donnent la possibilité aux territoires de mettre en valeur leurs ressources. Ces initiatives fonctionnent bien notamment dans l'Ouest de la France, indépendamment du cadre montagnard.

Si mon interprétation optimiste était fondée, les territoires considérés comme montagnards disposent aujourd'hui des outils d'aménagement. Si la loi montagne a été utile au milieu des années 80 pour faire comprendre l'idée que l'hétérogénéité du paysage français était un atout, aujourd'hui, cette loi est devenue symbolique car les lois d'aménagement du territoire sont plus ambitieuses que ne l'était la loi montagne. Mais d'un point de vue juridique, réglementaire, peut-être cette loi a-t-elle encore une utilité. Dernier point, la loi montagne comporte un aspect emblématique très important s'agissant des contraintes d'urbanisation au bord des lacs en haute altitude ou sur le littoral. Ces textes cherchent à protéger une certaine idée du territoire ainsi qu'un accès à la ressource touristique ou paysagère.

Ces éléments doivent-ils exister uniquement dans le cadre d'une loi générale comme la loi montagne ou la loi « littoral » ou peuvent-ils être inscrits dans le cadre d'une loi plus sectorielle de protection de l'environnement ? Texte symbolique, juridique, réglementaire, la loi montagne comporte aussi un agrégat d'éléments extrêmement différents, lesquels méritaient à l'époque d'être traités séparément. Peuvent-ils être dissociés aujourd'hui ? Mon opinion n'est pas arrêtée là-dessus.

30. Audition de Mme Anne-Marie Comparini, présidente du Conseil régional de Rhône-Alpes, membre de l'association des Régions de France (26 juin 2002)

M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur - Nous sommes très heureux de vous accueillir et vous remercions d'avoir répondu à notre proposition d'audition. Je voudrais excuser Jacques Blanc qui a été rappelé de façon imprévue en Lozère. Notre mission travaille aussi diligemment que possible, en dépit des échéances électorales et des vacances en août, afin de remettre notre rapport début octobre. La visite des massifs est presque achevée. Et nous souhaitons aussi rencontrer les élus et les responsables socioprofessionnels. Nous souhaitons obtenir des éclairages sur le bilan de la loi montagne vue sous l'angle de l'action des régions. Nous allons vous entendre à partir d'une grille de questions que nous vous avons adressée, lesquelles concernent l'ensemble des régions, dont celle que vous présidez, la région Rhône-Alpes, dans la politique « montagne ». Vos remarques complémentaires seront évidemment les bienvenues.

Mme Anne-Marie Comparini - Je souhaite remercier nos collègues du Sénat d'avoir songé à inviter un président de région désigné dans le cadre de l'Association des régions de France (ARF). Je tiens tout d'abord à effectuer un propos liminaire. Cette réflexion sur les outils montagne me semble renvoyer directement à la question de la modernisation des collectivités locales et territoriales. Toutes les régions comportant des massifs montagneux ayant signé, par exemple, des conventions de massif, se plaignent que les institutions soient illisibles ou inefficaces, ce qui correspond aux principaux griefs adressés par les citoyens aux politiques lors de la dernière campagne électorale.

Nous souhaitons que nos responsabilités et nos compétences soient clairement définies. La région Rhône-Alpes dispose de trois massifs : massif du Jura, massif des Alpes et Massif central. Aujourd'hui, nous sommes les correspondants de préfets éloignés. Ces derniers nous envoient des préconisations - terme que j'emploie car je suis femme et douce - nous demandant de remplir des tâches non discutées au sein des exécutifs régionaux. Je vous adresse ce propos car, dans le cadre de votre mission, vous disposez certainement des moyens d'étudier ce problème et de déterminer clairement ce que doit être l'implication des régions dans les grands enjeux stratégiques dont la montagne fait partie.

Vous me demandiez de quelle manière la région s'immisce dans le développement de la montagne et notamment quelle est la part du contrat de plan Etat-région de Rhône-Alpes, y compris les crédits hors volet montagne, consacrés aux zones de montagne. Le volet montagne du CPER 2000-2006 correspond à un programme de 160 millions d'euros pour l'Etat (1 milliard de francs) et 120 millions d'euros pour la région (816 millions de francs).

Dans ce chiffre, est inclus le programme sécurité des routes de la montagne qui, pour les trois quarts, concerne le département de la Savoie puis la Haute-Savoie, l'Ain ainsi que la partie Loire vers la région Auvergne.

Les conventions interrégionales de massif, adoptées au conseil régional en 2000, constituent un second outil. La région a assuré le financement des actions concrètes proposées par les commissaires de massif à hauteur de 213 millions de francs. De plus, en liaison avec les conseils généraux de la région, nous avons veillé à ce que les programmes européens, comme LEADER II, INTERREG III (volet franco-suisse pour le Jura, volet franco-italien pour les Alpes, ainsi que le volet sud-est pour le Massif Central), soient tous ciblés sur cette politique montagne. Si nous disposions uniquement de ces mesures (volet montagne du contrat de plan Etat-région, aides européennes), les moyens financiers ne seraient pas à la mesure des enjeux du Massif Central, lequel s'étend de la région Rhône-Alpes à la région Midi-Pyrénées.

Pour ce qui concerne la région Rhône-Alpes, nous avons donc décidé que les politiques de droit commun de la région puissent alimenter les décisions prises par les commissaires de massif. Ainsi, nous jouons aussi sur les contrats de développement Rhône-Alpes qui comprennent un volet agricole important. Nous jouons aussi sur les politiques agricoles de droit commun de la région Rhône-Alpes c'est-à-dire les programmes intégrés de développement agricole sur les produits, sur l'aide au pastoralisme, sur des programmes de recherche pour l'agriculture de montagne, sur la gestion des espaces dans l'agriculture et la forêt. Par an, ce budget s'élève à 40 millions d'euros consacrés à notre agriculture de montagne sur les trois massifs de la région Rhône-Alpes.

Le professeur Debarbieux affirmait que la montagne était un agrégat d'éléments différents, c'est à partir de ce constat que la région travaille. De plus, l'idée a émergé à la suite du premier sommet du tourisme de Chamonix qu'il fallait construire le tourisme du XXIe siècle, car ce secteur est un vecteur d'emplois bénéfique aux zones qui vivent de la montagne. Nous essayons avec les contrats de stations moyennes, avec les contrats de stations thermales qui se trouvent dans nos massifs, avec ce que j'appelle la mise en place du tourisme intelligent, d'apporter du soutien aux grands itinéraires de randonnée, de faciliter l'accès des handicapés aux sports de montagne, d'impulser une politique touristique permettant, pour un budget total de 40 millions d'euros, de bien positionner le massif de Rhône-Alpes dans les flux européens.

Notre politique transport vise aussi à apporter un atout supplémentaire à nos montagnes ; ne pas régler le problème les Alpes, dernier bouchon noir en Europe, que ce soit dans la vallée de Chamonix ou de la Maurienne, conduit à mettre en difficulté notre patrimoine naturel et notre activité économique. De plus, l'impossibilité d'accéder à ces zones nuit au pouvoir d'attraction de la région. D'où l'intérêt du programme sécurité montagne lancé par Michel Barnier lorsqu'il était président du conseil général de Savoie ou nos réflexions sur des solutions innovantes en matières de fret.

L'animateur de montagne de Saint-Jean de Maurienne et le responsable du Parc Naturel des Monts d'Ardèche ne sont pas chargés de lire le Journal Officiel tous les matins. Ils éprouvent donc quelques difficultés à savoir comment les collectivités travaillent avec l'Etat.

C'est pourquoi j'ai demandé la parution d'un vade-mecum à destination de nos collègues des zones de montagne retraçant les lignes budgétaires du conseil régional Rhône-Alpes qui soutiennent nos politiques de montagne.

Comme le conseil régional de Savoie nous a demandé de travailler sur le développement économique, je me demande si les collectivités ne devraient pas se mettre ensemble pour bien expliquer ce genre de choses.

Enfin, au titre de l'année internationale de la montagne, le conseil régional Rhône-Alpes a demandé au Conseil économique et social de notre région d'entamer une réflexion sur les enjeux de développement particulier du territoire de montagne en Rhône-Alpes. Ce rapport attendu à la fin de l'année 2002 nous permettra d'inclure les préconisations du Conseil économique et social dans le schéma Rhône-Alpes "Imaginons Rhône-Alpes 2020", dont nous aimerions qu'il comporte un projet régional montagne.

Vous me posiez une deuxième question : comment l'implication des régions dans la politique montagne pourrait-elle être accrue ? Cette interrogation sur la montagne, de même que les thématiques portant sur les transports ou les nouvelles technologies de l'information et de la communication, renvoient à l'intercommunalité des régions. Comme les syndicats ou les communautés de communes ont réussi leur intercommunalité, il nous faut réussir l'intercommunalité régionale et permettre aux régions frontalières de s'ouvrir aux autres régions européennes.

Cela me paraît très important que l'intercommunalité, sans défaire l'Etat, nous autorise à travailler avec d'autres régions d'Europe, ce que permet déjà partiellement INTERREG III. De plus, puisque toutes les collectivités élaborent leurs propres schémas d'aménagement et de développement du territoire, le gouvernement et les deux assemblées pourraient, grâce à une vue d'ensemble, en extraire les enjeux qui dépassent le niveau de la région.

Ce projet, évoqué sous Balladur, a été abandonné depuis 1997. Or cette lecture nationale permettrait de ne pas manquer certaines opportunités. Dans cette optique, j'ai demandé aux services de la région et à la commission aménagement du territoire de la région Rhône-Alpes que soit mis en place un projet régional montagne dans notre schéma. Par ailleurs, j'ai sollicité mes collègues présidents de régions qui ont en charge de grands massifs de penser à le faire. Cette démarche permettrait une plus grande cohérence de la politique montagne.

Question trois : vous vous demandez si les comités de massif doivent devenir des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) interrégionaux afin d'en faire des organes décentralisés et impliquer davantage les régions. J'aimerais d'abord préciser que les comités fonctionnent de façon vraiment insatisfaisante pour deux raisons. Une raison technique d'une part ; les comités de massifs disposent en effet de moyens financiers très réduits. Le manque d'argent les incite donc à se tourner vers les commissariats de massif, c'est-à-dire vers le préfet, lequel nous envoie ses préconisations.

De plus, les exécutifs régionaux sont faiblement représentés dans ces comités. Tant que ces éléments techniques et politiques ne sont pas résolus, il me semble difficile de vous répondre sur le bien-fondé d'un EPCI. Il faut trouver le moyen pour que les textes permettent une action réelle des exécutifs régionaux afin que l'on ne puisse plus nous demander de désigner des représentants du conseil régional en assemblée plénière.

En effet, les conseillers régionaux qui se rendent à ses réunions aujourd'hui ne sont pas soutenus par une majorité régionale. Ainsi, en l'état actuel des choses, quelle est la nécessité de créer un niveau de plus au mille feuilles administratif français ? De toute façon, les exécutifs régionaux ne pourront plus assister à toutes les réunions.

Avant de mettre en place les EPCI, essayons de voir préciser très clairement les compétences de chacun.

Et si des compétences supplémentaires doivent être attribuées, pourquoi ne pas songer au président du conseil général ou du conseil régional ? Réfléchissons d'abord à savoir qui sont les patrons dans la région : les préfets ou les assemblées élues qui disposent d'un budget? Ensuite, nous pourrons travailler aux outils administratifs à mettre en oeuvre.

Question quatre : quelles sont les conséquences pour la région Rhône-Alpes de la réunification des massifs ? Nous en sommes ravis car cette séparation des deux massifs était artificielle. L'intérêt désormais est que la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur travaille ensemble. L'astuce serait d'englober aussi les Alpes qui se trouvent du côté italien, ainsi un équilibre se créerait entre Paca et Ligurie, Rhône-Alpes et le Piémont mettant fin à des stratégies qui étaient divergentes jusqu'à présent et aussi à la guerre de la clientèle. La coopération permettra d'ériger les Alpes en un massif européen qui attirera les grands flux.

Question cinq : quel jugement portez-vous sur le fonctionnement des organismes relatifs à la montagne, en particulier dans votre région (commission spéciale des unités touristiques nouvelles (UTN), comités de massif, commission permanente...) ? La région Rhône-Alpes n'est pas invitée à participer à la commission spéciale des unités touristiques nouvelles, donc je n'ai pas de jugement.

S'agissant des comités de massif, pour le Massif Central, dont l'instance regroupe 75 membres, notre présence n'est pas aussi forte que nous le souhaiterions puisque deux représentants de la région Rhône-Alpes seulement y siègent, désignés par l'assemblée de ce fait. Pour le massif du Jura comportant 49 membres, dont 25 représentants des collectivités territoriales (régions, départements, territoire de Belfort, communes et groupements), nous sommes représentés par deux conseillers régionaux, et pour les Alpes du Nord, selon l'ancien document, nous disposons de quatre conseillers régionaux désignés par l'assemblée régionale.

Ces chiffres prouvent que le préfet reste le patron. Ainsi, soit cette compétence relève de l'Etat et les préfets vont jusqu'au bout de leur mission, à l'inverse, si les collectivités se voient reconnaître un pouvoir de décision, il s'agit de reconstruire les structures en les adaptant au terrain. Enfin, un autre élément me semble gênant : bien que j'en ai fait la demande à trois préfets coordonnateurs de massif, nous ne sommes pas autorisés à utiliser nos services. De plus, mises à part les préconisations des préfets et la demande de moyens financiers, nous constatons le peu de retour en informations reçues par les exécutifs des régions.

Sixième point : quel regard portez-vous sur les règles d'urbanisme et les différents dispositifs permettant de les préciser (Directives Territoriales d'Aménagement (DTA), prescriptions de massifs), en particulier dans votre région ?

Deux DTA ont été mises en place dans la région Rhône-Alpes, celle de Lyon et celle des Alpes du Nord. Ce dispositif a identifié de manière intéressante l'enjeu spécifique du massif des Alpes du Nord, même s'il s'en tient à des préconisations. Quand nous interrogeons le préfet sur la manière d'aller plus loin, il nous propose de créer des SCOT (schémas de cohérence territoriale) à l'échelle du massif. Je ne suis absolument pas d'accord avec cette proposition dans un contexte où les collectivités territoriales fonctionnent bien. De plus, nous avons déjà travaillé sur les DTA et les contrats de pays se mettent en place.

Plutôt que créer des strates de décision supplémentaires, il faudrait, aujourd'hui, clarifier l'utilisation de ces outils. Voilà ce que je voulais vous indiquer sur les questions que vous m'avez posées.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci, Madame la présidente, de ces précisions éclairantes. Nous avons des questions à vous poser. Pour ma part je me limiterais à une seule question qui ne figure pas dans la grille. Les lois d'orientation et d'aménagement du territoire ont prescrit l'élaboration de schémas de services collectifs. Au travers de votre expérience, quelle vision avez-vous de l'élaboration de ces schémas de service en montagne, croisés avec les contrats initiés par la région et avec les procédures de pays, les politiques contractuelles ou définies de manière unilatérale par l'Etat ? De même, vous avez parlé de mille feuille s'agissant des collectivités territoriales. Ce mille feuille n'est-il pas aussi le fait de ces procédures ?

Mme Anne-Marie Comparini - Vous évoquiez le schéma de services collectifs sur lesquels les collectivités ont beaucoup travaillé. J'ai regretté le manque de transversalité que nous avons constaté dans la région Rhône-Alpes. En effet, des schémas agriculture, économie, transport ont été élaborés, mais le croisement des réflexions qui aurait permis de faire émerger les grands enjeux de la région n'a jamais été possible. Les schémas de services collectifs ainsi que les schémas d'aménagement du territoire, mis en oeuvre sur le terrain, n'ont jamais bénéficié d'une lecture nationale.

J'aimerais que le nouveau gouvernement soit attentif à cela. Il pourrait utiliser les avis demandés aux collectivités territoriales afin d'alimenter la réflexion au niveau national. Ainsi, peut-être, pourrait-il s'apercevoir que certains enjeux relèvent d'une démarche transversale, comme, par exemple, la montagne, le fleuve. Deuxième élément, s'agissant des contrats de pays et d'agglomération, je ne peux que constater l'intérêt qu'y portent mes collègues même si cette démarche est souvent lourde. Je crois que nous nous orientons dans la bonne direction, prenons garde toutefois à l'articulation de ces structures avec les départements, les régions. La discussion doit être menée sans passion afin de voir comment profiter du XXIe siècle et garder le meilleur de ce que nous avons.

M. Jean Boyer - Vous avez la charge d'une des plus grandes régions de France où l'équilibre entre les grandes métropoles, Lyon, Saint-Etienne et Grenoble, est satisfaisant. De plus, cette région dispose de territoires de haute montagne bénéficiant d'un tourisme alpin et d'un territoire de moyenne montagne où les centres de consommation et les centres de production (agroalimentaire, abattoirs, collecte de lait) ne sont pas très éloignés.

Pensez-vous, Madame, que la création de jumelages avec l'arrière-pays puisse être bénéfique dans votre région, c'est-à-dire donner l'autorisation à des entreprises ou des individus travaillant dans des zones suréquipées de s'implanter dans des zones plus désertifiées afin de permettre un échange entre le tourisme et l'économie puisque la population suit le travail ? Mais la région Rhône-Alpes ne représente peut-être pas le cas de figure idéal puisque les métropoles sont bien réparties...

Mme Anne-Marie Comparini - Les huit grandes villes de la région se répartissent effectivement très correctement sur le territoire. Et nous disposons maintenant de 6 parcs naturels régionaux.

Nous considérons en effet, et cela répondra à votre question, que préserver l'environnement était indispensable face à l'activité de Grenoble, Lyon, Saint-Etienne, dont le développement risque d'absorber tous les terrains. Ainsi, selon nous, concentrer l'activité sur les zones Lyon-Chambéry-Saint-Oyen, plutôt que l'étendre, nous semble préférable.

L'agriculture périurbaine assure un joli revenu aux jeunes agriculteurs. Je constate d'ailleurs personnellement sur le marché le samedi matin que mes produits coûtent très cher.

Nous avons également besoin de conserver un très beau patrimoine naturel car le tourisme est la première activité touristique de notre région. De ce fait, je n'imagine pas possible de dire : nous ne disposons plus de terrain aux alentours de Lyon, donc nous allons installer les zones industrielles sur le territoire du parc naturel régional de la Chartreuse.

Nous sommes parvenus à un équilibre. D'ailleurs, le taux d'installation des agriculteurs dans la région tourne autour de 2,8 pour les années 2000 et 2001, car nous avons réussi la pluri-activité pour l'agriculteur en mélangeant agriculture de montagne et activité touristique lui permettant d'obtenir deux salaires.

Nous souhaiterions par ailleurs acheter des terrains pour les jeunes agriculteurs autour du franco-genevois ou dans l'Ardèche du sud et la Drôme, où les terres sont aujourd'hui reprises par les Suisses. Or la loi du 2 mars 2000 dite loi Gayssot concernant l'outil de gestion de foncier, qui nous aurait permis de créer des sociétés d'investissement régionales, est inapplicable.

Sur 20 régions françaises, seules deux régions ont tenté vainement de l'appliquer : la région Ile-de-France dirigée par Jean-Paul Huchon et la région Rhône-Alpes. Cette loi, dont l'idée est bonne, est à revoir. Donc, je pense qu'il faut préserver des terres car le tourisme est la première activité touristique de notre pays et qu'il ne faut pas casser la poule aux oeufs d'or.

M. Gérard Bailly - J'ai apprécié votre interrogation concernant l'organe de décision compétent : s'agit-il du préfet de région ou des représentants des différentes collectivités, des forces économiques, des forces vives ? J'opterais bien sûr pour la deuxième alternative car les gens du terrain connaissent mieux les besoins.

Voici 25-30 ans, quand nous bénéficiions des crédits du Fonds interministériel pour le développement et l'aménagement rural (FIAM), le Préfet retenait les opérations que le monde économique, le monde des élus avait définies dans ses comités. Il me semble tout de même que cela a beaucoup évolué.

J'aimerais vous poser deux questions. Les zones de montagne engendrent des coûts importants pour créer et entretenir les routes, impulser les nouvelles technologies d'information et de communication, développer la téléphonie mobile-les opérateurs ayant pris en charge la construction de réseaux dans les secteurs de plaine en délaissant les zones de montagne, - les coûts aussi en aménagement, en assainissement. Tout est beaucoup plus cher qu'ailleurs.

Pensez-vous que le système de péréquation actuel soit satisfaisant ?

Pour ma part, je ne le crois pas. Si nous souhaitons que les territoires de montagne aient un avenir, est-ce qu'une grande réflexion ne doit pas être menée sur ce problème de la péréquation ?

Ma deuxième question prend le contre-pied de ce que vous avez déclaré à mon collègue. Une zone de montagne représente un atout touristique important. Mais pour que cet atout existe, il faut une agriculture qui puisse aménager l'espace mais aussi une vie durant les neuf mois de l'année où le tourisme est absent ; c'est-à-dire pour les habitants de ces régions, la nécessité d'avoir une autre activité.

Or beaucoup de touristes délaissent les grandes stations au profit de territoires beaucoup plus isolés. Il me semble qu'aujourd'hui, certains projets économiques peinent à se mettre en place dans ces régions. Comment convaincre un banquier, un médecin, un épicier, de rester ? Or j'ai l'impression que le monde citadin ne souhaite pas que des activités subsistent en montagne car il préfère passer ses vacances dans un cadre qui correspond à la montagne des années passées.

Les gens de la montagne s'offusquent de cela. Il faut accepter que des investissements maîtrisés puissent être faits à la montagne. Auparavant 40 agriculteurs de base permettaient à l'épicier du coin, au café de subsister, or maintenant ce poids n'existe plus. La question de l'aménagement du territoire ne peut exclure cette réflexion. Aujourd'hui, faire un dossier dans les zones de montagne devient très compliqué, d'autant que les coûts sont prohibitifs et les enquêtes longues.

Dans le Jura, nous essayons de préserver l'environnement tout en nous souciant de l'activité. Car nous sommes en train de vider la substance de cette région. Quel est votre sentiment sur cette question ?

Mme Anne-Marie Comparini - Pardon, je suis un rat des villes et peut-être vais-je dire des choses trop idéalistes ou naïves. J'évoquais ce sommet du tourisme qui s'est déroulé à Chamonix l'an dernier. Un professeur de l'université de Lausanne, lequel partait de votre souci d'une vie dans les zones de montagne, affirmait que l'Europe étant entrée dans une économie de loisirs, il fallait veiller à ce que perdure une activité touristique tout au long de l'année dans ces territoires.

Suite à cette intervention, j'ai demandé au Conseil économique et social de développer ces idées car, pour nous, pays européens, l'intérêt est grand de retenir ces touristes, notamment les personnes du troisième âge qui voyagent d'octobre à mai. Même si travailler peu n'est pas une philosophie de vie pour tout le monde, nous sommes entrés dans une période où nous sommes encore en forme à la fin de la vie active. Le retraité aura donc envie de voyager, de rencontrer des pays et des cultures tout au long de l'année.

S'agissant des activités industrielles en zones de montagne, nous avons l'exemple au fin fond de l'Ardèche d'entreprises qui réalisent des bracelets, des bijoux pour de grands couturiers. Cette activité de PME-PMI marche bien. L'installation de ces entreprises implique évidemment que la région leur offre le même environnement technologique que s'ils se retrouvaient à Grenoble ou sur la zone Annecy-Chambéry ou sur le technopôle « Technolac ».

Or, souvent, nous ne pouvons pas attendre l'Etat. Et comme nous ne pouvons pas non plus manquer les grandes révolutions, la région Rhône-Alpes avec les présidents de départements a décidé par exemple de mettre en oeuvre un plan nouvelles technologies qui sera voté le 18 juillet. En effet, si nous attendions les initiatives de l'Etat, nous serions déjà loin derrière le Maroc et la Tunisie, ce qui est gênant pour notre activité.

Les PME-PMI ne doivent en effet pas être négligées. Ces niches renferment de jeunes diplômés sortis d'écoles qui dynamisent le territoire. Mais nous ne pouvons vendre ces territoires que si la téléphonie mobile fonctionne correctement dans ces zones et que le haut débit devient une réalité.

De grandes entreprises, leaders mondiaux dans leur secteur, installées à Montbrison accèdent au haut-débit depuis une quinzaine de jours seulement. Elles étaient très en colère et menaçaient de quitter la région.

C'est pourquoi je me suis définie au début de mon intervention comme un rat des villes. Pour moi, la recherche et la technologie sont bonnes pour toutes les activités humaines qu'il s'agisse des entreprises, du tourisme intelligent ou de l'agriculture.

Ne gardons pas la matière grise qui caractérise le siècle dans lequel nous vivons, uniquement tournée vers les nanotechnologies ou nos médicaments. Faisons en sorte qu'elle nourrisse toutes nos activités humaines. Le travail de l'institut du fromage sur la sécurité alimentaire est admirable et, ainsi, quand le Saint-Nectaire va mal, les fromages de la région Rhône-Alpes se portent bien.

M. Jean-Paul Amoudry - Puis-je vous poser une ultime question impertinente dans la suite de celle de mes collègues ? Avez-vous établi un plan concret s'agissant des nouvelles technologies de l'information et de la communication ? La région a t-elle pris des initiatives pour se donner des échéances et qu'avez-vous envisagé au titre de l'aménagement du territoire ?

Mme Anne-Marie Comparini - Nous avons inauguré l'an dernier la première plaque du réseau haut-débit régional, une infrastructure intégralement financée par la région à hauteur de 7 millions 600.000 euros. Cette plaque comportant douze points de sortie, nous avons réussi à obtenir au moins un point de sortie pour chacun des départements de la région Rhône-Alpes.

Le système a bien fonctionné puisque certains départements se sont connectés à notre grande autoroute régionale. Nous pouvions donc aller plus loin, c'est pourquoi nous allons voter au conseil régional le 18 juillet un plan de trois ans dont le financement s'élève à 100 millions d'euros.

L'objectif, dans un premier temps, est de travailler sur les infrastructures. C'est-à-dire veiller à ce que, à partir des douze points de sortie qui existent déjà, tous les points du département soient irrigués à la fois en TIC et en téléphonie mobile. Dans certaines zones rurales, des restaurateurs perdent des marchés en raison des défaillances du réseau.

En outre, pour les industriels, en matière de nouvelles technologies, nous disposons de "hubs", comme à Lyon pour nos vols français. Aujourd'hui, quand j'envoie un e-mail au sénateur Michel Mercier par exemple, mon e-mail transite parfois par New York, alors qu'il partait de Charbonnières-Les-Bains. Une nouvelle technique onéreuse mais efficace installera le "hub" au niveau de la région Rhône-Alpes et permettra aux industriels de gagner du temps.

Troisième point : les usages des NTIC pour la formation de salariés. Nous avons repris l'idée de l'usine d'Ugine et d'une association de la Vallée de la Maurienne, qui ont formé par ordinateur des salariés de PME-PMI. Je vais proposer d'étendre ce type de formation dans mon plan.

Dans trois ans, notre région devrait disposer d'un réseau dense et opérationnel, certes pour un investissement élevé, mais indispensable, néanmoins, à engager.

31. Audition de M. Louis Besson, ancien ministre, ancien président de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM), maire de Chambéry (26 juin 2002)

Merci de votre accueil. Je suis ravi d'évoquer à nouveau un sujet qui m'avait tenu à coeur avant que, devenant maire d'une ville, je ne m'éloigne un peu de ces préoccupations. Je ne souhaite pas me positionner d'une manière passéiste sur un travail réalisé dans les années 70 et concrétisé au milieu des années 80.

Cela dit, j'aimerais que mon intervention puisse vous aider à comprendre ce qui a été réalisé voici près de vingt ans. Vous m'avez interrogé sur les principales propositions du rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale de 1982 sur la montagne.

À l'époque, le rapport avait comporté 200 propositions législatives, réglementaires et communautaires, mais nous n'attendions pas qu'un projet de loi renferme autant de propositions, dont la moitié ne relevait d'ailleurs pas du champ législatif. Nous savions qu'il était très difficile qu'un projet de loi d'origine gouvernemental reprenne l'intégralité des propositions de la commission d'enquête. En effet, le projet de loi déposé au Parlement ne comportait plus qu'une quarantaine d'articles.

Mais comme la plupart des membres de la commission spéciale chargés d'examiner le texte, avaient aussi participé à la commission d'enquête, il est évident que, par voie d'amendement, toutes les dispositions législatives qui n'avaient pas été introduites dans le projet de loi l'ont été au cours du débat parlementaire. Ainsi ce projet de loi d'une quarantaine d'articles à son entrée au Parlement en est sorti considérablement étoffé, fort d'une centaine d'articles.

Ce qui n'avait pas été retenu s'expliquait par des difficultés au niveau du travail interministériel s'agissant par exemple du volet organisation du tourisme en montagne avec la maîtrise du manteau neigeux, le conventionnement... En effet, il était extrêmement difficile d'obtenir des points de vue convergents des ministères dont les préoccupations sont différentes.

La rédaction qui n'avait pu être achevée par les cabinets ministériels à cause des difficultés d'arbitrage, l'a été par le Parlement. Par exemple, le ministère de l'intérieur n'était pas favorable à l'octroi de prérogatives spécifiques aux communes de montagne complexifiant le code général des collectivités territoriales, dont le respect est assuré par le préfet.

Le ministère des finances pour sa part était sensible aux moyens de renforcer les sources de devises et le secrétariat d'Etat au tourisme bien sur n'y était pas défavorable. En revanche, le ministère de l'environnement qui se sentait le gardien du décret du 22 novembre 1977 sur les unités touristiques nouvelles (UTN) était au contraire réservé sur la poursuite de l'aménagement du territoire montagnard. Ainsi, les points de vue étaient tellement contradictoires qu'aucun texte arbitré n'a vu le jour pour être inscrit dans le projet de loi adopté par le Conseil des ministres.

Les travaux parlementaires ont eu un rôle essentiel, mais c'est à vous qu'il appartient, bénéficiant d'un recul de 17 années, d'examiner si cette loi a été pertinente. Je n'ai évidemment aucune prétention à vous éclairer sur ce point.

Le deuxième dossier pour lequel le retrait par rapport aux travaux de la commission d'enquête a été flagrant concerne la question délicate de la protection sociale des pluri-actifs.

Nous avions réussi à faire voter en première lecture à l'Assemblée nationale, une disposition établissant que le pluri-actif avait le choix de son régime et une fois la caisse choisie, il était à charge de cette dernière de régler les problèmes de coordination avec les autres caisses. L'ensemble des conseils d'administration des caisses centrales est monté au créneau et a indiqué au ministre de tutelle, qui était le ministre des affaires sociales de l'époque, qu'elles ne respecteraient pas ce texte. Leurs objections reposaient sur des raisons techniques, informatiques.

Chacune développait son logiciel en fonction des caractéristiques spécifiques à chaque régime et donc il n'était pas question pour elles de subir des perturbations afin de satisfaire quelques centaines de millions d'individus qui, à leurs yeux, étaient capables de se débrouiller. Le ministre des affaires sociales disait qu'il ne voyait pas comment contraindre une caisse à gérer à la place de l'assuré la complexité à laquelle était confronté le pluri-actif. Et devant cette position très tranchée, nous avons battu en retraite en nous assurant tout de même d'obtenir une avancée.

De là est né le décret de coordination qui a permis l'addition des durées de cotisation de chaque régime pour le calcul des droits à la couverture de certains risques. Car, en effet, auparavant si les pluri-actifs, c'est-à-dire des individus qui sont, par exemple, moniteur de ski l'hiver, agriculteur à l'intersaison et charpentier l'été, étaient victimes d'un accident du travail, ils se retrouvaient en fauteuil roulant, mais aussi au bureau d'aide sociale. Une année continue de cotisation au même régime était nécessaire pour bénéficier du remboursement des soins, exigence qu'ils ne pouvaient satisfaire en changeant deux ou trois fois de régime au cours de l'année.

Ainsi, ce décret de coordination a constitué une avancée considérable même s'il représentait un recul par rapport au régime simplifié que nous avions souhaité pour les pluri-actifs. Pour mémoire, les caisses avaient accepté le principe d'organiser des permanences pour les pluri-actifs mais ne les ont concrétisées que dans deux localités Moutiers et Saint-Jean-de-Maurienne et je n'ai pas eu connaissance que cette expérience fut étendue ailleurs.

Les caisses se sont refusées à rendre polyvalents leurs agents au point que même lors de ces permanences le régime général envoyait trois représentants. Car chaque branche a ses représentants ce qui crée parfois des situations originales : les agents des diverses caisses qui attendent les clients sont parfois plus nombreux que les clients eux-mêmes.

Nous aurions aimé aller plus loin sur un autre point : la question de la stabilisation des emplois saisonniers. Selon notre analyse, un certain nombre de jeunes pouvaient d'autant plus facilement choisir de s'installer en montagne sur des petites structures qu'ils pouvaient y obtenir des compléments d'emploi stables. Nous avons pu faire passer la disposition permettant aux collectivités locales de titulariser un saisonnier.

La fonction publique d'Etat s'est montrée hostile à l'idée qu'on puisse titulariser un saisonnier. Alors même qu'elle acceptait des contrats à temps partiel répartis sur l'année, elle n'acceptait pas un temps partiel concentré sur une partie de l'année.

Dans une autre question, vous me demandez le jugement que je porte sur les comités de massif. Nous avons été à l'initiative de la création de cette structure ainsi que du Conseil national de la montagne ; ces instances ont été conçues comme des lieux de tribune afin qu'une population très minoritaire dans le pays (de l'ordre de 7 %) puisse bénéficier de l'attention des pouvoirs publics. J'avais été mis en minorité sur l'idée que ces instances puissent être dirigées par des montagnards eux-mêmes choisis par leurs pairs.

Cette proposition a suscité un tollé, certains ayant considéré que j'ouvrais la voie à un désengagement financier de l'Etat. En conséquence, la présidence des instances a classiquement été attribuée à l'Etat et a évolué récemment en co-présidence s'agissant des comités de massif. Ce pas en avant me semble tout à fait positif.

Faut-il changer le statut des comités de massif et les transformer en établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ? Cette approche n'a pas été débattue à l'époque car traditionnellement, les EPCI assument surtout des responsabilités de maîtrise d'ouvrage. Or, il était souhaitable de créer une structure qui soit un lieu d'interface entre la montagne et les décideurs, un lieu de tribune pour les montagnards. Cette hypothèse n'a donc pas été envisagée. Peut-être faut-il, si des actions doivent être conduites à l'échelle des massifs, que des établissements publics interrégionaux voient le jour.

Je ne suis pas sûr qu'il faille pour autant se passer des comités de massif, bien que ces derniers manquent souvent de dynamisme et d'initiative. S'agissant de l'urbanisme en montagne, vous avez d'ailleurs sans doute remarqué que les comités de massif n'ont pas fait usage de leurs prérogatives.

Nous avions parfaitement conscience en rédigeant un chapitre spécifique à la montagne dans le code de l'urbanisme, qu'il était impossible de prévoir toutes les situations susceptibles d'être rencontrées dans des massifs très divers. De plus, il était déjà très difficile de faire admettre aux instances juridiques l'idée que des dispositions législatives spécifiques puissent être mises en oeuvre sur une partie du territoire. Affiner encore les dispositions de telle sorte qu'elles ne soient pas les mêmes dans les Pyrénées que dans les Vosges, dans le Massif central que dans les Alpes semblait difficilement envisageable. En revanche, nous allions trouver une possible réponse à une meilleure prise en compte de la diversité des massifs dans un document de type nouveau que la loi montagne allait créer : la prescription particulière de massif.

Nous attendions que cette prescription soit mise en oeuvre par les acteurs membres des comités de massif. D'autant que, les formes de l'habitat n'étant pas les mêmes selon les massifs, les réponses uniformes n'étaient pas très heureuses. Or, de ce point de vue, nous avons connu une certaine déception car aucune tentative d'élaborer ce type de document ne s'est manifestée. L'article 8 de la loi qui évoquait le droit à la différence n'a pas été utilisé. A l'époque, ce débat avait même été tranché sans aucun veto émanant de républicains sourcilleux qui auraient pu voir la République en péril dans ces déclinaisons de dispositions légales massif par massif.

Paradoxalement, du fait de l'absence de prescriptions particulières, nous n'avons pas retrouvé les distinguos établis dans la directive du 22 novembre 1977, laquelle prenait en compte l'altitude en-deçà ou au-delà de laquelle le régime était différent ; altitude modulée selon les massifs, 1.200 mètres dans les Alpes, 800 mètres dans le Massif Central.

Les prescriptions de massif auraient pu décliner les choses à un niveau infra-régional, mais cela n'a pas été le cas. Ainsi, lorsque la loi sur l'aménagement du territoire de février 1995 a été débattue, aucune voix ne s'est élevée contre l'abrogation de cette disposition, qui, finalement, a été rétablie ensuite dans le cadre de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU).

Est-ce que, aujourd'hui, cette disposition aura plus de chance de se voir concrétisée ? En tout cas, je crois que cette question provoquera au sein de votre commission un débat sensible. Quand l'abrogation des prescriptions particulières a été discutée en 1995, l'argument était qu'aucun dispositif de ce type n'avait été mis en oeuvre et qu'il existait d'autre part un nouvel outil d'aménagement du territoire.

Un consensus s'est établi au sein des gouvernements depuis sept ans pour réserver les directives territoriales d'aménagement (DTA) aux zones à fort développement démographique ou aux territoires où les enjeux de maîtrise foncière sont plus forts qu'ailleurs. La carte des DTA prouve que, s'agissant de la montagne, ce dispositif ne touche que les Alpes du Nord et une partie des Alpes maritimes, c'est-à-dire les secteurs soumis à de fortes pressions foncières, où la maîtrise des zones de construction ainsi que la préservation de terrain sont indispensables.

Une complémentarité entre la DTA et la prescription de massif peut donc être envisagée surtout si vous obtenez que soit confirmée la capacité juridique donnée aux prescriptions de massif d'adapter les dispositions d'application et non pas "préciser" comme inscrit dans le texte sur les DTA.

Une complémentarité est donc possible entre ces deux dispositifs d'urbanisme, encore faut-il que vous arriviez à en encadrer le champ de manière à vous protéger du risque d'inconstitutionnalité. Vous avez devant vous un problème délicat sur lequel il faudra travailler. Dernière question : est-il possible d'assouplir le droit de l'urbanisme en zone de montagne ?

Ma réponse est affirmative si cet assouplissement est strictement encadré.

D'autres aménagements sont également possibles à partir des enseignements que vous pourriez obtenir de l'application des dispositions spécifiques de la loi de montagne sur la protection et la constructibilité des secteurs proches des lacs de montagne.

Nous nous heurtions à ce que les techniciens de l'urbanisme appellent l'urbanisme de cutch. A l'aide du double-décimètre, nous vérifiions si nous satisfaisions aux conditions ou pas. Nous étions très souvent pris en défaut d'aberration parce que l'inconstructibilité était systématique sur 300 mètres en bordure des lacs.

Or il se trouve qu'en montagne, aucune zone n'est plate et très souvent l'espace constructible, relativement dissimulé depuis les berges, se situe à 100 ou 200 mètres alors qu'à 300 mètres ou 400 mètres, nous étions complètement revenus en surplomb.

L'esprit d'une interdiction visant à préserver un cadre naturel ne prenait pas en compte la réalité topographique de ces zones. L'urbanisme du double-décimètre n'est pas du tout pertinent dans un secteur de montagne.

Essayer d'introduire un urbanisme intelligent a constitué un de nos axes prioritaires pour les secteurs sensibles de bords de lac. Nous avons accordé quelque souplesse aux communes qui s'étaient dotées d'un document d'urbanisme, ainsi qu'à celles qui acceptaient de mener un travail de réflexion prospective. Enfin les règles étaient assouplies davantage si le même effort de planification de l'espace était conduit dans un cadre intercommunal couvrant la totalité du pourtour du lac.

La combinaison de la souplesse et de la bonne échelle peut faire en sorte que les décisions mises en oeuvre soient considérées comme irréprochables par les grandes fédérations de la nature. Voilà monsieur le président les éléments que je voulais vous apporter sur ce point.

Je me permettrais encore de vous faire part d'une interrogation largement portée à l'époque par la Fédération nationale des producteurs de lait, et que nous n'avions pas tranchée : les modalités de calcul du handicap naturel.

Au début des années 80, s'opposaient les partisans de la méthode française reposant sur le zonage par commune calculé en fonction du différentiel d'altitude entre la partie la plus haute de la commune et la partie la plus basse et les défenseurs de la méthode autrichienne ou suisse telles les organisations agricoles souhaitant calculer le handicap exploitation par exploitation.

Cette dernière méthode ne paraissait pas impossible à mettre en oeuvre, France et Autriche détenant un nombre similaire d'exploitations en montagne. Nous avons finalement fait le choix de nous résigner à la méthode française et la loi montagne est calquée sur les pratiques du ministère de l'agriculture. Vos travaux risquent de susciter un nouveau débat à ce sujet.

Votre commission peut aussi avoir un rôle utile concernant la répartition des ressources nouvelles créées par la loi montagne. Les informations se font rares à ce sujet comme souvent d'ailleurs lorsqu'un système fonctionne bien. Une enquête pourrait être menée.

De même, vous pourriez étudier si une péréquation partielle pourrait s'appliquer afin de favoriser la solidarité entre les différents types de montagne. Enfin il serait intéressant de s'interroger sur l'affectation des ressources opérée par les Conseils généraux. Le Parlement à l'époque s'était contenté d'émettre un ordre d'affectation en mettant une priorité sur le tourisme de montagne mais est ce que les retombées du tourisme de neige sont allées à l'agriculture et dans quelle proportion ? Je me suis rendu compte que dans certaines communes et départements, les ressources étaient très substantielles. Il faudrait étudier cela.

Samedi dernier, lors d'une manifestation en altitude, deux maires comparaient la croissance de leurs ressources depuis la loi montagne ; l'un évoquait la somme de 1,070 million d'euros annuelle et l'autre soulignait qu'il avait reçu 168.000 euros au titre de la taxe sur les remontées mécaniques et 61. 000 euros par une meilleure répartition de la taxe professionnelle sur les prises d'eau des installations hydroélectriques.

Ces sommes obtenues annuellement ne sont pas négligeables ! Une étude approfondie sur ce sujet peut se révéler intéressante...

M. Jean-Paul Amoudry - Merci beaucoup pour cet exposé. J'aimerais vous poser deux questions. Que pensez vous de l'évolution de la dimension européenne de la montagne qui était déjà une réalité en 1985 dans un contexte où d'autres massifs vont rejoindre l'Union européenne avec l'élargissement ? Quelle sera la place de la montagne dans son ensemble au sein de l'Union européenne et particulièrement de la montagne française ? Faut-il revoir le zonage ? Est-il nécessaire de développer d'autres concepts pour aider la montagne et s'adresser à l'exploitation et non plus à une zone géographique ?

Ma deuxième question porte sur un point qui m'a semblé essentiel dans la loi de 1985 : celui de la maîtrise par la collectivité locale de son développement sous la forme d'autorités chargées du transport touristique comme les remontées mécaniques. Par la suite, une loi a obligé à ouvrir la délégation de services publics à la concurrence créant une certaine émotion dans le milieu montagnard car une telle évolution, pour certains, risquerait à terme d'engendrer le dessaisissement des montagnards de leur propre destin. Que devient la vision service public de l'équipement de la montagne ? Que pensez-vous du dessaisissement des montagnards ?

M. Louis Besson - L'ouverture à la concurrence concernant les délégations de services publics ne remet pas forcément en cause la maîtrise communale dans la mesure où le contractant communal demeure. De nouveaux candidats peuvent apparaître : quels sont les effets de cette concurrence ? En 1985 sont apparus des groupes importants comme la Compagnie des Alpes qui, par rachats successifs de concurrents, a pris une importance majeure.

En ce sens, le rapport de force avec le concurrent local peut évoluer. Peut-être faut-il renforcer le pouvoir de l'autorité locale et donner des prérogatives accrues et des garanties complémentaires aux collectivités qui accepteraient de favoriser une approche par vallée. Peut-être faut-il octroyer une prime à l'intercommunalité surtout quand cette dernière est de nature à associer un village plein sud dépourvu de neige au village dont les champs de neige sont situés au nord et qui détient toutes les ressources...

S'agissant du conventionnement, vous allez sans doute auditionner le syndicat national des téléphériques de France (SNTF) qui était à l'époque l'organisation la plus hostile à la démarche de maîtrise communale, critiquant le fait que le dispositif s'étalait sur une période de 18 ans avec la possibilité d'aller à trente années. Un nouvel échange sur ce point avec cette structure serait intéressant afin d'obtenir des renseignements sur la courbe des investissements en matière d'équipement du domaine skiable.

En ce qui concerne la dimension européenne de la montagne, l'harmonisation des modalités de calcul des handicaps, de même que l'uniformisation des pratiques des différents pays membres, la France a toujours souhaité la différenciation entre haute montagne et moyenne montagne, piémont, tandis que les pays les moins montagneux souhaitent que toutes les subventions européennes soient calculées à leur plafond

La France est paradoxalement pénalisée par son souci de justice : la volonté de moduler ces aides en fonction de l'altitude lui fait perdre une partie des rétributions européennes. Ce point mériterait d'être débattu avec les autorités européennes.

Pour le reste, Michel Barnier, Commissaire européen chargé des politiques régionales, a annoncé lors de la Convention européenne de la montagne qui se déroulait en Ecosse le mois dernier, que la montagne devrait être un des territoires éligibles aux aides européennes lesquelles vont prendre de l'importance dans la perspective de l'élargissement. Ainsi, par ce biais, la montagne française pourra-t-elle peut-être éviter de se faire exclure des subsides européens sous le prétexte que le pays est plus riche que la plupart des nouveaux entrants au sein de l'Union européenne. Une politique régionale spécifique sauvera peut-être la montagne.

M. Jean Boyer - Vous avez évoqué la situation des pluri-actifs, ne pensez-vous pas que l'activité principale puisse être une référence afin de déterminer le régime social ? De même, vous avez souligné l'intérêt d'accorder la maîtrise d'ouvrage aux communes, mais comme vous le savez, il s'avère de plus en plus difficile de mettre en place des micro-centrales en raison des prescriptions environnementales ou de la réglementation en matière de pêche. Or, ne pas utiliser cette énergie naturelle serait dommage. Qu'en pensez-vous ?

M. Louis Besson - Les micro-centrales étaient très en vogue au milieu des années 1980, les chocs pétroliers n'étaient pas loin. Et certains investisseurs extérieurs à la montagne venant récupérer les droits d'eau, des communes se trouvaient exclues. Aujourd'hui, les micro-centrales ne sont plus d'actualité car la production correspondante est considérée comme marginale. De plus, les pêcheurs sont montés au créneau et l'atout touristique ne justifiait pas d'assécher les ruisseaux. La menace était forte à l'époque et certains ont bénéficié de fortes rentes de situation et continuent à en vivre puisque l'obligation est faite à EDF de racheter les installations à bon prix.

Concernant la pluri-activité, l'activité principale est-elle la bonne référence ? J'observe que l'hésitation est forte quand il s'agit de définir l'activité principale. Est-ce l'activité à laquelle on consacre le plus de temps ou celle dont provient la majeure partie de ses ressources ? La première génération des agriculteurs s'orientant vers l'agro-tourisme ressent une certaine fierté à se déclarer paysan. Psychologiquement, il est important pour eux de se définir comme agriculteur, même si cette activité ne constitue pas la source principale de leur revenu.

Nous souhaitions instituer le libre choix. Mais la part de retraités étant plus importante que celle des actifs au sein du régime agricole, nous savions aussi qu'il ne fallait pas aggraver encore la situation. A mon sens, l'essentiel est que la montagne puisse avoir une pluri-activité attractive. Là-dessus repose la vitalité de la montagne. Pour cette raison, il ne faut pas pénaliser les pluri-actifs en augmentant les cotisations ou les assurances et les autoriser à choisir leur statut. J'avoue que ce champ de travail est difficile car les interlocuteurs sont puissants.

M. Pierre Jarlier - Nous avons une certaine fierté de poursuivre le travail fondateur que vous avez mené pour la politique de la montagne. Je souhaiterais vous poser trois questions. La première concerne la prescription de massif, la seconde la DATAR et la troisième a trait à la nécessaire prise en compte des concepts de moyenne montagne.

S'agissant des prescriptions de massifs, ce dispositif est un moyen pour nous de faire prévaloir notre droit à la différence, mais quelle est l'échelle souhaitable de cette prescription ? De plus, comment peut-elle être impulsée ? Car, peut-être comme en 1985, cette procédure ne sera-t-elle pas utilisée sans une clarification de son mode d'approche. N'est-il pas nécessaire de rapprocher les prescriptions de massif d'un pilotage général au niveau du comité de massif et surtout de la réflexion au niveau des nouveaux documents d'urbanisme, notamment le SCOT ou du plan local d'urbanisme hors de la carte communale ?

Nous nous rendons compte que l'application de ces mesures nécessite une contractualisation, or cette dernière exige l'identification du maître d'ouvrage qui permet de l'entériner. N'est-ce pas à l'échelle de l'établissement public chargé du schéma de cohérence territoriale (SCOT) ou de l'intercommunalité chargée d'un plan local d'urbanisme intercommunal d'agir avec la possibilité que le comité de massif chapeaute ces mesures dans un souci de sécurité et d'harmonie ?

Autre question : les services de la DATAR, qui offrent des outils d'appui au développement, sont souvent mal perçus sur le terrain alors que leur rôle est de se constituer comme des partenaires du développement local. Dans la perspective d'évolution des comités de massif, comment pourraient être associés les services de la DATAR en véritables partenaires au côté de décideurs ; les élus par exemple puisque nous nous engageons vers une plus forte décentralisation ?

Enfin, les travaux effectués par la commission jusqu'à présent nous obligent à un constat : les effets de la politique montagne sont contrastés entre la montagne qui dispose de ressources propres liées à la neige, et la moyenne montagne qui vit essentiellement de l'agriculture touchée de plein fouet par la désertification et par d'importantes baisses de revenus.

Vous avez évoqué la solidarité, peut-être un effort doit-il être effectué en faveur de ces régions. Pourquoi ne pas songer à une intervention de l'Union européenne ? Il faudrait faire couvrir l'ensemble des territoires de montagne par les prochains fonds structurels malgré l'élargissement, mais peut-être y a-t-il une nécessité de prendre en compte les spécificités des territoires de montagne afin d'aider des zones en difficulté, comme cela a été fait pour certains territoires compris dans l'objectif 1. Comment prendre en compte ces secteurs défavorisés ?

M. Louis Besson - Je vous remercie de votre propos liminaire et m'autorise une parenthèse. Ce travail que nous avons mené était très collégial, très inter-massifs, très inter-groupes. Je tiens à le rappeler car nous étions l'objet de dérision nous taxant de « parti de la montagne ». Le travail s'est révélé constructif car effectivement, nous nous entendions bien. Le cheminement de nos travaux a été très complexe. Nous avons d'abord ouvert une commission d'enquête, ensuite nous avons arraché un avant-projet de loi sur lequel une mission de consultation nationale a travaillé.

Enfin, une commission spéciale a étudié le texte. Au total, le sujet a nécessité de ma part 3000 heures de travail. Mais, je ne m'en plains pas car ce thème de la montagne était particulièrement intéressant.

Concernant les prescriptions de massif, il semble difficile de penser, alors que le projet parvient au stade législatif, qu'une subdivision du territoire en deçà du massif est possible. Il faut alors, par exemple, trouver une formule de SCOT simplifiée et imaginer que leur coordination puisse exprimer ce que représente une prescription au niveau du massif. Mais sans doute faut-il un document plus simple qu'une directive territoriale d'aménagement (DTA)dans laquelle figurent les enjeux d'explosion démographique, d'implantations économiques... etc !

Concernant les situations très contrastées en montagne, je crois que vous avez raison. Dans le droit-fil de la loi montagne avait été crée le FIAM, le Fonds interministériel d'auto-développement en montagne. L'idée était que le développement local pouvait se trouver facilité par le financement d'appuis techniques en montagne. Lorsque cinq ou six cantons connaissent une situation difficile tant économique que démographique, comment réagir ?

Dans un premier temps, il est nécessaire, sur un périmètre à définir préalablement, de mener un travail d'analyse permettant d'identifier les atouts du territoire. Ces atouts ne reposent quasiment jamais sur l'agriculture. Puis, il s'agit de décider qui, des acteurs publics ou privés, est en mesure de les valoriser et de faire en sorte qu'ils ne s'opposent pas mais, au contraire, se renforcent mutuellement. Enfin, l'approche de la bonne échelle implique une mobilisation du territoire à la fois au niveau des acteurs publics via une structure type communauté de communes ou de pays, et des organisations professionnelles organisées à la même échelle.

Le FIAM devait financer l'agent de développement qui menait cette étude d'identification des atouts, qui aidait à la constitution des structures à même de les mettre en valeur. Cet agent de développement avait besoin du financement de l'Etat tant qu'il n'y avait pas réelle impulsion de la dynamique de développement local. Je ne crois pas que le système ait fonctionné ainsi. Les richesses de certains secteurs sont restées en friche et elles restent aujourd'hui mobilisables. Au-delà du financement de l'assistance technique permise par le FIAM, il faut être éligible à des programmes pour lesquels la montagne ne doit pas être considérée homogène par Bruxelles.

Certains territoires montagnards sont riches, d'autres pas comme, par exemple, les villages situés sur le versant du soleil et qui souffrent de l'absence de neige. Une politique européenne qui appuierait l'effort national et régional serait efficace.

Enfin, s'agissant du champ des productions agricoles plus rémunératrices je pense que l'Europe pourrait aussi nous aider, outre ses subventions, en mettant en place un système de protection des productions de qualité.

Des erreurs monumentales ont été commises dans l'attribution des aides financières. En effet, parfois des zones sont subventionnées par Bruxelles pour créer une concurrence directe à d'autres territoires spécialisés dans une production où les alternatives à cette production n'existent pas. La préoccupation de protéger les productions par une appellation et par une sanction des imitations me semble fondamentale.

Pour répondre à votre question, la grande ambition de la politique de la montagne doit être que les territoires ayant échappé aux retombées positives des efforts passés puissent bénéficier d'une vraie injection de moyens en termes d'assistance technique visant à l'identification des atouts, qu'elle veille aussi à ce que ces zones bénéficient d'une politique régionale active au plan européen avec les appuis nationaux et régionaux que cela peut représenter, enfin que les productions rémunératrices soient privilégiées en les protégeant, ce qui coûte moins cher que soutenir des excédents de production qui surviennent lorsque l'on a favorisé des concurrences malvenues.

Lors de l'élaboration du projet de loi, je me suis rendu trois jours en Suisse afin de comprendre comment ce pays avait organisé sa politique de montagne. Les enseignements furent pour moi considérables. Dans ce pays, le niveau de vie des agriculteurs de montagne est de 2,5 fois et demi plus élevé que celui de leurs homologues français, mais ils ont interdit des dépassements de production via les quotas. En outre, ils ont obligé l'exploitant à vendre sa production à un seul acquéreur. Ils ont interdit l'évolution de toutes les méthodes culturales et de production et finalement, ils sont arrivés à une réalité qui doit nous donner à réfléchir : la Suisse éprouve les mêmes difficultés que nous à trouver des agriculteurs désireux de s'installer en montagne.

La réponse en termes de statut ne semble pas la bonne. Les Suisses ont fait de leurs agriculteurs de montagne des fonctionnaires ; ce que ces derniers ne souhaitent pas devenir. Aujourd'hui, le souhait des jeunes est de savoir que le type de production vers laquelle ils s'orientent a un avenir. Ils veulent entendre que, parce qu'ils font le choix de qualité, leur rémunération sera correcte. Si ces exigences sont satisfaites, un nouveau départ est possible. A l'inverse, si nous nous en éloignons, nous nous dirigeons tout droit vers l'échec.

M. Gérard Bailly - Je voudrais vous dire combien j'apprécie vos déclarations sur le problème des lacs. J'ai vécu la difficulté d'appliquer la réglementation avec un projet au lac du Chalain, connu par ses multiples cités lacustres. Notre souhait était de construire au bord du lac un village lacustre doté d'un musée. Mais ce projet a été mis en cause devant les tribunaux car l'espace des 300 mètres au bord du lac était visé par les constructions. Le tribunal de Besançon a donné raison à une association de nudistes qui se baignaient au bord de ce lac et contestaient le projet.

La proposition que vous faisiez me paraît de ce fait très sage. S'agissant de l'agriculture, en tant que membre d'une mission sénatoriale sur l'élevage : "enjeu territorial, enjeu économique", je suis très pessimiste en parcourant notre pays car aujourd'hui, le nombre d'installations dans les zones difficiles est si faible que nous nous demandons comment nous pourrons entretenir les espaces. L'enfrichement est une des grandes difficultés à laquelle nous sommes confrontés. Vous avez également évoqué la pluri-activité mais actuellement comme les exploitations s'agrandissent en montagne, la pluri-activité me semble en retrait. Faire une table d'hôte ou une auberge nécessite une présence. Or, souvent, les agriculteurs qui avaient une ferme de 30 ou 40 hectares ont préféré reprendre celle du voisin, puis se spécialiser dans une activité.

A mon sens, excepté quelques gîtes ruraux et quelques cas exceptionnels, nous nous dirigeons vers la fin de la pluri-activité agro-tourisme. Des terrains laissés en friche ne sont pas soumis à l'impôt foncier ce qui n'est pas le cas des terrains sur lesquels les paysans se battent pour maintenir une production. Le problème de l'impôt foncier sur des parcelles très peu productives me semble constituer une grande préoccupation.

Le déneigement est un autre point important. Certaines directives qui régissent le déneigement, ont rendu la situation très complexe pour les petites communes rurales. Ces dernières doivent se doter de matériels très sophistiqués et mobiliser des équipes techniques pour quelques jours seulement dans l'année.

Dans le Jura, cette année, le coût du déneigement a augmenté de 40 % alors que le manteau neigeux n'était pas très important cet hiver. Auparavant, les DDE s'occupaient du déneigement dans les communes, mais refusent de le faire aujourd'hui à cause de la réglementation européenne. Les communes s'équipent, cherchent du personnel, mais le coût du déneigement va devenir un réel problème.

Dernier point : la péréquation. L'équipement, l'assainissement, les routes, les NTIC coûtent cher en ces zones de montagne ; ces dépenses accessibles aux grandes stations et à quelques endroits très touristiques, grèvent le budget de certains territoires, qui, par ailleurs, luttent pour conserver une certaine vitalité. Même si des dispositifs d'accompagnement, comme le FIAM, existent, j'ai l'impression que la politique de la montagne n'est plus ce qu'elle était. Partagez-vous mon sentiment ?

M. Louis Besson - Vos observations sont fondées et étayées. Je crois que les situations sont très diverses en montagne. Nous trouvons l'agriculteur qui pense qu'une grande structure lui permettra de survivre. Dans les Pyrénées basques où je me suis rendu récemment, des familles connaissent de vraies difficultés à trouver un arbitrage s'agissant de la succession de la ferme car tous les fils désirent reprendre l'exploitation. Mais cette situation ne se retrouve pas dans les Landes où les structures sont plus grandes et où personne ne souhaite reprendre. De plus en plus, des jeunes aspirent à un certain genre de vie qui n'est pas celui de la performance dans le sens de la compétition économique à tout crin.

De plus en plus, dans les couples dont le mari est agriculteur, les femmes ont leur propre activité professionnelle. Les situations sont diverses, l'essentiel étant d'apporter des réponses qui favorisent les installations en montagne et fixent ces actifs. Car de cela dépend l'avenir de ces territoires.

La péréquation me paraît nécessaire. Je pense que, dans l'appui aux collectivités territoriales, il faudrait privilégier non pas seulement les indicateurs de ressources mais aussi les indicateurs de charge ou du moins confronter les deux.

En effet, à ressources égales, si les charges sont différentes, les capacités de financement diffèrent. A l'occasion de la loi montagne, des modalités d'application de la dotation globale de fonctionnement ont institué le système de doublement de la voirie de montagne comme critère. Mais par la suite, d'autres réformes soucieuses de clarifier les procédures ont supprimé ces mesures qui constituaient un avantage pour les zones en difficulté. Il faudrait de nouveau les faire admettre comme ne conduisant pas à des complications inutiles. Ce point est fondamental car ces ressources régulières sont importantes pour les communes concernées.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie beaucoup, Monsieur le ministre, au nom de tous de nous avoir fait partager votre expérience

M. Louis Besson - Partager ce moment avec vous m'a fait très plaisir et j'espère que votre mission sera très fructueuse.

32. Audition de M. Pierre Rémy, délégué général de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM) (26 juin 2002)

Je vous remercie de nous laisser nous exprimer devant votre mission. L'ANEM attache de l'importance à votre démarche particulièrement opportune dans le contexte actuel. La loi montagne a été conçue au début des années 80 dans le cadre de la mission conduite par Louis Besson. Les concepts essentiels de cette loi datent de plus de vingt ans.

Depuis le contexte économique et social a évolué, et malgré les vertus de ce texte et ses capacités d'adaptation, je pense qu'il y a lieu effectivement d'aborder une réflexion sur son aggiornamento. Néanmoins je voudrais commencer cette intervention par une anecdote quelque peu paradoxale concernant la précédente loi montagne.

La politique de la montagne a été engagée au début des années 70 à l'initiative des agriculteurs qui, lors d'un congrès tenu en 1972, dont nous allons fêter cette année le trentenaire à Clermont-Ferrand, ont promu des concepts fixés ultérieurement dans le cadre législatif de la loi montagne. Cette loi, qui à l'époque a suscité de nombreux débats, s'inscrivait dans la politique de rénovation rurale lancée par Pompidou en 1968.

Par la suite, l'intérêt autour de ce sujet s'est beaucoup affaibli du fait de l'existence peut-être de la loi montagne. Nous avons beaucoup polémiqué à ce sujet avec son rapporteur Robert de Caumont. Certes, le contexte institutionnel avait changé avec la décentralisation. Cette situation était décevante. Peut-être faut-il effectivement aujourd'hui redéfinir les grands axes d'une politique de la montagne. J'ai constaté au cours de ma carrière largement consacrée à la montagne qu'en l'absence d'une politique de la montagne rigoureuse, celle-ci tendait à s'affaiblir.

La politique de la montagne ne peut s'inscrire dans le cadre d'une politique globale d'aménagement du territoire. Quand ce fut le cas par exemple au début des années 1990 à l'instigation de Jacques Cherèque, la politique de la montagne s'est affaiblie. Je ne souhaite pas polémiquer sur les instruments mis en place. Mais le manque de dynamisme aujourd'hui de la loi montagne résulte peut-être du fait que, à une politique de rééquilibrage territorial, a été substituée après la loi Pasqua, un certain nombre d'instruments comme les politiques de pays, d'aides au développement local qui, s'ils renferment incontestablement des vertus, pêchent par l'absence de vision globale induite par ces outils. Peut-être faut-il exclure de cette remarque la DATAR qui envisage les territoires comme un ensemble de pôles qui doivent être développés.

Les outils de développement existants sont insuffisants car les territoires ne sont pas égaux. Certaines régions souffrent d'une faible densité. Il semble donc difficile de se référer à des politiques locales comme moyen d'aménagement du territoire. Le projet que vous conduisez réussira d'autant mieux que vous prenez garde à impulser une politique de la montagne à portée plus globale. Je tenais à exprimer cette réflexion préalable, qu'il faut sans doute nuancer, mais l'observation montre que nous manquons d'entrain sur ces questions.

Le pouvoir d'aménagement s'est déplacé de l'Etat aux régions. Or, la montagne ne se retrouve pas dans des approches régionales car les massifs concernent le plus souvent plusieurs régions. En ce cas, l'approche transversale est indispensable. Une remarque : quand un massif est intégralement situé dans une région, on s'aperçoit que la réflexion est moins accentuée que si le massif recouvre plusieurs régions. En attestent les Alpes du Nord où les relations sont difficiles entre les Alpes et la région : les comités de massif, par exemple, ne fonctionnent pas.

La montagne doit donc être considérée comme un espace interrégional. Une manière de développer la politique de la montagne a notamment été de favoriser cette politique de massifs et de lui donner corps à travers les conventions interrégionales de massif. Que peut-on penser des conventions interrégionales de massif ? Ces outils me paraissent excellents et doivent être renforcés. Ils favorisent la concertation entre les régions qu'il s'agisse des circonscriptions administratives ou des collectivités territoriales. Ces outils pourront faire progresser la montagne sur le plan européen.

Je pense que vous avez eu des contacts avec la direction de la politique régionale à Bruxelles. J'ignore s'ils ont parlé librement, mais peut-être avez-vous senti une forte opposition à l'émergence d'une politique de la montagne de la part des services de la commission (et non pas, je le précise, du commissaire chargé de la politique régionale). Ils considèrent, en effet, que la trop grande diversité des régions de montagne empêche le développement d'une politique régionale unitaire. Leur opposer la notion de massif constitue peut-être le moyen de battre en brèche leurs objections.

Les instances européennes sont tout à fait conscientes de cette grande diversité des situations de montagne car leur vision est plus globale. Pour elles, il n'est pas souhaitable de mettre en oeuvre des politiques uniques de la montagne. Nous pourrons être entendus si nous pouvons démontrer que les régions sont capables de porter cette politique interrégionale au plan européen. Nous nous trouvons dans une période quasi expérimentale. Les conventions interrégionales disposent de peu de moyens, mais ces crédits s'avèrent stratégiques.

Les différences subsistent selon des massifs, mais nous trouvons des conventions interrégionales bien ficelées, pour lesquelles les études ont été approfondies au sein des comités de massifs ou des équipes du commissariat à l'aménagement de massif. L'utilité de ces crédits a été bien pensée. Compte tenu de leur faiblesse, ces crédits sont souvent stratégiques et expérimentaux. Or, souvent ces crédits ont été considérés comme des crédits d'appoint, venant en complément des actions déjà menées par l'Etat ou des régions dans ces massifs. Le premier impératif est donc d'être capable de définir une stratégie pour le massif, d'avoir une vision d'ensemble des moyens qui sont mis à l'appui du développement de ces massifs et de s'interroger sur l'utilisation des crédits, qui, même modestes, peuvent ouvrir des pistes afin d'expérimenter et innover.

Ce dernier point est important, car les conventions interrégionales de massif devaient surtout favoriser l'innovation, n'étant pas soumises à la pression de la satisfaction des besoins et des demandes, comme le sont les autres volets des contrats de plan. Les conventions interrégionales peuvent jouer un rôle important Ces conventions ont été très largement pilotées par les Commissions à l'aménagement de massif.

De ce fait, les régions ne se sont pas encore engagées dans cette procédure. Pour elles, sortir de leur horizon de responsabilité géographique afin de dégager une vision d'ensemble est un acte difficile. Il faut amener les régions à des réflexions permanentes sans attendre la fin des contrats de plan pour engager de nouvelles discussions. Les régions doivent être plus associées qu'elles ne le sont actuellement à la réflexion en amont. Elles ne sont pas suffisamment impliquées dans les commissions de massif. Enfin, il faut disposer d'un potentiel de matière grise important. Or ce potentiel, qui s'appuie sur les petites équipes du commissariat à l'aménagement de massif, est insuffisant aujourd'hui.

Nous ne nous dirigeons pas vers un renforcement du personnel de ces structures, mais pourquoi, à la manière de l'Union européenne quand cette dernière considère qu'elle ne dispose pas des compétences requises, ne pas faire appel à la société civile, à des bureaux d'étude, lancer des appels d'offres ?

Il faudrait sortir de notre culture dans laquelle toutes les décisions sont prises par des fonctionnaires, et être capable de recruter dans un autre vivier un potentiel de matière grise difficile à mobiliser pour l'instant.

Vous vous demandez si l'application de la directive habitats "Natura 2000" est satisfaisante. Il est banal d'affirmer qu'elle ne l'est pas du tout, mais il est plus s'intéressant de s'interroger sur les raisons de cet échec.

La directive a été élaborée par un cénacle au plan européen sans aucune concertation en amont. Et elle a été adoptée dans l'indifférence totale car peu de gens se sont rendu compte des enjeux. Aucun débat public n'est apparu autour de ce texte aussi important. Ce manque de dialogue et le secret autour de la directive constitue sa première faiblesse comme ce fut le cas pour la Convention alpine.

De façon générale, se pose le problème du fonctionnement de l'Europe et de son déficit démocratique. Remettre en cause les droits de propriété d'une collectivité sur un territoire sans organiser un débat est toujours ressenti comme un camouflet. Cette directive ne peut donc être reprise sauf si elle est mise en oeuvre dans le cadre d'une procédure relativement différente.

L'ANEM a saisi le Conseil d'Etat pour contester cette directive au moment de sa transposition dans notre droit lorsque son caractère est encore réglementaire et non pas législatif. Nos motifs reposaient sur le manque de concertation empêchant que ce texte soit admis par l'ensemble des collectivités de montagne. Nous attendons la décision du Conseil d'Etat, mais sans doute cette directive devra-t-elle être reprise afin d'obliger l'Union européenne à dialoguer. Les livres blancs de l'Union européenne sur la gouvernance sont remarquables, mais nous aimerions qu'elle applique ces principes en associant les populations locales aux décisions.

Notre souhait est de faire en sorte que le changement des équipes ministérielles permette de poser ce problème non pas simplement au plan national mais aussi au niveau de Bruxelles. Sur le fond la question qui se pose dans la pratique ne concerne pas la protection des espèces mais la capacité des collectivités locales à négocier, définir des cahiers des charges au sein des sites, quand elles sont confrontées à l'administration, c'est-à-dire des scientifiques ou des techniciens.

De notre part, existe sans doute une carence de la part de ceux qui sont chargés d'aider les collectivités locales. Les maires ne sont pas des écologues. Ils n'ont pas passé dix ans au Muséum d'histoire naturelle. S'ils ont une connaissance pratique du territoire, ils ne sont pas capables de conduire des discussions techniques sur la conservation des habitats. Cette carence doit trouver une solution.

En ce qui concerne la péréquation des finances locales et des charges des collectivités locales de montagne, il faut se rappeler que dans notre pays, certaines mesures veillaient à éviter à ce que le seul critère de répartition des crédits soit celui de la population. L'idée de prise en compte du territoire a été introduite dans la réforme de la DGM de 1985 et renforcée dans la loi d'amélioration de la décentralisation en 1988 au point que nous nous trouvons devant des critères aberrants: le potentiel fiscal superficiaire.

Comment en effet ramener un potentiel fiscal à un territoire, à un espace ? Pourtant, il s'agit là du meilleur moyen de prendre en compte les charges difficilement mesurables liées à l'étendue du territoire au relief, aux difficultés de déplacement, aux accidents. La notion de charge territoriale a eu des effets salutaires au niveau des communes, des départements à faible densité de population. Mais elle montre ses limites puisque les réformes de la dotation globale de fonctionnement (DGF) successives ne l'ont pas reprise ou du moins partiellement dans des dotations moindres comme celle de la DSR instituée en 1992-1993. Nous nous trouvons devant une perte des capacités de péréquation.

Réintroduire cette réflexion paraît d'autant plus difficile que ce débat n'est pas d'actualité. Les marges de manoeuvre sont faibles en raison de la montée en puissance de l'intercommunalité. En outre, la capacité de redistribution de la DGF hors de l'intercommunalité est réduite. Mais, peut-être, faudrait-il préparer une autre réforme dans deux ou trois ans, en réfléchissant sur une façon de prendre en charge directement le territoire et certains éléments caractéristiques du territoire.

Nous détenons un moyen indirect de saisir le territoire dans le rapport entre la population et le potentiel fiscal superficiaire ; c'est-à-dire la population et le territoire. Mais d'autres critères, plus significatifs aux yeux de l'opinion publique, pourraient être mis en exergue. Certaines associations de protection de la nature avec lesquelles nous avions engagé un dialogue pensaient effectuer le calcul selon la surface toujours en herbe.

Ce critère de qualité de l'environnement est intéressant. L'idée est d'avancer dès maintenant sur la définition de nouveaux critères. La prise en compte des aspects environnementaux devrait permettre d'aider les collectivités de montagne notamment celles qui connaissent les plus faibles densités démographiques à supporter des charges relatives au coût de fonctionnement de service public (et non pas d'infrastructure), qui, ramenées à la population, s'avèrent extrêmement lourdes. Faut-il transformer les comités de massif en établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) inter-régionaux ?

Ce sujet n'a pas été beaucoup débattu au sein de notre association, mais, pour l'instant, cette idée n'apparaît pas comme la meilleure solution. L'intérêt de créer un établissement administratif pour remplir une tâche qui ne s'apparente absolument pas à une mission de gestion, semble contestable. Le comité de massif et le commissariat de massif qui travaille à ses côtés sont des administrations plutôt de mission comme aime à le souligner la DATAR, et non pas de gestion.

Or, si des responsabilités de gestion importantes étaient déléguées à ces instances, nous risquerions de tomber dans un fonctionnement administratif qui, de plus, entrerait en concurrence avec les régions qui verraient d'un très mauvais oeil cette initiative. Aller dans cette direction me semble inutile. En revanche, nous pourrions transformer le comité de massif en une instance animée par un président élu. Nous avons évoqué la co-présidence, mais ce système paraît difficile à manier. Nous nous apercevons qu'une commission permanente, en principe présidée par un seul élu, est très dynamique.

A l'instigation de Patrick Ollier, notre ancien président qui a mis en oeuvre à l'époque de la loi d'aménagement du territoire en 1995 la présidence par un seul élu, nous avons réussi à donner un pouvoir d'incitation à des comités de massifs qui étaient moribonds. Ces structures paraissaient comme des instruments lourds, réunis à la convenance du préfet et incapables d'impulser des réflexions en profondeur. Le comité de massif est une structure intéressante qui rassemble élus et organismes socioprofessionnels. Si la présidence était assurée par un élu disposant de moyens, les comités de massif seraient capables de jouer un rôle encore plus important qu'ils ne le font actuellement.

Dernier point : faut-il assouplir le droit de l'urbanisme en montagne ? Il faut revenir aux idées qui ont été à l'origine de ces dispositions. En 1977, une circulaire anti-mitage prise par Monsieur Poniatowski visait à éviter que le territoire de la montagne soit le lieu de constructions anarchiques. Le gouvernement a institué le principe, non pas d'une interdiction de construire, mais du regroupement des constructions.

L'idée de continuité est apparue à la même époque dans notre droit. Ensuite nous assistons à la reprise dans la loi montagne de ces textes votés par le Parlement. Le système ainsi mis en place était étonnant. Avant 1985 le système s'appliquait bien car, paradoxalement, nous étions dans un système centralisé : le préfet décidait, autrement dit l'intelligence humaine était en oeuvre, et pas simplement des textes.

Entre 1977 et 1985, la mise en oeuvre des dispositions d'urbanisme n'a pas posé de réels problèmes. Mais ensuite, ces dispositions relevant du domaine législatif, nous sommes donc passés sous l'influence du juge du contentieux. Le changement de cap a été radical à cause de l'interprétation restrictive de ces dispositions : le législateur a considéré qu'il s'agissait non pas d'organiser autrement les constructions mais de les réduire. Et l'administration, dans son souci sans doute de bien faire et de respecter le législateur, a suivi cette jurisprudence.

Aujourd'hui, nous nous trouvons devant des notions de construction en continuité dont les discussions à ce sujet s'apparentent au débat sur le sexe des anges. Cette interprétation a bloqué les possibilités de construire en zone de montagne. Tous les trois ans, des lois comme la loi Besson, Pasqua, SRU viennent rétablir l'idée originelle du législateur. Et à ces occasions, les élus sont souvent la cible de critiques les accusant de permettre les constructions anarchiques.

Nous essayons donc à chaque fois de revenir à l'esprit initial du législateur, mais à chaque fois, nous nous apercevons que notre démarche est pratiquement sans résultat. Tel est le cas actuellement s'agissant de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU).

On nous oppose alors souvent les possibilités ouvertes par les prescriptions particulières de massif qui permettraient de mieux définir les spécificités d'un territoire massif par massif et aussi les directives territoriales d'aménagement (DTA), lesquelles semblent un instrument extrêmement technocratique et en tout cas hors de portée des élus car ceux qui voudraient en suivre l'élaboration devraient participer à des réunions toutes les semaines et mobiliser un Etat afin de préparer les dossiers ce qui semble impossible.

Comment le maire qui découvre les dossiers peut-il lutter à armes égales avec l'administration dont plusieurs personnes sont chargées de travailler sur le projet ?

Je me fais d'ailleurs beaucoup de souci concernant les résultats de la directive d'aménagement territorial des Alpes du Nord. Les prescriptions particulières de massif restant lettre morte, faut-il essayer de les personnaliser ? Je crains que nous nous perdions dans des discussions longues et techniques sur des questions du type : qu'est-ce que la continuité ici et là-bas ? Car, par exemple, en Savoie, les constructions sont éclatées en hameaux et cette situation ne se retrouve pas du tout dans les autres massifs.

Nous nous trouvons donc devant de grandes difficultés. Je me demande si nous ne devrions pas revenir à des notions plus saines où nous laisserions une capacité d'adaptation non pas au niveau des massifs car ce cadre, trop lourd, n'est pas idéal pour régler ces problèmes, mais à des commissions des sites revues ou corrigées ou à un groupe de travail de ces commissions des sites qui conseilleraient les administrations sur la mise en oeuvre des dispositions.

Il n'existe aucune règle qui pourrait s'appliquer sans considération des territoires. Les redéfinir permet quelques progrès, mais l'interprétation par les administrations vient restreindre les possibilités offertes par le législateur.

M. Jean-Paul Amoudry - J'aimerais vous poser une question sur la façon dont vous voyez l'évolution des procédures des unités touristiques nouvelles (UTN).

Une réforme est intervenue dans le cadre de la loi SRU. D'après les informations que vous détenez, quelle appréciation faites-vous de l'amendement qui a été élaboré ? Et quel avenir prévoyez-vous pour cette procédure ? En effet, les grands projets sont aujourd'hui derrière nous et il faut du réalisme pour que le remplacement des installations lourdes n'ait pas forcément toujours lieu selon cette procédure. De plus, nous avons en moyenne montagne des opérations qui seraient justiciables de cette procédure mais qui, en tout bon sens, devraient en être épargnées.

Enfin, pour aller plus loin sur le sujet de la péréquation financière que vous avez abordé tout à l'heure, pourriez-vous nous éclairer sur les critères nous permettant de définir cette notion de potentiel fiscal superficiaire ?

M. Pierre Rémy - S'agissant des unités touristiques nouvelles, fallait-il maintenir un régime dérogatoire qui maintient l'administration dans ses prérogatives antérieures ? La procédure UTN instituée à la fin des années 1970 alors qu'une grande partie des aménagements était terminée a été reprise dans la loi montagne. Même si les parlementaires ne s'y sont pas opposés, un débat est apparu sur ce sujet car cette procédure dérogeait aux lois d'urbanisme et de décentralisation et, par ailleurs, laissait à l'administration le pouvoir de juger. Quel avenir pour cette procédure ?

Nous retombons dans les difficultés que je signalais tout à l'heure. Comment mettre en oeuvre un outil qui était adapté à certaines situations, mais se trouve l'être de moins en moins, le type d'opérations qu'il visait ayant disparu et ne s'adaptant certainement pas à la moyenne montagne ni à des opérations réduites. `

N'avons-nous pas alors manqué une occasion de redéfinir une procédure qui se rapproche davantage du droit commun ? A travers cette question, je souhaite traduire un certain pessimisme quant au caractère opérationnel des dispositions qui ont été adoptées. Que le législateur présent ici m'excuse, mais cet instrument s'est révélé souvent inadapté et difficile d'application. Le retour au droit commun avec une loi dont certaines dispositions pourraient être revues, permettrait de régler certains problèmes.

Autre point, le potentiel fiscal superficiaire correspond au potentiel fiscal de la commune ramené à l'ensemble du territoire. Cela joue partiellement pour la DSR communale et surtout pour les 22 ou 23 départements qui bénéficient d'une dotation de fonctionnement minimale spéciale. Les effets de cette mesure sont extrêmement forts quand elle est mise en oeuvre sur des dotations importantes. Cela n'est pas forcément le cas dans le cadre de la DSR car cela représente une petite partie de la DGF, puisque celle-ci a été forfaitisée, et cette disposition qui existait dans l'ancienne réglementation n'existe plus que pour la partie de la DSR et pour une faible part dans la rétribution de la DSR.

En revanche la dotation reste importante (environ 152 millions d'euros) pour la vingtaine de départements qui en bénéficient et se traduit par une capacité redistributive remarquable.

L'un donne à l'autre puisque le financement de la dotation de fonctionnement minimal est pour parti prélevé sur les départements dits riches, c'est-à-dire qui disposent d'un potentiel fiscal élevé. En dehors de ces aspects délicats que soulève la source de financement, les effets sur les départements les plus démunis en taxe professionnelle ont été importants.

La Lozère ne serait pas aussi bien dotée en équipements publics si, depuis 1988, cette mesure n'était pas entrée en vigueur. Dans ce département, le rapport entre cette redistribution et l'ensemble des autres ressources est très élevé.

Le pouvoir redistributif de ces mécanismes de répartition de la dotation de fonctionnement minimal, c'est-à-dire le potentiel fiscal superficiaire, est donc très fort. Je tiens à le souligner car régulièrement au comité des finances locales, cette mesure est mise en cause moins par les départements donateurs que par des représentants du milieu urbain, de départements urbains qui trouvent cette mesure aberrante. Les critères qui ont été mis en place pour le calcul de la DSU étaient tout aussi contestables que le potentiel fiscal superficiaire. D'où l'idée, sans faire disparaître cette mesure, de chercher d'autres moyens d'apprécier la capacité, la qualité et l'importance de l'espace et des coûts liés à la gestion de l'espace qui sont très importants en zone de montagne.

Un critère avait été suggéré ; l'inverse du nombre de résidences secondaires ou de logements touristiques par rapport à une moyenne nationale. Car nous savons que ceux-ci sont générateurs de revenus relativement importants. Certaines communes participent à la mission de maintien de l'espace, mais ne bénéficient pas de la manne des activités touristiques qui sont absentes de leur territoire. Les charges auxquelles elles sont confrontées sont considérables.

L'idée qui a été lancée est donc de prendre le contre-pied d'une donnée caractéristique d'une certaine richesse afin de l'introduire comme critère de répartition. D'autres possibilités existent. L'IFEN (Institut français de l'environnement) a mis au point des mesures de données environnementales de plus en plus précises au niveau communal par des photos satellite. Les situations environnementales des communes peuvent donc être connues très finement. On pourrait ainsi utiliser les données de la surface en herbe que j'ai évoquées tout à l'heure mais aussi l'importance de la forêt. Ces critères de qualité environnementale pourraient être utilisés au profit de la montagne.

M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur - J'aimerais vous faire réagir sur la question de la montagne, de l'eau et de l'avant-pays ainsi que sur les perspectives que nous pouvons entrevoir de la politique d'aide à l'agriculture dans le nouveau contexte européen.

M. Pierre Rémy - Nous avons le sentiment que nous sommes à la veille de tensions très fortes sur le problème de la gestion de l'eau. Une réunion sur ce thème aura lieu prochainement en Haute-savoie. Les contestations sont fortes s'agissant de l'utilisation de l'eau dans le développement des pratiques d'enneigement des cultures.

Nous remarquons de plus en plus que certains massifs des Alpes du sud souffrent d'un déficit important en eau, au point que l'utilisation traditionnelle de l'enneigement des cultures tend à être de plus en plus difficile.

Une réflexion sur ces questions doit être engagée. Nous allons poursuivre nos discussions au cours de la réunion qui doit se tenir en octobre prochain.

Le problème de la gestion de l'eau implique d'arbitrer entre les utilisations rurales et urbaines de l'eau. Cette question ne se pose pas avec beaucoup d'acuité chez nous, mais peut-être se posera-t-elle dans les années à venir.

En ce qui concerne l'Europe, je pense qu'il s'agit moins de défendre une activité que de reconnaître la spécificité de la montagne ; ce qui est déjà le cas au travers des aides dont elle bénéficie. Il faut aussi tenter de sauver l'activité montagne des modifications qui pourraient intervenir dans le cadre de la réforme de la PAC.

De façon générale, notre attitude doit être beaucoup plus offensive afin de convaincre de la nécessité d'une politique territoriale de l'Europe. L'approche de cohésion est en effet insuffisante.

Les territoires doivent être considérés non seulement sous l'angle de leur retard par rapport à une moyenne européenne mais en eux-mêmes, de sorte que soit acceptée l'idée qu'il puisse exister des politiques différenciées pour un certain nombre de territoires dont la montagne. De plus, si la notion de handicap a été utile et se révèle encore indispensable, nous nous rendons compte qu'il ne faut pas axer la politique de la montagne sur ce concept.

Il faut développer des idées beaucoup plus positives. D'autant que, à l'échelle européenne et même en France, l'image attachée à la montagne ne renvoie pas à l'idée de handicap. Le massif alpin est plutôt considéré comme béni des dieux, il en est de même pour d'autres massifs un peu moins riches.

Si nous parvenons à expliquer ce qu'apporte la montagne à la société européenne, nous pourrons obtenir des appuis et peser beaucoup plus lourd. Le soutien des pays du Nord dont le poids est le plus lourd au sein de l'Union européenne, est le plus important.

Ces pays sont aussi ceux qui ont tendance à axer leur approche de la montagne sur la protection de l'environnement. Or, nous ne défendons pas cette vision de la montagne comme un espace voué uniquement à la protection des espèces, ou aux loisirs.

Nous défendons une montagne dont les activités, extrêmement diversifiées, fonctionnent toute l'année. Nous défendons autant l'idée de biodiversité que celle de socio-diversité, c'est-à-dire le fait de ne pas avoir une mono-production ou une mono-fonction dans laquelle on tend parfois à enfermer la montagne.

Au-delà des aspects techniques de défense des mesures déjà instituées ou des propositions à faire s'agissant de la réforme de la PAC, il faut mener en direction de l'UE et à l'aide du Commissaire européen en charge de la politique régionale, une offensive très forte afin d'encourager l'élaboration d'une politique régionale différenciée qui se distingue d'une politique européenne de développement régional.

Nous avons quelques alliés dans d'autres parties du territoire européen. Je tiens à m'excuser de ne pas vous avoir répondu en termes de tactique mais plutôt de stratégie globale. Mais je pense qu'une telle politique serait en mesure d'aider l'agriculture de montagne.

33. Audition de M. Gilbert Blanc-Tailleur, président de l'association des maires des stations françaises de sports d'hiver et d'été (AMSFSHE) (26 juin 2002)

M. Gilbert Blanc-Tailleur - Vous m'avez demandé si, depuis ces cinq dernières années, le tourisme est en phase de croissance ou de stabilisation.

Plusieurs facteurs conditionnent le développement du tourisme en montagne, été comme hiver : la situation économique nationale et européenne, le moral des Français, les aléas climatiques, la réputation d'enneigement des sites, leur niveau d'équipement, les dates des vacances scolaires européennes ainsi que le niveau des prix des séjours comparés à des propositions touristiques concurrentielles de plus en plus alléchantes, variées et nombreuses.

Désormais, la comparabilité des prix exprimés en euros et les sites Internet de réservation de dernière minute modifient en profondeur les conditions de la concurrence, ainsi que les possibilités de choix des touristes. La performance économique des stations passe par la recherche de la qualité tant en ce qui concerne les installations de remontées mécaniques que les services.

Une tendance lourde se dégage depuis quelques années : les investissements en neige de culture sont désormais au coeur des priorités des exploitants de remontées mécaniques : ces installations permettent d'assurer le début et la fin des saisons et d'assurer le retour dans les stations, skis au pied.

Désormais, même les grandes stations qui montent haut en altitude, investissent massivement dans de telles installations, alors que la neige artificielle a longtemps été une préoccupation importante uniquement pour les stations de basse ou moyenne altitude. A ce sujet, d'ailleurs, j'attire votre attention sur la nécessité de ne pas alourdir la réglementation relative à la gestion de l'eau, car le risque serait grand de ne plus pouvoir réaliser de tels équipements, désormais indispensables.

Aujourd'hui, même si la montagne reste la première destination de vacances d'hiver, la fréquentation des stations, depuis dix ans, ne dépasse pas les 8,9 % des Français qui se rendent à la montagne en hiver, sur les 36,9 % qui partent en vacances à cette période. A noter que la fréquentation des franciliens est tombée très significativement depuis dix ans. La fréquentation des étrangers stagne aussi, voire régresse un peu : 1,9 million d'étrangers ont fréquenté nos stations de sport d'hiver lors de la saison 2000/2001.

A cet égard, l'harmonisation des dates de vacances européennes semble fondamentale. Le fait que les vacances ne soient pas harmonisées nous porte en effet préjudice. L'affluence des Belges vers le 20 janvier jusqu'au 5 ou 6 février ne s'est pas produit cette année car les vacances en Belgique sont intervenues en même temps que les vacances parisiennes.

En revanche, on constate une progression de la clientèle des Pays d'Europe centrale et orientale qui constitue peut-être une perspective. La fréquentation des stations est plutôt stable avec une légère croissance. Depuis une période récente, nous constatons un phénomène nouveau : il peut désormais se produire une déconnexion entre l'évolution du chiffre d'affaires des remontées mécaniques et celui de l'hébergement, cette déconnexion s'effectuant au profit de l'hébergement.

Ceci incite les collectivités locales qui aident les stations à réfléchir sur les causes de ce phénomène, qui, s'il devait se poursuivre, serait une source de danger pour l'économie des stations, dans la mesure ou la valeur ajoutée dégagée par l'exploitation des remontées mécaniques est la principale source de richesse collective des stations.

Le point de vue généralement constaté chez tous ceux qui ont analysé ce phénomène est que, si les vacanciers viennent à la montagne pendant l'hiver, ce n'est plus nécessairement pour consommer exclusivement du ski, mais pour connaître une pause dans leur vie habituelle, pour apprécier l'air pur, la beauté des paysages, et enfin pour vivre en harmonie familiale.

Autre question : quels sont les perspectives et les gisements à exploiter ? Les perspectives de développement économique des stations dépendent de l'importance de leur fréquentation et des efforts entrepris afin de séduire la clientèle ainsi que de la nature, de la qualité et de la quantité des équipements de remontées mécaniques, de la neige de culture et par conséquent des investissements qui sont consentis par les opérateurs et/ou par les communes supports.

En ce qui concerne le premier point, les acteurs locaux et leurs représentations nationales doivent imaginer des formules nouvelles pour répondre aux attentes de la clientèle française et étrangère en pleine mutation. En effet, les études, notamment celle de COFREMCA parue en 2000, montrent que cette clientèle est de plus en plus exigeante sur la qualité et le coût des services marchands, et de plus en plus sensible au "non marchand".

Cette clientèle, de surcroît, est attachée aux valeurs de fond symbolisées par les trois "R" : retrouvailles, ressourcement, rupture, auxquelles il convient d'apporter une réponse. Les stations ont compris la nécessité de se lancer dans des programmes de réhabilitation de l'immobilier de loisir, d'aménagement de sentiers pour piétons praticables en hiver et d'espaces réservés à la pratique des nouvelles glisses. Il est important aussi de veiller à la sécurisation et la normalisation des domaines skiables, à la construction de piscines, de patinoires, de centres thermo-ludiques et autres balnéothérapies, de faciliter l'accès à la pratique de la glisse et au séjour en station des personnes handicapées, de créer des infrastructures d'accueil pour les enfants et aussi des lieux de rencontre ludiques pour les familles.

Ceci ne constitue que quelques exemples d'actions à mettre rapidement en place, sous peine de voir la clientèle chercher ailleurs ce qu'elle ne trouverait plus dans les stations françaises.

Pour ce qui concerne la pratique de la glisse, de nouvelles inventions doivent constamment voir le jour. Il s'agit de les adapter aux pratiques des jeunes urbains, mais aussi d'autres clientèles potentielles comme les débutants par exemple qui veulent pouvoir accéder rapidement et facilement aux plaisirs de la glisse. Elles doivent aussi rendre la glisse plus facile aux "jeunes seniors" qui pratiquent encore le ski, mais moins qu'avant et qui recherchent la diversité de leurs activités en montagne.

La famille, au sens large du terme, ne doit pas être en reste. Des infrastructures d'accueil spécifiques doivent être mises en place pour elles : pistes de ski protégées et "réservées" pour pouvoir pratiquer tranquillement le ski en famille, des infrastructures d'accueil pour les plus petits, des écoles de ski performantes pour les plus grands (enseignement des nouvelles glisses, encadrement toute la journée, y compris pour les repas...) pendant que les parents skient de leur côté.

Il faut aussi permettre aux grands-parents, souvent accompagnant, d'accéder à la neige car ils constituent une niche de clientèle non-négligeable (bancs déneigés pour surveiller les petits sur les pistes de luge...).

La perspective de développement des stations de montagne passe aussi par une relance des départs en classe de neige (les enfants, séduits par leur séjour en classe de neige et prescripteurs de la destination vacances de la famille, constituent notre clientèle de demain). Cependant, de nombreux freins interviennent dans ce domaine : coût du séjour, responsabilité des accompagnateurs, réticence des parents, vétusté de certains centres d'hébergement. Il faut toutefois se rappeler que des établissements, comme Pierre et Vacances, ne sont fréquentés que pendant certaines semaines (avant Noël, janvier, après Pâques...) et ne remplissent qu'à 30 % de leur capacité.

Ne faudrait-il pas lancer un grand programme de découverte de la neige, en partenariat avec les stations, l'éducation nationale...afin de relancer massivement les classes de neige ? 50 % des classes de neige ont disparu ces dernières années selon une étude menée par la région Rhône-Alpes. Les aménagements et investissements méritent une promotion accrue afin de faire face à la concurrence. La campagne nationale Professionnels Associés de la montagne et son homologue Ski France International pour l'étranger, les outils de communication mis en place par l'AMSFSHE, Ski France, les performances du Club les P'tits Montagnards/Ski France, créé pour mieux répondre aux attentes des familles en vacances à la montagne ont vraisemblablement besoin d'amplifier leur action.

Sur cette question, je suis en mesure de vous annoncer aujourd'hui que ces différents partenaires de la montagne, parmi lesquels se trouvent le Syndicat national des téléphériques de France et le Syndicat national des moniteurs de ski, sont sur le point de constituer une plate-forme commune de moyens, destinée à harmoniser encore davantage les actions de promotion tout en rationalisant les moyens que chacun y affecte.

En ce qui concerne le second point, il me semble tout à fait intéressant que les opérateurs de remontées mécaniques ne réduisent pas leurs investissements, tant pour les engins de remontées mécaniques que pour les installations de neige de culture. Sans revenir sur les arguments et constatations développées ci-dessus, je voudrais simplement souligner que le service public du ski est un service public très capitalistique qui doit, en tant que service public industriel et commercial, trouver son équilibre par ses propres ressources.

Ces caractéristiques, sur lesquelles reposent tous les programmes de développement futurs sont très importantes. Du point de vue de la législation et de la réglementation aujourd'hui applicable par rapport à cette problématique d'investissement, je souligne que les maires des stations que je représente aujourd'hui sont très sensibles à ce qu'il n'y ait pas d'alourdissement des procédures. La procédure Unités Touristiques Nouvelles leur paraît suffisante. Celle-ci pourrait être revue selon deux axes.

Elle pourrait être allégée pour les équipements ou urbanisation de faible ampleur, ou de renouvellement sans extension : le coût de fabrication des dossiers UTN est élevé (il faut déposer 42 exemplaires du dossier), et pour les petites stations, il peut être un vrai problème. Le délai d'instruction est aussi souvent jugé trop long. D'autre part, la procédure pourrait inclure davantage d'élus locaux représentant les stations ou les massifs, et de ce fait, dépendre moins de l'administration.

Dans le même registre, il est de mon point de vue, sans doute utile de réfléchir sur le contenu et sur la forme des conventions liant la commune à l'exploitant de son domaine skiable. L'objectif est de supprimer autant que possible, les flous juridiques, et de permettre aux communes, dont beaucoup sont petites et ne disposent que de peu de moyens, de pouvoir assurer correctement le suivi de ces conventions et d'éviter qu'elles ne se fassent imposer des formules d'investissement qu'elles ne souhaitent pas.

S'agissant des acteurs de l'aménagement touristique : qui sont les porteurs de projets ? Les collectivités locales doivent-elles préférer la concession à la régie directe pour l'exploitation des remontées mécaniques ? selon le degré de développement et d'équipement du domaine skiable, ainsi que de son mode de gestion, l'initiative des projets peut venir, soit de la collectivité locale support, soit de l'exploitant (s'il est différent de la collectivité), soit des deux à la fois.

D'une manière générale, la collectivité locale n'est jamais absente du processus de maturation de projets relatifs au domaine skiable. En effet, si le mode de gestion est une régie directe, la commune maîtrise l'ensemble du processus. En cas de délégation de service public, l'initiative provient généralement du délégataire, puisque le bon fonctionnement du domaine skiable est une des obligations contractuelles qu'il doit assumer. Cependant, le délégant intervient toujours, au moins par le biais des autorisations administratives qui doivent être accordées (UTN, permis de construire).

Je remarque également qu'il existe très souvent une phase de concertation, l'intérêt du délégataire et celui du déléguant, qui récupère les installations à la fin du contrat, étant intimement liés. Une seconde tentative de réponse porte sur une analyse plus financière et repose sur l'adage populaire "qui paie commande". Suivant cette logique, l'entité qui détient la responsabilité de l'exploitation et des investissements corrélatifs détient aussi la responsabilité d'initier des projets de développement ou d'amélioration. Cependant, dans la mesure où nous sommes dans un cadre de service public, la personne responsable de ce service doit toujours avoir la possibilité minimale d'exprimer son point de vue, voire de prendre la décision finale à partir de laquelle le projet verra effectivement le jour. `

Les collectivités locales doivent-elles préférer la concession à la régie directe pour l'exploitation des remontées mécaniques ? La concession, ou plus généralement la délégation de service public, est un choix souverain revenant aux communes, et à elles seules, en fonction des dispositions de la loi Montagne.

Ce processus de gestion ancien permet de confier à un tiers choisi intuitu personae , en fonction de ses compétences et de ses capacités financières, la construction et le financement d'équipement public et leur exploitation, ou bien seulement l'exploitation de ceux-ci. L'autre mode de gestion possible réside dans la gestion directe, par le biais d'une régie directe, ou d'une régie dotée de la personnalité morale et de l'autonomie financière.

La délégation de service public (DSP) peut être considérée comme un processus de recherche de financement de projet. En effet, la collectivité qui souhaite équiper une partie de son territoire en domaine skiable (remontées mécaniques, engins de damage, caisses, monétique...) doit faire face à un montant considérable d'investissements. Le service public du ski est en effet une activité de loisir à très forte connotation capitalistique. De plus, les investissements minimaux sont d'emblée très forts : un étalement est utopique, sauf marginalement.

Peu de collectivités locales sont en mesure d'assurer à elles seules de tels financements, même si elles bénéficient de l'appui des établissements financiers. Les communes apportant leur aide aux stations sont souvent de petites collectivités dont la surface financière est généralement faible, du moins au démarrage de la station.

Outre l'aspect purement financier, intervient aussi la question du savoir-faire, de la maîtrise technique des engins nécessaires. Cet aspect motive le recours à une délégation de service public, plutôt qu'à une gestion directe. La délégation de service public apparaît donc comme un moyen d'obtenir rapidement les équipements publics souhaités, en ne sollicitant pas les finances publiques, en s'assurant le concours de professionnels, tout en ayant la certitude de faire revenir dans le patrimoine communal les équipements en question, lorsque le contrat de délégation de service public arrivera à sa fin.

En outre, pendant la durée du contrat, les risques financiers et commerciaux restent à la charge du délégataire, qui se rémunère en contrepartie directement auprès des usagers du service public, qui peuvent être assimilés à des clients. Ceci n'est évidemment possible que parce que le service public du ski est assimilé à un transport public de voyageurs et qu'un tel service public qualifié d'industriel et commercial, doit en tant que tel, s'équilibrer par sa propre exploitation, sans recours au contribuable.

Dans un tel contexte, il est difficilement concevable que le délégataire puisse exprimer ses propres choix en matière d'investissement et de modalités d'exploitation. C'est pourquoi, entre la phase de l'envoi du cahier des charges et la signature du contrat final, a lieu une période de négociation qui permet aux deux parties de mettre en concordance leurs intérêts respectifs.

Cette phase est fondamentale car elle permet d'affiner l'équilibre économique de la délégation de service public, de préciser les modalités de concertation pendant la vie du contrat et de prévoir in fine les modalités financières de sortie du contrat. Dans cet esprit, même si l'initiative d'un projet peut revenir à un délégataire, cette initiative est nécessairement partagée avec l'autorité organisatrice. L'essence même de la délégation de service public semble être le mode de gestion idéal d'un service public comme celui des remontées mécaniques : externalisation du financement, définition partagée du programme d'investissements, recours au savoir-faire de professionnels, externalisation des risques financiers et commerciaux.

Cependant, la réalité du terrain n'est pas aussi idyllique. En matière de remontées mécaniques, les tiers ayant la capacité à devenir délégataires d'une commune pour ses remontées mécaniques ne sont pas légion. A côté de la puissante Compagnie des Alpes, ne subsistent que quelques industriels opérant sur ce marché : STVI, Transmontagne, Rémy Loisirs, pour l'essentiel. A cet égard, la loi Sapin a joué un grand rôle dans la création de cette situation d'oligopole. Et je pense qu'étudier très précisément cette question est indispensable. S'agissant de la Compagnie des Alpes, par exemple, sans remettre en cause la compétence des personnes qui y travaillent, le fait que cette structure soit financée par des fonds publics (Caisse des dépôts) pose problème. La situation de quasi-monopole qui s'instaure est en effet inquiétante.

La compagnie des Alpes est entrée à plus de 50 % du capital d'une commune par exemple. Elle investit non seulement dans les infrastructures de remontées mécaniques, mais aussi dans l'hébergement. Il faut mener une réflexion sur le plan national: ne s'agit-il pas là d'une nationalisation rampante ?

Est-il normal qu'à l'aide de fonds publics se produise une situation de quasi-monopole ? A Méribel, Méribel Alpina a mis en place un carré neige (assurance à la journée qui est vendu avec le forfait) qui concurrence directement le carré neige mis en place par la fédération. Le carré neige classique prévoit que 30 % de la somme revient au club de ski local et 70 % à la fédération. Or, avec le carré neige spécifique compagnie des Alpes-Alpina, 50 % de la somme est distribué au club local et rien à la fédération. De tels agissements entraînent la disparition du tissu associatif local. Cette situation a fait l'objet d'un courrier de notre association au président de la Caisse des dépôts.

Nous attendons un arbitrage à ce sujet. Aujourd'hui du fait de cette situation de quasi-monopole, les communes peuvent se trouver en situation de faiblesse et se voir imposer des choix d'investissement qui ne correspondent pas entièrement à leurs projets. Ces opérateurs, même les plus petits d'entre eux sont très souvent mieux armés que les communes, non seulement sur le plan financier, mais aussi sur les plans technique, administratif, procédurier et juridique.

En admettant même que le contrat qui lie la commune à son délégataire soit parfait, nous pouvons constater que le suivi du contrat et le contrôle du respect par le délégataire de ses obligations n'est pas souvent correctement réalisé par les communes, faute de moyens suffisants et notamment de moyens humains. En outre, ces contrats étant de longue durée, alors que les échéances électorales sont courtes, plusieurs équipes municipales peuvent se succéder empêchant le bon suivi d'un contrat en cours de validité. D'autant que chaque changement de municipalité tend à faire disparaître de la mémoire communale une partie des connaissances et des pratiques accumulées par l'équipe précédente.

Nous pensons que le suivi d'un contrat de délégation de service public constitue une véritable responsabilité dont l'exercice nécessite des connaissances précises et une expertise certaine sur le plan technique, juridique, administratif et financier. Or, l'expérience du terrrain montre que ces conditions ne sont que rarement remplies. L'intervention des services de l'Etat n'est pas à la hauteur des enjeux. En effet, mis à part les services techniques qui assurent le contrôle des engins de remontées mécaniques, les services de l'Etat appelés à intervenir, soit comme conseillers, soit comme contrôleurs, ne sont pas reconnus comme étant particulièrement compétents en la matière sauf sur les questions de procédure.

Tout en ne négligeant pas la procédure, élément formel de la légalité externe des actes, il faut souligner qu'une délégation de service public réussie est une délégation de service public viable sur les plans économique et financier. Or, sur ce point précisément, les administrations de l'Etat ne sont pas toujours à la hauteur des attentes des maires.

Cette difficulté apparaît notamment lorsqu'il s'agit de définir la durée des contrats. Cette question est très directement liée à celle de l'étalement des investissements sur la durée de contrat : on imagine difficilement un délégataire investir dans les dernières années du contrat s'il ne dispose pas d'une période suffisamment longue pour amortir financièrement ses investissements.

En guide de conclusion, je dirais que la délégation de service public est le mode opératoire qui a permis à de très nombreuses stations de se développer. Vous pouvez constater sur le terrain que les domaines skiables exploités en régie directe sont généralement petits, comportant des équipements insuffisants et obsolètes, sans perspective d'atteindre un équilibre économique viable et sans moyens financiers permettant d'investir.

Dernière question : quels sont les besoins et les solutions en matière d'aide à la réhabilitation de l'immobilier de loisir en montagne ? Panorama et appréciation des aides apportées au tourisme de montagne. Compte tenu du délai court qui m'a été imparti pour préparer cette audition, je ne vais pas dresser maintenant un panorama complet des aides existantes par rapport au tourisme de montagne. Je me réserve cependant la possibilité de vous communiquer ultérieurement des données complémentaires. Je me contenterai de quelques développements par rapport à l'importante question de la rénovation de l'immobilier de loisir. Cette question a beaucoup préoccupé les maires des stations. Vous n'ignorez pas que le dispositif législatif dont nous disposons aujourd'hui est le fruit d'une initiative des élus locaux, fortement soutenue par le Parlement.

Nous pouvons considérer que ce dispositif est satisfaisant. En revanche, dans la mesure où il a été conçu comme un cadre souple adaptable à des réalités différentes sur le terrain, les communes ont besoin d'une aide méthodologique au démarrage et d'un soutien financier permettant de lancer l'opération de réhabilitation avec de bonnes chances de succès. L'AMSFSHE, l'ANEM et les associations des stations classées ont pris au début de cette année l'initiative de réaliser un guide national méthodologique de réhabilitation de l'immobilier de loisir. Ce guide est sur le point de paraître.

Outre ce guide, ces associations d'élus ont décidé de mettre en place un service d'appui pour les collectivités locales qui en éprouveraient le besoin. Cette cellule devrait être opérationnelle avant la fin de l'année. Du point de vue méthodologique, nous avons fait ce que nous avons estimé nécessaire. Par contre, sur le plan financier, peu de choses ont été réalisées. Les expérimentations initiées par la Direction du tourisme, l'Association française de l'ingénierie touristique (AFIT) et la Caisse des dépôts et consignations ne se sont pas révélées très efficaces sur le terrain.

Ainsi, il serait souhaitable que l'Etat établisse une vraie politique d'aide financière au démarrage des opérations de réhabilitation. Il me semble qu'une telle action est du ressort des pouvoirs publics, compte tenu de son intérêt général.

Enfin très rapidement, j'aimerais évoquer d'autres problèmes auxquels les communes sont confrontées. S'agissant de la dotation globale de fonctionnement, ne pourrait-on pas mettre en place une rétribution particulière aux communes de montagne dont l'effort de protection du patrimoine et grand ? Une autre préoccupation réside dans le financement des budgets annexes qui concerne toutes les stations. Il faudrait réfléchir à cette question.

Pour ce qui concerne la pluri-activité, il faudrait reposer le problème de la caisse pivot. Ce problème doit être résolu afin de fixer des emplois en montagne et développer des activités.

Dernier point : la gestion foncière. Nous nous heurtons aux droits de préemption de la SAFER. Ne devrait-on pas décentraliser la gestion des terres et octroyer un pouvoir d'intervention aux élus quand de jeunes agriculteurs sont désireux de s'installer ? Nous rencontrons les difficultés les plus importantes dans les zones d'appellation.

Enfin, je souhaitais exprimer combien les relations qu'entretiennent les collectivités avec les responsables des parcs sont détestables. Simplement parce que les responsables des parcs sont des fonctionnaires. Aujourd'hui il n'existe plus aucune concertation, aucun dialogue, mais, plus grave, ces entités ne manifestent aucune volonté à associer les acteurs locaux aux décisions. De plus, leur adage semble être: ce qui est bon pour les autres ne l'est pas pour nous. En effet, les règles sanitaires s'agissant des refuges ne sont pas respectées.

Continuer ainsi est impossible. Leur seul souci semble être de supprimer toute activité en montagne et de faire en sorte que les montagnes deviennent des sanctuaires.

M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur - J'aimerais vous poser quelques questions. Quelles solutions pouvons-nous trouver à la situation de quasi-monopole de certaines entreprises en montagne que vous avez évoquée en l'illustrant par l'exemple de la Compagnie des Alpes ? Faut-il imaginer des amendements à la loi Sapin ?

Deuxième question : s'agissant de la réhabilitation de l'immobilier de loisir, vous avez dit que le dispositif ORIL (opération de réhabilitation de l'immobilier de loisirs), loi Demessine était convenable. Pourtant, tous les départements n'ont pas conduit une politique de réhabilitation. Comment l'expliquer ? le problème vient-il des préfets? de la collectivité départementale ? La cherté des prix en montagne est-elle une fatalité ?

Alors que la montagne était la deuxième destination, elle est passée au quatrième rang après la ville et la campagne. Cette situation est très inquiétante pour nos montagnes et assez souvent sont évoqués le problème du prix et de la concurrence du soleil. Que peut-on faire ?

Enfin, nous avons été interrogés par des exploitants de remontées mécaniques sur la concurrence au niveau européen, notamment italienne, suisse et autrichienne. Certains responsables affirment se trouver dans une situation de concurrence déloyale car, dans les pays voisins, les infrastructures de remontées sont aidées au niveau des emprunts, du rendement et de la neige de culture. Quel est votre sentiment ?

M. Gilbert Blanc-Tailleur - Sur la concurrence au niveau des remontées mécaniques, les Dolomites, par exemple, ont mis en place en 5 ou 7 ans, un réseau d'enneigement artificiel impressionnant. Aujourd'hui, une saison dans les Dolomites dure du 15 décembre au 5-6 avril, quelles que soient les conditions climatiques. Ce dispositif bénéficie du financement de la région à hauteur de 50 %.

En France, la situation est inverse. Les maires doivent déposer rapidement les dossiers d'enneigement artificiel car, dans deux ans, recourir à la neige de culture ne sera plus autorisé en raison de la levée de boucliers de la part de l'administration et des associations de protection de la nature. L'administration, sous divers prétextes, gèle les programmes de retenue d'eau. Un dossier de La Plagne qui traînait depuis deux ans vient de passer en force.

Une saison sans neige est catastrophique non seulement pour les stations mais pour toute la vallée. A mon sens, il faut permettre la réalisation de ces équipements qui doit se faire dans les normes en respectant l'environnement. S'agissant des prix, il semble y avoir un problème de communication. Un studio Pierre et vacances de 37 m2 à la montagne coûte 183 euros la semaine, 223 euros en décembre et janvier. Néanmoins, l'idée qu'un séjour à la montagne coûte cher subsiste dans les esprits.

Or, une semaine à la montagne n'est pas plus onéreuse qu'un séjour à la mer. Même à Chamonix, vous avez tous les prix. Le phénomène de la concentration capitalistique en montagne me semble beaucoup plus ardu à résoudre. Je n'ai pas de réponse à apporter.

M. Jean-Paul Amoudry - Pourriez-vous nous communiquer l'évolution de la progression de la Compagnie des Alpes sur les sites de montagne au cours des cinq dernières années ?

M. Gilbert Blanc-Tailleur - Elle est impressionnante au cours des trois dernières années. Un exemple : les magasins de sport. La Compagnie des Alpes a racheté sur Tignes et Val d'Isère un réseau de sept/huit magasins. Le risque est de mettre de côté un tissu économique qui était pourtant intéressant, dynamique localement.

M. Jean-Paul Amoudry - Pensez-vous que la loi ayant institué l'ouverture de la délégation de service public à la concurrence soit la seule cause ?

M. Gilbert Blanc-Tailleur - Oui, car elle a ouvert une brèche.

M. Jean-Paul Amoudry - Existe-t-il d'autres causes (conditions de vie en montagne par exemple, problèmes liés à l'application de la législation sur le temps de travail, à la fiscalité) qui font qu'un exploitant de remontées mécaniques ou un propriétaire responsable de magasins de sport ou de restaurants d'altitude préfère vendre son bien au groupe en question plutôt que de le transmettre à ses enfants ?

Ou la cause repose-t-elle d'abord dans la mise en concurrence des délégations de service public ?

M. Gilbert Blanc-Tailleur - La cause repose d'abord sur la mise en concurrence des délégations de service public. Le danger est de créer des situations de monopole où les gens ne seront plus que des employés comme aux Arcs. Il ne faut surtout pas accepter cette situation de monopole. Des initiatives privées doivent pouvoir se développer surtout dans des milieux comme ceux de la montagne. Car si les perspectives, pour les jeunes se limitent à être embauchés dans des remontées mécaniques, ils vont déserter la montagne

M. Jean-Paul Amoudry - Et tout ceci s'effectue en plein paradoxe, avec de l'argent public et sous couvert d'une délégation de service public. Il faut méditer cela. Merci président.

34. Audition de MM. Marc Maillet, membre du conseil d'administration de France Nature Environnement et membre du Conseil national de la montagne, Eric Feraille, représentant du réseau Montagne de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA) et Gilles Privat, secrétaire général de Mountain Wilderness (26 juin 2002)

M. Marc Maillet - Je remercie la commission de son invitation. La société française souhaite effectuer un effort pour protéger ses montagnes. Les associations ont un rôle important à jouer dans cette mobilisation. Nous sommes de trois types d'associations.

France Nature Environnement (FNE) est une fédération nationale importante qui compte quarante salariés et travaille en réseau et en mission. Une mission montagne existe même si son poids dans le travail de mobilisation fédéral n'est pas le plus fort.

La Fédération regroupe 80 fédérations au niveau régional dont certaines sont spécialisées par thème, ce qui représente 10.000 bénévoles membres de conseil d'administration lesquels détiennent des responsabilités et une certaine influence. Le nombre d'adhérents s'élève à 600.000 personnes. Nous publions un rapport d'activité accessible à tous sur le site Internet. Je représente FNE ce jour car je siège au sein du Comité de massif des Pyrénées ainsi qu'au Conseil national de la montagne. Je laisse le soin à mes collègues de se présenter. Nous avons prévu de nous répartir les tâches s'agissant des questions que vous nous avez adressées mais notre constat et nos conclusions sont les mêmes.

M. Eric Feraille - Je suis vice-président de la FRAPNA Haute-savoie et j'interviens ici en tant que responsable du réseau montagne de la FRAPNA région, c'est-à-dire la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature, qui est également une fédération d'associations de protection de l'environnement régionales comportant des sections départementales dans la région. Notre fédération est également adhérente à FNE. Nos objectifs sont semblables. La FRAPNA représente l'ensemble des associations dans les commissions régionales ou départementales et mène également des missions d'éducation à l'environnement, d'expertise et, plus contestée, de veille environnementale.

M. Gilles Privat - Mountain Wilderness est une ONG internationale, fondée en 1987, représentée dans différents pays de l'arc alpin et également en Espagne, au Royaume-Uni, au Pakistan ainsi que dans d'autres pays. Mountain Wilderness étant à l'origine une association d'alpinistes, cela explique que notre terrain d'intervention est plutôt la haute montagne, mais, plus généralement, nous cherchons à défendre l'idée de la montagne comme terrain de liberté, comme terrain de développement d'activités libres, non commerciales. Notre champ d'action peut donc s'étendre à la moyenne montagne.

M. Marc Maillet - Nous nous opposons à la banalisation de la montagne. Nous défendons également la notion de développement durable qui apparaît aujourd'hui dans les discours de façon systématique.

Mais ces déclarations doivent être recentrées par rapport à l'origine du concept. Un développement durable qui ne prendrait pas en compte les préoccupations de protection serait un non-sens.

Le développement durable doit devenir le fil conducteur de la politique de la montagne. Il implique une économie respectueuse des ressources naturelles tant sous leur aspect quantitatif que qualitatif et la préservation de la diversité biologique. Cette politique devrait être relayée au niveau local par l'institution de comités de pilotage de massifs présentant une unité géographique, économique et culturelle.

S'agissant des espaces naturels, la biodiversité recule sous l'effet conjugué de la déprise agricole, des aménagements touristiques, de l'artificialisation des milieux, de l'urbanisation et de la pollution. Afin d'enrayer ce recul de la diversité biologique, support essentiel de la qualité des paysages indispensables à l'activité touristique, il est urgent d'adopter une politique cohérente de protection et de gestion des espaces naturels fondée sur l'identification des espaces naturels remarquables au sein de chaque massif et l'utilisation des outils de protection existants avec une mention particulière pour le réseau Natura 2000.

Ce dernier constitue un outil de protection moderne utilisable à grande échelle et impliquant la participation de tous les acteurs locaux. La préservation des continuums et des corridors biologiques est impérative pour le maintien à long terme de la diversité biologique. Concernant l'agriculture, celle-ci a façonné les paysages de montagne et se révèle indispensable à la préservation de la diversité biologique et de l'identité culturelle montagnarde.

Afin de relever le défi de la pérennisation de l'agriculture montagnarde traditionnelle, il convient d'assurer sa compétitivité par une production labellisée à forte valeur ajoutée, la mise en place de circuits de distribution courts, des aides à la mise aux normes des installations, la préservation des terres agricoles face à l'urbanisation, la revalorisation des aides apportées par les Contrats Territoriaux d'Exploitation (CTE), l'adoption d'une législation permettant le maintien et le retour du pastoralisme.

Le rôle clé de l'agriculture dans l'entretien des espaces naturels et des paysages doit être explicitement reconnu. Cette tâche doit être rendue possible par des mesures d'aides spécifiques à l'embauche dans le cadre des CTE ou des contrats Natura 2000.

En matière de tourisme et loisirs, l'impact des équipements lourds destinés à favoriser la pratique du ski alpin est considérable et a profondément altéré la perception de la montagne. La montagne est perçue non plus comme un espace vivant et habité mais comme un gigantesque stade dédié aux loisirs. La stagnation de la demande, le réchauffement climatique et l'impact environnemental et paysager majeur de ces équipements doit conduire à une réorientation radicale de la politique de développement touristique vers l'abandon de l'extension des domaines skiables, l'amélioration de l'existant, et la diversification de l'offre en l'orientant vers le contact avec l'habitant et le tourisme dit vert.

Le développement touristique de masse a créé de graves disparités entre les communes disposant d'un domaine skiable rentable et celles dont l'environnement reste préservé. Les revenus de l'activité touristique doivent être répartis par le biais d'un système de coopération intercommunale à l'échelle des massifs géographiquement et culturellement cohérents. La valeur biologique des forêts spontanées de montagne devrait être explicitement reconnue et sa gestion extensive favorisée.

La prévention de la pollution du milieu aquatique devrait être prioritaire et faire l'objet de mesures spécifiques. En raison du relief, de l'isolement, du travail séculaire des agriculteurs et de la grande variété de microclimats, la richesse des milieux naturels montagnards est exceptionnelle. Il s'agit d'un patrimoine d'une valeur inestimable et d'une grande fragilité.

Nous avons le devoir de le conserver dans le meilleur état possible. Si la valeur du patrimoine bâti en tant que témoin de l'identité culturelle est reconnue, la valeur patrimoniale et culturelle des espaces naturels est à l'heure actuelle largement sous-évaluée et doit être clairement affirmée par la politique de la montagne. En effet, la diversité biologique est plus grande sur 3.000 mètres de dénivelé en montagne que sur 3.000 kilomètres de plaine.

L'évolution des milieux naturels montagnards au cours de ces dernières années n'est pas réjouissante. Malgré la création de quelques sanctuaires protégés, la biodiversité recule de manière alarmante sous l'effet conjugué de plusieurs facteurs : la déprise agricole qui entraîne la fermeture des paysages par boisement spontané ou artificiel, mais aussi la transformation des pâturages d'altitude abandonnés en landes à faible diversité biologique. Les activités touristiques de masse entraînent la destruction directe des milieux et particulièrement la création ou l'extension de domaines skiables et les réalisations connexes d'immobilier de loisir.

Elles ont également pour effet :

l'urbanisation des vallées et piémonts ;

la transformation des boisements spontanés proches de l'état naturel en plantations d'essences exotiques ou de conifères à fort rendement ;

l'assèchement des zones humides ;

la canalisation des cours d'eau,

la création de barrages hydroélectriques et de captages pour les besoins en eau des stations ainsi que des canons à neige ,

la pollution de l'eau et de l'air.

Quels sont les outils de protection ? Les Parcs nationaux et les réserves naturelles sous la tutelle de l'Etat instituent une protection réglementaire forte et sont associés à des mesures de gestion des espaces naturels protégés. Ils ont, de plus, une vocation scientifique qui ne saurait être contestée. Outils efficaces de préservation du patrimoine naturel, ils ont permis la conservation de nombre d'espaces remarquables qui auraient sans doute disparu en l'absence de mesures de protection forte.

Mais ces mesures de protection ont souvent été instituées de manière autoritaire par l'Etat sur des territoires convoités pour l'aménagement touristique de masse (domaines skiables) afin de tenter de respecter le principe d'équilibre entre espaces naturels et espaces aménagés.

Leur acceptation est parfois problématique en raison du manque de dialogue et de concertation dans leur phase de mise en place. D'autre part, du fait des fortes contraintes qu'ils engendrent, ils ne peuvent constituer des outils pertinents pour la préservation à grande échelle des espaces montagnards.

Les Réserves nationales de chasse et de faune sauvage gérées par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCSF), ont été créées initialement dans un but de préservation du patrimoine cynégétique.

Elles contribuent à protéger efficacement les espaces naturels et la faune dans son ensemble et sont gérées par l'ONCSF ou l'ONF.

Les arrêtés préfectoraux de Protection de biotope pris par le Préfet de département après avis des communes concernées et de la Commission départementale des sites instituent une protection réglementaire forte des milieux naturels, mais n'entravent ni la chasse, ni la pêche, ni les activités agricoles et forestières traditionnelles.

Ils ont l'avantage de généralement donner lieu à une concertation locale et sont assez souvent bien acceptés. Leur inconvénient majeur réside dans l'absence de mesure de gestion des espaces naturels ainsi protégés. Ils sont généralement réservés à des espaces relativement restreints à très forte valeur biologique et ne sauraient constituer un outil de protection des milieux naturels généralisable.

Les sites classés au titre de la loi de 1930 instituent une protection paysagère rigoureuse, mais sont dépourvus de tout outil de gestion des milieux naturels remarquables. Les sites inscrits n'offrent, en revanche aucune garantie de protection.

Les Parcs naturels régionaux créés sur la base de l'adhésion des élus locaux à une charte élaborée après concertation approfondie entre les différents acteurs de l'espace rural sont susceptibles d'être un outil efficace de préservation du patrimoine naturel et culturel (exemple le Queyras). Ils renferment souvent un ou des espaces protégés par une mesure réglementaire de type Réserve naturelle comme le Haut-Jura ou par un arrêté préfectoral de Protection de Biotope. Ils ont pour inconvénient de ne pas proposer de plan de gestion d'ensemble des espaces naturels du parc, ni de sanction en cas de non-respect de la charte par un ou plusieurs de ses signataires.

D'autre part, cet outil ne limite pas les aménagements touristiques lourds à fort impact paysager et naturaliste (Volcans d'Auvergne). De ce fait, ils sont parfois inopérants pour éviter la disparition des milieux naturels.

Le réseau Natura 2000, très contesté par nombre d'élus relayés par certains représentants du monde agricole, de la chasse et des forêts privées, est un nouvel outil axé sur la gestion concertée des milieux naturels préservant leur biodiversité. La mise en place de ce réseau a souffert de sa connotation européenne. De plus, d'importantes maladresses de présentation et la trop tardive publication de son cadre réglementaire ont empêché la mise en oeuvre rapide.

Natura 2000 n'en constitue pas moins un outil moderne de préservation et de gestion des milieux naturels remarquables, basé sur un financement par contractualisation après une phase de large concertation des acteurs de terrain et d'élaboration d'objectifs de gestion. Cet outil a le grand avantage d'inclure une démarche scientifique, d'être géré au plan local par un comité de pilotage, d'impliquer tous les acteurs locaux et de proposer un accompagnement financier. De plus, il peut se superposer aux autres mesures de protection.

Ce réseau étant en cours de mise en place, son efficacité reste à évaluer. On notera les très importantes disparités de propositions de sites Natura 2000 entre massifs montagneux et entre départements au sein d'un même massif remettant en question la notion de réseau.

Les Réserves naturelles régionales représentent un nouvel outil de protection qui vient d'être institué par la loi sur la démocratie de proximité pour lequel nous ne disposons pas encore d'exemple. Elles ont l'avantage d'impliquer l'adhésion des élus et des propriétaires, mais ont l'inconvénient d'une réversibilité aisée en cas de forte pression d'aménagement.

On notera également l'existence du dispositif "Forêt de protection" interdisant tout changement d'utilisation du sol et tout défrichement, dont le but est de prévenir les catastrophes naturelles liées à l'érosion ainsi que les Réserves biologiques forestières, créées et gérées par l'ONF.

Les autres outils de protection expérimentés, comme les Directives paysagères ou l'Espace Mont Blanc, n'ont donné lieu à aucune action concrète de préservation et/ou de gestion des milieux naturels et semblent définitivement enlisés. Cet échec montre la nécessité d'une structure de coordination détenant un rôle moteur et in fine un pouvoir décisionnel afin que les projets puissent aboutir, cette dernière pouvant être l'Etat, la Région ou le Département.

Il nous paraît essentiel de souligner que la création d'espaces naturels protégés bénéficiant d'un statut de protection n'a fait que limiter les atteintes et, dans certains cas, a servi d'alibi à des actions anarchiques en dehors de ces espaces. D'autre part, une mesure de protection prise sur un territoire se révèle efficace uniquement si elle s'accompagne de la présence locale d'un gestionnaire qui maintient le dialogue et la concertation avec les élus et les habitants.

La pérennité de l'extraordinaire valeur biologique et paysagère des espaces naturels montagnards demande avant tout l'élaboration d'une démarche cohérente de préservation et l'abandon de la politique du coup par coup au gré des luttes d'influence. En effet, les outils de protection et de gestion existants utilisés à bon escient sont efficaces pour la préservation des zones naturelles à forte valeur patrimoniale. En revanche, la préservation des zones naturelles dites banales et des continuums de milieux naturels et des corridors biologiques nécessite d'être intégrée dans les documents d'urbanisme ou d'aménagement du territoire.

Cette cohérence ne peut être favorisée que par l'élaboration de plans des espaces naturels à l'échelle régionale tout d'abord en s'inspirant d'une démarche de type DTA qui pourrait être élaborée par les Comités de Massifs, puis à l'échelle du massif présentant une unité géographique, historique, économique et culturelle, (comme Bornes-Bargy-Aravis pour la Haute-Savoie), par la création de comités de pilotage de massifs.

Devraient être identifiées les zones naturelles à forte valeur patrimoniale sur la base des inventaires existants (ZNIEFF (Zone Naturelle d'Intérêt Ecologique Faunistique et Floristique), Natura 2000...), les continuums des grands milieux naturels (forêts, zones humides...), les corridors de déplacement de la faune. A cet égard, la démarche du Conseil général de l'Isère est exemplaire.

Après leur élaboration qui peut être mise en oeuvre rapidement, ces documents devraient être accessibles à tous et largement diffusés après des collectivités locales afin qu'elles puissent non seulement bénéficier des données locales, mais qu'elles puissent également se situer dans le contexte départemental et régional.

Sur la base de ces documents objectifs, les outils de préservation adaptés des zones à forte valeur patrimoniale devraient être définis (Réserve naturelle, Réserve naturelle régionale, Arrêté préfectoral de protection de Biotope, Natura 2000).

Les mesures d'accompagnement permettant une gestion et un développement cohérents des zones périphériques répondant aux objectifs de développement durable devraient être élaborés après concertation approfondie et participation des différents acteurs à l'échelle du comité de pilotage du massif. Les documents d'urbanisme (SCOT (Schémas de cohérence territoriale), PLU (Plans locaux d'urbanisme), Carte communale) devraient intégrer l'ensemble de ces données afin d'assurer la cohérence des mesures de protection de la nature avec le développement de l'habitat et des activités économiques et touristiques.

Un tel processus démocratique local pourrait mettre un terme à l'opposition quasi institutionnelle des élus et des protecteurs de l'environnement essentiellement liée au profond déficit d'écoute, de dialogue et de capacité de négociation.

Concernant l'agriculture, cette activité est au coeur de l'identité culturelle des populations montagnardes qui ont développé des modes d'exploitation originale ayant favorisé une forte diversité biologique et donné sa typicité aux paysages. Après une forte tendance à la déprise agricole, l'activité agricole, et notamment l'exploitation des alpages, semble se stabiliser pour les zones de production fromagère AOC. Dans les autres secteurs, la déprise agricole se poursuit et se voit probablement ralentie par les aides directes accordées à l'agriculture de montagne. L'activité agricole a modelé les paysages montagnards et l'agriculture traditionnelle extensive est indispensable à la pérennité de nombre de milieux dits "naturels", et des espèces animales et végétales inféodées à ces milieux. Les pelouses sèches et les alpages en sont les exemples les plus frappants. Un des défis majeurs de la politique de la montagne des prochaines décennies sera de mettre en oeuvre les moyens nécessaire à la pérennité de l'agriculture de montagne sans pour autant détériorer les milieux naturels. Cette agriculture est menacée par son manque de compétitivité vis-à-vis des territoires de plaine, la charge financière des impératifs de mise aux normes des bâtiments agricoles et des ateliers de production, l'urbanisation généralisée des vallées (résidences secondaires et lits touristiques banalisés) et des zones de piémont (développement de grandes agglomérations) entraînant la disparition des terrains plats favorables aux mécanisations et par conséquent de la production de fourrage. La pérennité de l'agriculture de montagne passe par une production labellisée de haute qualité à forte valeur ajoutée.

A cet égard, le renforcement des AOC fromages et le développement d'AOC viande (ovine, bovine, porcine) sont une impérative nécessité. Il est nécessaire également de mettre en place des circuits de distribution courts afin d'assurer un revenu maximum au producteur et limiter la plus-value liée à la multiplicité des intermédiaires. Les producteurs doivent veiller à la diversification de leurs productions (porcs, volailles, oeufs, fruits et légumes). Des aides massives mais temporaires pourraient être accordées aux agriculteurs leur permettant de mettre aux normes les bâtiments d'exploitation et les ateliers de production (fromage, viande, charcuterie...) et à l'organisation des circuits de distribution. Il faudrait identifier et préserver les surfaces agricoles des vallées et des zones de piémont indispensables à l'activité agricole traditionnelle et veiller à leur protection rigoureuse vis-à-vis de l'urbanisation ou de la création de zones récréatives. L'initiative de favoriser la desserte des pâturages d'altitude en favorisant le transport par câble limitant la pénétration par les engins motorisés serait intéressante. Enfin, il faudrait revaloriser les Contrats territoriaux d'exploitation et les Mesures agricoles environnementales en remplacement des "primes montagne". L'ensemble de ces mesures devrait aider très significativement l'agriculture de montagne à relever le défi de la compétitivité du marché et à s'affranchir progressivement des aides à la production, l'assistanat étant très mal vécu. En plus de sa vocation de production de produits bruts ou transformés, la société demande à l'agriculteur de montagne d'assurer l'entretien des paysages et des milieux dits "naturels". Cette tâche a été implicitement assumée par les agriculteurs de montagne au travers de méthodes d'exploitation traditionnelles et s'exprime actuellement de manière plus ou moins explicite par l'intermédiaire de mesures agri-environnementales dans le cadre des Contrats territoriaux d'exploitation et des contrats Natura 2000.

Considérant l'évolution récente de l'agriculture et plus particulièrement la diminution importante de la main d'oeuvre consécutive aux impératifs de rentabilité et de mécanisation, il nous paraît difficile, voire impossible qu'en l'état actuel des choses, les exploitants agricoles qui sont souvent seuls, puissent assumer le surcroît de travail que demande la mise en oeuvre des pratiques contraignantes nécessaires à la gestion des milieux naturels. Sans main d'oeuvre supplémentaire, le succès de telles mesures semble compromis. Les contrats Natura 2000 et les CTE devraient inclure l'embauche de salariés destinés à assumer la charge de travail supplémentaire. Pour ce qui concerne l'activité pastorale, nos associations sont favorables au retour des bergers et à une relance de filières jusqu'ici laissées à l'abandon. Elles soutiennent pour l'essentiel les propositions du groupe de travail interministériel sur le pastoralisme, dont le rapport a été remis au Ministre de l'agriculture afin de :

effectuer les adaptations législatives et réglementaires en appui aux associations foncières et aux groupements pastoraux ;

soutenir la formation initiale et continue des bergers et des vachers ;

améliorer la recherche et la formation dans les problématiques des zones pastorales ;

favoriser l'accès au CTE pour les structures collectives gestionnaires d'estives ;

rechercher des lieux de concertation ad hoc entre les différents utilisateurs des espaces pastoraux ;

réformer ou adapter les dotations communales et la taxe sur les espaces naturels sensibles au bénéfice des communes favorisant les surfaces en herbe et gérant des espaces naturels remarquables.

Tout cela implique que soit confiée rapidement à un parlementaire une mission visant à quantifier et proposer un axe fort en faveur du pastoralisme. Le rôle de l'agriculture de montagne dans la préservation de la qualité des paysages et des espaces naturels doit être explicitement reconnu. Cette reconnaissance doit s'accompagner d'une rémunération sous la forme de fortes aides à l'embauche dans un cadre contractuel. En effet, l'activité touristique des zones de montagne repose largement sur la qualité des paysages et des milieux naturels, il nous paraît équitable que les gestionnaires de ces espaces puissent bénéficier d'une contrepartie financière des services rendus à la collectivité. Il faut souligner qu'une telle mesure serait également très bénéfique en termes d'emplois et de préservation du tissu social.

S'agissant du tourisme et des loisirs, ces activités sont devenues au cours des dernières décennies un élément majeur de l'économie montagnarde. Leur impact est considérable sur l'évolution des paysages, des milieux naturels, de l'identité culturelle et des structures sociales des zones de montagne. Parallèlement à l'activité touristique, s'est développée une activité de loisirs des habitants des grandes métropoles proches des massifs montagneux.

Le touriste et le citadin partagent les mêmes types d'activités avec des conséquences similaires sur l'évolution de l'espace montagnard. Ces phénomènes de masse transforment l'espace montagnard en un gigantesque centre de loisirs, conduisent à l'artificialisation et à la banalisation des paysages et menacent l'identité culturelle et les activités économiques traditionnelles des communautés montagnardes. La montagne n'est plus perçue comme un milieu vivant et habité mais comme un grand stade minéral, simple support des activités ludiques plus ou moins agressives pour le milieu naturel totalement méconnu. Concernant le ski alpin, la priorité a été donnée aux équipements lourds destinés à favoriser la pratique quasi-exclusive de ce type d'activité dans les massifs où l'enneigement le permettait. Le développement considérable de la pratique du ski alpin a engendré l'extension et la diffusion des noyaux urbains préexistants, la création ex-nihilo de stations en altitude, l'équipement en remontées mécaniques et pistes de ski de surfaces considérables, la création ou l'agrandissement des infrastructures routières, la génération d'eaux usées et de déchets ménagers en grande quantité, le gaspillage de l'eau et de l'énergie (remontées mécaniques, canon à neige). Les massifs les plus concernés sont, bien entendu, les Alpes, surtout la moitié nord, les Pyrénées, mais aussi les points les plus élevés du massif central (Mont Dore et Monts du Cantal).

Ailleurs, le développement du ski alpin est resté modeste et n'a pas d'impact majeur sur l'environnement et l'agriculture. Le nombre de skieurs a augmenté jusqu'au début des années 1990 et stagne actuellement malgré l'augmentation de la proportion de la clientèle étrangère. Un phénomène que les professionnels du tourisme appellent pudiquement "la maturité"'. Le développement du ski alpin a eu un impact extrêmement négatif sur l'environnement. Cette activité a nécessité en effet la consommation irraisonnée par l'urbanisation des prairies de fauche indispensables à l'agriculture pour assurer la nourriture du bétail pendant les longs hivers. Dans certaines vallées, on pallie ce déficit par l'importation de fourrage (entraînant ainsi des coûts de transport). Ce phénomène est très marqué dans les stations dites de village. Elle a eu pour conséquence la déprise de nombre d'alpages. On estime que pour un hectare de terrains agricoles qui disparaît en vallée, quatre hectares d'alpages ne sont plus pâturés. Le développement du ski alpin a provoqué la destruction directe des milieux naturels par les constructions, les terrassements, le rabotage des pistes, l'érosion, le ski hors piste, la création de retenues collinaires afin de maintenir la neige artificielle.

De plus, certaines espèces animales exigeantes quant à la qualité du milieu comme le Tétras lyre se sont raréfiées dans des proportions alarmantes. Le milieu aquatique est pollué de façon massive du fait des eaux usées lors de la période de vulnérabilité maximale d'étiage hivernal et de reproduction des salmonidés. Une source de pollution supplémentaire non-négligeable est constituée par les restaurants d'altitude. Une quantité très importante de déchets ménagers devant être acheminée vers les décharges ou les incinérateurs est produite. Enfin le ski alpin a entraîné l'altération profonde de la qualité des paysages, particulièrement l'été qui démasque la mauvaise intégration des constructions, des remontées mécaniques, des pistes de ski.

Après une pause des constructions liée aux hivers sans neige des années 1990 et à la crise de l'immobilier consécutive, nous observons une recrudescence alarmante des projets d'extension de domaines skiables. La tendance actuelle est à la réalisation d'immenses domaines skiables interconnectés et à la conquête des derniers espaces vierges d'équipement en marge des domaines skiables. Cette évolution est très sensible dans les Alpes du nord.

Cette coûteuse fuite en avant est surtout motivée par la concurrence féroce que se livrent les grandes stations, souvent sous contrôle de grands groupes financiers, dans la perspective de profits à court terme et pour conserver leur part de marché d'une clientèle en stagnation. Elle se trouve accélérée dans certaines vallées, vallée de la Maurienne par exemple, par la mise en place de Zones de Revitalisation rurales (ZRR) qui dopent le marché de l'immobilier locatif touristique grâce à des aides fiscales très importantes. L'aménagement des zones refuges séparant les grands domaines skiables a des répercussions extrêmement néfastes notamment sur la faune, par perturbation directe de ses ultimes refuges en période de vulnérabilité, par son cantonnement dans des espaces de plus en plus restreints favorisant la dégradation des milieux forestiers et la propagation des maladies infectieuses et parasitaires, et par sa destruction directe par les dispositifs de sécurisation des domaines skiables (avalanches). L'impact touche également la flore et les milieux naturels par destruction directe ou indirecte, en interrompant la continuité des milieux naturels, en cloisonnant les espaces dits "noyaux", et en dirigeant le flux touristique estival vers les espaces encore vierges. Enfin les conséquences sur les paysages ne sont pas négligeables : les constructions artificialisent et banalisent des zones de plus en plus importantes, ce qui altère la perception même de l'espace montagnard.

Jusqu'à la décentralisation de la procédure d'autorisation des Unités touristiques nouvelles (UTN), le principe d'un équilibre entre les zones aménagées et les zones protégées a permis la protection pérenne de surfaces significatives par la création de Parcs nationaux, de Réserves naturelles et d'Arrêtés préfectoraux de protection de biotope en contrepartie des atteintes au milieu naturel consécutives aux aménagements. La procédure décentralisée a vu disparaître cette notion d'équilibre au seul profit des aménagements, conduisant au grignotage continu des espaces naturels par l'extension des domaines skiables.

De plus, nombre de décisions ou d'orientations de protection de l'Etat prises avant la décentralisation sont restées lettre morte, car n'étant pas encore mises en oeuvre au moment de la décentralisation, elles ont été efficacement combattues localement par les différents groupes d'influence convoitant ces espaces encore vierges. La procédure décentralisée, reposant sur un arrêté du Préfet de région pris après avis des différents services de l'Etat et surtout d'une Commission UTN, a montré son incapacité à préserver les milieux naturels face aux enjeux économiques à court terme. Les seuls motifs d'avis défavorable sont d'ordre économique, mais l'impact environnemental d'un projet, fût-il majeur, ne constitue pas un élément d'abandon du projet. La commission UTN s'est transformée en commission de validation où plus de 90 % des dossiers sont acceptés. La composition de cette commission doit être examinée : les aménageurs ou des membres directement impliqués dans l'administration de station sont sur-représentés alors que les associations de protection ou d'usagers ne disposent que d'un seul siège. Les mesures dites de "compensations environnementales" sont généralement minimes et impropres à réduire un impact non compensable et restent souvent inappliquées. Il faut également noter un très faible taux de réalisation des UTN approuvées dans les Pyrénées.

L'enjeu spéculatif demeure sur les droits à construire, ce qui limite tout autre perspective, notamment agricole.

Le déficit d'enneigement conduit nombre de stations de moyenne altitude à investir dans la production de neige dite de "culture". Cette évolution conduit non seulement à une artificialisation encore plus profonde de l'espace dédié au ski alpin, mais a pour effet le gaspillage de la ressource en eau, car bien souvent ce sont les ressources d'eau potable qui alimentent les canons à neige. En résulte également l'assèchement des petits cours d'eau et la destruction du milieu aquatique accentué par l'étiage hivernal, la destruction de zones humides, à forte valeur patrimoniale, pour la constitution de retenues collinaires, l'apparition d'additifs chimiques ou bactériens remontant la température de congélation de l'eau est un facteur d'inquiétude car personne ne connaît les conséquences de la dispersion de ces additifs en grande quantité dans le milieu naturel. Le ski alpin reste une activité de première importance au niveau national et réalise un chiffre d'affaires considérable. Néanmoins, si cette activité a pu à court terme donner une bouffée d'oxygène à certaines communes de montagne, la situation, aujourd'hui, s'avère contrastée. D'un côté les grands domaines skiables et leurs structures d'hébergement connexes se portent bien. Toutefois, ces grandes infrastructures rentables échappent de plus en plus aux communautés montagnardes et passent sous contrôle de grands groupes financiers en quête de rentabilité immédiate. Les petites stations de basse et moyenne altitude connaissent souvent de grandes difficultés financières car elles ne peuvent amortir les lourds investissements consentis du fait de la pénurie de neige. Une aide publique est souvent nécessaire pour éviter le dépôt de bilan.

Etant donné que la France est le pays du monde qui possède le plus fort pourcentage de zones de montagne aménagées en domaine skiable, que l'offre est supérieure à la demande, que le réchauffement climatique caractérisé par des automnes tardifs, des printemps précoces, le recul des glaciers et la remontée de l'altitude moyenne de l'enneigement hivernal de 1 000 à 1 500 mètres en l'espace de 40 ans est devenu une réalité, que, dans une échéance de 10 à 20 ans, le réchauffement climatique va entraîner une remontée de l'enneigement hivernal aux environs de 1 800-2 000 mètres, que l'impact sur l'environnement du ski alpin est grand, que tout nouvel aménagement en zone vierge aura un impact majeur et non compensable sur l'environnement, enfin que l'extension des domaines skiables est incompatible avec la notion de développement durable, nous demandons comme le Club alpin français et le Club arc alpin, que la politique de la montagne s'oriente résolument vers la préservation des espaces vierges d'équipement et proscrive l'extension des domaines skiables existants.

La commission UTN a montré son inaptitude à l'évaluation des impacts environnementaux des projets d'aménagement. Son rôle devrait se limiter à l'analyse des aspects socio-économiques du projet, l'analyse de la compatibilité du projet d'aménagement avec les impératifs de préservation des milieux naturels. Les objectifs du développement durable devraient revenir à la Commission départementale des sites perspectives et paysages en formation de protection de la nature et, le cas échéant, aux futurs comités de pilotage des massifs. La réalisation d'un projet devrait être subordonnée à l'obtention d'un avis favorable de l'ensemble des commissions. En cas d'avis favorable, un comité de suivi devrait être désigné afin de vérifier la conformité des réalisations par rapport à l'autorisation délivrée. La politique commerciale des stations françaises basée sur le seul critère quantitatif des kilomètres de pistes et du nombre de remontées mécaniques offertes à la clientèle doit être remise en question. Le maintien de la compétitivité de la France dans le domaine du ski alpin passe par une amélioration de la qualité de l'offre et non de sa quantité qui est déjà excédentaire.

A cet égard, un effort considérable devrait être consenti pour le remplacement des téléskis par des télésièges, l'adaptation du débit des remontées mécaniques à la fréquentation, l'intégration paysagère des remontées mécaniques et des pistes, et l'amélioration de la qualité de l'hébergement et des services en station. Dans le cas particulier des stations de basse et moyenne altitude en difficulté financière, la politique de la montagne devrait favoriser la reconversion basée sur la diversification des activités et aider au démantèlement progressif des remontées mécaniques obsolètes à mesure de la croissance de l'offre diversifiée. La reconversion de certains domaines équipés pour le ski alpin en domaines de ski nordique moins préjudiciable à l'environnement pourrait être effectuée. La politique actuelle de fuite en avant fondée sur la conquête de nouveaux espaces vierges et l'enneigement artificiel doit être abandonnée. L'enneigement artificiel devrait être très limité, et soumis à une étude d'impact et une procédure d'autorisation tenant compte de la ressource en eau, de la sensibilité des milieux sur les sites susceptibles d'être aménagés. L'adjonction d'additifs devrait être proscrite en application du principe de précaution jusqu'à ce que leur innocuité pour l'environnement soit établie de manière scientifiquement irréfutable.

Les via Ferrata, phénomène d'apparition récente, se multiplient sur tous les massifs montagneux. Bénéficiant d'un flou réglementaire, l'implantation des Via Ferrata s'effectue au gré de leurs promoteurs en fonction des seuls arguments touristiques et techniques. A l'heure actuelle, les enjeux environnementaux, parfois très importants en ce qui concerne l'avifaune protégée, ne sont absolument pas pris en compte. Les projets de Via Ferrata devraient être soumis à enquête publique mettant en oeuvre une étude d'impact et une procédure d'autorisation de type UTN prenant en compte de manière forte les enjeux environnementaux. En effet, les falaises sont d'une richesse faunistique et floristique très inégale en fonction de leur exposition et il est rare qu'il n'existe pas de site potentiel pour développer une Via Ferrata dont l'impact environnemental soit faible, voire minime. Enfin, vu l'ampleur des travaux nécessaires, la construction de Via Ferrata devrait être subordonnée à l'obtention d'un permis de construire.

L'impact paysager du ski nordique est limité car sa pratique ne nécessite généralement pas de remontées mécaniques et peu ou pas de terrassements. Les problèmes environnementaux posés par cette pratique concernent essentiellement : le dérangement de la faune en période d'hivernage, ce qui peut être évité en détournant les traversées des zones d'hivernage sur les pistes, les dommages causés à certains milieux particulièrement sensibles comme les tourbières par les engins de damage et les skieurs, impact négatif qui peut être aisément évité par un tracé des pistes adéquat.

La principale nuisance est constituée par le trafic automobile et le stationnement anarchique à proximité du domaine skiable comme aux Glières. Mais cet impact pourrait être réduit par l'instauration d'un système de navette gratuite au départ des stations et d'un stationnement payant en altitude. Les activités de pleine nature motivent les séjours en montagne et le principe du libre accès à la nature doit être affirmé. Leur impact sur l'environnement dépend de la densité de fréquentation et du degré d'information des pratiquants. Le rôle d'information des offices de tourisme et des accompagnateurs est, à cet égard, capital. Ces derniers informent le public sur les nuisances produites par la fréquentation anarchique sur la faune, sur les milieux naturels sensibles (zones humides), sur les activités agro-pastorales et indiquent les propositions d'itinéraires balisés et/ou pédagogiques permettant une maîtrise des flux. Dans ce domaine, les collectivités locales et les professionnels du tourisme pourraient travailler en collaboration étroite avec le milieu associatif. La raquette à neige pose par endroits de graves problèmes de dérangement de la faune en période de vulnérabilité hivernale. Un effort d'information sur les conséquences des perturbations hivernales de la faune (mortalité par épuisement) et la proposition d'itinéraires balisés reprenant les sentiers utilisés pour la randonnée estivale pourraient concourir efficacement à limiter l'impact de cette pratique en plein essor.

Nous voudrions proposer quelques pistes pour permettre au tourisme de participer au développement durable : d'une part il faudrait instituer un système de répartition des revenus générés par la pratique du ski alpin qui sont très inégalement répartis. Plutôt que de chercher à développer la pratique du ski alpin dans les communes dont l'environnement est encore préservé (Sixt Fer à cheval en Haute-Savoie), il nous paraît plus opportun de jeter les bases d'une coopération intercommunale par l'intermédiaire de larges Communautés de communes et d'instaurer ainsi une répartition des revenus issus de l'activité touristique hivernale. En effet, une part non négligeable de l'activité touristique des stations dont le cadre paysager est très dégradé repose sur l'attractivité des espaces naturels encore vierges d'équipement des communes voisines, sans que celles-ci n'en retirent les dividendes. De plus, il faudrait favoriser la diversification de l'offre. L'avenir de nombreuses petites stations de sport d'hiver orientées sur la seule pratique du ski alpin comme La Giettaz, en Savoie, est sombre en raison des aléas climatiques et du réchauffement planétaire. Il nous paraît essentiel de favoriser la diversification de l'offre par une reconversion d'une partie du domaine skiable en domaine nordique. Il faudrait, par ailleurs, développer l'hébergement chez l'habitant (gîtes ruraux, chambres d'hôtes, accueil à la ferme) de manière à rompre l'isolement des populations montagnardes et de favoriser le contact entre le monde rural et monde urbain, qui est de plus en plus ténu, enfin, proposer des formations d'encadrement des activités de loisirs afin de garantir la pérennité de la pluri-activité qui, à l'heure actuelle repose essentiellement sur le monitorat de ski et les emplois liés aux remontées mécaniques, l'hôtellerie et la restauration employant surtout des travailleurs saisonniers.

Les forêts recouvrent de nos jours des surfaces très importantes dans les zones de montagne. Il est important de souligner que les espaces forestiers sont d'un intérêt biologique très différent selon le mode de gestion en vigueur. Les anciennes forêts semi-naturelles exploitées extensivement et constituées d'essences indigènes qui se développent spontanément en altitude, renferment une très forte valeur biologique.

La valeur biologique des plantations de conifères exotiques ou d'épicéas en rangs serrés exploités en coupe à blanc est en revanche très faible. Bien que loin d'être en danger sur le plan quantitatif, la forêt de montagne est menacée sur le plan qualitatif. La tendance ces dernières décennies a été marquée par une forte croissance des plantations de résineux au détriment des peuplements naturels. Cette évolution a été particulièrement marquée dans le Massif Central et dans les Vosges. La préservation des peuplements forestiers proches de l'état naturel devrait être fortement encouragée par des aides spécifiques inspirées des contrats Natura 2000 et par une labelisation du bois issu de ces forêts exploitées de manière extensive (jardinage). Ces aides seraient une reconnaissance explicite du rôle protecteur de la forêt par rapport à l'érosion et aux risques naturels (avalanches, glissements de terrain). L'exploitation du bois est difficile en zone de montagne et génératrice d'importants dégâts liés à la réalisation de pistes d'exploitation, du passage des engins de débardage de plus en plus lourds. Localement, ces travaux forestiers entraînent une érosion préoccupante et les pistes ouvrent de nouveaux espaces à la pratique des loisirs motorisés qui sont une source de nuisance forte pour la faune et les autres usagers de ces espaces. La fragilité de ces terrains devrait être prise en compte lors des travaux d'exploitation forestière et les techniques de débardage par les chevaux ou par câble devraient être encouragées par des aides spécifiques et par la création d'un label. Lorsque la création d'une piste d'exploitation s'impose, elle devrait être refermée et reboisée dès la fin des travaux afin de limiter l'érosion et la pénétration des engins à moteurs (quads, 4x4, motoneiges).

La spécificité et la richesse biologique particulière de la zone de conflit entre la forêt et les espaces ouverts (1 600-2 000 m) devrait être explicitement reconnue et un effort de gestion particulier de cette zone devrait être entrepris. Cette zone est à la fois menacée par la fermeture des espaces due à la progression des boisements et par les aménagements en domaine skiable. Toute nouvelle installation dans cette zone largement équipée devrait être proscrite et la restauration de ces milieux dits en mosaïque (bosquets, landes, prairies) devrait être favorisée (exemple Tétras Lyre dans le Val d'Arly en Savoie). Enfin les zones de montagne bénéficiant de larges peuplements forestiers devraient être encouragées pour utiliser le bois local comme matériau de construction et comme source d'énergie renouvelable avec des retombés bénéfiques en termes d'emploi.

Les zones de montagne renferment de fortes réserves d'eau en raison de fortes précipitations et d'une couverture neigeuse des zones d'altitude. Cette ressource en eau qui paraît abondante se révèle néanmoins fragile et mérite une politique de préservation spécifique. L'étude du Conseil supérieur de la pêche montre que les zones de montagne ne sont pas épargnées par la dégradation de la qualité du milieu aquatique. Les causes principales de la détérioration de la qualité des cours d'eau sont : la pollution d'origine agricole ou domestique diffuse en tête de bassins versants, la pollution domestique d'origine urbaine et industrielle dans les vallées, la canalisation des cours d'eau, les séquelles des extractions de granulats, les ouvrages hydroélectriques. La politique de la montagne devrait particulièrement prendre en compte la pollution diffuse en tête de bassin versant qui compromet la capacité d'auto-épuration des cours d'eau, celle-ci étant déjà saturée "à la source". Des mesures spécifiques d'aide à la réalisation de systèmes d'assainissement autonomes performants adaptés à l'habitat dispersé en hameaux et aux exploitations agricoles devraient être prises : filtres plantés de roseaux en dessous de 1000 mètres d'altitude et lits filtrants ailleurs.

La pollution d'origine agricole pourrait être réduite par des plans d'épandage en vallée, la création de fumières et en favorisant la fertilisation par le fumier au lieu du lisier. La pollution domestique d'origine urbaine mérite d'être spécifiquement prise en compte par la politique de la montagne en raison de son caractère saisonnier étroitement lié à l'activité touristique des stations. Force est de constater que peu de stations touristiques rejettent une eau de qualité adéquate au milieu naturel. Et 15 % des stations françaises de ski ne sont pas raccordées à une station d'épuration. Il nous paraît essentiel que toute nouvelle extension d'urbanisation soit strictement dépendante de la mise en conformité préalable des installations d'assainissement des eaux usées , tant sur la plan de la qualité des eaux restituées au milieu naturel, que sur le plan de la capacité des installations en termes d'équivalent habitants.

S'agissant du transport de marchandises, nous ne traiterons pas le transport international qui ne relève pas de la politique de la montagne, mais de la politique économique européenne. La position des associations de protection de l'environnement est claire dans ce domaine : priorité au rail et aux filières locales. La création de nouvelles voies de communication doit être limitée au maximum et strictement subordonnée aux besoins des exploitants agricoles, forestiers ou à l'amélioration de la desserte de communes isolées. Toute ouverture de voies nouvelles ou l'élargissement de voies anciennes devrait être soumise à l'approbation d'un comité de pilotage du massif, ou en son absence à la Commission départementale des sites perspectives et paysages, afin d'éviter tout abus et d'en limiter les impacts environnementaux.

Dans le cas particulier des pistes d'exploitation forestières, celles-ci devraient être obligatoirement refermées et reboisées afin de limiter l'érosion et la pénétration des véhicules motorisés. Dans le cas particulier de la desserte des pâturages d'altitude, la priorité devrait aller au transport par câble. S'agissant des loisirs, toute création de voies destinées aux seuls loisirs doit être proscrite tout particulièrement la réalisation de routes panoramiques ou de circuits touristiques pour engins motorisés. Une vigilance particulière est de mise concernant la réalisation de pseudo-dessertes de pâturages d'altitude destinées à accéder à des chalets d'alpage transformés en résidences secondaires. De fait la prolifération des engins motorisés tout terrain utilisés à des fins de loisir est génératrice de conflits d'usage avec les exploitants agricoles et les autres usagers de la montagne. La politique de la montagne devrait clairement inscrire l'interdiction d'utilisation des chemins d'exploitation et des itinéraires pédestres aux véhicules à moteur (exception faite pour les exploitants agricoles et forestiers). Il convient de souligner la responsabilité des élus en cas d'accident. La politique de la montagne devrait réaffirmer l'illégalité de l'utilisation des engins de progression sur neige à des fins de loisirs, y compris la desserte de résidences secondaires. Cette pratique illicite est source de graves nuisances sur la faune en période de vulnérabilité hivernale, de risques d'accidents graves et de nuisances sonores et olfactives pour les autres usagers de la montagne. Le cas particulier des déposes en hélicoptère à partir des pays voisins mérite d'être examiné. Les déposes ont lieu sur des sommets frontaliers et la reprise des clients s'effectue sur le territoire français. Ce sont à la fois la dépose et la reprise par hélicoptères qui doivent être proscrites. A cet égard, un effort d'harmonisation européen devrait être effectué.

En conclusion, la politique de la montagne devrait avoir pour ligne directrice le développement durable impliquant la préservation et la gestion des espaces naturels remarquables avec des outils appropriés et la prise en compte de la "nature ordinaire" dans la politique d'aménagement afin de préserver et/ou de restaurer la continuité des milieux naturels et le fonctionnement des corridors écologiques. Il faudrait aussi veiller à pérenniser l'agriculture traditionnelle de montagne en reconnaissant explicitement son rôle clé dans la préservation des espaces naturels et des paysages remarquables sur lesquels se fonde l'activité touristique. Il faudrait aussi favoriser l'activité des filières agropastorales afin de permettre le retour des bergers, orienter le développement du ski alpin sur des aspects qualitatifs et mettre un terme à la politique d'extension des domaines skiables génératrice d'atteintes graves aux paysages, aux milieux naturels, à la faune, à la flore et à l'identité culturelle. Le développement touristique devrait être axé sur une offre diversifiée, équilibrée, facteur de cohésion sociale et respectant le patrimoine naturel et culturel des espaces montagnards. Il faudrait aussi favoriser la qualité et l'exploitation extensive des boisements de montagne, reconquérir la qualité de l'eau, réduire les nuisances du transport de transit international et de la circulation des engins de loisirs motorisés.

Nous soulignons que l'unité pertinente pour atteindre les objectifs de préservation du patrimoine naturel est celle du massif présentant une unité culturelle, historique, géographique et économique, y compris dans ses aspects transfrontaliers. La création de "comités de pilotage" de ces massifs au sein desquels tous les acteurs de la vie locale, dont les associations de protection de l'environnement seraient représentés de manière équilibrée pourrait être la pierre angulaire de la politique de développement durable de l'espace montagnard. En son sein pourraient être intégrés à l'échelon local les impératifs de préservation des milieux naturels, les besoins de l'activité agricole, les méthodes de gestion et d'exploitation des espaces boisés, la préservation ou la reconquête de la qualité de l'eau et le développement touristique respectueux de l'environnement et de l'identité culturelle.

M. Eric Feraille - C'est à mon sens un premier exemple du développement durable appliqué et de la démocratie locale appliquée. Je peine à comprendre pourquoi ce projet a suscité autant de contestation. Cette situation est dommageable pour la montagne car cet outil semble particulièrement bien adapté à la protection du patrimoine montagnard. Certains blocages liés à Natura 2000 semblent s'estomper, notamment avec le monde agricole et les chasseurs, en tout cas dans les Alpes du nord. Des problèmes subsistent avec des élus qui ont peur de s'engager dans ce processus par crainte de l'Europe. Les pays du Sud de l'Europe n'ont pas eu cette crainte. L'Espagne a proposé 15 % de son territoire national, le Portugal plus de 10 %, l'Italie est largement au-dessus de nous, la Grèce est à 25 %. En revanche la France, pays d'Europe qui détient le plus riche patrimoine naturel d'Europe a proposé 5 %. Une étude du département économie de l'université de Klagenfurt en Autriche qui a étudié le bénéfice de Natura 2000 sur le plan purement économique montre que cette disposition se révèle bénéfique pour le tourisme ainsi que pour l'agriculture, la chasse et la pêche. Cet outil de développement n'est pas négligeable. Sa mise en oeuvre en France est disparate, je vous laisse, si vous le désirez, consulter la carte figurant sur le site du ministère de l'environnement

M. Marc Maillet - Il faut indiquer que les listes remontées à l'Europe, comme s'y est engagé le gouvernement, n'étaient pas suffisantes s'agissant d'un certain nombre de sites remarquables et d'espèces protégées. Un complément de sites a donc été effectué en janvier notamment pour les zones à ours. En revanche pour les Alpes, 7 à 11 types de sites manquent. Or, ces compléments ne sont pas annoncés. Il serait souhaitable que ces sites soient complétés et que par ailleurs le département des Pyrénées-Atlantiques ne soit pas l'enfant terrible du rejet total de l'application de Natura 2000. Ce ne sera plus le cas si les zones à risque sont transmises.

M. Jean-Paul Amoudry - Avez-vous en votre possession des informations précises s'agissant du réchauffement climatique ?

M. Eric Feraille - Oui, une étude du journal "Nature" démontre le raccourcissement des saisons au cours du XXe siècle, les printemps précoces et les hivers tardifs

M. Jean-Paul Amoudry - Je suis d'accord avec vous pour dire que les lieux de débats n'existent pas et que, de ce point de vue-là, le comité de massif n'a pas rempli sa mission. J'y vois une conséquence dans une activité judiciaire assez forte puisque, en l'absence de dialogue, une action devant les tribunaux constitue le seul recours. Pourriez-vous nous transmettre des informations sur les actions en justice menées par vos mouvements ? Ces actions apparaissent parfois un peu systématiques à l'encontre des projets immobiliers ou de projets devant les collectivités

M. Marc Maillet - Le nombre de recours est très faible mais très médiatisé. Car le nombre d'UTN est devenu faible aussi.

M. Jean-Paul Amoudry - Les UTN ne sont pas les seuls concernées.

M. Marc Maillet - Oui, il y a les plans d'occupation des sols aussi. Mais ce droit d'action en justice est celui du citoyen. Il s'agit d'un contrôle de légalité et il n'existe aucune autre possibilité de contestation. Nous n'avons pas de volonté systématique de traduire quiconque en justice. Mais je l'avoue, je crains que la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain introduise des recours supplémentaires lors du passage des POS aux cartes communales. Car le déclassement se fait en défaveur de la protection de l'esthétique du village par un mitage plus accentué.

M. Jean-Paul Amoudry - Je ne souhaite pas remettre en cause ces recours prévus par la loi, notamment celle de 1992 qui a trait aux enquêtes publiques. On constate néanmoins une judiciarisation qui traduit un manque de dialogue. J'aimerais donc savoir sur quels éléments réside le contentieux résultant de la loi montagne ?

M. Marc Maillet - De notre côté, la lassitude est grande, je vous l'assure, à entamer des recours qui aboutissent cinq ans après et s'avèrent finalement inutiles car la construction est achevée ou le projet a été abandonné. La vallée du Galbe, dans les Pyrénées-Orientales par exemple, au sein de laquelle certains souhaitaient construire une piste et des remontées mécaniques, a été sauvée grâce à un recours. S'agissant des POS, il n'existe aucune structure de discussion alors qu'auparavant des groupes de travail étaient mis en place. Seules les associations agréées peuvent demander à être entendues. Effectivement, subsiste la procédure mise en place par les enquêtes publiques, mais il est question de la réformer à cause de l'absence du public justement. Comment pallier cette absence du public ? Des associations ont proposé des alternatives qui remettent en cause le système. Je propose de s'orienter vers des offices d'animation du débat public au niveau des départements où l'on puisse disposer des documents. Car, en effet, obtenir les documents nécessite d'entamer une procédure qui s'apparente souvent à un parcours du combattant, et génère peut-être de l'agressivité. De plus, les enquêtes publiques confirment souvent les décisions prises par le conseil municipal. Je pense que des efforts doivent être effectués dans deux directions : l'effort de transparence et l'implication des associations au processus de décision.

M. Eric Feraille - Le contentieux représente une part faible de l'activité associative, en Haute-savoie, en tout cas. Dans notre région, les motoneiges causent beaucoup de problèmes et nous nous portons partie civile car l'Etat est défaillant en ce domaine. Nombre de contentieux pourraient être évités si une discussion sur les projets avait lieu en amont. Or, souvent, les projets sont construits de toutes pièces et présentés au dernier moment sans possibilité de négocier. Le conflit juridique est toujours un symbole d'échec pour nous, car il signifie que nous ne parvenons pas à dialoguer. Si des abus ont pu se produire dans le passé, le recours devant les juridictions ne fait pas partie de la philosophie de notre association.

M. Jean-Paul Amoudry - Les loupés de départ expliquent souvent les conflits. Natura 2000 est un bon exemple, mais les prédateurs aussi. Par exemple, il aurait fallu avouer la réintroduction des ours et ne pas dire qu'ils étaient revenus depuis la Slovénie.

M. Gérard Bailly - Le manque de concertation est évident. La question de fond de votre intervention me semble être : quel aménagement souhaitons-nous ? Apparemment, vous désirez un territoire de montagne propice au repos, une zone de loisirs. Je crois que les gens de la montagne ne conçoivent pas les choses ainsi. Leur souhait est que la montagne vive. Ils veulent que des activités se développent comme l'agriculture permettant qu'un docteur, une pharmacie puissent rester. Mais combien reste-t-il d'agriculteurs aujourd'hui ? Combien de mois dans l'année sont concernés par le tourisme ? Il faut que reste une vie dans ces montagnes. Or, quand les maires veulent mettre en oeuvre des projets, ils se heurtent à d'immenses difficultés pour les implanter. Les contraintes sont très fortes. Il faut que la montagne puisse entretenir des services libres. Les paysans ne veulent plus vivre dans un village où les volets sont fermés presque toute l'année. Les femmes de paysans ne veulent plus rester. Nous avons évoqué aussi le thème des prédateurs, mais imaginez bien qu'un paysan qui possède des moutons ou des poules par exemple, ne travaille pas pour nourrir les prédateurs. S'agissant de Natura 2000 : vous dites les gens ne comprennent pas. Mais, en 24 heures, deux personnes sont venues me voir. L'une d'entre elles se retrouve au tribunal car elle a creusé un fossé de 120 mètres de profondeur dans sa propriété classée Natura 2000 sans qu'elle le sache car elle habite la commune d'à côté.

Comment voulez-vous que cette personne puisse être favorable à Natura 2000. Autre exemple, notre Conseil général est en train de refaire une route, mais nous ne pouvons pas travailler pendant la nidification, pendant la période de reproduction des cerfs, pendant les saisons touristiques. Les contraintes font que les travaux ne peuvent pas être réalisés. Nous parvenons à des extrêmes. Sans discussion, nous allons parvenir à une rupture. Dans le cadre de Natura 2000, nous avons obtenu une prime à l'herbe de 46 euros par hectare, mais pour en bénéficier il faut signer un CTE, les agriculteurs se heurtent toujours à une multitude de conditions. Demain, il n'y aura plus d'agriculteurs mais les espaces, eux seront libres.

M. Marc Maillet - Nous partageons ces préoccupations de vie en montagne. D'ailleurs, ce samedi, nous organisons une réunion sur le problème du train dans les Pyrénées dans le cadre de l'année internationale de la montagne. Car les services publics disparaissent aussi.

Mais les situations ne sont pas homogènes en montagne. Des cantons souffrent de leur faiblesse démographique, tandis que d'autres ont stabilisé leur population. Lors de ces réunions sont présents les habitants, les élus, l'administration. Protéger la faune ne constitue pas notre seule préoccupation. Il faut que l'homme puisse vivre dans des conditions favorables. Je ne crois pas que vous deviez systématiser les écologiques comme des « emmerdeurs » qui freineraient la vie en montagne. Ils souhaitent l'améliorer et donner envie à de nouveaux habitants d'y résider.

M. Gérard Bailly - S'il y a du travail et le travail implique modernisation, voiries, PME.

M. Marc Maillet - La modernisation ne signifie pas forcément voiries, il peut s'agir d'écoles.

M. Jean Boyer - Mon collègue a parlé avec son coeur en tant qu'agriculteur et montagnard. Dans mon département, la Haute-Loire, 18 cantons sont en Zone de revitalisation rurale (ZRR). L'inquiétude des responsables agricoles n'est pas le manque de terre, mais le fait qu'ils puissent avoir des voisins. Les agriculteurs, qui sont dans ces zones de montagne et acceptent de rester entre 800 et 1.000 mètres d'altitude, ont l'impression que la montagne est colonisée, car on lui amène des prescriptions et aucune possibilité d'améliorer certaines choses. Par exemple, obtenir une AOC en montagne est impensable. Pour la viande, la première qui en bénéficiera sera certainement située sur le mezin à cause d'une plante particulière qui s'appelle la sistre, puisque l'AOC est liée au territoire. Les choses ne sont pas si évidentes dans ces territoires et les agriculteurs sont découragés, la morosité est forte. Le dialogue est nécessaire pour que chacun se comprenne. Les agriculteurs aussi désirent sauvegarder la montagne puisqu'ils y résident. Les CTE comme Natura 2000 ont été interprétés comme des vecteurs de contraintes supplémentaires. Mieux faire comprendre quels sont les intérêts des dispositifs me semble indispensable.

M. Eric Feraille - Empêcher les gens d'habiter en montagne n'est pas notre objectif. Nous comprenons le désarroi de ces gens. Il faut le prendre en compte, développer des activités économiques qui leur permettent de survivre. Mais construire des usines en montagne est illusoire à cause de l'absence de voiries. Ces questions ne vont pas être résolues du jour au lendemain. Notre rôle est de proposer les outils de protection de l'environnement qui sont compatibles avec l'activité économique. Mais je n'ai rien contre l'activité industrielle ou artisanale.

M. Jean Boyer - La montagne, en effet, n'est pas adaptée à des activités économiques et industrielles, mais il faut que ses produits soient valorisés à leur juste de valeur.

M. Eric Feraille - Nous sommes évidemment d'accord. Et votre rôle de politique est de favoriser cela.

M. Gérard Bailly - Je le répète, il faut qu'il y ait d'autres forces vives en montagne car les agriculteurs s'en vont. Il faut préserver des activités en montagne, mais j'ai l'impression que nous ne savons pas répondre à cette question. Nous n'avons pas suffisamment aidé les PME qui cherchent à s'installer dans des villages de 200 habitants.

M. Jean-Paul Amoudry - Je crois qu'il nous faut conclure cette discussion. J'espère que ce débat nous permettra de formuler des idées qui feront avancer la démocratie locale.

35. Audition de M. Didier Borotra, sénateur, maire de Biarritz, président de l'Association nationale des maires des stations classées et des communes touristiques (ANMSCCT), accompagné de Mme Géraldine Leduc, directrice générale et M. Renaud Colin, chargé de mission (2 juillet 2002)

M. Auguste Cazalet - En tant que Président de la Mission commune d'information sur la montagne, je suis très heureux de recevoir mon collègue et ami Didier Borotra, sénateur maire de Biarritz et Président de l'Association Nationale des Maires des Stations classées Communes Touristiques (ANMSCCT). Il est accompagné de Madame Géraldine Leduc, directrice générale de l'ANMSCCT et de Renaud Colin, chargé de mission.

Notre collègue Jean-Paul Amoudry est rapporteur de la présente mission commune d'information. Nous avons déjà effectué plusieurs auditions et déplacements : nous serons d'ailleurs la semaine prochaine dans les Pyrénées, afin de visiter en trois jours les Pyrénées-Orientales, les Hautes-Pyrénées, Andorre, et enfin les Pyrénées-Atlantiques.

Nous vous laissons donc la parole.

M. Didier Borotra - Je suis tout d'abord content d'être auditionné par la Commission Montagne, même si ma commune n'est pas, comme chacun sait, située en altitude. Je suis ici en tant que Président de l'ANMSCCT qui regroupe non seulement les communes du littoral mais également les communes de montagne, les stations thermales et les communes de tourisme intérieur. Elle regroupe au total plus de 1 200 communes et elle a fêté l'an dernier son soixante-dixième anniversaire, ce qui en fait la plus ancienne association de maires en France.

Je commencerai par l'essentiel : les relations entre le tourisme et les zones de montagne. J'ai siégé longtemps au conseil général des Pyrénées-Atlantiques, département qui a la chance de posséder stations balnéaires et stations de montagne, et au conseil régional d'Aquitaine, en tant que responsable du tourisme. Dans ces deux fonctions, j'ai souvent eu l'occasion d'entendre exprimer les espoirs que constitue le tourisme pour le développement des zones de montagne. Je voudrais toutefois apporter un témoignage d'optimisme très raisonné, car je pense que beaucoup se font, à cet égard, des illusions. Nous sommes en droit de nous interroger sur la légitimité des investissements très lourds qui ont été décidés, sans prendre en compte les réalités de plus en plus contraignantes du développement touristique. Le problème du tourisme en montagne n'est pas fondamentalement différent de celui du tourisme en général et particulièrement du tourisme de la zone littorale, qui concentre plus de 70 % des touristes. Mon rôle est de rappeler ces contraintes qui éclairent les limites du développement touristique en montagne et mettent en garde contre des illusions qui ont coûté cher à de nombreux conseils généraux et communes.

Il convient tout d'abord de rappeler que les contraintes du développement touristique sont celles du marché. L'évolution actuelle du marché touristique s'articule autour d'une logique de produits et d'une logique de destination. La tentation naturelle est de privilégier la seconde car c'est bien connu : « le lieu où l'on habite est le plus beau. », chacun s'efforçant d'en convaincre l'autre. La logique de produit est délaissée, car plus ardue et basée sur la concurrence. Des activités touristiques ont été créées autour de ces logiques de destination en oubliant que si les démarches n'étaient pas compétitives, elles étaient vouées à l'échec. Les investissements touristiques ne peuvent générer un retour sur investissement qu'à partir de durées d'utilisation suffisantes. Créer des stations de montagne dans des lieux non enneigés, une année sur deux, débouche sur des difficultés majeures et des déficits qui pèsent sur les chances de développement de l'ensemble de la région. J'ajoute qu'un développement touristique est impossible sans la mise en place d'hébergements adaptés. J'y reviendrai lorsque j'évoquerai la problématique de l'environnement et particulièrement l'absence de projet global cohérent, auquel on laisse se substituer une confiance excessive accordée aux investisseurs privés. Tout cela a conduit à la destruction de certains sites et à la présence d'hébergements fortement dégradés qui nuisent à l'image des zones touristiques, d'où la mise en place des ORIL (Opérations de rénovation de l'immobilier de loisir) et du dispositif VRT (Villages résidentiels de tourisme).

Cette contrainte du marché est la contrainte la plus lourde. Mon expérience du tourisme me conduit à penser qu'il est dangereux de laisser croire que le tourisme peut être développé n'importe où et n'importe comment.

Il existe un deuxième type de contraintes, financières celles-là. Il fut un temps où les conseils généraux faisaient montre d'une grande générosité. Dans mon conseil général, cette situation a perduré. Les investissements réalisés ne généraient pas des bénéfices suffisants pour payer les annuités des emprunts pris en charge par les contribuables. On mesure les conséquences de telles décisions : soit il faut appliquer aux impôts des hausses qui auraient été inutiles dans d'autres circonstances, soit ces ressources sont utilisées pour combler des déficits, alors qu'elles auraient pu l'être de manière plus productive.

Le domaine du tourisme, en France du moins, se caractérise par une organisation très partenariale, reposant sur la participation des pouvoirs publics, en particulier des collectivités locales (communes, départements, régions), de l'investissement privé, qui souvent suit les efforts financiers de la puissance publique, et du monde associatif, qui se charge en général de la promotion et de l'animation. Cette économie partenariale met au premier rang les financements publics, surtout en montagne mais également dans les zones littorales.

Les ressources spécifiques dont disposent les collectivités territoriales pour mener une vraie politique touristique sont totalement inadaptées. Elle sont au nombre de deux : la dotation touristique et la taxe de séjour.

La dotation touristique représente globalement environ 183 millions d'euros, et la taxe de séjour plus de 12 millions d'euros. La dotation touristique est verrouillée, puisqu'elle a été intégrée à la dotation globale de fonctionnement (DGF) et que les communes n'en bénéficiant pas avant cette intégration ne peuvent plus y avoir droit. Cette dotation touche environ 1 600 communes, 2 300 si l'on inclut les structures intercommunales, dont font partie certaines communes de montagne.

La taxe de séjour représente quant à elle une recette spécifique qui aurait dû permettre de payer les charges spécifiques au développement touristique, mais la manière dont elle a été conçue est critiquable et sa perception par les communes pose de redoutables difficultés. Je voudrais à cet égard rappeler à mes collègues ici présents que la loi Pasqua prévoyait l'obligation de déclarer les meublés qui constituent la base nécessaire, pour s'assurer que toutes les locations donnaient lieu aux taxes de séjour correspondantes. La Loi Voynet a récemment supprimé cette obligation, condamnant ainsi la taxe de séjour à n'être perçue pour l'essentiel que sur les lits banalisés et les opérateurs professionnels, c'est-à-dire les hôtels et les agences immobilières. Cette insuffisance de réglementation est bien évidemment un obstacle considérable à la politique de développement touristique. En effet, le système mis en place ne garantit pas de retours suffisants de recettes aux collectivités locales pour assurer les annuités d'emprunts.

Les contraintes sont également d'ordre environnemental. Elles sont particulièrement importantes en montagne, mais également sur le littoral où la loi de protection est très stricte. Je suis favorable à ces réglementations, qui sont le seul moyen d'empêcher des dérives. Je le dis crûment : nous avons analysé au sein de l'ANMSCCT les conséquences de la loi Littoral. Des modifications sont sûrement à apporter à cette dernière, mais son équilibre général doit être maintenu. Je rappelle que le touriste, venant en montagne est rarement motivé par un but unique. Le ski est le principal, mais ce ne peut être la seule raison du choix d'une destination. Je crois à l'importance de paramètres tels que l'identité des régions, la beauté des sites et l'équilibre écologique. La destruction des sites exceptionnels atteint en profondeur les chances d'un développement touristique équilibré. De ce point de vue, la réglementation au plan national est une nécessité absolue et tous les pays qui s'en sont privés ont détruit leurs plus beaux sites. Ceci ne signifie d'ailleurs pas qu'ils n'y ont pas gagné des richesses temporaires. La fréquentation des zones qui n'ont pas légiféré sur les contraintes environnementales a toutefois fini par diminuer. Dans le département des Pyrénées-Atlantiques, Auguste Cazalet et moi-même connaissons les problèmes de la vallée d'Aspe ou de la vallée d'Ossau, liés à la construction d'une route. Je passe sur les détails, mais il est certain que des équilibres généraux doivent être préservés. Par conséquent l'augmentation de la capacité d'accueil ne peut être un objectif à atteindre à n'importe quel prix.

J'ajouterais que nous vivons aussi les difficultés liées à la directive européenne Natura 2000. Pour vous donner un exemple des différences d'appréciation, la ville de Biarritz dont je suis le maire a accepté le classement en Natura 2000 de certains de ses sites, alors qu'en montagne, la plupart des communes ont refusé, craignant qu'une mauvaise application de cette directive n'engendre l'interdiction de toute activité. L'idée même de la directive est selon moi bonne, mais ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas doit être précisé, sinon il faut accepter le risque d'une levée de boucliers des populations contre cette réglementation européenne. Lever le flou des contraintes est une nécessité absolue, rapidement.

Le développement touristique est inconcevable sans un projet global de station. Le risque, sinon, est de croire que la seule vérité est dans l'accueil d'un nombre toujours croissant de gens, donc dans le développement du nombre de lits de la station. C'est à mon sens une erreur lourde et une logique de laquelle il est difficile de sortir une fois qu'elle a été choisie. Le tourisme est communément considéré comme une solution privilégiée pour créer de l'emploi, de l'activité et de la richesse, mais en raison d'un déficit de moyens financiers au niveau communal - exception faite des aides des conseils généraux et régionaux -, l'appel aux investisseurs privés est inévitable. La pression pour construire toujours plus est donc grandissante. Evidemment, les retours économiques sont incontestables mais l'absence d'un projet limitant les perspectives de développement de la station se traduit la plupart du temps par des excès. Nous avons pu les observer davantage dans les Alpes que dans les Pyrénées pour des raisons qui tiennent notamment à l'enneigement, mais également à l'attachement culturel des montagnards, à leurs sites et aux équilibres naturels. Mon expérience me pousse à dire qu'il n'est pas de grands projets touristiques qui ne se fixent leurs propres limites. Autrement dit, il est préférable d'opter pour un développement équilibré avec une capacité d'accueil limitée : ce choix est plus durable que la dérive consistant à augmenter d'année en année le nombre de lits, à créer les équipements publics et donc à provoquer les nuisances correspondantes qui finiront un jour par altérer l'image de la destination.

La difficulté du tourisme en montagne par rapport aux stations littorales tient à leur difficile accessibilité. L'accès par train ou par route est chose facile sur l'ensemble du territoire mais pas toujours dans les zones de montagne. La tentation est donc de créer toujours plus de routes, avec les conséquences qui en résultent.

On observe depuis des années la tendance au fractionnement des vacances. La RTT (réduction du temps de travail) n'est pas à l'origine de ce phénomène mais le favorisera grandement. Il est vérifié partout : la logique touristique est unique, même si des spécificités se dégagent pour certaines zones. Ce fractionnement des vacances joue en faveur des lieux faciles d'accès, car un temps de parcours d'une journée pour accéder à une station est bien trop important lorsque la durée des vacances n'excède pas quatre ou cinq jours. Je suis très frappé de constater les conséquences rapides de l'ouverture d'une ligne TGV sur une destination qui dispose d'un potentiel touristique considérable, comme Marseille. Le développement des infrastructures de transports influence directement et sensiblement le développement touristique : dans ma région des Pyrénées-Atlantiques par exemple, le développement touristique a été directement lié à la création des liaisons aériennes. L'autoroute relie cette région à Paris depuis de longues années, mais sept heures sont nécessaires pour effectuer le trajet en voiture, ce qui représentait un obstacle au tourisme de week-end ou au tourisme fractionné.

Enfin, il n'y a pas de développement touristique sans des animations, lorsque les stations sont fréquentées. De ce point de vue, il est vrai que les petites communes, même si elles reçoivent de nombreux touristes, pêchent souvent par des structures inadaptées. L'animation touristique passe en France par le monde associatif, le bénévolat et un professionnalisme qui n'est qu'additionnel. Le problème est flagrant pour les petites communes. Par exemple, Gourette-les-Eaux-Bonnes, commune d'à peine 600 ou 700 habitants, dispose d'une capacité d'accueil de 7 ou 8 000 lits : l'inadéquation est donc totale entre la capacité d'accueil et les possibilités de créer des animations permanentes à l'intérieur de la station. Les évolutions actuelles montrent que les touristes ne sont pas motivés par des offres mono-produit, même lorsqu'ils viennent pour faire du ski. Ils apprécient au contraire une offre de services multiple, qui est directement liée à l'idée qu'ils se font de leurs vacances.

Mes propos ont pour objectif d'expliquer que tout n'est pas possible en matière de tourisme : même lorsque des investissements immenses sont réalisés pour des remontées mécaniques et la mise en place de structures d'hébergement, on s'aperçoit que les durées de fréquentation sont relativement faibles. Ces investissements, analysés du seul point de vue de la rentabilité, s'avèrent être du gaspillage de fonds publics, même si dans une perspective d'aménagement du territoire, ils ne sont pas infondés. Dans les années qui viennent, ils seront de plus en plus difficiles à assumer. Je regrette de dire devant Auguste Cazalet que si des investissements lourds ont été effectués dans les années 70, ils ne seraient plus possibles aujourd'hui car les priorités sont ailleurs. Cette situation nouvelle doit nécessairement conduire à une réflexion sur les politiques volontaristes, consistant à créer à tout prix le développement touristique, quel que soit le coût de l'entretien et du renouvellement des structures. Il en résultera, certes, des emplois, mais avec des dépenses publiques lourdes qui ne seraient en définitive pas réellement justifiées. Pardonnez ce qui pourrait vous sembler présomptueux, venant d'un élu d'une commune de littoral, mais j'encourage la Commission Montagne à ne pas s'en tenir simplement aux affirmations de réussite exprimées par les décideurs, mais plutôt à en faire une véritable évaluation. Des surprises sont à attendre...

Il est évident que l'image touristique des zones de montagne françaises est assez forte dans le monde, en raison du dynamisme et de l'organisation qui existent chez nous depuis longtemps, contrairement à beaucoup d'autres pays. Les stations sont reconnues comme exemplaires, sans que l'on se préoccupe de leur coût. Leur image est indéniablement associée aux notions de sport et de santé, très prégnantes aujourd'hui dans les motivations des touristes. Mais une fois encore, le danger est de ne pas voir que ces motivations ne sont plus uniformes.

J'ai le sentiment que la promotion du tourisme français à l'étranger, et particulièrement du tourisme d'hiver, est insuffisante. Je reviendrai sur le caractère multi-saisons du tourisme de montagne, mais pour l'instant les sports d'hiver représentent l'essentiel de ce tourisme. L'ouverture aux étrangers est une nécessité, ce qui suppose une forte promotion qui n'est pas suffisamment assumée à l'heure qu'il est. Les stations de sports d'hiver sont dans ce domaine mieux organisées que les autres sites touristiques. Mais les budgets de la promotion du tourisme de montagne à l'étranger sont en cause. Maison de la France dispose de crédits limités, même si les départements et les régions les ont considérablement augmentés. Sa réussite tient en fait à sa capacité à nouer des partenariats, mais les dépenses de promotion du tourisme français à l'étranger par rapport à nos voisins espagnols sont trois, voire quatre fois moindres. Il n'y a pas de secret. J'ai la chance de voyager un peu partout dans le monde et la présence à l'étranger ne va pas de soi. Il ne faut pas penser que les Français sont les meilleurs et les plus aimés.

Vous me dispenserez de commentaires sur la position de la France comme première destination touristique au monde : c'est une manière de voir les choses. Le vrai débat pour un Ministre est de savoir si une augmentation d'un million de touristes pourra être annoncée à la fin de l'année. Mais au niveau des Pyrénées-Atlantiques, nous voyons passer les voyageurs allemands ou belges se rendant en Espagne ou au Portugal : ceux-ci seront comptabilisés comme des touristes dans notre pays ! Pourtant ils ne s'arrêteront chez nous que sur les aires d'autoroutes, et non pas dans nos villes. Ce n'est pas le nombre de touristes mais le chiffre d'affaires généré par le tourisme qui compte vraiment. Et la France est de ce point de vue largement dépassée par les USA. L'Europe d'une manière générale perd du terrain au niveau mondial, et la France stagne, par rapport à ses deux principaux concurrents l'Espagne et l'Italie.

Le tourisme de sports d'hiver doit être davantage soutenu que le tourisme littoral, compte tenu des mouvements naturels que l'on observe toute l'année à partir des grandes destinations françaises et particulièrement de Paris. Après avoir visité la capitale et l'une ou l'autre grande ville, les touristes étrangers se rendent ailleurs, là où ils sont attirés par la promotion. Celle des stations de sports d'hiver ne se fera pas toute seule. Des progrès ont certes été observés, mais l'heure est à la stabilisation.

Comme mentionné plus haut, un nombre de gens, en constante progression, partent pour quatre ou cinq jours, par périodes. Au niveau des stations littorales, ce phénomène constitue une modification profonde des habitudes et se traduit par la présence très importante de touristes dans des résidences secondaires tout au long de l'année. Il était communément admis que la période de haute saison - juillet et août - s'étendait jusqu'à quatre mois pour les résidences secondaires. Mais une catégorie particulière de touristes fait son apparition. Ceux qui possèdent une seconde résidence : ils vivent six mois dans une grande ville et viennent régulièrement dans leur résidence secondaire, ce qui pose le problème du développement éventuel de telles résidences en montagne.

Je pense qu'elles représentent des opportunités très intéressantes à condition que leur développement soit strictement maîtrisé. Rien ne serait pire que le mitage des montagnes par des lotissements. A cet égard, l'élaboration d'un projet de station s'impose. Il s'agit de définir ce que l'on veut faire de sa ville et où les constructions sont autorisées ; la démarche imposée par les nouvelles réglementations et le plan local d'urbanisme (P.L.U.) relèvent d'une bonne vision prospective.

Il n'en va pas ainsi pour la loi solidarité et renouvellement urbains (SRU) : elle devra impérativement être modifiée, pas seulement pour l'obligation des 20 % de logements sociaux qu'elle comporte, mais également parce qu'elle est motivée par le principe de la densification. La solution choisie devrait au contraire être la qualité, incompatible en général avec la densification. Je prends un exemple : lorsque vous avez déjà appliqué la totalité du coefficient d'occupation des sols (COS) à un terrain, vous avez la possibilité, après en avoir vendu une partie, d'appliquer à nouveau le même COS à ce terrain fractionné. Voilà des schémas de densification bien adaptés à la politique d'agglomération mais qui hélas ! sont applicables à des communes dont la problématique est différente. Il faut mettre un terme à ces procédures extrêmement dangereuses car un développement touristique pérenne doit s'appuyer sur une très grande qualité urbaine : aménagements d'espaces publics, densité contrôlée, qualité architecturale.

Reste enfin le problème de l'activité plurisaisonnière. Quel avenir touristique pour les communes de montagne en dehors de la saison d'hiver ? Les communes littorales ont une certaine avance en ce domaine, car une saison étalée sur toute l'année est, depuis longtemps, un rêve pour tous les maires. La réussite est plus mitigée. La capacité à mettre sur le marché des produits répondant à l'attente d'une population très diversifiée n'est en effet pas uniforme. Beaucoup ont, certes, des sites ouverts à la promenade et aux sports, à une approche culturelle spécifique, mais il reste à imaginer des produits adaptés à la clientèle qui ne vient pas seulement rechercher un moment de tranquillité. L'étude au cas par cas doit être la règle. Les obstacles sont les contraintes auxquelles j'ai fait allusion tout à l'heure : naturelles bien sûr, celles du marché, des finances, de l'équilibre de la nature, de l'éloignement. Vous ne les ferez jamais totalement disparaître. Alors rien ne sert de dépenser toujours plus pour une multi-saisonnalité un peu illusoire, des possibilités de développement touristique existent, mais il convient de ne pas les exagérer.

Les relations entre environnement et tourisme constituent un sujet essentiel qui me touche également ; ces relations ne relèvent pas d'une problématique propre aux zones de montagne.  La question aujourd'hui est la suivante : notre pays doit-il défendre sa culture, ses sites touristiques, son équilibre ou doit-il se laisser entraîner dans une logique de développement non maîtrisée ? La réponse est évidente pour peu que l'on prenne conscience du fait que les touristes eux-mêmes accepteront de moins en moins la remise en cause des grands équilibres naturels. Cela ne signifie pas que la montagne devra être animée par les bergers ou par les ours ! Simplement, nous devons avoir le courage de considérer que le développement est impossible sans une certaine modération. L'exemple du littoral mérite d'être médité. La destruction d'une partie des côtes espagnoles, - notamment la Costa del Sol à Marbella -, l'acquisition de lotissements entiers par des étrangers, les avions déchargeant leur masse de touristes doivent servir de repoussoirs. Je vous assure que d'ici dix ans ou vingt ans, la fréquentation de ces zones aura considérablement fléchi, car le soleil ne sera plus une motivation suffisante : les touristes aspireront de plus en plus à une autre qualité de vie.

Je souhaite aborder rapidement quelques sujets supplémentaires comme l'hôtellerie, les services publics et les ressources spécifiques liées au tourisme.

Concernant l'hôtellerie, malgré les investissements réalisés, certains établissements ne sont plus entretenus et la dégradation de l'image de la station suit de près celle des bâtiments. Nous avons beaucoup travaillé au sein de l'ANMSCCT pour la mise en place des opérations de réhabilitation de l'immobilier de loisir (ORIL) que j'estime être une très bonne initiative, à condition qu'elles trouvent un relais financier auprès des régions et des départements. L'enjeu est énorme, comme le montre l'exemple de stations thermales où le patrimoine exceptionnel se détruit en même temps que la réputation de la station. Les chances d'un développement de l'activité économique et touristique disparaissent alors. Face à cet enjeu actuel, des opérations de réhabilitation ont été mises en place mais elles ont fonctionné quand des financements étaient disponibles, notamment de la part de l'ANAH. L'un des défis est aujourd'hui de savoir si l'on pourra, à l'avenir, continuer à trouver de tels financements.

Autre sujet, les services publics. Une station touristique, même de moyenne importance, a besoin du maintien des services publics. Voilà une contribution que l'Etat peut apporter dans le cadre de véritables projets de développement, conçus en partenariat avec lui, la région et le département. Sans ces services publics minima, tout développement d'une activité touristique devient très difficile.

Concernant les ressources spécifiques liées au tourisme, il convient de bien prendre conscience des dépenses spécifiques liées à la fréquentation touristique d'une commune : l'augmentation de la population pendant une partie de l'année entraîne un équipement surdimensionné, par rapport à la population permanente. Au sein de l'ANMSCCT, nous plaidons pour la création d'une taxe spécifique levée volontairement par les communes, ce qui avait été prévu par le code des collectivités locales et annulé par un amendement voté par l'Assemblée nationale. Il s'agit d'élargir ce qui existe actuellement avec la taxe de séjour pour les hébergements ou la taxe de remontée mécanique, à des activités commerciales qui se limitent à la période de haute fréquentation.

Il convient de rechercher un juste équilibre entre l'argent que gagnent ces opérateurs publics et le retour minimum de recettes que justifient les investissements publics. Je tiens à vous rappeler que ce type de taxes existe déjà en Autriche ou aux Etats-Unis sous la forme de la « city tax », dont les recettes, très importantes, permettent d'établir une relation claire entre la dépense publique et les effets économiques. Il est normal que l'on fasse payer des taxes aux contribuables, mais il est aussi normal que l'on fasse payer des taxes par ceux qui viennent dans les stations et profitent des efforts publics. Cette taxe touristique était prévue par les textes mais selon une tradition de l'administration française, elle est restée vingt ans dans le code des collectivités locales sans recevoir les décrets d'application correspondants, avant d'être supprimée un jour.

On peut constater à ce niveau une carence lourde de la part des hommes politiques. Nous avons voté les lois, c'est à nous de veiller à ce qu'elles soient appliquées. Il nous a été objecté pendant longtemps l'argument de l'harmonisation fiscale européenne et autres difficultés, mais chacun sait que, lorsque le Ministère des finances veut freiner un projet, la faute de l'Europe est traditionnellement mise en avant, alors que ce même ministère parvient parfaitement à s'arranger avec les réglementations européennes lorsqu'il s'agit de ses propres revendications.

Concernant la dotation touristique, nous plaidons pour une approche plus typologique de la répartition de la DGF qui reconnaîtrait le caractère spécifique d'un certain nombre de communes, à travers leurs dépenses. Ceci se fait déjà dans un autre domaine, avec la dotation de solidarité urbaine pour les villes ayant des quartiers en difficulté. Une réflexion est menée dans ce sens au sein du comité des finances locales.

Je suis en outre partisan, à partir de la part forfaitaire de la DGF, de permettre l'ouverture de la dotation touristique à de nouvelles communes qui réalisent d'importants efforts de développement touristique, en montagne ou ailleurs, et qui aujourd'hui ne disposent d'aucune ressource spécifique pour accompagner ce développement.

M. Auguste Cazalet - Nous remercions Didier Borotra de son intervention. Avant de passer aux questions, j'aimerais lui dire que je suis entièrement d'accord avec lui concernant la situation des Pyrénées-Atlantiques.

Mes collègues sénateurs, Messieurs Besse et Jarlier, Madame André, désirez-vous poser des questions ? Madame Leduc peut également intervenir.

Mme Géraldine Leduc - Après un exposé aussi complet, je serai brève. J'insisterai sur les évolutions du tourisme. Il s'agit d'une activité de plus en plus soumise à la concurrence étrangère et nous nous rendons compte qu'un certain nombre de Français se rendent à l'étranger durant la saison d'hiver, préférant à la neige des destinations plus lointaines et exotiques. Il y a, je crois, un véritable effort à faire en matière de diversification des produits. J'ai pu le constater la semaine dernière lors des premières rencontres du marketing français. Les touristes sont de plus en plus demandeurs de packaging : ils ne vont plus au sports d'hiver uniquement pour le produit « ski » mais également pour les sports de glisse, le parapente, la randonnée, etc. Des efforts ont été réalisés dans ce dernier domaine avec la mise en place de sentiers de randonnée et l'installation de bancs pour ceux qui ne skient pas. De même, des animations ont été mises à disposition des touristes, comme la possibilité de passer des nuits à l'intérieur d'igloos. Ces touristes ont besoin de « packs » de produits qui peuvent avoir une certaine lisibilité sous la forme de cartes commerciales.

M. Roger Besse - Je souhaite poser une question. Elu d'un département de moyenne montagne, je m'inquiète des investissements réalisés dans une station de ski de moyenne altitude et en particulier après la lecture d'un article publié ces jours-ci par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques qui fait apparaître des changements extrêmement rapides du climat au cours des dernières décennies. Ce climat se traduit par un réchauffement d'environ deux degrés en cinquante ans avec des conséquences significatives sur le niveau de la mer et le recul du littoral, mais également, en montagne, sur le nombre de jours d'enneigement par an, qui diminue entre trente et soixante jours. Je m'interroge sur la pérennité de ces stations : avez-vous un avis à ce sujet ?

M. Didier Borotra - Je commencerai ma réponse par une petite précision. Lorsqu'une régie exploite une remontée mécanique en déficit et que ce déficit doit être comblé par le Conseil général, il est soumis à la TVA.  C'est donc une subvention soumise à la TVA ! J'avais trouvé une solution, qui nous avait d'ailleurs valu un rappel à l'ordre strict de la part de la Chambre régionale des comptes ; elle consistait à considérer la régie en cessation de paiement par le jeu de la caution du Conseil général. Cette pratique a été sanctionnée. Cela montre combien il est anormal de devoir subventionner une régie pour payer les annuités d'un emprunt.

En ce qui concerne votre question sur le climat, je peux vous dire que l'érosion des falaises, due aux mouvements de la mer, est très fluctuante. L'observation de l'érosion des falaises sur les 150 dernières années montre qu'alternent des périodes où la mer monte et attaque les falaises, et des périodes où le mouvement est moins sensible. Alors je ne sais pas si l'augmentation de la température de deux degrés aura vraiment une quelconque influence sur le développement touristique. Ce chiffre me semble élevé et je préfère me méfier de ce que l'on peut lire dans les journaux.

De toute façon, Monsieur le Président, il n'importe pas en matière de tourisme de savoir si les investissements sont pérennes parce que la durée de vie des investissements lourds en question est sans rapport avec les conséquences réelles des phénomènes climatiques que vous évoquez. Je veux à nouveau insister sur le fait que le tourisme n'est plus un artisanat et que le manque de compétitivité dans un marché croissant est synonyme de condamnation. Aujourd'hui, au risque de vous faire sourire, un aller-retour Paris/Biarritz en avion est plus cher que Paris/New York : la distance n'existe donc plus. Il faut être aussi bon et même meilleur que les autres.

Mme Michèle André - Vous expliquiez que la France n'est pas forcément la destination touristique que l'on imagine. Comment se fait-il alors que le contraire soit annoncé de façon permanente ? En tant qu'élue du Puy-de-Dôme, je peux vous dire que le classement qui place le Puy-de-Dôme comme le douzième site visité en France est faux. Tout le monde est aveuglé et continue de le répéter, malgré nos rectifications.

M. Didier Borotra - Votre question est intéressante. Tout d'abord, la France est une extraordinaire destination touristique mais les ministres du tourisme ont tellement peu de moyens qu'ils doivent sans cesse revenir vers les conseils généraux et les conseils régionaux. Ce transfert de responsabilités de l'Etat vers les collectivités locales devenues les vrais promoteurs des projets de stations est inquiétant. L'idée selon laquelle la France est la première destination touristique du monde et que tout va bien avec le système actuel dispense l'Etat d'assumer ses responsabilités.

La vérité est un peu différente : l'Europe perd du terrain sur le marché touristique mondial et la position de la France ne s'améliore pas en Europe. De plus, j'ai le sentiment que l'équipement public touristique est en baisse depuis plusieurs années. Or, ces investissements commandent directement la compétitivité du tourisme français, pour les années à venir. Il est probable toutefois qu'ils aient repris grâce aux engagements des départements et des régions au travers des Contrats de Plan Etat-Région. A cela il faut rajouter l'extrême difficulté à mobiliser les crédits européens, notamment à destination des zones les plus compétitives qui ont été totalement exclues des zones d'intervention communautaire. Or ceux-ci constituaient auparavant la participation traditionnelle de l'Etat.

M. Pierre Jarlier - Nous avons évoqué la compétitivité, mais nous ne pouvons dissocier la compétitivité de la qualité en particulier en matière d'habitats de loisir. Certaines expérimentations sont en cours avec les ORIL. J'aurais aimé avoir votre sentiment sur ces expérimentations qui sont inscrites dans la loi SRU : comment percevez-vous ce type d'opération ? Peuvent-elles être généralisées et portées par des structures intercommunales de proximité ? Peut-on imaginer un travail en parallèle pour les ORIL, afin d'obtenir un système plus opérationnel pour des structures relativement lourdes ? J'aimerais, en somme, savoir comment adapter ce dispositif qui peut être efficace pour améliorer la qualité de l'habitat de loisir.

M. Didier Borotra - L'ANMSCCT a participé avec l'AMSFHSE et l'Association nationale des élus de montagne à la mise au point de ce dispositif. D'abord, je reste persuadé qu'aujourd'hui, un certain nombre de stations sont menacées par la dégradation de leur immobilier et que cette réhabilitation est nécessaire au redémarrage de l'économie touristique. Il n'est pas question seulement d'immobilier mais plus largement d'aménagement public, ces deux domaines nécessitant l'établissement de plans d'ensemble afin de restaurer par exemple les centres-villes de certaines stations. Le problème posé est celui du financement, car le niveau d'engagement des département et régions dans cette démarche est variable.

36. Audition de MM. André Radier, président de l'Ordre des géomètres experts, Pierre Bibollet, membre du Conseil supérieur de l'Ordre des géomètres experts et Jean Godfroid, ancien préfet, secrétaire général de l'Ordre des géomètres experts (2 juillet 2002)

M. Auguste Cazalet - Je vous prie de bien vouloir nous excuser pour le léger retard que nous avons pris. Je voudrais aussi vous demander d'excuser l'absence de Monsieur Jacques Blanc, Président de cette Commission, et de Jean-Paul Amoudry, son rapporteur général, qui vient d'être appelé pour assister à l'hommage rendu à la championne de ski Régine Cavagnoud.

M. André Radier - Je suis géomètre expert à Montpellier et Président du Conseil supérieur de l'Ordre des géomètres experts (OGE). J'ai été nommé par Jacques Blanc à l'Agence méditerranéenne de l'environnement, qui dépend directement du Conseil régional. Je suis également Président d'AFIGéo, l'Association française d'information géographique qui dépend de la Commission nationale d'information géographique.

M. Pierre Bibollet - Je suis également membre du Conseil supérieur de l'OGE et de la Commission d'urbanisme de l'Ordre. J'exerce à Thônes en Haute-Savoie, dans le département du sénateur Jean-Paul Amoudry.

M. Jean Godfroid - Préfet en service détaché, je suis Secrétaire général de l'OGE.

M. Auguste Cazalet - V ous avez reçu une grille de questions sur lesquelles nous aimerions sans plus attendre connaître vos réponses.

M. André Radier - Vous nous avez proposé quatre questions. Nous passerons rapidement sur les deux premières qui visaient à présenter l'Ordre des géomètres experts.

La profession de géomètre expert remonte aussi loin que la connaissance de la terre et l'aménagement du territoire. C'est en France que fut créé il y a 125 ans la Fédération internationale des géomètres experts. Elle a pour but de définir ce qu'est la terre et d'essayer de la restituer sous toutes ses composantes. L'OGE a été institué en 1946, et malgré ce que peuvent croire certains, il ne doit pas sa création au régime de Vichy. Une mission bien spécifique lui a été confiée. Traditionnellement, le profil de géomètre, la représentation de la terre et l'aménagement du territoire primaient dans notre métier. Mais depuis 1946 revient à l'OGE la mission de service public de « dire la propriété ». Nous avons donc avant tout, en France, la délégation de service public de la délimitation foncière, dont nous avons le monopole. Vient ensuite une fonction d'aménagement du territoire, vocation des géomètres experts partout dans le monde.

Sans aller trop loin dans le passé, il faut savoir que les géomètres experts ont été tour à tour ceux qui ont été en charge de la cartographie de la terre, en tant qu'officiers ministériels durant la Renaissance, pour disparaître ensuite complètement pendant la Révolution et refaire surface dans les années 1850 après la refonte du cadastre décidée par Napoléon.

La profession est libérale avec des caractéristiques connues : responsabilité, indépendance et qualité du professionnel. Nous sommes très attachés à ces trois critères, symboles de notre caractère libéral. L'Ordre n'est pas un syndicat : nous sommes au service du citoyen pour la délégation de service public. Nous sommes attentifs au travail du législateur qui définit la nature et les fonctions de l'Ordre.

Notre Secrétaire général pourra vous donner quelques chiffres qui vous permettront de vous faire une idée plus précise de l'Ordre.

M. Jean Godfroid - Vous avez devant vous un document qui vous décrit l'organisation de l'OGE. Ce dernier s'articule autour de Conseils régionaux, d'un Conseil supérieur et d'un Commissaire du gouvernement.

Que représente la profession en termes économiques ?

Les géomètres experts ne sont pas très nombreux puisque nous comptons 2 000 inscrits à l'Ordre, ce qui représente le travail de 9 000 salariés en tout. Le chiffre d'affaires global de la profession est de 600 millions d'euros. Ces professionnels exercent une activité dans des domaines divers, que l'on peut regrouper sous quelques grands chapitres :

l'aménagement, qui représente 27 % du chiffre d'affaires des cabinets, qu'il s'agisse d'aménagement rural, urbain, ou de travaux, puisque les géomètres experts sont également des ingénieurs maîtres d'oeuvre ;

la topographie et l'information géographique, qui représentent 30 % de l'activité ;

la gestion immobilière, dans ses parties expertise et copropriété, représente 15 %, essentiellement en Ile-de-France et dans l'Ouest de la France.

En ce qui concernent les donneurs d'ordre, critère de première importance, plusieurs catégories se dégagent.

Les collectivités territoriales sont les principaux donneurs d'ordre de la profession, avec 27 % des commandes passées, contre 25 % pour les particuliers et 13 % pour l'Etat et les organismes parapublics.

Les autres professions, qui sont en quelque sorte des donneurs d'ordre délégués à travers leurs activités comme les notaires ou les architectes, représentent 13 % de l'activité.

Les commandes des clients privés et des aménageurs privés s'élèvent à respectivement 12 % et 10 % du total.

M. André Radier - Pour définir la profession du géomètre expert, il importe de revenir sur notre formation.

Chaque géomètre expert dispose d'une formation de sept années après le baccalauréat : cinq années pour obtenir un titre d'ingénieur et deux années de stage dans la vie professionnelle qui seront ensuite validées par les Conseils régionaux de l'Ordre. Les diplômés par le gouvernement, reprennent tout à fait les mêmes filières.

L'OGE a défini également une obligation de qualité fournie dans les prestations grâce à une formation continue obligatoire de 40 heures au minimum par an. Cette obligation distingue les géomètres experts des autres professions car la formation est essentielle dans un domaine où les évolutions sont nombreuses : nous y reviendrons tout à l'heure quand nous évoquerons la loi SRU.

La formation est donc d'un niveau relativement élevé et nous avons à cet égard besoin de l'intervention politique. Nous souhaitons en effet que la qualité caractéristique de la profession en France résiste à l'harmonisation européenne : elle doit se retrouver dans les autres pays européens et ne pas subir un nivellement par le bas opéré par la reconnaissance mutuelle des diplômes. L'Allemagne ou l'Autriche ont le même niveau de formation et d'exigences que la France en la matière, mais les Britanniques souhaiteraient voir leur niveau de qualité, inférieur au nôtre, devenir le label de reconnaissance. La délégation de service public ne peut être attribuée qu'à des professionnels très compétents. Le législateur doit être ferme sur ce risque d'alignement par le bas. Le message est passé.

Si vous souhaitez avoir des éclaircissements sur l'OGE et l'organisation de la profession, nous pourrons y revenir, mais nous allons pour le moment poursuivre avec les deux autres questions, les plus importantes, qui concernaient les niveaux d'intervention des géomètres experts et les enjeux d'une réforme du droit de l'urbanisme en zone de montagne.

Comme vous l'avez compris dans la présentation de la profession de géomètre expert, nous sommes constitués de petites structures présentes sur l'ensemble du territoire et sommes donc très sensibles aux problèmes d'aménagement du territoire. Nous exerçons dans l'urbanisme rédactionnel, mais aussi et surtout dans ce que j'appellerais « l'urbanisme opérationnel » : nous intervenons pour toutes les constructions dans le détachement de la propriété foncière. Nous accompagnons de près les collectivités locales, essentiellement celle de petite et moyenne taille, qui comptent jusqu'à 15 00 habitants. En effet, les maires de ces communes n'ont pas à leur disposition de services techniques développés et doivent donc faire appel aux professionnels qui exercent à proximité : géomètres experts, ingénieurs ou architectes. L'urbanisme de proximité constitue donc l'un de nos domaines de prédilection : la connaissance de la topographie du terrain et des relations humaines au sein de ces communes nous permettent d'exercer de façon plus humaine.

Nous adaptons également qualitativement des lois, telles la loi SRU, qui ont été établies grâce à des modèles numériques et des projections quantitatives. Elles oublient la réalité du terrain et les spécificités de chaque périmètre d'agglomération. Aucune attention n'a été donnée aux périmètres et à leur pertinence actuelle et réelle. L'une des qualités du géomètre expert est cette proximité avec les décisions quotidiennes de la commune, en particulier dans le cadre de l'opérationnel urbain, des ZAC, des abords de ville et de l'urbanisme rural. Preuve de cette spécificité, la loi oblige à faire appel à nous pour les opérations de remembrement et d'aménagement rural.

J'aimerais à ce sujet répondre à certaines critiques adressées à tort aux géomètres experts. Actuellement, la notion de lotissement est souvent décriée et les géomètres experts sont la cible de ces critiques. Ils n'ont pourtant fait qu'appliquer des règles d'urbanisme rigides et mauvaises. Le travail à faire en commun est important pour améliorer l'application de certaines lois votées quelque peu hâtivement. Certains aménagements conçus dès le départ selon une approche globale de l'urbanisation d'une commune sont, il est vrai, dénués de toute échelle humaine. Mais les lotissements réussissent l'intégration de leurs habitants à la vie collective de la cité, pour peu que leur réalisation soit entourée d'efforts pour comprendre ces habitants et leurs préoccupations. En ce qui concerne les lotissements dortoirs à la périphérie des grandes villes, les documents d'urbanisme en amont sont à revoir, plus que le principe du lotissement lui-même. Il est également bon de garder à l'esprit que l'opération d'aménagement d'un département ne sera pas identique en région parisienne et dans le Languedoc-Roussillon : un schéma uniforme s'appliquant sur tout le territoire n'existe pas. Il faut là encore y réfléchir ensemble. Nous sommes prêts à avoir une telle approche avec les parlementaires ici présents.

M. Pierre Bibollet - En ce qui concerne la loi Montagne, je voudrais simplement, sans entrer dans les détails, me concentrer sur les points prééminents des enjeux d'éventuelles modifications du Code de l'urbanisme.

Le premier est l'article L.145-3 du Code de l'urbanisme, règle dite de constructibilité limitée. Deux constats s'imposent.

L'empilement des textes aboutit à des contradictions dans l'application des lois sur le terrain. La loi Montagne, par exemple, prône le rapprochement et le regroupement des bâtiments, alors que la loi d'orientation agricole demande au contraire leur éloignement pour libérer de l'espace pour les exploitations agricoles. La loi SRU et la loi Montagne divergent également sur l'entrée en application de la PVNR. La PVNR voudrait que les frais de viabilisation des terrains soient répartis sur des bandes de 80 mètres de part et d'autres des viabilités existantes. Or la jurisprudence considère une route comme une rupture d'urbanisation dans les hameaux. Cela nous empêche de répartir ces frais sur la globalité de la zone, ce qui revient à mettre les aménagements en partie à la charge de la commune.

La jurisprudence qui découle de cet article est très restrictive. Elle part de cas très particuliers pour opérer des généralisation abusives. Les services de contrôle de légalité en particulier s'y fient de manière excessive. J'ai ainsi vu récemment dans une commune un préfet utilisant cette jurisprudence pour refuser des petites extensions de hameaux existants, ce sous prétexte que la vallée présentait suffisamment de capacités d'accueil.

Comment améliorer la situation pour permettre à ces communes de faire vivre ces petits hameaux sans tomber sous le couperet strict de l'application de cet article ? Plusieurs solutions sont envisageables.

Je viens de vivre la révision de deux POS dans des communes de montagne. La loi SRU met en valeur de véritables projets d'aménagement et de développement durable qui prendraient en compte l'ensemble des préoccupations paysagères, agricoles, et environnementales (sauvegarde des espaces naturels, plans de prévention des risques, etc.). On s'aperçoit alors que certains lieux offrent la possibilité de créer des hameaux nouveaux sans remettre en cause l'équilibre de la nature. Mais l'article précité nous l'interdit. Nous sommes alors en droit de nous interroger sur l'intérêt des études d'aménagement et de développement durable si un tel article empêche leurs conclusions d'être concrétisées. N'y aurait-il pas lieu de considérer que cet article de constructibilité limitée n'est pas applicable quand l'élaboration de documents d'urbanisme s'appuie sur un véritable projet de développement durable ? Si néanmoins cet article devait perdurer, il devrait être assoupli, notamment sur le point des ruptures d'urbanisation. Pourquoi une route ou un ruisseau constitueraient-ils une telle rupture dans tous les cas ? De même, la définition du hameau implique la fixation d'un seuil en nombre de bâtiments, et la proposition du professeur Servain pourrait être utilement reprise à condition de bien définir les critères retenus. Ceci permettrait de mieux cerner ce qu'est un hameau et d'éviter une jurisprudence trop stricte qui pourrait conduire à un blocage généralisé du développement de ces hameaux de montagne.

La conservation des espaces agricoles et leur préservation de l'urbanisation sont d'importance en zone de montagne, mais ils sont gagnés d'année en année par les friches et la forêt. Ne serait-il pas possible de prendre des dispositions pour aider à l'entretien de cet espace agricole ? Une disposition d'aides aux agriculteurs ou aux collectivités pourrait peut-être les aider à entretenir ces espaces. Nous avons l'occasion dans nos activités d'urbanisme de superposer les plans cadastraux des cultures existant il y a vingt ou trente ans avec des photos aériennes : la rapidité de progression de ces friches est impressionnante.

Deuxièmement, nous ressentons constamment une forte pression foncière et une population aisée recherche aujourd'hui ces propriétés agricoles, prête à en proposer des prix exorbitants. Cela concourt à la disparition de l'espace agricole. La règle de constructibilité limitée vise à préserver cet espace agricole mais on le laisse d'un autre côté disparaître du fait de ces rachats fonciers. La création d'un conservatoire de la montagne pourrait aider les collectivités à acquérir ces propriétés pour préserver leur caractère agricole, et empêcher qu'elles ne deviennent des résidences secondaires, parfois de touristes étrangers.

Nous pourrions également faire des propositions sur les ORIL : cet outil pourrait peut-être être utilisé pour procéder au logement des pluriactifs qui, du fait de la pression foncière , commencent à avoir du mal à se loger sur leur territoire.

M. Pierre Jarlier - Monsieur le Président, j'aimerais apporter un éclairage sur votre propos liminaire concernant le problème de la contradiction des textes. Vous expliquiez que la législation voudrait à la fois recentrer et écarter les constructions agricoles dans deux différentes lois. Je crois justement que la loi SRU a apporté une réponse à cette question, puisqu'elle a enfin autorisée - sous réserve de certaines précautions et notamment de la consultation de la Chambre d'agriculture - la dérogation aux distances obligatoires entre les bâtiments agricoles et les bâtiments d'habitation.

Vous avez abordé le problème de la constructibilité limitée, qui est au coeur de nos préoccupations à chacune de nos auditions. Nous nous sommes attachés - en particulier vis-à-vis du rapporteur de la loi SRU Noël Tapet - à trouver des adaptations à ce dispositif, qui est à la fois contraignant et gage d'une certaine protection. Cet article existe car le passé fournit de nombreux exemples d'excès et la situation exigeait que l'on mette un frein à une urbanisation sauvage, surtout dans les secteurs soumis à une forte pression foncière. Malheureusement, la moyenne montagne en souffre car la pression foncière y est inexistante. L'arrivée d'un habitant ou d'un agriculteur nouveau dans une commune en pleine désertification est une chance et il est vrai que ce dispositif extrêmement restrictif empêche de répondre favorablement à ces nouvelles installations. Nous avions donc trouvé des solutions quelque peu dérogatoires, qui ont réglé le problème dans les zones rurales où l'on peut désormais déroger à la règle de constructibilité limitée sous réserve de l'intérêt du projet et de l'accord du conseil municipal. En revanche, pour ce qui est des zones de montagne, la loi Montagne prime sur ce nouveau dispositif, ce qui nous ramène au début de notre problème. Comment va-t-on pouvoir, dans les propositions que nous allons faire, retrouver un angle qui autoriserait une souplesse d'adaptation - rendue nécessaire par la diversité des reliefs, des paysages, des configurations des hameaux - au-delà de ce qui existe déjà, puisque peu de communes ont recours à des cartes communales comme outils d'urbanisme ? Vous avez proposé que l'on trouve ces adaptations dans les documents d'urbanisme.

Voilà un vrai débat, évoqué déjà plusieurs fois au sein de nos commissions. Je dois vous avouer que nous aurons du mal à faire passer ces modifications uniquement par le document d'urbanisme. Il existe en fait une autre ouverture présente dans la loi SRU, qui semble intéressante : la prescription de massifs. Je crois que l'on ne raisonne pas dans les Pyrénées comme dans le Massif Central ou dans les Alpes. Ce dispositif offre peut-être le moyen d'acquérir une crédibilité auprès des protecteurs de la montagne permettant de mener une réflexion à l'échelle d'un massif. Les comités de massif peuvent avoir à jouer un rôle important pour appuyer ce dispositif. Une fois que la prescription de massif est définie, c'est le document d'urbanisme qui peut nous permettre d'appliquer l'adaptation - il est préférable de parler d' « adaptation » car l'usage du terme « dérogation » soulèverait trop de réticences. C'est ainsi que nous sommes parvenus à faire réhabiliter les bâtiments anciens. Je voudrais avoir votre sentiment sur la prescription de massif qui semblait être une bonne orientation dans la loi SRU.

M. Pierre Bibollet - J'avais aussi pensé aux SCOT.

M. Pierre Jarlier - La prescription de massif pourrait évidemment se décliner à l'échelle d'un SCOT.

M. Pierre Bibollet - Ces prescriptions permettraient en effet de s'adapter aux spécificités de chaque région, car l'habitat dispersé ou le mitage par exemple ne sont pas les mêmes d'un endroit à l'autre. La définition de hameau serait affinée selon le type de région ou de massif, et les caractéristiques ainsi définies retranscrites au niveau des SCOT. L'identification de ces zones de hameaux serait ensuite retranscrite dans les POS. Je suis donc partisan de décliner SCOT et POS à partir des prescriptions de massif, pour, d'un contexte général, arriver à des finesses dans le plan local d'urbanisme. Il s'agit là d'une possibilité.

M. Gérard Bailly - Concernant la loi Montagne, le problème d'urbanisme autour des lacs pose de réels problèmes puisqu'il est impossible de construire dans la zone des 300 mètres environnants. Or lorsqu'il s'agit d'un lac encaissé, les constructions respectant ces limites sont plus visibles et gênantes que celles situées à proximité du lac, ce qui plaiderait pour une révision de la législation dans ce domaine.

De plus, j'ai apprécié vos propos sur la nécessité de faire vivre les petits bourgs en ajoutant des constructions supplémentaires, et en même temps en apportant des restrictions qui empêcheraient certains de vendre ces terres très cher dans des buts d'urbanisation. Je crois tout de même que l'objectif dans ces petits hameaux est le développement et la lutte contre la désertification. Il faut non seulement pousser les gens à s'installer dans les lotissements mais aussi mieux les répartir dans les hameaux pour y maintenir de la vie.

M. Pierre Bibollet - Il est certain que les hameaux doivent pouvoir vivre et s'étendre surtout lorsqu'il n'existe aucun enjeu agricole ou naturel. Certains hameaux pourraient très bien être étendus sans remettre en cause un équilibre naturel. Par contre, lorsque j'ai évoqué la vente à des prix très élevés de certains espaces agricoles, c'était pour la défense de leur usage agricole, préférable à leur transformation en résidence secondaire. Je ne faisais pas allusion à la construction sur ces terrains, mais à leur préservation pour qu'ils soient remis à disposition des agriculteurs.

Par ailleurs, l'opposition entre l'extension des hameaux et le regroupement dans les vallées est source d'incohérence : d'un côté on nous interdit de construire autour des hameaux sur des terrains ne présentant pourtant aucun enjeu agricole et, de l'autre, lorsqu'un bourg existe dans la vallée, on nous demande de construire autour de ce bourg, même s'il est entouré de très beaux terrains agricoles. Un équilibre doit être trouvé grâce à l'adaptation de l'article de constructibilité limitée.

Quant à la règle des 300 mètres, je rappellerais que nous sommes confrontés au même problème avec l'amendement Dupont en zones de montagne qui prévoit qu'aucune largeur de terrain ne soit disponible à la construction en cas de cumul des risques en fond de vallée. Une règle de 300 mètres figés autour des lacs n'a vraiment aucun sens : selon la topographie des lieux, 50 mètres suffisent parfois.

M. André Radier - Nous en revenons toujours au même débat, c'est-à-dire la définition de règles générales en gardant à l'esprit la dimension humaine et la spécificité de chaque territoire auquel elles doivent s'appliquer. Une loi qui entre dans le détail se heurte nécessairement à la diversité de la France et des Français. C'est aussi en raison de ces réglementations que la profession de géomètre expert est en train de devenir de plus en plus urbaine, délaissant les territoires ruraux où les règles sont inadaptées. On ne peut appliquer une loi de la même façon en Ardèche, où les bourgs sont traditionnellement disséminés et mitent de façon harmonieuse le territoire, et dans des lieux où les points d'eaux constituaient des pôles de rassemblement autour de gros bourgs. Une loi-cadre nationale doit descendre par palier dans les particularités du cadre territorial, qui possède ses propres enjeux.

M. Pierre Jarlier - Ces territoires spécifiques doivent d'autant plus être pris en compte en montagne que ces zones sont soumises aux contraintes de la loi Montagne, mais aussi de la loi Littoral si la zone comporte des lacs. Cumuler ces deux contraintes, c'est être condamné à l'immobilisme. D'où la nécessité de ces adaptations, pour sortir de situations totalement bloquées et agir sur des territoires porteurs de développement qui, s'ils doivent être protégés, n'en doivent pas moins être valorisés. Cela passera bien par un document d'urbanisme, soit à l'échelle du SCOT comme vous le mentionniez, soit par la prescription de massif.

Je voudrais vous poser une question sur un sujet qui n'a pas été abordé jusque-là mais qui doit faire partie de votre métier de géomètre expert : le problème des biens de section. Comment le vivez-vous sur le terrain ? Nous sommes pour notre part très concernés dans le Massif Central.

M. André Radier - Nous ne rencontrons pas de problèmes particuliers à cet égard, tout du moins pas dans la région où j'exerce.

M. Pierre Jarlier - Est-ce que des difficultés particulières dues à l'évolution des propriétés remontent vers vous à partir des adhérents de l'OGE répartis dans toute la France ?

M. André Radier - Nous venons de sortir d'un congrès qui s'est déroulé à Lyon et dont le thème était « Dire la propriété ». Notre prochain congrès qui se tiendra à Lille dans deux ans portera sur la propriété publique. Vous voyez donc que nous abordons tout à fait les problématiques que vous soulevez.

Le drame de la propriété aujourd'hui en France, c'est la nature du cadastre, qui date de Napoléon et reste essentiellement fiscal, sans vraiment chercher à définir les propriétaires des terrains, les règles applicables à l'ensemble de ces territoires, propriétés privées ou collectives, et l'usage de ces propriétés. La profession s'est penchée sur ces sujets, qui constituent le coeur d'une réflexion dépassant de beaucoup le cadre national. En effet, le problème se pose avec une grande acuité dans les PECO qui ont demandé leur adhésion à l'Union Européenne, car aucune économie ne peut se développer sans disposer au préalable d'un état précis de la propriété.

Vous mentionnez l'impossibilité d'agir, de construire et de travailler dans certaines zones où les lois Montagne et Littoral se combinent pour étouffer toute activité. A ce sujet, j'estime que les géomètres experts ont pour rôle de préserver dans ces régions l'activité humaine et la présence de populations. Les priorités ne doivent pas être perdues de vue : aujourd'hui le souci de la préservation de la nature aboutit à ne plus maintenir la présence et le travail de l'homme sur ces espaces. Cette dérive qui vide de leur substance ces territoires, qui ont été faits par l'homme et non par la nature, contrairement aux clichés ressassés continuellement. N'oubliez pas ce point important. Vous êtes le législateur. La loi SRU est en train de générer de l'urbanisation de concentration, en vidant certaines zones au lieu de procéder à une répartition harmonieuse des populations. Toutes nos lois devraient être bâties avec ce souci premier de l'homme.

M. Auguste Cazalet - Je vous remercie, plus particulièrement encore pour ces dernières paroles. Vous avez raison de donner la priorité à l'homme.

37. Audition de M. Michel Teyssedou, ancien président de la chambre d'agriculture du Cantal (2 juillet 2002)

M. Auguste Cazalet - Nous avons à présent le plaisir d'accueillir Michel Teyssedou, ancien président de la Chambre d'Agriculture du Cantal. Il a également eu d'autres fonctions importantes comme celles de président du CNJA ou de Secrétaire Général de la FNSEA. Il fait partie de ces grands hommes du Cantal, dont nous avons deux autres exemplaires autour de cette table, avec Messieurs Jarlier et Besse. Monsieur Jean-Paul Amoudry vient de nous rejoindre. Je laisse la parole à Monsieur Teyssedou.

M. Michel Teyssedou - Merci beaucoup Messieurs les Sénateurs, Monsieur le rapporteur général, Mesdames et Messieurs. Je vous prie tout d'abord de m'excuser de n'avoir pu répondre à votre première invitation le 22 mai 2002, date à laquelle j'étais retenu sur mon exploitation. Je suis très sensible au fait que vous ayez renouvelé cette invitation pour que je puisse participer au travail important que vous avez engagé sur l'avenir de la politique des territoires de montagne. Je n'aurai pas la prétention de répondre très précisément à toutes vos questions mais j'aimerais vous faire part de ma réflexion, qui est celle de l'agriculteur en exercice et du responsable agricole.

En ce qui concerne le bilan du volet agricole de la loi Montagne, je voudrais, au premier titre, rappeler les lois élémentaires de la physique. La loi de la pesanteur nous enseigne qu'en montagne, tout va vers la plaine : l'eau, les activités, les hommes, les aides, les politiques ! Ces lois sont incontournables.

Il convient de reconnaître que le bilan de la loi Montagne n'est pas extrêmement positif. Les points les plus intéressants préexistaient à la loi Montagne de 1985. Je fais référence aux revendications satisfaites de la profession et notamment celles d'un grand défenseur de la montagne, Michel Debattisse, qui a pu inventer avec les pouvoirs publics de l'époque un outil précieux : l'ISM (indemnité spéciale de montagne) ou, plus récemment, l'ICHN (indemnité compensatoire des handicaps naturels). Je voudrais insister sur la philosophie qui présida à la création de cet outil. Les créateurs de l'époque avaient trouvé un compromis idéal entre l'homme, le produit et le territoire. En effet, c'était l'animal qui bénéficiait d'une aide financière dont l'objectif était de corriger un handicap naturel, dans une logique de rétablissement d'une certaine égalité des chances économiques. Mais il fallait pouvoir identifier sa vie d'animal à l'utilisation d'un espace déterminé, l'hectare, pour que l'animal reçoive cette aide. Ainsi, lorsque les deux critères étaient croisés - l'animal et l'hectare - on remplissait parfaitement l'objectif : avoir une profession qui conserve une fonction économique à partir d'une activité de production agricole sur un territoire déterminé et vivant.

Ce point fondamental me permet de répondre à la deuxième question portant sur la réforme de l'ICHN. Les environnementalistes européens ont convaincu les Etats, et en l'occurrence le ministère des finances, que le seul critère d'éligibilité valable devait être l'hectare. C'est avec beaucoup d'efforts que le ministère de l'agriculture a bien voulu prendre en compte des pratiques d'utilisation de l'espace où les niveaux de chargements sont très différents, permettant ainsi que subsiste une activité de production et d'élevage. Il faut prendre en compte les externalités positives sur l'environnement des pratiques qui prolongent une activité de production à vocation économique : un animal qui tond la piste évitera l'avalanche, par exemple. Si la vocation économique est absente, l'intérêt à produire l'est également. Sans cet intérêt, il sera impossible d'assurer une relève dans la profession, une fois la génération actuelle de producteurs menée au bout de son activité professionnelle par un système d'assistanat. La loi sur la réduction du temps de travail (RTT) a d'ailleurs des effets psychologiques considérables sur les fils d'agriculteurs : les convictions professionnelles, gravement touchées, sont difficiles à transmettre dans un contexte sociétal nouveau où le travail n'est plus une valeur. Ces dernières évolutions ont cassé l'enthousiasme de certains jeunes agriculteurs témoins des avantages que procure un travail de 35 heures hebdomadaire dans l'industrie ou les services. Si l'on ne veut pas voir le métier être délaissé, les logiques d'assistanat doivent être compensées par des perspectives économiques, tout comme les évolutions sociétales qui rendent par comparaison le cadre professionnel des agriculteurs plus dur et contraignant. L'enjeu est d'importance, car les territoires ruraux péricliteront si la relève n'est pas assurée par de jeunes agriculteurs. Je vous renvoie à la déclaration de Georges Pompidou qui, en visite à Saint-Flour, avait reconnu que même si la France décidait de payer des fonctionnaires pour aménager le territoire, elle n'en aurait ni les moyens ni la capacité. L'aménagement du territoire est en effet une conséquence induite d'une activité de production agricole à vocation économique.

Quant à la nouvelle échelle des revendications des agriculteurs de montagne, si l'on veut agir au profit du territoire et de l'agriculture de montagne, il faut non pas chercher des solutions entre nous, mais plutôt livrer le combat dans la plaine à Paris et à Bruxelles. Ce qui signifie que les aboutissements des négociations de l'OMC ou du sommet sur l'agriculture de Berlin en 2003 concernent aussi la montagne. Un simple exemple : si les quotas laitiers disparaissent, les montagnards ne produiront plus de lait ; si la production de viande bovine n'est pas maîtrisée, le troupeau allaitant sera laminé par des productions industrielles hors sol rendues possibles par la baisse du prix, mais sévèrement concurrencées par les viandes blanches (poulet, porc, dinde). Vous devez savoir qu'un mètre carré de poulailler de dinde produit 120 kilogrammes de viande par an, contre 180 kilogrammes seulement sur 10 000 mètres carrés (soit 1 hectare) dans le Massif Central. En Australie, ce chiffre serait de 20 kg, ce qui permet aux Australiens d'avoir des exploitations de 400 000 hectares, soit la totalité de la SAU du département du Cantal. De la même façon qu'il est possible de déplacer des bateaux entiers de céréales pour produire notre volaille au Brésil en mettant en faillite l'agriculture bretonne, il sera demain possible de ruiner notre troupeau allaitant pour peu que l'on sorte du système de quotas laitiers qui maintient le prix du lait à un niveau acceptable. Il est donc certain que les enjeux politiques de l'économie agricole ne se situent pas toujours en montagne, mais surtout dans la plaine.

Le Contrat territorial d'exploitation appelle plusieurs critiques. J'approuve l'idée de contrat avec l'agriculteur, mais sa mise en place dans notre seul pays constitue une erreur politique majeure car la non-communautarisation des moyens budgétaires liés à ce dispositif crée une distorsion de concurrence en notre défaveur et anticipe les risques de renationalisation de la PAC. Dans cette perspective, la France, qui reçoit en aides plus de 30 % de sa contribution de base, aurait beaucoup à perdre.

Le CTE comporte un volet économique insuffisant par rapport aux enjeux, et notamment par rapport aux investissements devant être réalisés sur les bâtiments, sur la mécanisation, sur la sécurité sanitaire et sur les filières que je qualifierais de plus « humaines ». Entendez par là la matière grise, la capacité de recherche et développement autour de stratégies de produits finis et de filières structurées. Le CTE est en relatif décalage par rapport au vrai défi à venir : le développement d'une économie de la différenciation. Elle seule nous permettra de nous soustraire à la forte concurrence du marché des matières premières, au profit d'une logique de produits différenciés, non par la qualité sanitaire de base mais par la nature du produit (qualités organoleptiques), cette dernière étant protégée par des signes officiels de qualité.

Je ne parle pas du décret « Provenance Montagne » qui n'est pas un signe officiel de qualité mais de vraies garanties d'origine. Pour nous, producteurs de montagne, dégager des revenus à partir de la valeur de nos produits passera par une organisation collective de filières. Elles définiront des produits se distinguant, grâce à des moyens budgétaires d'accompagnement, des protections juridiques officielles, et grâce à la mobilisation de matière grise pour bâtir des stratégies commerciales.

L'acte rémunérateur est l'acte de commerce et non plus la production elle-même. La politique agricole est conçue selon des bases vieilles de quarante ans, quand l'économie était une économie de production et non de consommation, comme c'est le cas depuis plus de dix ans. Ce changement doit induire des réflexes nouveaux : la production doit se tourner vers le client-consommateur, qui est capable de son plein gré de payer un prix supérieur pour un produit qui, à la fonction nutritionnelle, ajoutera la fonction de plaisir, de rêve, de goût, d'attachement. Ces réflexes accroîtront la valeur de l'acte de production et de l'ensemble de l'économie du territoire de montagne.

Je ne veux pas développer davantage mon raisonnement, car l'intérêt est d'écouter vos réactions à mes propos. Je retiendrais simplement quelques éléments essentiels concernant l'importance des facteurs immatériels.

Nous souffrons d'un manque de matière grise. Face à des propositions de travail dans le secteur agricole, les réactions des étudiants des écoles d'ingénieurs sont à cet égard édifiantes : ils n'y avaient pas pensé, ils n'y croient pas, et finalement ils n'ont pas envie de nous rejoindre. Pourtant, avec un peu d'explications, des chantiers fantastiques leur apparaîtraient. Il faudrait par exemple présenter dans les lycées et écoles d'ingénieurs l'enjeu à venir : monétariser l'immatérialité des produits de qualité de montagne, qui peut être passionnant pour beaucoup.

Nos besoins sont importants afin d'investir en matière de recherche-développement. Les produits de grande consommation de demain restent à créer.

Enfin, prenons garde à l'instrument unique d'application des orientations politiques. En clair, la mise en oeuvre en montagne du principe de subsidiarité est urgente : l'échelon le plus pertinent - souvent le plus local - réalise la meilleure appréciation des spécificités du territoire, et parvient donc mieux à mettre en oeuvre les décisions politiques.

La politique agricole de montagne, par ses capacités d'innovation, a souvent été un laboratoire expérimental de l'ensemble des politiques agricoles française et communautaire. Elle peut aujourd'hui le redevenir, au vu des défis que la politique agricole communautaire va devoir relever dans le cadre des négociations de l'OMC, de l'élargissement aux PECO, et d'une limitation de ses moyens d'intervention (la Ligne Directrice Agricole est en effet limitée). La LDA devra en outre financer l'élargissement aux PECO : on comprend ainsi la nécessité de redéployer les orientations. Les montagnards pourraient à mon sens mettre en oeuvre des politiques que la plaine reprendrait. Nous aurions ainsi reconquis initiative et autorité.

M. Jean-Paul Amoudry, rapporteurt - Puisque je suis de retour, je reprends mon rôle de président de cette mission et vous remercie de cet exposé brillant et clair sur la plupart des sujets que nous vous avions soumis. La liste des questions auxquelles nous sommes particulièrement attentifs n'était qu'indicative et vous avez bien fait de prendre toute latitude pour exprimer un message complémentaire. Mes amis du Cantal ainsi que notre collègue sénateur du Jura Gérard Bailly auront certainement des questions à vous poser. Je me permets quant à moi de vous orienter sur le problème foncier : quelle est votre vision du foncier, sous le double angle de la structuration et de la transmission des exploitations agricoles en zones de montagne ?

M. Michel Teyssedou - Les problématiques sont évidemment différentes selon que le foncier est en situation de déprise ou de pression concurrentielle. Dans le premier cas, les réflexes naturels se résument à l'agrandissement et à l'abandon. Ils ne mènent cependant à rien, car ce n'est pas en multipliant une marge négative à l'hectare que l'on fait naître des revenus, bien au contraire. Le premier réflexe est un réflexe de gestion de marge. Le monde agricole est victime de son succès et de sa promptitude à répondre positivement à la mission que le pays lui a confiée dans les année soixante : l'agriculture devait alors devenir un atout économique et politique majeur. Les logiques de développement quantitatif ont été parfaitement comprises et mises en place par les agriculteurs, au point parfois de dégrader l'environnement.

Mais l'heure est aujourd'hui à une politique de marges, ce qui fait de la course au foncier une double hérésie : une hérésie humaine, car vous construisez votre avenir sur la mort de votre voisin, et une hérésie économique. Il faut définir le seuil économique des superficies qui permettront de dégager des revenus que nous estimons sans pudeur devoir être d'au moins 15 000 euros par actif. Autrement, celui-ci perdrait toute attractivité. Ces seuils doivent être appréciés à l'échelon local, en fonction des productions et non fixés depuis Paris à 50 hectares par produit dans le Cantal, à 40 hectares dans les Pyrénées, etc. S'il s'agit de productions traditionnelles d'élevage, 50 hectares sont largement insuffisants et le seuil doit être d'au moins 80 hectares. Bien sûr, le prix en sera au passage la disparition de la moitié des exploitations, des écoles, des équipes de football, etc. Tout est une question d'appréciation fine des situations locales en partant du revenu. La question principale est : « quel revenu doit être assuré pour que la profession soit attractive ? » En fonction des productions présentes sur les territoires étudiés, les revenus peuvent varier.

Cela dit, nous n'avons absolument aucune chance de résister sur le marché globalisé des matières premières, comme le montre l'exemple australien que j'ai pris précédemment. Il faut au contraire rapidement mettre en place des filières collectives et casser une législation française dévastatrice pour l'économie montagnarde car appliquant à la lettre l'ordonnance de 1986. Si l'offre agricole n'est pas concentrée, ou si deux entreprises transformant un même produit agricole organisent un cartel de ventes pour faire face à la concentration de la grande distribution, jamais elles ne pourront générer la valeur ajoutée dont les producteurs ont besoin, parce qu'ils ont des coûts de revient bien supérieurs au marché.

Comment fonctionne l'économie générale de l'agriculture à l'échelle européenne et mondiale ? On demande aux agriculteurs de produire à des prix de marché inférieurs aux prix de revient ; ils produisent donc à perte et reçoivent alors des aides, dont la diminution graduelle est déjà prévue. Parce qu'en montagne sont perçues moins d'aides que dans les exploitations des plaines, et que subsistent encore la lucidité et le bon sens des gagne-petit, nous voulons nous débarrasser de ces aides. Plus exactement, nous voudrions utiliser ces aides pour pouvoir nous en passer.

Lors de ma participation en 1984 au Congrès des Jeunes Agriculteurs à Ouagadougou, au Burkina Faso - l'un des dix pays les plus pauvres du monde - la banderole de la tribune proclamait : « L'aide doit assassiner l'aide ». Cette phrase continue à me marquer. Nous devons nous aussi comprendre ce message ; sinon l'agriculture est condamnée. Le système d'aides est devenue sa drogue. Je vous propose d'utiliser cette drogue positivement pour créer les conditions économiques qui permettront de s'en libérer. A ce titre, un cadre expérimental pourrait autoriser des dérogations à l'ordonnance de 1986.

Pour parler franchement, trente opérateurs se partagent le marché du Cantal et ils sont incapables de trouver un accord face à la grande distribution. Parce qu'ils ont choisi une stratégie de volume et non de marges, ils baissent les prix pour gagner cinq points de parts de marché, mais après avoir perdu en marge nette sur le nouveau volume obtenu, ils opèrent un virement et optent pour une hausse des prix qui leur fait perdre ces parts de marché. Ce phénomène de « yo-yo » est dévastateur et quand les hommes manquent d'intelligence collective, c'est au politique d'intervenir et de modifier les règles, sachant que notre tentative d'organisation de l'offre a été condamnée à 152.500 euros par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). L'ordonnance de 1986 était pleinement justifiée à l'époque où elle fut votée pour lutter contre les pressions inflationnistes, en mettant en concurrence les activités de production tournées vers la consommation. Mais la logique inflationniste, maîtrisée depuis longtemps, n'est plus d'actualité au regard de la nouvelle problématique de la parité euro/dollar.

M. Gérard Bailly - Nous vous rejoignons tous sur le constat mais pas nécessairement sur les remèdes. Nous savons qu'aujourd'hui la France a besoin de l'installation de 12 000 jeunes agriculteurs par an, contre 7 000 en 2002 selon les estimations les plus optimistes. Je suis rapporteur de la mission commune d'information concernant « L'élevage : enjeu économique, enjeu territorial » et à chacun de nos déplacements nous constatons non seulement la rareté des nouvelles installations mais aussi le départ des adultes de quarante ans, une fois leurs engagements bancaires menés à terme. Le moral est très bas aujourd'hui dans ce secteur. Je lisais encore dans la presse locale de ce matin que le prix de vente des veaux avait connu une baisse de 26 % l'an dernier. Vous venez d'insister à plusieurs reprises sur l'importance des revenus. Je vous approuve, mais la prochaine concurrence des PECO est indéniable, tout comme l'importance du marché mondial dont les prix se situent bien en dessous des prix de revient.

J'adhère cependant entièrement à vos propos sur le système d'aides directes, qui ne constitue en aucun cas une solution. Mais je vois mal comment nous pourrons dégager les 15 000 euros par unité de travailleurs, souhaitables et nécessaires pour le maintien des agriculteurs. Nous voulons des prix agricoles plus rémunérateurs mais le mouvement communautaire s'inscrit à la baisse concernant le prix du lait dans les années à venir. L'agrandissement des surfaces, qui était devenu la solution la plus pratique étant donnée l'étendue des surfaces disponibles, a hypothéqué la reprise d'exploitations aussi vastes par de jeunes agriculteurs. Même dans l'agriculture sociétaire, des groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC) atteignent 3 ou 400 hectares, mais il est impossible de reprendre un associé ou de transmettre l'exploitation à quelqu'un. Au risque de passer pour pessimiste, j'ai le sentiment que l'agriculture risque de se perdre au sein d'un véritable labyrinthe.

Monsieur Teyssedou, comment faire en sorte que le produit agricole retrouve une valeur - il ne représente que 4 % des dépenses des ménages - étant donné le contexte international actuel ?

M. Michel Teyssedou - Depuis la fin de mes responsabilités institutionnelles, j'ai créé l'association Ressources des Hautes Terres qui se fixe comme principal objectif de rentrer en relation avec les décideurs de la grande distribution. Je me suis ainsi rendu compte que ces acteurs économiques manquaient d'un interlocuteur institutionnel avec qui ils pourraient contracter. L'opinion publique va peut-être demain leur jeter l'anathème et les rendre responsables de tous les malheurs de la France agricole profonde. Ils ne financent plus les partis politiques depuis les lois votées à ce sujet. Il faudra bien que les politiques d'aujourd'hui, ayant retrouvé toute liberté et autorité, mettent en relation les chaînes de distribution qui créent - ou empêchent de créer - de la valeur ajoutée, avec les producteurs de base.

Quand nous avons, par exemple, contractualisé avec une chaîne de distribution sur le grand cru Grand Fermage de la Côte de Vallus le prix n'a à aucun moment constitué un obstacle ou même un sujet de discussion. Nous avons caractérisé et défini un produit par un cahier des charges respecté strictement. Ce produit est nouveau, nous en avons fixé le prix et nos interlocuteurs n'ont rien trouvé à redire. Ils ont accepté notre proposition et adjoint au produit un signe de qualité officiel de la grande enseigne : « FQC Carrefour ». Et pourtant nous avions doublé le prix : le prix de marché est à 3,51 euros et Carrefour nous achète le kilo de fromage 6,56 euros. 3,05 euros supplémentaires par kilo de fromage correspondent à une augmentation de 0,30 euros du litre de lait, ce qui constituerait une source de richesse inespérée pour le producteur !

La sortie du marché mondial des matières premières est une question, centrale pour l'avenir du monde agricole ; il faut garder à l'esprit que si nous continuons à être des compétiteurs sur la scène internationale à partir du marché des matières premières, nous serons laminés. Si par contre nous rentrons progressivement dans la transformation de ces matières premières et surtout dans l'élaboration d'un produit consommable, nous serons imbattables sur cette même scène internationale. Je vous rappelle que la France se classe, devant les Etats-Unis, au premier rang des pays exportateurs de produits agroalimentaires et au deuxième en ce qui concerne les produits agricoles. Mais tous ceux qui concourent sur le marché des produits agricoles n'ont aucune chance de survie. Le Président George W. Bush a décidé unilatéralement d'augmenter de 80 % les moyens publics consacrés aux agriculteurs. Or cette mesure contredit parfaitement la politique des Etats-Unis qui jusque-là prenaient pour cible les aides à la production et à l'exportation accordées par les autres gouvernements aux agricultures nationales, ce qui montre qu'il est impossible de bâtir une stratégie partagée et négociée avec les Américains.

Cet exemple ramène le politique à sa responsabilité quant au choix du modèle européen, sur le plan de l'autonomie économique et de sa liberté retrouvée dans la pression qu'il fait subir aux contribuables pour ne pas avoir à laisser arbitrer le consommateur. Ce point est primordial car ce sont en réalité les contribuables qui aident les agriculteurs, ce à leur insu via la TVA. Ils pourraient au contraire payer ces sommes d'argent non en impôt mais sur le produit, et ils le feraient en outre librement. L'ensemble de l'agriculture française ne comprendra pas cette urgence à temps, mais l'agriculture de montagne pourrait, à force de moyens financiers, comprendre ces enjeux et entraîner le reste du secteur. C'est là ma conviction.

M. Roger Besse - J'aimerais poser quelques questions à Michel Teyssedou avec qui nous menons un dialogue continu.

Qu'en sera-t-il des contrats territoriaux d'exploitation (CTE) avec l'arrivée d'un nouveau gouvernement ? Les CTE m'ont toujours laissé un peu amer car je les trouve assez inadaptés aux zones de montagne. Le volet environnemental a pris une place démesurée par rapport au volet économique, ce que vous avez regretté. Vous appelez de vos voeux la mise en place de filières collectives. Mais et chaque cas est individualisé, si l'on maintient les CTE, je ne vois pas comment l'on pourrait s'orienter vers une filière collective. N'y a-t-il pas incompatibilité entre les deux projets ? En tant que politiques, doit-on soutenir les CTE, passer à d'autres dispositifs ou réformer les CTE ? Si oui, sous quelle forme ?

Vous avez mentionné que les produits qui seront consommés demain restent à créer. Or, au vu des expériences de notre département, nous nous orientons plutôt vers le maintien de la tradition et la promotion générale des AOC. Faut-il poursuivre dans le sens du soutien à ces productions traditionnelles, ou préférer la matière grise et l'innovation ?

Enfin, la vétusté des bâtiments agricoles et leur inadaptation aux demandes faites aux agriculteurs me préoccupent beaucoup.

M. Michel Teyssedou - Vous soulevez trois problèmes fondamentaux.

Les CTE peuvent être collectifs, à condition qu'ils aient en commun le même objectif. Le CTE de Valluéjols avait pour objectif un nouveau cahier des charges pour un nouveau produit dénommé « Grand Herbage ». Ce projet a nécessité l'accord de la moitié des adhérents de la coopérative, il a donc été collectif. Je dirais même que sans les CTE nous n'aurions pas pu avoir ces engagements. Les points moins positifs existent néanmoins : le volet économique, notamment, est trop limité parce que les environnementalistes ont gagné à Bruxelles. Ont donc été privilégiées les pratiques d'élevage avec des chargements très faibles ramenés à des hectares, sans aucun souci pour les hommes travaillant sur ces exploitations.

Je suis de ceux qui militent pour que Bruxelles ait enfin une politique de la montagne, ce qui devrait être l'objectif premier de notre lutte. Bruxelles a élaboré une politique des zones défavorisées mais n'a pas défini de territoires montagneux avec une politique qui leur serait propre. Je me suis battu en tant que responsable du groupe montagne à la FNSEA pour obtenir à Bruxelles un cofinancement paritaire, avec 75 % apportés par la France et 25 % par la Communauté. En retour, les accords communautaires accordèrent à la France une marge de manoeuvre budgétaire supplémentaire de 25 %, d'abord prévue pour le financement des CTE, puis, sous la pression de la rue, orientée vers le financement de l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), dont je rappellerais le champ d'action actuellement très limité. Les 25 premiers hectares pouvaient bénéficier d'un montant d'indemnités allant jusqu'au double des 25 % suivants, mais Bruxelles a tassé les écarts. Ce n'est pas logique car chaque département doit pouvoir privilégier son orientation professionnelle au profit du type d'exploitations qu'il choisit lui-même. A enveloppe constante, il serait ainsi possible de s'adapter aux spécificités locales.

Je vous rappelle que nous produisons dans le Massif Central, montagne à vaches, de la viande sur pied. Le fait de l'abattre, de la mettre sous barquette et de la découper en fait déjà un produit nouveau. Si demain nous sommes capables de vendre du steak haché de Salers en s'adressant à un public cible jeune, je suis persuadé de pouvoir gagner avec des grands groupes comme McKay ou Mac Donald 0,23 euro ou 0,30 euro par kilo. Encore faut-il que nous disposions des outils de découpe et de fabrication du steak, ainsi que de la maîtrise commerciale nécessaire pour s'adresser à ces grands distributeurs. J'estime qu'un produit est nouveau si, à la logique de la matière première, on préfère la transformation, la définition, le marketing des produits agricoles. N'oublions d'ailleurs pas que ces produits jouissent d'une excellente image.

Enfin, je pense que la politique de la montagne devrait s'orienter vers une action bien plus forte sur les bâtiments. Il conviendrait de doubler le volet économique d'un CTE à chaque fois qu'il prévoit la rénovation d'un bâtiment. Les agriculteurs éleveurs de montagne vont être extrêmement pénalisés par la limitation des crédits budgétaires en faveur du programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA), alors que tous les agriculteurs qui devaient être intégrés ne le sont pas encore. Je rappelle que nous en sommes actuellement à 90 unités de gros bétail (UGB) d'intégration, contre 70 stipulées dans la loi. Nous savons pertinemment que nous ne disposons pas des moyens budgétaires pour y parvenir. Il est à ce sujet proprement scandaleux que tous ceux qui ont moins de 70 UGB doivent aussi répondre aux exigences du règlement sanitaire départemental sans pouvoir prétendre aux aides du PMPOA, qui représentent 60 % du montant de l'investissement dans le cadre de la mise aux normes. La discrimination entre les éleveurs qui auront in fine plus de 70 UGB et les autres sera flagrante, d'autant que la deuxième catégorie rassemble 8 % des éleveurs. Le problème politique est majeur. Il devrait pouvoir être traité grâce à des PMPOA simplifiés au travers du volet économique des CTE. Ce serait un coup de génie, car l'aspect environnemental serait traité dans le volet économique par la mise aux normes des bâtiments. L'accent doit être mis sur ce point crucial.

M. Pierre Jarlier - Il s'agit de l'un des problèmes liés au PMPOA : les zones qui ont été les plus respectueuses de l'environnement sont aujourd'hui les plus pénalisées dans leur mise aux normes, alors même qu'elles s'engagent dans des filières de qualité qui nécessitent une grande adaptation des exploitations à ces problèmes agro-environnementaux. Il faut revoir ces zonages, et l'idée d'intégrer au volet économique des CTE les mises aux normes est tout à fait intéressante. Par ailleurs, il ressort de nos discussions que le volet économique du CTE ne semble pas adapté aux zones des montagne, car les bâtiments y coûtent plus cher qu'ailleurs. Un volet spécifiquement adapté à la montagne dans le volet économique des CTE est indispensable. Je pense toutefois que le CTE reste une bonne mesure, capable de responsabiliser l'agriculteur en lui donnant des objectifs. L'idée de Vallus est excellente, puisque des résultats ont été obtenus grâce à un travail en commun des exploitants, qui ont respecté un cahier des charges contractualisé avec l'Etat pour lui donner des moyens suffisants. Le lait en a été valorisé.

Concernant la reconnaissance par l'Europe de l'agriculture de Montagne, nous avons rencontré Monsieur Fischler et nous avons évoqué nos appellations « Provenance Montagne » en demandant pour elles une reconnaissance de l'Europe. Il nous a alors clairement affirmé que, selon lui, un label « Montagne » ne constituerait pas un critère de spécificité, tant qu'il ne serait pas adossé à une certification de qualité. Ne pensez-vous pas qu'il faille aller demain vers l'introduction d'un dispositif qualitatif dans le label « Provenance Montagne » pour lui conférer une plus grande crédibilité ? Nos amis des Alpes soutiennent cette idée comme un moyen de s'assurer de prix rémunérateurs pour l'agriculteur.

Par ailleurs, nous avons beaucoup parlé aujourd'hui de l'acte de commercialisation du produit et de la maîtrise de sa transformation, mais comment de telles filières pourraient-elles concrètement se mettre en place dans une zone de montagne ? Quelle est la nouvelle organisation professionnelle qu'il faut avoir le courage d'envisager pour faire fonctionner ces filières ? Vous n'ignorez pas en effet que les initiatives de certains agriculteurs sont contrariées par la profession elle-même. Comment l'agriculteur peut-il s'intégrer et trouver une place dans cette filière ?

M. Michel Teyssedou - Le décret « Provenance Montagne » n'est pas un signe officiel de qualité. Quand le commissaire Fischler vous conseille de vous adosser à une certification de conformité produit (CCP), il répond en fait à une question que vous ne lui posiez pas et qui est la suivante : « Etes-vous prêt à définir géographiquement une zone de montagne ? ». S'il répond par la négative, inutile alors de poser la deuxième question concernant le label « Provenance Montagne ». Mais s'il répond oui, cette question n'est plus justifiée, car un décret communautaire viendrait garantir la provenance communautaire de montagne. On en revient à l'absence dramatique d'une politique communautaire de la montagne. Il faut avant tout obtenir l'élaboration d'une telle politique, car il restera vain d'établir des schémas économiques basés sur notre décret « Provenance Montagne » si les agriculteurs montagnards italiens nous font concurrence avec des produits qui, ne respectant pas nos cahiers des charges, leur reviennent moins cher. Ce décret a toutefois un atout : il valorise les pratiques de l'agriculture montagnarde au travers du cahier des charges. Mais pour lui donner une puissance juridique et commerciale, nous devons en effet l'adosser à une CCP.

En ce qui concerne la mise en place de filières collectives, vous souhaitez connaître la formule pour faire taire les belligérants qui sont plus gaulois que collectifs... L'Etat distribue souvent l'argent public sans demander aucune contrepartie. Ces aides devraient être soumises à des obligations de résultat et de moyens d'organisation. La mise en oeuvre de projets collectifs doit concrétiser la distribution de ces sommes considérables, qu'il s'agisse des CTE, de l'ICHN, des crédits de recherche et développement sur des produits nouveaux, etc. Il est fondamental de savoir exclure ceux qui ne veulent pas participer et récompenser les autres. Le syndicat d'appellation d'origine contrôlée du Cantal, par exemple, comprend un commissaire du gouvernement et un contrôleur d'Etat, de même que dans le comité interprofessionnel de gruyère de comté (CIGC), et bénéficie de concours publics. J'attends donc une obligation de moyens, c'est-à-dire que les agriculteurs ou leur représentants qui ne participent pas à la démarche collective de l'organisation commerciale ne puissent pas bénéficier des mêmes dispositions budgétaires que d'autres. Le ministère de l'agriculture établit d'ailleurs déjà une distinction entre les agriculteurs organisés et non-organisés dans le domaine des fruits et légumes.

M. le Jean-Paul Amoudry - Je voudrais profiter des dernières minutes pour revenir sur la question des quotas. Comme Pierre Jarlier le rappelait, nous nous sommes rendus il y a quelques semaines à Bruxelles où cette question a été soulevée. Le commissaire Fischler nous a répondu que rien n'était encore décidé et que des dispositions devaient être prises à la majorité pour que des quotas soient supprimés. Autant dire que nous en sommes loin, ce qui est plutôt rassurant. L'échéance suggérée ne se situerait de toute manière pas avant l'horizon 2008. Toutefois, nous avons conscience d'une part que cette réponse n'est pas irrévocable et formelle, d'autre part que la pression des pays du Nord se fait grandissante. Par ailleurs, les années passent très vite et il serait tout à fait opportun de poser dans notre rapport les premières pierres d'une défense des quotas. Seul ce maintien nous permettra de poursuivre la politique de différenciation évoquée plus haut, qui ne peut être basée que sur des quantités garanties. Alors que dire dès maintenant pour protéger ces quotas ?

M. Michel Teyssedou - Utilisons un argument économique qui consiste à démontrer qu'un litre de lait à 0,23 € justifie une production minimum de 300 000 litres, alors qu'un litre de lait à 0,46 € justifie une production de 150 000 litres. Le choix à effectuer est celui de la disparition ou non de la moitié des producteurs. Etant donné qu'en montagne, les quotas moyens sont les plus faibles, les dégâts y seront les plus importants. Le schéma de la plaine consiste en un GAEC partiel avec robot de traite à 152 500 € d'investissement utilisé par trois agriculteurs, puis deux au bout de dix ans, et finalement un seul. Ce schéma représente un million de litres de lait par an. Si l'on prend le quota français de 24 milliards de litres divisés par un million de litres, nous obtenons 24 000 ateliers de production. Or il existe, dans le seul département du Cantal, 3 000 producteurs de montagne. Ils n'y seront bientôt plus. Ces arguments seront bien reçus car ils sont irréfutables.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie pour vos explications techniques et approfondies, qui nous seront très utiles.

M. Michel Teyssedou - Merci de m'avoir invité. Je souhaite beaucoup de succès à cette MCI sur la loi Montagne, car nous en serons sans nul doute les bénéficiaires.

38. Audition de M. René Peltier, président de France Ski de Fond, accompagné de M. Louis Ours, directeur (3 juillet 2002)

M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur - Monsieur le Président, Monsieur le Directeur, bonjour. Merci d'avoir fait le déplacement à Paris, au Sénat, et bienvenue à la haute assemblée. Je suis heureux de vous accueillir au nom de la mission d'information sur la montagne, en excusant un certain nombre de collègues qui n'ont pour l'instant pu nous rejoindre, ceci tenant à l'ouverture de la session extraordinaire du parlement. Il s'agit de renouveler, au lendemain des élections présidentielles et législatives, un certain nombre de postes importants, comme en atteste les réunions de commissions en particulier ce matin, et de travailler sur un certain nombre de textes et projets de loi soumis par le nouveau gouvernement. Cette situation particulière explique le caractère clairsemé de ces rangs. Je ne désespère pas que quelques-uns de nos collègues nous rejoignent en fin de matinée. En ma qualité de rapporteur, je voudrais tout d'abord présenter les excuses du Président Jacques Blanc, et également celles de Pierre Jarlier, le Secrétaire général de l'ANEM.

Monsieur le Président et Monsieur le Directeur, nous avons tenu à nous pencher sur les pratiques de ski de fond et de ski nordique sur l'ensemble de la montagne française, en vous invitant. Nous vous avons adressé une grille de questions, naturellement non exhaustive, des sujets que vous pourriez traiter devant nous, mais qui sont dans notre esprit les points essentiels à éclaircir. Notre rapport est destiné à être publié à la fin de l'année ; nous pensons être en mesure de le faire au mois d'octobre. Notre désir est d'effectuer un certain nombre de propositions ou préconisations, soit à l'assemblée, en ce qui concerne les décisions de nature législative, soit directement au gouvernement pour les mesures relevant de l'exécutif, ou encore à l'adresse des collectivités territoriales. Je vous propose, dans l'heure dont nous disposons, que vous commenciez par un exposé général, notamment à partir de la grille de questions, puis nous terminerons par un échange.

M. René Peltier - J'ai grand plaisir à vous retrouver aujourd'hui, après vous avoir rencontré préalablement dans d'autres réunions. Au nom du ski de fond français et des 220 entités nordiques qui composent notre réseau, je tiens, car ils me l'ont demandé lors de notre assemblée générale du 23 juin dernier, à vous remercier pour cette rencontre. Nous apprécions à sa juste valeur le fait que vous nous permettiez par cette audition d'exprimer la sensibilité nordique. Je tiens également à remercier les parlementaires pour leurs interventions la saison passée, alors que le manque de neige s'est fait cruellement ressentir et a étouffé un certain nombre de sites. En effet, ces interventions ont permis une sensibilisation nationale très forte. Les parlementaires ont ainsi voulu souligner l'intérêt réel du ski de fond en termes économiques d'une part, en termes d'aménagement du territoire d'autre part. Je ne veux pas aligner des chiffres, ce qui serait lassant. Louis Ours, notre directeur, pourra tout à l'heure entrer davantage dans le détail. Il a d'ailleurs monté des dossiers très intéressants que nous reprendrons point par point pour répondre à la grille de questions, tout à fait pertinente, que vous nous avez fait parvenir.

Je voudrais cependant citer une seule référence pour montrer l'importance du ski de fond. Un franc investi génère 16 francs sur le tissu économique local, 29 francs sur l'économie globale. Ce sont des chiffres qui datent de deux ou trois ans, mais qui n'ont sans doute guère évolué. Ils montrent bien que ces retombées touchent à la fois les professionnels de la montagne, mais aussi les artisans, les entreprises et surtout le tourisme, qui génère à lui seul 30 % des retombées économiques au niveau local. Le coefficient multiplicateur est donc intéressant et fort. La loi Montagne de 1985 a permis d'asseoir le ski de fond sur des bases légales et fortes, à travers les 600 communes et départements adhérant au réseau France ski de fond. Elle a également permis un essor de ce sport en général à travers le développement de sa professionnalisation, avec des formations très poussées dans certains domaines, avec une amélioration parallèle de la qualité des services. Ainsi, la loi Montagne est pour nous quelque chose de fondamental. Mais tout évolue, comme l'a montré d'ailleurs l'étude Sociovision Cofremca. C'est pour cela, avec l'aide du ministère du tourisme et de l'AFIT, que nous avons voulu un diagnostic sur la filière nordique. Ce diagnostic a été sans complaisance, et a remué un certain nombre de belles certitudes. Ce n'était cependant qu'un constat ; il fallait donc aller plus loin, et se poser les bonnes questions. C'est pour cela que nous avons, toujours avec l'aide de l'AFIT et de la DATAR, demandé une étude de repositionnement de la filière nordique, permettant d'aller au-delà d'un simple constat. Cette étude a été restituée non seulement au niveau national bien-sûr, mais aussi au niveau local dans tous les massifs, rendant possible une appropriation par les acteurs de terrain. Nous arrivons donc à la phase opérationnelle et des réalisations concrètes. Elles ont montré à quel point l'évolution est importante sur l'ensemble des espaces nordiques. A mon sens, cela suscite beaucoup d'espoirs, avec également beaucoup de réalisme, et une volonté sans faille qui s'est manifestée il y a une dizaine de jours lors de la dernière assemblée générale dans le Jura. Je vais passer la parole à Louis Ours, Directeur, afin qu'il revienne sur les différents points que vous souhaitiez que l'on aborde, à partir du dossier que l'on vous a communiqué. Ce dossier est réalisé d'une manière simple mais précise, sans phrases inutiles, en rappelant la situation antérieure, la situation actuelle, mais aussi en précisant un certain nombre de projections pour l'avenir.

M. Louis Ours - Merci de nous recevoir. Nous allons entrer directement dans le vif du sujet, par rapport à la loi Montagne. Le Président vous a apporté quelques chiffres.

Le ski de fond est aujourd'hui un élément important pour l'aménagement du territoire, d'une part pour l'activité qui s'est développée en moyenne montagne, permettant de maintenir des activités et des emplois dans les 600 communes concernées, d'autre part en raison du développement du ski nordique dans les stations de ski alpin. Avec la diversification des pratiques et de la clientèle, on s'aperçoit que la fréquentation touristique de la montagne est en hausse. Le ski nordique fait partie de l'offre touristique, contribuant par là même au remplissage des hébergements dans les stations de montagne.

Le ski nordique a démarré sur une base de bénévolat, avec une forte implication du milieu associatif. Cela tient à l'histoire, car les foyers de ski de fond ont été créés sous l'impulsion du ministère de la jeunesse et des sports en 1962, pour permettre aux jeunes des vallées de moyenne montagne de pouvoir pratiquer le ski l'hiver. Les choses ont bien changé depuis ; le ski de fond s'adresse aujourd'hui à diverses clientèles.

Il y a tout d'abord une clientèle sportive, de proximité que l'on a fidélisée ; il s'agit de personnes qui viennent des villes de Chambéry, Annecy, Genève, Grenoble, Toulouse ou Clermont-Ferrand... afin de pratiquer leur activité plutôt en journée ou en week-end. Depuis quelques années, on s'intéresse un peu plus à la diversification des pratiques et surtout à l'accueil d'une clientèle nouvelle, désireuse d'effectuer des séjours. On peut être étonné à la lecture des chiffres, lorsque l'on s'aperçoit que 50 % du chiffre d'affaires est réalisé dans les Alpes du Nord, c'est-à-dire Savoie, Haute-Savoie et Dauphiné. Ainsi, sur la moyenne de 60 millions de francs de chiffre d'affaires annuel générés uniquement par la redevance qui permet l'accès aux pistes, 50 % sont réalisés par les trois départements des Alpes du Nord, car il y a des bassins de clientèle importants, et beaucoup de stations de ski ont un hébergement suffisant pour accueillir la clientèle touristique. A contrario , dans les secteurs de moyenne montagne, les villages ont besoin du ski nordique pour se développer, mais ne possèdent pas toujours les structures d'accueil nécessaires, notamment en termes d'hébergement, d'hôtels de qualité et de gîtes... Ils ont donc du mal à capter cette clientèle touristique.

Pourtant, d'après les études qui ont été conduites au plan national, les atouts des villages de moyenne montagne peuvent intéresser des clientèles notamment étrangères, à condition d'avoir les structures d'accueil et d'hébergement de bon niveau. Alors que le ski de fond permettrait de développer les activités de certains villages de moyenne montagne, on s'aperçoit que cela marche mieux dans les secteurs déjà bien structurés. Au niveau des ressources, on retrouve aussi un peu le même problème ; tous ces villages du Massif Central, du Jura, des Alpes du sud, de certaines vallées des Pyrénées, ou d'autres régions géographiques encore, n'ont pas d'autre activité, mais leurs moyens sont limités pour développer la qualité et les services nécessaires pour l'accueil touristique. C'est la problématique qui est posée aujourd'hui. On a affaire à des structures très différentes. On a beaucoup de difficultés au niveau national pour coordonner les petites stations et les plus grandes, celles qui n'ont pas de moyens et celles qui en ont davantage. D'autre part, on arrive à avoir trois ou quatre sites ou stations par département qui trouvent un certain équilibre économique en raison d'un volume suffisant d'activité. En revanche, un nombre important de villages de moyenne montagne n'ont pas les ressources suffisantes pour investir, en ne percevant que la redevance.

La raréfaction de la neige en moyenne montagne touche en outre de plein fouet le ski nordique qui s'est développé il y a une quinzaine d'années dans des secteurs où l'altitude est peu élevée. Cela demande, au niveau de tous les massifs, et notamment de la part des conseils généraux, de se repositionner pour conférer davantage de moyens sur un certain nombre de sites au potentiel clairement établi, et de réaménager les sites afin de créer ou développer des pistes à une altitude supérieure, comme on a pu le faire pour le ski alpin. L'année dernière, des sites de ski de fond ont commencé à engager des investissements en termes de neige de culture pour assurer un minimum d'enneigement en début de saison, afin de favoriser l'accueil des groupes scolaires et des jeunes sur des espaces d'apprentissage d'une part, et d'autre part sur des boucles d'entraînement pour les plus sportifs. On a une convention avec la fédération française de ski pour aider les compétiteurs de haut niveau sur l'ensemble des massifs français, à pouvoir s'entraîner sur les pistes nordiques. Voici donc rapidement exposées les contradictions et les problématiques du ski nordique. C'est une activité qui génère beaucoup d'emplois, et qui finalement n'a que très peu de moyens, puisque la seule source de revenus provient de la redevance. Un chiffre d'affaires de 9,15 millions d'euros sur 220 sites ne représente pas un volume important, sachant qu'une dizaine de stations a un chiffre d'affaires de 460.000 à 600.000 euros, et la plupart des autres ne dépassent pas les 76.225 euros. Vous voyez que ces sommes représentent peu de chose, eu égard aux salaires versés et aux investissements qui doivent être réalisés. A titre d'exemple, un engin de damage, indispensable pour que la clientèle fréquente des pistes bien entretenues, coûte de 121.960 à 137.200 euros.

Jusqu'à maintenant, les collectivités locales ont très fortement participé aux investissements en termes de construction de bâtiments et structures d'accueil, parking, services, et éventuellement achat d'engins de damage. L'activité nordique elle-même, par la redevance, permettait d'essayer de trouver un équilibre en termes de fonctionnement, notamment au niveau des salaires et de l'emploi. Depuis dix ans, on est également passé d'un système où le bénévolat était la règle, à un système professionnalisé. A ce titre, France Ski de Fond avec l'aide de l'association des maires des stations françaises, l'AMSFSHE, et de l'ANEM, a pu mettre en place en 1992 avec les trois ministères de l'Intérieur, du Tourisme et de la Jeunesse et des Sports, un brevet d'Etat de pisteur secouriste nordique. France Ski de Fond s'est chargée d'assurer la formation de professionnels. Nous avons aujourd'hui formé 550 professionnels brevetés d'Etat qui travaillent désormais à la disposition des communes sur les sites nordiques. On a également environ 600 moniteurs qui travaillent sur l'ensemble des sites. On pourrait aller bien au-delà si l'on développait suffisamment cette activité. Il y a aussi tout le personnel d'accueil et d'entretien. La problématique émane de la pluriactivité. Ces personnes sont employées sur des périodes d'activité très courtes, en fonction de l'état de l'enneigement et des saisons. Heureusement, ces personnes sont bien souvent polyvalentes, puisqu'elles sont à la fois pisteur, secouriste, moniteur de ski, accompagnateur en montagne, agriculteur ou artisan. On a cependant du mal à fidéliser ces personnes qui viennent du terrain, des villages de montagne environnants, car pour l'instant la loi ne leur permet pas d'avoir un système de prise en charge unique et facile. On connaît ce problème depuis que la loi Montagne a été créée ; c'est peut-être l'occasion de se pencher sur un texte qui permettrait de faciliter le travail des pluriactifs en montagne.

Si vous le souhaitez, on peut entrer dans le détail de la loi Montagne et des articles qui pourraient évoluer, à moins qu'il n'y ait des questions au niveau de la présentation générale.

M. René Peltier - Le directeur a bien souligné la diversité, porteuse de richesse à certaines occasions, mais aussi de contraintes. De ce fait, pour avoir une cohérence d'ensemble, il faut souvent prendre des demi-mesures qui ne satisfont personne. Il fallait donc qu'il y ait une évolution. Cette évolution s'est en partie faite par la prise de conscience engendrée par les difficultés financières de l'an passé. Le fait de ne pas avoir de financement deux années de suite peut être très négatif et dangereux pour un certain nombre de sites, mais permet de se poser les bonnes questions. Si la masse financière est importante, tout va bien, et à la limite, on peut continuer de la sorte. Mais pour rester en vie, il y avait une obligation de se poser ces vraies questions. Cela a été en quelque sorte une chance pour nous, avec l'aide de l'AFIT, du SEATM et du ministère du tourisme, de rebondir, afin de mettre en place un repositionnement complet de la filière nordique. Au-delà des difficultés que l'on peut rencontrer, qui proviennent de la diversité, le moment est venu de considérer l'avenir en cohérence, avec l'ensemble des partenaires. Nous ne pouvons rester isolés de notre côté. Il faut donc travailler avec l'ensemble des partenaires de terrain, les partenaires institutionnels, de façon à ce que nous avancions tous ensemble, dans le même sens. Il faut créer les conditions qui permettent de se projeter sur l'avenir.

M. Jean-Paul Amoudry - Je voulais, Monsieur le Président, Monsieur le Directeur, tout d'abord vous remercier d'avoir brossé, de façon introductive, la réalité. Je souhaite également saluer l'arrivée de mon collègue et ami, Monsieur Bailly, sénateur du Jura, qui est au combien représentatif des activités du ski nordique. La mission est à la fois sensible et préoccupée par l'avenir du ski nordique, dans la mesure où c'est une activité, peut-être à la différence du ski alpin, qui intéresse l'ensemble de la montagne française. C'est aussi quelque chose d'important - vous l'avez bien dit - du point de vue des activités économiques. C'est, je dirais, quelque chose d'important pour la montagne, mais aussi pour l'ensemble des populations urbaines. Monsieur Ours a rappelé toutes les sources potentielles de clientèle, constituées par toutes les personnes qui ressentent le besoin de s'oxygéner. Il s'agit donc d'une discipline qui permet le nécessaire développement de la montagne, d'une manière diffuse sur l'ensemble des massifs, et remplit dans le même temps une mission tout à fait éthique, culturelle et sportive à l'adresse de tous nos contemporains qui vivent en secteur urbain. Les bases, le décor sont très bien plantés ; il nous faut voir l'avenir.

Je voudrais également vous remercier pour les préconisations que vous nous présentez sur le plan technique de mise à jour de la loi Montagne, à travers les documents que vous nous avez communiqués. Je me pose trois questions de fond : premièrement la neige, puis les reconversions, et enfin le support des collectivités locales. Je vais m'expliquer en reprenant le troisième thème. Nous avons vécu, dans nos collectivités de montagne, l'époque pionnière avec des collectivités très bien disposées et avec des bénévoles. Il faut aujourd'hui passer du bénévolat au régime du salariat, alors même que l'on n'a pas réglé le problème de la pluriactivité. D'autre part, les collectivités, peut-être davantage qu'hier, sont endettées et moins favorables à aider le développement du ski nordique. Autrement dit, à l'échelle des 220 sites, voyez-vous un soutien toujours aussi fidèle de la part des collectivités, toujours autant de volonté ? Pouvez-vous craindre, à cause d'un manque de neige, ou de la nécessité de salarier les employés, d'acheter des engins de damage, qu'il y ait un désengagement de la collectivité ?

J'en viens à ma deuxième question. Pourriez-vous nous préciser comment vous voyez la reconversion, en particulier en période estivale, de façon à tenter de faire une double saison et de mieux tirer parti des équipements hivernaux créés pour le ski nordique proprement dit ?

Enfin, ma troisième question concerne la neige. La moyenne montagne souffre du manque de neige. Avez-vous fait un inventaire des sites pouvant facilement être équipés de neige de culture ? Vous savez que la neige de culture pose des problèmes fondamentaux, de nature écologique, philosophique même, parfois. Nous voudrions démystifier son utilisation, et apporter un cadre de solutions au problème des droits d'usage de l'eau, en évitant de jeter l'anathème sur la neige de culture. Combien de sites pourraient être facilement renforcés grâce à la neige de culture, ou en élevant l'altitude des circuits de ski nordique ? Inversement, quels seraient les sites en périls, ne pouvant pas recourir à l'usage de la neige artificielle ?

M. René Peltier - Je vais essayer de vous répondre le plus sincèrement possible. Louis Ours complètera ensuite. Par rapport à la neige, c'est un phénomène très aléatoire, en fonction des massifs et des mois concernés. Un massif peut être très bien enneigé une année, et mal l'année suivante - les Pyrénées ont par exemple fait cette année une saison correcte alors que le massif central a connu une saison catastrophique ; la situation était différente l'an dernier. D'où la pertinence de l'approche en termes de neige de culture. Un certain nombre de sites ont déjà choisi d'utiliser la neige de culture, car ils en ont les moyens, et ont également une volonté de gestion plus économique du périmètre sur lequel ils se situent. Les sites de replis sont également une possibilité, mais nécessitent des infrastructures nouvelles, peut-être des moyens mécaniques pour y accéder. Cela pose donc un certain nombre de questions, dont celle bien-sûr du financement et de la rentabilisation des installations. Je prendrais l'exemple du ballon d'Alsace dont je suis issu, où nous avons tenté cette année de démarrer le ski de fond sur les aires d'apprentissage et sur notre piste verte de ski de fond. Nous avons commencé début décembre avec des canons à neige. Cela a déclenché l'état d'esprit ski de fond au niveau des belfortains en général qui sont montés plus tôt grâce aux canons à neige. Cela permet quand même, bien que les circuits ne puissent pas tous être enneigés par la neige de culture, d'ouvrir les petites pistes « visuelles » ou les aires d'apprentissage, représentant ainsi la solution la mieux adaptée.

Je n'ai personnellement pas ressenti de désengagement au niveau des collectivités locales, même si quelquefois les budgets sont très serrés, ou que les subventions permettent à peine de monter un projet. Les collectivités, par l'intermédiaire des associations départementales de ski de fond, ont aussi pris conscience de l'intérêt économique du ski de fond et de ses retombées. Elles suivent très fortement, tout en tirant la sonnette d'alarme à certains moments, ce qui est somme toute logique. L'espoir créé par la volonté de repositionnement va permettre de redynamiser certaines collectivités. C'est un axe central pour l'avenir. La volonté existe, il faut simplement que chacun aille dans le même sens. Dès lors, l'ensemble de la pyramide pourra fonctionner.

Je vais enfin aborder le thème de la reconversion. A travers la diversité qui parcourt les sites de ski de fond, on se rend compte que des entités sont axées sur un système purement économique de rentabilisation à outrance, tandis que d'autres sites au contraire en sont encore quasiment au bénévolat. La perception d'avenir, pour les bénévoles ou les professionnels, ne peut pas être la même. Il peut peut-être y avoir une évolution sur le plan d'un massif, mais l'essentiel est qu'il y ait une cohérence, une complémentarité des services offerts.

M. Louis Ours - Il est bien évident que nous allons assister à une évolution. On ne va pas pouvoir conserver autant de sites dans les dix années à venir, notamment lorsque l'on entend ce que nous disent les conseils généraux. D'une part, il va y avoir des sites qui ont la capacité d'évoluer, de s'adapter aux nouveaux produits, aux désirs de la clientèle, et pourront développer des activités touristiques grâce à leur capacité d'accueil. Cela représente en gros trois à quatre sites par département, soit sur le plan national, une petite centaine de sites qui pourront trouver un équilibre économique à terme.

Il peut également y avoir un choix politique aboutissant à un maintien de l'activité de certains sites du département, considérant que le ski de fond est vital pour l'économie locale ; l'activité est alors soutenue car il y a des intérêts indirects au niveau du territoire. Il faut être réaliste, et il est probable que certains sites disparaîtront, par manque de neige et de moyens pour l'entretien des pistes.

Enfin, une quatrième catégorie, est constituée par un certain nombre de sites qui vont pouvoir diversifier leur pratique. C'est la tendance aujourd'hui, à partir du moment où l'on a investi dans des parkings, des bâtiments d'accueil, des services, des itinéraires et pistes, espaces aménagés et sécurisés par des professionnels, qui vont permettre à la station de développer des activités complémentaires estivales (VTT, randonnées, balades à cheval...), souvent liées à la présence de gîtes ruraux. Ce genre d'activité complémentaire permet aux professionnels de rester sur les sites, été comme hiver. Certains lieux ont déjà adopté ce mode de fonctionnement. L'hiver, même si le secteur n'est pas très bien enneigé, la station peut faire bénéficier les clients de ses installations habituellement dédiées à la période estivale. C'est une des orientations possibles, pour des secteurs tels que le Massif Central, où les élus souhaitent développer le tourisme dans les villages, et avoir cette activité organisée, à travers les structures et les hommes, les organisations et l'engagement des collectivités locales.

Les études que nous avons réalisées ont montré que l'on a intérêt à se réorienter vers les attentes nouvelles des clientèles, qui sont plus des attentes de bien-être, de convivialité, de découverte du patrimoine local, que des attentes purement sportives. Il existe à mon sens de réels débouchés pour un certain nombre de structures. C'est une réorientation.

Comme le disait René Peltier tout à l'heure, on a pris l'habitude depuis quelques années de travailler avec tous nos partenaires, comme l'association des maires, le SNTF, les moniteurs de ski, les CDT, les CRT, le PAM, etc.... Le ski de fond ne doit pas rester replié sur lui-même, sinon il n'y a pas d'issue. Il faut que l'on s'intègre dans la dynamique touristique départementale et villageoise. Il faut trouver des solutions pérennes, mais ce n'est pas la volonté du ski de fond de s'enfermer dans sa bulle. Le problème sur le plan financier se pose également de la manière suivante ; aujourd'hui, le ski nordique présenté comme une activité sportive intensive n'intéresse plus grand monde, excepté les sportifs de haut niveau qui s'entraînent très régulièrement. Les clients sont de nos jours attirés par les sorties de détente, sur des pistes faciles qui leur permettent de profiter du paysage. Beaucoup de monde se déplace sur les sites, mais sans pour autant faire du ski de fond, préférant les promenades à pied ou en raquette sur les itinéraires que nous avons aménagés, tandis que les enfants ont une prédilection pour la luge, la glisse sur des espaces ludiques...

En résumé, il faut beaucoup plus travailler sur le qualitatif que sur le quantitatif, et sur la diversification des pratiques. Nous avons écouté ce que veulent les gens. Avoir 100 km de pistes sur un site n'intéresse pas une clientèle de plus en plus tournée vers les activités ludiques et familiales. Nous ne sommes pas encore performants dans ce domaine dans beaucoup de cas, car on est resté sur une offre trop sportive et technique, et pas assez ludique. C'est en suivant cette orientation que l'on va permettre aux sites nordiques de se maintenir et de se développer. Les études nous montrent que les gens ne sont plus attirés par l'image traditionnelle du ski de fond qui a une connotation pénible et d'effort. On parlera donc beaucoup plus d'espaces et d'activités nordiques, nettement plus diversifiés permettant d'accueillir les différentes clientèles. Il faut désormais s'intéresser à ce que veulent les clients. Ils souhaitent bénéficier du confort, des services, des garderies d'enfants, des restaurants et hébergements de qualité. Les sites nordiques de demain sont ceux qui vont respecter cette dynamique. On ne peut plus aujourd'hui faire du bricolage, il faut entrer dans une activité professionnelle. Cependant, il serait dommage que les sites plus petits disparaissent tous, car ils ont un rôle important à jouer sur l'accueil des enfants, des scolaires.

M. René Peltier - Le panorama général a été bien dressé. Il y a eu des pionniers qui ont mis en place la structure nationale de France Ski de fond. Le ski de fond a derrière lui toute une histoire, mais on doit évoluer et tenir compte de la demande. Dans ce sens, nous devons organiser également l'accueil des pratiquants de la raquette ou de la promenade à pieds. Il faut distinguer : les pratiquants autonomes amateurs de la neige vierge et les « promeneurs du dimanche » qui souhaitent trouver des pistes balisées, sécurisées. Nous devons organiser l'accueil de l'ensemble de ces pratiquants pour un bon fonctionnement des sites nordiques, sachant qu'il faudra trouver le financement correspondant aux coûts générés.

M. Gérard Bailly - Ce que je viens d'entendre va complètement dans le sens de ce que je pense, connaissant le massif du Jura. Comme ailleurs, on s'aperçoit, même dans une région considérée comme le paradis du ski de fond, que c'est dans la pluriactivité que l'on trouvera un salut, compte tenu notamment de la diminution des périodes d'enneigement et de l'engouement pour le ski alpin. A ce titre, on remarque que le ski de fond tire partie de la proximité de pistes de ski alpin. Les temps sont durs pour les collectivités qui doivent malgré tout respecter l'objectif de rentabilité. Il faut donc conduire une réflexion autour de la plurisaisonnalité, afin que les secteurs puissent être fréquentés également l'été, en respectant la pluralité de souhaits des différentes clientèles. Ce que vous avez dit va donc parfaitement dans le sens de ce que nous ressentons sur le terrain.

J'aurais cependant une question. Les collectivités sont souvent les grands maîtres d'ouvrage de ces investissements. Heureusement, on s'aperçoit que des privés prennent également des initiatives, mais ils ne peuvent bénéficier que de leurs propres financements. Ne pourrait-il pas y avoir des partenariats entre les structures privées et les collectivités, afin de développer plus rapidement un territoire, dans un souci de plurisaisonnalité ?

René Peltier - Je vais vous donner mon sentiment. Je partage tout à fait votre approche. On ne peut pas se permettre de négliger une des forces vives du terrain. Pour que les projets globaux puissent avancer, dans un certain nombre de secteurs, il y a peut-être des efforts à faire pour mettre les différents acteurs autour d'une même table.

D'autre part, il ne peut y avoir pérennisation des emplois que si l'on se situe dans une approche de plurisaisonnalité.

M. Jean-Paul Amoudry - Je voudrais m'assurer que j'ai bien compris votre description globale. La pratique pure du ski de fond décroît, tandis que l'on constate une croissance des activités liées à l'ensemble des prestations que peuvent fournir les sites nordiques, autour de ce que l'on pourrait appeler de manière générale l'évasion nordique.

D'autre part, l'accueil des enfants vous paraît-il satisfaisant ? Enfin, sur le plan de la fiscalité, existe-t-il des cas non réglés ?

M. René Peltier - L'accueil des enfants et des débutants est encore insuffisant, même si des efforts sont réalisés dans un certain nombre de secteurs. Il y a bien eu une prise de conscience autour de l'idée que les enfants d'aujourd'hui sont notre clientèle potentielle de demain. Cependant, il y a encore des insuffisances en termes d'application.

M. Louis Ours - Quand on parle des enfants, il y a en fait deux niveaux. Il y a d'une part l'accueil des scolaires qui est bien fait dans certains départements, en particulier en Haute-Savoie. D'autre part, cela sous-entend aussi l'accueil des familles, aspect que l'on a certainement négligé. Ski France a déjà fait un travail important dans les stations pour l'accueil des familles, avec le label des petits montagnards. Il faudra au niveau du ski nordique que l'on emboîte le pas et que l'on travaille ensemble dans ce sens-là. On a déjà avancé sur un projet d'espace ludique d'apprentissage pour la découverte du ski par les enfants.

Cette évolution pose un certain nombre de problèmes, avec notamment l'aménagement de l'espace, comme on l'a indiqué dans le document. Avant, les pistes de ski de fond n'étaient pas très larges. Aujourd'hui, on va aménager des espaces plus vastes, avec de surcroît différentes activités sur un même site. Les pistes de skating ont désormais une largeur de six mètres, et s'ajoutent aux itinéraires pour la promenade à ski de fond ou à pied, la marche en raquette. Cela va poser des problèmes nouveaux, notamment par rapport aux servitudes. Ces servitudes ne seront plus nécessairement des servitudes de passage, mais devraient permettre de développer les activités sur les différents parcours, hiver comme été. La loi Montagne spécifiait uniquement le droit de passage sur la neige pour une piste, généralement peu consommatrice d'espace. On va gagner dans l'aménagement des espaces. Il faudra donc revoir le problème des servitudes.

La redevance a été instituée pour permettre aux communes de percevoir des sommes liées à la pratique du ski de fond. Or, comme nous l'avons vu, dans un contexte de développement d'activités connexes, un certain nombre de ces activités ne fournissent aucun financement. Si l'on prend le cas des communes touristiques, elles disposent d'autres ressources que la redevance, comme la taxe de séjour. En revanche, dans les villages de moyenne montagne, la taxe de séjour ne peut générer suffisamment de ressources en raison de la faiblesse des capacités en hébergement. Il faudra peut-être élargir le champ d'application de la redevance à l'ensemble des personnes qui pratiquent une activité sur les espaces nordiques.

La redevance est pour l'instant exonérée de TVA, ce qui arrange tout le monde. Mais en revanche, cela pose un certain nombre de problèmes, car on est limité en termes de démarche marketing ou commerciale. Vous parliez tout à l'heure d'association avec le privé. Or, dès que l'on parle de commercialisation, on entre dans un système soumis au régime de la TVA. A l'inverse d'un titre de transport en remontée mécanique que l'on peut intégrer dans un forfait touristique, on peut difficilement vendre la redevance dans un salon à Lille ou ailleurs, par exemple, car son statut changerait et deviendrait un produit touristique soumis aux taxes. Il y a donc une réflexion à conduire, pour entrer dans un système plus commercial que la redevance ne permet pas aujourd'hui, système qui a des avantages, mais également ses limites.

M. Jean-Paul Amoudry - Je crois que nantis de ces exposés, de vos réponses et des éléments que vous nous avez présentés dans votre rapport, nous devrions faire un bon travail. Je m'autorise à dire que si, dans le travail de synthèse, puis de rédaction du rapport, nous avions besoin d'informations complémentaires, nous reprendrions contact avec vous. Par ailleurs, je vous remercie de nous faire passer, dès que vous le pourrez, les rapports AFIT, Cofremca et peut-être DATAR, sur les préconisations formulées. J'espère qu'ainsi, nous arriverons à ouvrir une nouvelle page des activités nordiques et de montagne.

M. Louis Ours - Je souhaiterais que soit pris en compte le point suivant. Dans la loi Montagne, il était prévu la création d'associations départementales, régionales et inter régionales pour la coordination du ski nordique. Par contre, il n'était indiqué nulle part qu'une association nationale pouvait être créée. Ce serait peut-être bien de le prendre compte. J'ai à ce titre ajouté une proposition d'article dans le document annexe qui vous a été remis, pour que France Ski de Fond puisse continuer à exister et à jouer son rôle, en disposant d'une base légale dans le cadre de la loi Montagne.

M. Jean-Paul Amourdry - Merci Monsieur le Président et Monsieur le Directeur ; et à bientôt.

M. René Peltier - Merci à vous. Je voudrais juste dire encore un mot. Nous avons sûrement été incomplets, imparfaits. Nous avons cependant essayé, avec toute notre passion, de transmettre la sensibilité nordique.

Deux choses sont à mon sens importantes. Il faut d'une part qu'il y ait une cohérence entre les textes sur lesquels vous allez débattre, et la perspective d'avenir. D'autre part, l'ensemble des partenaires institutionnels, privés, associatifs doivent mettre toutes leurs forces pour aller dans un même sens.

39. Audition de M. Jean-Paul Fuchs, président de la fédération nationale des parcs naturels régionaux (3 juillet 2002)

M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur - Bonjour, et bienvenue au Sénat. Merci d'avoir fait le déplacement pour les besoins de notre mission d'information. Je souhaiterais excuser un certain nombre de collègues membres de la mission qui ont dû être appelés à d'autres obligations compte tenu de la reprise des travaux de la session extraordinaire. Je ne fais pas de commentaires inutiles sur ces sujets que vous connaissez bien.

Je suis heureux de vous accueillir aux côtés de mon collègue, Monsieur Bailly, sénateur du Jura, et de vous inviter dans l'heure qui vient, à nous répondre sur la base des quelques questions que nous vous avons adressées. Ces questions ne sont bien entendu pas de caractère limitatif ou exhaustif, et vous avez toute latitude pour nous présenter les développements que vous jugerez bons. Nous nous réservons quelques minutes in fine pour un échange sur les points qui nous semblerons utiles.

M. Jean-Paul Fuchs - Si vous êtes d'accord, je vais exposer en quinze à vingt minutes les réponses au questionnaire. Puis nous débattrons ensuite. La première question concernait la fédération nationale des parcs régionaux. Je rappelle très rapidement les principaux points caractérisant un parc régional. Sur un territoire de qualité, il s'agit de valoriser le patrimoine naturel et culturel, favoriser le développement économique, avec les élus et la population. En d'autres termes, c'est ce que nous appelons faire du développement durable, depuis 35 ans, date du premier parc, et faire de la démocratie participative, puisque tout se fait avec les élus qui fixent les objectifs consignés dans une charte, chaque commune devant l'accepter ou la refuser au sein de son conseil municipal. Il y a actuellement 40 parcs naturels régionaux, contre seulement sept pour les parcs nationaux, qui ne s'occupent que de l'environnement sous la tutelle étroite de l'Etat. Les parcs naturels régionaux essaient de trouver un équilibre entre l'environnement et le développement économique, avec les élus et la population, qui fixent par là même leur propre destin.

La Fédération des parcs naturels régionaux regroupe les 40 parcs naturels régionaux. C'est l'interlocuteur des administrations nationales, des assemblées parlementaires et de l'union européenne. Je ne vais pour l'instant que vous donner les grandes lignes, puisque vous trouverez tous les détails dans les documents que je vous ai apportés. Elle est sollicitée pour avis par le ministère de l'environnement, dans le cadre de la procédure de classement ou de déclassement d'un parc. Il est d'ailleurs assez étonnant qu'une association soit consultée par la loi sur la création (ou la non-création) d'un parc naturel régional de 1993. C'est un centre de ressources des parcs naturels régionaux qui organise les réflexions interparcs, favorise les échanges d'expérience, élabore des outils méthodologiques, anime des programmes expérimentaux, afin de les aider à mener à bien leurs missions.

C'est une source d'information de base sur les parcs naturels régionaux, qui s'organise en groupes de travail. Elle édite un magazine, un catalogue de forfait touristique, un catalogue d'hébergement en gîte rural ou en chambre d'hôtes, un guide naturel de la randonnée, les guides Gallimard sur les parcs naturels régionaux, et elle gère enfin un site internet. Elle développe au fond une importante activité de transfert des savoirs-faire des parcs naturels régionaux sur l'international, appuie la création de parcs s'inspirant de l'expérience française, échanges, transfert de techniques, etc...

On est en train de créer des parcs à la française au Brésil, au Chili, en Jordanie, en Afrique Noire. J'ai reçu il y a quelques jours le ministre de Panama. Un peu partout dans le monde, on souhaite créer des parcs naturels régionaux à la française. On peut se demander quelles en sont les raisons. L'équilibre environnement-développement est dans l'air du temps. La participation des villes et des habitants dans les Etats où tout vient d'en haut est également un concept novateur. La base aspire à participer à l'élaboration de son destin.

C'est une association loi 1901, dont le budget s'élève à environ 2,8 millions d'euros qui est assez compliqué à équilibrer. Nous avons des subventions de tous les ministères - Environnement bien-sûr, mais aussi Culture, Affaires Etrangères, Education...- de la DATAR, de l'Europe. Tous les parcs sont adhérents à la Fédération et contribuent pour 15 % de son budget, le reste venant de 30 organismes différents.

Je vais à présent traiter de la situation des parcs au regard du zonage montagne. C'est assez approximatif, la notion même de massif étant relativement floue. La définition de la montagne selon l'INSEE ne donne pas la réalité. L'une des idées de base est d'avoir une entité massif plus souple, intégrant la dimension intercommunale.

Sur les 40 parcs régionaux, 19 sont concernés par des massifs, généralement de moyenne montagne. Seul le Parc du Queyras est situé en haute montagne ; les autres parcs de haute montagne sont des parcs nationaux. Les parcs régionaux sont habités, contrairement aux parcs nationaux, comptent environ 3,5 millions d'habitants, et représentent 11 % du territoire français. Il y a six projets à l'étude, deux en territoire de montagne, les Pyrénées catalanes et le territoire de Mille-vaches en Limousin. On avait pu penser qu'avec la création des pays, il n'y aurait plus de demande de parcs. Les actuels critères de classement en zone de montagne ne constituent pas une base pertinente pour l'identification de leurs territoires. Par exemple :

Le Parc des Vosges du Nord qui est soumis aux mêmes difficultés que la plupart des territoires de moyenne montagne (relief, enneigement, enclavement, couverture forestière), n'a que dix communes classées en zone de montagne sur une centaine ; le Parc du Morvan n'a que 25 % en zone de montagne, alors que tout le massif est en fait une zone de montagne ; le parc du Quercy dans le Massif Central, aux caractéristiques semblables à celles des Grands Causses, n'est pas classé du tout en zone de montagne. Les délimitations basées sur des données communales ne prennent pas assez en compte la dimension territoriale plus large des enjeux, liée à la moyenne montagne. Je crois que c'est une constatation que vous devriez faire à la fin de votre rapport. Compte tenu de la cohérence des enjeux de leur territoire, les parcs naturels régionaux relèvent globalement d'une problématique de moyenne montagne, et doivent voir leur problématique traitée de manière homogène au regard de la politique de la montagne. La disparité des zonages nationaux ou européens rend encore plus difficile l'harmonisation des politiques publiques. Je prends un seul exemple : Madame Voynet a envoyé une circulaire à tous les préfets, indiquant que tous les parcs de montagne doivent être en zone deux. Dans mon parc, celui du ballon des Vosges, qui relève de trois régions (avec quatre départements), seul le Préfet de Lorraine a suivi Madame Voynet. Le Préfet d'Alsace a considéré que c'était à lui de décider, et non au ministre ; il a classé les zones urbaines en zone deux. Celui de Franche-Comté avait d'abord classé sa zone de montagne, puis ce fut au tour de la zone de Montbéliard. Ainsi, la politique est différente selon les régions, et l'unité du massif ne se retrouve pas. C'est la même chose pour Natura 2000. Le Préfet des Vosges a une politique différente de celle du préfet du Haut-Rhin. D'où la difficulté de travailler dans un massif donné, quand on dépend de plusieurs régions.

Je vais maintenant évoquer les problématiques majeures des parcs de montagne. L'objet commun à tous les parcs régionaux est d'animer un projet de développement et d'aménagement fondé sur la préservation des patrimoines naturels, culturels et paysagers. Cette mission d'exemplarité en matière de développement durable est vécue fortement par tous les parcs de montagne. Leurs territoires sont en effet soumis à une exigence de qualité qui est liée à une demande sociale très forte de la part des habitants - reposant sur un sentiment d'identité, d'appartenance à un espace symbole de la nature et du calme à préserver. C'est aussi lié à des difficultés économiques réelles, comme la moindre compétitivité de l'agriculture.

Face à ce défi, que font les parcs naturels dans les parcs de montagne ?

A l'égard du maintien d'une agriculture vivante, gestionnaire de l'espace, la différenciation des procédures et aides financières en faveur du pastoralisme est insuffisante. Les CTE, auxquels nous sommes favorables - car ils fonctionnent sur le même mode que les parcs, avec l'élaboration d'objectifs - n'ont que très partiellement pallié la disparition des mesures agri-environnementales, à cause d'une approche insuffisamment territorialisée, un plafonnement indifférencié des aides, l'impossibilité de les appliquer à des exploitations « marginales » au plan économique mais essentielles pour l'entretien de l'espace, l'inadaptation aux systèmes d'exploitation collective des estives.

Par exemple, on devrait soutenir la filière ovine de montagne : intégrer le coût des bergers et prendre en compte le sylvo-pastoralisme dans les aides publiques et inciter les propriétaires à laisser passer les troupeaux transhumants. Il faudrait également valoriser les productions et services par la marque « Parc Naturel Régional de... » qui garantisse les critères de qualité (authenticité, caractère artisanal) et de prise en compte de l'environnement.

Les difficultés de l'agriculture de montagne expliquent la progression notable des surfaces boisées, par plantation des parcelles ou régénération naturelle de la forêt. En concertation avec les élus et tous les professionnels, les parcs s'attachent à préserver, voire reconquérir, l'espace agricole et à veiller à la diversité biologique des boisements. Dans mon parc par exemple, les chambres d'agriculture et de commerce, l'ONF, font partie intégrante du parc. Il y a des parcs de syndicats fermés ou ouverts. Le mien est ouvert, et l'ONF paye une cotisation. Cette concertation entre élus et professionnels se fait notamment à travers l'élaboration ou la révision des réglementations de boisement, la remise en culture de parcelles, la concertation avec l'ONF et les CRPF pour développer une sylviculture plus diversifiée, adaptée aux enjeux paysagers, et pour l'intégration paysagère des schémas de desserte. On fait par exemples des schémas de paysages vallée après vallée, en faisant travailler ensemble des élus, les écoles, les jeunes, qui fixent leur avenir sur dix ans.

Actuellement, nous conduisons une réflexion collective des parcs naturels régionaux pour la mise en oeuvre des chartes forestières de territoire.

Pour ce qui concerne les aménagements et le développement touristique, notre objet n'est pas d'avoir un tourisme de masse, mais de qualité. Compte tenu des attentes de la clientèle et des atouts paysagers de ces territoires, les parcs de montagne sont particulièrement bien placés pour développer un tourisme misant sur la qualité environnementale et paysagère des aménagements et hébergements, l'intégration et la prise en charge des prestations par les forces vives locales. Cela nécessite :

- un effort particulier pour développer, avec les collectivités, une logique de mise en scène du territoire par la création et le balisage cohérent de circuits de découverte, sentiers à thème, etc... ;

- la concertation avec les associations de sports de pleine nature et les guides professionnels, pour le respect de « codes de bonne pratique » et la sensibilisation des participants ;

- la maîtrise de la pénétration des espaces naturels les plus sensibles, par l'application de la loi sur la circulation des véhicules de loisirs à moteur ;

- le souci de développer une offre d'activités attractives sur la période estivale et l'intersaison, grâce au tourisme de nature et de découverte du patrimoine ;

- l'appui à la création ou à la rénovation d'hébergements diffus, intégrés au paysage et adaptés aux contraintes environnementales (assainissements, économies d'énergie, valorisation des productions locales).

Nous avons par exemple, à travers les marques d'appel que sont les « Voyages au naturel », les « Gîtes Panda », les « Hôtels au naturel », un tourisme de qualité. Je vais à nouveau prendre l'exemple du Parc des Ballons des Vosges. Le Plateau des Etangs, en Haute-Saône, n'a pas assez de touristes, bien que l'on fasse le maximum pour en avoir. A contrario , il y en a trop sur la route des crêtes, fréquentée par un million de touristes chaque année. Notre rôle est de faire en sorte que la nature soit respectée, avec notamment la navette gratuite des crêtes qui permet aux touristes de laisser leur voiture en bas, sur un parking.

Je ne reviendrai que brièvement sur la manière dont Natura 2000 a été appliqué. Je ne jette pas seulement - gentiment - la pierre à Madame Lepage, mais également à tous les ministres qui n'ont rien fait. Bruxelles avait demandé en 1992 ou en 1993, d'appliquer Natura 2000. Tout a été piloté par l'Etat, alors que Bruxelles souhaitait qu'il y ait un dialogue, une participation de l'ensemble des acteurs pour l'établissement de Natura 2000. Essayer de regagner la confiance des maires qui avaient dit « non » au départ, n'est pas facile, alors que sur le fond, Natura 2000 est une bonne chose. S'il y a de grands espaces Natura 2000 en montagne, il ne faut cependant pas oublier qu'à l'exception des sites en zone centrale des parcs nationaux, les plus grands sites Natura 2000 concernent les zones humides et maritimes : baie du Mont-Saint-Michel, marais atlantiques, Parc Naturel Régional de la Brenne, PNR de Camargue, PNR Armorique.

Par sa conception même de protection contractuelle négociée, Natura 2000 correspond bien à la pratique des parcs naturels régionaux. Les parcs naturels régionaux s'investissent actuellement pour expliquer, sensibiliser et animer la concertation nécessaire à une procédure de la compétence de l'Etat souvent mal perçue. Par exemple, lorsque les maires reçoivent le préfet, ils lui disent « Monsieur le Préfet, non à Natura 2000 ; le parc, oui ». Les gens ne sont en fait pas contre Natura 2000 sur le principe. Ils veulent participer par eux-mêmes et par la base. Notre rôle est de convaincre les maires de discuter.

Un autre domaine d'intervention des parcs naturels régionaux - en contradiction avec l'ANEM, que je connais bien pour en avoir été le premier Secrétaire Général - est la préservation d'espèces animales emblématiques, comme le vautour, le gypaète, le lynx, et même le loup. Le Parc du Queyras gère bien le problème du loup, bien mieux d'ailleurs que les parcs nationaux.

Pour ce qui concerne l'articulation de la démarche de pays avec les parcs de montagne, les logiques de parcs et pays sont bien différentes. En effet, les territoires des parcs tirent leur cohérence des enjeux patrimoniaux et identitaires, indépendamment des limites administratives. Par contre, les pays se constituent en respectant la limite EPCI à fiscalité propre, selon une logique de solidarité socio-économique, et sont donc beaucoup plus influencés par les limites cantonales et départementales.

De ce fait, la grande majorité des parcs de montagne, généralement centrés sur des petits massifs et intégrant les parties hautes des piémonts, voient leur périmètre concerné par plusieurs pays organisés autour des villes et bassins d'emploi périphériques ou des fonds de vallées (sauf le Queyras, parc de haute montagne, qui est totalement inclus dans le pays du Briançonnais).

Le risque est donc de voir la cohérence et la lisibilité du projet de territoire, porté par le parc, éclatées par des dynamiques différentes, selon chaque pays. Si une réflexion particulière n'est pas engagée par les collectivités pour différencier les missions du parc ou du pays sur le territoire commun, deux approches différentes du développement pourraient s'affronter, à terme :

- un développement résolument « durable », fondé sur une identité patrimoniale, porté par le Parc ;

- un développement par rapport aux pôles urbains, tirant les entreprises dans les vallées et faisant des espaces de montagne des zones d'habitat résidentiel ou de récréation, porté par les pays.

L'organisation des collectivités en pays ne pose pas de difficultés aux parcs lorsque le Conseil régional s'investit clairement dans sa compétence d'aménagement du territoire, en tenant compte de ses parcs, et contractualise avec ces derniers sur la base d'un projet global au même titre qu'avec les pays. C'est le cas des régions Franche-Comté et Midi-Pyrénées. Les chevauchements de territoires sont alors marginaux, et ne posent alors pas de problème. Il n'y a d'autre part pas de difficultés particulières lorsque les élus choisissent d'orienter leur charte de pays, en étroite concertation avec le parc. Je citerai à nouveau le cas du Parc naturel régional des Ballons des Vosges, concerné par huit pays. Au départ, j'ai dit aux présidents, Monsieur Poncelet et d'autres, que nous ne signerions de convention qu'à la condition que les pays respectent le parc, et soient en complémentarité avec lui. Ainsi, on travaille avec tout le monde lors de la création de pays. Cela ne se passe pas toujours aussi bien, car les pays sont beaucoup plus politisés que les parcs. Je n'ai jamais entendu parler de politique dans un parc. Je suis moi-même élu par la droite comme par la gauche. La situation est bien différente dans les pays.

La loi Montagne est une loi d'équilibre qui a permis un développement économique important dans certains secteurs, une protection de l'intégrité des paysages montagnards dans d'autres. A la lumière de l'expérience des parcs naturels régionaux, fondée sur la recherche d'un équilibre entre développement et protection, dans une approche de planification territoriale, nous pouvons affirmer que la loi Montagne a fait ses preuves. Je ne sais pas si tout le monde est de cet avis.

En ce qui concerne les parcs naturels régionaux, les dispositions de la loi Montagne ne sont donc pas des contraintes supplémentaires, mais une base qui permet d'aller plus loin et d'organiser plus finement le développement au regard des objectifs de préservation du patrimoine naturel et paysager. Il faut rappeler qu'en adhérant à un parc naturel régional, les communes expriment une attitude volontaire en termes de maîtrise de l'urbanisation et des grands aménagements. Chaque commune doit voter dans son conseil municipal. Avec 213 communes et 250 000 habitants, notre parc est le plus peuplé de France, et le deuxième plus étendu en superficie, derrière le parc des Volcans. Sur ces 213 communes, 203 ont adhéré. Sur neuf communes qui, pour des raisons diverses avaient refusé, cinq viennent de nous informer qu'elles veulent adhérer. C'est un acte volontaire, qui implique que l'on observe les recommandations de la charte. Nous donnons par exemple un avis sur tous les PLU et sur les permis de construire, dans les zones d'intérêt majeur. Nous élaborons avec les communes et les communautés de communes des chartes paysagères. Nous appuyons le conseil aux collectivités pour l'élaboration de documents d'urbanisme intégrant les orientations de la charte et les recommandations des chartes paysagères. Dans la charte, nous réalisons un travail de prospective à dix ans pour l'extension, ou la non-extension des domaines skiables. Nous effectuons enfin des cahiers des charges spécifiques pour la procédure UTN, des restrictions au recours aux canons à neige dans certains secteurs fragiles, et des recommandations particulières en matière d'aménagements routiers.

Les dispositions d'urbanisme de la loi Montagne ont permis d'éviter le mitage et la banalisation des paysages et espaces montagnards et de limiter en conséquence les coûts d'infrastructures pour les collectivités. Elles méritent d'être maintenues, comme principes fondamentaux, permettant aux territoires organisés de développer, comme les parcs, des approches qualitatives volontaires et adaptées. Dans le même esprit, la procédure UTN est intéressante, en particulier si elle permet de mesurer la faisabilité économique des équipements. Nous sommes actuellement confrontés à une évolution climatique où la majorité des stations de moyenne montagne sont amenées à réaliser des investissements de plus en plus importants, pour contrer le manque de neige. Par ailleurs, le développement d'une offre touristique alternative, l'été et en moyenne saison, est tributaire de la protection de ces espaces naturels et des paysages de très grande qualité.

Globalement, la loi Montagne nous donne satisfaction. J'avais demandé, au moment de la rédaction de la loi, que le président du comité des massifs soit un élu. Je n'ai pas été écouté, le ministre de l'époque a imposé sa propre vision. Cela a depuis été modifié, et il y a une co-présidence dans le bureau. J'accepterai volontiers que ce soit un élu qui prenne la présidence, comme je l'avais proposé à l'époque.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci pour cet exposé très clair, précis et complet. J'ai quelques questions à vous poser. Je m'interroge tout d'abord sur les moyens financiers. Cette question m'est venue au moment où vous évoquiez votre politique du tourisme, dont le caractère est diffus. Il n'est peut-être pas toujours générateur de ressources directes. Comment équilibrez-vous ces initiatives ?

M. Jean-Paul Fuchs - Chaque parc est autonome, donc spécifique. Ce sont des parcs régionaux, ce qui veut dire que l'essentiel des ressources provient des régions. Les régions donnent entre 40 et 60 % en moyenne des ressources des parcs naturels régionaux. Les départements donnent entre 5 et 30 %. Quand la région donne beaucoup, le département donne moins. En Lorraine par exemple, la totalité des fonds provient des régions. L'Etat donne en gros 10 %. Au niveau de la population, cela varie, de 0,61 € par habitant en Lorraine à 3,81 € pour le Vercors. Certains parcs font plus de choses que d'autres. Les parcs les plus anciens s'occupent de tout, comme la Corse, ou le Vercors qui gère même les monuments de commémoration de la résistance. Les parcs les plus récents s'occupent de moins de choses, car ils n'empiètent pas sur les plate-bandes des organismes qui ont déjà pris en charge la gestion de quelque chose. Le budget du Parc des Ballons des Vosges est autour de 1 million 220.000 € de frais de fonctionnement, et autant pour les dépenses d'investissement. Voilà en gros le budget moyen d'un parc ; cela dépend de la surface, du nombre d'habitants et de communes. Le Parc du Queyras n'a que cinq communes, contre 203 pour le mien, avec 28 000 entreprises. On ne peut donc pas comparer un parc à un autre ; c'est la philosophie qui est la même.

M. Jean-Paul Amoudry - Je termine avec deux questions. Premièrement, avez-vous des difficultés sur la question des motoneiges, et comment la circulaire s'applique-t-elle ? Deuxièmement, avez-vous des éléments à nous communiquer sur les moyens financiers qui assortissent la procédure Natura 2000 ? Dans le département où je suis élu, nous avons le plus grand mal à éclairer nos collègues maires, qui voient arriver les contraintes engendrées par la mise en place de Natura 2000, sans savoir comment les gérer financièrement. Comment les sites seront-ils gérés, et avec quels moyens européens ?

M. Jean-Paul Fuchs - Concernant votre première question, nous n'avons pas de problème. Les parcs ne sont pas contre le tourisme de neige ; nous voulons simplement éviter l'anarchie. Les motoneiges qui sont dans les Vosges appartiennent généralement aux collectivités municipales ou au département. Les raquettes ne nous posent pas non plus de problème ; il faut seulement veiller à ce que les gens n'aillent pas partout, afin de protéger les quelques tétras qui existent encore dans les Vosges. Les Parcs incitent les communes à s'appuyer sur la loi du 3 janvier 1991 pour organiser la circulation des motoneiges.

Concernant Natura 2000, il y a des moyens qui sont à disposition, d'abord en personnel. Le parc dispose de personnel, grâce aux crédits de l'Etat, pour organiser Natura 2000. Nous sommes gestionnaires de l'ensemble, mais nous travaillons également avec l'ONF et d'autres associations. Natura 2000 ne doit pas être, dans l'esprit, une interdiction, mais une gestion exemplaire, s'appuyant sur la participation des élus pour faire un ensemble de choses, dont la protection.

Dans le massif du Jura, les maires ont dès le départ dit oui, globalement. Dans le massif des Vosges, ils ont globalement dit non. C'est à nous, par le dialogue, de discuter et de raisonner.

M. Gérard Bailly - J'ai un pu suivre la vie des parcs dans la région de Franche-Comté ; j'ai été pendant quinze ans conseiller régional, poste que j'ai quitté l'an dernier pour cause de cumul. J'ai aussi pu suivre le Parc des Vosges. J'ai trois questions. La première concerne les prérogatives respectives des parcs et des pays. Je n'ai en effet pas très bien compris la différence entre la charte des parcs, et celle des pays qui a été conduite à un an d'intervalle.

M. Jean-Paul Fuchs - Les parcs existent depuis 35 ans, tandis que les pays viennent d'être créés. Les pays sont extrêmement variables ; certains ne s'occupent que d'économie, d'autres ajoutent une touche environnementale. Leurs chartes ne sont en aucun cas opposables. Tandis que la notion de parc naturel régional est partagée par les régions et le ministère de l'environnement qui reconnaît la qualité de leur charte par classement. Tous les dix ans, il faut donner une nouvelle charte au Parc.

M. Gérard Bailly - Dans la loi c'est pourtant bien le territoire du parc qui est considéré comme le pays, du moins chez nous, pour ce qui est du Haut Jura.

M. Jean-Paul Fuchs - Ah non ! La loi reconnaît aux Parcs, comme aux pays, la possibilité de signer un contrat particulier avec la région dans le cadre des contrats de plan. La région Franche-Comté a intitulé ces contrats « contrats de pays » qu'ils soient portés par un parc naturel régional ou un pays. C'est le cas également pour la région Centre, avec les parcs du Perche et de la Brenne.

M. Gérard Bailly - Chez nous aussi, c'est la même chose.

M. Jean-Paul Fuchs - Cette situation est une exception. La loi sur les pays fait référence aux objectifs du développement durable, mais ne dit pas que parcs et pays sont équivalents dans leurs objectifs puisqu'elle recommande une recherche préalable d'harmonisation des périmètres. Il n'y a que deux parcs sur les 40, où les deux notions peuvent se superposer, le parc étant englobé dans un grand pays. Dans quelques cas, il n'y a pas de pays qui se créent sur le parc. Dans mon parc, il y a eu huit pays. La loi prévoit alors qu'il y a une convention pour qu'il n'y ait pas deux politiques différentes, cette convention est obligatoire pour permettre à un pays de se créer sur un parc existant.

M. Gérard Bailly - Dans mes deux autres questions - ou plutôt thèmes que je souhaiterais que l'on aborde - je vais un peu me faire l'avocat du diable. On entend souvent dire que les parcs ne servent qu'à faire des études qui coûtent beaucoup d'argent, alors que l'on n'arrive pas à trouver de crédit pour certaines professions comme les bergers, ou certains secteurs dont vous parliez tout à l'heure. Il semble que l'on préfère attribuer des crédits pour réaliser des études, plutôt que pour investir.

Une circulaire dit aussi que dans les parcs, on peut être financé à 100 %. Or, les élus de collectivités, conseils généraux ou régionaux qui ne font pas partie d'un parc, n'admettent pas que l'on puisse être financé intégralement.

M. Jean-Paul Fuchs - Je réponds à la première question, en essayant de généraliser, bien que chaque parc soit spécifique. Les études dépendent en grande partie du président, du directeur et du conseil d'administration. Je peux vous dire qu'au niveau de mon parc, aucune étude ne peut être réalisée sans application concrète. Je sais que les élus ne veulent pas d'études. J'ai moi-même été député, conseiller général et régional et conseiller municipal pendant 44 ans. Notre objectif est de ne jamais commander d'étude qui ne serve à rien.

Il y a effectivement un décret du ministère de l'environnement qui prévoit que les investissements découlant de la charte du parc peuvent être financés à 100 %. Il me semble anormal d'exiger de petites communes rurales, un apport important pour des réalisations qui bénéficient au territoire global du parc. Rappelons que les syndicats mixtes des parcs n'ont pas de fiscalité propre, et donc pas de contribution financière propre à apporter aux projets.

M. Gérard Bailly - Ma dernière question est également provocante. Depuis les dernières élections, dans le message du Président de la République d'hier et sans doute dans le discours de politique générale du Premier Ministre cet après-midi, on a beaucoup parlé de simplification, de rapidité dans les décisions. A contrario, on dit souvent que les parcs sont une structure de plus, qui contribue à la lourdeur administrative. Avez-vous déjà réfléchi à la manière qui permettrait d'agir plus vite, avec plus de simplicité au niveau des parcs ?

M. Jean-Paul Fuchs - C'est un petit peu le sujet tarte à la crème. Je me rappelle encore de Madelin qui disait « on va simplifier... ». Les parcs existent depuis 35 ans. Le mien, le 25 ème à été créé en 1989. Puis on a créé les communautés de communes, les pays, ce qui ne simplifie pas les choses. Les relations entre les parcs et les communes et communautés de communes qui constituent leurs territoires, sont déjà opérationnelles. C'est la raison pour laquelle, alors que les parcs ne représentent que 11 % du territoire français, il convient de ne pas superposer deux politiques territoriales différentes au sein d'un même parc.

Il faut quatre à cinq ans pour créer un parc, car nous ne pouvons que convaincre du bien fondé de ses objectifs très exigeants et non contraindre. On a pensé que l'on pouvait simplifier la procédure, ce qui me semble difficile si l'on veut obtenir un consensus sur des mesures environnementales fortes.

Il y a un an, prenant exemple sur la Corse, voulant simplifier, on a dit que ce ne serait plus l'Etat, mais les régions qui donneraient la marque. Je m'y suis opposé, car la vraie décentralisation est celle que nous avons aujourd'hui. La région a la responsabilité de mettre à l'étude un parc, de piloter la procédure de création, d'approuver le périmètre du parc défini par l'adhésion des communes ainsi que le contenu de la charte. Mais tout vient d'en bas, des communes et des communautés de communes, qui ensemble fixent la charte et les objectifs. C'est ensuite l'Etat, en décentralisant la marque déposée à chaque parc, qui garantit une qualité minimale du projet et la cohérence de la politique des parcs régionaux. La base se fixe des objectifs, avec un Etat qui régule. En Espagne, où chaque région fixe ses critères, les 200 parcs existants sont de qualité totalement différente et certains n'existent guère que sur le papier.

M. Gérard Bailly - Ma question concernait les porteurs de projets, dans les parcs, qui souhaitent que l'on aboutisse rapidement, dans l'année ou les 18 mois qui suivent. Les gens ont besoin de rapidité dans la décision.

M. Jean-Paul Fuchs - Oui, mais il faut du temps, on ne peut pas brûler les étapes pour créer un parc.

M. Gérard Bailly - Je ne parlais pas de la création de parcs...

M. Jean-Paul Amoudry - Merci Monsieur le Président. Nous vous ferons parvenir le moment voulu notre rapport, comme à tous nos auditeurs.

40. Audition de M. Robert de Caumont, président de l'Association pour le développement économique de la Haute Durance (ADECOHD), accompagné de Mme Jacqueline Fabre (3 juillet 2002)

M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur - Monsieur le Président, Madame, je suis heureux de vous accueillir au Sénat, au nom d'une mission qui, pour l'heure, est à effectif réduit. Après quelques minutes de retard dont je vous prie de m'excuser, en raison de la déclaration de politique générale du Premier Ministre, nous allons commencer nos travaux avec le souhait qu'un certain nombre de nos collègues puissent nous rejoindre. Je voudrais tout d'abord excuser le Président Jacques Blanc, ainsi que les autres collègues, et vous dire le plaisir que nous avons de faire un point très philosophique et structurant sur la loi Montagne. Nous avons le privilège, Monsieur de Caumont, de vous accueillir en tant que Président de l'Association pour le Développement Economique de la Haute Durance mais aussi et surtout en tant que co-auteur de la loi Montagne de 1985 au côté de Louis Besson, de Jean Faure et d'un certain nombre d'autres promoteurs. C'est donc pour nous un plaisir, un honneur de vous recevoir et de vous écouter en cette qualité, mais également en votre qualité d'observateur tout à fait privilégié à l'ANEM, notamment. Je ne crois pas utile de vous rappeler ici quels sont les objectifs de notre mission, mission d'évaluation et dont le contenu doit être synthétisé pour octobre prochain pour que nous puissions notamment rendre compte de nos travaux et proposer un certain nombre d'orientations.

Sans plus attendre, en vous renouvelant le plaisir que nous avons à vous accueillir tous deux, je vais vous laisser la parole, Monsieur de Caumont, sur la base de la grille de questions que nous vous avons présentée. Cette liste est bien entendu non exhaustive et vous laissant toute la liberté de déborder et de nous dire ce que vous désirez sur la façon dont cette loi a été appliquée, sur les carences qu'il peut y avoir, sur les compléments qui seraient nécessaires. Notre vision des choses n'est pas de bouleverser la loi ni de la remettre en cause mais de lui donner aujourd'hui l'actualité et la pertinence nécessaire par rapport aux évolutions qui sont survenues depuis 1985. Vous avez donc la parole pour une heure à une heure et quart. Nous nous réservons le loisir de vous poser des questions après votre exposé liminaire.

M. Robert de Caumont - Monsieur le Président, le plaisir est partagé par moi d'être présent parmi vous pour aborder cette problématique de la loi Montagne. Le fait que le Sénat se soit saisi de ce sujet est pour nous, qui nous sommes consacrés dès l'origine au suivi de cette loi, une étape importante. Au bout de 17 ans, le problème est arrivé à maturité et nous pouvons beaucoup attendre de vos travaux.

Peut-être faudrait-il que je vous dise tout d'abord pourquoi l'Association pour le Développement Economique de la Haute Durance - association qui accomplit les fonctions de comité de bassin d'emploi pour le nord du département des Hautes-Alpes - a un rapport particulier avec la loi Montagne.

Dès l'élaboration de la loi, il y a eu une longue période de participation qui a permis l'intervention des forces vives des différents terroirs de montagne. Il se trouve que ce travail a été assez intense dans la Haute Durance, comme j'étais rapporteur de la loi. Peu de temps avant l'adoption de la loi, nous avons décidé de constituer un outil pour en faire, si j'ose dire, le service après-vente, et ce fut l'Association Nationale des Elus de Montagne. Cette association est née de la volonté que cette loi ne reste pas lettre morte. Elle a eu un destin assez brillant depuis. Il y a une autre instance dans laquelle je me suis investi dès le départ, l'Association Européenne de la Montagne, qui est née de la volonté d'élever les enjeux de la politique de la montagne au niveau européen. En effet, les enjeux se déplaçant de plus en plus, il ne servait à rien d'avoir une politique française de la montagne si l'Europe n'avait pas de politique de la montagne. L'ADECOHD a constitué dès 1985 une équipe pour s'occuper des tâches concernant un comité de bassin d'emplois, mais qui est à chaque fois confrontée à la spécificité de la montagne, qu'il s'agisse de :

- l'élaboration d'une analyse de territoire et d'un projet de développement ;

- l'accompagnement des politiques publiques de l'emploi ;

- la création d'entreprises qui a une grande importance dans notre milieu ;

- l'adaptation des formations aux spécificités de la zone de montagne et plus particulièrement à la pluriactivité saisonnière ;

- le partenariat franco-italien -Briançon n'est qu'à treize kilomètres de la frontière italienne ;

- la recherche appliquée à des domaines qui concernent la politique de la montagne.

Nous nous sommes - successivement - consacrés à différents sujets, que je n'énumérerai pas. Le sujet le plus difficile de tous concerne la pluriactivité et le travail saisonnier. La perception de ce problème, par les montagnards et par les instances de décisions nationales a progressé ces derniers temps, notamment grâce au souci de compétitivité de notre tourisme. C'est la raison pour laquelle Jacqueline Fabre est ici aujourd'hui. Elle représente en quelque sorte l'équipe de l'ADECOHD et est une spécialiste de la pluriactivité saisonnière. En effet, elle est très compétente pour traiter de la reconnaissance des spécificités du statut des saisonniers et des pluriactifs, au regard du droit du travail, de la protection sociale, des aides à la création d'entreprises, de la formation permanente, etc. Il se trouve que depuis ce matin elle est aussi collaborateur de député. A ce titre, elle pourra également apporter sa contribution à vos collègues de l'Assemblée Nationale sur ce point. Elle est elle-même pluriactive : diplômée d'un DESS de Droit de la Montagne et de Gestion des Collectivités Montagnardes, elle conduit également une remontée mécanique occasionnellement. Auteur du guide des pluriactifs et des saisonniers - que j'ai tenu à la disposition de votre commission - c'est en connaissance de cause qu'elle dirige la maison des saisonniers de Serre-Chevalier (c'est une maison expérimentale issue du rapport Le Pors).

Nous sommes complètement à votre disposition, au-delà de cette audition, puisque nous souhaitons vivement, ainsi que toute l'équipe de l'ADECOHD, le succès de votre entreprise. Nous avons mis à votre disposition quelques documents dont notamment le texte définitif et originel de la loi Montagne, le guide des pluriactifs et des saisonniers, document diffusé dans toute la France, et des propositions sous forme de 34 fiches « Action sur la pluriactivité saisonnière », que nous avait demandées l'Assemblée Nationale suite au rapport Le Pors. Nous mettons enfin à votre disposition le descriptif de la phase action de l'expérience sur la pluriactivité. Cette expérience est née du constat que quatre commissions successives, dirigées par des hauts fonctionnaires et des parlementaires, ayant fait des analyses pertinentes et préconisé des mesures judicieuses généralement admises par tous, n'ont pas nécessairement débouché sur des mises en oeuvre satisfaisantes. Puisque la loi montagne le prévoyait, nous avons décidé de faire des travaux pratiques sous forme de recherche-action. Si cette recherche-action devait aboutir, cela pourrait servir de point d'appui à des mesures de caractère général. C'est ainsi qu'est né le guide des pluriactifs et qu'a été engagée la recherche-action sur huit critères concernant la pluriactivité dont nous reparlerons ultérieurement. Nous avons également pu constituer un réseau national des pluriactifs, des saisonniers et de leurs partenaires, et organiser une rencontre nationale chaque année. Nous avons enfin pu bénéficier de la mise en place de la première maison expérimentale des saisonniers. Il y avait eu des expériences antérieures en Savoie mais elles n'étaient pas ouvertes toute l'année, contrairement à l'expérience conduite à Serre-Chevalier L'activité de la maison des saisonniers bat en effet son plein entre septembre et décembre pour préparer la saison d'hiver. Voici donc la présentation que nous pouvions faire de notre association, qui est également faite dans un petit dépliant que les gens de l'ANEM connaissent bien, pour l'avoir reçu lors de la dernière assemblée générale, et qui s'appelle « saisonniers et pluriactifs, prouver le mouvement en marchant ». Il y a enfin une plaquette que nous avons éditée lors des voeux, afin que vous connaissiez les effectifs de l'ADECOHD ; vous y reconnaîtrez Jacqueline Fabre ici présente.

Vous m'avez questionné sur les principes structurants et les orientations principales de la loi Montagne. Historiquement, c'est la première loi française d'aménagement du territoire.

C'est une loi transversale qui, plutôt que d'essayer de traiter un seul problème sur l'ensemble du territoire, a pour objet de traiter tous les problèmes d'une partie de la France. Cela ne l'empêche pas pour autant de porter des mesures de portée générale, avec des précisions sur ce qui doit se passer en zone de montagne. A titre d'exemple, la loi Montagne comporte un volet sur les biens indivis, sur les sections de communes, car le ministère de l'Intérieur nous l'avait demandé lors de l'élaboration de la loi. Cela nous a d'ailleurs valu la compréhension du ministre de l'Intérieur de l'époque, qui n'a pas hésité par la suite à nous rendre à son tour quelques services. En définitive, c'est une loi qui a « essuyé les plâtres », de par son caractère novateur, et qui s'est heurtée au jacobinisme ambiant.

La loi Montagne est une loi transversale, donc interministérielle. Sur un plan anecdotique, je peux vous dire que nous avons vu tous les ministres que nous estimions concernés - c'est à dire 24 ministres. Ils nous ont reçu avec toute la courtoisie qui les caractérise, mais ils nous ont presque tous demandé pourquoi ils étaient concernés. En effet, ils ont souvent une approche verticale, qui est celle de leur ministère. Or, nous avions une approche qui en quelque sorte quadrillait cette approche verticale. Après le succès de la loi Montagne, il se trouve que les ministres ont tous, sans exception, souhaité apposer leur signature au bas du texte. Sauf erreur de ma part, la loi Montagne a donc été signée par 24 ministres. C'est une illustration intéressante, me semble-t-il, de la nature même de la loi Montagne.

C'est, en troisième lieu, une loi d'orientation. Je conversais tout à l'heure avec un de vos collaborateurs sur ce sujet ; je crois finalement que nous avons fait le bon choix. C'est une loi-cadre, notamment en ce qui concerne les articles 1 et 17, s'agissant de la définition d'une politique générale de montagne et d'une politique agricole de la montagne. On a fourni aux montagnards un point d'appui pour pouvoir pratiquer de nouvelles avancées, en invoquant certains articles de la loi Montagne, comme les articles 8 et 80 sur lesquels nous reviendrons. Les choix fondamentaux de la loi ont été assez clairement exprimés. Cependant, encore fallait-il que l'administration d'une part, et les juges d'autre part, intériorisent en quelque sorte les objectifs de la loi Montagne, ce qui au départ, et par la suite même, n'était pas évident. En face, la vigilance des élus et des institutions dédiées à la montagne est une composante essentielle du rapport de forces, d'où la place prise par l'ANEM qui a donc joué un rôle très important dans ce domaine.

La notion d'auto-développement, pas toujours très bien comprise, que l'on peut opposer un peu artificiellement à la notion d'assistance, est une autre dominante de la loi Montagne. Autrement dit, quand on essaie de répondre au critère de région défavorisée, on demande l'assistance de la collectivité nationale, sans contrepartie, alors même que la légitimité de la solidarité au bénéfice de la zone de montagne est évidente. On ne peut pas dégager les atouts et les éléments qui peuvent permettre le développement des zones de montagne, si on ne cible pas les aides publiques sur l'auto-développement, sur un projet de développement élaboré par les montagnards eux-mêmes. La participation des montagnards à l'élaboration et à l'application des décisions qui les concernent, est l'un des ressorts du développement de leurs régions. Aux niveaux national et régional, il y a par ailleurs l'obligation d'introduire des dispositions concernant la montagne dans la planification nationale, et dans les contrats de plan. On se situe donc dans une forme de démocratie participative pour les montagnards, susceptible de monter en régime, notamment dans le cadre de l'actualisation de la loi.

Trop souvent, les montagnards ont eu l'impression que l'on plaquait sur leurs atouts et leur terroir local des solutions standardisées, appliquées à toute la France. Ce fut notamment la période des « Sarcelles sur neige » du premier « plan montagne ».

Le droit à la différence est une autre caractéristique fondamentale. C'est la revendication d'un traitement particulier afin d'obtenir une meilleure adaptation des mesures nationales à une situation locale spécifique. Il y a donc dans la loi tout un volet sur la reconnaissance de la spécificité, comme support d'un droit à la différence. A cet égard, le titre 2 - « Du droit à la prise en compte des différences et à la solidarité nationale » contient l'article 8 qui stipule que « les dispositions de portée générale sont adaptées, en tant que de besoin à la spécificité de la montagne...et les dispositions relatives au développement économique, social et culturel à la protection de la montagne, sont en outre adaptées à la situation particulière de chaque massif, ou partie de massif ». A travers la diversité de la montagne (moyenne montagne, haute montagne...), on se heurte à une première objection lorsque l'on veut faire un texte propre à ce milieu. Or, la montagne a quand même des dénominateurs communs qui justifient la reconnaissance du droit à la différence, afin que l'on n'applique pas bêtement des dispositions bonnes sur le plan national, mais inappropriées à ces régions. A titre d'exemple, l'article 14 concerne la mise en place des crédits du bâtiment et des travaux publics qui doivent tenir compte des contraintes saisonnières. Concrètement, cela signifie que les gens qui conduisent des remontées mécaniques en hiver, doivent pouvoir conduire leur engin du BTP à la fonte des neiges. On pourrait décliner, si l'on avait le temps, une trentaine d'exemples similaires. Tout le monde doit reconnaître que des mesures, justifiées sur le plan national - comme par exemple la régulation des flux financiers d'un douzième par mois pour éviter d'avoir des tensions inflationnistes - ont des effets pervers au plan de la montagne, qui ne représente que 6 % du chiffre d'affaires. Le bon professionnel des remontées mécaniques et du bâtiment a alors du mal, si le carnet de commande se fait attendre, en été, à trouver un emploi, car les entreprises du BTP subissent la concurrence des entreprises nationales du secteur qui ont un volant de main d'oeuvre conséquent. Le potentiel économique de la zone de montagne, où le BTP est très bien représenté, en est finalement très affecté.

Il existe une légitimité à revendiquer un droit à la solidarité nationale. Il s'agit d'un type de solidarité particulier, lié à l'auto-développement, pour aider la montagne à prendre elle-même les initiatives propres à son développement. Cela implique également une reconnaissance du fait que la montagne apporte beaucoup à la communauté nationale - sur des plans tels que l'approvisionnement en eau, le social, le culturel, la fabrication de produits de qualité. Malheureusement, la montagne a de grands espaces, une faible population au pouvoir d'achat limité, une fiscalité difficile. Or, elle accueille pendant la saison touristique une population massive, ce qui doit notamment être compensé par le surdimensionnement d'un certain nombre d'équipements. Tout ceci est donc légitime, et ne relève pas d'un quelconque passe-droit.

Je vous rappelle qu'au début des années 80, on sortait à peine de la période « héroïque » des stations de sports d'hiver, où l'on a beaucoup construit, souvent de manière anarchique. Cela a engendré une réaction écologique avec les excès que l'on connaît, comme la stérilisation du milieu montagnard. En fait, il y a paradoxalement une énorme complicité entre l'aménageur ravageur, et l'écologiste intégriste, car leur affrontement laisse peu de place pour une démarche synergique, pourtant la meilleure pour la montagne.

Le développement n'est rien sans la protection qui est la garantie de notre développement futur. Dans le même temps, la protection ne peut se faire sans les hommes qui sont capables de protéger et d'entretenir la nature. Ainsi, conduire à la désertion des fonds de vallée en posant un certain nombre d'interdits qui s'opposent à l'installation des jeunes, signifie à la limite saborder son propre projet écologique. A terme, cela implique que la montagne va retourner à sa nature sauvage, ce qui n'est en aucun cas synonyme de défense de la nature.

Il faut donc réaliser une synthèse entre le développement et la protection, ce que symbolise d'ailleurs l'expression « développement durable ». L'ANEM porte également de plus en plus, en complément, la notion de « développement équitable ».

En zone de montagne, il est important de voir si les choses que l'on teste fonctionnent. C'est ce que nous sommes en train de faire sur la pluriactivité saisonnière. Si une expérience donne satisfaction, on peut alors dans un second temps la transférer au niveau national ou à celui d'un massif, voire à un niveau plus modeste. On avait cette disposition en filigrane dans l'article 8. Elle était aussi, hélas, dans l'article 80, qui a été abrogé. Celui-ci indiquait, en définissant l'usage du FIAM, le fonds d'intervention pour l'auto-développement de la montagne : « le FIAM a pour mission prioritaire et permanente de contribuer à la valorisation de tous les atouts de la montagne en soutenant la recherche appliquée, l'expérimentation, l'innovation, l'animation locale et l'assistance technique, nécessaires à la mise en oeuvre de projets de développement global, ainsi que la diffusion des expériences et des techniques adaptées au niveau montagnard ». Malheureusement, Bercy a tenu à ce que soit abrogé l'article 80 sur lequel s'appuyait le FIAM, car il a été décidé de regrouper tous les fonds dans un seul fonds, le FNADT. L'acuité de la réaction des parlementaires n'a pas été assez forte pour s'opposer au Ministère des Finances.

Il y a là, je crois, une erreur à corriger ; c'est la raison pour laquelle je me permets d'insister sur ce point.

Vous m'avez également questionné sur les oppositions et les obstacles rencontrés lors de la procédure, et sur les difficultés d'application et les insuffisances du texte.

Il est important de savoir que la procédure s'est appuyée, au départ, sur un travail antérieur, à un moment où les montagnards ne bénéficiaient pas d'une politique spécifique, sauf en matière agricole. Cela remonte au discours de Valéry Giscard d'Estaing, à Vallouise, en août 1977. Ce discours reposait sur une revendication concernant l'environnement pour essayer de compenser les aménagements excessifs. A partir de ce moment-là, les différents partis représentés au parlement ont engagé, chacun de leur côté, des travaux sur ce sujet. Le discours prononcé en Août a donné lieu à la directive de Vallouise de Novembre. Ce travail antérieur a été bénéfique puisqu'il a donné lieu à la création d'une commission d'enquête le 2 Juillet 1981, dès le premier jour de la session du parlement. J'ai honte de dire, vis-à-vis des administrateurs de l'assemblée qu'il s'agissait d'une sorte de détournement de procédure. En fait, une commission d'enquête, ce n'est pas fait pour cela. Mais c'est aussi une grande concentration de moyens de qualité, un délai buttoir, avec la possibilité d'entendre tout le monde, sous le sceau du secret puisqu'en principe, les archives sont enfermées au palais de Versailles pendant 50 ans. Cela a représenté l'élément déclenchant d'un travail très intense qui a conduit au dépôt d'un rapport de 400 propositions, totalisant 200 pages, que vous possédez sûrement dans vos archives. A mon sens, on a eu la sagesse de ne pas vouloir poursuivre sur la démarche d'une proposition de loi, d'une part parce que l'on aurait eu du mal à l'inscrire à l'agenda parlementaire, et d'autre part parce qu'elle aurait été vidée de l'essentiel de ses orientations lors du débat.

On a donc renvoyé l'initiative au gouvernement, où Michel Rocard était un ministre bien disposé à l'égard de la montagne. Michel Rocard, qui a d'abord été ministre d'Etat chargé de l'Aménagement du Territoire, puis Ministre de l'Agriculture, a suivi la loi Montagne dans ses pérégrinations ministérielles. Cependant le gouvernement a profondément déshabillé la loi de ses propositions, comme d'habitude, et quel que soit le gouvernement, allais-je ajouter. Un certain nombre de dispositions auxquelles on tenait, ont disparu. Juste après les municipales de 1983, le gouvernement a consenti à lancer une concertation à la base, dans toutes les circonscriptions de montagne. Il nous était demandé ce que nous souhaitions voir apparaître - ou reparaître - dans la loi Montagne. On a commencé à rhabiller la loi, jusque dans la seconde moitié de l'année 1984, avec plus de 1.000 amendements dans le débat parlementaire qui a suivi.

Dans mon groupe, qui disposait à l'époque de la majorité absolue à l'assemblée nationale, on nous avait demandé de ne pas obstruer le calendrier parlementaire. On nous avait alors dit : « puisque nous avons la majorité, faites votre loi, puis nous la voterons ». Nous avons alors rétorqué qu'il s'agissait d'une loi pour tous les montagnards ; par conséquent, si elle était votée à l'unanimité, nous savions tous qu'elle serait protégée des effets pervers des alternances successives. Le président de mon groupe a eu la sagesse de reconnaître que c'était une bonne démarche, et il nous a laissé le champ libre pour travailler pendant trois ans et demi, du 2 juillet 1981 au 9 janvier 1985, date de la promulgation de la loi. Cela a permis de donner beaucoup de force à la loi, pour résister aux changements politiques successifs, car c'est la loi de tous les montagnards - j'ai d'ailleurs commencé ma première intervention à la tribune de l'assemblée par un « Montagnards de tous les partis, unissez vous » , ce qui m'a valu d'être qualifié de « lobbyiste en chef » par le Monde dans son édition suivante. J'en suis d'ailleurs fier, car c'est un lobbying dans l'intérêt de la nation, qui a besoin que sa montagne prospère. Toutes les archives des débats représentent plusieurs mètres cubes de documents. Je tiens à votre disposition tous les articles sur les débats parlementaires, et la façon dont on les a vécus, et plus particulièrement les tensions que nous avons connues, et les murs auxquels nous nous sommes heurtés. Nous nous sommes d'ailleurs opposés au gouvernement pour un certain nombre de mesures, qui sont peut-être aujourd'hui plus mûres qu'elles ne l'étaient dans les années 1980.

En commission et en séance, il n'y avait pratiquement que des montagnards dans la salle, à partir du moment où il s'agissait de la loi « Montagne ». Dans la plupart des cas, le travail a été grandement facilité par la proximité des positions des montagnards de droite comme de gauche.

Les obstacles permanents sont d'abord les oppositions à la loi proprement dite ; quand la technostructure ne digère pas une loi, elle attend, embusquée, la meilleure occasion de la remettre en cause. Il y a également les obstacles qui tiennent à l'application de la loi. Ainsi, la loi Montagne a été stérilisée dans un certain nombre de ses articles, car l'administration n'a pas fait de zèle pour les appliquer, et les élus n'ont peut-être pas suffisamment fait en sorte que la loi soit appliquée. Les jacobins n'acceptaient pas qu'un texte ne puisse s'adresser qu'à une partie du territoire. Je vais ouvrir ici une parenthèse. L'article 8 de la loi Montagne, d'une certaine manière, préfigurait ce que les Corses ont réclamé. Or la Corse est presque intégralement en zone de montagne. Ils ont sans doute souhaité, de même que le gouvernement, lui donner davantage de solennité, mais l'essentiel était dans l'article 8 de la loi Montagne.

Toutes les mesures à incidence financière ont plutôt été mal reçues au départ. Il y avait par exemple le cas des redevances ski de fond et ski de piste qui fonctionnent à peu près bien, excepté l'application de la grille d'attribution aux différents secteurs d'activités montagnardes. Par contre, le FIAM a été remis en cause, d'ailleurs avec quelques précautions : pour que les représentants de la montagne ne réagissent pas trop fort, on a alors annoncé que l'on allait garder une réserve d'un montant équivalent à celui que l'on avait consacré au FIAM. Depuis quelques années il est vrai, cette réserve reste à un niveau stable, mais relativement faible.

Il y a aussi les gens qui étaient contre les lois d'orientation, en arguant le caractère brouillon de ces textes qui déclarent des intentions et proclament une politique sans en prévoir tous les moyens. Les décrets d'application, contrairement à ce que beaucoup ont dit, ont fini par sortir, et cette querelle s'est apaisée. Au départ, l'Elysée et le Conseil d'Etat ont manifesté une certaine hostilité à ce type de loi, ce que l'on peut comprendre de leur point de vue.

Les organisations professionnelles nationales ont représenté le dernier obstacle. A cette époque, elles ignoraient la spécificité montagnarde ou s'en méfiaient, sauf quand elles étaient dirigées par des hommes de la montagne, comme M. Debatisse à la FNSEA. Certaines organisations sont dominées par les exploitations les plus productivistes, dont la logique s'oppose à celle de la montagne qui repose sur des exigences de qualité, de respect de l'environnement, de commercialisation directe. Les choses sont en train de changer, avec la prise de conscience de l'importance de notions telles que la sécurité alimentaire ou la qualité des produits de consommation.

Les professionnels, de même que les interprofessionnels, c'est à dire les organismes sociaux, qui sont des institutions paritaires, ont opposé une résistance acharnée pendant plusieurs années. Nous sommes peut-être en train de la surmonter à travers notre expérience, puisque l'on a tout de même convaincu la CNAM des Hautes-Alpes de conduire une expérience pilote de guichet unique et de caisse pivot. Aujourd'hui, il n'existe pas de guichet unique et de caisse pivot dans la mesure où l'on en donne la définition suivante :

- le guichet unique est le lieu où l'on rencontre une personne hautement qualifiée et mandatée par toutes les caisses, capable de prendre en charge le dossier et de l'acheminer correctement.

- la caisse pivot est un lieu où s'organisent les flux financiers entre les caisses.

Il y avait précisément sur ce point une opposition fondamentale entre la CNAM et la MSA qui souhaitait obtenir le régime des pluriactifs. Aujourd'hui, le directeur de la MSA est devenu directeur de la CNAM, et le président de la CNAM a accepté de réaliser une expérience à taille réelle, sur le terrain, en collaboration avec les autres régimes.

Je souhaiterais à présent revenir sur une anecdote législative tout à fait représentative de la situation générale : dans le cadre d'un texte du Ministère de l'Agriculture, on a cru pouvoir dire que le pluriactif avait le libre choix de sa caisse pivot ; or, il n'existait pas de caisse pivot. On a alors sorti un décret d'application, mais il n'y avait toujours pas de caisse pivot. Monsieur Le Pors a alors déclaré qu'il fallait abroger le décret et la loi. J'espère donc, à partir de l'expérience de terrain conduite dans les Hautes-Alpes, que l'on pourra faire avancer ce dossier, dont Jacqueline est en charge en relation avec des responsables nationaux de la CNAM et avec la CPAM des Hautes-Alpes.

Des évolutions justifient de modifier le texte en vigueur. Les institutions européennnes ne sont plus ce qu'elles étaient en 1981 ou en 1985. Les enjeux doivent parallèlement s'élever au niveau européen, et le travail d'actualisation de la loi Montagne est également à conduire à ce niveau. Les élections européennes sont un scrutin à la proportionnelle, ce qui favorise les concentrations urbaines par rapport au milieu rural diffus et au milieu montagnard. Or, les concentrations urbaines perçoivent plutôt la montagne comme un lieu de récréation et de détente. C'est pourtant également un lieu où les hommes vivent, y compris quand les touristes ne sont pas là. Il y a encore beaucoup de travail pour faire comprendre cela au Parlement européen et à la Commission. Heureusement, Michel Barnier est le commissaire européen à l'aménagement du territoire, et il y a également, désormais, Luciano Caveri qui est le Président de la commission aménagement du territoire et transports du Parlement européen. Nous disposons donc peut-être de quelques atouts de plus pour faire progresser les choses au niveau européen dans les temps qui viennent. J'ajouterai enfin que la montagne, excepté le Massif Central, est largement située en zones frontalières. D'autre part, faire progresser l'Europe, y compris à travers la perméabilité des frontières montagnardes, est important.

Le nouveau député des Hautes-Alpes, dans notre circonscription frontalière, a voulu envoyer les enfants de ses écoles de l'Argentière la Bessée au musée égyptien de Turin. On lui a dit d'accord, sauf pour les enfants d'immigrés qui doivent rester puisqu'ils ne peuvent pas passer la frontière. Nous sommes à treize kilomètres de la frontière. L'hôpital de Briançon est le meilleur jusqu'à Turin ; beaucoup de femmes italiennes viennent accoucher à l'hôpital de Briançon, mais les bébés italiens ne sont pas pris en compte dans les statistiques françaises de l'Agence régionale d'hospitalisation. Quand on veut que les Ponts et chaussées flèchent Briançon à partir de Lyon, par le tunnel du Fréjus, on nous dit que c'est impossible, parce que les enfants vont franchir la frontière deux fois, et qu'ils courent tous les risques. Pourtant, nous sommes en 2002. Il y a donc encore du chemin à faire !

La montée en régime de la décentralisation me paraît être un élément déterminant. Les deux lois sur l'aménagement du territoire ont fait progresser un certain nombre de choses en ce qui concerne les services publics et les lois d'urbanisme par exemple, mais ont en même temps rebanalisé les problèmes de la montagne, puisqu'elles traitaient les problèmes pour l'ensemble du territoire. La montée en puissance des communautés de communes, et l'émergence des pays, par contre, sont autant de cadres pertinents pour faire monter les enjeux de la politique de la montagne à des niveaux où ils sont généralement mieux perçus qu'au plan communal.

Les problèmes de la solidarité nationale et de la péréquation se posent maintenant, dans une période de décentralisation des attributions et des moyens, mais aussi dans une période où l'Europe doit jouer un rôle de péréquation.

Il y a également la montée en régime de ce que j'appellerai la nouvelle dépendance de la montagne par rapport à l'idéologie dominante des « zones défavorisées », symbolisée par l'idée suivante. Puisqu'à présent, on cible les zones défavorisées comme principales bénéficiaires de la solidarité nationale, pourquoi ne dirait-on pas que la montagne est une zone défavorisée ? Ce n'est pas vrai. Il existe en montagne, certes, des zones défavorisées nombreuses qui méritent la même sollicitude que les autres, mais il existe aussi en montagne des zones qui ont des chances de développement réel, et qui ne peuvent toujours pas se saisir de ces moyens. Par conséquent, les zones défavorisées s'opposent par leur nature même, à la spécificité montagne. Ce n'était pas une bonne démarche de souhaiter classer toute les zones de montagne en zone défavorisée. J'espère que le texte qui proviendra de vos travaux restera sur le créneau de la « différence montagne ». Dans nos terroirs de montagne, la stratégie de développement ne va pas sans la prise en compte des activités économiques spécifiques à la montagne, et du rôle moteur des chefs-lieux.

Je vais vous donner un exemple parlant, pour ceux qui connaissent les Hautes-Alpes. Au cours d'une séance de nuit, on a décidé que les ZRR se déclineraient au niveau des cantons, ce qui a eu chez nous des effets ravageurs. La grande station de Serre-Chevalier est en ZRR. Les deux cantons de Briançon, qui sont pourtant juste à côté, ne sont pas en ZRR. Or, dans chacun des deux cantons de Briançon, il y a deux villages de haute montagne isolés, Névache et Cervières, qui évidemment justifieraient beaucoup plus que Serre-Chevalier un statut de ZRR. A force de voir les choses de Paris, par le petit bout de la lorgnette, on en arrive à des aberrations, très mal ressenties sur le plan local.

En termes de secteurs économiques, le BTP et le tertiaire ne font pas partie des activités de production ciblées. Or, il ne reste plus grand chose en zone de montagne si l'on supprime ces deux activités - sauf dans des zones de tradition industrielle comme la Savoie. Il faut donc que la zone de montagne soit éligible, sur l'ensemble de ses espaces fragiles, y compris les chefs-lieux. On ne peut pas demander à des entreprises de se délocaliser au fin fond d'une vallée, quand elles ont besoin des services minimum du chef-lieu.

Le tertiaire et les PME sont les deux catégories d'entreprises susceptibles de créer le plus d'emplois nouveaux. C'est du pain béni pour la montagne, car elles y sont très bien représentées. Par conséquent, cela modifie la problématique de l'aide à la création d'entreprise en zone montagneuse, en particulier dans le cadre de la pluriactivité saisonnière. Nous avons reçu en 2001, 170 créateurs d'entreprises, ce qui a débouché sur la création effective d'une quarantaine d'entreprises. Sur les 40 mentionnées, au moins quinze sont en pluriactivité, et les systèmes d'aides leur sont très mal adaptés.

Les changements climatiques modifient profondément la problématique des stations. Ils incitent à l'usage de l'enneigement artificiel, avec les problèmes écologiques que cela pose parfois, impliquent la nécessité d'une diversification, d'une modernisation de notre appareil d'accueil, et en particulier du bâti, tout en pensant au logement des saisonniers, et dans les cas limites, de la reconversion du potentiel vers des activités différentes.

Tout cela n'existait pas en 1980. Quand on a glorieusement proposé d'instaurer une taxe de 5 % sur les remontées mécaniques, on estimait qu'il était légitime de taxer une activité prospère, afin de reverser les montants générés aux activités faibles de la montagne. On avait notamment ciblé l'aide à l'agriculture de montagne. Quelques années après, ce fut le début des années sans neige, et ce sont les remontées mécaniques qui à leur tour ont connu des jours difficiles. Là encore, il faut adapter la loi à un décor qui a beaucoup évolué.

Les mutations démographiques ont conduit à une certaine désertification de certains territoires de montagne, notamment en moyenne montagne. A contrario, on a assisté à un redressement démographique très net dans certains pays de haute montagne. Ces mutations démographiques posent le problème du maintien des services publics, ce qui nécessite une transversalité, déjà inscrite en filigrane de l'article 16 de la loi Montagne. Finalement, si l'on veut conserver les guichets de toutes les administrations au plus près, il faut avoir une démarche plus globale et « déverticaliser » les services, dans le cadre de maisons de service public, d'espaces ruraux emplois formation, de maisons des saisonniers ou d'autres formules. Dès lors, on arrive à maintenir les services au public au plus près, au moindre coût. Ce qui était impliqué dans le cadre de la loi Montagne, doit à présent s'épanouir, notamment dans le cadre des lois d'aménagement du territoire qui traitent de ce sujet.

De nouvelles habitudes de consommation alimentaire apparaissent. On assiste à ce que j'appellerai la montée du « manger mieux », et des préoccupations en termes de sécurité sanitaire qui incitent de plus en plus à se méfier d'un certain nombre de composantes des produits alimentaires. On cherche de plus en plus l'authenticité, la qualité de la production et le plaisir gustatif, pas toujours en adéquation avec les règlements de Bruxelles d'ailleurs. Cet aspect qualité des produits est le créneau des agriculteurs montagnards. Il est évident que produire en montagne, où l'on subit les aléas climatiques, n'a pas la même signification qu'en Brie ou en Beauce où l'on utilise sans complexe des engrais aux effets secondaires parfois néfastes. En montagne, c'est le créneau de la qualité, de la commercialisation directe, et l'on combine l'agriculture avec un tourisme de découverte de la nature, de l'artisanat et des produits locaux, plus proche des habitants.

Ce ne fut tout de même pas évident de convaincre les différents acteurs, notamment les syndicats ouvriers qui avaient du mal à accepter que l'on puisse être ouvrier pendant six mois, et patron le reste de l'année et les syndicats agricoles qui ne considéraient pas comme de véritables agriculteurs ceux qui pratiquaient un ou plusieurs autres métiers. Vous imaginez le chemin parcouru, lorsque l'on songe que ce genre d'opposition était dominante il y a 20 ans.

La montée de la saisonnalité et de la pluriactivité est un sujet dont nous nous sommes saisis, car il est très important en montagne, mais existe dans tous le pays, selon toutes sortes de déclinaisons. La secrétaire de direction qui partage son temps de travail entre plusieurs patrons est aussi une pluriactive. Ce sujet est traité par Jacqueline à l'ADECOHD ; nous vous avons d'ailleurs fourni divers documents très actuels sur la recherche active que nous menons dans ce domaine.

J'ai déjà évoqué précédemment de graves insuffisances et défauts d'application de la loi Montagne. Je pourrais en énumérer beaucoup, mais le temps me manque. Nous sommes prêts à vous apporter notre contribution sous d'autres formes.

Les insuffisances sont essentiellement les suivantes :

- l'abrogation de l'article 80 ; qu'il faudrait rétablir ;

- la politique des ZRR, très mal adaptée aux zones de montagne, comme il a été dit ;

- les mesures environnementales ne tenant pas compte des spécificités de ces zones, comme l'interdiction de construire à moins de 75 mètres des axes départementaux et à 100 mètres des axes nationaux, alors que bien souvent la falaise surplombe la vallée à une distance inférieure ;

- des règles d'urbanisme mal comprises par les administrateurs et par les juges.

Je citerai par exemple le problème des chalets d'alpages. Il est important que le patrimoine représenté par les chalets d'alpages soit maintenu avec les matériaux et l'urbanisme traditionnel du pays. Pour éviter le mitage, il existe une règle qui veut que l'on construise en continuité et une autre qui veut que l'on préserve en même temps les meilleures terres agricoles. Il y a contradiction entre les deux, car les meilleures terres agricoles sont souvent très proches des habitations. C'est aux élus, aux administrateurs et aux juges d'appliquer l'esprit de la loi.

Il y a le fameux article 14 sur le BTP qui n'a pas été appliqué. Le premier secrétaire d'Etat au budget que j'ai rencontré sur ce sujet était Laurent Fabius. Je lui ai fait part de ce problème, et il a rédigé une circulaire, que j'ai retrouvée dans les paniers de la DDE et de la préfecture. Les gens du BTP et les élus de montagne protestent cycliquement contre cet état de fait.

Il y a également le problème du foncier agricole, notamment au niveau de l'installation des jeunes agriculteurs dans les fonds de vallées. Vous savez que le foncier est souvent l'apanage de gens qui ont quitté le pays, ou décidé d'y acheter des terres, parfois dans un but spéculatif.

On ne peut pas fonder des exploitations agricoles dans la continuité tant qu'il n'y a pas, derrière, la maîtrise du foncier pour pouvoir constituer le capital d'exploitation. On avait peut-être donné une réponse à cela dans les articles 39 et 40 du code rural modifiés par la loi montagne, mais peu de monde s'en est préoccupé, à commencer par les élus. Les résidences secondaires abritent aussi des électeurs, parfois dominants dans certaines communes, et organisés - par un promoteur, par exemple. On a connu ce problème en Savoie, à Villarambert. S'il y a bien un terrain sur lequel on a échoué dans le cadre de la loi Montagne, c'est celui de la limitation de l'électorat des résidents secondaires. Je reste persuadé que c'est important pour préserver le droit à l'initiative des montagnards, par rapport à leur développement économique.

La place de la montagne dans la planification est une lutte de tous les instants. Au plan national, ce n'est pas évident. C'est également très inégal dans les contrats de plan selon les régions. Les schémas spatiaux de massifs n'ont jamais vraiment vu le jour, sauf peut-être dans certaines régions privilégiées. Le rôle des comités de massifs et du conseil national de la montagne est toujours passé par des alternatives d'avancées et de reculs. Pourtant, la loi est là. Toutes ces instances n'ont pas l'autorité politique, ni les attributions, ni la capacité d'auto-saisine nécessaires - elles ne l'avaient pas en tout cas jusqu'à présent - pour atteindre leur pleine dimension, telle qu'elle avait été prévue par la loi Montagne.

Enfin, je terminerai avec les mesures financières. Ces mesures fonctionnent pour le ski de fond ainsi que pour le ski de piste - sauf quand les exploitants de remontées mécaniques connaissent des difficultés. En revanche, il faudrait revoir l'ordre de priorité des huit catégories de bénéficiaires successifs de la redevance et veiller au respect de ces dispositions. Il faut également rétablir le FIAM, ce qui ne va pas être facile, même s'il n'était doté que d'un fonds de 40 millions de francs et n'avait pas pour but de réaliser des investissements massifs. Enfin, si vous feuilletez la loi montagne, vous constaterez que des rapports annuels étaient prévus - je ne les ai jamais vus.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci Monsieur le Président pour cet exposé très complet. Avant de passer la parole à Madame Jacqueline Fabre, je voulais saluer l'arrivée de Jean Boyer, sénateur de Haute-Loire.

Nous avons eu une analyse très complète du texte de la loi, de son contexte et de ses conditions d'application. Il reste un sujet très important qui est piloté par Madame Fabre que nous allons écouter. Je souhaiterais, en vous remerciant à nouveau, Monsieur de Caumont, que vous nous laissiez vos notes, en particulier sur vos préconisations pour remédier aux différentes insuffisances et aux défauts d'application de la loi. Je souhaiterais savoir ce qu'est devenu le fonds d'intervention pour l'auto développement en montagne, qui dans l'article 7 accompagnait le FIAM.

M. Robert de Caumont - Ce fonds a été abrogé avec l'article 80, mais on nous a dit pour nous rasséréner que l'on réserverait toujours la même somme à l'intérieur du FNADT. Le support législatif et sa signification - comme la ratification d'expériences telles que celle que Jacqueline peut vous présenter - ont disparu.

Mme Jacqueline Fabre - J'ai en charge tout ce qui concerne la recherche action. Je suis donc plus un agent de terrain que Monsieur de Caumont ; c'est aussi ce qui fait ma force, et c'est la raison pour laquelle Monsieur de Caumont a précisé que, l'hiver, je suis également perchwoman, ce qui me permet de bien connaître les problèmes des saisonniers et des pluriactifs.

Je connais de multiples exemples d'inadaptation des dispositions nationales au niveau local, notamment concernant l'emploi. Dès que l'on sort du cadre de l'emploi unique, autour duquel a été construit notre système législatif social, on se sent perdu. Or, en montagne, on ne peut pas toujours se permettre d'avoir un travail à l'année, car le milieu implique une succession de contrats à durée déterminée pour les saisonniers et les pluriactifs. On parle beaucoup de la pluriactivité. J'aimerais tout d'abord définir ce terme. A mon sens, un pluriactif est une personne qui cumule plusieurs emplois sous un statut social et/ou fiscal différent, au cours d'une même année. Par exemple, un pisteur secouriste va être salarié d'une remontée mécanique en hiver, et artisan en été. Il est donc travailleur indépendant et salarié au cours d'une même année, ce qui pose beaucoup de problèmes, notamment au niveau de la protection sociale. Cette succession d'activités entraîne une cotisation multiple à deux caisses sociales différentes au moins. Cela implique que la personne ait deux cartes vitales, deux affiliations différentes. Les textes sont très difficiles à appliquer, même pour les professionnels, au niveau des caisses de Sécurité sociale. Autre inadaptation : les formations. Il arrive souvent que des formations aient lieu à cheval sur l'été et sur l'hiver, ce qui empêche les saisonniers pluriactifs d'y assister.

La notion de pluriactivité recouvre aussi celle de pluri-compétence. En effet, les pluriactifs ont besoin d'être qualifiés. Au cours d'une étude que nous avons menée à la demande de la Direction Départementale du Travail, nous avons constaté que 78 personnes, sur un échantillon de 300, considéraient que leur formation initiale ne correspondait pas à l'activité qu'elles occupent aujourd'hui. Il existe une totale incohérence entre la formation initiale et la formation exercée.

Nous parlions également des travailleurs indépendants, artisans, commerçants, professions libérales. Beaucoup de personnes travaillant dans nos massifs sont titulaires d'un brevet d'Etat sportif. Souvent, l'utilisation de ce brevet d'Etat ne peut se faire qu'à travers un statut de travailleur indépendant. Or la fonction de travailleur indépendant implique la création d'entreprises, qui nécessite elle-même un grand nombre de formalités. Dans ce domaine, nous avons besoin d'un accompagnement. J'entendais tout à l'heure Monsieur Raffarin dire qu'il fallait simplifier, limiter le nombre de projets, de décrets et de lois ; je suis entièrement d'accord. Certaines créations d'entreprises peuvent être exonérées des charges sociales, ce que l'on appelle l'ACCRE. Nous avons constaté que l'ACCRE était souvent refusée aux créateurs d'entreprises du fait de leur caractère saisonnier. Dans nos montagnes, les créations d'entreprises sont souvent saisonnières.

Je suis à votre disposition si vous voulez avoir des informations complémentaires, notamment sur les maisons de saisonniers.

M. Jean-Paul Amoudry - J'aimerais revenir sur tout le processus qui fait qu'aujourd'hui, nous sommes en situation d'échec. Vous avez une expérience dans les Hautes-Alpes. Pensez-vous que l'expérience pilote que vous conduisez avec la CNAM sera durable, aura valeur pour l'ensemble de la montagne ? ou pensez-vous que cette expérience, en caricaturant, est un alibi, pour prouver que ça ne marche pas ?

Vous savez aussi que suite au rapport Gaymard de 1997, une loi avait été créée, mais les décrets d'application n'ont pu voir le jour. Quelles préconisations pourriez-vous nous faire pour tenter de régler une fois pour toute ce problème ?

M. Robert de Caumont - Je suis intervenu devant la commission Jean Gahemynck sur ce sujet, et je ferai,pour vous répondre, référence à cette expérience.

A travers des démarches telles que la maison des saisonniers, les actions de formation et de soutien aux créateurs, que nous avons engagées, une relation de confiance s'est instaurée entre nous, les pluriactifs et saisonniers. Dans ce contexte, 60 % de ceux que nous connaissons ont avoué trouver refuge dans le travail au noir, lorsqu'ils ne sont pas identifiés et qu'ils savent que leur nom ne sera pas publié. Cette situation, qui représente une évasion fiscale et sociale, ne fait plaisir ni aux pluriactifs ni aux saisonniers, car ils préfèreraient s'en tirer autrement, ni aux employeurs de la concurrence, ni aux élus. Jacqueline Fabre est maintenant en position de négocier la mise en place d'une personne à plein temps désignée à Briançon par la CNAM, pour conduire cette expérience avec une personne du cabinet du Président de la CNAM, Monsieur Noury.

Nous pouvons fonder des espoirs sur cette expérience. Je comprends et partage entièrement votre découragement, et c'est pour cela que nous avons décidé de nous investir dans cette démarche. Pour illustrer ce découragement, lorsque M. Gahemynck, qui est aujourd'hui conseiller d'Etat, a demandé aux partenaires sociaux s'ils étaient d'accord avec mon diagnostic, ils ont répondu par l'affirmative. Ils ont reconnu qu'il y avait de l'évasion fiscale et sociale. Mais en réponse à la question « Etes-vous pour le couple guichet unique - caisse pivot ? », il a obtenu un long silence. Je n'ai jamais vu de meilleure illustration d'une société bloquée. Ce sont en principe les partenaires sociaux, patronat et syndicats ouvriers qui gèrent ces institutions. Or, ils défendaient leur pré carré, en se disant finalement que les pluriactifs et les saisonniers étant des contributeurs nets, et que c'était positif pour résorber le déficit de la sécurité sociale.

La contre attaque a commencé par l'édition du guide des pluriactifs et des saisonniers. On s'est aperçu que les saisonniers ayant tellement de difficultés, au milieu de tous leurs problèmes de vie quotidienne - concernant l'emploi, le logement, la protection sociale, la fiscalité, les contrats de travail, l'indemnisation du chômage, la formation professionnelle, la création d'entreprises, etc. - on ne pouvait en rester au document de fond fait par la DATAR en 1990. Il fallait faire quelque chose qui soit à leur portée. Nous avons eu la chance d'avoir un Conseil Général qui a accepté de financer la remise gratuite de ce document aux saisonniers et pluriactifs. C'est parce que Jacqueline Fabre - titulaire d'un DESS de Droit de la Montagne et de Gestion des Collectivités Montagnardes - conduisait une remontée mécanique à Orcières Merlette et que ce document lui a été remis gratuitement grâce au Président du Conseil Général, qu'elle a décidé de rejoindre l'ADECOHD pour valoriser cet outil en l'actualisant chaque année. Il a fallu attendre quinze ans après la loi « montagne », pour que les saisonniers aient leur guide. Il y avait bien en Savoie le « tout schuss », mais c'est un document qui ne va pas aussi loin sur les droits et devoirs des saisonniers. Le Ministère du Tourisme a pour sa part sorti à 70 000 exemplaires un document d'une légèreté extraordinaire, au point que beaucoup de personnes n'ont pas souhaité le diffuser. Cela montre que lorsque l'on aborde les problèmes de manière technocratique et centralisée, même avec la meilleure intention du monde, on peut aller à des catastrophes ; il faut donc être sur le terrain.

M. Jean-Paul Amoudry - Nous attendons les compléments écrits que vous jugeriez bon de nous faire passer. Nous vous remercions pour votre contribution.

41. Audition de Madame Claude Nahon, directeur, déléguée au domaine hydraulique à Electricité de France, accompagnée de M. Alain Véry, directeur de l'unité de production Sud Ouest (3 juillet 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Madame Claude Nahon, Mesdames, Monsieur, je suis heureux de vous accueillir ici au Sénat au nom de la mission d'information sénatoriale sur la politique de la montagne. Je vous remercie d'avoir bien voulu accepter notre invitation, de vous être déplacés et sans doute d'avoir travaillé sur une grille de questions que nous nous sommes permis de vous transmettre.

Sur un plan formel, je vous prie d'excuser le Président Jacques Blanc, sénateur de Lozère, qui préside cette mission et qui m'a chargé en tant que rapporteur, d'exercer les deux rôles en son absence. Je souhaite vous présenter Jean Boyer, qui est sénateur de la Haute-Loire, et également excuser un certain nombre de collègues qui sont retenus par les obligations liées à l'ouverture de la session extraordinaire du parlement, qui nous oblige à reprendre un certain nombre de travaux avec un rythme assez soutenu.

Je voudrais vous dire quelques mots de cette mission, dont les travaux seront pour l'essentiel achevés à la fin du mois de juillet, ayant commencé début avril. C'est donc un rythme assez soutenu d'auditions et de visites de terrain auquel nous nous sommes astreints, pour faire le point sur la politique qui découle de la loi cadre de 1985 sur la montagne, loi qui a été modifiée par des textes ultérieurs. Je pense en particulier aux lois d'aménagement du territoire, aux lois relatives à l'agriculture, à la forêt, à l'urbanisme et d'autres. Il y a d'autre part un certain nombre de phénomènes qui sont survenus, et nous avons en cette année internationale des montagnes, voulu faire le bilan de l'application de cette loi de 1985.

Les problèmes liés à l'énergie ne sont peut-être pas les questions les plus centrales de ce texte, puisque nos sujets de prédilection sont des questions économiques - agriculture et tourisme - et des sujets liés à l'environnement, à la protection des milieux naturels et enfin à l'aménagement. Ce dernier volet concerne les questions liées au transport, à la desserte par les nouvelles techniques de l'information, mais il y a aussi naturellement ce sujet de l'énergie qui figure dans certaines des dispositions de la loi. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité vous entendre.

Nous vous avons adressé, comme je le disais, une grille de questions non exhaustive. Vous pouvez donc nous adresser d'autres messages. Sans plus tarder, je vais vous laisser la parole, en vous priant de vous présenter en quelques mots, afin que nous sachions quel est votre rôle dans la grande entreprise que vous représentez ici.

Mme Claude Nahon - Merci de nous accueillir. Nous sommes très heureux et flattés d'être sollicités afin de pouvoir répondre à vos questions. On a essayé de répondre du mieux possible à votre grille, et l'on vous remettra un document papier, que Florence Arnoux-Guisse qui est assise à côté de moi a pris le soin de rédiger. Alain Véry vous accompagnera sur le terrain la semaine prochaine. Il assurera donc le lien entre les questions que vous souhaiteriez nous poser aujourd'hui, et ce qu'il pourra vous présenter dans le Sud-Ouest.

N'hésitez pas à nous demander des compléments. Il y a un certain nombre de choses sur lesquelles je serai prudente ; par exemple, nous ne sommes pas le seul producteur d'hydroélectricité, et nous n'avons donc pas une connaissance parfaite de ce qui se passe chez nos concurrents, pour lesquels nous disposons seulement d'estimations.

La production hydraulique en France représente environ 14 % de la production totale d'électricité. Pour passer à 21 %, il faut donc faire des efforts significatifs. Il faut être vigilant à ne pas trop perdre ce que l'on a déjà, et les contraintes environnementales qui conduisent à une perte d'énergie hydraulique, doivent peut-être se régler par des méthodes de compensation.

La France est aujourd'hui le premier pays producteur d'énergies renouvelables en Europe. EDF compte à peu près 510 centrales électriques pour une puissance de 20 gigawatts (GW), ce qui représente environ 20 % du total de nos moyens de production. Quatorze de ces 20 GW sont disponibles en moins de dix minutes. Cette caractéristique en fait un des outils indispensables à l'équilibre électrique, particulièrement dans un marché dérégulé. Cela a des conséquences bien-sûr. Toute variation de puissance se traduit par des variations de débit. Nous avons un fort souci de sécurité en rivière.

Vous nous aviez demandé de vous dire comment se répartissait la production par massifs. Ce sont des ordres de grandeur, que vous trouverez dans le document. Bien-sûr, on trouve en tête les Alpes, avec près de 70 % de la production d'hydroélectricité. Le centre de la France représente 23 %, et les Pyrénées environ 10 %.

Encore une fois, il ne s'agit que d'estimations. On collecte encore aujourd'hui les informations concernant la Shem, filiale de la SNCF. Pour la Compagnie Nationale du Rhône (CNR), c'est nous qui exploitons, mais ce sont eux qui réalisent la commercialisation de la production. Aujourd'hui, la CNR a environ 16 térawattheures (milliards de kilowattheures). La puissance est exprimée en giga, et l'énergie en téra. La France fait à peu près 450 TWh ; le parc total d'EDF est de 70 GW. La CNR, avec 16 TWh, représente 25 % de la production hydroélectrique française. La Shem fait environ le dixième de la CNR. Il y a également toute une myriade de petits producteurs qui représentent grosso modo deux TWh. Cette année sera une année difficile pour la production électrique, car c'est une année de sécheresse. Si nos réservoirs sont à peu près pleins, c'est parce que nous avons eu une démarche très prudente, qui représente une estimation de coût de quelques 100 à 150 millions d'euros pour EDF, en raison des moyens thermiques qui sont utilisés.

La première caractéristique de la production hydroélectrique vient du fait qu'il s'agit d'une énergie renouvelable. C'est une énergie très bien implantée dans les territoires, et qui à ce titre représente une richesse. Cette énergie, d'un point de vue électrique possède une capacité de mobilisation rapide, en dehors de l'énergie au fil de l'eau que l'on peut avoir sur le Rhin pour EDF, ou sur le Rhône pour la CNR, production d'électricité qui s'apparente, par sa qualité, aux centrales nucléaires. Une centrale thermique peut donner sa pleine puissance en plusieurs heures, à condition qu'elle soit à son minimum technique. Si elle est complètement à froid, il lui faut entre huit et 17 heures selon le modèle, pour être capable de donner sa pleine puissance. Une centrale nucléaire met de 18 à 24 heures ; on voit donc bien que les dix minutes pour les centrales hydrauliques sont vraiment à part. On a donc un outil qui a une cinétique très forte. C'est un outil saisonnier, qui dépend du ciel. Les années de sécheresse, nous produisons donc beaucoup moins d'hydroélectricité. Plus on a des grands réservoirs, et plus il est facile de concilier les usages agricoles - avec l'irrigation notamment - et hydroélectriques.

Les variations de débit conduisent à des risques en rivière ; c'est le souci principal. On essaie de réduire ces risques par l'information et la prévention. Nous avons toute une démarche de certification sur la façon dont nous faisons ces variations de débit dans les rivières, et de surveillance des grands ouvrages. Les réflexions en cours sur les risques industriels ne font que mettre l'accent sur une démarche que nous conduisons depuis plusieurs années sur la surveillance des ouvrages. Enfin, nous plaçons également sous l'assurance qualité la gestion des ouvrages pendant les périodes de crues. Rappelons que nous gérons nos ouvrages pendant les crues, mais no us ne gérons pas les rivières.

En ce qui concerne le développement de l'hydroélectricité, je vais énoncer quelques chiffres que nous avons donnés lors de l'audition de la programmation pluriannuelle des investissements sur le potentiel français en hydroélectricité. Il ne faut pas rêver sur ce potentiel, puisque les grands équipements à des prix compétitifs sont derrière nous. Si nous faisons des nouveaux ouvrages, ils seront forcément multi-usages. Je ne crois pas que l'hydroélectricité seule puisse justifier de faire de nouveaux équipements, quelle que soit leur taille. La réalisation de tels équipements est en effet très chère ; le dernier, le Buëch dans le Hautes-Alpes, a effectivement été réalisé en multi-usages, avec l'appui du conseil général et du conseil régional.

Le potentiel sauvage a été évalué par la commission Pintat à 270 TWh. On ne peut bien-sûr pas tout équiper, techniquement. On pense que le potentiel techniquement équipable s'élève à 100 TWh. La France tourne actuellement autour de 65 TWh. Il reste donc en théorie des choses à faire, mais il faut bien se rendre compte que si on ne l'a pas fait, c'est que ce n'était pas économiquement rentable à l'époque. Que reste-t-il de rentable dans ce qui peut être équipé ? On estime cela à environ 17 TWh, dont dix sur un versant méditerranéen, et 7 sur un versant atlantique. Il s'agit de nos estimations, qui n'engagent que nous ; les petits producteurs d'hydroélectricité sont plus optimistes que nous. En fait, on pense aujourd'hui raisonnablement qu`entre un quart (4 TWh) et la moitié (8 TWh) de ces projets sont économiquement réalisables. Le potentiel économique est donc évalué entre 4 et 8 TWh. Mais, avec la prise en compte des exigences environnementales, équiper de nouveaux sites coûterait beaucoup plus cher qu'il y a 15 ans.

Si l'on décidait de réaliser des équipements en éolien, il faudrait mettre de la puissance hydraulique derrière. Lorsque le vent s'arrête, il faut en effet avoir derrière de la puissance disponible afin de prendre le relais. Il est bien évident que la puissance hydroélectrique présente des avantages de rapidité dans la disponibilité que n'a pas l'énergie thermique. On nous a donc demandé quel était le potentiel hydroélectrique de puissance. C'est malheureusement hors de prix, et tant que l'on ne nous aura pas développé des mesures incitatives pour ces types d'équipement, on ne risque pas de les construire.

On a un certain nombre de projets en France, comme par exemple sur la Romanche. Il faut savoir qu'un tel projet n'a pas la rentabilité actuelle des investissements qu'une entreprise comme EDF est en devoir d'attendre. L'hydroélectricité n'est pas rémunérée en France à la hauteur des ambitions de la politique énergétique. Dans l'état actuel des choses, il nous manque environ 10 % pour boucler le financement d'un projet de ce type. La taxation sur l'hydroélectricité reste en France assez significative. Outre toutes les taxes locales, l'impôt sur les sociétés et la TVA, il existe une taxe spécifique sur l'hydroélectricité. Si on regarde en global, le produit final est taxé à hauteur de 70 ou 80 %. Les taxes représentent 40 % du coût de production de l'hydroélectricité, ce qui n'est pas une situation favorable pour le développement des énergies renouvelables. Nous ne sommes pas les seuls à le dire ; la CNR le dit encore plus fort que nous. Il n'est guère possible de développer un produit en le surtaxant.

Les conclusions de la PPI (programmation pluriannuelle des investissements) sont bien entendu de développer l'hydroélectricité et la puissance au fur et à mesure du développement de l'éolien. Pour ce faire, nous attendons les outils incitatifs qui permettront de le réaliser.

L'amendement Peiro, voté lors du débat sur la loi sur l'eau, est notamment l'un des principaux freins au développement de l'hydroélectricité. D'après cet amendement, toute activité qui demande un lâché d'eau sur un ouvrage de plus de 15 ans, peut ne pas faire l'objet d'une indemnisation si cette activité est considérée comme étant d'intérêt général. C'est d'abord contraire au droit des concessions, et surtout, cet amendement repose sur une méconnaissance des durées d'amortissement des ouvrages hydroélectriques, qui varie entre 40 et 75 ans. Penser qu'au bout de 15 ans tout est amorti, est à mon sens une erreur. C'est au moment de la discussion sur la durée des concessions que l'on doit statuer sur la redistribution de la rente hydroélectrique, et pas en cours d'exploitation. Cela compromet l'intérêt et la confiance que l'on peut porter au développement d'un ouvrage. Aujourd'hui, les titres qui sont renouvelés le sont pour une durée de 40 ans. Quinze années ne représentent en aucun cas une durée assez longue, compte tenu des coûts très élevés des travaux de génie civil.

Nous vous avons également préparé une liste de toutes les règles juridiques relatives à l'implantation des centrales hydroélectriques, en commençant bien-sûr par la loi de 1919.

• la loi sur l'eau de 1992 est aussi extrêmement importante pour nous ;

• la loi de 1987, sur les risques majeurs ;

• la loi Barnier de 1995 ;

• la loi de 1976 sur la protection de la nature ;

• la loi Montagne de 1985 bien-sûr, celle qui vous préoccupe ;

• la loi Bouchardeau de 1983 sur les enquêtes publiques ;

• la loi pêche de 1984 ;

• le décret de 1994 sur le régime de la concession et sur les instructions ;

• la réglementation en matière domaniale (bornage) ;

• le nouveau cahier des charges type de 1999.
J'espère que ce recensement est complet ; ne nous en voulez pas si nous avons oublié quelque chose, mais je pense que l'on a recherché le maximum de textes en vigueur aujourd'hui.

Les retenues hydroélectriques sont de véritables outils de développement durable dans les vallées. J'ai longtemps été dans le midi, où j'ai notamment été responsable d'une unité de production dans le Sud Est. Le lac de Serre-Ponçon est incontestablement un outil incontournable dans l'économie touristique des Hautes-Alpes, représentant 40 % des revenus de l'économie estivale du département.

Bien que ce ne soit pas dans les exigences de nos concessions, on essaie de viser des niveaux hauts au début des saisons estivales, que l'on déstocke au fur et à mesure des demandes liées aux autres usages de l'eau (agricoles), et aux besoins en électricité. Il y a beaucoup de discussions, liées aux problèmes d'accumulation de déchets et de sédiments, de niveaux... Nous essayons de traiter ces problèmes au travers de sortes de commissions locales. C'est ce que l'on fait par exemple à Serre-Ponçon, et il s'agit de l'un des 20 engagements de service public que le Président Roussely a signés.

On va également vous distribuer un petit dépliant sur le canyoning. Dans certains endroits, cette activité n'est possible que parce qu'il y a une retenue d'eau. Nous sommes très liés avec une économie estivale d'une partie de la montagne. Il ne faut également pas oublier de parler aussi des problèmes hivernaux, notamment au niveau des canons à neige. Il m'est par exemple arrivé d'avoir des discussions avec Patrick Ollier, à l'époque président de la société d'économie mixte (SEM) de Serre-Chevalier et de l'ANEM, je crois.

Les sports d'eau vive ont connu une explosion dans les vallées des hautes Alpes. Il faut être extrêmement vigilant. Nous travaillons avec les professionnels, les élus locaux ; beaucoup de choses encore sont devant nous. Nous ne sommes qu'au début de cet engouement. Il faut améliorer, de concert, la connaissance des risques. On travaille beaucoup avec la Fédération française de canöe-kayak (FFCK). Nous avons un partenariat d'accompagnement de championnats. Les prochains championnats à Bourg-en-Bresse par exemple font l'objet d'un accompagnement médiatique et financier de notre part, avec des lâchés d'eau. C'est un partenariat difficile et exigeant, car nos interlocuteurs ne sont intéressés que par des lâchés d`eau ponctuels. C'est cependant un partenariat qui fonctionne depuis plusieurs années. Il est parfois difficile sur le terrain, car il est négocié au niveau national, avec des déclinaisons locales.

Quant au tourisme industriel les dispositions du plan vigipirate nous pénalisent actuellement. Nous avions auparavant un engagement fort avec des journées portes ouvertes et des visites de nos installations. Certains endroits ont fait l'objet de dérogations. Nous espérons tous qu'il y aura un retour à la normale, et que l'on pourra reprendre le rythme de ces visites de sites, où nous avions notamment négocié des partenariats avec les offices du tourisme.

Les crues représentent un souci fort. La présence de nos ouvrages écrête les crues moyennes ; de sorte que les gens ne sont plus habitués aux crues et ne sont désormais confrontés qu'à des crues extrêmes.

Pendant les crues, nous avons deux missions. Nous devons veiller à la sécurité des ouvrages et des personnes. Nous ne lâchons jamais davantage d'eau qu'il n'en arrive. Un barrage qui pourrait retenir toutes les crues serait un barrage vide, et ne pourrait par conséquent pas produire d'hydroélectricité. Nos consignes d'exploitation en période de crues sont validées par les pouvoirs publics, et font aujourd'hui l'objet d'une démarche de certification au niveau des grandes vallées.

S'agissant du développement des autres énergies renouvelables en montagne, nous contribuons, au côté de l'ADEME, à leur développement sur les sites isolés, dans le cadre d'accords négociés. Il s'agit essentiellement de photovoltaïque sur des sites éloignés du réseau, en coopération systématiquement avec les syndicats d'électrification rurale. On a fait de très belles réalisations en photovoltaïque. Dans le cadre des accords ADEME-EDF, EDF a apporté une garantie d'exploitation de ces installations.

Sur le sujet de l'énergie réservée, il faut être prudent. La nouvelle loi sur l'électricité - sur la séparation entre la production, le transport et la distribution - va sans doute modifier la façon dont sont gérées nos relations sur l'énergie réservée. Nous sommes aujourd'hui les fournisseurs d'énergie réservée pour le compte d'autres producteurs. Je ne suis pas sûre que l'on sache exactement ce que l'on fait. Il faut clarifier la répartition des rôles.

M. Jean-Paul Amoudry - Merci Madame la Directrice pour cet exposé très complet, précis et enrichissant.

L'ensemble de la loi Montagne et de la politique de montagne balaye une infinité de sujets, dans lesquels la question des énergies réservées est un point très singulier. Tout ce que vous nous avez dit en dehors de cette question de l'énergie renouvelée est extrêmement précieux. Il faut toutefois que nous revenions sur cette question, encore que sur le sujet des collectivités locales et de leur bilan en termes de création de microcentrales, vous n'êtes peut-être pas les mieux placés à EDF pour y répondre. C'est donc peut-être une question que nous verrons auprès d'autres interlocuteurs. Vous n'avez pas de connaissances directes en la matière ?

Mme Claude Nahon - EDF paye le tarif d'achat aux gens qui peuvent en bénéficier. Mais le recensement est difficile. La question a été posée lors de la programmation pluri-annuelle des investissements, et l'Etat est pratiquement incapable de savoir combien il y a de chutes en France. D'autres acteurs produisent pour leur propre compte.

M. Jean-Paul Amoudry - Le domaine de la production, au sens de la loi de 1919, relève de la responsabilité de l'Etat. Nous sommes donc bien d'accord que le concédant public pour vous, n'est pas les collectivités, mais l'Etat. Vous nous dites que c'est le ministère de l'environnement qui représente l'Etat, et non pas celui de l'industrie.

Mme Claude Nahon - Tout à fait. Vous avez deux régimes, suivant que vous êtes en régime de concessions - qui dépendent du ministère de l'industrie - ou d'autorisations, qui dépendent du ministère de l'environnement, pour les petites puissances inférieures à 4500 KW. Je pense que c'est celles là qui vous intéressent.

M. Jean-Paul Amoudry - Il s'agit donc d'un régime de concessions en direction d'EDF et de la CNR, pour peut-être 98 % de la production, et il y a également une multitude de microcentrales dont la production est marginale, et qui dépendent du régime d'autorisation.

Ces microcentrales, pourtant, sont bien réintégrées dans le circuit transport d'EDF ?

Mme Claude Nahon - Oui, mais je vous redonne les chiffres ; cela doit représenter un TWh éclaté un peu partout. Ce sont des quantités très faibles, réinjectées dans le réseau local et consommées tout de suite.

M. Jean-Paul Amoudry - Vous n'avez donc pas l'inventaire de ces microcentrales ?

Mme Claude Nahon - Non, nous ne l'avons pas, pas plus d'ailleurs que le ministère de l'environnement. Nous avons seulement une estimation.

M. Jean-Paul Amoudry - S'agissant de la question de l'énergie réservée, qu'ont fait les conseils généraux de leurs compétences en la matière ?

Mme Claude Nahon - Sur ce volet non plus, nous ne disposons pas d'analyses complètes. Je n'ai pas encore un bilan de ce qui se passe exactement. On ne peut plus attribuer d'énergie réservée à un client éligible, ce qui nous oblige à être vigilants.

M. Jean-Paul Amoudry - Si j'ai bien compris, cette énergie transite par le réseau EDF. Il y a donc bien une comptabilisation à un moment ou à un autre ?

Mme Claude Nahon - Oui, mais elle est locale, à l'échelle des centres de distribution qui sont en train de se transformer en agences d'accès au réseau de distribution. Il y a un besoin de production, mais nous devons, en tant que producteur, suivre ce qui se passe au niveau des collectivités locales. C'est une prestation que nous effectuons pour le compte des autres producteurs ; nous estimons donc qu'elle va devoir être rémunérée. On va essayer de rassembler ces données au niveau de notre direction nationale. Je ressens exactement le même besoin que vous.

M. Jean-Paul Amoudry - On en ressent le besoin par rapport à la nouvelle loi qui devrait transcrire les orientations qui ont été adoptées à Barcelone.

Mme Claude Nahon - Ce qui nous intéresse n'est pas exactement la même chose. Je suis intéressée par le fait de savoir si l'on fait bien ce que la collectivité locale nous demande de faire, alors que vous êtes intéressés par l'usage même.

M. Jean-Paul Amoudry - J'aimerais que vous puissiez nous dire, peut-être pas ici, quelle est la pertinence des articles 89, 90 et 91 de la loi. Représentent-ils des bases législatives qui ont une vocation importante pour l'avenir, dans le domaine des énergies renouvelables et réservées ? Quel contenu donner à ces bases ? Gardent-elles leur pertinence ? Méritent-elles d'être confortées ?

Nous dressons le bilan de ce texte législatif. C'est un domaine qui est un peu une niche à part. Nous n'avons pas beaucoup d'éléments, les conseils généraux n'en parlent pas. Il y a une réalité technique et économique qui échappe pratiquement à tout le monde.

Si vous voulez bien réfléchir sur ces éléments, vous nous ferez part dans les temps qui viennent de vos sentiments.

Mme Claude Nahon - On vous fera passer une note sur ces deux sujets. Je pense qu'il faut séparer le problème des microcentrales de l'énergie réservée. Les microcentrales représentent un axe qui existe aujourd'hui dans la programmation pluri-annuelle des investissements sur le développement des énergies renouvelables. Mon sentiment personnel est que le jeu n'en vaut pas la chandelle par rapport à l'environnement.

L'énergie réservée est un outil d'aménagement du territoire pour les collectivités territoriales.

M. Jean Boyer - Dans mon département, la Haute-Loire, il y avait plusieurs projets de microcentrales. Comme vous le savez, la faisabilité est liée à la garantie des ressources en hommes, et aussi à la garantie de vendre à EDF, puisque EDF négocie une convention avec le producteur de la microcentrale.

Mme Claude Nahon - Pas tout à fait. La loi sur l'électricité prévoit un fonds de service public de production qui permet à l'Etat d'avoir des interventions pour soutenir sa politique de développement des énergies renouvelables. EDF ne fait - en tant que producteur principal dans le pays - qu'être transparent à un texte d'obligation d'achat qui lui est imposé. On a donc une relation contractuelle qui n'est pas négociée. L'ensemble des consommateurs éligibles et des producteurs vont rémunérer EDF grâce à ce fonds. Ce n'est pas EDF qui paye, mais l'ensemble des consommateurs éligibles et l'ensemble des producteurs.

M. Alain Very - Je voudrais faire une simple précision. La garantie d'achat est assurée par l'Etat. EDF n'est que l'exécutant de cette garantie.

M. Jean Boyer - Le volume de la production d'EDF en microcentrale est très limité, de l'ordre de 2 à 3 %, je crois.

Ne pensez-vous pas, que dans le cadre de l'aménagement du territoire, les micro centrales représentent un palliatif endormant ? Si je vous ai bien suivie, vous pensez qu'elles n'ont que peu d'avenir.

Mme Claude Nahon - Non, pas du tout, mais il est bien évident que ce n'est pas avec des micro centrales ou de l'éolien que l'on pourra remplacer le nucléaire. Il faut être réaliste avec les chiffres du potentiel hydroélectrique français, ou du potentiel de l'éolien.

Par contre, je crois au développement des énergies renouvelables en France, et je crois qu'il y a des espaces pour construire des microcentrales. Nous avons d'ailleurs une filiale qui a pour vocation de développer la petite hydraulique, mais je pense qu'il n'est pas souhaitable - pour des raisons de financement et d'intégration dans les territoires - qu'EDF construise seule. Nous sommes prêts à nous associer à des projets intéressants dans des vallées, mais je ne pense pas qu'il soit souhaitable que nous développions seuls de trop nombreux projets.

M. Alain Very - C'est vrai que l'on a du mal à être nuancé sur ce sujet qui a ses partisans et ses détracteurs. Certains sites peuvent se prêter à un aménagement raisonnable avec un impact limité sur l'environnement. Il faut trouver un juste milieu.

Mme Claude Nahon - Nous ne pouvons pas assurer le développement tout seuls. Je connais mal votre département, mais pour ce qui est des vallées des Hautes-Alpes par exemple, il est édifiant de constater que bien souvent, EDF est la seule industrie. Nous avons donc un vrai rôle au niveau de l'aménagement du territoire. Ce n'est que dans cette logique que nous pourrons envisager des développements, de même pour l'éolien.

M. Jean Boyer - Pour vous donner un ordre d'idées, il y a une vingtaine de micro centrales - dont 18 opérationnelles je crois- dans mon département, sur 500 000 hectares.

Mme Claude Nahon - Nous sommes très intéressés pour travailler avec vous, afin de regarder, si vous le souhaitez, si les centrales qui ne sont pas opérationnelles pourraient le devenir.

M. Jean-Paul Amoudry - Je voudrais revenir sur le problème de la taxation de la production hydroélectrique. Vous avez tout à l'heure parlé de 40 %. Pourriez-vous nous donner le détail ?

Mme Claude Nahon - Je vais essayer de vous le donner de tête. On a une courbe très significative qui montre l'augmentation des taxes, tandis que les coûts d'exploitation baissent. Tout centime que nos exploitants peuvent gagner - Alain Véry est bien placé pour vous en parler - est aujourd'hui compensé par l'augmentation des taxes.

Il y a la taxe locale, des prélèvements de l'agence de l'eau, et la taxe spéciale pour l'hydroélectricité que nous avons héritée de l'époque où l'on cherchait des financements pour le canal Rhin-Rhône. Lorsque l'on a renoncé au canal Rhin-Rhône, on n'a pas renoncé à la taxe. Lorsque l'on a développé l'indépendance de la CNR, la taxe a été répartie sur l'ensemble des aménagements d'EDF.

En rajoutant la TVA et l'impôt sur les sociétés, on arrive à 70 %.

M. Jean-Paul Amoudry - Dans les communes qui ont des barrages, on observe souvent des îlots, qui ressemblent un peu à des Emirats. J'imagine que c'est la taxe professionnelle qui fait la richesse de ces communes.

Mme Claude Nahon - Je connais en effet quelques communes dans les Alpes-de-Haute-Provence ou ailleurs, qui correspondent à la description que vous faites ; je pense à la commune de Demandols par exemple.

Ce n'est pas le cas du nucléaire, où il y a intercommunalité, alors que les communes riveraines des lacs ne bénéficient pas du tout des taxes pour l'hydraulique. Seul le lieu de l'usine ou du barrage perçoit les taxes

M. Jean-Paul Amoudry - Je crois que nous avons épuisé les questions que nous souhaitions vous poser. Nous aurons le plaisir de retrouver Monsieur Véry dans les Pyrénées dans quelques jours.

42. Audition de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (16 juillet 2002)

M. Jacques Blanc - Je ne te présente pas les membres de la Commission puisque tu les connais tous. Je souligne cependant la présence de Monsieur Jarlier, membre de la Commission et secrétaire général de l'ANEM, chargé de faire le lien entre les deux instances.

Nous avons voulu mobiliser les élus de la montagne sur une démarche d'analyse et sur les perspectives à envisager en matière de modification législative ou réglementaire afin de donner un nouvel élan à la politique de la montagne. Il ne s'agit pas de nous enfermer dans des actes contemplatifs. Nous souhaitons trouver des réponses. L'aménagement du territoire devrait nous permettre de faire comprendre l'intérêt, pour notre société, de maintenir une vie en montagne et un équilibre entre l'environnement et le développement. En outre, nous savons bien que les débats européens vont entraîner des modifications, notamment au niveau du deuxième pilier ou concernant l'avenir des politiques régionales. Nous vivons donc un moment charnière. Il s'agit pour le Sénat de montrer sa grande capacité de travail.

J'adresse à Monsieur Gaymard mes plus vifs remerciements pour le temps qu'il est prêt à nous consacrer.

M. Jean-Paul Amoudry - Cher Président, Monsieur le Ministre, chers collègues, nous avons remis à Monsieur le Ministre un questionnaire qui nous éclairera. Je le remercie sincèrement d'avoir répondu à notre proposition d'audition. Nous mesurons, sur ce thème fondamental de l'agriculture pour l'avenir de nos montagnes, l'importance de cette audition et de l'échange que nous aurons.

Permettez-moi également de lui souhaiter une grande réussite dans la mission qui lui échoit et de l'assurer de notre confiance.

Je vous invite, si vous le voulez bien, à nous éclairer in fine sur l'impact que vous pouvez présager des réformes en cours de la PAC sur les politiques montagne.

M. Hervé Gaymard - Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de m'accueillir pour ce moment d'échange consacré à la politique de la montagne, qui est notre passion commune. Etant né en montagne, étant élu du département qui me fait confiance, habitant dans un village de montagne entouré d'exploitants agricoles de montagne, je suis particulièrement heureux d'être avec vous aujourd'hui. J'espère que nous serons tous ensemble à même d'améliorer la politique de la montagne, qu'il s'agisse des mesures nationales ou des mesures dépendant de la PAC.

Je souhaite vous présenter deux de mes collaborateurs. Michel Dantin est chargé de la politique de la montagne, de l'eau et de l'environnement au sein de mon cabinet. Il est élu local et a, durant des années, dirigé des organisations professionnelles agricoles. J'ai souhaité m'entourer d'un homme de terrain afin de renouveler et de diversifier les approches au Ministère. Quant à Blaise Mistler, il n'est plus à présenter dans cette maison puisqu'il travaillait auparavant au cabinet du Président Poncelet. Il assure la tâche difficile et importante des relations avec le Parlement.

Je suis particulièrement heureux de retrouver Jacques Blanc ainsi que mon collègue et compatriote savoyard Jean-Paul Amoudry pour cet échange. Je me réjouis également de la création par le Sénat de différents groupes de travail et missions parlementaires sur l'agriculture, notamment sur l'agriculture de montagne. Ils devraient éclairer utilement les débats et les politiques dans les semaines et mois à venir.

Je me propose de répondre dans un premier temps aux questions qui m'ont été posées. Je pourrai ensuite faire un état des lieux de l'actualité de la réforme de la PAC. J'étais à Bruxelles le 15 juillet et à l'instant avec le Commissaire Fischler en visite à Paris le 16 juillet.

Quel avenir envisagez-vous pour le Contrat Territorial d'Exploitation (CTE) ?

Je souhaiterais vous faire part de quelques observations sur ce sujet. Lors de ma prise de fonction au Ministère, j'ai souhaité pouvoir disposer d'un audit sur les CTE. Cet audit devait analyser les CTE en termes budgétaires mais également en termes de fonctionnement et notamment leur cohérence avec les différentes politiques de développement rural et agroenvironnementales. Ce rapport d'audit m'a été remis le 8 juillet et sera prochainement diffusé officiellement. Je suis heureux de le remettre aux membres de cette mission.

J'ai toujours été favorable à une démarche contractuelle. Des démarches de ce type ont été mises en oeuvre en montagne avant que les CTE n'existent, notamment les mesures de l'article 21 ou les diverses mesures agroenvironnementales. Dans beaucoup de départements de montagne, les conseils généraux ou régionaux avaient mis en place ces dernières années des politiques contractuelles avec les agriculteurs, fixant des objectifs et des engagements réciproques précis. Dans cette optique, le principe des CTE ne sera pas remis en cause.

Le rapport d'audit a toutefois mis en exergue la nécessité d'une réforme des CTE. Mon sentiment, en tant qu'élu de terrain, était semblable. La procédure des CTE va donc être simplifiée. Cette demande était unanime, tant de la part des agriculteurs que de la part des agents du Ministère de l'Agriculture. Ces derniers préfèrent consacrer davantage de temps au développement rural et à l'écoute des agriculteurs plutôt que remplir et contrôler des papiers. Le premier axe de travail relève donc de l'allègement et de la simplification de la procédure et du suivi des CTE.

En revanche, les CTE ne doivent pas constituer le vecteur unique des politiques publiques en matière d'agriculture. Nous envisageons donc une formule très souple. D'autres actions pourront être menées hors CTE. Je suis pragmatique et non idéologue. Ce problème doit être abordé concrètement et de manière dépassionnée.

Voici les grandes orientations décidées à ce jour. Le rapport d'audit permet de disposer d'informations plus détaillées. Mon souhait pour les semaines à venir est de progresser rapidement dans le domaine de la simplification des CTE afin de disposer d'un outil rénové fonctionnant plus efficacement.

Concernant l'aspect financier, la mission d'audit budgétaire réalisé au niveau du Ministère a permis de dégager un budget de 227 millions d'euros de la part nationale en 2002. La tendance indique un budget de 328 millions d'euros en 2003. Reste à déterminer l'articulation de ces financements avec les financements européens.

Vos récentes décisions relatives à la modulation ont suscité de l'incompréhension, voire de l'inquiétude auprès des agriculteurs de montagne. Quels apaisements pouvez-vous leur donner ? (point 12 de l'ordre du jour)

Cette question est liée à la question précédente. A mon arrivée au Ministère, le 7 mai au soir, j'ai étudié le dossier de la modulation. J'ai constaté, dans un premier temps, que le mode de calcul de la modulation ne correspondait pas à celui dont j'avais pu entendre parler par ailleurs. Cette modulation touchait davantage les zones et les exploitations à taille et à revenu intermédiaires que les grandes exploitations. Les effets du mode de calcul n'étaient donc pas accordés au discours. Celui-ci prétendait en effet prélever des revenus aux grandes exploitations pour les redistribuer aux plus petites.

Dans un deuxième temps, j'ai constaté que sur les 228 millions d'euros modulés en 2000 et 2001, 215 millions d'euros étaient détenus par le FEOGA faute de pouvoir être utilisés.

Pourquoi la consommation des crédits disponibles a-t-elle été aussi faible ? Le dispositif exige d'une part un co-financement national qui n'est pas satisfait. Un euro issu du budget de l'Etat français permet de disposer d'un euro issu de la modulation. D'autre part, la liste des opérations finançables par ces crédits modulés est trop restrictive et ne permet pas de financer toutes les mesures que nous souhaiterions voir financer pour favoriser le développement rural. Je tiens à préciser que l'ICHN n'est pas financé sur les crédits modulés mais sur des crédits spécifiques. Le moratoire décidé sur la modulation ne remet en cause ni le financement de l'ICHN ni les autres actions entreprises au titre de la politique de la montagne financées sur le budget du Ministère de l'Agriculture.

Quel est l'avenir de cette mesure ? A court terme, j'ai pour ambition d'obtenir de Bruxelles la suppression des obstacles à l'utilisation des 215 millions d'euros disponibles. Cet argent est d'origine française puisqu'il a été prélevé aux agriculteurs français. Ces crédits prélevés pour partie en 2000 et pour partie en 2001 seront respectivement perdus en 2004 et 2005 s'ils ne sont pas utilisés. La situation doit donc trouver au plus vite une solution. J'espère obtenir cette mesure de court terme dans le cadre des négociations menées à la Commission européenne afin de pouvoir utiliser cet argent pour des mesures correspondant au deuxième pilier.

L'avenir à moyen terme est lié à la réforme de la PAC. Suite au rapport présenté le 10 juillet par le Commissaire Fischler, nous sommes actuellement dans une période préliminaire. Je ne peux pas aujourd'hui anticiper du résultat de la négociation qui ne s'achèvera pas avant mars 2003 voire l'automne 2003. En revanche, je suis sûr que tous les pays sont favorables au renforcement des mesures de développement rural et environnemental dans le cadre du deuxième pilier. Le premier tour de table réalisé le 15 juillet à Bruxelles le confirme. Dans le cadre du deuxième pilier rénové et opérationnel, nous serons donc vigilants afin que les mesures finançables profitent notamment aux agricultures des régions de montagne. Mon objectif final est d'obtenir tout d'abord la suppression du co-financement national. Je souhaiterais ensuite que la liste des opérations finançables soit élargie aux actions de développement durable de politique agroenvironnementale, notamment pour les zones de montagne. Enfin, je veillerai à ce que les conditions d'utilisation de ces crédits soient assouplies afin que le cadre communautaire soit supprimé. L'adaptabilité selon les pays et les régions doit être maximale. Il est nécessaire de sortir de l'hyper-centralisation européenne. Les actions prévues dans le cadre du deuxième pilier devraient être adaptées aux réalités du terrain.

Ces objectifs ne sont pour l'instant que des souhaits. Je ne peux en rien présager du résultat des négociations débutant actuellement.

La modification des critères d'attribution de l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN) en 1999, privilégiant le critère de surface par rapport à celui de tête de bétail, pénalise la conception économique de l'agriculture au profit d'une approche environnementaliste. Elle présente des effets pervers, dont une tendance à l'extension artificielle des exploitations ; elle rompt avec la philosophie d'une agriculture devant d'abord vivre de ses productions. Quels remèdes envisagez-vous ? (Point 2 de l'ordre du jour)

Suite aux accords de Berlin de 1999, la modification de l'assiette de calcul de l'ICHN poursuivait l'objectif d'en assurer la pérennité afin que celle-ci ne soit pas remise en cause dans le cadre des négociations commerciales multilatérales au sein de l'OMC. Le nouveau dispositif a été mis en place en 2001. L'évaluation de la mise en oeuvre du dispositif a été réalisée par l'Institut d'agriculture méditerranéenne et a été présentée récemment au groupe de travail sur la politique agricole de montagne. Le résultat de cette étude montre que la transition s'est effectuée sans bouleversement concernant les montants versés aux agriculteurs. En effet, le montant total des dépenses en 2001 s'élevait à 427 millions d'euros dont 50 % d'origine communautaire, soit le même volume que les années précédentes.

• Les équilibres géographiques de ces versements sont maintenus : 79 % des versements sont consacrés aux zones de montagne, 21 % sont consacrés aux zones défavorisées simples (ZDS) et aux zones de piémont.

• 1,4 % des exploitants antérieurement bénéficiaires sont exclus du dispositif.

• 70 % des dossiers ont bénéficié d'une augmentation des montants alloués.

• 13 % des dossiers sont en diminution. Il s'agit essentiellement des éleveurs de bovins en piémont et d'ovins en ZDS humide. 44 % de ces dossiers sont en plage non optimale ; 6 % des dossiers en diminution sont en plage optimale.

Toutefois, les ajustements des modalités de gestion en 2002 devraient résoudre les difficultés constatées en zones de piémont ainsi que pour les ovins en ZDS humides.

Cette étude montre également que l'extension des exploitations à des fins d'optimisation du montant de la prime concerne seulement 17 % des dossiers, pour la plupart situés en zones défavorisées simples.

Ce phénomène est par ailleurs encadré par des règles de gestion simples :

• pas plus de 50 hectares payés par agriculteurs, ce qui limite l'intérêt des extensions au-delà de ce seuil ;

• montant à l'hectare majoré pour les 25 premiers hectares afin de favoriser les petites exploitations ;

• écrêtement du montant payé en 2001 à 120 % du montant payé en 2000 pour éviter les effets d'aubaine.

La philosophie de l'ICHN a été définie en 1972 et mise en place en 1975. En septembre 1974, un car de la Commission européenne a été bloqué dans le Beaufortain par une tempête de neige. J'avais alors 14 ans et étais élève au lycée d'Albertville. La neige est arrivée le 12 septembre pour ne plus nous quitter durant tout l'hiver. La Commission européenne a été convaincue du handicap naturel à compenser suite à ce voyage mémorable.

L'ICHN vise à couvrir le différentiel de revenus entre les zones de montagne et la moyenne française.

L'instance d'évaluation de la politique de la montagne, ayant travaillé dans le cadre du Commissariat du plan, a montré que cette compensation n'était pas totale. L'ICHN permet de compenser la moitié du handicap naturel. Le différentiel entre la zone de montagne et la moyenne française s'élève à 30 %. L'ICHN permet de compenser 10 à 15 % de ce différentiel selon les exploitations. Toutefois, l'augmentation récente des taux de l'ICHN devrait permettre d'améliorer sensiblement la situation.

Quelle sera la situation en 2002 et à l'avenir ? Mon prédécesseur a annoncé, suite aux actions d'Aiton (73) sur la politique de la montagne, une revalorisation de l'ICHN de 20 % en haute montagne et de 5 % en zones de montagne en mars dernier pour cette année. Ces annonces n'étaient pas financées. Nous avons donc fait en sorte qu'elles le soient dans le cadre du collectif budgétaire que le Sénat va examiner. Les crédits nets budgétaires ouverts sur le budget du Ministère de l'Agriculture prévoient le financement de cette augmentation. Nous avons également pris des dispositions administratives afin que le versement en soit accéléré. Les agriculteurs devraient donc recevoir ces indemnités avec un mois d'avance par rapport aux années précédentes.

La question des zones de piémont laitiers devrait être réglée par la suppression du coefficient qui pondère le nombre des hectares primés pour les élevages mixtes.

Par ailleurs, les 3P (poires, pommes, pêches) en zone de montagne sèche accèdent pour la première fois à l'ICHN à compter de l'année 2002.

Les enveloppes sont consolidées pour les départements ayant dépassé leur notification de crédits en 2001.

Il paraît à l'avenir souhaitable de mieux rémunérer les 25 premiers hectares puisque le différentiel n'est plus que de 10 % depuis la réforme.

Dans le cadre de la maîtrise budgétaire, il est difficile de prévoir des augmentations conséquentes pour les années à venir. Dans le cadre de la revue à mi-parcours de la PAC, une des orientations consisterait à financer davantage de mesures inclues dans le deuxième pilier. Une négociation réussie nous permettrait de disposer d'une marge de manoeuvre plus importante concernant le financement de la prime à l'herbe, de mesures agroenvironnementales ou de l'ICHN.

Les concours attribués au titre du PMPOA ont bénéficié essentiellement, au cours de ces récentes années, aux plus gros élevages de plaine. Est-il prévu pour répondre à la très forte attente (et au sentiment d'injustice) des agriculteurs de montagne de revaloriser ces crédits ? (point 3 de l'ordre du jour)

Les aides attribuées au titre du PMPOA entre 1994 et 2000 ont effectivement été attribuées aux élevages importants. Les élevages ont été intégrés par taille décroissante, partant des élevages de plus de 200 UGB en 1994 jusqu'à 90 UGB en 2000. Certains élevages de 70 UGB ont localement reçu des aides, notamment dans les zones à forte pollution. Cette classification avait été retenue à l'époque dans le but de résorber les pollutions occasionnées par les plus gros élevages. Le dispositif a pris fin en décembre 2000.

Dans le cadre du nouveau dispositif agréé par l'Union européenne depuis l'automne 2001, les élevages sont intégrés selon leur localisation en zones vulnérables délimitées par les préfets de région. Ils peuvent alors bénéficier des aides quelle que soit leur taille.

Dans les autres zones, les gros élevages, supérieurs à 90 UGB, peuvent bénéficier des aides, considérant qu'ils sont les plus pollueurs. Les petits élevages peuvent bénéficier des aides CTE pour la maîtrise des pollutions à condition d'engager des travaux allant au-delà de la réglementation.

Cependant, et vous le savez, le texte européen nous oblige à consacrer 80 % des crédits aux zones vulnérables. Si cette condition n'est pas respectée, les subventions ne pourront être accordées au-delà de l'année 2006. Nous devons donc d'ici là trouver une solution pour les petites exploitations, notamment dans les zones de montagne.

Je travaille sur la possibilité d'autoriser à nouveau les opérations coordonnées qui permettent une position équilibrée et globale dans le cadre de politique de Bassin versant et qui utilisent des financements émanant des agences de l'eau, des régions et des départements. Pour cela, l'accord de Madame Bachelot, Ministre de l'Ecologie et du Développement durable, est nécessaire. Les deux ministères travaillent activement à l'élaboration d'une solution. Ces mesures doivent également être financées dans le cadre du deuxième pilier. J'ai déjà évoqué le problème avec le Commissaire Fischler. Tous les pays ont intérêt à ce que le deuxième pilier, jusqu'à présent peu opérationnel, fonctionne. Le deuxième pilier doit donc intégrer des financements d'aides directes utiles. Il ne doit pas servir à financer des ronds-points ou des salles polyvalentes mais des actions s'insérant dans le cadre de l'environnement et d'une agriculture durable.

Une forte érosion des aides de l'Etat à l'investissement en montagne (bâtiments, CUMA, etc.) a été constatée au cours des plus récents exercices. Prévoyez-vous de revaloriser ces aides ? (point 4 de l'ordre du jour)

Je souhaiterais rappeler quelques chiffres sur ces aides puisque ces dernières ont augmenté après les actions d'Aiton en 1998. Elles ont augmenté de 46 % entre 1998 et 2000. Le montant de ces aides atteignait 17,37 millions d'euros en 2001 et 21,2 millions d'euros en 2002. Cette augmentation a permis de résorber les dossiers non traités en 2001 et de supprimer ainsi l'attente. Telle est l'information qui m'est transmise.

De plus, l'arrêté du 26 mars 2001 et sa circulaire d'application du 23 mai 2001 concernant les aides aux bâtiments d'élevage ont revalorisé les prix plafonds et permettent le cumul des aides spécifiques à la zone montagne avec d'autres aides, notamment les aides CTE ou les aides des offices comme l'OFIVAL.

Enfin, des efforts ont été fournis afin de revaloriser les aides à la mécanisation en zone de montagne à travers l'arrêté du 26 mars 2001 et sa circulaire d'application du 23 mai 2001 concernant les aides à la mécanisation.

Le montant moyen de l'aide versée pour chaque dossier s'élevait à 10 9216,34 euros entre 1995 et 2000. Le montant moyen de l'aide versée pour les dossiers bâtiment d'élevage s'élève à 10 742 euros en 2001. Il est de 5 679 euros concernant l'aide à la mécanisation.

L'augmentation est donc conséquente. Je m'attacherai à préserver ces dotations sachant que ce sujet est lié au PMPOA. Plus le financement au titre du PMPOA diminuera, plus les crédits destinés aux bâtiments d'élevage et aux bâtiments en montagne augmenteront. C'est pourquoi les négociations concernant le deuxième pilier sont extrêmement importantes.

Les acteurs du pastoralisme attendent une relance de la politique pastorale. Cette action figure-t-elle parmi vos projets ? Si oui, sous quelles formes ? (point 5 de l'ordre du jour)

J'éprouve beaucoup de timidité à évoquer la question du pastoralisme en présence de Monsieur Amoudry puisque chacun sait qu'il en est le spécialiste. Le Conseil national de la montagne avait confié à mon prédécesseur la charge de mener un groupe de travail interministériel sur le pastoralisme. Celui-ci s'est réuni à plusieurs reprises. Jean-Paul Amoudry en a été un des acteurs essentiels en présidant notamment un sous-groupe sur le thème des entités collectives et de leurs évolutions qui a fourni un travail remarquable.

Le rapport du groupe de travail interministériel contenant les 42 propositions retenues par le groupe de travail plénier du 26 février 2002 devrait m'être remis le 30 juillet 2002. Ces propositions seront regroupées autour de cinq thèmes majeurs :

• encouragement au regroupement d'éleveurs, action sur le foncier agropastoral et définition des actions en faveur du sylvo-pastoralisme ;

• adaptation des dispositifs d'aides publiques et notamment le CTE à la gestion des territoires pastoraux ;

• articulation et coordination des formations ;

• meilleure indentification et meilleure coordination des moyens spécifiques au pastoralisme ;

• pérennisation du groupe interministériel sur le pastoralisme.

J'examinerai avec attention ces propositions quand le rapport me sera remis.

Néanmoins, la politique pastorale m'apparaît devoir être soutenue puisque les agriculteurs de montagne doivent trouver des moyens d'organisation et de développement ainsi que des espaces essentiels à leur activité de production.

Un certain nombre de propositions portent sur la mise à jour des règles de gestion du foncier et des entités collectives de propriétaires et d'utilisateurs. Ce sont les sujets les plus sensibles. En outre, les traditions ancestrales diffèrent d'un massif ou d'une vallée à l'autre. Les us et coutumes concernant le foncier et la répartition du fruit commun sont très disparates. A cet effet, j'envisage de confier à un parlementaire la mission de prendre en compte les réflexions de ce groupe de travail ainsi que les réflexions émanant du groupe de travail de la DATAR afin d'ébaucher rapidement des propositions d'actions concrètes. Je remercie à nouveau Jean-Paul Amoudry pour le travail réalisé.

L'avenir des quotas laitiers après 2008 a suscité de vives préoccupations parmi les éleveurs de montagne. Quelle position envisagez-vous de prendre sur ce dossier essentiel ? (point 6 de l'ordre du jour)

Ma position est simple : je suis favorable au maintien des quotas laitiers. Les quotas laitiers tels qu'ils existent seront appliqués jusqu'en 2008, date à laquelle la question de leur avenir se posera. Cette question sera abordée au cours de l'année 2003 dans le cadre des discussions sur la révision à mi-parcours de la PAC.

La démarche de la Commission, sur ce sujet notamment, s'est révélée jusqu'à présent intelligente. Elle a présenté quatre scénarios qui ont été étudiés par des instituts de recherche et de développement agricole et rural. Le résultat de ces études sera disponible dans les prochains mois. La France défendra le maintien de ce dispositif pour des raisons de maîtrise et d'équilibre du marché européen des produits laitiers qui permet une relative stabilité du prix du lait et un maintien du revenu des producteurs.

Par ailleurs, il convient de mentionner que la production de lait en montagne représentait 10 % de la production française en 1984 contre 13 % en 1995. Rappelons cependant que des dotations exceptionnelles sont intervenues entre 1984 et 1995. Cette politique des quotas laitiers n'a donc pas été défavorable aux zones de montagne contrairement à ce qui est parfois entendu.

La prime à l'herbe devrait disparaître en 2003. Quelles sont les mesures de remplacement actuellement étudiées ? Le cas échéant, quel régime d'aide de substitution envisagez-vous de retenir ? (point 7 de l'ordre du jour)

La prime à l'herbe arrivera prochainement à terme de son second quinquennat. Cette prime avait été instaurée en 1993 puis reconduite en 1998 sous la dénomination PMSEE. Je souhaite que cet outil soit pérennisé. Mais la prime à l'herbe soulève deux interrogations. Nous devons définir le cadre d'emploi de la mise en place de cette prime. Il s'agit de savoir si la contractualisation d'un CTE est obligatoire pour y avoir accès. Le rapport que je vous ai remis ne semble pas l'affirmer fermement.

Il me semble que, selon les situations et si la configuration des lieux s'y prête, la prime à l'herbe peut être attribuée dans le cadre des CTE. En cas contraire, il pourrait être envisagé de l'attribuer hors CTE.

La deuxième interrogation relève de la pérennisation de l'outil considéré pour laquelle nous devons nous battre. Les discussions techniques entre les services du Ministère de l'Agriculture et les services de la Commission européenne ont d'ores et déjà commencé. Je tiens quant à moi à vous assurer de ma détermination sur ce sujet.

Les abattoirs de proximité sont considérés par certains acteurs de la filière viande comme un moyen de valoriser la production des races à viande à faibles effectifs. Quelle politique entendez-vous mener pour lutter contre la tendance aux grandes unités et à la raréfaction des abattoirs de proximité ? (point 8 de l'ordre du jour)

Le plan de restructuration des abattoirs français mis en oeuvre depuis plusieurs années répond à une double préoccupation :

• améliorer la rentabilité de la filière de transformation, durement confrontée à la concurrence étrangère ;

• se conformer aux réglementations sanitaires nationales et européennes.

Valoriser la production des races à viande à faibles effectifs n'en est pas moins un objectif important à atteindre dans le cadre plus général de la valorisation de la qualité des produits montagnards. Le circuit court ainsi établit permet en outre au pays de bénéficier entièrement de la valeur ajoutée.

Il me paraît essentiel de mettre en place une politique active sur la question des abattoirs mais aussi sur les filières de transformation et de commercialisation, notamment à travers le volet montagne des contrats de plan. Le travail à effectuer est considérable. En effet, plutôt que de travailler en amont, il me paraît nécessaire de recenser les besoins et d'adapter les réponses à chaque situation. Là encore, le pragmatisme devrait être la clef de l'efficacité.

Est-il prévu de pérenniser, voire de développer, les dispositifs destinés à améliorer la compétitivité de la production forestière en montagne pour répondre à l'attente de la filière ? (point 9 de l'ordre du jour)

Le programme interministériel « Compétitivité plus » mis en oeuvre entre 1996 et 1999 avait pour objet de soutenir des actions expérimentales relatives à l'approvisionnement en bois de l'industrie. Ce programme a nécessité l'utilisation de crédits des Ministères de l'Agriculture et du Travail ainsi que du FNADT. A ce titre, le programme a soutenu plusieurs opérations concernant l'exploitation des bois en montagne et notamment la relance de l'exploitation forestière par câble pour les forêts d'accès difficile. Ces opérations ont été menées durant deux années sur plusieurs communes de la région Rhône-Alpes. Ce programme n'a pas été reconduit au niveau des budgets au-delà de l'expérimentation.

Il appartient aux professionnels de valoriser les pistes d'amélioration mises en évidence par ces opérations expérimentales. Le Ministère de l'Agriculture continuera quant à lui d'apporter à ces actions en montagne les soutiens relevant de sa compétence :

• l'aide au démarrage des entrepreneurs de travaux forestiers ;

• l'aide à l'équipement en câbles des entreprises de travaux forestiers et d'exploitation forestière ;

• le soutien des opérations de regroupement logistique des scieries de montagne visant à réduire les coûts de transports ;

• les études sur le billonnage des bois sur place afin d'en réduire la longueur et d'en faciliter le transport ;

• les chartes forestières de territoire.

Je suis très optimiste sur l'efficacité de ces chartes. Vingt chartes ont été conclues dont huit concernent les zones de montagne dans les départements de Haute-Savoie, Isère, Hautes-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence, Ariège, Haute-Garonne, Hautes-Pyrénées, Haute-Loire, Cantal et Savoie.

Là encore, la mission pourrait nous faire part de son opinion après ses déplacements et ses auditions.

Le décret « montagne » du 15 décembre 2000 est perçu comme une avancée, mais les organisations professionnelles souhaitent la mise en place de signalétiques spécifiques et de cahiers des charges. Etes-vous favorable à cette initiative et le cas échéant, quels soutiens pourraient leur être apportés pour lancer et animer les filières ? (point 10 de l'ordre du jour)

Le décret du 15 décembre 2000 pris en application de la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999 précise les conditions d'utilisation du terme « montagne ». Cette loi répondait à une mise en cause du dispositif national antérieur par la Cour de justice européenne.

Le choix a été fait de privilégier la simplicité et l'efficacité. La seule contrainte forte mise en exergue concerne la localisation. En effet, il est nécessaire que toutes les opérations, de la production des matières premières jusqu'au conditionnement des produits, aient lieu en montagne. Cependant, des dérogations sont possibles.

Le choix initial consistait à ne pas prévoir d'identification des produits « montagne » par un logo officiel étatique comme il en existe pour le label rouge ou l'agriculture biologique. Ce choix est tout à fait compréhensible. En revanche, les professionnels des zones de montagne sont très demandeurs d'une signalétique spécifique.

Ce dossier sensible, qui concerne à la fois les Ministères de la Consommation et de l'Agriculture, mérite toute notre attention. La démarche envisagée doit être analysée en tenant compte des obstacles communautaires éventuels.

Par ailleurs, à la différence du label rouge, la dénomination « montagne » ne dispose pas d'un soubassement juridique et réglementaire permettant des actions en justice.

Je suis très sensibilisé à ce sujet en tant qu'élu de montagne. Je souhaiterais cependant que la mission m'apporte quelques éclairages complémentaires car mon opinion n'est pas très motivée. Un certain nombre d'expériences ont d'ores et déjà été menées. Elles n'ont pas toujours eu le succès escompté.

Faut-il aujourd'hui se battre auprès de la Commission afin d'obtenir cette dénomination ? Je n'ai pas de réponse. Il faudrait définir précisément les avantages et les inconvénients d'une telle dénomination ainsi que les risques potentiels d'interférence avec d'autres dénominations, signes ou labels de qualité.

Les attentes exprimées par les filières sont de deux natures. Elles concernent l'encadrement des dérogations aux conditions de production retenues dans le décret et la définition de conditions complémentaires de production qualitatives.

Certaines difficultés d'interprétation sont apparues par rapport à l'élaboration des règlements techniques nationaux bien que nous progressions sur le sujet au sein des groupes de travail. J'espère que nous aboutirons à une solution. Il n'empêche que la prudence s'impose afin que cette dénomination « montagne » ne soit pas usurpée.

Les dispositions sur la pluriactivité dont vous êtes à l'origine ont été abrogées en 1999 sans avoir pu entrer en vigueur du fait de l'opposition des caisses d'assurance maladie. Le Gouvernement prévoit-il de reprendre l'initiative ? (point 11 de l'ordre du jour)

Je connais bien ce sujet sur lequel j'ai été missionné en tant que parlementaire. Il est perpétuellement évoqué depuis la loi Montagne de 1985. Un rapport avait été remis en 1994. Près de dix années après, il semblerait que les problèmes évoqués sont toujours les mêmes. Je voudrais donc souligner ma frustration sur ce sujet et mon souhait de le voir progresser.

La pluriactivité soulève des problèmes relevant de plusieurs domaines. Le volet fiscal semble aujourd'hui stabilisé. Je me souviens toutefois m'être rendu à la chambre des métiers de la Haute-Loire en 1994. La tension entre les agriculteurs et les artisans était à son comble au motif de la concurrence déloyale, notamment sur la partie fiscale. En effet, une partie des revenus non agricoles pouvait être rattachée forfaitairement au bénéfice non agricole. Certains artisans s'en plaignaient.

Le deuxième volet concerne l'emploi et notamment la question des groupements d'employeurs. Ce volet est toujours confronté à un certain nombre d'obstacles difficiles à lever concernant notamment la conciliation d'un employeur public et d'un employeur privé dans le cadre d'un groupement d'employeurs. Par ailleurs, l'annualisation du travail doit être à nouveau analysée à l'occasion des négociations sur les 35 heures.

Le volet formation est également très important. L'enseignement agricole a fait figure de pionnier à travers les modules horaires régionaux qui permettaient de disposer d'horaires d'enseignement adaptés selon les régions et les diversifications possibles pour les agriculteurs. Je souhaite évidemment que nous poursuivions cet effort. Par ailleurs, la question des formations bi-qualifiantes se pose également. Il s'agit de créer de nouveaux lycées d'enseignement professionnel, comme il en existe dans les Hautes-Alpes ou en Maurienne, capables de dispenser des formations débouchant sur deux diplômes. Cette mesure est peu coûteuse mais nécessite d'agir localement en fonction des bassins d'emploi. Il ne s'agit pas de mesures nationales.

J'ai pour ma part créé dans ma circonscription, en 1995, un comité de bassin d'emploi réunissant à la fois les organisations professionnelles et syndicales, les salariés, les élus et les administrations. Cette structure nous a permis de faire émerger plusieurs projets.

Le quatrième volet concerne la protection sociale. Tout le monde s'accorde sur la nécessité d'un interlocuteur unique pour le professionnel pluriactif. L'idée consiste à mettre en place une caisse pivot qui ne soit pas une caisse supplémentaire mais une caisse déjà existante. Toute la difficulté consiste à déterminer cette caisse pivot, c'est-à-dire les critères de rattachement.

J'ai repris ce dossier en 1994. Le rapport existant définissait un critère de rattachement basé sur le nombre d'heures travaillées ou sur les revenus. Mais aucune solution n'avait émergé, l'enjeu étant lié au nombre de ressortissants par caisse, impossible à résoudre.

J'avais pour ma part proposé que la caisse de rattachement soit laissée au choix de l'assuré social. Un pluriactif, agriculteur et moniteur de ski, pourrait choisir d'être rattaché à la MSA ou à la caisse des professions libérales. J'en avais convaincu mon prédécesseur, Jean Puech. Cette proposition a donc été traduite dans la loi de modernisation de l'agriculture promulguée en janvier 1995. Etant au Ministère des Affaires sociales en 1997, je suis parvenu, après deux ans d'effort, à faire publier le décret d'application en mars 1997. Il donnait six mois aux différentes caisses pour mettre en place un système de caisse pivot. En novembre 1997, la situation n'avait pas évolué.

Sous prétexte de cet enlisement, un amendement gouvernemental a été déposé devant la Haute Assemblée, qui l'a adopté. L'article de 1995 a été abrogé le 9 juillet 1999, sans doute dans l'indifférence générale.

En revanche, l'article de la loi du 10 juillet 1999, codifié à l'article L 171-3 du Code de la Sécurité sociale, a posé le principe de l'affiliation exclusive des pluriactifs non salariés au régime de protection sociale dont relève leur activité principale. Le problème relève désormais de la définition de l'activité principale.

Je considère, pour ma part, que nous aurons toutes les difficultés à convenir d'une définition. Il faut donc éviter ce piège et décider d'un critère simple de rattachement à la caisse pivot.

Un décret en Conseil d'Etat datant du 21 avril 2001 définit les critères de détermination de l'activité principale. Il fixe comme critère majeur le revenu professionnel le plus élevé et comme critère mineur, le temps consacré, au cours de l'année civile, à chaque activité non salariée. Mais ce décret empêche les jeunes agriculteurs de s'installer puisque leur revenu principal est issu d'un domaine autre que l'agriculture.

Je souhaite donc prendre rapidement un arrêté permettant de réouvrir le délai pour l'option offerte aux pluriactifs. Je souhaite également modifier l'article 1 er du décret d'août 2001 concernant l'activité principale et remettre en chantier l'aspect législatif.

Par ailleurs, le mode de calcul des cotisations sociales semble définitivement arrêté. Le système était autrefois injuste. En effet, du fait d'un niveau élevé des cotisations minimales dans certains régimes, notamment pour les artisans et les travailleurs indépendants, un pluriactif pouvait payer, à revenus égaux, un montant de cotisation plus élevé qu'un monoactif. La loi de 1995, dont le décret est paru en mars 1996 et l'instruction d'application envoyée aux caisses à l'automne 1996, a permis de corriger cette injustice.

La politique européenne en faveur des zones à handicap naturel (point 12 de l'ordre du jour)

Le Commissaire actuellement chargé de ces questions, Michel Barnier, souhaite inscrire une référence à la montagne dans la politique de cohésion européenne dans le cadre de la réforme de la politique régionale européenne. Je suis très favorable à cette disposition qu'il me paraît important de pérenniser. Il me semble que nous pouvons compter sur Michel Barnier, lui-même montagnard.

M. Jacques Blanc - Tout le monde s'est montré très attentif et très intéressé. La passion qui se dégage de vos propos et votre connaissance approfondie des dossiers confortent la confiance que nous avons à votre égard. Les sujets abordés ont révélé des éléments que nous avions relevés au cours de nos visites dans les différents massifs.

M. Jean-Paul Amoudry - Il me semble, cher Ministre, cher Président et chers collègues, au vu de la riche contribution d'Hervé Gaymard, que nous pourrions faire l'économie des questions.

Je souhaite remercier Monsieur le Ministre pour son intervention et pour le rapport sur les CTE dont il nous donne la primeur. Ces CTE constituent un des points les plus fréquemment abordés au cours de nos auditions sur le dossier agricole ou de nos visites.

J'ai bien noté les commandes du Ministre et nous serons très heureux de lui transmettre un rapport d'informations mais aussi de propositions sur les chartes forestières, une plus grande transparence dans l'attribution des quotas, une signalétique sur le décret montagne et les priorités à financer sur le deuxième pilier. Je ne sais pas si nous parviendrons à répondre à toutes ces questions dans le temps qui nous est imparti, c'est-à-dire avant le 8 octobre.

Si des questions supplémentaires ou des précisions étaient nécessaires, nous ne manquerions pas de nous rapprocher du conseiller technique et de l'attaché parlementaire.

Je remercie à nouveau très chaleureusement Hervé Gaymard.

M. Auguste Cazalet - La zone montagne est-elle définitivement délimitée ? Des classements de communes sont-ils encore possibles ? Ce problème est épineux. Le classement aurait dû être fait exploitation par exploitation. Les injustices ne seront jamais résolues. Certaines régions du Pays Basque et du Béarn mériteraient d'être classées.

M. Hervé Gaymard - Je ne prendrai aucun engagement sur la modification du classement de la zone montagne, ce qui serait bien imprudent de ma part. Je comprends bien vos préoccupations. Le problème se pose également au niveau des zonages européens. Les zonages sont toujours sujets à des injustices.

M. Jean Boyer - Je partage les propos de Jacques Blanc et je réaffirme la confiance que nous avons en vous. J'apprécie particulièrement votre langage de vérité et vos compétences.

Par ailleurs, certains élus ont appris que les réserves des caisses du MSA départementales vont financer le BAPSA pour 161 millions d'euros.

M. Hervé Gaymard - Je vais vous répondre en toute honnêteté. Une opération d'audit budgétaire fait état d'un déficit de plus de 800 millions d'euros pour le BAPSA en 2002, avant financement de la retraite complémentaire. Telle est la situation du BAPSA aujourd'hui. Il faut donc trouver des crédits, sinon les prestations sociales agricoles ne seront plus versées. Sur ces 800 millions d'euros, 300 millions sont demandés au BAPSA. Une partie de la somme sera prélevée sur d'autres caisses publiques ou parapubliques. Environ 350 millions de francs correspondent à de l'argent budgétaire. Je comprends le mécontentement de la mutualité mais nous sommes dans l'obligation de financer le régime de protection sociale agricole actuellement déficitaire.

Le sujet de la loi de finance 2003 sera aussi difficile à traiter.

La proposition de loi adoptée à l'unanimité concernant la retraite complémentaire agricole ne dispose pas du moindre euro de financement.

M. Jacques Blanc - Il s'agit d'un sujet délicat qui nécessitera des explications à destination de parlementaires.

M. Hervé Gaymard - Cela a été fait. Tous les parlementaires ont été destinataires d'une lettre d'explication.

M. Jacques Blanc - Je tiens à renouveler mes remerciements au Ministre. Je souhaite que nous puissions lui remettre notre rapport lorsque nous le présenterons.

43. Audition de Mmes Josette Brosselin, directeur régional de Dexia Crédit Local, Françoise Bérard, responsable du marché intercommunalité et Béatrice Bernaud-Pau, directeur des relations institutionnelles (17 juillet 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Nous accueillons Madame Josette Brosselin, Directrice régionale de Dexia Crédit Local, Madame Françoise Bérard, responsable du marché intercommunalité et Madame Béatrice Bernaud-Pau, Directrice des relations institutionnelles.

Au nom de la mission présidée par Monsieur Blanc, que nous devons excuser de ne pas être présent aujourd'hui parmi nous, je voudrais vous saluer et vous remercier de vous être rendues au Sénat.

Si vous me le permettez, je souhaiterais rappeler en préambule les grandes lignes de la mission « montagne ».

2002 est l'année internationale des montagnes. A l'initiative d'un certain nombre de sénateurs, le Sénat a décidé d'ouvrir cette mission afin de réaliser un inventaire de l'application non seulement de la loi « montagne » de 1985, mais également de tous les dispositifs juridiques qui sont venus gérer, régir et administrer la montagne ces 17 dernières années.

Je fais référence ici à tous les textes nationaux, qu'il s'agisse des lois d'orientation, d'aménagement du territoire, des lois forestières et agricoles, des lois d'urbanisme ou encore des textes européens qui sont nombreux aujourd'hui.

Nous avons donc entrepris un inventaire complexe dans la mesure où aucun domaine de la vie et de la nature n'échappe en définitive à nos investigations.

J'ajoute que l'aspect financier est au coeur de nos préoccupations puisqu'en nous intéressant à la montagne, nous nous intéressons nécessairement aux collectivités, qu'il s'agisse des départements, des régions ou bien des communes et des intercommunalités.

Nous avons déjà visité un certain nombre de sites montagnards et nous repartons cet après-midi dans le Jura et dans les Vosges afin de terminer ce périple national.

Compte tenu du temps qui nous est imparti, nous n'irons pas dans les îles, pas même en Corse alors que cela était pourtant prévu.

Toutefois, nous aurons des auditions des représentants de ces territoires insulaires.

L'objectif que nous nous sommes fixé est de rendre nos travaux au début du mois d'octobre 2002. D'où une concentration importante de notre programme de travail.

Nous arrivons aujourd'hui pratiquement à la fin de nos auditions relatives à la mission d'information sur la montagne.

Sans plus tarder, nous passons au questionnaire qui vous a été adressé et sur lequel figure un certain nombre de questions.

Mme Béatrice Bernaud-Pau - Je vous remercie de nous recevoir aujourd'hui au Sénat. Je commencerai mon intervention par une présentation de Dexia.

Je suis la Directrice des relations institutionnelles de Dexia Crédit Local qui est l'entité en charge du financement public local en France et dans le monde.

En ce qui concerne votre première question, je vais vous apporter un certain nombre d'éclairages sur le groupe Dexia dans son ensemble et la position de Dexia Crédit Local au sein de ce Groupe.

Dexia est un groupe européen qui est coté à la fois à Bruxelles, Paris et Luxembourg. Il fait partie du premier tiers de l'Euronext 100. Sa capitalisation boursière est de 20,2 milliards d'euros.

Le Comité exécutif est présidé par Monsieur Pierre Richard qui est également administrateur délégué de Dexia.

En ce qui concerne la composition du capital de Dexia, les actionnaires institutionnels et autres représentent 41,25 % du capital ; les actionnaires individuels représentent 13,9 % du capital ; la Caisse des Dépôts et Consignations représente 7 % du capital ; Arcofim, qui est un groupe financier belge avec lequel nous nous sommes associés au mois d'avril 2002, représente 15,34 % du capital ; la holding communale des communes belges représente encore 15,4 % du capital ; le groupe d'assurance belge SMAP représente 5,17 % du capital ; et enfin, les collaborateurs du Groupe représentent à ce jour 2,3 % du capital avec un système de mise en place d'actionnariat salarié assez régulier.

J'ajoute que la composition du capital de Dexia est en évolution constante. Actuellement, en ce qui concerne le domaine du financement du secteur public local, Dexia est le leader mondial du financement de l'équipement collectif avec 17 % de part de marché en Europe (tous financements confondus) et 25 % aux Etats-Unis (où nous avons racheté la deuxième société de réhaussement de crédit).

Les activités du Groupe sont de trois sortes :

- la gestion d'actifs pilotée par « Dexia Bil », banque établie au Luxembourg ;

- les services de financement de type bancaire pilotés par « Dexia Banque » ;

- et le service de financement de proximité piloté par « Dexia Crédit Local ».

Le groupe Dexia est né de la fusion du Crédit Local de France avec une banque belge, le Crédit Communal de Belgique. Le Crédit Local de France est né en 1987. Il s'agissait d'une SA qui travaillait sur un service de la Caisse des Dépôts et Consignations pour le financement du secteur public local.

En 1991 a lieu la première introduction en bourse sur 27 % de son capital.

En 1993, le Crédit Local de France est privatisé, l'Etat ayant cédé la majorité de ses actions.

En 1996, le Crédit Local de France s'allie au Crédit Communal de Belgique.

En 1999 a lieu l'unification des deux holdings de tête.

En 2000, la totalité des activités du Groupe relatives au financement du secteur public local a été regroupée dans Dexia Crédit Local. Cela explique que vous allez retrouver la même appellation pour toutes les activités que nous pouvons exercer dans le monde sur le financement du secteur public local.

La partie française de Dexia Crédit Local est la plus importante, mais il existe également d'autres sociétés qui sont davantage spécialisées. On note notamment :

- une activité de montage financier intitulée « Dexia Finances » ;

- une activité d'assurance de risque employeur de collectivités locales intitulée « Dexia Sofcap » ;

- une activité d'indemnités de fin de carrière, d'épargne retraite et salariale ;

- une activité de location de véhicules ;

- une activité de financement de biens mobiliers pour le secteur public local intitulée « Dexia Lease France » ;

- une activité de crédit-bail mobilier et immobilier intitulée « Dexia Flobail » ;

- et une activité de garantie de loyer de bâtiments industriels intitulée « Assureco ».

Il s'agit ici des entités créées par Dexia Crédit Local afin d'accompagner le financement ou les actions des collectivités locales dans d'autres domaines qui n'étaient pas du financement strict du secteur public.

Par ailleurs, nous avons monté une filiale spécialisée dans le financement de la trésorerie des collectivités locales. Cette filiale a pour nom « Dexia CLF Banque » et possède des participations dans le Crédit du Nord.

Pour ce qui est des activités du financement de l'équipement collectif et du réhaussement de crédit, nous avons, en production de crédit long terme dans le monde, 30,5 milliards d'euros.

Pour ce qui est de la partie strictement française, le financement des équipements collectifs s'élève globalement à 21,9 milliards d'euros avec un encours de crédit à moyen et long terme de 125,6 milliards de francs. Cela concerne uniquement les prêts.

Dexia Crédit Local compte 2 947 collaborateurs dont 2 000 pour la France.

La partie française est majoritaire dans notre activité. Je dirai même que c'est elle qui apporte aux autres l'expérience de son métier. Nous capitalisons en quelque sorte sur ce savoir-faire pour le transmettre aux autres sociétés et filiales du Groupe.

Cela nous conduit à avoir au niveau français un réseau extrêmement important. Je précise qu'il ne s'agit pas d'un réseau de guichets d'agences puisque nous n'avons pas d'activité bancaire au sens traditionnel du terme. Il s'agit en fait d'un réseau régional qui se décline en responsabilités départementales voire locales.

L'histoire de Dexia nous a amenés à élaborer un certain savoir-faire, ce qui nous conduit à disposer d'une documentation dédiée et à produire des activités de service et de conseil.

En outre, nous montons un certain nombre de colloques et nous animons des partenariats dont celui conclu avec l'ANEM (qui concerne les collectivités locales de montagne). C'est d'ailleurs sur cette base que nous sommes interrogés sachant qu'en France, Dexia Crédit Local représente 40 % de l'appel au financement du secteur public local pour ce qui est des collectivités. On peut donc considérer que 40 % des besoins de financement des collectivités locales sont couverts par notre institution.

Pour répondre à l'ensemble des questions qui concernent plus précisément la montagne, nous avons souhaité vous présenter deux personnes qui sont d'une part, Madame Brosselin, Directrice régionale de Dexia Crédit Local pour la Savoie et la Haute-Savoie et d'autre part, Madame Bérard, responsable du marché intercommunalité.

J'ajoute que je dispose d'informations et de documents que vous pourrez joindre au compte rendu de la présente réunion.

Mme Josette Brosselin - Grâce à la présentation de Madame Bernaud-Pau, vous avez pu comprendre le rôle joué par Dexia Crédit Local au niveau des collectivités locales.

En ce qui me concerne, je suis Directrice régionale de Dexia Crédit Local pour les départements de la Savoie et de la Haute-Savoie. L'agence est située à Annecy. Je rappelle que notre rôle de partenariat avec les collectivités a commencé en 1989. L'agence d'Annecy est la première à avoir été délocalisée. J'ajoute que je suis moi-même issue des collectivités locales puisque j'y ai travaillé pendant 15 années.

L'agence d'Annecy dispose d'environ 50 % - 60 % d'encours sur les collectivités locales, ce qui est supérieur à la moyenne nationale (40 %).

Notre encours de dette est actuellement de 1,5 milliard d'euros avec 700 clients.

Nous sommes un banquier de référence pour les collectivités de montagne.

Je signale que des petites communes comme Tignes et Val d'Isère sont classées dans les communes de moins de 2 000 habitants alors qu'il s'agit de collectivités dont les budgets sont comparables à ceux des villes de 20 000 à 40 000 habitants.

Nous avons eu un rôle de partenariat et je me plais à dire que nous sommes « le banquier des bons et des mauvais jours ». En effet, nous ne sommes pas de simples distributeurs d'argent.

Nous avons beaucoup accompagné les collectivités locales dans les montages financiers et dans l'analyse de risques. Nous les avons également aidées à se professionnaliser en termes de financement dans les analyses financières prospectives.

Nous avons aussi beaucoup contribué à l'élaboration de leurs montages juridiques.

Enfin, nous avons joué un rôle de chef de file vis-à-vis des organismes bancaires et de « facilitateur » auprès des services de l'Etat. En effet, l'aspect financier est devenu très important. Notre positionnement très proche de tous ces institutionnels a eu pour conséquence de rechercher des solutions pérennes pour les collectivités lorsque des heurts avaient lieu, soit avec le Trésor, soit avec les services de l'Etat.

Pour terminer, je dirai que dans la mesure où la Caisse des Dépôts détient 7 % du capital de Dexia, nous avons de fait une connotation d'intérêt public. Cet aspect est très important pour ce qui concerne le montage financier en zone de montagne.

S'agissant de votre deuxième question relative au bilan de ces dix dernières années, je dirai que les années 1989-1990-1991 ont été marquées par une crise importante. En effet, la neige n'était pas au rendez-vous. Cette crise du « manque de neige » a révélé un certain nombre de problèmes structurels liés à ces collectivités, supports de stations.

Au cours de la période 1980-1990, les investissements sont très capitalistiques : un euro investi à l'époque ne rapporte que 15 centimes d'euros de recettes. Il n'y avait jamais d'autofinancement dans ce type de montage. On investissait, on équipait les domaines skiables, on réalisait des offices du tourisme et autres, sans véritablement analyser sérieusement la portée de ces équipements et leurs effets induits sur les budgets des collectivités locales. Il n'y avait pas de provisions pour risques, ni pour le manque de neige, ni pour des contentieux éventuels. Il est vrai que la comptabilité de l'époque n'incitait guère à ce type de provisions et d'analyse. La comptabilité M 14, malgré ses imperfections, a tout de même apporté des règles prudentielles.

A ce titre, je souhaiterais évoquer le cas de la commune de Saint Gervais qui avait un contentieux avec la ville de Megève pour des problèmes de domaine skiable. La commune de Saint Gervais a été condamnée il y a trois ans à verser 75 millions de francs à la ville de Megève. Aucune provision n'avait été constituée par la commune de Saint Gervais. De plus, l'analyse qui avait été faite de ce contentieux portait davantage sur 30 millions de francs. Nous étions donc bien loin des 75 millions de francs !

Aujourd'hui, la comptabilité nous permet d'avoir une meilleure analyse. Auparavant, le recours à un financement en crédit-bail notamment ne figurait pas dans les bilans des collectivités tout comme la gestion de trésorerie (ouverture de ligne de crédit).

Il n'existait pas non plus d'analyse globale au niveau des financements et des organismes satellites, d'où la difficulté à appréhender les risques liés la collectivité locale.

Cette crise du « manque de neige » a donc révélé un certain nombre de dysfonctionnements et certaines collectivités se sont retrouvées en cessation de paiement avec un endettement important et une marge de manoeuvre réduite, des relations conflictuelles avec les exploitants, des concessionnaires qui se retournent vers la collectivité, la SEM qui ne paie pas sa redevance, etc.

Tout cela a provoqué en définitive une hausse de la fiscalité et un retour sur les banquiers dans la mesure où l'endettement était tout de même important. A l'époque, Dexia était peu présent au niveau des collectivités supports de stations. Cela était dû au fait que les financements étaient encore largement administrés.

Ceci étant, fidèles à notre mission de partenariat et d'accompagnement, nous avons organisé des plans de redressement (plan de prospectives budgétaires, plan d'allongement de la dette, etc.). J'ajoute que nous avons également incité les services de l'Etat (Trésor, Préfecture) à collaborer pour établir des plans prospectifs financiers durables.

Les Jeux Olympiques d'Albertville ont aussi révélé un certain nombre de dysfonctionnements qui n'étaient d'ailleurs pas forcément liés à l'événement sportif en lui-même. Le cas le plus médiatique a été celui de Bride-les-Bains.

A partir de ce constat, nous avons essayé de mettre en place une analyse du risque « montagne ». Pour ce faire, nous avons élaboré une fiche avec un certain nombre de critères voire de « clignotants ». Nous avions en effet l'impression que les collectivités n'avaient pas cette notion d'analyse globale de leur activité « montagne » en été comme en hiver.

Nous avons alors identifié le mode d'exploitation (régie directe, SEM, société privée). Il faut savoir qu'en fonction du mode d'exploitation, les risques sont plus ou moins importants.

Nous avons également analysé l'endettement des collectivités par rapport au chiffre d'affaires ainsi que la consolidation de leurs budgets.

En outre, nous avons analysé les bilans des SEM et des régies ainsi que la structure fiscale des collectivités.

Enfin, nous avons observé le devenir de la station, son altitude, ses équipements (son parc de remontées mécaniques est-il bien étudié et rationnel ?).

En définitive, nous avons mis en place tout un ensemble de « clignotants » pour l'étude de ces collectivités.

M. Pierre Hérisson - Je souhaiterais poser deux questions. La première s'adresse à Madame Brosselin. Compte tenu de votre présentation, voyez-vous un intérêt à ce que nous engagions des obligations à caractère administratif plus précises ? Compte tenu du particularisme du budget des communes de montagne, en particulier pour celles qui ne sont pas soumises aux obligations de dotations aux amortissements, voyez-vous un intérêt à ce que nous rendions obligatoires des pièces annexes du budget qui constitueraient une analyse des activités à caractère industriel et commercial avec l'obligation d'un rapport annuel qui permettrait d'éviter des périodes trop longues de dérive qui passeraient inaperçues soit parce que la collectivité ne fait pas appel à l'emprunt, soit parce que la Chambre Régionale des Comptes n'est pas présente de manière constante et permanente ?

En zone de montagne plus qu'ailleurs, il faut savoir qu'il y a systématiquement des activités à caractère industriel et commercial portées par des collectivités qui n'ont pas les obligations des communes de plus de 3 500 habitants.

Pour ma part, je souhaiterais que l'on renforce les obligations de fourniture de renseignement et d'analyse qui constitueraient ainsi des pièces annexes du dossier.

Ma deuxième question s'adresse à Madame Bernaud-Pau. Je souhaiterais savoir si au sein de votre établissement vous partagez l'idée selon laquelle le Crédit Communal de Belgique et le Crédit Local de France pourraient devenir prochainement plus que des partenaires pour faire partie en définitive du groupe La Poste.

Mme Josette Brosselin - S'agissant de votre première question, vous souhaitez en fait imposer aux collectivités de moins de 3 500 habitants l'obligation de fournir des pièces annexes.

La M 14 rend effectivement obligatoire la production de ces pièces annexes.

Il faut savoir que la plupart des collectivités de stations de montagne produisent déjà ces pièces annexes.

Toutes les collectivités qui ont comme exploitation une SEM ou un partenaire privé sont dans l'obligation de produire en annexe de leurs budgets l'analyse de la SEM ou du partenaire privé.

Se pose également le problème des régies directes que l'on retrouve d'ailleurs davantage au niveau du Massif Central qu'en Savoie ou en Haute-Savoie.

S'agissant des régies, les services de l'Etat effectuent bien un contrôle a posteriori , mais il n'existe en réalité aucune « solution miracle ». Si une régie ne fonctionne pas et que l'on mutualise le risque au niveau d'une collectivité via des subventions, cela revient en définitive à se poser la question du maintien de l'activité économique. Tout cela relève davantage d'un problème de politique et d'aménagement du territoire à mon sens.

Mme Béatrice Bernaud-Pau - S'agissant de votre seconde question, j'ai noté votre intervention comme une porte ouverte. Je n'ai rien préparé à ce sujet dans la mesure où le thème de votre question déborde très largement du cadre de la mission « montagne ».

Je pense que l'on ne peut être qu'intéressé par ce type de réflexion, mais j'avoue qu'il ne m'appartient pas de me prononcer au nom de Dexia.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous propose de revenir à présent sur les principaux points du questionnaire :

les dossiers UTN ;

le problème de la mise aux normes des remontées mécaniques ;

l'immobilier de loisir ;

la problématique régie-délégation de service public et le problème de l'achèvement des concessions.

Mme Josette Brosselin - Les dossiers UTN ont souvent été élaborés sans avis financier. Ceci étant, depuis 1989 chaque fois qu'une collectivité a monté un dossier UTN, l'agence DEXIA d'Annecy a été associée afin d'étudier la faisabilité de l'opération.

Les dossiers UTN sont des montages difficiles à mettre en oeuvre et très coûteux. Ils nécessitent de nombreuses études qui font appel à une multitude de bureaux d'études.

En outre, il faut savoir que le coût moyen d'un dossier UTN s'élève à 100 000 euros.

S'agissant de l'aspect financier, nous avons accompagné les collectivités en amont dans l'élaboration du bilan financier du projet UTN.

Auparavant, dès que le projet était réalisé, la collectivité avait toujours à supporter des dépenses supplémentaires. La fiscalité était donc assez mal appréciée et tous les équipements induits n'étaient pas correctement analysés.

A ce titre, la commune de Samoens (74) constitue un bon exemple. Cette commune était dans une situation extrêmement difficile avec un dossier UTN important puisqu'il s'agissait d'un gros porteur devant relier la commune au domaine de Flaine dont l'exploitant est la Compagnie des Alpes. Si l'équipement est pris en charge par l'exploitant, il n'empêche que la collectivité doit prendre en charge l'aménagement et l'emplacement de ce gros porteur. Dans la mesure où la commune de Samoens était dans une situation délicate, nous avons réalisé toute une étude ainsi qu'un plan prospectif budgétaire. Nous avons également joué un rôle de « facilitateur » auprès du sous-Préfet et des services du Trésor, afin d'établir un budget prospectif équilibré..

Pour ma part, je souhaiterais que les nouveaux dossiers UTN soient animés par un Comité de suivi qui réunirait les différents partenaires de l'Etat, du Trésor, des banques, etc. Cela permettrait aux collectivités d'avoir des montages équilibrés, avec des analyses de risques en amont.

M. Jean-Paul Amoudry - Quid des vérifications V1, V2, V3 et du renouvellement ?

Mme Josette Brosselin - Nous avons constaté que l'ensemble des domaines skiables était suréquipé en remontées mécaniques.

On a construit beaucoup de téléskis et de télésièges, de gros porteurs. L'aspect sécurité est devenu très important dans les stations et on a plutôt tendance aujourd'hui à remplacer deux téléskis par un télésiège.

Il existe également un aspect de rentabilité très important dans la mesure où les exploitants peuvent dorénavant identifier de manière très précise l'utilisation du domaine skiable.

En définitive, on observe une rentabilité meilleure et une sécurité accrue.

Les vérifications V1, V2, V3 sont le fait de la DDE qui dispose d'un plan annuel de vérification pour chacun des domaines skiables. Je précise qu'il s'agit ici de vérifications obligatoires. Les collectivités ont tellement eu le souci de la sécurité que ces vérifications ont été parfaitement réalisées.

Je constate aujourd'hui que les vérifications sont surtout de type V3 (= grosses vérifications).

A titre d'exemple, la commune de Chatel avait récemment une vérification de type V3 à réaliser, mais elle a décidé de ne pas procéder à cette vérification et de construire un nouveau télésiège à un endroit différent.

En définitive, toutes les vérifications ont été correctement réalisées en raison d'un souci de sécurité. Par ailleurs, les grosses vérifications (type V3) procèdent d'une nouvelle approche d'utilisation du domaine skiable.

M. Jean-Paul Amoudry - Il va de soi que vous intervenez pour le financement de ces opérations.

Mme Josette Brosselin - Nous vérifions la marge de manoeuvre fiscale, donc la capacité financière de la collectivité. Aura-t-elle les moyens de rembourser les sommes induites ?

Nous essayons également de mettre en place une gestion financière plus fine. Pour ce faire, nous examinons le stock de dette de la collectivité. Les collectivités supports de montagne ont en effet beaucoup investi dans les années 1980-1990 et le déstockage de dette est donc très important. Cela leur permet notamment de réaliser de nouveaux investissements.

Par ailleurs, on a aussi demandé aux collectivités de gérer au plus près leur trésorerie et de trouver des échéances de prêts adéquates.

Enfin, nous les avons incitées à trouver le juste équilibre entre l'amortissement technique et l'amortissement financier.

M. Jean-Paul Amoudry - Qu'en est-il de l'arrivée à terme des contrats de concession dans le cadre des délégations de service public ? Etes-vous par ailleurs financier de sociétés privées concessionnaires de service public ?

Mme Josette Brosselin - Les concessions de service public ne constituent pas notre domaine de financement, même si les collectivités nous parlent beaucoup de l'aspect juridique et financier.

La délégation de service public a permis aux collectivités de mieux appréhender leur exploitation, mais nous nous heurtons au fait que les collectivités supports de stations de montagne ont des difficultés à élaborer leur cahier des charges et à analyser les offres. Je pense d'ailleurs qu'un organisme départemental devrait aider ces différentes collectivités à élaborer leur cahier des charges et à analyser les différentes offres.

Les petits domaines skiables passent de plus en plus par de grands opérateurs qui disposent d'un certain savoir-faire sur la gestion globale d'une station de montagne. Les petites collectivités auront par conséquent du mal à survivre.

Je considère ici que la relation de pouvoir est déséquilibrée. En effet, tout d'abord, les collectivités sont publiques alors que les opérateurs sont privés. Par ailleurs, les exploitants ont un pouvoir très important sur les collectivités et disposent de moyens humains et juridiques que les collectivités n'ont pas. Il convient par conséquent d'aider les collectivités.

S'agissant des fins de concession, le problème se situe en fait à l'intérieur même des collectivités. Le cas de la Clusaz est explicite à ce sujet. En effet, il s'agit d'un domaine skiable dont une partie appartient à des acteurs privés. Ceux-ci ne comprendront jamais que leur part passe en DSP (Délégation de Service Public) et que leurs remontées mécaniques soient confiées à un opérateur privé. Ces incompréhensions ne manquent pas de poser d'énormes problèmes au sein même des collectivités supports de stations.

Enfin, j'ajoute que Dexia finance des sociétés privées concessionnaires de service public.

M. Jean-Paul Amoudry - Ressentez-vous une baisse de l'investissement des délégataires de service public ? A la veille de l'achèvement de la concession, remarquez-vous une baisse de la qualité du travail du concessionnaire ?

Mme Josette Brosselin - Au niveau des départements de la Savoie et de la Haute-Savoie, je n'ai pas cette impression. Les conséquences de la fin de la concession ne me semblent pas aussi importantes.

M. Jean-Paul Amoudry - En raison du manque de temps, vous aurez la bonté de nous transmettre une note écrite au sujet de l'immobilier de loisir.

Mme Josette Brosselin - C'est entendu.

M. Jean-Paul Amoudry - Quelles sont les relations entre Dexia et la Compagnie des Alpes qui est très présente sur le massif alpin ?

Mme Josette Brosselin - Dexia n'a rien à voir avec la Compagnie des Alpes. La Compagnie des Alpes est une filiale de la Caisse des Dépôts.

Dexia est seulement un financeur de la Compagnie des Alpes au même titre que d'autres exploitants.

M. Jean-Paul Amoudry - Avez-vous le sentiment que les collectivités redoutent la volonté « hégémonique » de la Compagnie des Alpes ?

Mme Josette Brosselin - Certaines collectivités craignent effectivement le caractère « hégémonique » de la Compagnie des Alpes. De façon plus générale, je dirai que les collectivités craignent tous les gros opérateurs. En même temps, il faut savoir que certaines collectivités n'ont plus les moyens humains, juridiques et financiers de gérer leur domaine skiable. De fait, un gestionnaire de taille importante peut être le « bienvenu ».

M. Jean-Paul Amoudry - Votre rôle de « facilitateur » s'applique-t-il dans la relation entre les collectivités et la Chambre Régionale des Comptes ?

Mme Josette Brosselin - En ce qui concerne les deux Savoie, nous avons eu à jouer ce rôle après les Jeux Olympiques d'Albertville pour les villes de Bride-les-Bains et des Saisies par exemple.

La Chambre Régionale des Comptes nous avait consultés à l'époque car les dossiers étaient difficiles. Aujourd'hui, on ne note plus de dossier complexe relatif à la montagne.

En 1992, nous avions des montants d'impayés très importants. Nos collègues de la Caisse d'Epargne et du Crédit Agricole étaient dans le même cas. Nous avons alors réalisé un travail très constructif avec la Chambre Régionale des Comptes.

Aujourd'hui, cette relation n'existe plus parce qu'il n'y a plus de problème.

M. Jean-Paul Amoudry - Je crois que nous allons arrêter ici nos échanges car le temps imparti est écoulé, mais je retiens qu'il n'y a plus de problème et que la situation financière de toutes nos collectivités est plutôt saine ou assainie.

Mme Josette Brosselin - La situation des collectivités est bien meilleure qu'il y a dix ans car ces dernières ont appris à gérer leur budget. Dexia les a d'ailleurs beaucoup aidées dans ce sens.

J'ajoute que le domaine est en bon état et que le déstockage de dette permet aux collectivités de relancer leurs investissements, notamment publics.

En définitive, je souhaite que les collectivités aient une approche à plus long terme et qu'elles mettent en place des projets de développement durable.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie. Vous serez aimable de nous communiquer une note écrite sur l'immobilier de loisir.

44. Audition de Mme Martine Laquieze, adjoint au sous-directeur des finances locales et de l'action économique au ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure, et des libertés locales accompagnée de M. Guillaume Chabert, chef du bureau des concours financiers de l'Etat (17 juillet 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Nous accueillons Madame Martine Laquieze qui est adjointe au sous-Directeur des finances locales et de l'action économique au Ministère de l'Intérieur, de la Sécurité Intérieure et des Libertés Locales ainsi que Monsieur Guillaume Chabert, chef du bureau des concours financiers de l'Etat.

Je vous prie d'excuser un certain nombre de mes collègues, membres de la mission d'information sur la montagne, retenus ce matin soit dans le cadre de leur terre d'élection (c'est le cas de Monsieur Blanc), soit dans le cadre des commissions. Vous savez en effet que le mercredi matin est le moment privilégié de réunion de toutes les commissions du Sénat.

En tout état de cause, sachez que votre travail de réflexion sera retenu et consigné dans le cadre de cette mission d'information sur la montagne.

D'ores et déjà, je tiens à vous remercier de votre apport et de votre contribution à nos travaux.

Si vous me le permettez, je souhaiterais dire à présent quelques mots sur le sens de cette mission. Le Sénat a souhaité profiter de la phase électorale pour travailler sur un bilan de la politique de la montagne à partir de la loi de 1985 et des textes qui sont intervenus par la suite (lois d'orientation, lois d'aménagement, loi forestière, lois sur l'urbanisme, etc.).

Concernant la montagne, nous avons donc tout un dispositif conséquent de textes et de normes y compris européennes.

Notre mission est de dresser un bilan de cette politique de la montagne et d'y apporter, lorsque cela s'avère nécessaire, des propositions de corrections et d'orientations nouvelles dans un certain nombre de domaines.

Sans plus tarder, je vous laisse la parole en espérant que vous pourrez répondre à l'ensemble des interrogations que nous avons émises.

Mme Martine Laquieze - Merci Monsieur le Président.

Au préalable, je vous indique que nous avons réalisé un document de réponses à vos questions. Nous vous le remettrons en fin de séance.

S'agissant de la présentation générale de la situation des collectivités locales de montagne, je prendrai dans un premier temps la parole, puis je la céderai à Monsieur Chabert qui est le grand spécialiste des dotations de l'Etat aux collectivités locales.

S'agissant de la présentation des collectivités de montagne, je rappellerai en premier lieu que les communes sont classées en « communes de montagne » en fonction d'un certain nombre de critères qui s'inspirent en réalité des critères fixés par la directive européenne du 28 avril 1975 :

l'altitude (un seuil mimimum de 600 mètres fixé pour le massif vosgien ; un seuil maximum de 800 mètres fixé pour les montagnes méditerranéennes) ;

une proportion importante du territoire affectée par une déclivité supérieure à 20 %.

L'analyse que nous avons réalisée a exclusivement porté sur des communes de moins de 10 000 habitants.

L'ensemble des communes de montagne de moins de 10 000 habitants représente 10 % de la population totale des communes de moins de 10 000 habitants.

Ces chiffres portent exclusivement sur des communes de montagne.

La situation de ces communes est très différente selon qu'il s'agit de stations touristiques de sport d'hiver ou de communes de montagne classiques.

Pour les communes touristiques (stations de sport d'hiver), la moyenne de dépense de fonctionnement s'élève à 3 000 euros par habitant contre 1 000 euros pour les communes non touristiques. C'est dire l'écart de situation entre les deux catégories de communes !

L'écart est moins sensible pour ce qui est des dépenses d'investissement prises dans leur masse globale (dépenses d'équipement + remboursement de la dette). Ces dépenses représentent 42 % du montant total des dépenses dans les communes touristiques contre 44 % pour les communes non touristiques.

En revanche, on observe que les dépenses d'équipement brutes représentent une part moins importante dans les communes touristiques que dans les communes non touristiques. En effet, dans les stations de sport d'hiver, les dépenses d'équipement brutes représentent 60 % des dépenses d'investissement totales alors qu'elles en représentent 77 % dans les communes non touristiques.

Ces résultats révèlent que la majeure partie des dépenses d'équipement sont achevées dans les communes de stations de sport d'hiver. L'essentiel du budget d'investissement est désormais constitué par le remboursement de la dette dont le poids est très important.

La situation est donc contrastée entre les stations de sport d'hiver et les communes non touristiques. Le poids de la dette est relativement conséquent pour les stations de sport d'hiver.

Au niveau des recettes, le potentiel fiscal par habitant est sensiblement plus élevé dans les stations de sport d'hiver : 500 euros contre 370 euros dans les communes non touristiques.

Compte tenu des charges d'emprunt et des dépenses de fonctionnement assez élevées, le coefficient de mobilisation du potentiel fiscal est bien plus important dans les stations de sport d'hiver que dans les communes de montagne non touristiques. Elles sont en effet obligées de puiser davantage dans leur fiscalité pour faire face à des charges tant en équipement qu'en fonctionnement. De fait, elles sont contraintes de mobiliser davantage leur potentiel fiscal même si celui-ci est plus élevé : 93 % contre 67 % dans les autres communes de montagne.

M. Jean-Paul Amoudry - Qu'en est-il par rapport à la moyenne des communes de moins de 10 000 habitants ?

Mme Martine Laquieze - Les communes de montagne non touristiques restent relativement proches des communes classiques de moins de 10 000 habitants.

Par contre, les communes de montagne touristiques ont un niveau de dépenses en fonctionnement et en investissement bien plus important en raison du poids de la dette. Par ailleurs, on note également une très forte mobilisation du potentiel fiscal.

Ainsi, pour l'ensemble des communes de moins de 10 000 habitants, le coefficient de mobilisation du potentiel fiscal est de 69 %.

Pour l'ensemble des communes de montagne non touristiques, ce coefficient de mobilisation du potentiel fiscal est de 67 %.

Dans les stations de sport d'hiver, ce coefficient de mobilisation du potentiel fiscal passe à 93,5 %.

M. Jean-Paul Amoudry - Il existe donc peu de différence entre l'ensemble des communes de moins de 10 000 habitants et les communes de montagne non touristiques.

En réalité, c'est le fait touristique qui crée une différence importante.

Mme Martine Laquieze - Le poids des équipements nécessaires pour équiper les stations de sport d'hiver est à noter.

A présent, ce poids se reflète moins dans le niveau des dépenses d'équipement brutes que dans le service de la dette qui induit une rigidité assez forte de ces budgets.

M. Guillaume Chabert - Pour être tout à fait précis, nous distinguons les communes touristiques classées « stations de sport d'hiver », les communes touristiques non stations de sport d'hiver et les communes non touristiques.

La distinction porte essentiellement sur l'aspect « sport d'hiver » des communes de montagne.

Mme Martine Laquieze - Je cède à présent la parole à Monsieur Chabert qui va vous parler des dotations.

M. Guillaume Chabert - Je souhaiterais revenir sur la présentation générale qui vient d'être faite. Il faut savoir que la liste des communes de montagne évolue chaque année. En 1976, on comptait 5 532 communes classées en zone de montagne. En 1999, on en comptait 5 809 et en 2002, 6 172. Cette progression régulière peut paraître surprenante. Elle est due au fait que peuvent être classées en zone de montagne, des communes qui ne respectent pas des critères d'altitude, mais dont l'économie est suffisamment liée à des communes limitrophes elles-mêmes classées en zone de montagne, pour qu'elles puissent bénéficier de la même appellation. Cette liste est tenue à jour par le CEMAGREF. C'est donc le Ministère de l'Agriculture qui gère en définitive la liste des communes de montagne.

Cette évolution de la liste impacte les dotations de l'Etat aux collectivités locales dans la mesure où le classement en zone de montagne induit un certain nombre de majorations de dotations notamment au travers de la voirie. En effet, beaucoup de dotations de l'Etat aux collectivités locales, qu'il s'agisse des communes ou des départements, prennent en compte la voirie. La plupart du temps, celle-ci est majorée d'un coefficient de 1,3 lorsqu'elle est située en zone de montagne afin de tenir compte de la spécificité de ces communes.

S'agissant des dotations, le financement de la DFM (Dotation de Fonctionnement Minimale) ne garantit pas actuellement une stabilité voire une progression de la dotation puisque le financement est tripartite : une partie de la DFM est financée par un prélèvement sur la masse totale de la DGF des départements, une seconde partie provient d'un prélèvement sur la région Ile-de-France dont la DGF est amenée à disparaître, une dernière partie provient d'un prélèvement sur la DGF des départements qui sont plus riches que la moyenne.

Par ailleurs, les caractéristiques de la DFM ont pour conséquence de la cibler sur les départements ruraux, et pas nécessairement sur les départements ruraux de montagne.

En 2002 (comme en 2001 et en 2000), 24 départements sont éligibles à la DFM. Ces 24 départements sont tous ruraux.

Pour être éligible à la DFM, il faut soit avoir un potentiel fiscal par habitant inférieur de 40 % à la moyenne, soit avoir un potentiel fiscal ramené à la superficie inférieur de 60 % à la moyenne des départements.

Ces conditions ont pour conséquence de faire bénéficier la DFM aux départements ruraux. Ceci a conduit en 1999 et en 2001 à ce qu'une certaine pression soit exercée en vue de l'élargissement de la DFM aux départements urbains. L'idée avait été soulevée au Parlement que la DFM actuelle soit prolongée par une part plus spécifiquement ciblée vers les départements urbains, c'est-à-dire prenant en compte les charges sociales qui sont plus spécifiques au monde urbain.

Le rapport sur les finances locales qui a été remis en mars 2002 inclut un assez long développement sur la DFM, sur son financement et ses attributions.

S'agissant de son financement, le rapport projette de remplacer le financement actuel tripartite par un système similaire à celui préconisé pour les dotations de péréquation communales, c'est-à-dire un système où la DGF des départements serait séparée en plusieurs parts dont une part de péréquation de solidarité interdépartementale qui bénéficierait d'un socle l'année de la réforme et qui serait alimentée ensuite au travers d'une clé de répartition de l'augmentation de la masse entre la part forfaitaire et la part de solidarité.

Il s'agit d'un mécanisme très semblable à celui institué pour les communes. Au lieu de recalculer chaque année les prélèvements, on aurait un socle et une indexation annuelle qui garantit une progression de cette dotation.

S'agissant de la répartition de la dotation, l'idée contenue dans le rapport consistait à adjoindre à la DFM actuelle ciblée sur le monde rural, une part plus spécifiquement tournée vers les départements urbains et prenant en compte des indicateurs de charge tels que le nombre de bénéficiaires d'aide au logement, le nombre de logements sociaux, etc.

Avec le changement de Gouvernement, le rapport doit être à présent considéré comme une piste de travail possible.

S'agissant de votre troisième question, le potentiel fiscal superficiaire est un indicateur assez pertinent eu égard au monde rural. Les départements ruraux n'ont pas forcément une superficie plus étendue que les départements urbains. Or ils doivent assurer des charges sur l'ensemble du territoire là où les départements caractérisés par la présence de villes n'ont pas à assumer ces charges sur une étendue aussi importante.

Le potentiel fiscal superficiaire permet de tenir compte de cette spécificité du monde rural. Il intervient à la fois au niveau des communes dans la dotation de solidarité rurale et au niveau des départements au travers de la DFM.

Il n'est pas envisagé de supprimer ce critère dans la mesure où il nous semble assez pertinent pour mesurer les charges du monde rural.

Mme Martine Laquieze - Je précise que le potentiel fiscal superficiaire est lié à la densité de la population. Plus il est faible, plus on prend en compte la situation des départements peu peuplés, c'est-à-dire ruraux.

M. Guillaume Chabert - Nous nous proposons de remettre à la mission un document de réponses écrites aux questions qui nous ont été posées.

Nous nous proposons également de vous transmettre un document qui fait le point sur la prise en compte au sein des dotations de l'Etat des particularités des zones de montagne.

En réalité, un grand nombre de dotations prennent en compte les spécificités du monde rural : la DFM ; la DSR au travers notamment du doublement de la voirie lorsqu'elle est située en zone de montagne ; la DDR (Dotation de Développement Rural) qui consiste à attribuer à chaque Préfet une enveloppe de subventions dont peuvent bénéficier les communautés de communes rurales, il s'agit ici de subventions sur projets ; par ailleurs, la répartition de ces enveloppes de subventions entre les départements tient fortement compte de la présence ou non de zone de montagne dans la mesure où une des composantes de la répartition est le nombre d'EPCI susceptibles de bénéficier de ces subventions ainsi que le nombre de communes relevant de ces EPCI. Or lorsque les communes sont situées en zone de montagne, le nombre d'EPCI est doublé forfaitairement. Quand plus de la moitié des communes d'un EPCI sont situées en zone de montagne, on double le nombre d'EPCI concernés. En définitive, les enveloppes départementales de subventions de DDR qui sont allouées à chaque Préfet tiennent assez compte de la situation des montagnes.

Il en est de même pour la dotation globale d'équipement des communes. Ici, ce sont des subventions sur projets qui bénéficient aux communes ou au groupement de communes. Les enveloppes départementales de subventions tiennent compte de la situation de montagne puisque la voirie, qui est un des critères pris en compte pour la répartition des enveloppes entre les départements, est doublée pour les zones de montagne.

En conclusion, plusieurs dispositifs existent et permettent de tenir compte de ces spécificités.

J'ajoute que depuis cette année, les communautés de communes à taxe professionnelle unique qui bénéficient d'une majoration de DGF (compte tenu de leur fort degré d'intégration), qui ont moins de 3 500 habitants et qui sont situées en ZRR de montagne (Zone de Revitalisation Rurale) sont également éligibles.

Pour répondre à votre cinquième question, je dirai que des écarts existent effectivement entre les dotations moyennes qui servent de base à la répartition de la DGF entre les différentes catégories d'EPCI. Toutefois, ces écarts semblent justifiés car le degré d'intégration d'une communauté urbaine est sans comparaison avec celui d'une communauté de communes à fiscalité additionnelle. Par ailleurs, il apparaît que les charges ramenées à l'habitant croissent en fonction de la population. Tel est le résultat des études économétriques qui ont été menées et dont on peut contester la méthodologie dans la mesure où le problème réside dans ce que l'on qualifie de « charges » au niveau du calcul. Il semblerait néanmoins que les charges en milieu urbain soient plus importantes qu'en milieu rural, ce qui historiquement justifiait que la DGF des communes soit croissante en fonction de la population. Il a été mis fin à ce dispositif depuis la forfaitisation de la DGF des communes en 1994, néanmoins cette forfaitisation a gelé en réalité les écarts de dotation qui existaient avant la réforme. Actuellement, on maintient donc encore un différentiel de dotation ramenée à l'habitant entre les zones rurales et les zones urbaines car les charges ramenées à l'habitant croissent en parallèle.

Il est envisageable de réduire éventuellement les écarts entre les communautés de communes à fiscalité additionnelle et les communautés urbaines, mais un système de stricte égalité entre les catégories semble difficile à mettre en oeuvre.

En effet, les communautés urbaines sont beaucoup plus intégrées que les communautés de communes à fiscalité additionnelle même si l'on note un certain nombre de cas particuliers (certaines communautés de communes à fiscalité additionnelle ont ainsi une dotation par habitant qui est supérieure à celle des communautés urbaines).

En moyenne, les communautés de communes à fiscalité additionnelle exercent quand même moins de compétences au niveau intercommunal que les communautés urbaines. Les écarts sont peut-être excessifs et pourraient être réduits le cas échéant, mais parvenir à un système strictement égalitaire entre les différentes catégories serait très problématique.

S'agissant de votre dernière question, les critères qui ont été fixés par les différentes lois (de 1995 et de 1997) sont tels que même si les bourgs-centres ne sont pas formellement exclus du dispositif, en pratique ce sont les zones peu peuplées qui sont concernées par les ZRR.

Pour ce qui nous concerne, les bourgs-centres sont des communes qui sont soumises à des charges de centralité. Il s'agit de compenser ces charges d'animation de l'espace rural qu'assurent les bourgs-centres. C'est ce que fait la DSR (Dotation de Solidarité Rurale) dont une partie est attribuée spécifiquement aux bourgs-centres afin de tenir compte de leurs charges propres ; mais il nous semble que la problématique des bourgs-centres est davantage celle d'une charge de centralité.

De ce point de vue, la logique de compensation des charges de centralité correspond davantage à la problématique propre des bourgs-centres.

M. Jean-Paul Amoudry - Ma question concerne les chalets de montagne à vocation agricole. Il se trouve qu'en montagne, ces chalets sont soumis à des obligations de travaux de rénovation et de mise aux normes qui concernent aussi bien le gros oeuvre et les locaux de fabrication du produit (le fromage en l'occurrence) que l'habitat de la famille du berger. Il s'agit en définitive d'opérations assez lourdes qui, lorsqu'elles sont exécutées par des collectivités propriétaires du chalet, représentent des engagements financiers importants et difficiles à supporter.

J'ai pu constater que dans certains départements, la faculté prévue par la loi de rembourser la TVA aux communes dans le cadre du FCTVA avait été interprétée de façon extrêmement restrictive, les Préfets interdisant notamment, sur instruction de l'Administration centrale, le remboursement de la TVA.

Il s'agit ici d'une très mauvaise nouvelle pour les collectivités.

En tant que parlementaire, j'ai posé plusieurs amendements et je me suis heurté à la réponse suivante : puisque ces travaux sont destinés in fine à un acte commercial à travers la vente du produit fromager dans le circuit commercial, la TVA doit être remboursée au titre des régimes du droit commun. Or le droit commun suppose la création d'un budget annexe, ce que doit admettre l'Administration. En définitive, nous sommes dans un système « kafkaïen ».

J'ajoute que dans certains départements que j'ai visités récemment, le Préfet accepte le remboursement de TVA.

Il serait bon que vous puissiez à l'avenir répondre à cette problématique.

Je termine mon intervention en disant que les quelques dizaines de kilos de fromage qui sont produits pendant l'été constituent, au niveau commercial, un revenu agricole de bien faible niveau qui est loin de payer à la commune un loyer conséquent.

On doit admettre que le niveau de revenu de cet alpage dont le retour d'investissement est extrêmement lointain n'a pas grand-chose à voir avec une entreprise. C'est la raison pour laquelle je souhaiterais en définitive que le FCTVA soit alloué à la collectivité.

Ma deuxième question concerne le fait que nous ne savons toujours pas ce que « Natura 2000 » apportera comme aide aux collectivités qui ont à gérer et à entretenir des lieux d'habitat naturel extrêmement vastes. Dans ce domaine, il faut savoir que la collectivité ne bénéficie d'aucune aide. La proposition qui sera mentionnée dans notre rapport consiste à permettre à la collectivité de recevoir une aide de solidarité de l'Etat sous la forme d'une DGF ou d'une dotation superficiaire pour des collectivités de montagne qui ont des charges très particulières de gestion du milieu naturel.

Mme Martine Laquieze - S'agissant de votre première question, beaucoup de choses dépendent en fait du contexte dans lequel les collectivités effectuent ces travaux et des conditions dans lesquelles est réalisée la production. La réglementation FCTVA est précise en la matière : d'une part, une collectivité locale ne peut pas bénéficier de FCTVA pour des travaux qu'elle a réalisés sur un ouvrage qui n'entre pas dans son patrimoine, mais qui est mis à la disposition d'un tiers non éligible au fonds ; d'autre part, ne peuvent bénéficier du FCTVA que les travaux réalisés pour des investissements qui donneront lieu à une exploitation qui n'est pas elle-même assujettie à la TVA.

Ces deux règles se cumulent dans le cas que vous évoquez puisque j'ai cru comprendre que le montage classique s'apparentait à celui des ateliers-relais.

Lorsqu'une collectivité locale réalise un atelier-relais, c'est-à-dire un immeuble à vocation sinon industrielle du moins de production artisanale ou commerciale, la jurisprudence qualifie cette activité de service public avec les conséquences qui en découlent au regard du juge des litiges qui peuvent naître à l'occasion de ces contrats de location d'immeubles municipaux à des tiers.

La jurisprudence s'est en revanche bien gardée de ne qualifier cette activité ni d'industrielle, ni de commerciale, ni d'administrative, ce qui est fondamental eu égard au FCTVA.

La qualification n'est pas simple et une réflexion est actuellement menée au sein de la Direction générale des collectivités locales (cette réflexion concerne le haut débit, mais rejoint votre préoccupation : une collectivité prend en charge des coûts d'investissement de réalisation d'infrastructures et les met à disposition d'un tiers qui les utilise en vue d'une exploitation commerciale). Je précise immédiatement qu'un arrêt du Conseil d'Etat de 1920 prévoit que dans certains cas, lorsque les circonstances particulières de lieu le justifient, des activités commerciales peuvent être érigées en service public y compris en service public administratif (c'est ce que l'on a appelé le socialisme municipal). Il doit s'agir de services indispensables à la population en milieu rural qui justifient l'intervention de la puissance publique y compris dans des secteurs qui relèvent normalement d'une activité concurrentielle et qui permettent d'ériger ces services en services publics.

Il s'agit ici d'un principe reconnu à la fois par la jurisprudence et le droit positif.

Dans des circonstances particulières notamment en milieu rural où le maintien du service n'est pas rentable sur le plan économique, la qualification du service tend alors vers un service public administratif. Cela signifie que les investissements réalisés pour l'organisation de ce service peuvent être éligibles au FCTVA, ce qui explique que certains Préfets considèrent que les travaux effectués par les collectivités sont éligibles au FCTVA. En revanche, dans d'autres circonstances, le service sera davantage à caractère industriel et commercial car les conditions particulières de l'exploitation du service font état de l'existence d'un marché (ici les conditions du marché sont telles que les équipements réalisés par la collectivité locale peuvent être affectés à un service qui sera considéré comme industriel et commercial et pour lequel un prix peut être acquitté par l'usager). Dans ce cas, le service sera qualifié d'industriel et de commercial, ce qui naturellement lui retire tout bénéfice du FCTVA.

J'ajoute que la situation est inégale selon les circonstances de lieu, mais la qualification du service (service public administratif ou service industriel et commercial) dépend des conditions d'exploitation du service et de l'existence d'un marché plus ou moins solvable.

Il s'agit ici d'un premier élément de réponse, je ne prétends pas qu'il soit le seul.

M. Jean-Paul Amoudry - Dans deux cas tout à fait analogues, nous avons une vente de produits qui est nécessaire pour le berger et sa fonction de gestion des territoires communaux et publics. Or le traitement eu égard au FCTVA est différent selon les départements dans lesquels se trouvent ces deux bergers.

Que la République ne puisse pas assurer un égal traitement en différents endroits du territoire français, me paraît bien injuste.

Votre raisonnement d'ordre juridique est parfait, sauf que sur le plan de la vie quotidienne, on note un véritable problème.

Mme Martine Laquieze - Je rejoins tout à fait votre point de vue dans la mesure où la qualification de service public administratif ou de service industriel et commercial dépend des circonstances. Il peut exister des différences d'appréciation entre les départements dès lors que l'on est dans des classifications qui ne dépendent pas de critères rigoureusement fixés par des textes, mais de critères jurisprudentiels qui laissent une marge de manoeuvre au plan local qui elle-même peut parfois être erronée ou présenter des divergences que les circonstances ne justifient pas forcément.

M. Guillaume Chabert - Dans la mesure où il y a une part d'appréciation par l'Administration locale des faits d'espèces, il va falloir attendre longtemps avant d'obtenir une application uniforme des faits sur les 100 départements français, en dépit des circulaires qui peuvent être adressées par l'Administration centrale.

En outre, nous n'en sommes qu'au deuxième exercice pour les chalets d'alpage, c'est-à-dire au tout début de la phase d'harmonisation.

S'agissant de votre seconde question, la problématique est la même dans d'autres domaines.

Au préalable, je rappelle que pour les communes de montagne, la dotation forfaitaire reflète la situation historique d'avant la réforme de 1993. En effet, jusqu'à cette date, il existait une partie spécifique pour les communes de montagne qui permettait, notamment au titre de la fraction « voirie » de l'ancienne DGF, de majorer de 30 % leur dotation. Tout cela était figé au sein de la dotation forfaitaire et se répercute dans les dotations actuelles au titre de la dotation forfaitaire.

De manière plus générale, deux logiques sont possibles pour les dotations de l'Etat : soit on considère que les dotations de l'Etat doivent compenser tel et tel type de charges spécifiques des différentes communes (avec 36 700 communes, il est néanmoins difficile d'avoir une synthèse des charges susceptibles de peser sur les communes) ; soit on en revient à l'idée de globalisation des dotations. A trop aller dans la logique de prise en compte des spécificités de chaque commune, on pourrait, en caricaturant, en venir à une situation où l'Etat allouerait ou n'allouerait pas de dotation en fonction de ce qu'il considère comme devant être pris en charge par les communes.

Historiquement, la tendance jusqu'en 1993 a plutôt consisté à accroître les critères pour sérier davantage les problèmes spécifiques de chaque commune.

Depuis 1993, la tendance a plutôt été à une globalisation des dotations, même si l'on a noté une légère reprise des critères à la fin des années 1990.

Actuellement, l'orientation est plutôt à la simplification car on se rend compte que le système devient très difficile et très coûteux à gérer.

M. Jean-Paul Amoudry - Notre séance s'achève. Je vous remercie de votre participation.

Vous aurez la bonté de nous transmettre vos réponses écrites au questionnaire qui vous a été envoyé.

45. Audition de Maître Jacques Combret, notaire à Rodez, président de l'Institut d'études juridiques du Conseil supérieur du notariat (24 juillet 2002)

M. Jean Paul Amoudry - Maître Combret, Monsieur le Président de l'Institut d'études juridiques du Conseil supérieur du notariat, je suis heureux de vous accueillir au Sénat au nom de la Mission d'information sur la montagne, en vous remerciant de vous être déplacé à Paris et au Sénat pour apporter votre contribution à nos travaux. Avant de vous laisser la parole, je voudrais excuser le Président Jacques Blanc, ainsi que la plupart de mes collègues qui sont retenus dans d'autres Commissions de travail ce mercredi matin, chargées de l'examen de textes urgents qui nous sont soumis dans le cadre de l'agenda politique du gouvernement. Pour autant, je souhaite évidemment que certains collègues nous rejoignent. Je vous passe la parole en vous invitant à répondre à la grille de questions que nous vous avions envoyée à titre indicatif.

Auparavant, je rappelle que nous achevons pratiquement nos auditions aujourd'hui. Ces auditions avaient commencé au début du mois d'avril et leur objectif était, parallèlement aux visites de terrain effectuées dans différents massifs du pays, d'aboutir à une analyse de la façon dont les différents textes qui régissent la montagne ont été appliqués depuis le début des années 70, pour ce qui concerne la rénovation rurale, et depuis la loi du 9 janvier 1985, première loi d'aménagement du territoire. D'autres textes ont également été appliqués, dont la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU), les lois d'orientation sur les cultures et les forêts ou d'aménagement du territoire ; tous ces textes gouvernent notre montagne d'une façon un peu particulière, ce que ressentent les élus et les responsables locaux, troublés par leur complexité et les difficultés rencontrées. C'est pourquoi nous souhaitons identifier les problèmes et apporter des solutions, notamment en simplifiant les règles.

L'éclairage modeste que je vous propose d'apporter est celui d'un praticien vivant sur le terrain dans une région particulièrement concernée par les problèmes dits "de montagne".

Les notaires sont actuellement les seuls juristes encore présents sur la totalité du territoire français. Cette proximité permet au notariat d'être particulièrement sensibilisé aux difficultés de ces régions et donc d'apporter une contribution à votre réflexion.

Les zones de montagne connaissent d'un côté des difficultés rencontrées partout ailleurs en zone rurale mais qui se trouvent exacerbées en zone de montagne et d'autre part quelques difficultés propres à la montagne. Il est certain qu'un climat plus rude, une géographie chahutée avec des amplitudes d'altitudes importantes, un enclavement encore bien trop important ne font que rendre les conditions de vie plus difficiles en zone de montagne.

Comme convenu, je me limiterai à trois axes principaux: le premier autour de l'immobilier, le second autour des transmissions d'entreprises, et le dernier en matière d'aménagement du territoire et plus particulièrement du maintien et de l'implantation des professions libérales et indépendantes en zone de montagne.

Concernant l'immobilier, je souhaite évoquer les biens de section que l'on rencontre en grand nombre dans nos zones de montagne. Dans le cadre de ma pratique notariale, j'ai relevé à leur sujet plusieurs difficultés.

La première est souvent d'inventorier les biens de section. Il serait indispensable, si on doit maintenir la notion de biens de section, de réaliser un état des lieux par section.

Cela serait un préalable indispensable à la mise en oeuvre ensuite d'une politique de gestion des biens de section à vocation agricole.

Cela éviterait les flottements que l'on rencontre aujourd'hui.

On ne sait parfois plus qui exploite, en vertu de quel titre, et à quelles conditions. Il est de plus en plus difficile de faire référence aux usages locaux surtout dans les endroits où la baisse de la population a fait qu'il n'y a pratiquement plus personne pour transmettre ces usages locaux.

A ce sujet, il serait intéressant de s'interroger sur le suivi juridique de ces usages locaux.

Depuis combien d'années les recueils d'usages locaux n'ont-ils pas été réédités? Dans mon département, sauf erreur de ma part, la dernière édition remonte à presque un siècle. Qu'est-ce que cela représente lorsqu'il reste dans une section un ou deux agriculteurs, voire plus d'agriculteur ?

Cette remarque fait ressortir une seconde difficulté ressentie par la pratique notariale, à savoir dans de nombreux cas la difficulté de faire juridiquement fonctionner les biens de section et notamment les commissions syndicales. Tant qu'il ne reste plus qu'un ou deux habitants, comment faire fonctionner? Quand il y a une majorité d'habitants non-agriculteurs, notamment titulaires de résidences secondaires, comment faire raisonnablement fonctionner une section?

Cela amène très directement à se poser la question du maintien de la notion de biens de section dans de nombreuses communes. Ne faudrait-il pas encourager, dans de nombreux cas, la suppression des biens de section pour les intégrer dans le patrimoine communal?

Cette réflexion fait souvent peur car il y a la crainte de perdre des droits.

Mais il faut distinguer les droits d'exploitation qui pourraient parfaitement être préservés de la gestion des biens qui pourraient ressortir directement de la commune. Combien de dossiers traînent ou ne sont jamais réalisés parce que mettre en place une commission syndicale pour une toute petite chose est trop lourd pour une petite commune ? Les notaires font partie des praticiens qui considèrent que la lourdeur de toutes les procédures rattachées aux biens de section est souvent dissuasive pour faire bouger les choses.

Je proposerai de faire un recensement systématique dans chaque commune des biens de section. Ce recensement systématique devrait déterminer les utilisateurs actuels mais aussi déterminer des critères pour des utilisateurs potentiels nouveaux. Cela implique donc que chaque collectivité ou chaque commission syndicale détermine des priorités et par suite établisse systématiquement un cadre pour l'exploitation des biens de section: Qui pourrait être exploitant ? A quelles conditions ? ... Il faut que l'on en finisse avec l'à-peu-près, à-peu-près qui, à l'occasion de successions par exemple, ouvrant un vaste champ aux conflits familiaux ou de voisinages.

Deuxièmement, je souhaitais dire un mot des difficultés particulières attachées aux chemins ruraux en zone de montagne et plus particulièrement dans les secteurs à forte pente. Je pense, notamment dans ma région, à ce que l'on appelle les travers ou les "raspes" qui sont ces pentes extrêmement raides entre un plateau et une vallée profonde.

Les travers sont la plupart du temps aujourd'hui envahis par les taillis. Ils appartiennent très souvent à des propriétaires privés.

Mais les petites communes n'ont pas les moyens d'entretenir les chemins ruraux situés dans ces travers. Ces chemins souffrent plus qu'ailleurs des difficultés liées à la pente, au climat favorisant l'érosion. Ils deviennent vite inaccessibles.

Par suite, les terrains sont encore moins exploités qu'ailleurs et les propriétaires privés s'en désintéressent. On arrive donc en France à de véritables zones totalement abandonnées qui peuvent être, notamment dans nos régions, des foyers extraordinaires pour la propagation d'incendies en période de sécheresse.

Par suite, une politique forte de soutien des petites communes de zones de montagne, pour pouvoir entretenir, aménager ou rouvrir les chemins ruraux afin de faciliter l'accessibilité et l'entretien de ces zones difficiles, serait indispensable.

Elle permettrait peut-être alors à un certain nombre de propriétaires privés de s'intéresser à nouveau à des biens qu'ils ont abandonnés.

Cela m'amène à une autre réflexion issue de la récente loi sur la Corse. En Corse il y avait un gros problème au niveau de l'immobilier et des indivisions remontant à des générations, indivisions jamais régularisées.

On vient de décider de toute une politique destinée à encourager la régularisation des situations avec des délais pour réaliser et des avantages fiscaux importants, notamment en matière de réduction de droits de succession.

Je considère personnellement qu'il n'y a pas qu'en Corse que l'on rencontre ce type de difficultés.

Je puis attester que dans de nombreuses zones de montagne, et c'est le cas dans tout le Massif Central, il y a de plus en plus de propriétés immobilières qui ne sont pas transmises parce qu'elles n'ont plus de valeur, parce qu'elle sont inaccessibles, parce que parfois on ne sait même plus où elles sont.

Mon confrère Maître Pottier, Président du Conseil Général de la Lozère, m'avait communiqué une délibération du Conseil Général de la Lozère du 30 janvier 1995 où un conseiller général lozérien rappelait que dans beaucoup d'endroits où il y avait un grand morcellement et des zones à réaménager, une des difficultés était d'arriver à retrouver les propriétaires.

Dans sa région des Cévennes, il rappelait qu'il y avait des successions qui attendaient depuis plusieurs générations et personne ne voulait régulariser la situation car les frais étaient trop élevés par rapport à des biens sans valeur.

Je crois que plusieurs des idées avancées pour la Corse pourraient parfaitement s'appliquer dans de nombreuses zones de montagne.

Au-delà du coût de règlement des successions jugé trop élevé par rapport à la valeur du patrimoine, il se pose plus généralement la question du coût de ce que nous appelons " les petits actes ". Dans nos zones de montagne, les notaires accomplissent sans doute plus encore qu'ailleurs une mission de service public en réalisant de nombreux actes portant sur des biens de faible valeur. Pour eux, il s'agit d'actes réalisés à perte et pourtant les clients jugent les frais réclamés trop élevés. Ils ont raison. En raison du coût, de nombreux actes ne sont par suite jamais réalisés. Certes il existe une aide pour les échanges ruraux mais tout ne se passe pas par échange!

Plus globalement et plus simplement, ne pourrait-on pas envisager une aide en défiscalisant plus largement les petits actes (ne pas se limiter à une exonération de timbres par exemple) voir en aidant par une prime ou tout autre moyen les frais de ces petits actes?

Un mot en complément pour les chemins ruraux, modifier un tracé représente un coût élevé pour une collectivité. En raison de ce coût, soit le projet est abandonné, soit il est réalisé sur le terrain, mais sans être suivi d'une régularisation sur le plan juridique avec tous les risques que cela comporte.

Avant de passer au second sujet, je voudrais également dire un mot d'une difficulté pratique récente que nous rencontrons:

La loi sur les nouvelles régulations économiques (loi NRE) a imposé une immatriculation de toutes les sociétés civiles avant le 1 er novembre 2002.

Faute de le faire, ces sociétés civiles perdront leur personnalité morale et cela sera source de toute une série de conséquences juridiques graves.

Les notaires s'inquiètent du caractère systématique de cette exigence et du bref délai qui a été accordé pour régulariser.

Ils comprennent et soutiennent l'idée d'immatriculer systématiquement les sociétés civiles. Mais ils regrettent que l'on n'ait pas pris en compte toutes les situations.

Cela vise plus particulièrement les zones rurales et notamment les zones de montagne où l'on a beaucoup de groupements forestiers. Ces groupements forestiers ont été constitués il y a de longues années afin de favoriser le regroupement de parcelles de bois disséminées et difficilement accessibles. Mais il s'agit souvent de bois sans valeur. ²

Le fonctionnement de ces groupements forestiers est extrêmement limité et dans de nombreux cas, il n'y a pas de suivi juridique. A l'occasion de successions ou de donations partages, les clients oublient l'existence de parts de groupements forestiers et les transmissions successorales ne sont pas constatées.

Ces groupements forestiers ont souvent été constitués avant 1978, c'est à dire à une époque où il n'y avait pas d'immatriculation obligatoire. Aujourd'hui, pour immatriculer, il faut déposer des statuts à jour.

Mais comment déposer des statuts à jour, c'est à dire avec une liste complète des associés, quand il y a des dizaines d'associés, que nombre d'entre eux sont décédés et que l'on ignore qui sont les héritiers actuels. Il y a là une difficulté que visiblement le législateur n'a pas envisagé.

En matière de transmission d'entreprises, les aides, il faut bien l'avouer, sont relativement limitées et se réduisent à une réduction des droits de mutation en matière d'acquisition de fonds de commerce et de clientèle.

La mesure a été appréciée et on peut considérer que son impact est favorable. Il en est de même pour les acquisitions d'immeubles ruraux réalisées par les jeunes agriculteurs. Au delà de quelques aides en matière de transmission d'entreprises, il y a également des aides en matière de création d'entreprises, et je pense notamment à certaines exonérations d'imposition sur les bénéfices en faveur d'entreprises nouvelles ou d'exonérations temporaires de taxe professionnelle.

Mais il ne faut pas se faire d'illusion. Les avantages fiscaux ne font pas tout. Je prendrai une illustration avec les biens d'habitation. Il est prévu que, dans les zones de revitalisation rurale, les conseils généraux peuvent instituer un abattement sur la taxe départementale. Très peu ont utilisé cette faculté. Il y avait six départements en 2001 et il n'y en a plus que cinq en l'an 2002, à savoir la Manche, la Marne, la Saône et Loire, le Calvados et l'Isère. Vous constaterez qu'il n'y en a pas beaucoup en zone de montagne !

Je comprends parfaitement cette attitude des départements car une baisse des droits ne fait pas acheter plus. On achète un bien à usage d'habitation parce que l'on en a besoin. On en a notamment besoin si on a du travail sur place. Et si l'on parle d'aides aux entreprises, beaucoup trop d'aides sont liées à la création ou au démarrage, mais cessent ensuite comme si ensuite les problèmes disparaissaient. Or, en zone de montagne, les problèmes ne disparaîtront pas. Les routes resteront ce qu'elles sont. Le climat restera ce qu'il est. L'enclavement restera ce qu'il est.

Je prendrai pour illustration les tentatives dans de nombreuses petites communes de mettre en place un multiple rural. On fait de beaux locaux, on trouve un repreneur, on l'aide au début. Puis on oublie.

Les gens du village qui ont soutenu au départ, reprennent vite les mauvaises habitudes en allant vers le supermarché le plus proche et ne va au multiple rural que celui qui ne peut pas faire autrement.

L'affaire tournera mal.

En réalité, si on veut soutenir les entreprises en zone de montagne, il faut très certainement sortir des schémas classiques et imaginer des solutions nouvelles. Il y a un rôle social du petit commerce et du maintien d'une vie locale. Ce rôle social va durer dans le temps. Il faut donc l'aider dans le temps. Peut-on imaginer l'idée d'une rémunération minimale ou d'aides pérennisées dans le temps ?

Plus globalement, sur toutes les questions de vie en zone de montagne, tout ce qui favorisera une aide étalée dans le temps et à caractère permanent plutôt que les aides ponctuelles sera à privilégier.

J'ajouterai un mot sur un handicap plus développé qu'ailleurs en zone de montagne: celui des cessions d'entreprises locales rachetées par des groupes nationaux. Cela a des conséquences multiples sur le terrain. On ne laisse sur place que des exécutants le plus souvent à faibles revenus. Partent à l'extérieur les pouvoirs d'administration et de direction avec tout le personnel qui y est attaché. En outre, dans presque tous les cas, les professionnels locaux (experts-comptables, notaires, assureurs, banquiers, etc.) perdent le dossier, alors qu'il s'agissait souvent pour eux de leur « gros dossier » ou de l'un de leur dossier les plus importants.

En matière d'aménagement du territoire et plus particulièrement du maintien des implantations des professions libérales ou indépendantes, le lien est très net avec ce qui précède. Si on veut encourager le maintien d'une activité économique en zone de montagne, c'est la totalité de la structure sociale qui est à soutenir. Je disais au début de mon intervention que les notaires restaient la seule profession juridique encore implantée sur l'ensemble du territoire. Mais j'aurai envie de dire, pour combien de temps ? Nous habitons des départements magnifiques et pourtant nous avons beaucoup de mal à attirer de jeunes confrères.

Nous avons encore plus de mal à attirer des collaborateurs qualifiés. Le phénomène devient véritablement angoissant. Mais il n'est pas particulier à nous. On le retrouve également dans toutes les professions médicales. Tout récemment, j'apprenais qu'à Mur de Barrez (canton du Nord - Aveyron), le seul chirurgien dentiste était parti et il n'est pas remplacé. Voilà donc un canton entier isolé qui se trouve sans chirurgien dentiste. Je pense à tel autre endroit de mon département où un médecin quitte sa commune et ne trouve pas de remplaçant. Les exemples sont là encore en train de se multiplier.

Il y a des raisons qui sont extérieures à nos zones de montagne. On a tellement limité le nombre de médecins qu'aujourd'hui il n'y en a pas assez; c'est par priorité dans les zones de montagne qu'ils sont de moins en moins nombreux. De la même manière, on ne trouve plus de médecin spécialistes voulant s'installer dans les bourgs centre des zones de montagne. Ainsi, dans le nord Aveyron, pour trouver un médecin spécialiste, il faut venir à Rodez qui est souvent à plus d'une heure de trajet. Et, même à Rodez, on ne trouve pas de remplaçant pour tous les spécialistes.

Il y a également des motifs liés à nos zones de montagne: dispersion de la population, longues distances, éloignement des centres: par exemple, lorsqu'un professionnel libéral recherche un stagiaire, il a de plus en plus de mal à trouver car les jeunes se trouvent trop loin des grands centres universitaires. Autre exemple, celui des pharmacies; elles sont, en zone de montagne, souvent éloignées les unes des autres. L'organisation des tours de garde a pour conséquence d'obliger des temps de parcours très long pour atteindre la pharmacie de garde la plus proche. Tout comme pour les petits artisans ou petits commerçants, il faut imaginer des incitations pour les professions libérales, incitations non limitées dans le temps.

A titre d'exemple, il existe dans les communes de moins de 2000 habitants une possibilité d'exonérer de taxe professionnelle les médecins et auxiliaires médicaux. Mais, ne peuvent en bénéficier que les professionnels qui s'installent pour la première fois. L'exonération est limitée aux deux années suivant l'installation. Le système encourt un double reproche

Pourquoi exclure un professionnel qui veut s'installer en zone de montagne au motif qu'il aurait déjà exercé son activité ailleurs ?

Pourquoi limiter l'exonération aux deux premières années alors que les difficultés d'exercice resteront les mêmes ensuite ?

Mais il ne faut pas que cela devienne la course à la prime. Il faut encourager celui qui acceptera de rester un certain temps. Plusieurs pistes peuvent être explorées. On peut penser notamment à des exonérations de cotisations sociales en cas d'embauche d'un jeune stagiaire sous réserve qu'en contrepartie le salaire soit majoré afin de faire face aux frais de déplacement engendrés par l'éloignement des centres universitaires.

Enfin, cette question de l'éloignement des centres universitaires qui est récurrente serait moins cruciale si le désenclavement des zones de montagnes s'accélérait. Or, on constate au contraire un ralentissement à titre d'exemple, la RN 88 reliant Toulouse à Lyon et traversant toute une partie du Massif Central devait être aménagée à quatre voies et il s'avère qu'à chaque plan, les délais annoncés sont plus en plus longs.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie pour votre contribution. Les points que vous avez évoqués correspondent à ce que nous avons ressenti lors de nos visites, notamment dans le Massif Central mais aussi lors des auditions. Vous pointez de façon pertinente les problèmes auxquels nous devons apporter les réponses les plus urgentes, si nous souhaitons mettre fin à l'hémorragie constatée. En effet, nous vivons une sorte de deuxième exode rural, qui risque cette fois-ci d'être irréversible. A une époque, cet exode avait pour cause la recherche de nouveaux modes de vie, sachant que certains n'avaient évidemment pas le choix ; aujourd'hui, nous pourrions continuer à vivre dans nos régions. Le fait que certains ne le fassent pas montre que les pouvoirs publics ne savent pas apporter de réponses ou mettre en place les conditions du maintien, du fait d'une absence de prise de conscience politique. A travers notre rapport, nous nous efforcerons de susciter cette prise de conscience.

Concernant les sections de commune, j'ai noté vos suggestions, notamment leur suppression sans pour autant faire disparaître les droits qui y sont attachés. Dans ce domaine, un groupe de travail sur le pastoralisme, auquel je participe, a commencé à apporter des solutions à ces problématiques complexes. Le rapport qui sera déposé dans quelques jours auprès du ministre de l'agriculture, Monsieur Gaymard, consacre quelques développements à ces sujets. De plus, une étude sur la question des biens de section a été diligentée par l'ancien gouvernement, avec le concours de l'Association des maires de France ; elle doit toujours se situer dans le circuit interministériel. Il existe donc une actualité de cette question en termes de réflexion et d'études préalables, ce qui ne doit pas nous conduire à en dissimuler la complexité.

Par ailleurs, votre exposé a évoqué l'abandon de l'espace et des territoires, ainsi que de ses conséquences au niveau de votre profession. Ce sujet est évoqué également au sein du rapport sur le pastoralisme. Pour votre part, pensez-vous que la mise en place d'une prescription pourrait être imaginée ? Dans mon village de montagne, je suis personnellement témoin de l'existence d'une propriété foncière, immobilière et forestière, qui est dans une situation d'indivision depuis 1974 : les bâtiments sont en ruine, la forêt est malade. Personne n'intervient. Le notaire effectue une gestion très modeste, en autorisant la coupe d'une ou deux essences de bois malades, et engrange les produits très faibles de la succession. Les terrains sont exploités de façon très extensive, ce qui n'est pas satisfaisant. Je me demandais si, après dix ou vingt ans d'abandon, il ne serait pas possible d'ouvrir une procédure, conduisant à l'émission d'un avis aux héritiers connus ou inconnus de bien vouloir se manifester ; la procédure pourrait alors permettre d'offrir un prix, afin que le bien entre dans le patrimoine communal, intercommunal ou départemental. Ainsi, les collectivités pourraient récupérer la forêt ; les terres pourraient être proposées à des particuliers par l'intermédiaire de la SAFER. Cela nous permettrait de ne pas attendre des décennies, alors que ces biens deviennent dangereux avec le temps, notamment parce qu'ils peuvent propager des maladies du bois. Pour ma part, je serais favorable, après un délai raisonnable, à la mise en place d'une procédure quelque peu interventionniste.

Par ailleurs, dans la loi d'orientation forestière, un amendement a été déposé pour alléger le prix des actes des notaires passés dans le cadre des transmissions de parcelles forestières. Notre réflexion va se rapprocher de celle qui a été conduite lors de l'adoption de la loi d'orientation forestière. En tout cas, nous ferons d'autres suggestions en la matière.

Effectivement, l'hémorragie des professions libérales en milieu rural me conduit à souligner que, parallèlement au désenclavement, il se pose la question de l'assouplissement de la loi ou de la façon de l'appliquer. En effet, dans le département du Cantal, nous avons pu constater que certains médecins qui font la démarche de s'installer dans des petits bourgs buttent finalement sur des règlements d'urbanisme qui leur interdisent de le faire. L'application rigide de la loi est une sorte de non-sens, voire d'imbécillité.

Maître Jacques Combret - Je ne propose pas la suppression globale des sections. En effet, dans certains cas, de véritables sections existent, notamment lorsque les communes sont relativement vastes, par exemple à cheval sur deux vallées ou une vallée et un plateau. En revanche, lorsque la section est très réduite, nous pouvons la supprimer, ce qui pourrait conduire toutefois à faire perdre des droits. Il faut donc déconnecter la notion de section, administrative, permettant aux habitants d'un village de disposer d'un patrimoine privé difficile à gérer, de la gestion pratique elle-même, qui peut faire l'objet d'un cahier des charges et qui peut revenir à la collectivité.

Lorsque je prépare une transmission rurale, il n'est pas rare que la propriété se situe en zone non constructible. Certains enfants sont prêts à laisser leurs frères ou leurs soeurs reprendre la propriété mais ils souhaitent utiliser une partie du terrain pour construire une autre maison, ce qu'ils ne peuvent pas faire car ils ne sont pas agriculteurs. Cela allègerait pourtant la soulte que doit verser l'attributaire de la propriété. Il est vrai que cela pourrait ouvrir la porte à la fraude, certains choisissant de revendre le terrain aussitôt à quelqu'un d'autre. Pour autant, je pense que dans certains cas, des règlements familiaux ou des installations se traiteraient plus facilement si des exceptions étaient possibles. (comme dans votre exemple pour qu'un médecin puisse s'installer dans le Cantal). La rigueur des textes s'accommode mal de la situation de nos régions. J'approuve tout à fait votre idée dans le cadre des règlements familiaux.

Par ailleurs, la prescription ne me semble pas forcément la solution à adopter. En fait, la piste que vous ouvrez l'a déjà été dans le cadre du deuxième volet de la réforme des successions, texte qui est purement technique. Au sein de cette réforme, une disposition pourrait débloquer quelques cas : l'action interrogatoire. Actuellement, la succession est souvent bloquée parce que l'un des héritiers est introuvable ou ne souhaite pas se prononcer ; pour autant, il est rare que 100 % soient passifs. Or dans le cadre du droit actuel, je ne peux pas forcer les héritiers à prendre parti : si quelqu'un souhaite se venger d'un ancien contentieux familial, il peut très bien le faire en ne prenant pas parti ou en ne répondant pas au notaire. Dans le projet de réforme des successions, il est prévu une action interrogatoire : un seul héritier pourrait demander aux autres de se prononcer, sachant que ces derniers seraient considérés comme renonçant à la succession s'ils refusaient de s'exprimer. Je pense que cela permettrait de résoudre un grand nombre de cas d'indivision. Le notariat appelle donc de tous ses voeux la concrétisation de cette excellente initiative du Sénat.

Vous évoquiez le cas d'un notaire qui essayait de faire effectuer quelques travaux sur une propriété ; on pourrait penser qu'il a pour cela obtenu l'accord de tous les indivisaires. En réalité, je pense que cela n'est pas le cas et que ce notaire a exercé un pouvoir qu'il n'a pas. Dans le deuxième volet de la réforme sur les successions, il est aussi prévu que le notaire puisse être investi d'un mandat judiciaire en cas de blocage, afin éventuellement d'encaisser des sommes et de payer des dépenses, ce que nous ne pouvons pas faire actuellement.

On pourrait nous objecter l'existence de la procédure des biens vacants et sans maître. Toutefois, la succession ne peut pas être considérée comme vacante à partir du moment où les héritiers sont connus ; de plus, la procédure en question est extrêmement lourde et les services fiscaux et les Domaines ont d'autres préoccupations. Elle ne constitue donc sans doute pas le meilleur moyen pour une collectivité de s'en sortir. Au lieu d'une prescription, il faudrait donc pouvoir engager une action interrogatoire, c'est-à-dire donner un pouvoir à la collectivité, afin de constater qu'une propriété ou une forêt ne sont pas exploitées, ou qu'une maison menace de s'écrouler. La collectivité aurait le pouvoir de mettre en demeure les héritiers connus de s'entendre, en leur rappelant qu'ils risquent sinon de perdre leurs droits au bout de cinq ans. Cela ne me choquerait pas du tout. En la matière, une réflexion doit être menée, même si cela induit une forte évolution du droit de la propriété.

Enfin, en matière d'associations foncières, la seule expérience que je connais est celle des groupements forestiers et des groupements fonciers agricoles que nous avons créés dans les zones rurales. Dans le sud de l'Aveyron, il y a 25 à 30 ans, nous avions tenté de créer des groupements fonciers agricoles investisseurs, en collaboration avec le Crédit Agricole. Des groupements fonciers agricoles (GFA) viticoles ont fonctionné, un temps seulement ; aujourd'hui, les personnes qui sont encore au sein de GFA ne parviennent pas à en sortir. Lorsque les terres sont sans valeur, la mise en commun ne peut aller que dans le bon sens. Les groupements forestiers ont permis de mettre en place un plan d'ensemble d'aménagement, avant l'intervention de l'Office national des forêts, et d'assurer un suivi minimum.

M. Jean-Paul Amoudry - Quel est votre sentiment d'expert du droit sur l'application de la loi d'urbanisme ? Dans mon département, plusieurs communes ont mis en place des plans d'occupation des sols depuis 20 à 25 ans, qui ont été successivement révisés. Dans le courant ces années 90, le juge administratif a durci sa manière d'appliquer la loi Montagne, au prétexte qu'elle n'était pas respectueuse de la loi de 1985. De fait, certains plans d'occupation des sols ont été annulés par le juge et les préfets ont été invités à accompagner les communes dans leurs efforts de retrait de certaines zones constructibles, en vertu de la proscription du mitage ou de la construction en discontinu. A la fin des années 90, certains partages familiaux avaient été réalisés sur la base de plans d'occupation des sols annulés, lorsque des recours avaient été déposés. En effet, la plupart des communes ont entrepris ces révisions, en retirant des droits. Dans certains cas, les partages familiaux ont été réglés ; les ayant droit se sont vus reconnaître des droits à construire. Or, lors du renouvellement du certificat d'urbanisme, les ayant droit ont appris que leur terrain était devenu inconstructible. Cette situation équivaut à une forme d'expropriation sans indemnités puisque, dans le partage, le notaire a acté le prix de chacun des lots, permettant un équilibre entre tous les héritiers. Quelques années après, on constate que la ferme a pris de la valeur mais que les terrains ne valent plus rien. Les situations de ce type sont assez nombreuses. Il s'agit d'une atteinte au droit le plus essentiel de la propriété.

J'ai écrit aux autorités administratives, qui ne m'ont pas répondu sur la notion de spoliation et d'expropriation. Ces autorités m'ont simplement indiqué que le versement éventuel d'une indemnité incomberait de toute façon à la commune, sous l'autorité de laquelle se situe le plan d'occupation des sols. Je trouve cette lecture invraisemblable puisque le processus a été enclenché par la loi et les décisions de justice, sous l'impulsion du préfet ; l'Etat ne peut donc pas se dérober. Cela constitue un problème très grave, qui est à la fois pénalisant pour les individus et les collectivités locales. L'attitude de l'Etat n'est pas qualifiable dans ce domaine. Quel est votre sentiment sur le plan juridique ?

Maître Jacques Combret - Vous évoquez une question sensible. La Haute-Savoie est une terre d'accueil qui gagne de la population ; le marché du foncier devient effroyablement cher. Or, sans remettre en cause la beauté des paysages, je pense que nous pourrions encore trouver des terrains. En matière d'urbanisme, il faut sans doute arrêter de mettre en place des textes contraignants et théoriques qui ont un effet contraire à celui qui est souhaité en matière d'aménagement du territoire. Cela constitue une véritable difficulté, qui conduit à refuser à un membre de la famille de construire une maison sur la propriété au motif qu'il n'est pas agriculteur. Des évolutions sont possibles en la matière.

Par ailleurs, la position de l'administration ne me surprend pas ; en effet, les plans d'occupation des sols ne donnent pas de droits acquis. Le terrain à bâtir aujourd'hui peut donc devenir un terrain gelé demain, sans que le propriétaire puisse prétendre à une indemnisation. De plus, il est vrai que la commune doit payer ; pour autant, cette collectivité n'a pas la liberté de décider de retirer des droits. Je crains fort que ce problème soit difficile à résoudre.

Nous pourrions donc plutôt réfléchir à mieux protéger les droits acquis. Dans tous les cas, il ne faudrait pas que le terrain devienne inconstructible du jour au lendemain, surtout pour des motifs qui ne dépendent pas de la collectivité qui avait décidé au départ de le rendre constructible.

Peut-être pourrions-nous imaginer une expérimentation dans les zones de montagne, sachant que cette difficulté est également rencontrée dans d'autres régions et que l'Etat sera toujours réticent à verser de l'argent.

M. Jean-Paul Amoudry - Je conviens que cela serait folie de considérer que des indemnités doivent être versées. Pour autant, toute expropriation doit donner lieu à un juste dédommagement. Dans tous les cas, les droits acquis ayant donné lieu à des actes authentiques, créateurs de droits, et au versement d'impôts, assis sur un terrain reconnu constructible, ne doivent pas conduire à la spoliation. Je considère qu'il s'agit d'une atteinte majeure aux droits les plus fondamentaux.

Maître Jacques Combret - Nous pourrions explorer une piste intermédiaire. Ainsi, nous avons allongé la durée de validité des certificats d'urbanisme. Nous pourrions garantir la constructibilité d'un terrain pour dix ans seulement ; cela inciterait l'héritier à investir. De plus, ce type de pistes ne coûterait pas cher à l'Etat.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie infiniment pour votre contribution.

46. Audition de M. Paul Natali, sénateur de Haute-Corse, accompagné de MM. Henri Salvat, directeur de l'Office de développement agricole de la région Corse (ODARC), Etienne Suzzoni, président de la Chambre régionale d'agriculture de la région Corse, président de la Chambre départementale d'agriculture de Haute Corse, Jean Faraud, conseiller technique et Toussaint Felce, Président de la SAFER (24 juillet 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous souhaite la bienvenue au Sénat ; je vous remercie de vous être déplacés. Je tiens à excuser le Président Jacques Blanc, qui est retenu ce matin, ainsi que ceux de nos collègues qui travaillent au sein des commissions (Finances, Lois, Affaires économiques...). En effet, le Parlement est en session extraordinaire et les commissions se réunissent traditionnellement le mercredi matin, afin de travailler sur les textes d'actualité et les projets de loi du gouvernement. Il va de soi que nous allons vous écouter avec plaisir.

En introduction, je rappelle que le Sénat, au cours de cette « Année internationale des montagnes », a souhaité, sur la proposition de quelques-uns dont Jacques Blanc, Pierre Jarlier et moi-même, constituer une mission d'information pour tirer parti de la période de l'élection présidentielle du printemps dernier, qui permettait aux sénateurs d'être plus disponibles pour effectuer un travail de terrain et d'enquête. De plus, nous avons souhaité que la loi de 1985, dite « loi Montagne », mais aussi que les textes des années 70 ou les textes plus récents, de lois d'orientation et d'aménagement, puissent faire l'objet d'une analyse sous l'angle des difficultés rencontrées pour leur application concrète. Nous avons pour objectif de déposer un rapport au début du mois d'octobre, afin de fournir au nouveau gouvernement des éléments de modernisation des dispositifs, l'intérêt n'étant pas d'ajouter des textes mais de simplifier, apurer et améliorer notre administration territoriale en zones de montagne.

Je signale que nous avions prévu de nous rendre en Corse au cours du mois de juillet, le mois d'août étant plutôt consacré aux vacances, y compris peut-être pour quelques sénateurs, et le mois de septembre étant réservé à la rédaction du rapport. Si vous l'estimez nécessaire, la mission pourra se rendre en Corse, ou le groupe de travail « Montagne » du Sénat, puisque ce dernier va se prolonger au-delà de la mission, cette dernière disparaissant après la remise du rapport. En effet, Jacques Blanc restera le Président du groupe de travail « Montagne », dont je suis le rapporteur ; dans les prochains mois, nous pourrons donc continuer à travailler, le rapport ne constituant pas une fin en soi mais simplement le démarrage d'un certain nombre d'actions. Nous sommes désolés de ne pas avoir trouvé le temps de vous rendre visite : en fait, le passage du Tour de France dans les Pyrénées nous a obligés, à reporter notre voyage, ce qui a décalé d'autant notre visite dans le Jura.

Merci de vous être déplacés pour passer en revue les problèmes que vous souhaiteriez évoquer. Nous vous avons adressé un questionnaire ; je vous propose que nous commencions par le reprendre.

M. Paul Natali - Je vous remercie pour votre accueil mais aussi de prêter une attention particulière aux zones de montagne, notamment la Corse, qui, pour être « un pain de sucre en mer », n'en rencontre pas moins des difficultés catastrophiques dans sa partie intérieure, qui se vide au profit du littoral. Je pense que le Président régional vous fera un exposé sur ce territoire. Nous vous donnerons des statistiques concernant les communes qui font partie de ce massif. Le Président de la SAFER reviendra sur l'indivision, qui est véritablement catastrophique. Enfin, le Directeur de l'Office de développement agricole et rural, qui coiffe toutes les structures relevant du secteur agricole et montagne, interviendra.

M. Etienne Suzzoni - Je suis responsable professionnel agricole de l'île ; je suis vigneron. Je travaille donc dans un secteur qui, à travers ses sites de qualité, son organisation professionnelle et des productions très typées, tire son épingle du jeu dans un secteur qui est en déprise. En effet, comme le disait le sénateur, le littoral a absorbé les forces vives de la Corse : le littoral représente un cinquième des surfaces de l'île mais aussi 70 % des populations. La Corse est une zone ouverte au tourisme et possède des sites remarquables ; si vous réalisiez une visite sur place, vous pourriez vous rendre compte du potentiel qui existe dans le massif : le GR20, le Parc naturel régional... Malgré tout, l'activité économique n'est pas soutenue.

En tant que professionnels, nous tentons de soumettre à la région nos projets et nos préoccupations. Nous considérons que l'élément essentiel du maintien de la vie à l'intérieur est l'accès à un revenu décent pour les exploitants agricoles. Nos propositions tournent donc autour des produits, qui sont, pour l'élevage, les bovins, les ovins, les caprins et les porcins. Le bovin a connu ses heures de gloire après la mise en place de la prime européenne à la vache allaitante et les CHN. En revanche, le porcin est une filière à l'abandon, qui ne bénéficie pas de soutien européen, alors qu'elle constitue l'une des filières les plus traditionnelles, les châtaigneraies de l'intérieur constituant un support alimentaire de base. Pour sa part, le caprin est en déprise, comme l'ovin, élevé par le passé dans toute la Corse par le biais des estives (entre les zones du littoral l'hiver et les massifs l'été). Les problèmes sont que les réglementations européennes ont évolué et que nos méthodes de production ne se sont pas adaptées. De fait, les exploitants agricoles, qui fabriquent des produits de qualité, sont contraints, par les services de la direction des services vétérinaires, à arrêter leur activité faute de moyens financiers ou de politique d'accompagnement.

Nous connaissons un déficit structurel en matière d'élevage ; en effet, les structures sont très peu nombreuses à être aux normes européennes et nous ne disposons pas d'abattoirs. Pour autant, les professionnels se sont engagés dans des démarches constructives. En effet, les productions sont soumises à des réglementations européennes que nous ne pouvons pas décrier en permanence ; au contraire, nous devons nous y adapter. Pour cela, il faut identifier les productions, les faire reconnaître, notamment leurs spécificités ; c'est le cas pour l'affinage des fromages dans des voûtes en pierre. Si nous ne définissons pas ces productions en rappelant leur identité, les services européens appliquent la même norme aux petits bergers qui traitent 200 litres de lait et aux industriels du nord de l'Europe, qui en traitent 2 à 3 millions.

L'élevage des bovins s'est développé considérablement et la Haute-Corse regroupe actuellement environ 30 000 vaches allaitantes, soit la moitié de toute la Corse et cinq fois plus qu'au siècle dernier. Des rapports européens ont discrédité l'agriculture corse car elle était atypique. Or cet élevage extensif bénéficie de possibilités de reconnaissance en race corse, dont ont déjà bénéficié les porcins, les bovins, les caprins et les ovins. En effet, l'une de nos chèvres possède toutes les caractéristiques pour être reconnue comme race corse. Pour sa part, le bovin possède des caractéristiques très fortes, en termes de rusticité et de qualité des viandes, qui doivent constituer le support des signes de qualité. Pour les porcins, le raisonnement est le même ; ceux qui maîtrisent de façon optimale les conditions de production, proposent des charcuteries peuvent rivaliser avec les meilleurs.

Nous devons définir notre potentiel dans l'urgence et faire en sorte que les réglementations européennes ne le fassent pas disparaître. En effet, dans l'intérieur de la Corse, l'aviculture maintient la vie dans les villages. Nous souhaiterions que ce développement se maintienne. Dans ce cadre, lors du débat à l'Assemblée de Corse, il avait été proposé de reconnaître l'agrotourisme comme un axe fort de l'amélioration des revenus des exploitants, en capitalisant les filières en déprise et en leur permettant de disposer de revenus stables. L'objectif est de faire migrer les flux du littoral vers l'intérieur, de permettre aux populations d'être en contact avec les gens qui viennent de l'extérieur, de s'ouvrir et de prendre conscience que les atouts offerts par la nature constituent une force, dont les touristes ont envie de profiter. Les protecteurs du patrimoine seront d'autant plus efficaces qu'ils retireront un revenu de leur action.

M. Henri Salvat - Dans le cadre de la loi Montagne de 1985 et du décret d'application, le massif corse a été défini comme regroupant les deux départements, la Haute-Corse et la Corse-du-Sud. Toute la Corse est donc considérée comme une zone de montagne.

M. Jean-Paul Amoudry - Cette définition concerne-t-elle toutes les communes, y compris celles du littoral ?

M. Henri Salvat - Oui, y compris Bastia et Ajaccio.

M. Paul Natali -Le littoral fait partie de la zone de montagne.

M. Henri Salvat - Le massif corse comprend les deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud. Au sens de la réglementation européenne de 1974 sur la zone de montagne, la grande majorité des communes est déclarée en zone de montagne, sauf une vingtaine de la côté littorale, d'Aléria au sud de Bastia. Pour cette région, à la demande de la profession, nous avons sollicité un classement en zone défavorisée. Ce dossier a été instruit en Corse et transmis aux services parisiens du ministère de l'agriculture mais n'a pas encore reçu de réponse favorable. Nous attirons votre attention sur ce point ; nous souhaitons le classement de l'ensemble de la Corse en zone défavorisée, au sens de la réglementation européenne.

M. Paul Natali - C'est important.

M. Henri Salvat - Sur les 360 communes de Corse, environ 20 ne sont pas classées en zone défavorisée ou de montagne. Le dossier est en instance auprès du ministère à Paris, qui semble réticent pour répondre favorablement à notre demande.

L'ensemble de la Corse représente 8 700 km 2 , pour une population de 260 000 habitants, ce qui représente la plus faible densité de population de France. De plus, la région Corse est la moins industrialisée de France, l'industrie ne représentant que 6,8 % des emplois, contre 6,1 % pour l'agriculture. Le produit intérieur brut par habitant est de 82 % de la moyenne communautaire, soit 7 % de moins que la moyenne nationale.

Par ailleurs, les difficultés rencontrées du fait de l'insularité ont incité une grande partie de la population à quitter la Corse au cours des décennies précédentes, au détriment de la richesse humaine de la Corse, évolution encore aggravée par les conséquences des deux guerres mondiales au cours desquelles une grande partie de la population active a été décimée.

La population a augmenté entre 1990 et 1999, environ de 4 %, essentiellement du fait du solde migratoire, le solde des naissances et des décès étant pratiquement nul. De plus, la population corse est plus âgée que la moyenne nationale. Les perspectives d'évolution pour les années à venir font que les plus de 60 ans seront plus nombreux que les moins de 20 ans en 2010. L'été, l'île accueille plus d'un million de visiteurs, pour un total de 2 millions sur l'ensemble de l'année. Entre 1990 et 1999, le nombre de touristes a augmenté de 37 % ; ces 2 millions représentent 26 millions de nuitées, la majorité étant des touristes continentaux et la durée moyenne d'un séjour de 14 jours.

M. Jean-Paul Amoudry - Nous avons traditionnellement à l'esprit que la Corse vit du tourisme, de l'agriculture et des services. Quid de l'industrie ?

M. Paul Natali - Il n'y a plus d'industrie, sauf à Ajaccio, en milieu littoral. La Corse est aujourd'hui moins industrielle qu'elle ne l'a été avant guerre. En effet, à l'époque, le bois était très exploité, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Il s'agissait de l'industrie principale, parallèlement aux usines de tannin ; tout a disparu après-guerre. En matière d'aviculture, le cedrat avait permis de créer quelques industries. Aujourd'hui, une seule société subsiste à Ajaccio dans le domaine des composites ; l'activité reste insignifiante. Tout le reste relève du domaine tertiaire, de la prestation de service, du commerce et du tourisme.

M. Henri Salvat - Il existe aussi des industries agroalimentaires, notamment fromagères et charcutières.

M. Paul Natali - Il est vrai que Roquefort est implanté en Corse. Pour le reste, l'absence de labels fait que les productions sont consommées localement.

M. Etienne Suzzoni - Les industries charcutières travaillent sur des carcasses importées.

M. Paul Natali - De Bretagne notamment. Cela permet de donner une image « corse » au produit.

M. Jean-Paul Amoudry - Sur le plan énergétique, disposez-vous de barrages hydroélectriques ?

M. Paul Natali - Nous avons du retard en la matière. En 1987 et 1988, l'Assemblée de Corse avait conventionné avec EDF la construction de sept barrages, dont un seul a été construit depuis, sa capacité ayant été augmentée pour permettre une utilisation industrielle et agricole ; les autres usines sont thermiques. Nous commençons également à lancer des expériences en matière d'énergie éolienne, cette dernière étant très contestée par les populations.

M. Etienne Suzzoni - En Balagne, le barrage situé près de l'Ile-Rousse est à sec ; nous ne savons pas comment les touristes pourront se laver au mois d'août.

M. Paul Natali - Je pense que l'initiative de l'Office hydraulique, de vider le barrage au mois de mars pour le nettoyer, n'était pas très heureuse.

M. Jean-Paul Amoudry - Peut-être pouvons-nous évoquer le Comité de massif ?

M. Jean Faraud - Le Comité de massif Corse était présidé par le Préfet de région jusqu'à la fin de 2001. Il est composé de cinq représentants de la collectivité territoriale Corse, de deux représentants du Conseil général de Haute-Corse, de deux représentants du Conseil général de Corse-du-Sud, de sept représentants des communes de montagne, de six représentants des établissements publics consulaires (Chambres d'agriculture, des métiers et de commerce), d'un représentant de l'ODARC, d'un représentant de l'Agence de tourisme de Haute-Corse, d'un représentant du Parc naturel régional, de deux représentants d'associations agréées en matière de protection de la nature.

Le bilan du fonctionnement du Comité de massif fait apparaître que son action est circonscrite à l'utilisation des fonds du Fonds National d'aménagement et du territoire (FNADT) Montagne, soit seulement 300 000 euros par an. Ces fonds sont attribués à des projets très ponctuels, notamment d'étude.

A partir de 1999, les membres ont choisi de recentrer l'action du Comité sur des thématiques plus précises, notamment le développement des loisirs en montagne, principalement l'escalade. Nous avons adjoint au contrat de plan une sous-mesure du volet tourisme spécialement consacrée au développement des sports de pleine nature.

Depuis la loi du 22 janvier, le Comité de massif ne dispose plus des mêmes prérogatives. Le président du Comité est maintenant le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Corse, cette dernière devant délibérer pour recomposer le Comité de massif. Enfin, le mini-budget de 300 000 euros ne sera plus géré par le Comité de massif mais par la Collectivité territoriale de Corse.

M. Jean-Paul Amoudry - Pensez-vous que les nouvelles dispositions législatives de la loi vont conduire le Comité de massif à ne plus jouer de rôle en matière d'organisation des politiques de l'île ou à conserver sa place aux côtés des assemblées territoriales ? Estimez-vous qu'il s'agit d'un outil intéressant à revitaliser ou estimez-vous que les assemblées décentralisées suffisent largement pour l'émission des politiques ?

M. Jean Faraud - L'existence du Comité de massif est intéressante au niveau consultatif car il est spécialisé sur la zone de montagne. Le Comité de massif représente donc la voix de la montagne et peut donc avoir un vrai rôle consultatif vis-à-vis de l'Assemblée territoriale. En revanche, la question de la gestion des fonds ne constitue pas une nécessité absolue.

M. Jean-Paul Amoudry - La présidence du Comité de massif par le Préfet vous paraissait-elle satisfaisante ?

M. Jean Faraud - La loi stipule que le Comité de massif n'est dorénavant présidé que par le président du Conseil exécutif de la collectivité territoriale.

M. Jean-Paul Amoudry - Il s'agit de l'objectif que nous avons fixé pour la présidence des autres Comités de massif. Nous souhaitons que la présidence soit exercée par un élu local.

M. Henri Salvat - Jusqu'à présent, le Comité de massif corse n'avait qu'un rôle limité à la distribution des crédits. La politique se décidait donc soit au niveau de l'Assemblée de Corse (avant sa mise en oeuvre par le Conseil exécutif), soit au niveau de l'Etat ; les décisions étaient prises dans le cadre du contrat de plan Etat/Région ou dans le cadre du document unique de programmation (DOCUP). Le Comité de massif ne parvenait donc pas à trouver sa véritable place. Le fait que la présidence du Comité revienne au président du Conseil exécutif assure une plus grande cohérence.

M. Paul Natali - De plus, l'enveloppe distribuée par le Comité de massif n'était pas toujours consommée.

M. Henri Salvat - Les financements étaient marginaux.

M. Jean-Paul Amoudry -Vous avez évoqué l'agriculture, l'élevage, l'artisanat et le tourisme. Dans ce dernier domaine, quelle est la situation au niveau des structures d'accueil ? Par ailleurs, comment voyez-vous l'avenir des structures d'accueil hivernal ?

M. Paul Natali - Nous ne disposons d'aucune structure véritable en la matière, même si quelques gîtes communaux et des auberges de montagne ont été construits depuis quatre ou cinq ans ; le tout reste très artisanal et familial, les propriétaires étant en majorité des éleveurs.

Le principal problème est la circulation au sein des villages, qui n'est pas toujours possible pour les autocars par exemple. Plus généralement, nous avons beaucoup de retard en matière de structures autoroutières, comme dans les secteurs de l'eau et de l'assainissement.

Certains villages ne regroupent que 10 à 20 personnes, ce qui conduit à un morcellement des communes très important. Ainsi, le maire du village où habite le président de la SAFER ferme son village durant l'hiver avec des barbelés, afin d'empêcher les vaches d'y accéder. Sur les 186 communes de montagne, 50 environ sont véritablement victimes d'une désertification complète.

M. Jean-Paul Amoudry -Visiblement, aucun village ne dispose de remontées mécaniques.

M. Paul Natali - En effet. Les deux tentatives en la matière ont été rejetées par l'Europe à cause des financements. Au mois de février, les Corses se rendent sur le continent pour skier. A l'intérieur, nous nous situons au niveau le plus bas des régions de montagne du territoire national.

M. Jean-Paul Amoudry - Quid de la collectivité en zone de montagne ?

M. Paul Natali - Nous sentons quelques prémices mais les financements sont encore insignifiants, alors que certaines communes sont exsangues sur le plan financier.

M. Henri Salvat - Dans l'ensemble de la Corse, 20 % des exploitants agricoles exercent une pluri-activité, soit 740 sur les 3 600 que compte l'île.

M. Etienne Suzzoni - Les 3 600 exploitants ne correspondent pas à autant d'unités professionnelles ; il faut donc être prudent en matière de chiffres. En fait, on parle d'unité professionnelle à partir de 3,5 hectares d'agrumes ou d'1,5 hectare de vignes ; dans ces conditions, leur nombre n'est que de 1 800 alors que nous étions 15 000 il y a 25 ou 30 ans. La chute a été vertigineuse. Il faut à tout prix permettre une stabilisation des arrêts des exploitations et une dynamisation de l'installation, grâce à la diversification. Aujourd'hui, le statut d'agriculteur reconnaît difficilement la pluri-activité, même si des évolutions se produisent en la matière.

M. Paul Natali - Il serait important de reconnaître la pluri-activité, notamment sous la forme d'aides.

M. Etienne Suzzoni - Il faut prendre en compte la réalité des chiffres.

M. Jean-Paul Amoudry - Pensez-vous que l'arrêt de la disparition du nombre des exploitations agricoles passe par une aide à l'installation des mono-actifs ou, au contraire, faut-il favoriser la pluri-activité, notamment l'agrotourisme ? Quel est le profil type de l'exploitant pluri-actif ?

M. Etienne Suzzoni - Il s'agit d'une activité de production agricole liée à au tourisme.

M. Jean-Paul Amoudry - Ce sont donc les fermes auberges.

M. Henri Salvat - Certains salariés, commerçants ou professions libérales exercent également une activité agricole. Parallèlement, les agriculteurs qui ont une activité touristique restent agriculteurs en termes d'activité principale, le tourisme n'étant qu'un prolongement de cette dernière (chambres d'hôtes, fermes auberges, gîte rural). L'avenir de la Corse de l'intérieur ne peut se concevoir que si une diversification intervient en matière d'activités touristiques. Il faut que la Corse de l'intérieur puisse profiter des touristes qui ne visitent principalement que le littoral.

M. Jean-Paul Amoudry - Cela passe par une reconnaissance et une amélioration du régime de la pluri-activité.

M. Paul Natali - Oui.

M. Jean-Paul Amoudry - Dans certaines régions de France, la pluri-activité n'est plus fortement demandée, par exemple dans certaines zones de Haute-Savoie, alors que c'était encore le cas il y a dix ou quinze ans. En fait, les agriculteurs ont fait des choix. En revanche, dans d'autres régions, il nous est demandé une reconnaissance du statut du pluri-actif. Nous avons d'ailleurs posé la question à Hervé Gaymard, qui est l'un des plus grands spécialistes de la question. La pluri-activité est donc un élément important, dans le cadre de la diversification, au même titre que le versement d'une aide à l'installation.

M. Etienne Suzzoni - Il s'agit de compléter le revenu de l'agriculteur lorsque la filière ne permet pas de retirer un revenu décent, comme dans le cas de la culture des châtaigniers. L'agriculteur peut ainsi disposer de revenus complémentaires grâce aux services ou à l'agrotourisme. Par exemple, il suffit de capitaliser un exploitant agricole pour qu'il ait les moyens d'héberger et d'obtenir un revenu d'appoint lui permettant de poursuivre son activité agricole. Parallèlement, il existe aussi des personnes qui travaillent dans les services mais qui sont propriétaires d'une châtaigneraie ou d'une oliveraie ; ces personnes peuvent émarger au contrat de plan pour effectuer une rénovation.

M. Paul Natali - Cela reste marginal.

M. Etienne Suzzoni - Personne ne cherche à les exclure mais ces gens ne constituent pas le support d'une véritable activité.

M. Paul Natali - Il s'agit surtout de passionnés.

M. Etienne Suzzoni - Dans certaines filières, la fonction de production ne suffit pas à garantir un revenu décent ; il est donc indispensable de disposer d'un complément pour maintenir l'activité. Ainsi, je pense qu'il faudrait mener une politique de région pour les filières en déclin, comme les châtaigniers ou les caprins. Il faut faire en sorte que les exploitants disposent d'un revenu d'appoint, compatible avec leur métier. Pour l'instant, il n'y a pas d'hébergement possible en montagne, alors que les chambres d'hôtes sont un moyen intéressant pour les touristes d'accéder à un village, de rencontrer un éleveur et de connaître la façon dont il travaille.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous propose d'aborder l'environnement, les paysages et les risques naturels.

M. Henri Salvat - Les priorités retenues en matière de protection de l'environnement sont notamment le traitement des déchets. La collecte sélective est mise en place actuellement, dans le cadre du contrat de plan. Un autre effort doit être poursuivi au niveau de l'assainissement des eaux usées, tant sur le littoral que dans la Corse de l'intérieur.

Par ailleurs, nous devons faire face au problème de la gestion de la ressource en eau. En effet, nous rencontrons des problèmes de stockage de l'eau brute et de transfert, tant pour l'irrigation que pour l'eau potable. Ainsi, cette année, nous avons dû installer une unité de dessalement de l'eau de mer au Cap Corse, cette région n'étant alimentée par aucune source. Nous devons également prendre en compte le problème des incendies.

M. Paul Natali - En matière d'environnement, la matière première de la Corse est constituée par ses richesses en eau et en forêts, zones qui devraient être exploitées et valorisées mais qui sont malheureusement presque abandonnées et livrées aux incendiaires, ce qui entraîne des dégâts très importants au cours de l'été, notamment lorsque les vents soufflent fort. Le pastoralisme n'est pas assez actif dans les zones que nous devrions protéger et valoriser.

M. Etienne Suzzoni - Plus globalement, le problème est celui de la maîtrise du foncier. Dans le système pastoral, le propriétaire terrien entretenait son bien et le mettait à disposition, sur la base de conventions verbales, à des éleveurs transhumants. La société était donc organisée de façon particulièrement précise. Aujourd'hui, l'exode et l'absence d'abattoirs ou de structures de développement conduisent à un élevage extensif non-maîtrisé. La mutualité sociale agricole (MSA) Corse a constaté que l'assise foncière de l'exploitation agricole n'était plus constituée que du cheptel.

En fait, des titres ont été donnés aux agriculteurs ; à l'intérieur de la Corse, la déprise et l'indivision sont telles, qu'il n'est plus possible de retrouver les propriétaires. Pour les zones plus proches du littoral ou les zones urbaines, la valeur foncière des terres agricoles est telle que personne ne souhaite aliéner le bien à un agriculteur car cela entraîne la non-constructibilité de la zone. Nous n'avons pas de définition des zones ; les plans d'urbanisme ne sont pas en place ; nous ne disposons pas de schémas de cohérence territoriaux et encore moins de schéma régional.

Nous faisons face à un problème de politique générale Corse. La résidence secondaire, qui est un levier du développement, notamment dans les zones touristiques, constitue un marché non négligeable, même s'il s'agit parfois d'un sujet de violence au niveau politique. C'est pourquoi il faudrait définir précisément les zones, constructibles ou non.

M. Paul Natali - Nous ne disposons d'aucun schéma d'aménagement.

M. Henri Salvat - Un schéma a été adopté en 1997 mais il est toujours en projet car il n'a jamais été agréé.

M. Etienne Suzzoni - Dans le domaine du foncier, l'indivision pèse sur les zones agricoles en déprise et nous devons aussi faire face au problème de l'urbanisation sur les zones agricoles non définies proches des zones urbaines ou du littoral. Nous avons donc des difficultés à maîtriser le foncier et à donner des assises cohérentes aux exploitations. Les propriétaires qui ne sont plus résidents laissent des espaces considérables en friche, ce qui en fait la proie des flammes l'été et constitue une menace pour les exploitations. De plus, l'impression d'abandon donne une mauvaise image de la Corse aux touristes. Il est donc nécessaire de fixer les choses au travers d'un schéma régional d'aménagement. Nous rejoignons les questions liées à la gestion des paysages : quelle urbanisation souhaitons-nous ?

M. Paul Natali - Tout doit être repris à zéro. Sur le littoral, certaines zones se développent plus que d'autres car elles sont limitrophes des villes, notamment Bastia. Les terrains y ont pris des valeurs très importantes. Auparavant, il s'agissait de zones essentiellement agricoles ; aujourd'hui, seules quelques vignes subsistent. Tout est laissé à l'abandon car les propriétaires souhaitent en tirer profit en vendant ces terrains constructibles.

M. Jean-Paul Amoudry - Pourrions-nous évoquer la viticulture ? Dans ce domaine, il existe des AOC, ce qui nécessite une identification très précise des parcelles concernées. Quel est le nombre d'hectares consacrés à la viticulture ?

M. Etienne Suzzoni - Sur l'ensemble de la Corse, la viticulture représente 8 000 hectares de vignes, dont 2 500 en AOC, les autres étant vinifiés en vin de pays ou vin de table. Le total de la production est de 350 000 hectolitres, pour 100 000 hectolitres d'AOC. La crise que traverse la viticulture nationale touche également la Corse, notamment le vin de pays sur les marchés anglo-saxons. Tous ces produits qui ne disposent pas d'une identité forte liée au terroir rencontrent des problèmes importants, même si l'offre émane de deux grosses coopératives qui maîtrisent les savoir faire. En fait, il suffirait de trouver un marché de 60 000 hectolitres pour que la crise soit réglée. A cet effet, le secteur viticole a demandé à la région d'intervenir pour l'aider à prendre des parts de marché chez un gros faiseur. Pour l'instant, nous n'avons reçu aucune réponse.

M. Paul Natali - Comme d'habitude.

M. Etienne Suzzoni - Dans la viticulture AOC, les fers de lance sont les petits vignerons qui bénéficient d'une très bonne image. Les AOC sont décomposées en neuf appellations d'origine : une générique (Calvi, Sartène, Figari, Cap Corse, Porto-Vecchio), deux appellations locales (Patrimonio et Ajaccio), qui ont des contraintes plus importantes, notamment en matière d'encépagement. Depuis 1993, une nouvelle appellation est apparue, celle de Muscat du Cap Corse. Au sein d'une filière dotée de signes de qualité, les professionnels sont obligés de s'entendre et de maîtriser leur production ; la valeur ajoutée est donc plus importante, ce qui n'est pas toujours le cas dans d'autres filières.

M. Jean-Paul Amoudry - La plaine orientale n'accueille-t-elle que des vins de pays et des vins de table ?

M. Etienne Suzzoni - Des AOC y sont aussi produits : 50 % des 100 000 hectolitres sont produits sur la plaine orientale. Parallèlement, le Cap Corse ne regroupe que quatre exploitants qui produisent environ 4 000 hectolitres ; Patrimonio est la deuxième appellation après l'appellation générique et représente 13 000 hectolitres, contre 8 000 pour Calvi, de 7 000 à 8 000 pour Ajaccio, 5 000 pour Sartène, 3 000 pour Figari et 3 000 hectolitres pour Porto-Vecchio.

M. Jean-Paul Amoudry - La crise actuelle frappe-t-elle l'ensemble des vins ?

M. Etienne Suzzoni - Elle touche essentiellement la zone orientale, où sont produits 50 000 hectolitres d'AOC et 250 000 de vin de pays et de vin de table. Le marché insulaire est surprotégé car il bénéficie d'une exonération de TVA pour les produits consommés sur l'île ; la viticulture a pu ainsi rester maître de son marché, qui est de 160 000 hectolitres. Nous sommes quasiment en situation de monopole puisque les touristes qui nous rendent visite souhaitent boire des vins corses.

M. Jean-Paul Amoudry - Etes-vous concernés par la procédure Natura 2000 ?

M. Paul Natali - Oui.

M. Etienne Suzzoni - Dans ce domaine, je reste très réservé sur la part qui est revenue à la Corse. En effet, 54 habitats naturels ont été choisis, sur une soixantaine au niveau national ; la part affectée à la Corse est donc considérable. De fait, nous avons l'impression que l'Europe impose à la nation certains sites en termes de quotas. Je suis sceptique car les contraintes qui sont liées à la procédure sont importantes et pourraient constituer des freins au développement et à la vie dans ces milieux.

M. Paul Natali - Ce sont des zones qui sont constamment incendiées.

M. Etienne Suzzoni - On nous demande de ne pas intervenir sur ces zones du fait de la présence d'espèces animales rares ; or ces espaces brûlent car ils ne sont pas entretenus. La profession agricole est inquiète en la matière.

M. Jean-Paul Amoudry - J'imagine que ces 54 habitats sont répartis largement en montagne.

M. Etienne Suzzoni -Oui, même si certains sont situés sur le littoral. Les maires des petites communes considèrent que cela constitue un avantage.

M. Jean-Paul Amoudry - L'accueil des élus est donc parfois favorable.

M. Etienne Suzzoni - Oui. En revanche, les exploitants agricoles se posent des questions. Peut-être devrons-nous bientôt enlever nos vaches de l'estive ? Il existe une inquiétude dans ce domaine, même si tout le monde se veut rassurant par ailleurs.

M. Jean-Paul Amoudry - Les élus ont-ils eu connaissance des modalités de versement des aides disponibles pour gérer ces espaces ?

M. Etienne Suzzoni - Actuellement, aucune aide n'est versée. C'est la raison de l'inquiétude.

M. Paul Natali - Une enquête a été effectuée sur Natura 2000, qui fait apparaître que, sur 34 communes consultées en Corse-du-Sud et 9 en Haute-Corse, 25 n'ont pas répondu, 5 communes ont répondu favorablement sans réserve, 7 communes ont répondu favorablement avec réserve et 5 communes défavorablement. Les maires ne sont donc pas sensibilisés aux avantages ou aux conséquences de ces classements. Les maires considèrent que le plus important est le développement urbanistique de certaines zones qui avaient été figées. De fait, des propositions de classement ont été effectuées de façon quelque peu cavalière par le directeur de la direction régionale de l'environnement (DIREN). En fait, les réponses favorables à l'enquête ont été apportées pour les zones qui se situent à la périphérie des communes et qui n'ont aucun intérêt particulier.

M. Jean-Paul Amoudry - Comment l'existence du parc naturel régional est-elle vécue ?

M. Paul Natali - Il commence à prendre forme depuis quatre ou cinq ans, après des années au cours desquelles son utilité n'était pas évidente. Pour autant, je pense qu'un important travail doit encore être effectué, notamment pour favoriser le développement touristique : ainsi, le parc gère le GR 20 qui traverse la Corse et qui est fréquenté toute l'année par de nombreux amateurs, qui perçoivent de façon favorable l'existence d'un parc naturel.

M. Henri Salvat -Le Parc régional couvre 350 000 hectares, 143 communes sur un total de 360 et regroupe 27 000 habitants permanents.

M. Paul Natali - Il gère également un parc marin.

M. Henri Salvat - Le parc possède une partie littorale du côté de Porto. Par la suite, la mise en place de parcs marins est prévue entre la Corse et la Sardaigne.

M. Paul Natali - Cela concerne la façade est. J'ai l'impression que la création d'un parc marin international n'est plus d'actualité ; les pêcheurs s'y étaient d'ailleurs opposés car la zone concernée était trop vaste.

M. Jean-Paul Amoudry - Le parc s'occupe du couvert végétal ; dispose-t-il de moyens pour prévenir les incendies de forêt ? Mène-t-il des actions au niveau des châtaigneraies sur le plan économique ? Intervient-il en matière d'urbanisme ? Quelles sont ses grandes missions ?

M. Henri Salvat - Le parc a pour objet de protéger et de valoriser le patrimoine naturel, culturel et paysager, mais aussi de contribuer au développement économique, social et culturel, et de la qualité de vie, ainsi que d'assurer l'accueil, l'éducation et la formation des publics.

En matière d'incendie, la prévention avait été prise en compte par la création, au sein du parc, d'un service « pastoralisme et prévention des incendies ». Depuis 1995, ce service, dont l'objectif était de mettre en oeuvre des moyens pour conseiller les éleveurs et les dissuader d'avoir recours aux feux, a été rattaché à l'ODARC. En effet, la région a considéré que cette action de « pastoralisme » devait s'inscrire en complément des actions de mise en valeur de la Corse. Ce service a pour objet de définir des pratiques culturales, afin que les éleveurs n'utilisent plus la technique du feu.

En la matière, nous nous heurtons à un problème important : en effet, les éleveurs qui utilisent le foncier n'en ont pas la maîtrise et ne peuvent donc pas le mettre en valeur. On considère que 30 % à 40 % des incendies sont d'origine pastorale ; ils couvrent 60 % à 70 % des surfaces brûlées. Le service Pastoralisme mène des expérimentations in situ , afin de diffuser auprès d'éleveurs volontaires de nouvelles techniques culturales, permettant d'éviter la propagation des incendies. L'ODARC intervient également au niveau de la châtaigneraie, afin de financer les exploitants qui souhaitent engager des rénovations, soit pour produire des châtaignes, soit pour alimenter les porcins.

M. Paul Natali - La Corse disposait d'un parc important de châtaigniers. Aujourd'hui, nous avons l'impression que la châtaigneraie est retournée à l'état sauvage.

M. Henri Salvat - A l'origine, la châtaigneraie devait couvrir entre 20 000 et 25 000 hectares. Aujourd'hui, les surfaces sont toujours les mêmes mais une grande partie des châtaigniers a disparu, notamment du fait de maladies. Pour autant, depuis quelques années, nous constatons un intérêt pour la remise en valeur des châtaigneraies par les agriculteurs, même si cela ne permet pas d'atteindre les surfaces initiales.

M. Jean-Paul Amoudry - Un programme existe-il pour la châtaigneraie ?

M. Paul Natali - Un programme européen avait été lancé à une époque.

M. Henri Salvat - Des financements FEOGA ont été versés lors du précédent DOCUP. En fait, le châtaignier peut être considéré comme un arbre forestier ou agricole. Le propriétaire de châtaigneraie, qui n'est pas exploitant agricole, peut donc remettre en valeur la zone en tant que surface forestière ; pour sa part, un exploitant agricole qui récolte les châtaignes pour nourrir ses porcins reçoit les crédits réservés au secteur agricole. Dans tous les cas, nous souhaitons que le propriétaire qui met en valeur sa propriété le fasse en relation étroite avec un agriculteur pour assurer l'exploitation par la suite ; sinon, la démarche est vouée à l'échec.

M. Etienne Suzzoni - Des enveloppes importantes ont été affectées mais elles n'ont pas été consommées car personne ne pouvait déposer de dossier pour mettre en valeur les châtaigneraies, du fait de l'absence de maîtrise du foncier. De plus, les conditions d'accès à ces financements sont souvent telles que personne n'est éligible. Ainsi, il faut posséder une surface minimale de 25 hectares, ce qui n'était le cas de personne. Dans ces zones en déprise, le développement passe par l'animation des territoires, ce qui nécessite que des hommes portent sur leurs épaules des démarches structurantes et fédératrices ; actuellement, nous ne disposons pas de ces acteurs. Les contrats de plan agricole prévoient 50 millions pour s'attaquer au problème du foncier mais rien n'est prévu pour payer des animateurs. Dans tous les cas, pas un centime n'a été engagé à cette heure.

M. Auguste Cazalet - Chez nous, les châtaigniers ont disparu, alors qu'ils constituaient la richesse des exploitations. Nous ramassions les châtaignes sur des terrains qui ne pouvaient pas être utilisés pour une autre exploitation. Ensuite, la maladie du châtaignier est apparue ; nous avons essayé de planter des châtaigniers japonais, qui ont donné mais il n'existe plus aujourd'hui de véritable marché aux châtaignes. En fait, aucun effort n'a été effectué pour enrayer cette chute, sachant que la consommation s'est réduite. Quand j'étais enfant, nous partions à l'école avec une poche de châtaignes. Par ailleurs, il semble que le châtaignier sauvage ne crève pas.

M. Paul Natali - Des pépinières naturelles se créent.

M. Auguste Cazalet - En Corse, il faut que la production soit rentable pour effectuer de nouvelles plantations de châtaigniers.

M. Paul Natali - En Corse, dans certaines régions, certaines populations ont vécu largement grâce à la production de châtaignes (élevage, farine...), par le biais d'industries familiales et artisanales, avant l'exode vers les villes.

M. Auguste Cazalet - Chez nous, nous avions deux catégories de châtaignes, la rouge et la noire. La première était vendue plus cher, à des marchands originaires du Lot-et-Garonne. La châtaigne noire était meilleure à manger ; nous la faisions griller le soir.

M. Paul Natali - En Corse, quelques petits artisans ont créé une industrie du marron glacé, notamment du côté d'Ajaccio. Pour autant, la production reste très réduite et ne peut pas être comparée à celle de l'Ardèche.

M. Auguste Cazalet - Chez nous, la production était de plusieurs tonnes par exploitant durant deux ou trois mois.

M. Paul Natali - Aujourd'hui, la maigre production est livrée aux porcs.

M. Jean-Paul Amoudry - On pourrait considérer que cette filière a tout de même un avenir.

M. Paul Natali - Cet avenir est très limité.

M. Etienne Suzzoni - Il s'agit du coeur de nos productions régionales de montagne. Les châtaigneraies embellissent les villages et constituent un véritable patrimoine, notamment pour le tourisme. De plus, les châtaignes servent à finir l'élevage des porcs coureurs, ce qui nécessite de clôturer les espaces et de les entretenir.

M. Jean-Paul Amoudry - Nous pourrions aborder le bilan de l'activité touristique en zone de montagne. Avez-vous des éléments à nous livrer en termes de chiffre d'affaires et de population active concernée ?

M. Henri Salvat - Sur les 2 millions de visiteurs dont je parlais précédemment, 5 % à 6 % sont logés à l'intérieur dans les gîtes ruraux et les fermes auberges ; le reste est logé sur le littoral. Pour autant, les personnes qui logent sur le littoral se rendent dans l'intérieur de la Corse pour passer une journée (GR 20, randonnée, visite de villages...). En fait, 37 % à 45 % de la population touristique se rendent à l'intérieur de la Corse.

M. Jean-Paul Amoudry - Les collectivités locales se sont-elles engagées sous différentes formes en la matière ?

M. Henri Salvat - Très peu.

M. Jean-Paul Amoudry -En fait, la situation financière des collectivités locales n'est pas reluisante, comme nous l'a laissé entendre Paul Natali. Il est vrai que des obligations comme l'assainissement sont déjà très lourdes à assumer. Pouvons-nous aborder la politique du conseil régional pour le développement et l'aménagement des zones de montagne ?

M. Jean Faraud - Il n'existe pas de politique spécifique dédiée au massif montagneux, notamment parce que le zonage ne satisfait pas grand monde et que personne ne se l'approprie afin de distinguer les deux zones. En fait, dans l'esprit des politiques, la Corse est scindée en une Corse urbaine (conurbations de Bastia et d'Ajaccio, Calvi, Porto-Vecchio, Corte, l'Ile-Rousse) et une Corse rurale, dont la montagne.

Des atouts liés à la montagne doivent être valorisés ; cela constitue le leitmotiv que l'on retrouve dans tous les documents politiques du conseil régional. Ces atouts sont notamment un potentiel environnemental exceptionnel, un riche écosystème, une ressource en eau abondante et de bonne qualité, un potentiel en matière d'énergies renouvelables, une absence de pollution majeure. Nous disposons donc d'un espace qui bénéficie d'un réel potentiel.

La collectivité a également identifié des leviers de développement à actionner ou des actions à mettre en oeuvre sur les territoires ruraux. Elles concernent le financement des entreprises, les plus petites étant actuellement sous-capitalisées et disposant de fonds propres très réduits. Dans ce contexte, la volonté de la collectivité territoriale est d'apporter une alternative à cette carence de fonds propres, en investissant dans une société de capital risque, par la mise en place de prêts d'honneur et d'un dispositif régional de garanties d'emprunt. La volonté est aussi de mettre au point un réel dispositif d'appui technique en matière d'élaboration de projets d'entreprise, ce qui n'existe pas actuellement.

En matière de soutien au tourisme, la politique de la collectivité repose sur un zonage de la Corse en 20 territoires pertinents et cohérents, l'objectif étant d'associer des territoires de montagne à des territoires littoraux. Il existe également une volonté de faire émerger les dynamiques de développement, en faisant se rencontrer les acteurs sur les territoires, grâce à une animation forte et présente sur le long terme.

En matière touristique, la collectivité souhaite la mise en place de soutiens publics à la création de nouvelles unités d'hébergement mais aussi le développement des activités de loisir en zone de montagne (sports d'eau vive, escalade, randonnées...).

Pour le développement de l'agriculture en zone de montagne, la première des priorités affichées par la collectivité est la résolution du problème de l'accès au foncier des exploitants agricoles. La collectivité souhaite également soutenir significativement les productions identitaires (châtaignes, charcuterie et fromages fermiers). Nous devons nous appuyer sur le lien fort dont nous disposons avec le terroir, c'est-à-dire la montagne. Cette dernière doit devenir le conservatoire de tous ces savoir faire traditionnels, que la collectivité doit aider, grâce à un accompagnement des démarches de certification et de labellisation. Le troisième objectif fort de la collectivité est de faire participer l'activité agricole à la prévention en matière d'incendie, notamment par la gestion des ruminants sur les espaces ouverts.

Par ailleurs, dans le domaine forestier, la collectivité soutient financièrement les investissements en matière d'amélioration des peuplements mais aussi d'équipement des exploitations.

M. Henri Salvat - Dans le cadre de la loi du 22 janvier 2002, toutes les forêts domaniales d'Etat ont été transférées à la collectivité territoriale corse, en propriété gestion.

M. Paul Natali - Il s'agissait d'anciennes propriétés domaniales, qui étaient déjà plus ou moins communales lorsque l'Etat les a reprises. Je ne pense pas que cela soit une bonne affaire pour la collectivité territoriale corse ; je vois mal comment le système va pouvoir fonctionner. Je pense que nous nous faisons trop d'illusions dans ce domaine.

M. Jean-Paul Amoudry - S'agit-il de pins maritimes ?

M. Paul Natali - Il s'agit en partie de pins maritimes, sachant que le bois a une valeur très faible aujourd'hui. A une époque, la Corse regroupait encore 30 ou 40 scieries, qui constituaient une industrie florissante ; aujourd'hui, elles ne sont plus que trois ou quatre sur l'ensemble de la région et travaillent essentiellement du bois importé d'Afrique. Lorsque les Domaines passent des appels d'offres, le bois est pratiquement bradé.

M. Jean-Paul Amoudry - Dans les Vosges, nous avons constaté que des bois qui valaient 53 à 61 euros il y a trois ou quatre ans sont stockés et mouillés et ne valent plus que 4,6 euros le mètre cube.

M. Paul Natali - C'est la raison pour laquelle je pense que l'Etat ne nous a pas fait de cadeau en transférant les forêts domaniales à la collectivité territoriale corse, qui s'est d'ailleurs manifestée avec beaucoup d'enthousiasme pour récupérer ce patrimoine.

M. Jean Faraud - Le Conseil régional mène également une action de réhabilitation des villages de l'intérieur. Enfin, nous constatons qu'il n'y a pas de volet montagne spécifique au sein du contrat de plan.

M. Jean-Paul Amoudry - En fait, le thème de la montagne est réparti au sein du plan.

M. Paul Natali - Je doute de la volonté politique en matière de réhabilitation des villages de l'intérieur ; depuis plusieurs années, nous ne sentons aucune évolution en la matière. D'ailleurs, les maires n'ont plus de moyens : la voirie départementale des villages de l'intérieur est laissée quasiment à l'abandon. De temps en temps, un kilomètre d'enrobé est réalisé avant les élections... De plus, le problème de l'eau est souvent préoccupant au sein des villages, les canalisations étant en très mauvais état. De même, l'assainissement est très réduit, ce qui conduit à des rejets dans les ruisseaux. Globalement, l'intérieur de la Corse nécessite donc un effort considérable de la part de la collectivité territoriale, qui doit permettre, grâce aux réhabilitations, d'effectuer des remises à niveau en matière d'équipements. En effet, ces derniers pourraient inciter une petite part de la population à revenir habiter dans les villages de l'intérieur. Enfin, l'indivision conduit certaines maisons à devenir de véritables ruines ; il faudrait peut-être prévoir une expropriation et un transfert aux communes, financé à 100 %, afin de créer des gîtes communaux ou de petites habitations. Dans nos régions de montagne, la misère est totale.

M. Jean-Paul Amoudry - Sur ce dernier point, nous avons reçu Jacques Combret, président de l'Institut d'études juridiques du Conseil supérieur du notariat et notaire dans l'Aveyron, avec qui j'ai évoqué l'indivision, qui constitue aussi une réalité en Haute-Savoie, conduisant de nombreux bâtiments à être en ruine. Monsieur Combret m'a indiqué que la réponse à ce problème était contenue dans la réforme de la succession sous la forme du droit à interrogation : un co-héritier peut demander aux autres héritiers de se positionner sur la valeur d'un bien, ce qui les empêcherait de bloquer la procédure en ne se manifestant pas. La procédure permettrait à celui qui souhaite sortir de l'indivision d'obliger les autres à se prononcer et de passer outre moyennant le paiement d'une soulte.

M. Paul Natali - Il faut revoir la loi.

M. Jean-Paul Amoudry -Nous connaissons trop de cas de ce type. Nous pourrions donner à un tiers, à la collectivité ou à la SAFER la possibilité de mettre en demeure quelqu'un de se prononcer. Nous reprendrons ces éléments dans notre rapport.

M. Paul Natali - Nous devons faciliter la tâche des communes et des maires, afin qu'ils trouvent des acquéreurs pour ce patrimoine. Aujourd'hui, en Corse, nous sommes ankylosés par le système d'indivision. Le problème ne se pose pas sur le littoral puisque les acheteurs existent et que l'argent est partagé. En revanche, à l'intérieur, les terrains sont à l'abandon, livrés aux éleveurs, ce qui facilite l'action des incendiaires.

M. Jean-Paul Amoudry - La formule des associations foncières agricoles, pastorales ou forestières remporte-t-elle un grand succès ?

M. Paul Natali - Nous n'en sommes qu'aux prémices en la matière ; la question est très complexe.

M. Toussaint Felce - Les éleveurs y sont opposés. En effet, jusqu'à maintenant, ils ne payaient rien.

M. Jean-Paul Amoudry - Je comprends que les propriétaires ne souhaitent pas se lier.

M. Toussaint Felce - Les propriétaires pourraient accepter le principe mais les éleveurs ne le souhaitent pas.

M. Paul Natali - Le raisonnement est le même pour les abattoirs, dont la presse locale annonce l'ouverture tous les mois depuis des décennies ; pour l'instant, aucun abattoir n'a encore été ouvert.

M. Etienne Suzzoni - Il faut que ceux qui souhaitent avancer ne soient pas bloqués par ceux qui le refusent ; c'est pourquoi il faut mettre en place une animation. La SAFER rencontre les plus grandes difficultés à obtenir les crédits nécessaires.

M. Paul Natali - Nous constatons des anomalies grossières.

M. Jean-Paul Amoudry -Certains départements, par exemple dans les Pyrénées-Atlantiques, ne connaissent pas la formule, alors que d'autres, comme l'Ariège ou la Lozère, ont largement développé ce type de formule. Pour ma part, je préside un organisme dont le directeur est un animateur qui a permis de monter une trentaine d'association fruitière pastorale en Haute-Savoie, alors que le contexte est très individualiste ; cela nous a permis de sauver notre alpage. Parfois, il faut aller chercher les propriétaires qui habitent ailleurs et parvenir à résoudre les problèmes qui se posent.

M. Etienne Suzzoni - Nous souhaitons que l'Assemblée de Corse se donne les moyens d'une taxation du foncier à l'abandon. En effet, cela permettrait d'imposer la rénovation au propriétaire, sachant qu'il serait exonéré dans le cas inverse.

M. Jean-Paul Amoudry - La loi prévoit la taxation du foncier non bâti pour tous les biens inclus dans une association foncière pastorale ou agricole. Pour cela, nous devons demander au législateur de renouveler cet avantage, qui avait été consenti dans une loi de finances il y a cinq ans. Dans le rapport « Pastoralisme » que nous allons remettre à Hervé Gaymard dans quelques jours, nous allons renouveler cette demande.

M. Etienne Suzzoni - Aujourd'hui, le propriétaire est déjà exonéré puisque le foncier agricole n'est pas taxé. La taxation ne concerne que les zones qui sont exploitées, ce qui peut sembler paradoxal. Parallèlement, la friche et l'incendie ne sont pas taxés.

M. Paul Natali - La loi « Joxe » avait autorisé la Corse à prélever des sommes sur les trajets effectués entre la Corse et le continent, en avion et en bateau, à raison de 9,15 euros par ticket. Cette enveloppe de 22 850 à 27 500 euros était consacrée à la protection de l'environnement ; depuis, elle a été intégrée au budget général de la collectivité territoriale corse et n'a pas été affectée à l'objectif prévu par la loi, sans que les préfets ne disent quoi que ce soit.

M. Jean-Paul Amoudry - L'assainissement fait également partie de l'environnement. Toutes les communes rurales de montagne ne savent pas financer les dépenses en matière d'environnement dans les délais prévus.

M. Paul Natali - Nous étions classés en Objectif 1 au niveau des crédits européens, avant d'être déclassés en Objectif 2 du fait de reliquats d'utilisation sur les grands programmes d'eau et d'assainissement. Pour autant, la somme prélevée sur les transports qui devait être consacrée à l'environnement était importante. L'agence de l'eau a cofinancé aussi, ainsi que les départements, ce qui permet de boucler un projet à 80 %.

M. Jean-Paul Amoudry - Nous allons étudier toutes vos informations.

M. Paul Natali - Il faut que vous veniez faire une visite en Corse.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie pour vos contributions verbales et écrites.

47. Audition de M. Paul Vergès, sénateur, président du Conseil régional de La Réunion, et Mme Anne-Marie Payet, sénateur de La Réunion, accompagnés de Mme Pascale Jové, commissaire à l'aménagement des Hauts, et MM. Axel Hoareau, directeur de la Maison de la montagne et Vincent Le Dolley, directeur départemental de l'Agriculture et de la Forêt (24 juillet 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous accueille avec beaucoup de plaisir au Sénat. Je vous prie d'excuser Monsieur Blanc, Président de notre mission, qui est retenu par ailleurs, ainsi que certains de mes collègues sénateurs, dont certains étaient présents ce matin et dont d'autres nous rejoindront cet après-midi. Je vous propose de commencer nos travaux, en vous remerciant d'avoir fait le déplacement depuis La Réunion. Nous sommes heureux de pouvoir échanger sur le thème de la montagne, dans le cadre de cette mission dont je souhaiterais vous dire quelques mots de présentation.

Le Président et le Bureau du Sénat ont accepté la proposition présentée en février dernier par quelques sénateurs, à l'initiative de l'Association nationale des élus de la montagne, de créer une mission d'évaluation de la politique Montagne depuis la loi de 1985 et les textes de la rénovation rurale, qui datent du début des années 70. Ce projet assez ambitieux a consisté, du mois d'avril à aujourd'hui, à auditionner plusieurs dizaines de personnes (élus, responsables socioéconomiques et associatifs), afin de dresser ce bilan et tenter de proposer des orientations et des mesures propres à corriger cette politique. En effet, nous avons conscience que la loi de 1985 n'a donné lieu qu'à des applications imparfaites. De plus, elle a fait l'objet de textes ultérieurs (lois d'orientation et d'aménagement) dans les domaines de la forêt, de l'urbanisme et de l'agriculture ; tous ces textes peuvent présenter des contradictions ou au moins des points d'achoppement. Cette volonté a donné lieu à une étude basée sur trois grands axes : environnement, économique, aménagement.

Nous avons prévu de déposer nos conclusions au début du mois d'octobre, de façon à rester dans le cadre de l'année internationale des montagnes. Nous souhaitons également être présents au rendez-vous de la reprise des travaux parlementaires à l'automne. Nous souhaitons enfin proposer et faire valider nos orientations par certains congrès, assises et rencontres, qui se tiennent traditionnellement à l'automne. En revanche, nous n'aurons pas terminé à temps pour soumettre nos travaux aux Assises des conseillers généraux qui auront lieu à La Réunion, même si les conclusions seront déjà bien avancées ; dans ces conditions, cette question pourra peut-être être abordée à cette occasion.

Nous n'avons pas eu le temps matériel et la possibilité de visiter votre île. Pour autant, le groupe Montagne, qui survivra à notre mission, après la remise du rapport, pourra, si vous l'estimez nécessaire et si nous le jugeons utile, se rendre à La Réunion pour approfondir certains aspects de la problématique Montagne. Je vous invite maintenant à intervenir sur la base des questions que nous vous avons adressées et sans préjudice des autres points que nous pourrions évoquer. Je vous laisse la parole ; je suis heureux de vous entendre et d'échanger avec vous.

Mme Anne-Marie Payet - Je tiens à dire ma joie d'être présente aujourd'hui. En effet, au départ, je pensais que la mission ne portait que sur les départements de métropole puisque j'entendais principalement parler d'accidents de ski et d'avalanches... Lorsque j'ai compris que les thèmes examinés étaient également ceux du tourisme, de l'élevage et de l'agriculture, j'ai tout fait pour inclure La Réunion dans cette mission. Je suis heureuse d'être présente aujourd'hui en compagnie de professionnels réunionnais, que je remercie d'avoir interrompu leurs vacances.

La Réunion offre aux touristes et à ses habitants les plaisirs de la mer et de la montagne : 30 kilomètres à peine séparent l'Océan Indien du Piton des Neiges qui culmine à 3 069 mètres. L'originalité de La Réunion tient à l'existence de ces zones de montagne, aussi vastes que diverses, qui sont des espaces naturels, de vie et de travail. L'article 4 de la loi Montagne de 1985 énonce qu'à La Réunion, les zones de montagne comprennent les communes et parties de communes situées à une altitude de plus de 500 mètres. Par décret du 26 décembre 1994, de nouvelles limites ont été fixées pour les zones de montagne, afin de tenir compte de la présence de handicaps structurels (relief, enclavement) et de nos enjeux de développement pour la mise en valeur de l'espace Montagne.

Finalement, parler des collectivités locales des zones de montagne à La Réunion revient à parler de presque toutes les collectivités puisque 23 communes sur 24 sont concernées. Les zones de montagne, que nous appelons les « Hauts » par opposition aux zones littorales appelées les « Bas », représentent un potentiel important que nous devons valoriser. Il s'agit d'un potentiel d'espace puisque les zones de montagne représentent 2 000 km 2 , soit les quatre cinquièmes de la superficie de l'île pour un cinquième de la population. Il s'agit également d'un potentiel humain : 139 790 habitants sont concernés, soit 20 % de la population. Cette dernière est jeune puisque 50 % a moins de 25 ans, son niveau de formation allant croissant. Le potentiel est également économique puisque les Hauts regroupent 60 % de la surface agricole utile, 90 % du potentiel forestier, 90 % du potentiel d'élevage, 60 % des exploitations agricoles et des zones de production vivrière, maraîchère, horticole et arboricole, toutes complémentaires de celles des Bas.

Ce potentiel est fragile et le mitage des zones agricoles s'accentue. Il faut donc renforcer le tissu économique et social. Aujourd'hui, 10 % seulement des entreprises sont implantées dans les Hauts. Le taux de chômage est préoccupant puisqu'il est de 49 % pour les zones de montagnes, de 55 % à Cilaos, commune où je réside, et de 34 % pour l'ensemble du département. La Réunion compte aujourd'hui plus de 700 000 habitants ; des études récentes ont montré qu'en 2020, la population atteindrait le million de personnes. Face à une zone littorale saturée, l'espace rural représente une alternative pour un développement harmonieux et équilibré du territoire, qui doit se traduire par des orientations politiques fortes : une politique de rattrapage en équipements structurants pour réduire le déséquilibre entre les Hauts et les Bas et une dynamique économique performante qui diversifie et conforte les activités.

Je laisse la parole à Madame Jové, qui va nous présenter le Commissariat à l'aménagement des Hauts, structure équivalente à celle du Comité de massif qui n'existe pas chez nous.

Mme Pascale Jové - L'histoire institutionnelle de l'aménagement des Hauts à La Réunion précède la politique de la montagne et date plutôt du lancement de la rénovation rurale. A La Réunion, le plan d'aménagement des Hauts et la mise en place du Commissariat sont issus d'une volonté politique. Dans les années 60, le constat a été fait d'un déséquilibre social et économique très fort entre la zone des Hauts et la zone des Bas. En 1975, les assemblées régionales (Etablissement public régional agricole et le conseil régional) ont émis le voeu qu'un plan global d'aménagement soit mis en place pour les Hauts, dans le cadre du 7 ième Plan. En 1977, un Comité d'aménagement des Hauts a été créé par arrêté préfectoral, qui préfigure le comité de massif qui n'existe pas à La Réunion puisque la loi ne l'a pas prévu dans les DOM. En 1991, ce comité a été modifié par un nouvel arrêté préfectoral, prévoyant une coprésidence entre l'Etat et les collectivités, ainsi que l'intégration des socioprofessionnels.

En 1978, les Hauts de La Réunion sont délimités par décret comme des zones d'action rurale et représentent 80 % de la superficie de l'île. Le Commissariat à la rénovation rurale des Hauts apparaît en octobre 1978 ; le premier Commissaire est nommé en même temps que la mise en place du plan d'aménagement des Hauts. En 1994, l'ensemble des Hauts est classé en TRVP, ce qui conduit à une augmentation de la zone de massif à La Réunion, ce qui nous vaut de disposer de communes qui vont jusqu'à la mer et qui sont intégrées dans le plan d'aménagement des Hauts. De plus, le classement en TRVP permet une intervention préférentielle du fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) sur la zone.

Le Commissariat d'aménagement des Hauts de La Réunion met en oeuvre le plan d'aménagement des Hauts. Par rapport aux autres commissariats métropolitains, il bénéficie d'une approche partenariale et originale. En effet, s'il s'intègre dans le réseau des commissariats de la DATAR (à sa tête, le commissaire est nommé par la DATAR sous l'autorité du Préfet), depuis sa création en 1978, le Commissariat bénéficie également d'un large partenariat avec les collectivités locales, en particulier le conseil régional et l'Europe. Depuis sa création, le Commissariat, tant pour le fonctionnement des structures de terrain qu'au niveau de ses crédits d'investissement, est entièrement financé par l'Etat, la région, le département et l'Europe.

Le Commissariat et le plan d'aménagement des Hauts ont été mis en place durant une période de fort rattrapage au niveau des équipements et des infrastructures. Plus de 20 ans après, la plupart des défis ont été relevés ou sont en passe de l'être. Ainsi, les efforts ont principalement porté sur les équipements, les infrastructures routières, l'alimentation en eau et en électricité ; de même, les productions agricoles ont été diversifiées, le développement du tourisme, de l'artisanat et des services ayant été également très important. Au fil des ans, l'image des Hauts s'est inversée : celle de la qualité a succédé à celle de retard et de handicaps. Pour autant, des efforts doivent encore être poursuivis, compte tenu du contexte démographique.

En effet, la zone des Hauts voit sa population augmenter, de façon parallèle à celle de l'ensemble de l'île. Or, compte tenu de la saturation du littoral, cette zone de montagne va devoir accueillir d'ici à 2020, une partie des 300 000 habitants nouveaux dont La Réunion disposera. Aujourd'hui, si le rattrapage à effectuer n'est plus aussi important, de nombreux atouts restent à développer.

La zone des Hauts a longtemps constitué un refuge pour les « esclaves marrons » ou les « petits blancs », ce qui en a fait une région préservée, au milieu naturel exceptionnel, tant en termes de paysage que de patrimoine ou de qualité des hommes que l'on y rencontre. Les Hauts peuvent donc contribuer à relever les défis qui se posent à l'ensemble de l'île, notamment en termes de création d'emploi, de protection des espaces naturels, d'occupation maîtrisée du territoire et en matière de cohésion sociale. Pour autant, les Hauts restent fragiles du fait de l'enclavement ; de plus, nous sommes sur une île volcanique, ce qui pose d'importants problèmes d'érosion tant en termes de production agricole que de protection des biens et des personnes. Il s'agit également d'une zone essentiellement agricole, sans pôle urbain structuré. Des efforts doivent donc être effectués pour développer les services, les logements, les équipements publics et pour structurer les bourgs, comme cela a été prévu dans le schéma d'aménagement régional (SAR). Face à ces enjeux, les Hauts possèdent des ressources et des atouts très importants. Ils constituent un réservoir d'espace pour l'accueil de la nouvelle population ; l'agriculture est moderne ; le tourisme rural est en plein essor ; le patrimoine naturel et le cadre de vie sont exceptionnels et doivent continuer à être valorisés.

Le plan d'aménagement des Hauts a été introduit dans le contrat de plan du document unique de programmation (DOCUP) ; il se traduit par 17 mesures spécifiques aux Hauts, en plus des mesures de droit commun qui s'appliquent déjà à La Réunion. Il est prévu une modalité d'intervention spécifique dans les Hauts, sur la base d'un partenariat institutionnel fort entre l'Etat, la Région, le Département et l'Europe. Entre 2000 et 2006, environ 91,5 millions d'euros seront disponibles pour mener des actions spécifiques dans les Hauts. Après la période de rattrapage que nous avons connue en termes d'équipements, d'infrastructures et d'agriculture (l'élevage a été créé de toutes pièces dans les années 70, ce qui a nécessité l'étude des espèces et du fourrage adaptés, des bâtiments d'élevage, des prairies mais aussi la création d'AFP), nous continuons à travailler sur la diversification de l'agriculture. Nous menons des expérimentations, notamment en travaillant sur la mise au point d'une canne à sucre adaptée aux zones d'altitude. Des actions sont aussi menées en matière d'aménagement des terroirs, compte tenu des problèmes importants d'érosion, ainsi que pour la valorisation et la transformation des produits agricoles. Parallèlement, nous menons une action spécifique au niveau du commerce et de l'artisanat, seulement 10 % des artisans étant situés dans les Hauts ; nous avons mis en place une discrimination positive pour les artisans et les commerçants qui souhaitent s'installer ou se diversifier dans les Hauts. Enfin, une action importante est menée en matière de valorisation touristique.

Par ailleurs, les communes mènent une action de structuration des bourgs des Hauts, ainsi qu'une réflexion sur l'habitat, afin d'accueillir les nouvelles populations. Ainsi, le sénateur Virapoullé réfléchit à la création d'une ville nouvelle. Enfin, je dois citer le travail mené sur la protection des habitats et des biens dans les Hauts, du fait de l'érosion constatée. Pour mettre en oeuvre cette politique de partenariat, nous nous appuyons sur l'équipe de six personnes du Commissariat, ainsi que sur l'équipe d'animateurs du plan d'aménagement des Hauts, cofinancée également dans un cadre partenarial, qui, à l'image des animateurs de développement local, met en oeuvre la politique du plan d'aménagement des Hauts sur le terrain.

M. Vincent Le Dolley - Nous ne disposons pas de chiffres spécifiques en ce qui concerne l'agriculture des Hauts, les statistiques s'arrêtant à des sous-communes qui ne recoupent pas nécessairement la limite des Hauts. De plus, cette dernière ne coïncide pas avec la limite de montagne, ce qui complique l'analyse. L'agriculture de La Réunion regroupe 9 400 exploitations, ce qui la situe dans le haut de la fourchette des départements français, la surface moyenne étant en revanche moins élevée. De plus, la répartition des exploitations fait apparaître trois grandes masses à peu près équivalentes : la canne à sucre, les fruits et légumes, l'élevage, ainsi que des cultures traditionnelles comme celle du géranium.

La zone des Hauts n'est pas spécialisée ou marginale, la seule production qui n'est effectuée pratiquement que dans les Hauts étant le géranium, pour des raisons climatiques. Parallèlement, 40 % de la canne à sucre sont produits dans les Hauts, contre 66 % pour les fruits et légumes et 80 % pour l'élevage. Les chiffres ne définissent donc pas les Hauts et les Bas comme coïncidant avec des productions spécifiques. Pour n'être pas spécialisée, la zone des Hauts n'est pas non plus marginale puisqu'elle accueille 60 % des exploitations agricoles. Les Hauts regroupent donc de nombreuses exploitations et font l'objet d'une pression foncière importante.

Par ailleurs, le ministère de l'agriculture a considéré qu'il était justifié de classer l'ensemble de l'île comme une zone à handicap naturel. En effet, même dans les très Bas, on constate l'existence de différences de reliefs, de ravines, de cailloux et de pentes qui justifient tout à fait ce classement au niveau européen. En revanche, au sein de cette grande zone handicapée, il est vrai que les situations sont diverses, ce qui nécessite la mise en place de politiques différenciées. Au sein d'une grande zone où tout le monde est potentiellement éligible, nous essayons de mettre en place des différences de traitement, pour tenir compte des coûts réels de transport, en fonction de la pente, du relief ou de la qualité des sols.

Parallèlement, les politiques nationales s'appliquent, comme l'indemnité compensatrice de handicaps naturels (ICHN), qui concerne l'ensemble de l'île. De plus, les politiques de contrats territoriaux d'exploitation (CTE) sont bien adaptées à notre situation ; ainsi, des CTE collectifs ont été réalisés, à Cilaos et à Salazie, qui tiennent compte des difficultés de ces zones. Une politique a été menée, privilégiant plutôt les Hauts, en termes de quotas, notamment pour l'élevage : l'objectif était d'apporter l'économie dans ces zones et de privilégier la canne là où elle peut pousser.

Par ailleurs, un rééquilibrage des ressources en eau est effectué. En effet, les handicaps naturels de La Réunion ne sont pas uniquement liés au relief mais aussi à la sécheresse ou à l'excès d'eau dans d'autres zones. L'un des grands projets menés a été de transférer les eaux excédentaires vers les zones déficitaires, ce projet faisant suite à d'autres, historiques, notamment à Cilaos. L'autre politique consiste à mener une réflexion pour la mobilisation du foncier. En effet, l'espace n'est pas suffisant pour que les agriculteurs s'installent. Nous sommes donc dans une situation de pression foncière, qui n'est pas courante en métropole, aussi bien dans les Hauts que dans les Bas. Le ministère de l'agriculture et ses partenaires doivent donc développer des politiques pour mobiliser au maximum les terres disponibles (inventaire des zones en friche, politique anti-friche). Les Hauts peuvent être dans certains cas des lieux d'implantations futures, afin d'éviter que tout le monde ne s'installe sur les zones côtières.

En matière d'environnement, nous disposons évidemment d'un patrimoine exceptionnel, qui est préservé en grande partie parce que son statut foncier est domanial, la gestion étant assurée par l'office national de la forêt (ONF) pour le compte des collectivités. Même si l'on peut toujours faire des critiques, ce dispositif a permis la préservation à grande échelle d'un patrimoine exceptionnel, notamment les forêts primaires, qui constituent à la fois la fierté de l'île et un atout touristique indéniable. De plus, une politique d'orientation régionale forestière vient d'être mise en place, comme dans toutes les régions françaises, qui privilégie la conservation des forêts primaires, dans lesquelles la production du bois est donc exclue. Nous disposons également de réserves biologiques et naturelles, ainsi que de sites classés, les ZNIEFF (zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique) couvrant 65 % du territoire, ce qui constitue à la fois la preuve de l'existence de notre patrimoine exceptionnel mais aussi une difficulté ; en effet, tout projet doit fait l'objet d'une étude approfondie de la situation, surtout pour les ZNIEFF de première catégorie, dont les plus nombreuses se situent dans les Hauts. Pour mémoire, le projet de création d'un Parc national dans les Hauts fait l'objet d'un consensus entre la région, l'Etat et le département. Ce parc, qui permettrait de consacrer la qualité exceptionnelle du site, a conduit à la création d'une mission d'expertise. Le premier enjeu en matière d'environnement est donc la protection du patrimoine exceptionnel.

Le deuxième enjeu concerne les risques. En effet, dans les Hauts, la pluie tombe abondamment ; le relief provoque de nombreux éboulements de terrain ou des glissements de terrain. Nous avons donc engagé une politique de Plan de prévention des risques, ce qui n'est pas aisé car nous constatons que les experts sont peu nombreux à pouvoir définir la réalité des risques au niveau de La Réunion. Nous rencontrons donc quelques difficultés ; nous avons le souhait que la politique de restauration des terres en montagne (RTM) puisse nous aider en la matière. Pour l'instant, il n'existe pas de service RTM à La Réunion, sans doute pour des raisons budgétaires ou historiques ; nous souhaiterions pourtant bénéficier d'un appui de la part de ces services.

Le troisième enjeu est celui de la pollution, La Réunion est une zone propre et saine, du moins dans les Hauts. Pour autant, des sous-zones accueillent des élevages de petite dimension, avec très peu de foncier, que nous avons des difficultés à contrôler. De plus, l'épandage est assez délicat car il nécessite le transport du lisier et des fientes, ce qui est particulièrement difficile sur nos routes. Globalement, la question des déchets, agricoles ou urbains, est très importante ; un travail est engagé en la matière, qui est essentiel si nous souhaitons éviter que les touristes soient touchés par certaines nuisances à l'avenir, notamment par la pollution olfactive. Parallèlement, le risque de pollution des nappes phréatiques est relativement faible, du fait des quantités importantes de pluie qui tombent sur notre île.

Enfin, si La Réunion dispose d'un patrimoine exceptionnel et qu'elle est ouverte sur le monde, elle a été envahie en 300 ans par des espèces végétales et animales qui ont tendance à coloniser l'espace et à perturber l'équilibre naturel écologique. Un travail important est donc mené par les services de l'Etat, notamment pour empêcher les importations anormales de plantes ou d'animaux qui seraient susceptibles de nuire à l'équilibre local. Ce sujet est important si nous souhaitons conserver notre forêt primaire dans le même état qu'aujourd'hui.

M. Paul Vergès - Pour La Réunion, le sujet dont s'est emparé le Sénat est décisif. Au nom du conseil régional et de la Chambre de commerce de La Réunion, j'étais en tournée d'investissement dans les Comores ; je suis rentré hier en avance pour assister à cette audition, avant de repartir dès ce soir. En effet, je pense que cette question est décisive et je répondrai évidemment par écrit à toutes les questions posées. Le problème de la montagne des Hauts se pose, en interaction avec le reste de la surface, dans des conditions que nous ne pouvons pas imaginer en métropole. En effet, à La Réunion, tout dépend de la montagne : 80 % de la surface de l'île sont classés en zone de montagne ; 23 communes sur 24 relèvent de la politique de montagne.

Je pense que le premier problème est que La Réunion est une île jeune géologiquement, dont les terrains sont encore instables. D'ailleurs, il y a un peu plus d'un siècle, un village a été enseveli à Grand Sable ; il y a quelques années, un barrage a été emporté par une rivière, ce qui a mis en danger toute l'agglomération de Saint-Joseph. De même, le chantier de basculement de l'eau a été interrompu par un éboulis. Nous possédons également des routes de grande circulation, notamment le long du littoral ; nous allons en construire une troisième car les deux premières se sont révélées dangereuses suite à des chutes de pierres et à des risques de descente de plaques ; le cirque de Cilaos est également souvent isolé par des éboulis. Cette question touche donc tous les secteurs.

Nous sommes également une île tropicale de 2 500 km 2 située en zone cyclonique, comprenant trois cirques montagneux, des hauts plateaux habités de 1 500 à 2 000 mètres, ainsi que des sommets de 1 500 à 3 000 mètres. Du fait des fortes précipitations cycloniques, nous disposons de vastes bassins versants, qui débouchent tous par une seule rivière. Compte tenu de la surface du pays, le parcours des eaux de pluie est particulièrement réduit. Or, en 1948, le cyclone a créé des volumes d'eau comparables à celui du Rhône en crue à Lyon. Nous faisons donc face à un problème considérable. De fait, les pertes en eau sont nombreuses et les morts causées par les cyclones sont provoquées à près de 100 % par l'eau (noyades lors des tentatives de passage des rivières ou dans les maisons emportées).

Dans ce cadre, l'occupation de l'espace a conduit à saturer le littoral. Cela pose des problèmes de protection des villes, des ravines... De plus, tout le littoral est occupé, alors que nous devrons loger entre 250 000 et 300 000 habitants supplémentaires dans les 20 ans qui viennent ; cela ne sera possible que dans les Hauts. Cela pose la question de la sécurité des logements, de la protection des terres agricoles et des infrastructures. Nous construisons actuellement deux lycées tous les trois ans et un collège par an. En fait, un apport de 250 000 habitants supplémentaires correspond à la population totale de La Réunion en 1946 ; 300 000 habitants de plus équivalent à la population de l'île en 1960.

Parallèlement, nous devons prendre en compte l'agriculture, notamment dans le cadre de l'érosion. En effet, La Réunion est l'un des pays du monde les plus gravement atteints en la matière : il s'agit d'une montagne de 50 kilomètres de base et de 3 kilomètres de sommet. Si la canne tient la terre aujourd'hui grâce à son système de racines, la culture du géranium, à une époque où La Réunion était le premier producteur du monde, a conduit à défricher dans les Hauts, ce qui a atteint le couvert forestier.

Par ailleurs, nous nous situons dans la zone où les changements climatiques qui s'annoncent du fait de l'effet de serre vont être les plus rapides et les plus sensibles. La planète se réchauffant, l'évaporation de l'Océan Indien sera plus importante et les cyclones seront donc plus forts et apporteront un plus grand volume de pluie. Nous courons donc au désastre, sachant qu'il faut tenir compte des engrais utilisés dans l'agriculture cannière, des problèmes des eaux d'assainissement, de la pollution des lagons et de l'augmentation des coraux qui commencent à blanchir du fait de la hausse de la température. Il s'agit du même phénomène que celui qui est constaté sur les atolls du Pacifique. A terme, si la barrière de corail meure, la houle passera par-dessus, entraînant ainsi la destruction des plages.

Dans le domaine de l'eau, le choix en termes d'alimentation a toujours dû être effectué par les maires entre le pompage des nappes phréatiques et l'utilisation des eaux de ruissellement, sachant que ces dernières sont plus faciles à utiliser. Toutefois, souvent, nous interrompons ainsi le cycle de l'eau qui va à la mer, alors qu'elle permet à la faune de nos rivières de naître dans cette mer. Si nous captons les rivières, l'eau n'arrive plus à la mer, ce qui interrompt le cycle de la vie et conduit les rivières à être désertifiées ; il s'agit là d'un énorme problème. Pour répondre aux besoins de l'agriculture, aux besoins humains et de l'activité industrielle future, nous devons mieux connaître nos ressources afin de mieux les utiliser. La nappe phréatique doit fournir actuellement environ 53 % de la consommation humaine ; si nous captons les eaux de ruissellement pour l'irrigation, les nappes ne sont plus alimentées. De plus, nous nous demandons pourquoi, pour l'irrigation, nous avons utilisé en priorité les cirques où les volumes d'eau étaient les plus faibles (Cilaos, Les Galets, Salazie). Nous n'avons pas suffisamment exploré les nappes élevées puisque la construction du tunnel de basculement de l'eau de Salazie sur la rivière des Galets est actuellement interrompue : nous avons trouvé une nappe qui diffuse 400 litres d'eau par seconde et qui se répand dans le tunnel ; cette nappe d'eau potable aurait évidemment pu faire l'objet d'une étude préalable. Parallèlement, nous devons déterminer la façon de réutiliser dans l'est le bassin versant le plus arrosé, qui rejette à la mer 500 000 m 3 d'eau par jour, ce qui représente les deux tiers de l'eau nécessaire pour l'irrigation de l'ouest. Avec l'Europe, nous avons dépensé 335 millions d'euros pour basculer une quantité d'eau mais nous en rejetons les deux tiers à la mer.

Le Sénat doit se pencher sur ces questions. D'ailleurs, à l'occasion du Congrès des présidents des conseils généraux, pourquoi nos collègues ne consacreraient-ils pas une journée à la visite des Hauts en hélicoptère ? Cela leur permettrait de prendre conscience des difficultés que nous rencontrons. Il serait ensuite possible de déposer un texte à partir des enseignements tirés, afin d'assurer l'avenir des Réunionnais. De plus, les îles environnantes sont analogues à la nôtre ; toutes les bonnes actions menées chez nous serviront donc d'exemple à l'île Maurice, aux Seychelles, aux Comores ou à Madagascar.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie pour cet exposé enrichissant qui souligne bien la singularité de l'île par rapport à sa situation climatique, géologique et volcanique. Je souhaite poser la question de la nature des risques. Le service Restauration des terres en montagne ne couvre qu'une partie des territoires montagneux français ; la particularité des risques de l'île de la Réunion mériterait l'installation d'une antenne et l'organisation de formations adaptées.

Mme Anne-Marie Payet - Monsieur Hoareau souhaiterait intervenir sur le tourisme et je souhaiterais présenter la situation des collectivités locales.

M. Axel Hoareau - Dans une île, le tourisme est un moteur économique assez important, d'autant plus que les autres moteurs sont assez peu nombreux, notamment dans les Hauts. Lorsque nous avons lancé le plan d'aménagement des Hauts en 1978, le tourisme était l'un des piliers de l'activité économique, comme l'agriculture. La difficulté que nous rencontrons aujourd'hui est que nous ne pouvons pas vraiment parler de « tourisme de montagne ». Peut-être s'agit-il plutôt de tourisme rural ou d'arrière-pays de littoral ; nous nous interrogeons sur ce type de tourisme. Dans tous les cas, le territoire doit satisfaire à la fois les besoins de loisir des Réunionnais, qui sont captifs, mais aussi ceux des touristes hébergés sur le littoral. D'ailleurs, la plupart des sites visités par les touristes aujourd'hui se situent dans les Hauts de l'île.

Le tourisme en montagne a connu des évolutions contrastées par le passé ; nous sommes passés de la splendeur à la décadence. La splendeur a duré de 1850 à 1900, époque à laquelle la clientèle locale montait prendre le frais dans les Hauts durant quatre à six mois, ce qui apportait de l'économie en matière d'hôtellerie, de guides et de porteurs. La découverte des vertus des eaux thermales a aussi contribué à développer ce type de tourisme, avant que la fréquentation ne se réduise peu à peu.

A partir de 1950, une classe moyenne de fonctionnaires, aux moyens financiers plus importants, est venue profiter des eaux thermales mais aussi du climatisme. En effet, à l'époque, les grandes vacances scolaires duraient du 19 décembre à la fin du mois de mars. La population qui avait les moyens montait donc dans les Hauts prendre le frais pour fuir la chaleur du littoral. Ensuite, l'arrivée de fonctionnaires métropolitains a conduit à une évolution progressive de la demande de la clientèle en direction du littoral ; dans les années 70, le tourisme a donc totalement disparu dans les Hauts.

Entre 1975 et 1978, le plan d'aménagement des Hauts a tenté de relancer le tourisme par une approche volontariste. Des actions ont donc été menées, notamment par la mise en place de gîtes de France, de gîtes ruraux, de chambres d'hôtes ou d'hôtels Logis de France, grâce à des moyens financiers importants apportés par les collectivités locales et l'Etat (ils proviennent aujourd'hui également de l'Europe mais ne financent qu'un quart des aménagements totaux de l'île). Des actions ont été conduites au sein de la filière de restauration par la mise en place de tables d'hôtes, de fermes auberges, d'auberges de campagne et de restaurants, ainsi que pour favoriser la structuration des territoires. Parallèlement, des actions ont été menées sur les loisirs de pleine nature (randonnée pédestre, canyoning, VTT, escalade). Enfin, des actions moins importantes sont conduites au sein de la filière des loisirs culturels et du patrimoine, au sein de laquelle il reste beaucoup à faire, comme pour la filière artisanale et agroalimentaire.

Des initiatives sont également prises en matière de sites et de paysages. En effet, les touristes visitent La Réunion pour la qualité et la beauté de ses sites et de ses paysages. A ce titre, les Hauts de l'île représentent les sept ou huit dixièmes des territoires les plus beaux, que les touristes visitent sur un ou deux jours, en dormant une nuit sur place. Les résultats des différentes politiques sont donc positifs ; le plan marketing mis en place en 1993 et 1998 place les Hauts comme l'une des principales composantes du tourisme de l'île. Sans les Hauts, le tourisme serait donc bien pauvre au sein de l'île puisque nous ne bénéficions pas du même littoral que nos voisins mauriciens ou seychellois.

Trois grandes caractéristiques peuvent être définies : la suprématie de la montagne (paysages érodés et reliefs impressionnants), la puissance de la nature, sa diversité. En fait, nous passons très rapidement d'un site à un autre, du stade minéral au stade végétal, de la forêt primaire au volcan. Cette diversification peut être constatée sur un espace très réduit, ce qui constitue la richesse la plus importante de l'île aujourd'hui. Les Hauts forment l'acceptation la plus forte de l'île ; il faut donc contribuer le plus possible au développement du tourisme.

Pour autant, seulement 12 % des structures d'hébergement se situent dans les Hauts. En fait, la proximité du littoral et des Hauts (1 à 2 heures de trajet) fait que les touristes préfèrent à 80 % dormir sur le littoral et visiter les sites sur la journée. Le littoral constitue un véritable porte-avions duquel les touristes décollent pour la journée, avant de revenir s'y poser tous les soirs. Il est important pour nous de capter une partie de cette clientèle sous forme de retombées économiques (restauration, loisirs, produits artisanaux) ; toutefois, cela nous semble relativement insuffisant pour assurer aux habitants des Hauts un développement durable. Nous essayons donc de faire en sorte que se développent, non pas des séjours sur le littoral, mais des circuits en étape qui fassent fonctionner tous les villages, grâce à la randonnée pédestre ou à la voiture. Nous souhaitons que les touristes y trouvent leur compte : ces séjours leur permettent d'être présents sur les sites le matin de bonne heure, sans être obligés de se lever trop tôt et en évitant les embouteillages ; ils peuvent ainsi profiter des meilleures conditions possible de visite, avant que les nuages ne se développent sur les montagnes. Dans ce cadre, nous avons lancé le concept de villages créoles, qui va nous permettre de valoriser ces villages et de donner à la population tous les outils nécessaires pour accueillir les touristes et leur offrir l'hébergement, la restauration, l'animation le soir et les contacts avec les habitants. Voilà quel est le projet de développement du tourisme dans les Hauts.

Mme Anne-Marie Payet - Avant d'aborder la question des difficultés financières des communes des Hauts, permettez-moi d'apporter quelques précisions en matière de finances locales. Aux recettes fiscales habituelles et aux dotations de l'Etat, s'ajoute l'octroi de mer, taxe sur la plupart des produits importés, qui est principalement reversé aux communes et qui représente une somme de 184 millions d'euros. Une partie de cette taxe, ainsi qu'une taxe additionnelle à l'octroi de mer, alimente aussi le budget de la région pour 46 millions d'euros. L'objectif de cette taxe est aussi de protéger les productions locales. Les critères de répartition de certains crédits ne reflètent pas toujours la réalité et conduisent à des paradoxes. Ainsi, la commune de La Plaine des Palmistes est considérée, du fait de son potentiel fiscal, comme l'une des plus riches, ce qui est faux. Globalement, peu de communes sont endettées à La Réunion ; néanmoins, cinq ont atteint le niveau d'alerte et révèlent un taux d'endettement important. En matière d'aides européennes, La Réunion fait partie de l'Objectif 1 et près d'1,5 milliard d'euros sont inscrits au titre du DOCUP 2 pour la période 2000/2006. Les financements européens sont très présents pour la réalisation des infrastructures, en tout cas plus que la moyenne métropolitaine. Malgré tout, le déblocage de ces fonds est très long et certaines communes peuvent être en situation de rupture de trésorerie, ce qui les oblige parfois à solliciter les banques ou à demander des avances aux autres collectivités locales.

Je souhaite maintenant vous exposer les difficultés que rencontrent les communes les plus éloignées du littoral, qui se situent dans l'ensemble à plus de 1 000 mètres d'altitude. La Plaine des Palmistes, Salazie et Cilaos sont les communes les plus enclavées ; elles trouvent leur origine dans une accumulation de facteurs communs. Le premier est l'absence ou l'insuffisance d'industries. Dans les communes des Hauts, l'industrie est parfois totalement absente ou ne concerne que l'embouteillage des eaux ou quelques petites unités d'industrie laitière. Cela entraîne une faible ressource fiscale pour les communes et une inactivité pour les populations concernées. Le deuxième facteur est le fort taux de chômage, qui confronte la municipalité à une forte demande de contrats aidés. Les charges de personnel représentent 60 % des charges de fonctionnement dans nos communes, contre 40 % pour la moyenne nationale. Le troisième facteur est lié au relief et au climat, les fortes pentes entraînant des frais supplémentaires pour la réalisation des infrastructures, notamment de voirie, les dégâts étant de plus en plus fréquents du fait des glissements de terrain qui se produisent dans des secteurs difficilement accessibles lors des périodes cycloniques.

Par ailleurs, la protection contre les crues des ravines met en évidence un programme important de travaux à réaliser. A La Plaine des Palmistes, ces travaux coûteraient 7,6 millions d'euros ; à peine le quart a été réalisé en 12 ans faute de crédits suffisants, alors que des zones habitées sont menacées. De plus, l'enclavement constitue un frein au développement économique. Ainsi, cette année, la commune de Cilaos a été coupée du monde pendant plus de deux semaines, après que le cyclone Dina ait emporté une partie de la route nationale. Les travaux nécessaires à la consolidation et à la sécurisation de cette unique voie d'accès n'ont toujours pas été réalisés, faute de crédits suffisants, alors que la saison des pluies va reprendre dans quelques mois. Il faut aussi souligner l'absence ou l'insuffisance des structures de loisir, qui pourraient pourtant favoriser les séjours touristiques plus longs.

En conclusion, je tiens à souligner que le relief particulier de notre île induit de nombreuses difficultés, auxquelles les communes des Hauts doivent faire face. Bien qu'aidées par des dispositifs financiers, les communes sont confrontées à des investissements si lourds que beaucoup d'entre elles ne peuvent pas mettre en place dans les délais souhaités les équipements et les infrastructures nécessaires à la protection de la population et au développement économique. Les collectivités réunionnaises ont su prévoir le développement du département mais cela nécessite des moyens financiers très importants. Une aide plus substantielle de la part de l'Europe en faveur des zones de montagne est souhaitable. L'article 1 er de la loi relative au développement et à la protection de la montagne énonce la solidarité de la nation, caractérisée par la promotion d'une démarche de développement local, en valorisant les aptitudes aux productions locales, à la diversification des activités économiques et au développement des capacités d'accueil et de loisir, notamment du thermalisme. Dans ce domaine, je regrette qu'une commune à vocation thermale comme Cilaos ne puisse être classée « station thermale touristique », avec toutes les retombées que cela représenterait, du fait de l'insuffisance du réseau d'assainissement. Cilaos est jumelée à Chamonix et des groupes de sportifs viennent régulièrement participer au cross du Piton des Neiges, les sportifs de Cilaos participant au cross du Mont-Blanc. Des liens d'amitié se sont créés entre les deux villages ; cela me semble très important.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie pour vos contributions. Je souhaite revenir sur les questions agricoles et foncières. Que représentent les AFP, que vous avez évoquées, en nombre et en surface ? Depuis quand existe-t-elles sur l'île ? Comment fonctionnent-elles ? Face à la pression foncière, avez-vous imaginé la création d'instruments publics fonciers, qui sont prévus par notre dispositif juridique ? Quel type d'élevage vit sur l'île ? Quelles sont les espèces ? Les filières existent-elles et méritent-elles d'être soutenues et animées, par exemple dans le domaine floral, fruitier ou de l'élevage ?

Parallèlement, vous avez évoqué le projet de création d'un parc naturel national. Avez-vous songé à la création d'un parc naturel régional, dont la formule semble plus souple et mieux correspondre aux préoccupations locales pour la plupart des interlocuteurs que nous avons rencontrés jusqu'à présent ?

Par ailleurs, d'où provient l'énergie dont la population de l'île a besoin ? Disposez-vous de sources d'énergie hydroélectrique ? Enfin, les couverts forestiers étant importants, quels sont les types d'exploitations forestières ?

M. Jean Boyer - Peut-on considérer que La Réunion pourrait disposer d'une autonomie, compte tenu de son évolution démographique ? Parviendrait-elle à l'autosuffisance alimentaire et économique ?

Par ailleurs, les structures agricoles sont-elles plutôt individuelles ou collectives ? Quelle est la taille de la surface agricole utile (SAU) ? De plus, je crois savoir que La Réunion est très riche en flore. Existe-t-il un projet de conservatoire en la matière ? L'agriculture réunionnaise subit-elle les mêmes évolutions successives qu'ailleurs dans le domaine technique ?

Enfin, quel est le tourisme le plus attractif entre celui qui concerne les plages et celui qui touche la montagne ?

M. Vincent Le Dolley - Avant d'avoir un établissement public foncier, nous disposions d'une SAFER très dynamique à La Réunion, qui a mené des opérations structurantes de redistribution des terres, lorsqu'il existait des propriétés importantes qui pouvaient donner lieu à l'installation d'agriculteurs ; la SAFER intervient également en matière de terres incultes. Il s'agit donc d'un opérateur foncier majeur. Pour autant, à La Réunion, les questions agricoles sont rarement déconnectées des problèmes généraux ; nous disposons donc d'un d'établissement public foncier, qui va instituer une réserve foncière, en collaboration avec la SAFER. Cela est essentiel si nous souhaitons éviter la concurrence désorganisée en la matière, surtout dans les zones périurbaines ou faciles à construire.

En matière d'élevage, vous devez vous convaincre que les filières réunionnaises sont très modernes, identiques à celles qui existent en métropole. Un grand groupe coopératif fonctionne depuis des années, sur le modèle métropolitain. La difficulté est que l'espace n'est pas très important et que les besoins de l'île ne sont pas couverts en totalité par l'élevage moderne ; nous ne sommes donc pas autosuffisants. Nous produisons des produits haut de gamme (produits frais et labellisés). De plus, on constate une grande solidarité entre les éleveurs, les importateurs et la grande distribution. Ainsi, le président des éleveurs est l'un des responsables de la grande distribution. Il n'y a donc pas d'opposition entre le monde de la production et de la distribution. Parallèlement, un élevage plus traditionnel existe également, notamment destiné à l'abattage rituel.

Concernant les fleurs, les fruits et les légumes, les circuits sont plutôt courts et directs (nous parlons de « bazardiers »), comme dans le midi de la France, les organisations de producteurs étant peu nombreuses. C'est un handicap pour l'exportation, notamment des fleurs, des letchies ou des ananas, qui nécessite des opérateurs plus solides. Des initiatives sont menées dans ces secteurs pour développer l'organisation mais elles restent encore balbutiantes.

M. Jean-Paul Amoudry - Disposez-vous d'abattoirs ?

M. Vincent Le Dolley - Nous disposons d'un abattoir principal pour les ovins et les porcins et de deux abattoirs pour les volailles. Ils sont tous contrôlés et respectent les normes nationales. D'ailleurs, les consommateurs, y compris les touristes, considèrent que les produits réunionnais sont plutôt haut de gamme, tant sur le plan phytosanitaire que qualitatif.

M. Jean Boyer - Quelles sont les races de bovins que vous élevez ?

M. Vincent Le Dolley - Il s'agit essentiellement de blondes d'Aquitaine, des Limousines ou éventuellement croisées avec des races locales africaines. On trouve également quelques charolaises.

Mme Anne-Marie Payet - Je précise que nous n'avons pas été touchés par la crise de la vache folle.

M. Vincent Le Dolley - En matière forestière, pour l'essentiel, l'île est recouverte par une forêt de protection et une forêt de tourisme. Compte tenu de l'importance de la forêt que nous devons protéger en tant que patrimoine de l'humanité (du fait de la présence de nombreuses plantes endémiques), nous ne disposons pas d'un grand espace pour les forêts cultivées. A une époque, nous étions moins attentifs en la matière et des tentatives de déboisement ont eu lieu, ainsi que de plantation d'arbres poussant rapidement, qui sont malheureusement plus fragiles en cas de cyclone. Nous nous posons des questions sur le renouvellement de ces plantations dans le futur ; la tendance est plutôt de privilégier les espèces endémiques, notamment le tamarin, qui est sans doute le plus valorisé culturellement et financièrement par l'artisanat traditionnel. L'économie de la filière bois reste très réduite puisque nous ne produisons que 5 % à 10 % des besoins de la région.

L'objectif n'est pas d'atteindre l'autosuffisance de La Réunion. Pour autant, nous exportons beaucoup de sucre de canne, dont la demande augmente en Europe et sur le plan national. Parallèlement, nous importons des produits qui ont vocation à être fabriqués dans les zones tempérées.

Enfin, la SAU globale est de l'ordre de 30 000 hectares, la moyenne d'une exploitation étant de 6 à 7 hectares ; il s'agit donc de petites exploitations intensives. En fait, l'agriculture réunionnaise fait vivre de nombreuses personnes (de l'ordre de 15.000 personnes).

M. Jean Boyer - Quelle est la surface de La Réunion ?

Mme Anne-Marie Payet - Elle est de 2 500 km2.

M. Vincent Le Dolley - Dans le domaine de l'élevage, la production est très structurée autour de coopératives. Pour la canne à sucre, la production a été le fait historiquement de grandes propriétés, la distribution s'effectuant progressivement. Au fur et à mesure de la redistribution, se sont constituées des coopératives d'utilisation de matériel en commun (CUMA), des SICA avec des structures d'appui. En fait, la structuration du milieu se réalise grâce aux deux grandes usines qui existent sur l'île, l'une dans le nord et l'autre dans le sud. Enfin, la production est plutôt coopérative pour la vanille, les géraniums et toutes les petites cultures.

M. Paul Vergès - L'agriculture a toujours dépendu de marchés extérieurs. Depuis la moitié du 19 ième siècle, nous sommes une île de monoculture cannière, ce qui a été déterminant pour l'implantation. Aujourd'hui, une ceinture de bourgs tombe en déclin et devra être restructurée ; il s'agit des bourgs qui ont été au coeur du déploiement de la surface cannière, depuis le littoral jusqu'à 600 ou 800 mètres. Ils ont donc joué un rôle très important.

De plus, à partir de la récolte de 1932, la production de la canne a été organisée, ce qui a donné lieu à la fixation d'un contingentement et d'un prix. A la sortie de la guerre, il existait de 23 000 à 25 000 petits planteurs de canne à sucre, quelques grandes propriétés et 14 usines sucrières. Il reste aujourd'hui deux usines sucrières, l'une au nord et l'autre au sud, et 5 000 livreurs de canne.

Par ailleurs, nos productions dépendant d'un domaine extérieur influencent l'aménagement du territoire. Pour la canne à sucre, la plantation en fonction des lignes de niveau constitue un moyen efficace de protection des sols. En revanche, à plus de 800 mètres, la plantation de géranium a nécessité la déforestation, entraînant l'érosion et exigeant la plantation et la diffusion des acacias. Nous sommes donc très sensibles à l'environnement extérieur.

Nous sommes entourés de pays qui font partie des « moins avancés » : Madagascar, Les Comores, le Mozambique, la Tanzanie... Or une directive de Bruxelles permet de faire entrer dans l'Union européenne tous les produits agricoles de ces pays, notamment le riz (du Surinam), la banane (des Antilles) et le sucre. C'est pourquoi des délais ont été accordés jusqu'à 2006 et 2009, afin de nous permettre de faire face à ces arrivées de nouveaux produits.

Il faut six à huit ans pour qu'une souche de canne pousse et puisse être récoltée. Le sort du sucre à La Réunion à l'horizon 2006/2009 dépend donc de la confiance des planteurs dans la replantation aujourd'hui. Face à cette situation, il est possible de mettre en avant la spécificité de nos régions et de maintenir la production grâce à des aides et à des subventions. Pour sa part, l'île Maurice a décidé d'acheter 100 000 hectares de concessions de cannes au Mozambique, ce qui représente quatre fois la surface de la canne à La Réunion, et de produire du sucre qui pourra entrer en Europe.

Par ailleurs, il est évident que le développement de n'importe quel pays dépend de l'énergie. Or notre mimétisme avec le monde occidental fait que l'augmentation annuelle de la consommation d'électricité est de 7 % à 8 % (électroménager, logements, climatisation), ce qui nous oblige à doubler notre production dans les dix prochaines années ; cela constitue un pari fou. De plus, nos capacités classiques sont épuisées ; dans le domaine hydraulique, nous avons utilisé les principales possibilités. Il nous reste à avoir recours à la biomasse, c'est-à-dire les résidus du traitement de la canne à sucre, ce qui nous permet d'obtenir 700 000 à 800 000 tonnes de bagasse, qui fermentent, qui sentent mauvais, qui provoquent un rhume saisonnier et qui asphyxient les coraux. La bagasse est utilisée désormais pour la production de l'électricité ; enrichie en charbon, elle permet de satisfaire actuellement 30 % de notre consommation, ce qui est énorme. Nous utilisons également le fioul.

Nous allons tenter d'utiliser d'autres sources. Ainsi, un bilan éolien a été effectué, qui fait apparaître que nous pourrions produire 100 MW. De fait, nous allons commencer à construire des fermes éoliennes sur 15 sites, ce qui nous permettra d'atteindre une production importante, notre objectif ayant été fixé à 30 MW dans les quatre à cinq ans qui viennent.

Parallèlement, pour résoudre le problème de l'électricité, les tarifs EDF font l'objet d'une contribution de la commission de régulation de l'électricité (CRE), d'environ 300 millions, afin que nous bénéficiions des mêmes prix qu'en métropole. Cette somme ne peut qu'augmenter du fait de la demande croissante en raison de l'activité ou de la démographie. Il nous faut, compte tenu de la consommation domestique qui représente les deux tiers de la consommation d'électricité, annuler l'augmentation de 8 %, grâce aux économies d'énergie, à l'installation de chauffe-eau solaires (40 000 l'ont déjà été, 6 000 le sont par an, contre 3 000 en France métropolitaine), à l'électricité solaire par les cellules photovoltaïques (pour laquelle le prix de rachat par EDF est de 0,30 euros le kW). L'objectif est d'utiliser les cellules photovoltaïques pour tous les grands équipements (lycées, écoles, collèges, sièges, zones industrielles...). Cela devrait nous permettre d'enregistrer un retour sur investissement au bout de neuf ans et de compenser l'augmentation annuelle, avant de la réduire si nous équipons l'ensemble des habitations de La Réunion.

Dans quelques mois, une rencontre doit avoir lieu avec les experts français du BRGM, de Nouvelle-Zélande et des Etats-Unis concernant les premières recherches en matière de géothermie. L'objectif serait de reproduire ce que font déjà les Guadeloupéens à Bouillante, mais à une plus grande échelle. Les interprétations des premiers résultats seront effectuées à cette occasion. Nous disposons déjà de l'expérience de Big Island à Hawaï, dont la centrale géothermique permet d'atteindre l'autonomie en matière de production électrique.

Enfin, nous sommes en zone tropicale, entourés par une mer à forte houle, qui frappe sur toute notre côte rocheuse, depuis l'Etang-Salé à Sainte-Rose, et dont nous pourrions capter la force. La région va envoyer une mission dans une île d'Ecosse où le problème a été résolu puisque la houle permet de créer l'électricité par le biais d'une centrale spécifique. Pour éviter l'effet dévastateur de cette houle violente, une surface extrêmement résistante reçoit le choc, qui comprime l'air, ce dernier conservant l'énergie et la transmettant pour faire tourner les turbines. Si nous mettons en oeuvre cette solution, l'autonomie énergétique de La Réunion pourrait être assurée grâce au soleil, au vent, à la houle et, à l'avenir, au volcan. Notre île pourrait alors devenir une base de formation et d'exportation des connaissances pour l'utilisation de ces énergies renouvelables et propres.

M. Jean-Paul Amoudry - Le nucléaire est donc totalement absent de l'île... Cette dernière est soumise à de nombreux phénomènes naturels ; elle constitue un véritable laboratoire.

M. Paul Vergès - Nous disons nous-mêmes que La Réunion doit être un vrai laboratoire pour mettre au point de nouvelles solutions.

M. Jean-Paul Amoudry - Concernant l'eau et les hauts bassins versants, la station touristique de Megève organisera un colloque international en septembre prochain sur les problématiques de la gestion des cours d'eau, des pluies torrentielles et de l'érosion, ainsi que sur les différentes attentes (consommation domestique, usages agricoles, utilisations ludiques, neige de culture). La ressource en eau se réduit actuellement, alors qu'elle fait l'objet de convoitises de plus en plus nombreuses. Si vous êtes de passage ou si ce thème vous intéresse, je vous invite à participer à ce colloque qui accueillera de très grandes sommités.

Je vous remercie pour vos commentaires sur les aspects agricoles et énergétiques. Je pense que nous avons pratiquement épuisé le sujet.

M. Paul Vergès - Pouvons-nous espérer, Monsieur le Président, qu'à l'occasion du Congrès des présidents des conseils généraux, les problématiques de La Réunion soient abordées, par exemple après un survol de l'île ?

M. Jean-Paul Amoudry - Nous n'avons pas compétence pour influencer l'ordre du jour des travaux du Congrès des Présidents de Conseils généraux.

M. Paul Vergès - Nous autorisez-vous à rencontrer le président du conseil général de La Réunion pour qu'il suggère à ses collègues de consacrer une part des travaux du Congrès à la visite des zones montagneuses de l'île et à l'écoute des premières conclusions de la mission ?

M. Jean-Paul Amoudry - En effet. Nous en serons à la phase de présentation de nos propositions, le travail devant être terminé à la fin du mois de septembre.

Je vous remercie pour votre contribution, en regrettant une nouvelle fois de ne pas avoir pu vous rendre visite dans le temps qui nous était imparti ; nous espérons pouvoir le faire dans le cadre des travaux du groupe Montagne du Sénat.

48. Audition de M. Pierre Hérisson, sénateur, président du groupe d'études Postes et Télécommunications du Sénat (24 juillet 2002)

M. Pierre Hérisson - Chers collègues, Mesdames, Messieurs, au nom du groupe d'étude Postes et Télécommunications du Sénat que j'ai l'honneur de présider et de la Commission supérieure du service public des Postes et Télécommunications que je préside par intérim en attendant que l'Assemblée nationale nous permette de réélire un président à la rentrée parlementaire, nous avons essayé d'apporter une contribution de ces deux instances à l'adresse de votre mission d'information. Pour cela, nous vous avons remis des documents, qui répondent à la grille de questions que vous m'avez adressée pour l'audition d'aujourd'hui. Je vous propose de faire un commentaire synthétique et de verser le document de travail que nous avons réalisé, qui apporte un éclairage plus complet et précis, parfois en contradiction avec les informations fournies par la DATAR à la suite du CIADT de Limoges, en particulier en ce qui concerne les études menées sur la couverture territoriale dans les départements montagneux.

Il existe des différences notables entre les mesures de l'Etat et celles qui ont été réalisées. Chaque département a choisi son prestataire et accepte le cahier des charges commun à toutes les conventions. Chacun reconnaît la qualité de cette opération, menée selon une méthode beaucoup plus précise et fiable que celle qui avait été retenue par la DATAR : je parle ici du travail réalisé par l'ADF (Association des départements de France) et l'autorité de régulation des télécommunications (ART). Au sein de ces deux instances, où se concentrent les informations, aucun tri sélectif suffisamment précis n'a été entrepris pour réaliser une synthèse sur les problèmes spécifiques de la montagne. Nous le déplorons. Cela pourrait être un sujet proposé à un étudiant ou à un expert, qui apporterait un complément à l'étude globale.

En effet, la montagne ne peut pas être traitée comme le reste du territoire, en ce qui concerne les couvertures, qui sont liées essentiellement au relief, problème qui ne se pose pas en zone de plaine. Nous pouvons cependant extrapoler sans trop de risque et dire que les stations de ski sont plutôt bien couvertes, à quelques exceptions près, ou le seront rapidement. Il est vrai que les Jeux Olympiques de 1992 ont apporté aux vallées de la Savoie une couverture totale qui était assurée par France Télécom à l'époque. Parallèlement, les sommets qui n'accueillent pas de skieurs sont en « zone blanche ». En fait, ce sont les zones intermédiaires qui posent problèmes, parce qu'elles accueillent les routes à grand trafic et où les facilités sont plus nombreuses pour garantir la couverture. Ailleurs, il est nécessaire de s'appuyer sur les nouvelles mesures de zone blanche pour obtenir une réponse précise.

Chaque département dispose aujourd'hui des moyens, des connaissances et des compétences pour affiner sa carte de couverture à des coûts raisonnables, ces coûts étant correctement maîtrisés dans ce genre d'étude. Les estimations du coût global ont été bâties à partir des chiffres globaux de la DATAR. Le volume global des investissements a été calculé à partir du nombre estimé de pylônes nécessaire pour couvrir la France, en tenant compte d'une disposition imposant l'itinérance locale. Aucune répartition plus fine n'a été affichée. Le rapport remis au gouvernement relevait que la moitié des zones non couvertes se situait au-dessus de 700 mètres d'altitude, ce qui concerne donc les zones de montagne.

Je voudrais également examiner l'impact du changement de gouvernement face à cet écart constaté. Tout est-il remis en cause ? Heureusement, non ! Une volonté a été exprimée, y compris par Monsieur Mer et Madame Fontaine devant la commission des affaires économiques du Sénat, qui vient préciser les choses. Le nouveau gouvernement a confirmé les engagements financiers de l'ancien ; nous aurons sans doute l'occasion d'en reparler. En effet, la loi de finances devra apporter la confirmation des promesses, ce qui n'est pas le cas pour l'instant.

Comment ont été mises en oeuvre les mesures du CIADT de Limoges s'agissant de la couverture du Massif Central ? Quelle a été la participation des collectivités locales concernées, de l'Etat et des opérateurs ?

Les décisions du CIADT avaient été revues à l'occasion de la révision des modalités d'attribution des licences UMTS. Après avoir été allégés d'une partie du coût des licences UMTS, Orange et SFR ont accepté d'accroître leur participation à la couverture des mobiles mais en contrepartie ont refusé de souscrire à l'obligation d'itinérance, écartant de ce fait le troisième opérateur, Bouygues. En zone de montagne, le problème de Bouygues en matière d'amélioration de la couverture n'est donc pas réglé ; il faudra engager des négociations pour que les trois opérateurs continuent à assurer cette couverture. L'ART a estimé à 5 000 le besoin de relais, contre 1 500 pour le CIADT ; l'approche doit donc être revue, la vérité se situant certainement entre les deux. Le recensement des zones a été achevé à la fin du mois d'avril, avant qu'un schéma définitif ne soit dressé ; les premières conventions d'installation avec les opérateurs devraient être signées à la fin du mois de juin et le programme achevé à la fin 2004. Nous voyons apparaître les premiers pylônes communs entre deux opérateurs. Pour l'avenir, nous devrons parvenir à une mutualisation des pylônes afin d'éviter leur multiplication, plus particulièrement en zone de montagne où le relief impose d'en installer un grand nombre.

Quelle est votre position sur la prise en charge toujours croissante des dépenses d'équipements en télécommunications par les collectivités locales, qu'il s'agisse du mobile ou des réseaux à haut débit ?

Concernant les mobiles, la modification des engagements du CIADT après l'attribution des licences UMTS a conduit à une réduction d'environ de moitié de la charge de la couverture pour les pouvoirs publics. L'accessibilité à la contribution financière des collectivités est donc moins importante que par le passé. J'ai fait des suggestions à Monsieur Mer et Madame Fontaine durant leur audition devant la commission. Je les ai appelés à l'examen de toutes les solutions possibles, y compris le partage du territoire et l'obligation de couverture universelle attribuée à un opérateur qui assurerait l'itinérance pour les autres. En fait, l'opérateur en question s'engagerait, sur un territoire régional donné, à assurer la couverture totale ; il aurait également l'obligation de transmettre et d'assurer la couverture pour les autres opérateurs téléphoniques.

En matière de haut débit, les équipementiers, davantage que les opérateurs, incitent les collectivités à des commandes publiques. J'ai rencontré ce matin Monsieur Gonnet à la CDC sur ce sujet, en vue de la mise en oeuvre des obligations et des propositions qui ont été effectuées dans le cadre du CIADT de Limoges. Nous attendrons les précisions et les textes concernant la clarification des compétences Etat/Région, Département/Collectivités locales, afin de déterminer de quelle manière la cohérence est assurée et comment les équipements sont financés pour assurer la couverture, surtout dans le domaine du haut débit, où il est souhaitable de demander de la patience et de la prudence aux opérateurs locaux. En effet, ces derniers engagent des initiatives qui pourraient être dépassées sur le plan technologique, alors qu'ils devraient rembourser des annuités durant de nombreuses années.

Par ailleurs, j'ai constaté que nous avions enfin pris la mesure du scandale de la non-utilisation des fonds communautaires. Je considère qu'ils peuvent être gérés en région ; j'attends les annonces que le gouvernement devrait faire le 31 juillet, après avoir accepté en conseil des ministres la réforme proposée par Monsieur Delevoye pour accélérer la consommation des fonds européens. En effet, nous constatons aujourd'hui que la zone de montagne, comme les autres, sous-utilise les possibilités d'accession aux fonds européens et n'a pas encore le réflexe de présenter des dossiers pour la couverture du mobile, du haut débit et pour l'accès aux technologies de l'information et de la communication. J'incite les collectivités à être plus performantes, même s'il est vrai que l'interface des services de l'Etat entre les décideurs locaux et les responsables des fonds européens pose un problème, sachant que cette interface n'existe pas dans les autres pays.

Quelle est votre réflexion sur le maintien du service public postal en zone de montagne ?

Dans ce domaine, je pense que nous évoluons vers une réforme importante de La Poste. Dans ma note, je reviens sur les actions menées par l'Association des maires de France et la Commission du service public ; j'évoque également ce que les élus peuvent accepter, ainsi que les obligations qu'ils doivent respecter vis-à-vis des populations locales. Normalement, d'après la directive européenne, au 1 er janvier 2009, les postes européennes ne disposeront plus du monopole concernant le courrier, la concurrence étant ouverte pour l'ensemble du marché, ce qui posera la question de la présence postale sur le territoire. A titre personnel, je pense que nous devrons faire des propositions de présence postale en nous appuyant sur l'intercommunalité et sur des équipements nouveaux. Nous devrons accepter les expérimentations qui pourront être effectuées prochainement par La Poste de mise en place de Points contacts postaux dans les bureaux de tabac, les cafés, les épiceries, les supérettes. Sur les 17 000 bureaux de poste, 12 000 sont de plein exercice, l'objectif des dirigeants de La Poste étant de les ramener à 8 000, les autres devant être transformés en Points de contact, notamment en zone de montagne. Certains élus se sont manifestés auprès de l'AMF, pour faire savoir qu'ils étaient prêts à accepter des expérimentations sur leur territoire : Saint Gervais accepte une expérimentation pour son Point contact postal de Saint Nicolas de Véroce ; Excenevex est prête à accepter une contractualisation avec un commerce local, qui deviendrait le bureau de poste local.

Concernant la modernisation de La Poste, tout reste à faire. L'Association nationale des élus de la montagne est l'une des mieux placées pour être en contact avec le ministre en charge de la poste et les différentes instances, ainsi que pour apporter sa contribution à l'élaboration du contrat de plan Etat/La Poste 2002/2006 ; ceci me semble tout à fait urgent et important. Malheureusement, la période électorale que nous venons de traverser n'a pas permis de nouer ces différents contacts. Pour l'instant, la rédaction du prochain contrat de plan s'est faite uniquement sur la base d'une concertation entre les services de l'Etat et les services publics ; en revanche, les élus n'ont pas été mis à contribution, ce que je déplore. J'espère que des corrections seront apportées très rapidement ; en effet, il n'est pas normal que les associations d'élus n'aient pas pu se manifester jusqu'à maintenant sur le sujet.

Je souhaite mettre en évidence le choix de deux niveaux de centralisation différents. En effet, la montagne, plus encore que les autres zones, a besoin des routes de l'information. Or ces dernières seront plus coûteuses qu'ailleurs. Dans ce cadre, la mutualisation et la solidarité devront s'exprimer de façon à ce que le développement économique ne soit pas à deux vitesses et que les zones de montagne ne constituent pas le parent pauvre de l'aménagement du territoire.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie. En fait, en matière de télécommunications, votre proposition est de privilégier le binôme Etat/Région. Les régions doivent donc être le moteur pour délivrer les licences mais aussi pour financer, éventuellement avec une aide de l'Etat si leurs capacités financières sont insuffisantes.

M. Pierre Hérisson - Plutôt que de distribuer des aides aux opérateurs, il faut aussi mener une réflexion sur un partage au niveau national, en définissant, pour la compagnie opératrice qui se verrait attribuer la licence, une obligation de service universel, c'est-à-dire de couverture totale. Ainsi, dans le Sud-est, Bouygues Télécom aurait l'obligation de la couverture universelle sur le territoire pour lequel elle dispose de la licence mais aussi de l'itinérance (elle serait obligée d'assurer la transmission des autres compagnies). Ensuite, une péréquation pourrait être mise en place dans le cadre de l'ouverture de la boucle locale, comme dans le cas du filaire. Ainsi, il est possible de prendre actuellement un abonnement à Cegetel, sachant que l'acheminement des communications est effectué par le réseau filaire de France Télécom, qui se fait rémunérer sur la base d'un tarif arrêté par l'ART ; France Télécom facture donc Cegetel. Il faudrait évoluer vers un principe de service universel régional. Cela conduirait à recréer une sorte de monopole mais l'ART pourrait fixer les tarifs ; de plus l'opérateur aurait l'obligation de couverture totale sur un territoire donné. En divisant la France et en régionalisant l'obligation de service universel, on peut penser qu'un opérateur serait preneur d'une licence.

M. Jean-Paul Amoudry - Pour le Massif Central, qui est réparti entre cinq ou six régions, l'opérateur ne risque-t-il pas de se heurter à des difficultés du fait du morcellement administratif ?

M. Pierre Hérisson - Il appartiendra à celui qui effectuera le découpage de créer les conditions de l'équilibre financier en réunissant dans la même zone d'obligation de couverture des secteurs rentables et d'autres moins rentables. En fait, il faut mettre en place une certaine mutualisation autour d'un périmètre défini, contenant des zones urbaines suffisamment vastes pour compenser financièrement les zones non rentables. Il ne faut donc pas créer des régions pauvres et des régions riches mais des découpages équilibrés, dont le périmètre ne correspondra absolument pas aux régions administratives existantes. L'exemple de la boucle locale radio pourrait être suivi, même si, pour cette dernière, deux secteurs n'ont fait l'objet d'aucune candidature lors de l'appel d'offres car le mauvais découpage a fait que la zone était réputée non rentable dès le départ ; nous devons éviter de recommencer cette erreur.

M. Jean Boyer - Le rapport présenté est remarquable. Nous constatons que dans certains départements, des initiatives locales ont déjà été lancées. Par ailleurs, concernant La Poste, vous avez évoqué la création de points fixes dans les commerces locaux. Quid de la distribution du courrier dans les hameaux ? Ne sera-t-elle pas remise en cause à terme ?

M. Pierre Hérisson - La distribution quotidienne du courrier, six jours sur sept, est une obligation faite à l'opérateur public. Il nous appartiendra de veiller à ce que l'on ne remette pas en cause ce service public universel au sein du prochain contrat de plan. Aujourd'hui, La Poste bénéficie du monopole sur les courriers jusqu'à 150 grammes, la limite devant passer à 100 grammes au 1 er janvier 2003, à 50 grammes au 1 er janvier 2006, le monopole disparaissant totalement au 1 er janvier 2009, sauf disposition contraire des Etats qui pourraient décider de reporter cette échéance, ce qui est toujours possible. Pour le moment, La Poste doit assurer le service public, six jours sur sept. Malheureusement, faute d'effectifs et de personnel durant les périodes de vacances, nous avons constaté des dysfonctionnements en la matière. En revanche, La Poste n'a aucune obligation d'ouverture des bureaux de poste et des guichets sur le territoire national. En la matière, elle peut se réorganiser comme elle l'entend, sa seule responsabilité étant de faire en sorte que la zone de chalandise soit la plus courte possible autour du bureau de poste (normalement pas plus de 5 kilomètres).

M. Jean Boyer - La Poste a l'obligation de distribuer le courrier mais pas d'apporter un service.

M. Pierre Hérisson - En effet, la seule obligation de La Poste française est de distribuer le courrier six jours sur sept. Les dirigeants de La Poste parlent de zones « à découverts » pour évoquer les congés maternité, les maladies, les carences en matière d'embauche de personnel saisonnier durant les vacances, les conflits sociaux.

Par ailleurs, en matière de télécommunications, il est vrai que certaines initiatives sont prises. Dans ce cadre, la CDC, dont la mission est d'apporter sa contribution de partenaire financier, recommande d'attendre quelques semaines pour savoir comment la décentralisation va se préciser, notamment la régionalisation. Il faut donc rester prudent, d'autant plus que la loi est relativement floue en matière d'initiatives des collectivités, ces dernières pouvant toujours être taxées d'opérateurs, fonction qu'elles n'ont pas le droit d'exercer.

Pour autant, la difficulté est que les maires des communes sont sous pression parce que le conseil d'administration de France Télécom a décidé d'ouvrir le haut débit par le biais de l'ADSL, qui permet d'utiliser les fils existants et d'augmenter le débit de 50 fois. Pour ma part, je pense que ce débit sera rapidement insuffisant par rapport à celui qui sera offert par la fibre optique, la boucle locale radio ou le satellite. Nous ne devons donc pas laisser les collectivités de moins de 3 500 habitants contractualiser dans n'importe quelles conditions financières. Actuellement, la Commission supérieure du service public des Postes et des Télécommunications fait pression sur France Télécom pour que ce dernier retienne un critère économique et non de population. En effet, certaines communes touristiques de 2 000 habitants font l'objet de 50 demandes de raccordements à l'ADSL, alors que des communes de 5 000 habitants en milieu rural ne regroupent pas plus d'une dizaine de demandes.

Par exemple, le lac d'Annecy dispose d'une fibre optique qui longe ses deux rives. Pour autant, France Télécom souhaite imposer le recours à l'ADSL, en demandant une contribution financière aux communes. En fait, certaines entreprises, activités économiques ou certains particuliers seraient raccordables directement à la fibre optique, c'est-à-dire au vrai haut débit ; ils sont obligés d'utiliser l'ADSL, dont le débit est restreint. Cela conduit à mettre les collectivités locales dans une situation très délicate vis-à-vis de leur population.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie, en excusant le Président Jacques Blanc retenu par d'autres obligations.

49. Audition de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer (25 septembre 2002)

M. Jacques Blanc, président - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

Notre mission a été créée à l'occasion de l'année internationale des montagnes, et nous nous sommes rendus dans l'ensemble des massifs montagneux et nous avons auditionné de nombreuses personnes.

Monsieur le ministre, nous allons vous écouter avec beaucoup d'intérêt et dans l'espoir que vous nous annoncerez une politique nouvelle dans le domaine de la montagne.

M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur - Monsieur le ministre, je vous remercie à mon tour de contribuer aux travaux de notre mission, travaux qui arrivent à leur terme. Depuis le mois d'avril, nous avons procédé à de nombreuses auditions et nous avions à coeur, avant d'achever notre rapport, de vous entendre sur des sujets variés, qui correspondent aux différentes disciplines dont votre ministère est en charge.

Nous vous avons adressé une liste de questions - non exhaustive, certains que nos collègues souhaiteront vous poser des questions complémentaires - qui se répartissent en trois catégories : les premières concernent l'urbanisme, les secondes le tourisme et, enfin, les dernières, les transports. Je vous propose donc, monsieur le ministre, de répondre à ces différentes questions.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - Je vous remercie beaucoup de votre invitation. Je suis également ici pour apprendre, grâce à l'expérience de tous les membres chevronnés de votre mission. Comme vous me le suggérez, je commencerai donc par aborder les règles d'urbanisme.

Est-il possible d'aménager les règles d'urbanisme en montagne ? Les règles générales d'urbanisation en continuité s'appliquent évidemment plus rigoureusement en montagne qu'en plaine, où il est parfois possible d'implanter de nouvelles constructions en discontinuité lorsque les documents d'urbanisme le prévoient ou lorsque les délibérations du conseil municipal sont motivées.

La possibilité d'autoriser des constructions isolées pour éviter une diminution de la population communale résulte d'une disposition de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains. Toutefois, cette disposition ne s'applique pas en montagne. Son assouplissement, subordonné soit à l'existence d'un document-cadre, par exemple une prescription particulière de massif n'est pas totalement à exclure. L'idée d'une possibilité de dérogation soumise à un avis conforme de l'Etat dans certains cas limités, en l'absence de pression foncière, y compris pour les résidences secondaires, pourrait également être étudiée.

Est-il souhaitable de mieux définir la notion de construction en continuité dans la loi ? Cette notion, qui est très complexe, a été largement éclairée par une jurisprudence abondante, comme il en est d'ailleurs fait état dans le rapport du Sénat relatif au droit de l'urbanisme. Modifier la loi serait risquer d'introduire plus de rigidité. Une circulaire d'explication me semble donc préférable.

Quel pourrait être l'avenir des directives territoriales d'aménagement, les DTA ? Est-il pertinent de permettre aux prescriptions particulières de massifs d'assouplir les normes d'urbanisme ? Je rappelle qu'il est nécessaire de maintenir et de préserver les grands équilibres entre le développement et la protection de l'environnement. Ces grands équilibres paraissent impossibles à appréhender au simple niveau local, communal ou intercommunal. Des décisions ou des documents de niveau supérieur - le mot me gêne un peu - comme les DTA, créées par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, dite loi Pasqua-Hoeffel, ou les prescriptions particulières de massifs, créées par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, sont nécessaires.

A ce jour, aucune DTA n'a été approuvée. Ces documents, élaborés par l'Etat, sont un peu lourds. Ils doivent être soumis au Conseil d'Etat. De plus, un assouplissement des dispositions de la loi « Montagne » par de tels documents n'est pas possible. Il ne serait donc pas absurde que la loi prévoie des possibilités d'interprétation sous réserve qu'elle en fixe les limites, le contenu et les formes. Toutefois, dans ce cas encore, je pense qu'un tel assouplissement soulèverait des réserves, voire l'hostilité - aimable, bien sûr - du ministère de l'écologie et du développement durable.

Dans le cadre des expérimentations si souvent évoquées par le Premier ministre, ces documents pourraient ne plus émaner seulement de l'Etat, mais, par exemple, des élus régionaux, qui pourraient prendre en charge ce type de procédure. L'Etat ne devrait bien sûr, pas en être absent. Dans le même esprit, il existe aujourd'hui des schémas régionaux d'aménagement du territoire, les schémas de cohérence territoriale, les SCOT, mais qu'ils ne sont pas opposables. Faut-il les rendre opposables ?

Faut-il réformer le régime des chalets d'alpage ? La vocation de chalet d'alpage est reconnue par les services de l'Etat à certaines constructions, souvent anciennes. Une fois cette reconnaissance obtenue, le permis de construire est ensuite, le cas échéant, accordé. Cette procédure pourrait être simplifiée.

Le risque existe que le bénéficiaire, une fois qu'il a obtenu son permis de construire, se retourne vers la commune et lui demande tous les types de raccordements aux réseaux publics que l'on est en droit d'exiger pour une habitation classique. Il faudrait donc peut être compléter la loi et prévoir un mécanisme de servitude administrative. Le raccordement ne doit pas être automatique.

J'émets toutefois une réserve : si ces chalets ne sont pas raccordés aux réseaux d'assainissement, s'ils ne disposent pas du tout-à-l'égout, des stations individuelles doivent alors être installées afin qu'ils ne soient pas à l'origine d'une source supplémentaire de pollution. Je pense que ce point est à négocier avec le ministre de l'écologie et du développement durable. L'absence de raccordement obligatoire pour la commune est en tout cas une piste de réflexion intéressante.

Peut-être le nom de chalet d'alpage prête-t-il un peu à confusion et fait-il sourire dans le cas de certaines opérations. On pourrait donc imaginer de changer ce nom et, par exemple, lui préférer le terme de « résidence d'été ».

Faut-il réformer la procédure des unités touristiques nouvelles, ou UTN  ? Celle-ci prévoit que les projets touristiques en zone de montagne doivent être soumis aux comités de massif. Il faut probablement revoir le champ d'application de cette procédure, alléger celle-ci et peut-être la déconcentrer. La notion d'UTN désigne en effet à la fois de très grosses et de très petites opérations. On pourrait donc imaginer une procédure plus proche du terrain pour les petits équipements.

Le Gouvernement a chargé une mission de hauts fonctionnaires de réfléchir aux adaptations possibles de cette procédure. Cette mission rendra ses conclusions le 15 octobre prochain. Ces dernières serviront de base à des propositions de modifications du code de l'urbanisme. Dans certains cas, la substitution d'un télésiège à deux téléskis ou le déplacement d'un pylône entrent dans le cadre de la procédure UTN, ce qui paraît tout à fait excessif, voire absurde. Ce qui compte, c'est la cohérence entre la capacité du domaine et la capacité d'accueil de la station, ou encore le respect des versants non desservis. Tout le monde s'accorde sur ces points.

Aujourd'hui, l'articulation entre les UTN et les SCOT n'est donc pas satisfaisante. En théorie, un SCOT permet de s'exonérer de la procédure UTN. En pratique, si un projet n'est pas explicitement prévu par un SCOT, il faut modifier ce dernier pour rendre le projet possible. Ainsi, on pourrait prévoir qu'un SCOT puisse fixer la localisation d'une UTN. Encore faut-il s'entendre sur le terme « grosse UTN » et sur le principe de l'inscription dans des enveloppes communales pour les petites UTN. Pour une UTN légère - si l'on peut dire - la conformité au SCOT pourrait ne pas être exigée.

Faut-il aménager le régime de servitude prévu à l'article 53 de la loi « Montagne » ? Cet article dispose que les propriétés privées peuvent être grevées d'une servitude destinée à assurer le passage de pistes de ski et de remontées mécaniques. Cette liste n'est peut-être plus adaptée. Elle est trop limitative puisque n'y figurent pas, par exemple, les canons à neige, qui alimentent certaines de ces pistes. Il semble donc logique d'adapter la loi. C'est raisonnablement possible si on le fait avec prudence.

Cette adaptation serait également peut-être l'occasion de prévoir une meilleure procédure d'information des propriétaires qui sont « victimes » de cette servitude et qui voient passer chez eux des remontées mécaniques. Si la liste de ces servitudes augmente, on pourrait également améliorer la procédure d'information et de concertation en amont.

Faut-il aménager le régime des communes soumises à la fois à la loi « Montagne » et à la loi «Littoral» ? Je rappelle que la loi «Littoral» s'applique également aux communes voisines de lacs de plus de mille hectares. S'agissant des communes riveraines de la mer qui entrent à la fois dans le champ d'application de la loi «Littoral» et dans celui de la loi « Montagne », le code de l'urbanisme prévoit que la loi «Littoral» prévaut dans les espaces proches du rivage. Or, cette disposition n'a pas été étendue aux communes qui jouxtent un lac d'une superficie supérieure à mille hectares, communes auxquelles la loi «Littoral» s'applique. Nous pensons qu'il s'agit là d'une erreur et que la loi peut être complétée. Concernant les petits lacs de montagne, les règles fixées par la loi sont peut-être un peu rigides, notamment s'agissant de la définition des périmètres. S'il convient évidemment de protéger ces espaces, peut-être pourrait-on, de manière extrêmement prudente, assouplir la loi.

J'en viens maintenant aux questions relatives au tourisme. Dispose-t-on de projections chiffrées relatives au développement du tourisme en montagne, et plus particulièrement en moyenne montagne ? En 2001, les Français âgés de plus de quinze ans ont effectué 160 millions de séjours comprenant au moins une nuitée hors de leur domicile, ce qui correspond, en tout, à 902 millions de nuitées. La montagne représente 14,4 % de ces séjours et 18,9 % de ces nuitées, soit 153 millions de nuitées. Par rapport aux autres destinations, cette part reste stable depuis 1994. La durée moyenne de séjour reste légèrement supérieure à une semaine.

Il est à noter toutefois que ces chiffres bruts sont en recul par rapport à ceux de 1994, année où l'on a enregistré, pour l'ensemble des destinations, 994 millions de nuitées, dont 196 millions pour la montagne.

L'hébergement marchand représente 62 % des modes d'hébergement. L'hébergement en hôtel représente seulement 14 % de ces 62 %. Les autres modes d'hébergement sont les locations, le camping, les clubs et les villages de vacances, qui progressent en parts de marché.

Le commissariat du Plan a confié à un groupe d'experts la mission d'éclairer les pouvoirs publics et les professionnels sur les grandes tendances du tourisme. Il ressort de son rapport, intitulé La prospective de la demande touristique à l'horizon 2010 , que le marché français des vacances de sports d'hiver est entré dans une phase de maturité, comme le révélait dès 1988 une étude SEMA-METRA. On assiste aujourd'hui à une phase de contraction de ce marché, la demande étant à peu près stabilisée.

Les sports de glisse sont aujourd'hui concurrencés par des pratiques plus douces, liées notamment à l'évolution démographique en Europe. Ainsi, en 2010, les plus de soixante ans seront aussi nombreux que les moins de vingt ans. Ils n'emprunteront probablement pas les mêmes pistes! En 2020, les plus de soixante ans constitueront 27 % de la population, tandis que les moins de 20 ans en représenteront 22 %.

On constate ensuite un lent retour à des valeurs essentielles du tourisme, à des vacances plus familiales, moins longues, davantage réparties dans l'année et moins sportives en termes de performances, ce qui ne veut pas du tout dire qu'elles sont inactives.

On constate encore une concurrence de plus en plus vive entre les marchés européens - qui tentent de conserver leur clientèle autochtone, qui risque donc de ne pas venir en France -ainsi que la recherche d'un confort immobilier plus familial, plus convivial, celle d'un urbanisme de station moins citadin, moins « béton », plus authentique et, enfin, une préférence pour les interconnexions de massifs skiables.

Quant au tourisme estival, il est très diffus, y compris en moyenne montagne, et il recoupe des activités diversifiées. Ce tourisme exige moins d'investissements lourds, mais des équipements de loisirs plus variés. La saison estivale ne constitue pas encore un appoint indispensable pour les opérateurs de grandes stations de sports d'hiver, mais elle tend quand même à devenir progressivement la condition de survie de nombreux sites, surtout en moyenne montagne, quand les atouts hivernaux des stations sont un peu modestes face à la fois aux exigences croissantes des clients et à la compétitivité des pays voisins.

C'est bien, semble-t-il, le tourisme hivernal et ses grandes tendances qui vont dicter la stratégie des grandes stations françaises de sports d'hiver. On peut toutefois s'interroger sur ce positionnement singulier en Europe, la plupart des grandes stations étrangères ayant, il faut le savoir, une activité vraiment significative en été. La France se situe un peu en deçà des moyennes européennes dans ce domaine.

A partir de ce constat, comment favoriser le développement du tourisme en montagne ? Je ne prétends évidemment pas détenir la vérité sur ce sujet, surtout face aux spécialistes que vous êtes, mais il convient d'abord de rappeler qu'il n'existe pas de développement type en montagne parce qu'il n'y a pas de montagne type. Les réponses ne peuvent donc être que très diversifiées.

On peut distinguer, d'une part, les secteurs qui bénéficient d'un développement économique important, d'activités touristiques d'envergure et d'une attractivité urbaine forte et, d'autre part, ceux qui sont en voie de désertification, dont l'armature urbaine et l'économie sont plutôt faibles et dont, par conséquent, les ressources touristiques sont modestes. Ces différences sont essentielles pour apprécier le potentiel de développement touristique des territoires, à l'exception de celui des zones de sports d'hiver, qui exigent un contexte géographique et climatique particuliers. Ces zones, il faut le rappeler, ne constituent que 2 % de l'espace en montagne.

Il paraît difficile de développer une activité touristique dans un territoire déserté par ses habitants permanents. La majorité des touristes considèrent de plus en plus qu'une montagne habitée est un lieu plus accueillant. Ils ont en effet besoin de services, de commerces de proximité et de convivialité. Le tourisme dépend donc en grande partie de la qualité de la vie offerte sur un territoire. Les touristes ne veulent plus d'un équipement installé au milieu d'un désert.

La France a développé dans le domaine des sports d'hiver une économie très efficace si l'on en juge par le nombre d'emplois créés dans ce secteur et par la contribution de celui-ci à la balance des paiements, ce dont nous nous félicitons. Les sports d'hiver figurent toujours parmi les meilleures activités touristiques françaises en termes de retombées économiques par touriste. Vous savez que la France est la première destination touristique, mais qu'elle n'est que la quatrième puissance s'agissant de la somme dépensée par touriste. Je pense que les sports d'hiver contribuent à faire remonter cette moyenne.

Le marché des sports d'hiver n'est pas extensible à l'infini. Toutes les études prospectives indiquent une tendance à la stabilisation. Il faut donc raisonnablement viser le maintien de la compétitivité de l'offre française pour éviter son dépérissement. Cet objectif, loin d'être modeste, nécessite une forte mobilisation des acteurs du secteur. Celle-ci passe par un effort en faveur de la rénovation des hébergements, notamment de celle des meublés de tourisme ; par le développement de l'offre hôtelière, qui est très limitée dans les stations de sports d'hiver alors que la demande de séjours, pas nécessairement calés sur la semaine, est croissante ; par l'adaptation permanente, grâce à un niveau élevé d'investissement, des domaines skiables aux évolutions des attentes de la clientèle en matière de remontées mécaniques et de travail de la neige ; enfin, par l'amélioration des espaces publics, qui sont vraiment une composante importante de l'image des stations.

On voit en effet combien, même en dehors des zones de montagne, les centres-bourgs et les centres-villes sont des éléments très importants de l'image, et donc de l'attractivité, d'un lieu de vie. C'est donc aussi vrai pour les stations de sports d'hiver.

En résumé, le maintien de la compétitivité des stations de sports d'hiver passe vraiment par une démarche « qualité » de tous les acteurs, de tous les services et de tous les commerces de ce secteur. La réussite ne peut donc être que collective.

Le tourisme estival, dont j'ai brièvement parlé tout à l'heure, est très dispersé dans l'ensemble des espaces de montagne. Les enjeux dans ce secteur sont eux aussi la qualité et la diversité des hébergements ainsi que l'accessibilité de l'offre. Mais le paysage, l'équilibre entre les espaces ouverts - tels les prés, les landes ou les terres - les bois, les forêts, les réseaux aériens, la publicité et, plus généralement, tout ce qu'un territoire donne à voir, sont aussi des enjeux. La maîtrise homogène du paysage dans un territoire est un excellent indicateur de la volonté de développer une activité touristique.

Pour ce qui est de la moyenne montagne, le tourisme peut certainement y constituer une ressource durable pour de nombreux territoires à condition que les habitants permanents acceptent de vivre leur territoire comme touristique et qu'ils se fassent à l'idée que le tourisme peut être une source de développement importante.

J'ai eu l'occasion et le plaisir de rendre visite récemment à M. Jean François-Poncet. Certes, ce n'est pas un territoire de grande montagne,...

M. Jacques Blanc - C'est la vallée du Lot !

M. Gilles de Robien - Oui, mais on est encore dans le département de la Haute-Garonne, et M. François-Poncet disait lui-même que le Lot est encore plus beau que la Haute-Garonne ! Et je ne parle pas de la Lozère, bien entendu.

Au cours de ce déplacement, j'ai été frappé de la façon dont le volet touristique était pris en compte par la population elle-même. J'ai même, dans mon point de presse, appelé cela le « génie local » : savoir reconvertir une population en population d'accueil, que ce soit pour le tourisme local ou pour le tourisme fluvial, c'est une vraie réussite. Jean François-Poncet a même trouvé pour son département une labellisation, en quelque sorte, qu'il appelle maintenant la « Toscane française ». C'est dire à quel point on peut aller loin dans la comparaison.

Ce n'est pas un texte qui peut imposer une telle attitude. Je pense au contraire que l'attitude des élus et des acteurs locaux peut convertir une population et l'amener à être réceptive au tourisme en moyenne montagne.

Évidemment, l'hébergement et les paysages ne suffisent pas dans les territoires qui n'ont pas de vocation touristique : il y faut des structures adaptées au développement touristique, il y faut aussi une « culture » touristique.

Vous avez souhaité que je me prononce sur la mise en oeuvre d'un « plan de sauvetage » des stations de basse altitude. Je le ferai bien volontiers, même si cela doit m'amener à introduire un petit bémol dans cet exposé.

C'est dans les années soixante qu'est née l'idée de créer de petites stations familiales à partir de villages existants, et c'était certainement une excellente idée. Ces stations avaient pour vocation de constituer des réservoirs de skieurs qui fréquenteraient ensuite les stations plus grandes ; elles devaient ainsi permettre de revitaliser des zones menacées de désertification.

Aujourd'hui, on constate que l'enneigement variable d'une année à l'autre et d'un massif à l'autre entraîne chez les clients un certain désintérêt pour ce type de tourisme, pour ces stations de basse altitude. Il faut reconnaître aussi que les équipements ont pris un « coup de vieux » et que les coûts d'entretien se font de plus en plus lourds, alors que les installations sont somme toute relativement modestes et que les frais sont supportés par des ensembles forcément moins importants que dans de grandes stations. Dans ce contexte, il paraît quelque peu difficile de parler de sauvetage : ce serait une solution miraculeuse.

Si le concept de sauvetage doit être manié avec prudence, il faut cependant examiner comment pourrait être maintenu un produit touristique qui a son utilité mais qui, dans sa forme actuelle, ne correspond plus aux attentes.

Sans vouloir aucunement laisser ce problème aux seuls élus locaux, je crois qu'il convient que les collectivités locales fassent l'une après l'autre l'état des lieux de chacun des sites, que de vrais diagnostics soient posés et que, courageusement, on se reconcentre sur des sites moins nombreux mais auxquels serait donnée une nouvelle chance, en même temps que seraient examinées des possibilités de reconversion et, peut-être, de solidarité entre diverses stations. Quoi qu'il en soit, nous estimons nous aussi très difficile aujourd'hui de sauver l'esprit dans lequel ces stations ont été créées il y a une quarantaine d'années.

J'en viens aux transports. Vous appuyant sur le rapport Brossier, vous posez la question de savoir ce qu'il se passera en 2010, avec notamment la dimension suisse, qui permettrait, le cas échéant, de détourner une partie du trafic.

Depuis l'accident tragique du tunnel du Mont-Blanc, la question ne se pose plus exactement dans les mêmes termes. Dans tous les débats publics, dans toutes les déclarations s'exprime à l'égard des pouvoirs publics une très forte demande, qui se fait de plus en plus insistante, pour que les poids lourds soient transférés sur le fer. Tout le monde trouve cette solution miraculeuse, mais c'est une solution lourde, c'est une solution chère, même si, bien entendu, elle est attrayante.

Pourtant, vous avez pu constater que, lors de la fermeture du Mont-Blanc, la totalité du trafic a pu être reportée sur le Fréjus, où passaient à cette époque-là 1 550 000 poids lourds par an. Je ne dis pas que c'est une bonne solution, c'est un simple constat.

Selon les projections, il faudra gérer en 2010 environ 2 250 000 poids lourds par an. De façon très brutale - et je ne dis pas, là non plus, que ce serait la solution la plus souhaitable -, on pourrait soutenir que, en théorie, le Mont-Blanc et le Fréjus pourront absorber ce trafic, qui ne représente jamais, si je puis dire, que 3 100 poids lourds par jour pour chacun des tunnels.

Bien entendu, c'est localement inacceptable, compte tenu des nuisances de tous types associées aux poids lourds. C'est pourquoi, au-delà des mesures prises par les Suisses - qui soulageront nos franchissements dans des proportions qui pourraient être de l'ordre de 10 % ou 20 % -, l'objectif est de nous orienter de toute façon vers une politique volontariste dans le domaine du ferroutage.

Tel est le sens de l'expérimentation qui sera mise en place, dès le début de 2003, entre Aiton et Orbassano. Il nous faudra observer si ce service, qui repose sur l'utilisation du wagon sur-baissé Modalohr, est capable d'attirer une clientèle suffisante - car il est bien beau de faire une offre si personne n'en veut ! - pour lui permettre d'enclencher un cycle de développement vertueux du ferroutage. Il faudra bien sûr améliorer ce service en mettant au gabarit B+ les tunnels ferroviaires de la ligne historique.

L'effet suisse jouera, mais, pour être clair, nous plaçons beaucoup d'espoirs dans le tunnel du Mont-Cenis au gabarit B+ ; mais il faudra aussi réaliser d'autres tunnels, notamment celui de la Chartreuse.

L'accident du Mont-Blanc a obligé à repenser la conception des tunnels ; c'est d'ailleurs l'objet de l'instruction ministérielle du 25 août 2000. Dès lors que les mesures que contient celle-ci sont appliquées, il n'y a pas de raison technique - je dis bien : technique - de réduire le trafic routier dans les tunnels aujourd'hui. Vous savez que, au Mont-Blanc, des précautions particulières ont été prises qui sont consignées dans le règlement de circulation.

On observe bien sûr, j'y reviendrai tout à l'heure, que le trafic s'est considérablement réduit au Mont-Blanc. Quittant les Alpes, j'évoquerai le tunnel de Sainte-Marie-aux-Mines, dans les Vosges, qui est lui aussi fermé, aujourd'hui, compte tenu de sa vétusté et des travaux de remise à niveau qui sont programmés pour le début de l'année prochaine. Depuis mars 2000, le trafic y est quasi nul.

Comme vous le voyez, l'objectif est non pas de réduire le trafic pour le réduire, mais d'assurer un haut niveau de sécurité pour les usagers qui emprunteront les tunnels.

Je ferai le point du trafic routier dans le tunnel du Mont-Blanc avant et après l'accident, ce qui me permettra de vous apporter des chiffres extrêmement récents.

Depuis la mise en service du tunnel du Mont-Blanc jusqu'en 1993, le trafic a connu une très forte progression, avec un point culminant à 835 000 poids lourds par an, c'est-à-dire 2 300 par jour. Puis il a décru au profit du tunnel du Fréjus, pour être dépassé par ce dernier à partir de 1996. En 1998, le trafic aux tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus était à peu près équilibré, avec 2 150 poids lourds par jour.

Le 25 juin 2002, le tunnel a été rouvert aux véhicules de plus de 3,5 tonnes, notamment pour respecter un engagement qui avait été pris vis-à-vis de l'Italie, puisqu'il s'agissait d'un accord international. Après une première phase de progression, on constate aujourd'hui une stagnation du trafic des poids lourds, avec une moyenne d'environ 500 par jour ouvrable. On est donc très loin des 3 000 de pointe, mais aussi de l'objectif que nous nous étions fixé à la réouverture, qui était de répartir le trafic entre les deux tunnels dans la proportion de 35 % pour le Mont-Blanc et 65 % pour le Fréjus. Pour atteindre ces 35 %, il faudrait 1 700 poids lourds par jour. Or, lundi dernier - ce sont les chiffres récents que je voulais vous communiquer -, le Fréjus a vu passer 4 170, contre 600 au Mont-Blanc. Depuis la rentrée, le lundi, qui est pourtant le bon jour, le tunnel du Mont-Blanc réalise 12 % de parts du marché, les autres jours, plutôt 10 %.

La situation devient donc préoccupante et gênante pour la vallée de la Maurienne, qui supporte 90 % du trafic. Elle est préoccupante également pour la viabilité financière de l'exploitant du tunnel, qui ne voit pas ses péages augmenter.

Les prochains mois, qui seront plus représentatifs d'un mois normal, seront donc très importants à cet égard. J'ai rencontré il y a huit jours M. Lunardi, ministre italien des transports, et nous sommes tombés d'accord pour nous donner les mois de septembre et d'octobre pour faire le point pour comprendre cette répartition. En effet, un sommet franco-italien se tiendra au tout début du mois de novembre au cours duquel la question sera inévitablement évoquée. Il faudra alors que nous puissions apporter des réponses à cette situation insatisfaisante : quels sont les impacts des travaux de la route nationale 205, de l'alternat dans le tunnel. Il faudra à ce moment-là disposer d'un état des lieux pour savoir s'il faut décompresser, décongestionner, donner des signes volontaristes en matière de rééquilibrage.

Le trafic routier nous mène directement au trafic ferroviaire avec le fameux projet de liaison Lyon-Turin. Je vous rappelle - mais est-ce nécessaire ? - qu'il fait partie des quatorze projets européens d'infrastructures classés prioritaires depuis le sommet d'Essen, en 1994. Il est destiné aux voyageurs et au fret. La partie française de la ligne nouvelle a fait l'objet d'un important programme d'études. L'avant-projet sommaire de la section Lyon - sillon alpin a été approuvé en mars 2002, et RFF met actuellement au point celui du tunnel de la Chartreuse. Des consultations locales sont organisées ou le seront très prochainement par le préfet de région sur ces études préliminaires d'acheminement des marchandises entre Lyon-Ambérieu et le massif de la Chartreuse.

Pour ce qui est de la partie internationale, je rappelle qu'à Turin, le 29 janvier 2001, la France et l'Italie ont pris l'engagement de réaliser cette nouvelle liaison ferroviaire et ont défini les modalités de mise en oeuvre de la première phase, avec un nouveau programme d'études et la réalisation des galeries de reconnaissance, que l'on appelle des « descenderies », dans un accord signé au cours du sommet, dont l'approbation a été autorisée par le Parlement avec l'adoption de la loi du 28 février 2002. Cette première phase est évaluée à 371 millions d'euros, pris en charge à parité par la France et l'Italie, avec un concours de l'Union européenne.

Où en sommes-nous des travaux ?

Les travaux des ouvrages de reconnaissance ont débuté au printemps, et la descenderie de Modane est en cours. Ils se poursuivront en 2003. Les crédits de la descenderie de Saint-Martin-de-la-Porte, il est important de le souligner, ont été débloqués.

En termes de coûts, la part française s'élèverait à 3 milliards d'euros hors taxes - il s'agit seulement d'un ordre de grandeur. Il faut y ajouter tout ce qui permet de relier le tunnel au réseau ferroviaire au voisinage de Lyon, soit la ligne à grande vitesse Lyon - sillon alpin, pour 1,8 milliard d'euros hors taxes ; l'acheminement du fret jusqu'à la Chartreuse, pour 0,6 milliard d'euros hors taxes ; le tunnel de la Chartreuse, pour 1,8 milliard d'euros hors taxes ; l'accès au tunnel de base pour 1,7 milliard d'euros hors taxes. On parvient, en faisant les additions, à près de 9 milliards d'euros, auxquels il faut également ajouter le contournement fret de Lyon, qui représente 1,5 milliard d'euros. L'ordre de grandeur total est donc de 10 milliards d'euros.

Le projet Lyon-Turin est bien sûr visé par l'audit qui a été confié au Conseil général des ponts, secondé par la DATAR, audit qui permettra de replacer ce projet par rapport à tous les autres et qui devrait être rendu à la fin de cette année.

Il reviendra ensuite au Gouvernement de proposer un programme global de réalisation des infrastructures, après un débat au Parlement, qui disposera des résultats de l'audit. Ces deux éléments, l'audit et le débat au Parlement, permettront donc d'avoir des idées plus claires sur la réalisation de ce projet.

J'en viens maintenant à la vallée d'Aspe, qui a tout votre intérêt.

Les travaux du tunnel du Somport seront bientôt achevés. On en est actuellement à l'étude du règlement de sécurité. Tout ceci doit intervenir avant la fin de 2002, et peut-être l'inauguration aura-t-elle lieu avant la fin de l'année ou tout au début de l'année prochaine.

Il est également prévu de moderniser la route nationale 134, qui traverse la vallée d'Aspe. Les aménagements envisagés, avec une voie supplémentaire pour les poids lourds dans les sections à forte pente et le contournement des villages, sont compatibles avec les orientations des schémas multimodaux de services collectifs de transport.

Sur les quarante-six kilomètres qui séparent Oloron-Sainte-Marie de l'entrée du tunnel, vingt ont été aménagés au cours des trois précédents contrats de plan Etat-région, huit sont aujourd'hui en cours de réalisation, douze en sont au stade des études techniques. Seuls six kilomètres restent à étudier, et il n'y aurait plus de traversée de village.

Actuellement, le trafic sur la route nationale 134 en vallée d'Aspe varie de 6 200 véhicules par jour aux abords d'Oloron-Sainte-Marie à 800 véhicules par jour au tunnel du Somport.

Les prévisions, qui prennent en compte la réalisation d'une liaison rapide à deux fois deux voies entre Langon et Pau, confirment que la route nationale 134 n'a pas vocation à être le support d'un itinéraire de grand transit routier international. A l'horizon 2020, l'augmentation du trafic en vallée d'Aspe sera sensible, mais restera compatible asvec la capacité de la RN 134 réaménagée, avec un trafic estimé à 11 000 véhicules par jour aux abords d'Oloron et à 2 600 véhicules par jour au tunnel du Somport.

A titre de comparaison, ce chiffre à l'horizon de vingt ans est voisin des chiffres actuels sur la route départementale 20 à Ainhoa-Dancharia, avec 2 500 véhicules par jour, et sur la route nationale 125 à Fos, avec 3 100 véhicules par jour. Il représente un cinquième du trafic actuel sur la route nationale 10 à Urrugne - 13 100 véhicules jour - et un huitième du trafic sur l'autoroute A9 au Boulou.

Vous m'interrogez également sur le gel de certains crédits dans le cadre de la politique de maîtrise des dépenses publiques.

Dans les crédits pour 2002 qui ont été gelés, la part imputée sur les conventions interrégionales de massif représente aujourd'hui 31,7 millions d'euros, soit environ 10 % du montant total du gel portant sur les crédits d'investissement routier.

Il s'agit principalement d'opérations dont les travaux n'ont pas commencé et qui, bien entendu, seront reprogrammés dès le début de l'année 2003.

M. Jacques Blanc - Nous n'avons pas posé de question sur le franchissement des Pyrénées, puisque nous pensons que Perpignan-Figueras est acquis.

M. Gilles de Robien - Oui.

M. Jacques Blanc  - Peut-être serait-il néanmoins opportun que vos services nous communiquent quelques éléments d'information sur l'évolution des trafics routier et autoroutier pour le passage des Pyrénées au Perthus, afin que le rapport puisse en faire état. Nous pourrions ainsi compléter l'éclairage de la question du tunnel du Somport. Il faut également rappeler que le tunnel du Puymorens, qui est en service, permet des franchissements dans notre région.

Par ailleurs, nous considérons que les problèmes d'urbanisme sont des problèmes majeurs. Je suis frappé de constater que, dans tous les massifs, les élus, quelle que soit leur étiquette ou leur expérience, perçoivent des blocages qui ne se justifient pas par une préoccupation environnementale.

L'objectif de notre rapport est au contraire d'indiquer que la nouvelle politique de la montagne, en s'intégrant dans le grand mouvement de développement durable, peut parvenir à l'équilibre entre développement et protection de l'environnement, et que les processus d'urbanisme aboutissent aujourd'hui à des situations figées et à de graves incompréhensions entre certains élus et des responsables d'associations. Or nous souhaitons contribuer à surmonter ce blocage.

Tout ce qui permettra non pas d'abandonner la protection de l'environnement, mais de la concilier avec le développement, et donc de nous inscrire dans le développement durable, me semble être un élément majeur.

Je ne reviens pas sur le tourisme, car je suis convaincu que, dans les zones de moyenne montagne en particulier - et je souhaite pouvoir vous le montrer un jour dans un département comme la Lozère -, il est un élément de vie et d'aménagement, à la condition qu'il recouvre une réalité, que l'on trouve dans ces territoires à la fois de l'agriculture, des activités commerciales et artisanales, vous l'avez dit ; je retiens pour ma part le terme de « génie local ».

Quant aux transports, seuls les problèmes transfrontaliers ont été évoqués. Je considère que la route nationale 88, qui représente un désenclavement est-ouest du Massif central venant compléter l'axe nord-sud de l'autoroute A75, est un élément majeur d'une politique de la montagne dans le Massif central. Tous les élus de la région sont même prêts à participer à la réalisation de la section entre Montpellier et Perpignan, c'est dire !

Mais la liaison Lyon-Turin nous intéresse aussi, car elle aura un impact sur l'axe Montpellier-Perpignan-Barcelone !

Je reviendrai enfin d'un mot sur le multimodal, car nous sommes aujourd'hui les seuls à disposer d'une vraie plate-forme multimodale, celle du marché Saint-Charles à Perpignan. Certes, elle est spécialisée dans le secteur des fruits et légumes, mais le franchissement de montagne qu'elle permet a contribué à la création d'un lien très fort entre la Catalogne du nord et la Catalogne du sud. C'est donc là un élément essentiel.

M. Jean-Paul Amoudry - Monsieur le ministre, j'aborderai très brièvement cinq sujets, pour certains déjà évoqués.

Le premier point concerne, dans le domaine de l'urbanisme, la construction en continuité.

Il n'est pas dans les intentions de notre mission de dénoncer l'équilibre difficile qui a été obtenu entre les nécessités de la protection des espaces naturels et agricoles, d'une part, et, d'autre part, l'objectif légitime d'un minimum de développement.

Cet équilibre est difficile. Or, sans revenir sur les fondamentaux de cette question, il nous semble important, comme le soulignait M. le président à l'instant, de désamorcer autant que nous le pouvons les conflits, les contentieux extravagants et énormes qui surgissent, et d'essayer d'assainir, en somme, les relations entre l'administration et les élus.

C'est pourquoi certains suggèrent de réécrire le paragraphe III de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme, ce que, si nous avons bien compris, vous ne souhaitez pas a priori . Vous semblez préférer l'interprétation, l'expérimentation, sur la base des DTA ou des prescriptions particulières de massif. Pourriez-vous nous préciser quelle solution sera retenue, de façon que notre rapport soit éclairé sur ce sujet : soit réécrire l'article L. 145-3, soit procéder par circulaires ?

Mon deuxième souci concerne les UTN. Nous constatons que, si légitime que soit l'appréciation de la validité économique d'un grand projet, de nombreux abus, et je pèse mes mots, sont actuellement commis par l'administration. J'en citerai deux.

Nous avons dans ma région une piste de ski de fond, un grand itinéraire de plusieurs kilomètres, que nous souhaitons agrandir en créant une excroissance en continuité avec l'existant. Eh bien, on demande une UTN, au motif que nous sommes en site vierge !

Autre exemple, celui d'une UTN qui concerne la densification d'une station importante et reconnue ; dans ce cas particulier, l'administration exige qu'un arrêté de biotope soit instruit et signé à l'autre extrémité de la collectivité, à plusieurs kilomètres à vol d'oiseau, ce qui semble n'avoir aucun lien.

Je voudrais donc savoir si l'appréciation de l'administration, dont le principe n'est pas remis en cause, ne doit pas obéir à un certain nombre de critères, de règles du jeu, comme le fait notre action lorsque, en tant qu'élus locaux, nous instruisons un dossier.

Le troisième point concerne l'article 53 et la neige de culture. J'avais adressé à votre prédécesseur une question écrite visant à savoir comment aménager cet article afin de permettre que la neige de culture et ses installations puissent bénéficier de servitudes. Nous avons compris à vos propos que, en l'état actuel du droit, une telle démarche n'était pas possible et qu'il fallait modifier la loi. Nous étudierons donc cette question.

Le quatrième point concerne ce que nous avons appelé le « plan de sauvetage des stations » - le terme est quelque peu trivial. Nous pensons bien que c'est essentiellement aux régions et aux départements de venir aujourd'hui au secours de ces secteurs, qui tendent à devenir des friches. L'État pourrait-il, sous la forme d'accompagnements fiscaux par exemple, soutenir cet effort, dans le cadre d'un esprit partenarial ? Car c'est bien lui qui était à l'origine de ces stations dont on a trop tendance à dénoncer aujourd'hui le lancement trop imprudent.

Ma question suivante concerne la viabilité hivernale qui, je le sais, ne relève pas directement du législateur. Toutefois, je voudrais ici me faire l'écho des très nombreuses collectivités qui ont le plus grand mal à appliquer les récentes mesures prises pour régler les problèmes relatifs aux conditions de travail des personnels, en particulier des personnels de déneigement.

Ce que nous demandons simplement, c'est que l'Etat français veuille bien appliquer en la matière la directive européenne, ni plus ni moins, tout en tenant compte des possibilités d'assouplissement que prévoit cette directive. Ne soyons pas plus européens que l'Europe !

Enfin, il est un dernier point sur lequel je voudrais vous interroger, monsieur le ministre, je veux parler de la traversée des Vosges. Pouvez-vous nous dire si des perspectives de délestage des itinéraires traversés de certains villages vosgiens sont envisagées au sein de votre ministère ?

M. Gilles de Robien - Au sujet de la DTA, je rappelle que le grand principe d'urbanisation en continuité est un principe fondamental en matière d'urbanisme, tout particulièrement en zone de montagne.

Par conséquent, si un assouplissement était possible, il devrait soit être subordonné à l'existence d'un document cadre, par exemple, une prescription particulière de massif, soit être soumis à un avis conforme de l'Etat s'il n'y a pas de pression urbaine forte y compris pour les résidences secondaires.

Concernant la notion de construction en continuité, c'est une notion effectivement complexe et qui donne lieu à diverses interprétations. Or je rappelle que le Sénat, dans son rapport, avait constaté qu' « une jurisprudence abondante a largement éclairé ces questions ». En d'autres termes, il y a aujourd'hui moins de zones d'ombre dans ce domaine.

Il nous faut donc faire très attention à l'application du principe de continuité et s'il doit y avoir assouplissement, celui-ci doit se faire dans le cadre d'un texte qu'il s'agisse d'une prescription particulière de massif ou d'un avis conforme. Là encore, j'émets certaines réserves quant aux travaux menés en relation avec le ministère de l'environnement.

M. Jean-Paul Alduy - Je résumerai mon propos de la manière suivante : il convient de raisonner simplement. Je m'explique. Dès lors qu'un document d'urbanisme a été rédigé avec les communes de certains massifs et les différents ministères concernés - urbanisme, environnement, etc - je considère qu'il doit être permis d'assouplir la règle de la discontinuité. La jurisprudence dans ce domaine n'est ni faite ni à faire.

Il s'agit de régler des situations proprement grotesques et j'en donnerai un seul exemple. Aujourd'hui, un maire qui se voit obliger de construire un lotissement pour agrandir son village ou pour le désenclaver, s'il ne veut pas avoir à sa petite échelle une usine AZF comme à Toulouse, doit trouver un terrain non sensible. Or on lui rétorque qu'il y a discontinuité. Il va donc falloir qu'il construise des maisons jusqu'au terrain où il pourra installer son usine polluante. C'est n'importe quoi !

Par conséquent, on voit bien que la seule solution est de fabriquer un document d'urbanisme de planification intercommunale afin de régler ce problème lancinant de la discontinuité.

M. Gilles de Robien - Je suis assez d'accord avec M. Alduy mais j'émettrai tout de même quelques réserves, car si cette procédure se situe au seul niveau intercommunal, c'est un peu limité. En revanche, l'idée selon laquelle il convient de faire simple est une idée à retenir.

M. Pierre Jarlier - En ce qui concerne la protection des paysages, monsieur le ministre, il me semble que certaines règles vont au-delà de la simple continuité concernant les périmètres de protection autour des lacs et des hameaux, notamment, et il m'apparaît que nous sommes aujourd'hui dans une situation de blocage. C'est la raison pour laquelle on avait introduit ce fameux article auquel vous avez fait référence tout à l'heure sur la possibilité de constructions.

Pour ma part, je me demande si, à l'image de ce qui s'est fait pour les constructions à proximité des routes à grande circulation ou des autoroutes, l'on ne pourrait pas déroger à certaines règles prévues dans le document d'urbanisme tout en maintenant, bien entendu, la philosophie de ce dernier.

Partagez-vous ce sentiment, monsieur le ministre ?

M. Gilles de Robien - Je partage totalement cette analyse, monsieur le sénateur. Toutefois, cela mérite peut-être une expertise afin d'examiner toute la pertinence juridique de votre proposition. En outre, il est vrai que localement on est souvent plus respectueux encore de toutes les données paysagères.

Pour ce qui est de la procédure UTN, je confirme qu'il faut l'assouplir en faisant la part des petites unités et des grosses unités, de celles qui nécessitent véritablement des procédures lourdes et celles qui pourraient être allégées. Donc, là aussi, je suis tout à fait d'accord pour faire preuve d'un peu de souplesse.

Concernant la mise en oeuvre d'un « plan de sauvetage » des stations, la réponse ne m'appartient pas tout à fait, sinon je signerais tout de suite, vous le pensez bien.

Quel soutien fiscal pour une telle opération ? Comment ? Ces questions méritent effectivement d'être posées en haut lieu et peut-être même lors d'un prochain débat. Pourquoi pas ?

S'agissant du personnel de déneigement, j'avoue ne pas encore suffisamment connaître le sujet pour vous répondre.

M. Jean-Paul Amoudry - Je voulais simplement ne pas perdre l'occasion de votre audition, monsieur le ministre, pour soulever cette question tout à fait d'actualité à la veille d'une saison de sport d'hiver. Bien entendu, il ne s'agit pas d'une question strictement législative, j'en conviens, mais la réponse à cette question au plan de la liberté de manoeuvre en montagne est extrêmement attendue.

M. Gilles de Robien - J'en viens au désenclavement vosgien pour lequel des opérations ont été ou seront effectuées.

Le problème se pose d'abord sur la RN 66 où circulent beaucoup de poids lourds et où les riverains se plaignent, à juste titre, tout au long de cet itinéraire. Il s'agit donc ici de dévier les transports routiers en transit par le nord et le sud des Vosges. Le préfet a d'ailleurs pris des arrêtés afin de réduire le nombre de poids lourds passant par le col de Bussang de 2 000 à 1 300 par jour ouvrable.

En ce qui concerne la fermeture du tunnel de Sainte-Marie-aux-Mines, cela ne doit sans doute pas faciliter la circulation dans cette région, mais elle était rendue nécessaire par des raisons impérieuses de sécurité.

On a observé sur la RN 415 un report au Col du Bonhomme avec 300 poids lourds par jour, c'est-à-dire 43 % supplémentaires. Les travaux de remise en état de ce tunnel qui sont concédés à la SAPRR sont programmés pour débuter au début de l'année prochaine. Il reste toutefois à clarifier des dispositions financières en relation avec la commission, notamment une augmentation de la durée de la concession.

Enfin, je rappellerai brièvement les travaux sur la RN 4, entre Lunéville et Phalsbourg, et sur la RN 59, entre Lunéville et Sélestat.

M. Auguste Cazalet - Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d'attention, surtout lorsque vous avez parlé des Pyrénées. Toutefois, je n'ai rien entendu dans vos propos concernant le grand projet Saragosse-Toulouse et j'aimerais savoir si ce dernier est tombé dans les oubliettes.

S'agissant de la traversée des Pyrénées qui actuellement ne se fait que d'ouest en est, c'est-à-dire par les Pyrénées-Orientales et par le Pays Basque, certes le tunnel du Somport devrait bientôt rouvrir, ce qui sera sans doute de nature à résoudre le problème de l'augmentation du nombre de véhicules. Cela dit, la traversée d'Oloron est loin d'être réglée et nous nous demandons comment nous allons faire avec 11 000 véhicules prévus.

Par ailleurs, il me semble que vous êtes passé un peu vite sur la liaison Langon-Pau qui, elle aussi, devrait voir un déferlement de véhicules, mais qui contribuerait tout de même à désengorger un peu l'axe Bordeaux-Bayonne qui est devenu infernal.

D'ailleurs, personnellement, en tant qu'élu des Pyrénées Atlantiques, je refuse d'aller par la route à quelque manifestation que ce soit dans la capitale de l'Aquitaine, Bordeaux. En effet, ma famille a payé un lourd tribut à la route puisque trois de mes proches ont été tués sur cet axe. Je suis donc devenu un fervent défenseur du train pour me rendre à Bordeaux.

On va presque deux fois plus vite à Toulouse qu'à Bordeaux. C'est pourquoi j'avais demandé que l'on rattache les Pyrénées-Atlantiques à Toulouse, mais on m'en a dissuadé fermement. Cependant, je vous le dis tout de même, monsieur le ministre, tant ce problème me tient à coeur.

Alors on prétend sauver cette région en rouvrant la ligne de chemin de fer Pau-Canfranc. Cela, je voudrais bien le voir avant de mourir !

En résumé, monsieur le ministre, je suis très inquiet quand j'entends parler de la traversée des Pyrénées et c'est la raison pour laquelle je deviens un peu passionné quand on aborde le sujet.

M. Gilles de Robien - Il existe vraiment un consensus, monsieur le sénateur, pour la voie rapide deux fois deux voies, évidemment mieux sécurisée.

S'agissant de l'axe Langon-Pau, tous les élus réclament une voie autoroutière. Par conséquent, croyez bien, monsieur le sénateur, que ce souhait est défendu au sein de mon ministère ; c'est même l'une des priorités autoroutières à venir.

Quant à la traversée des Pyrénées, il faut rappeler la forte volonté du gouvernement espagnol. J'ai rencontré tout récemment l'ambassadeur d'Espagne en France qui m'a dit combien il comptait sur nous pour mener des études dans ce domaine.

Or, à part les projets que j'ai cités, à savoir Perpignan-Figueras ainsi que la réouverture du tunnel du Somport, j'avoue qu'il n'y a pas grand-chose de prévu même si l'on peut envisager une traversée supplémentaire à l'image du Lyon-Turin, ce qui engage tout de même une dépense de quelque 10 milliards d'euros au minimum.

Certes, je comprends bien que cela soit une préoccupation pour le grand Sud-Ouest et tout à l'heure j'ai cité M. Jean François-Poncet qui, lui aussi, est partisan d'une liaison Nord-Sud passant par le milieu des Pyrénées. Mais, aujourd'hui, je dois à la vérité de dire qu'il n'existe pas de projet fort avancé dans ce domaine, ce qui ne signifie pas qu'il ne faut pas en préparer pour les années à venir, monsieur Cazalet !

M. Jean Boyer - Je ferai deux remarques, monsieur le ministre.

Tout d'abord, sur la nécessité de laisser aux collectivités un peu plus de souplesse, il convient, dans ce domaine, me semble-t-il, d'interpréter les textes avec bon sens ; je pense, notamment, à la règle des cinquante mètres ou des cent mètres pour la construction d'un bâtiment d'élevage.

Deuxième point. Vous savez, monsieur le ministre, qu'il existe tout particulièrement dans nos zones de montagne des friches agricoles, c'est-à-dire des bâtiments agricoles désaffectés. Or, jusqu'à ces dernières années, ces bâtiments ne pouvaient pas bénéficier de primes à l'amélioration de l'habitat. La loi de décembre 2000 a permis de telles subventions. Dès lors, pouvez-vous faire le point de l'application de cette loi, car, aujourd'hui, les barrages sont si importants qu'il est pratiquement impossible à un propriétaire de granges ou d'étables de transformer celles-ci en bâtiments locatifs ?

M. Gilles de Robien - Hélas, je n'ai pas de réponse à votre question, monsieur le sénateur, mais je vous suggère d'adresser à mon ministère une question écrite pour que vous soyez tout à fait éclairé sur ce point. Pour ma part, j'étais resté dans l'idée que la transformation des bâtiments de ce type en bâtiments d'habitation était possible grâce à un cofinancement de l'ANAH. C'est pourquoi votre question m'étonne quelque peu.

M. Pierre Jarlier - Pour compléter la question que vient de poser notre collègue Jean Boyer, j'ajouterai qu'il existe une difficulté majeure quant à la mise en oeuvre de cette loi de décembre 2000, à savoir que la réhabilitation dont nous parlons est assimilée à une construction ne bénéficiant pas de la TVA à 5,5 % et d'un régime fiscal moins intéressant.

M. Jean-Paul Amoudry - . Nous vous remercions de vos éclaircissements, monsieur le ministre.

50. Audition de M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire (25 septembre 2002)

M. Jacques Blanc, président - Je suis heureux d'accueillir le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire.

Nous sommes au coeur des préoccupations de l'aménagement du territoire, puisque la vie en montagne est indispensable si l'on veut assurer le développement durable et l'équilibre de l'aménagement du territoire.

Nous avons tous pensé qu'il était important, dans le cadre de l'année internationale de la montagne, que le Sénat puisse faire le point et surtout avancer des propositions nouvelles pour assurer de véritables chances à la montagne.

Aujourd'hui, tout le monde parle de développement durable. Le président de la République l'a rappelé à Johannesburg, et nous sommes convaincus que la montagne peut être un exemple de ce développement équilibré, avec la protection de l'environnement.

Encore faut-il que l'on sorte d'un certain nombre de blocages. Dans tous les massifs, nous avons rencontré des gens déterminés, un peu sous le coup des difficultés, mais aussi pleins d'espérance et de volonté.

Nous avons eu de très nombreuses auditions. Nous allons en faire une synthèse très rapidement pour respecter les échéances et nous poursuivrons ensuite l'action, en particulier au niveau européen, pour arriver à une reconnaissance de la politique de la montagne.

Nous t'avons adressé un questionnaire ; notre souhait est que tu y répondes mais surtout qu'il puisse y avoir un échange pour afin de savoir ce que le Gouvernement compte faire ou ne pas faire -et c'est parfois un peu compliqué.

M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire - J'ai vraiment l'impression d'être entre amis et ceci me réjouit.

Je voudrais excuser le délégué de la Délégation à l'Aménagement du Territoire et de l'Action régionale (DATAR), à qui j'ai demandé de me représenter à une réunion interministérielle importante sur la téléphonie mobile, qui porte notamment sur un accord que l'on a pu obtenir avec l'ART entre les 3 opérateurs pour investir sur les zones blanches non couvertes par le marché.

La question à laquelle je suis désireux et heureux de réfléchir avec vous au travers de votre mission, mais aussi au travers du Conseil national de la Montagne (CNM), porte sur la politique que nous voulons pour la montagne mais aussi sur le fait de savoir ce que l'Etat peut apporter à la montagne et sur ce que la montagne peut apporter à la France en matière d'économie et de développement.

Sous le vocable "montagne" se cachent des situations extrêmement différentes et il serait peut-être souhaitable d'avoir certains ajustements en fonction des spécificités. Peut-on, dans le système de la contractualisation, adapter les politiques de l'Etat aux situations locales pour favoriser le développement et le potentiel de ces massifs ?

Les trois missions que j'ai fixées à la DATAR portent sur la façon de développer l'attractivité des territoires, d'anticiper et d'accompagner les mutations économiques auxquelles nous assistons plutôt que de subir la crise, et sur la manière de mettre en place une problématique de solidarité des territoires.

Le deuxième élément que je voudrais citer sont les axes souhaités par le Premier ministre : restauration de l'autorité de l'Etat, dialogue avec les différents acteurs et surtout en ce qui nous concerne libération des initiatives locales.

Sur le plan budgétaire, nous quittons la problématique de l'affichage pour aller vers la politique de l'exécution. Je vais demander que, dans les contrats de plan, ne soient plus inscrits que des objectifs ou des dossiers dont on a la date de réalisation.

Il n'est pas raisonnable d'inscrire dans des contrats de plan des opérations qui nécessitent encore 3 ans d'études et 2 ans d'enquête publique. On mobilise de l'argent pour des choses qui ne sont pas réalisées.

Nous souhaitons donc avoir une réflexion sur l'objectif à atteindre, sur le calendrier nécessaire à sa réalisation et sur la politique que l'on peut mettre en place.

Dans l'une de vos questions, vous demandez quel est le volume des moyens que l'Etat consacre à la problématique "montagne", en dépassant les frontières administratives des départements, des régions, etc.

Une des questions fondamentales à laquelle j'aimerais que l'on puisse répondre est la suivante : quel effet positif en matière de croissance, de PIB, de valeur ajoutée par emploi peut-on obtenir par injection d'argent public ?

Les indicateurs peuvent être différents. On a une lecture démographique. Je ne suis pas convaincu qu'en ce qui concerne les massifs de montagne, la démographie soit un élément déterminant de la puissance du massif ! C'est peut-être au contraire l'absence de démographie, parce qu'il y a un site naturel autour duquel on peut déclencher toute une dynamique de tourisme, etc.

Il serait donc intéressant de réfléchir aux indicateurs de performance que vous voulez avoir et à l'apport d'argent public nécessaire aux objectifs visés. C'est un débat dont je puis preneur.

L'autre changement culturel, c'est la culture du projet, en distinguant projet et exécution.

Sur ce thème, je vais prendre l'exemple des fonds structurels européens dont nous avons immédiatement pris la mesure de la non-consommation des fonds structurels européens et de leur non-programmation.

Nous avons, dès le 31 juillet, en conseil des ministres, mis en place un certain nombre de dispositifs. Aujourd'hui, il existe un grand nombre de simplifications de procédures. Les secrétaires généraux aux affaires régionales (SGAR) sont à votre disposition, avec une "task force" au niveau de la région, ainsi que la DATAR au niveau national pour initier et accompagner les projets.

Les fonds structurels seront reçus directement par les préfets de région à partir du 1 er janvier 2003. Vous pourrez recevoir des fonds même si les travaux sont commencés. Vous bénéficierez d'une certaine globalisation pour les subventions inférieures à 23.000 euros et de simplifications pour les subventions de moins de 100.000 euros.

Il existe aujourd'hui des mesures de simplification très importantes, y compris de la part du trésor public, pour faire en sorte que le projet prime plus que le contrôle. Certes, nous serons toujours vigilants sur le contrôle des paiements et sur la qualité des dossiers puisque nous sommes responsables, vis-à-vis de Bruxelles, de la bonne utilisation des fonds communautaires mais, à l'évidence, en soignant les wagons et non la locomotive, on a des wagons propres, mais la locomotive ne démarre pas !

Nous souhaitons donc, avec la DATAR, peser sur l'accompagnement des projets, et cette culture rentre dans la problématique que vous évoquiez sur la politique de montagne en termes de massifs et de comités de massif.

Concernant les commissaires de massif, une de nos interrogations est de savoir si ceux-ci n'auraient pas vocation à s'investir dans l'ingénierie et la conception des projets, laissant aux préfets la partie relative à l'exécution des crédits. Comment déconnecter l'ingénierie de projet de la mobilisation des crédits ? Cela peut être un facteur de réforme de l'Etat au sens d'une plus grande efficacité. En tout cas, nous sommes demandeurs de vos réflexions sur ce sujet.

Second élément : desserrer les contraintes et les procédures. Il y a aujourd'hui un vrai problème et une obligation de réduire les délais entre la prise de décision et l'action politique.

Souvent, une fois une décision prise collégialement, on tombe dans un maquis de procédures, et la population ne comprend pas que 2, 3, 4 ans après, le discours ne se traduise pas dans les faits.

Nous souhaitons avec vous réfléchir à l'assouplissement des procédures. Je pense qu'il faut revoir les procédures Unités touristiques nouvelles (UTN). Nous allons d'ailleurs demander au conseil national de la montagne de bien vouloir regarder ce sujet et de nous faire des propositions.

Nous devons aussi réfléchir à la suppression des doublons entre le local, le régional et le national. Dans la logique du projet de territoire et de la structuration, il faut également que nous réfléchissions à l'opposabilité aux tiers de documents juridiques stricts, mais toutefois relativement souples dans leur établissement.

Il existe une superposition de documents juridiques qui ne sont pas toujours compatibles et qui créent une source de contentieux, de contraintes et de difficultés d'adaptation, au moment où la mondialisation impose une réactivité dans la prise de décision politique.

On a besoin d'une approche mobile d'un territoire qui peut brutalement, en quelques années, changer de fonctionnalité du fait du vieillissement de la population ou de relations domicile-travail qui engendrent de nouvelles relations par rapport à la fonctionnalité économique.

Nous sommes là aussi demandeurs par le CNM de vos propositions.

Troisième élément : nous sommes convaincus en ce qui nous concerne que chaque territoire a ses propres potentialités, mais aussi ses propres handicaps, et vouloir avoir une approche uniforme à l'échelon national est une erreur.

Nous devons au contraire réfléchir à la complémentarité des territoires et faire en sorte que l'Etat joue sur les deux tableaux pour conforter et développer les potentialités et réduire les handicaps.

Sur ce sujet, la connaissance du terrain des élus locaux est essentielle. La conceptualisation doit être accompagnée par les services de l'Etat, mais elle doit aussi émerger d'une mobilisation locale, pour faire en sorte que ces projets soient les plus compatibles possible avec la synergie nationale.

D'où l'idée qui est la nôtre des pays, à mi-chemin entre celle de Pasqua, qui réformait l'organisation de l'Etat, et celle de Voynet, qui réorganisait plutôt l'aménagement urbain et rural. Nous souhaitons que ce pays soit un espace relativement informel et souple d'organisation de projets de territoire, avec une volonté des élus locaux de concevoir ce type de projet, qui ne doit en aucun cas se transformer en structure administrative. Même si l'on devait mobiliser des crédits, ceux-ci devraient être directement injectés sur les Etablissements publics de coopération intercommunale (EPCI), qui en auront la charge.

C'est un débat au sein du Gouvernement. Nous souhaitons des objectifs simples : lisibilité dans les objectifs, clarification dans les moyens et évaluation dans les résultats.

J'ai bien vu dans les conventions de massif que votre recherche était identique à la nôtre sur le plan du développement de l'économie, de l'emploi, et de la matière grise.

Je crois que nous avons là une réflexion importante à mener. L'avenir de ce pays passera par sa capacité à l'investissement public, mais aussi à conserver sa matière grise.

Je vous sais par ailleurs extrêmement sensibles à la notion d'infrastructures. Le Gouvernement a pris la décision, devant le bilan du financement des projets annoncés, de confier à la DATAR une étude pilotée avec les Ponts et Chaussées, pour répondre à la question : de quelles infrastructures la France doit-elle se doter pour peser dans l'économie logistique du XXI ème siècle ?

Faut-il privilègier l'accord de Kyoto pour favoriser les modes de transport qui produisent moins de CO2 ? Faut-il privilégier le temps ? Faut-il privilégier le fret maritime ? Faut-il distinguer les flux de marchandises du flux des hommes ? C'est un débat parlementaire que vous aurez ensemble.

Autre question : comment ensuite mettre en place des stratégies de proximité avec les régions ?

Je voudrais à présent apporter un certain nombre de réponses succinctes aux questions que vous m'avez posées.

Nous vous avons préparé certains documents et mes collaborateurs pourront bien entendu vous apporter les éléments de réponse complémentaires dont vous auriez besoin.

Première question : "A combien s'élèvent les sommes consacrées à l'aménagement du territoire en montagne ? Quelle a été leur évolution entre 1985 et 2001 ?".

Les crédits d'auto-développement ont fait l'objet d'une revalorisation en 1999 à hauteur de 4,6 millions d'euros. Le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) s'élève à 90 millions et nous avons ensuite des crédits déconcentrés et confiés aux commissaires de massif, dont le fonctionnement est intégralement pris en charge par le budget de la DATAR -411.000 euros- auquel il faut ajouter les contrats de plan, que l'on peut évaluer à 261 millions d'euros.

"Vous semblerait-il utile, dans un souci de lisibilité, de regrouper l'ensemble des crédits du FNADT en faveur de la montage dans un fonds spécialisé ? Dans le cas contraire, comment améliorer la lisibilité ?".

Nous devrions, si on allait jusqu'à votre exigence, mettre en place un fonds commun très ciblé. Nous pensons que les conventions inter-régionales de massif pour la période 2000-2006, mises en place à l'occasion de la nouvelle génération de contrats de plan, répondent au souci de pérennisation d'une politique de montagne et engagent l'ensemble des acteurs concernés. C'est une bonne illustration d'un engagement de l'Etat, notamment dans une configuration interministérielle.

Nous réfléchissons d'ailleurs à la nécessaire coordination locale et centrale des services de l'Etat.

J'attire votre attention sur l'intérêt que le Parlement doit porter à la nouvelle loi de finances, sur laquelle vous avez le pouvoir de demander des résultats et des évaluations des politiques mises en oeuvre.

J'ai demandé aux services de la DATAR et autres services publics de nous préparer une évaluation des politiques publiques initiées au travers de ce ministère. Je suis tout à fait prêt à regarder comment répondre à vos exigences sur ce sujet.

"Faut-il inscrire dans la loi un recensement exhaustif des concours publics en faveur des zones de montagne ?".

Une première réponse est aujourd'hui apportée par le décret de 4 juillet 2002. Le préfet doit produire devant le comité de massif un rapport d'activité des actions de l'Etat en faveur du massif.

"Comment mieux coordonner les contrats de plans et les conventions inter-régionales ?".

Les conventions inter-régionales sont adossées dans leur principe aux contrats de plan Etat-région, notamment pour la durée, la typologie des mesures et le mode de programmation.

Les conventions inter-régionales n'ont pas vocation à doubler les contrats de plan Etat-région, mais il peut y avoir un certain nombre de politiques concernées. Je pense notamment au système d'informations géographiques sur l'ensemble d'un massif, qui servent les politiques régionales et qui ne sont souvent que partiellement concernées par le massif.

C'est une coordination positive. Il faut là aussi que l'on puisse réfléchir par rapport aux objectifs affichés par les uns et par les autres et trouver les espaces de coordination.

Vous avez indiqué que vous souhaitiez voir lever un certain nombre de freins administratifs, comme l'impossibilité pour les préfets d'ordonnancer des crédits hors de leur région de compétences ou l'incapacité de vérifier si les ministères remplissent leur engagement financier. Le décret du 4 juillet permet normalement de répondre à vos exigences.

S'il y a dysfonctionnement ou retard dans l'application de ces procédures, nous sommes à votre disposition.

Ainsi nous avons décidé d'avoir, sur les fonds structurels, une réunion mensuelle avec les SGAR au cours de laquelle nous faisons une évaluation de la programmation et de l'exécution, et nous sommes à l'écoute des parlementaires pour faire appliquer la loi.

"Faut-il modifier les statuts de comités de massif pour leur donner plus de dynamisme ?".

J'ai demandé à la DATAR, à l'occasion d'une réforme des décrets, d'intégrer la co-présidence pour valider une composition de comité plus adaptée, notamment en prenant en compte les acteurs économiques et les forces vives, en faisant en sorte de proposer un mode de fonctionnement qui place le comité au centre des décisions stratégiques et en évaluant les besoins de fonctionnement en moyens humains et financiers.

Vous nous avez par ailleurs interrogés sur le jugement que nous portions sur le conseil national de la montagne, en particulier pour savoir si sa composition nous semblait ou non satisfaisante et si la création de la commission permanente, en 1996, nous avait donné satisfaction.

On a mis en place une série de mesures que vous connaissez sur le nombre de membres. Je serai, en ce qui me concerne, très vigilant quant à leur liberté d'expression au sein de la commission permanente et des groupes de travail.

Je crois que le calendrier de la politique de la montagne est propice à une mise à l'épreuve de l'ensemble du dispositif institutionnel. Un nouveau conseil national, qui sera nommé par le Premier ministre, se réunira dans les prochains mois. Je serai attentif à toutes vos propositions pour favoriser la démocratie et l'expression des forces locales et sociales du territoire concerné, mais aussi pour prendre garde à ne pas multiplier les instances de concertation.

Nous ne sommes pas opposés à des propositions de modification de ces instances de concertation, au nom de l'efficacité de l'action publique, à laquelle nous sommes extrêmement attachés.

"Faut-il donner à l'institut de la montagne un rôle d'expertise ?". Je suis assez favorable au fait que l'institut de la montagne puisse faire une évaluation de l'année internationale de la montagne.

Nous ne pouvons plus nous contenter d'avoir un indice de satisfaction en fonction des crédits mobilisés ou engagés.

Je serai très exigeant sur la réflexion qui doit être la nôtre. Quelle ambition voulons-nous pour nos massifs ? Quelle stratégie souhaitons-nous mettre en place ? Quels moyens devons-nous mobiliser pour cela ?

C'est un outil très important de responsabilisation des citoyens sur le plan local, de mobilisation des élus et d'engagement de l'Etat sur un objectif déterminé. L'important n'est plus la somme ou le montant des moyens engagés mais les résultats que l'on veut obtenir et les effets de l'argent public sur le développement des territoires.

"Faut-il reconnaître le Morvan en tant que massif ?".

Les communes du Morvan classées en zone de montagne représentent 40.000 habitants, alors que l'ensemble des massifs métropolitains représentent 162.000 km 2 et 8 millions d'habitants. Nous ne pouvons -dans un premier temps du moins- reconnaître le Morvan comme massif, alors que sa pondération est faible par rapport aux autres, ni nier le fait que les communes du Morvan veulent être reconnues comme zone de montagne.

Nous aurions donc tendance à proposer une stratégie en escalier. Les commune du Morvan ayant eu la pertinence de bien se structurer en pays, nous pourrions parfaitement imaginer une extension du comité du Massif central.

Le Morvan est en effet la porte d'entrée du Massif central et nous ne sommes pas opposés à cette réflexion. Au vu d'une demande formelle des élus du Morvan, je demanderai à la DATAR de bien vouloir engager une concertation sur ce sujet, notamment dans le cadre du comité de Massif central et dans la perspective d'un futur décret en conseil d'Etat qui pourrait aboutir à une définition nouvelle du Massif central.

Vous avez évoqué le droit d'urbanisme en montagne, mais j'ai bien conscience que c'est surtout mon collègue de l'équipement que vous avez souhaité entendre.

Sur le plan normatif, les directives territoriales d'aménagement (DTA) et les prescriptions particulières de massifs (PPM) se trouvent en totale concurrence, avec des logiques parfois convergentes, mais aussi parfois divergentes.

Il nous faut en même temps réfléchir à l'élaboration de documents structurant les projets de territoire souhaités par les élus locaux, en faisant en sorte qu'ils soient relativement souples et conciliables avec les projets d'urbanisme locaux opposables aux tiers sur le plan juridique.

Sans cette opposabilité, les contentieux risqueraient de mettre en péril les stratégies politiques que vous vous fixez. La cohérence des investissements publics a besoin d'un outil de pilotage et de projection structuré complémentaire, mais il faut prendre garde à ne pas l'entourer de trop de contraintes juridiques, car l'adaptation nécessiterait des années de procédure.

L'Etat sera toutefois vigilant pour libérer les initiatives locales, tout en maintenant une certaine contrainte en matière de protection des sites qui assurent notre richesse nationale.

Vous avez par ailleurs demandé si nous entendions, dans la nouvelle génération de fonds structurels, défendre les territoires à spécificité.

C'est une question importante. Je rencontre M. Barnier le 7 octobre à Bruxelles, avec l'ensemble des ministres de l'aménagement du territoire des différents pays européens. Michel Barnier est favorable à un certain assouplissement des documents uniques de programmation (DOCUP), non sur la règle de dégagement d'office, mais éventuellement sur la fongibilité.

Nous devons réfléchir, avant la fin de l'année, aux nouvelles générations de fonds structurels après 2006. Nous devons en effet consommer les fonds structurels actuels de la période 2000-2006. Si nous ne le faisons pas, nous aurons beaucoup de mal à demander de nouveaux fonds après 2006 !

M. Jacques Blanc - Merci.

Tu l'as dit toi-même, il y a deux notions de pays, le pays type Pasqua, informel, et le pays type Voynet, qui exige une structure administrative qui est devenue insupportable. En montagne, c'est encore plus sensible qu'ailleurs, car plus personne ne s'y retrouve. Je crois que si l'on pouvait accepter les projets qui n'ont pas de structures administratives, on éviterait bien des problèmes.

En second lieu, tu n'as pas abordé le sujet des zones de montagnes classées en revitalisation rurale. Nous souhaiterions que puissent être appréciées les retombées de cette classification qui entraîne des avantages fiscaux. Certaines de ces zones ne bénéficient pas de la prime à l'aménagement du territoire (PAT). Pourquoi ne pas envisager des régimes spécifiques qui permettraient de compenser l'abandon de la prime PAT ? Pourquoi ne pas expérimenter des zones franches ? La question mérite d'être posée.

Par ailleurs, l'Europe n'a pas reconnu la réalité de la montagne dans ses politiques, à l'exception de la première indemnité spéciale montagne relative au problème de la vache tondeuse.

Tu as dit que tous ces sujets seraient évoqués à nouveau en 2006. Le commissaire Fishler ne ferme pas la porte à une politique spécifique dans les régions à handicap permanent. La perspective mérite d'être explorée pour éviter de se retrouver sans aucun crédit en 2006.

Enfin, il serait bon que l'on puisse aller immédiatement vers la gestion régionale des fonds européens. On perd des crédits ! Une véritable décentralisation permettrait de faire face à ce problème. Ce qui se fait en Alsace devrait pouvoir se faire dans toutes les régions qui le demandent. Certaines sont armées pour cela !

M. Jean-Paul Amoudry - Monsieur le Ministre, pouvez-vous nous dévoiler vos intentions en ce qui concerne la téléphonie mobile, puisque nombre de massifs sont encore dans l'ombre ?

En second lieu, comment voyez-vous la place et le rôle des comités de massif dans les régions de demain ? Nous pensons que le comité de massif doit être un lieu de réflexions, de débats, de propositions, un outil au service des régions, un facteur d'unité et de convergence.

Enfin, la moyenne montagne et les domaines de ski nordique souffrent beaucoup. Dans les années 1960-1970, l'Etat était solidaire des petites associations locales ; aujourd'hui, faute d'enneigement suffisant, ces stations sont souvent seules face au département ou à la région.

Certes, en cette ère de décentralisation, la solution passe par la responsabilisation des collectivités régionales et départementales. Néanmoins, l'aménagement du territoire relevant de la responsabilité de l'Etat, quelle serait la place de l'Etat aux côtés des collectivités locales, régionales et départementales pour accompagner un plan de sauvetage de cette moyenne montagne ?

Nous nous dirigeons en effet vers des régions de friches où l'hôtel, le meublé, la location sont en phase de détresse.

M. Pierre Jarlier - Monsieur le Ministre, la moyenne montagne connaît des difficultés majeures en termes de démographie, mais aussi en termes de pertes d'activités.

Malheureusement, le soutien des fonds structurels européens s'est effectué à un niveau régional. Quelquefois, ces territoires n'ont pas été identifiés en tant que tels parce qu'ils étaient inscrits dans une région qui avait un produit intérieur brut (PIB) suffisamment important pour assurer un certain développement.

Vous avez dit qu'il fallait prendre en compte d'autres critères que ceux de la perte de démographie pour définir la politique de fonds structurels.

N'est-ce pas l'occasion d'identifier ces territoires à partir de critères parfaitement objectifs -évolution démographique, y compris négative, PIB, mutation sociale, charges territoriales spécifiques- afin de permettre un redémarrage de ces zones et éventuellement permettre leur transformation en zone franche expérimentale pour leur donner un nouveau départ ?

Enfin, puisqu'on cherche la simplification, que pensez-vous de la contractualisation directe avec les territoires intercommunaux, en cohérence avec la charte de pays ?

M. Jean-Paul Delevoye - Je souscris tout à fait, Cher Président, à votre analyse sur les pays.

Les pays, à l'époque de Pasqua, étaient tournés vers la réorganisation de l'Etat.

Dans notre esprit, le pays, qui est un projet de territoire, doit permettre une réflexion commune entre les services de l'Etat et les collectivités territoriales, afin d'étudier une réorganisation des services publics.

Il faut profiter des instances de réflexions qu'offrent les comités de massif ou autres espaces, pour réfléchir, avec un préfet coordonnateur, à une réorganisation des moyens publics pour une meilleure efficacité. Cela nécessite une responsabilisation des élus locaux et de l'Etat. On peut, grâce aux nouvelles technologies, imaginer de nouvelles relations.

Nous devons distinguer l'espace qui sous-tend un projet des procédures qui favorisent l'exécution.

Je ne serais pas opposé à ce que le comité de massif se retrouve autour d'un préfet coordonnateur qui dépasse les circonscriptions administratives pour concevoir le projet de développement le plus ambitieux et le plus pertinent possible, confiant ensuite l'exécution à un circuit administratif -SGAR régionaux ou autres- le tout revenant en aval au préfet coordonnateur et au comité de massif pour qu'ils valident la démarche et évaluent son efficacité.

On ne pourrait ainsi concevoir qu'il puisse y avoir accord sur un projet et désaccord sur son application. Il faut un pilote qui assure la cohérence de l'ensemble. La dynamique d'un projet, c'est la synergie des territoires et des EPCI. La non-adhésion d'une partie du territoire à une stratégie globale et collective affaiblit toute la collectivité. Je crois donc qu'il faut que nous gardions cette notion de cohérence.

Le président Blanc a parlé d'expérimentations, de zones franches, de zones de revitalisation rurale (ZRR), ainsi que Pierre Jarlier.

Notre philosophie, aujourd'hui, n'est plus tellement portée sur les zonages, qui posent des problèmes de frontières, de limites, etc.

Nous nous interrogeons plutôt sur le fait de savoir si, en globalisant les moyens et en ayant une lecture relativement fine des projets de territoires qui intègrent les handicaps que vous évoquiez, on ne pourrait arriver à une contractualisation adaptée. Peut-être pourrions-nous approfondir ce sujet avec la DATAR.

Comment, sur un projet global, tirer profit des zones de développement pour assurer une solidarité infra-territoriale permettant d'irriguer une politique adaptée ? Comment concevoir, dans un comité de massif, une politique globale qui intègre des différences énormes, avec des zones qui pourraient se développer sans trop de difficultés et d'autres, que l'absence d'aides ciblées condamne à un "infarctus territorial", en même temps qu'elle leur donne un sentiment d'abandon ?

Je serais plutôt tenté de réfléchir au pilotage d'outils fins et globaux permettant une adaptation de la politique à un traitement particulier. On pourrait réfléchir à des incidences autres que fiscales. Jusqu'où doit-on accepter la liberté d'installation des médecins, qui se traduit par une désertification médicale dans un certain nombre de territoires ?

Je voudrais échapper à des dispositifs fiscaux de dimension nationale, dont l'application est forcément normative, réductrice pour les uns, frustrante pour les autres et surdimensionnée pour les troisièmes ! J'aimerais que l'on réfléchisse à de tels outils.

S'agissant du programme européen, vous avez raison, mon Cher Jacques : l'Europe n'a pas soutenu la montagne. Il faut que nous fassions en sorte que l'Europe puisse tirer bénéfice de ces massifs montagneux et que l'on essaye de faire jouer la solidarité européenne.

Vous avez évoqué une certaine frustration par rapport à l'Alsace. Que les choses soient claires : le Premier ministre a engagé le Gouvernement dans une réflexion sur la décentralisation et la déconcentration. Nous ne sommes pas opposés à généraliser demain ce qui se passe en Alsace après expérimentation. Nous sommes en train de voir comment les choses peuvent se concrétiser, sachant que les fonds structurels s'arrêtent en 2006.

Nous avons intégré vos griefs sur la difficulté de mobiliser les fonds européens pour des problèmes de procédures.

Au 1 er janvier 2003, les fonds structurels européens seront dans les caisses des préfets de région et non à Paris. Vous aurez ainsi une lisibilité et une mobilisation des fonds.

Le fait d'avoir permis aux autorités de gestion de pouvoir choisir l'autorité de paiement fait qu'il y a aujourd'hui concurrence et même compétition entre les organes de l'Etat !

Si vous avez des problèmes, venez nous voir, car ceci n'est plus de mise ! Mes services sont à votre entière disposition.

Jean-Paul Amoudry a évoqué la téléphonie mobile. Quelle est notre analyse et où en est notre réflexion aujourd'hui ? On parle bien de réflexion, car aucune décision n'est intervenue. Selon le précédent gouvernement, les zones non-couvertes étaient au nombre de 1.480. Les premières analyses que nous avons faites sur la réalité de la couverture nous ont démontré que l'on était plutôt aux environs de 4.000 ou de 5.000 communes non- couvertes.

Nous avons donc distingué trois zones, les zones noires, sur lesquelles le marché s'équilibrera sans aucun problème, les zones grises, où il y a interrogation, et les zones blanches.

Le contrat, à l'époque, est arrivé au moment où le Gouvernement a accepté de baisser le prix des licences UMTS et a demandé aux opérateurs de bien vouloir tenir compte de cette économie pour abonder les crédits de l'Etat pour financer ce que l'on appelait l'itinérance.

Les opérateurs ont infléchi la position du Gouvernement, qui a accepté la mutualisation : lorsque 2 opérateurs payent un poteau, eux seuls peuvent être sur ce poteau.

On mesure bien le danger par rapport aux nouvelles technologies et à l'absence de concurrence.

Notre idée était de regarder comment couvrir assez rapidement les zones blanches, qui posent un vrai problème en terme de communication.

Hier soir, nous avons pris acte d'un accord entre les trois opérateurs, qui ont accepté de participer à hauteur d'un tiers chacun aux investissements destinés à la mise en place d'une itinérance locale permettant de couvrir les zones blanches.

Une réunion interministérielle a lieu cet après-midi entre l'industrie, l'aménagement du territoire et les services du Premier ministre pour acter cet accord et le rendre opérationnel.

Ceci nécessite trois étapes. La première concerne la définition précise des zones blanches, d'où l'intérêt de permettre aux départements et aux régions de pouvoir financer à faible coût une lecture très précise de la couverture réelle.

La deuxième étape consiste à réfléchir, avec les instances départementales ou régionales, à la définition précise des zones et des priorités d'axes structurants pour l'investissement.

Le troisième élément porte sur la fiabilité financière et opérationnelle du déroulement du plan. Nous avons déjà reçu la confirmation qu'un grand nombre de départements souhaitaient s'engager financièrement dans ce type d'opération. Un certain nombre de régions, qui ont compris la pertinence du développement de leur territoire par l'offre de téléphonie mobile, n'y sont pas opposées.

Nous sommes donc en train de vérifier si nous pouvons, avec les trois opérateurs, développer le plus rapidement possible la mise en place d'une itinérance locale sur les zones blanches.

Nous allons, avant toute contractualisation, demander aux opérateurs, un test opérationnel portant sur la faisabilité technique de ce type d'itinérance.

Si la réunion interministérielle se déroule bien, nous serons assez rapidement à même de dégager d'ici le Comité interministériel à l'aménagement du territoire (CIAT) un certain nombre de pistes importantes en matière de téléphonie mobile, répondant à l'exigence des élus et à la volonté du Gouvernement.

Par ailleurs, la question des relations entre les comités de massif et les régions est fondamentale. Comment faire en sorte que les périmètres de projets ne tiennent pas compte des circonscriptions administratives, que les espaces de projets soient des lieux de convergence et de mises en commun des différences et ne soient pas instrumentalisés comme outils de pouvoir ? Comment arriver à concilier et à préserver la nature fondamentale d'un pays et les lieux de pouvoir très naturels que sont les circonscriptions administratives d'une région ou d'un département, qui sont des lieux de mobilisation de crédits ?

Nous pourrions parfaitement approfondir la conception qui est la nôtre qui consiste à dire que le comité de massif doit rester sur sa vocation de coordination et d'élaboration de projets communs et de mobilisation des différentes collectivités locales. Ce comité de massif n'est pas un enjeu de pouvoir, mais un lieu de convergence et de mise en commun de tous les outils de réflexion pour concevoir ensemble un projet de territoire.

Il peut en aller de même avec les Pays et les EPCI.

Jean-Paul Amoudry et Pierre Jarlier ont évoqué le problème de la moyenne montagne.

J'ouvre ici une parenthèse pour dire que nous sommes en train de réfléchir à des possibilités d'assouplissement des 35 heures pour permettre d'assurer la continuité du service public en matière de déneigement, puisque vous n'êtes parfois plus en mesure de faire face à des obligations de gestion.

Vous avez raison d'insister sur la moyenne montagne. On voit bien les difficultés liées au zonage. Les comités de massif regroupent des montagnes qui connaissent des réalités différentes, et on a probablement intérêt à réfléchir à la manière dont on pourrait faire jouer la priorité en matière de crédits au profit des zones les plus handicapées.

Nous aurions également intérêt à réfléchir, en termes d'aménagement du territoire, au caractère illusoire de l'application immédiate de politiques nationales sur l'ensemble du territoire français.

Sommes-nous, par exemple en matière d'eau et d'assainissement, capables, du jour au lendemain, de mettre en place les lois que nous avons votées sur l'ensemble du territoire ? La loi doit fixer l'objectif vers lequel nous devons tendre, mais nous devons peut-être aussi prévoir un calendrier qui nous permette de hiérarchiser les zones sur lesquelles nous devons faire porter notre effort.

Une politique de l'eau en montagne, une politique de l'eau dans le Nord-Pas-de-Calais et une politique de l'eau en Camargue a forcément des connotations extrêmement différentes.

Peut-on avoir un cadre législatif national déclinable localement au nom de l'efficacité ?

Je suis donc tout à fait ouvert aux propositions que vous voudriez bien faire en la matière. Les contrats de plan doivent être révisés en juin 2003 : c'est peut-être une opportunité. Nous sommes à votre disposition pour y réfléchir.

M. Jacques Blanc - Mais si on ne les respecte pas ? On enlève des cartes une portion de l'A 88 qui y a toujours figuré, sans que personne ne se soit prononcé ! On ne peut pas ne pas réagir ! J'apprends ce matin qu'on retire des crédits sur un contrat Etat-région. Ce n'est pas la peine de signer des contrats Etat-région !

M. Jean-Paul Delevoye - En matière de contrats de plan, il faut tenir compte du poids du passé et de l'exigence de l'avenir.

Concernant les cartes, le Gouvernement va, en s'appuyant sur une étude de la DATAR, ouvrir un débat parlementaire.

Ce qui m'intéresse en tant que ministre, c'est d'être au coeur d'une réflexion nationale et à l'écoute des contraintes et des réalités locales. La correction des fonds structurels européens a pu être opérée grâce à la réaction du terrain. On a besoin d'un contact permanent.

Concernant l'A 88, vous aurez l'occasion, d'ici la fin de l'année, d'avoir une réflexion sur la politique logistique de la France, mais aussi et surtout sur les moyens de financement à mettre en oeuvre, d'autant que la Commission européenne a voté l'adossement des concessions autoroutières, nous obligeant à ne plus financer les autoroutes que sur le trafic qu'elles engendrent. Ceci est impossible sur certains tronçons !

Nous attendons beaucoup du débat parlementaire et de votre capacité à nous proposer des financements compatibles avec le droit communautaire pour rétablir, sur une carte, des autoroutes qui ont disparu.

Le second élément que vous évoquez porte sur la nature des contrats de plan. Sachez que j'exigerai à l'avenir qu'un contrat de plan soit accompagné d'un calendrier d'exécution !

Troisième élément : le Parlement a souvent été bafoué dans l'exercice de son budget, car la loi de finances à peine votée, on subissait un gel ou une annulation de crédits. A quoi cela sert-il donc que le Parlement s'investisse ?

Nous avons donc mis en place une logique d'exécution. Dans mon propre budget, j'ai inscrit un engagement de crédits qui tient compte des reports, garantissant le volume des crédits consommés. En termes d'affichage, on pourra déplorer la baisse des crédits ; en exécution, il y aura même une majoration sur certains postes.

Nous devons donc gérer la transition mais lorsque nous aurons des planifications d'exécution budgétaire planifiée, la contractualisation ne pourra plus être remise en cause.

La surestimation budgétaire de 2002 -sans tomber dans la polémique- a fait que pour respecter les engagements et pour épurer un certain nombre de dépenses non budgétées, il a fallu faire preuve d'une contrainte budgétaire rigoureuse.

Pourrons-nous aller jusqu'à une relative fongibilité des crédits ? Pourrons-nous imaginer de réaffecter les dossiers non exécutés à d'autres politiques ? Je vais à Bruxelles pour essayer d'orienter les fonds structurels sur la téléphonie mobile. Nous pourrions ainsi corriger les contrats de plan à la mi-2003 pour intégrer cette politique nouvelle à laquelle vous, hommes de territoire, êtes particulièrement attachés.

M. Pierre Hérisson - En matière de téléphonie mobile, il reste quand même un problème. L'itinérance consiste à demander à un opérateur de téléphonie mobile de passer les communications de son concurrent. Mais il n'y a pas de cartes dans les zones blanches. Il faut donc que l'ART sorte ces cartes et que celles-ci soient assorties soit d'une incitation, soit d'une obligation. Ce n'est pas parce qu'un seul opérateur pourra faire transiter une communication que cela rentabilisera beaucoup les choses. Il faut donc aller plus loin que ce qui est prévu.

D'autre part, la rédaction du contrat de plan entre l'Etat et La Poste représente peut-être l'occasion de prendre en compte les spécificités régionales, et en particulier celles de la montagne.

C'est aussi le moment pour le Gouvernement de démontrer aux autres pays européens qu'ils peuvent s'inspirer du service public à la française. Les Anglais sont en train de se rendre compte que vouloir tout faire reposer sur la rentabilité est une catastrophe !

Il faudra également que vous vous penchiez sur le problème des zones à risques majeurs. Chaque fois qu'une catastrophe arrive dans notre pays, dans les mois qui suivent, on voit arriver des contraintes nouvelles. On gèle les territoires, mais le gel n'est pas suffisant. Il faut qu'il soit accompagné d'une réflexion et d'une modélisation plus précise.

Une petite commune rurale de l'Isère qui est confrontée à un risque d'affaissement de la montagne a ainsi vu sa population passer de 1.000 à 500 habitants en l'espace de 18 mois ! Face à ce type de situation, il y a obligation de mutualisation !

Enfin, s'agissant des contrats de plan Etat-régions, nous vivons, Jean-Paul Amoudry et moi-même, dans un département où on nous annonce le démarrage des travaux du contrat de plan sur les routes nationales dans le deuxième semestre de 2004 au motif que les services de l'équipement n'ont pas eu les moyens de mettre en oeuvre les études qui vont permettre d'engager les déclarations d'utilité publique (DUP).

Il y a là quelque chose qui mérite d'être corrigé. Les régions reportent les crédits d'une année sur l'autre parce qu'elles votent année par année ! L'usage veut qu'on exécute une partie du contrat de plan sur le contrat de plan suivant : ce n'est pas ma conception de l'aménagement du territoire !

M. Jean-Pierre Vial - Monsieur le Ministre, je reviens sur la notion de service public, que je vous remercie d'avoir évoquée. On n'en parle presque plus du tout, et il est vrai qu'il n'existera bientôt plus sur nos territoires.

En matière de service public, il faut effectivement demander à l'Etat de jouer son rôle, mais les collectivités locales sont également prêtes à assurer le leur. Il ne faut pas les en empêcher.

On a parlé de La Poste. Aujourd'hui, un certain nombre de communes ou de collectivités sont prêtes à intervenir sans rien demander à l'Etat !

Nous sommes aujourd'hui incapables de signer une convention avec France Télécom parce que l'ensemble des objectifs qu'il nous faudrait mettre en jeu nécessite l'implication financière des collectivités, et on ne sait pas comment s'y prendre !

S'agissant de la notion de territoire, j'adhère à ce que vous avez dit, mais je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous.

Je suis président d'un syndicat mixte qui a créé un pays en 1983. Nous sommes 60 communes qui avons toujours fonctionné sans difficulté. Cela fait aujourd'hui un an et demi que nous sommes bloqués par la notion de périmètres ou par les EPCI ! Les élus sont prêts à entrer dans la démarche d'approche du territoire à condition que les collectivités ne soient pas bloquées.

Vous parliez d'un enjeu de pouvoir : il ne s'agit pas seulement de celui des élus. Ce peut être aussi celui des fonctionnaires qui bloquent la machine !

Mon second exemple concerne les fonds européens. Là aussi, l'Etat complexifie et bloque le système.

J'ai la chance d'être dans un département frontalier avec l'Italie. L'Italie bénéficie de procédures Interreg. Ils négocient directement avec Bruxelles et nous leur proposons d'en assurer le portage parce que les procédures sont gérées plus rapidement et plus simplement.

Nous avons été sous procédure 5 b. C'est le préfet de région qui contrôlait tout. Les fonctionnaires européens eux-mêmes nous disaient que l'Etat n'avait pas le droit de nous imposer ses règles.

Aujourd'hui, nous sommes classés en objectif 2. On nous a reproché d'avoir été mauvais. Ce n'est pas nous qui avons été mauvais : c'est l'Etat qui nous a imposé certaines contraintes !

Le DOCUP des services de l'Etat est tellement compliqué que les élus n'y comprennent rien !

On nous dit que les financements sont réglés en 48 heures. Ce n'est pas aussi simple que cela ! Aujourd'hui, nous nous retrouvons avec des opérations qui sont lancées et que nous ne savons pas comment financer !

L'administration a plus de pouvoir que les élus ! Si nous voulons que la loi montagne nous apporte quelque chose, il faut vraiment que celle-ci soit simple et efficace, de façon à pouvoir en sortir.

Vous courez le risque d'avoir derrière vous, Monsieur le Ministre, une cohorte de préfets de région et de fonctionnaires qui vont tuer la réforme !

M. Jean-Paul Delevoye - Merci de ce témoignage.

Nous avons la même analyse que vous des fonds européens. La France se fait plus royaliste que le roi ! L'administration française a mis en place des contraintes qui n'étaient pas exigées par l'Europe, qui font que la mobilisation des fonds structurels est un maquis invraisemblable.

J'affirme -malheureusement pas pour les crédits déjà engagés- que les préfets et les SGAR on reçu des instructions de simplification. La mise en oeuvre en sera terminée le 1 er janvier 2003. Nous allons mettre en place un maximum de comités de suivi des fonds pour voir comment les choses se font et avoir le retour des élus.

Tous les mois, les SGAR se réunissent à la DATAR. J'ai déjà participé à deux réunions.

Vous avez mille fois raison : une politique ne vaut que si la totalité des acteurs sont déterminés à obtenir des résultats. Le pouvoir, dans mon esprit, n'était pas que du côté des élus, mais aussi du côté d'une capacité administrative à créer des jungles qui neutralisent l'action politique.

Aujourd'hui, normalement, celles et ceux qui ont des projets ne devraient plus rencontrer de difficultés. Je vais demander que l'on regarde le cas de la Savoie.

Pour ce qui concerne l'avenir, nous avons mis en place tout ce qu'il faut, me semble-t-il -mais si ce n'était pas suffisant, il faudrait faire remonter l'information- pour que les fonds structurels soient mobilisés autour des projets.

S'agissant de la partie relative aux pays, si nous sommes d'accord sur la philosophie du pays, il y a un sujet dont nous n'avons pas discuté, c'est celui de la procédure pour le constituer.

Nous sommes demandeurs de vos propositions pour simplifier les procédures.

Si l'Etat a vraiment confiance dans les élus, qu'il les laisse s'organiser en conservant un droit de veto en cas d'abus vraiment choquants. L'Etat doit conserver un rôle de médiateur qui lui permette de corriger les choses, avoir un rôle incitatif et faire en sorte que les procédures ne durent pas plus de six mois.

Il serait intéressant de voir le temps que passe un maire ou un délégué de structure intercommunale en réunion pour délibérer de ces sujets. Je suis persuadé qu'il y consacre 4 jours sur 5 !

M. Jacques Blanc - Les crédits qui vont sur les pays sont contractualisés. Il est simple, au lieu d'exiger des procédures de pays impossibles, d'affecter ces crédits, dans la mécanique normale du contrat de plan, aux projets portés par une ou des intercommunalités, sans exiger le passage par un pays.

Pour que les crédits puissent être affectés, il faut créer un établissement public. C'est de la folie ! La montagne serait un excellent laboratoire expérimental pour sortir de la mécanique des pays de type Voynet, pour retourner vers l'esprit de coopération intercommunale sur des projets donnés.

Sur les zones de montagne où cela a une importance encore plus grande, décidons de supprimer le passage par la méthode Voynet et faisons en sorte que l'Etat, en accord avec les régions et les départements, apporte les financements sur des projets portés par des intercommunalités !

M. Jean-Paul Delevoye - Je suis assez sensible à votre réflexion. Si j'avais un souhait à émettre, en tant que ministre de l'aménagement du territoire, ce serait que le conseil national de la montagne puisse nous faire l'inventaire des procédures ainsi que des propositions de simplification.

En second lieu -et cela rejoint la proposition de Jean-Pierre Vial et Pierre Hérisson- il faudra que l'on se pose la question de savoir si les projets de territoire l'emportent sur les procédures ou si les procédures l'emportent sur les projets de territoire !

Tout discours sur le moratoire des services publics est suicidaire et irresponsable ; a contrario, tout discours sur l'adaptation des services publics est un discours responsable.

La réorganisation des services publics ne se fera pas contre les élus locaux, mais avec eux. Si l'éthique des services publics, la logique de l'aménagement du territoire sont respectées et que le financement est bouclé, pourquoi ne pas accompagner ce type d'initiative sous forme d'expérimentation ou sous une forme juridiquement non contestable ? Je partage votre avis selon lequel le pouvoir doit être un pouvoir de stratégie et d'incitation.

Notre vraie difficulté, face à la compétitivité entre les territoires et à la concurrence internationale, est d'obtenir le plus rapidement possible des solutions pour soutenir ce développement.

Je suis donc prêt à recevoir vos propositions, dans le respect des lois, des règles et des contraintes législatives.

A titre personnel, je ne comprends pas que nous n'arrivions pas à trouver de dérogations comme celle relative à la fourniture d'énergie.

S'agissant de La Poste, je partage tout à fait votre avis. Je vais demander à rencontrer le prochain directeur de la Poste, que nous avons la chance de bien connaître, et étudier comment, dans le cadre du service d'intérêt général reconnu par l'Europe, mettre en place des maisons des services publics. Ce genre de choses me paraît pertinent si cela correspond à une volonté locale.

Il faut accompagner des tentatives de cette nature, qui permettront peut-être d'apporter des réponses permettant d'être généralisées.

M. Jacques Blanc - J'ai proposé à M. Mattei de tenter des expériences de réseaux et d'équipements sanitaires pour apporter le service indispensable aux zones de montagne pour ne pas perdre toutes chances de conserver des soins de qualité à proximité.

On peut, en investissant, ainsi créer une capacité de réponse adaptée, sous réserve de permettre aux médecins salariés de travailler dans le secteur libéral et aux libéraux d'aller dans le secteur public.

M. Jean-Paul Delevoye - Tu as raison. Il existe d'ailleurs une expérience de "télé-santé" en Aquitaine assez remarquable.

Il est certain que le changement engendre la résistance, mais si on se mobilise autour d'un préfet, on peut relever le défi.

Je suis déterminé à soutenir ce type de réflexions. Je refuserai, sauf si on m'oblige à le faire, la logique purement quantitative.

A l'évidence, il y a trop d'administration d'un côté et pas assez de l'autre. Je suis persuadé qu'on peut obtenir plus de résultats, même avec moins d'argent !

On ne pourra pas tenir ce discours à l'échelon national, mais on peut tenter des expériences sur le plan local. On peut arriver à adapter un mouvement réunissant fonctionnaires, acteurs socio-économiques et élus autour de projets de territoire.

L'administration centrale doit-elle se battre pour conserver son pouvoir budgétaire ou pour faire en sorte que l'argent public soutienne la croissance et le développement économique d'un territoire ? C'est la philosophie dans laquelle nous sommes entrés.

Nous allons traverser des zones à risques budgétaires et administratifs. Nous allons peut-être connaître une diminution importante de la population ministérielle, mais on peut aussi avoir des zones de sécurisation ministérielle appuyées sur la sagacité des élus locaux, de manière que la raison l'emporte sur la passion.

M. Jacques Blanc - Merci. Nous avons eu un débat passionnant et passionné, et je pense que notre rapporteur tirera une substantifique moelle de ces débats.

51. Audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable (8 octobre 2002)

M. Jacques Blanc, président Madame la Ministre, je me sens un peu coupable, puisque notre réunion a lieu tardivement, mais nous tenions, avant la présentation de notre rapport, à entendre le ministre en charge de l'ensemble de ce problème d'environnement qui est posé avec acuité et spécificité dans les zones de montagne.

Nous avons procédé à de nombreuses auditions, et nous avons également beaucoup réfléchi à ce sujet. Notre rapporteur pourra vous le confirmer.

Notre ambition, après avoir entendu de nombreuses personnalités qualifiées et acteurs de la politique de la montagne, serait de proposer un changement fondamental de démarche.

Aujourd'hui, les élus de la montagne, les acteurs socio-économiques, sont imprégnés d'une exigence de protection de l'environnement.

Peut-être la montagne pourrait-elle être le lieu où chacun se retrouve pour créer un exemple vrai et vivant de développement durable, au lieu d'accumuler des interdictions, des situations très complexes, des oppositions fortes entre des défenseurs qui, parfois se voudraient exclusifs de la défense de l'environnement et des élus ou des acteurs en charge du développement.

Plutôt que laisser se creuser un fossé, je crois que l'on pourrait essayer de dégager des voies de synthèse. C'est là le développement durable tel que vous l'avez présenté et tel que le Président de la République l'a présenté à Johannesburg.

Pour ce qui me concerne, je pense que c'est dans cet esprit que l'on pourra faire la synthèse d'un certain nombre de propositions.

M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur - Madame la Ministre, je veux à mon tour vous remercier très vivement pour avoir pris sur votre temps afin de répondre aux questions que j'ai pris l'initiative de vous adresser il y a quelques jours, en vous priant d'accepter nos excuses pour ces délais très brefs.

Je m'en suis tenu à 5 questions qui m'ont paru, au terme de nos auditions, être les questions les plus sensibles, à l'exception de l'une d'entre elles qui concerne les grands prédateurs et qui ne figure pas dans cette grille.

La première question concerne l'urbanisme et le problème de la construction en continuité. C'est un sujet extrêmement sensible et parfois douloureux, à propos duquel nous souhaiterions pouvoir apporter des améliorations dans la gestion de tous les actes d'autorisation de construire. C'est une démarche que nous voudrions pouvoir conduire avec vous-même et le ministère de l'équipement.

La seconde question a trait aux procédures d'unités touristiques nouvelles, sujet souvent délicat, parfois tendu, et qui constitue une sorte d'exception dans un régime de plus en plus décentralisé.

Se pose ensuite la question du vécu des parcs naturels nationaux.

La quatrième question concerne la procédure Natura 2000 qui, dans l'ensemble des massifs que nous avons visités, a fait l'unanimité non pas contre elle, mais sur le fait qu'elle manque de pédagogie et de clarté.

Enfin, la dernière question qui nous a été posée ici où là est celle de l'utilisation des véhicules motorisés sur la neige -les motoneiges- qui font l'objet d'une circulaire qui pourrait peut-être être assortie de quelques aménagements.

Nous avons laissé de côté d'autres sujets qui sont peut-être plus consensuels et qui posent moins de difficultés : les problèmes de la forêt, de la gestion des bassins versants, qui relèvent aussi de votre ministère, mais sur lesquels il y a peut-être moins de difficultés.

Si vous avez néanmoins quelques commentaires, ils seront les bienvenus.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et de l'aménagement durable - Mesdames et Messieurs les sénateurs et sénatrices, Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, je suis très heureuse de pouvoir être entendue par votre mission commune d'information sur la montagne.

Il est vrai que j'avais conçu un certain étonnement de ne pas être auditionnée mais, lorsque vous me l'avez proposé, Monsieur le Président, j'ai tenu à préparer cette audition avec beaucoup de soin, compte tenu des questions primordiales que vous posez en ce qui concerne la montagne et, au-delà, vous l'avez dit, la problématique du développement durable et de la protection de sites naturels majeurs.

La première question concerne l'instruction des permis de construire en zone de montagne eu égard aux problèmes posés par la règle de constructibilité en continuité.

Quelle amélioration pourrais-je proposer pour faciliter l'application de cette règle ?

Il s'agit évidemment là d'une compétence qui relève d'abord du ministère de l'équipement. Je n'interviendrai donc pas en tant que ministre responsable dans cette affaire -quoi que...

L'objectif de la loi montagne de 1985 était de concilier protection et développement. La règle d'urbanisation en continuité était un des principes directeurs de l'urbanisme en montagne.

La loi SRU (solidarité et renouvellement urbains) a apporté des modifications et deux nouvelles dérogations ont été ajoutées aux dérogations antérieures à la règle d'urbanisation en continuité : la possibilité de créer des zones d'urbanisation future en discontinuité de l'urbanisation existante et la possibilité d'adapter des constructions isolées existantes.

De plus, il faut noter que la réintroduction des prescriptions de massifs dans le code de l'urbanisme permet de préciser de façon autonome les conditions d'application de la loi montagne pour tout ou partie d'un massif, et que les services de l'Etat peuvent alors, en concertation avec les collectivités locales, et après avis du comité de massif, proposer des principes d'aménagement à une échelle territoriale pertinente.

Je m'en réfère à l'expérimentation sur le Massif central, qui a d'ailleurs été mise en oeuvre avant la promulgation de la loi SRU.

On peut d'ailleurs regretter qu'elle en soit restée au stade de sa présentation au comité de massif.

Cette expérimentation devrait être poursuivie et amplifiée pour déboucher sur des propositions concrètes.

Je trouve que, dans le contexte actuel de la loi montagne, cette procédure de planification territoriale peut répondre de manière simple et directe aux problèmes spécifiques de la montagne.

Je pense qu'il serait opportun, avec le ministre en charge de l'urbanisme et le ministre de l'aménagement du territoire, en charge des questions de montagne, que l'on relance l'élaboration et la mise en oeuvre d'un tel outil, qui peut répondre aux questions d'urbanisation en montagne et à la question de la simplification UTN.

Vous souhaitez, à ce sujet, une simplification très forte de la procédure, notamment pour les opérations de dimensions modestes et celles concernant les sites déjà équipés.

Je vais être très claire -d'ailleurs votre question ouvre un peu la porte à ma réponse.

Je dis de façon forte qu'il faut maintenir la procédure UTN. Le ministère de l'écologie et du développement durable ne peut accepter la suppression de cette procédure au profit d'une simplification.

Cette procédure a permis l'examen approfondi des projets touristiques et de limiter les installations en sites vierges, qui sont les plus dommageables pour l'environnement.

L'amender, pourquoi pas, mais en tout cas la conserver, dans la mesure où elle porte essentiellement sur des projets de remontées mécaniques, en particulier dans le cadre de liaisons entre stations, ces projets constituant des menaces très sérieuses pour les espaces naturels sensibles.

De plus, des dispositions de la loi montagne permettent déjà d'intégrer les UTN dans les schémas de cohérence territoriale ou dans les schémas de secteurs, dès lors qu'ils sont élaborés dans les zones de montagne.

Par contre, les enjeux sont évidemment bien différents pour l'allégement de la procédure relative aux petits projets. Ceux-ci sont situés en moyenne montagne, ont une taille modeste, sont essentiels au développement des petites communes qui n'ont souvent pas les moyens d'établir un PLU (plan local urbanisme), ni même de constituer un dossier UTN.

La réflexion sur ce sujet prend tout son sens dans le cadre du débat sur la décentralisation initiée par le Premier ministre sous la responsabilité de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales.

Je pense que l'on pourrait tout à fait, dans le cadre de cette réflexion, aller vers une piste qui consisterait à faire jouer la planification intercommunale. Celle-ci pourrait jouer un rôle essentiel pour encadrer les besoins des communes ayant des projets de développement touristique.

J'en reviens aux prescriptions particulières de massif, qui pourraient jouer le rôle de cadre de référence.

Sur les sites déjà équipés, je n'ai aucun argument majeur à faire jouer pour refuser une adaptation de la procédure UTN, à condition qu'une planification à l'échelle communale ou intercommunale ait été mise en place.

La troisième question a trait aux parcs nationaux et aux parcs naturels régionaux.

Les parc nationaux constituent un outil majeur de sauvegarde de l'avenir de la nature pour les générations futures.

Il est un peu dommage que les parcs nationaux français soit confrontés aujourd'hui à nombre de difficultés qui se traduisent par une stagnation de leur politique et par des insatisfactions des acteurs de terrain quant à leur rôle dans le développement local.

Je ne citerai qu'un exemple qui me tient à coeur, celui de l'incapacité de la France à protéger la forêt tropicale du Sud de la Guyane, alors que le Brésil vient de créer un immense parc national indépendant limitrophe !

Nous avons engagé une réflexion avec nos partenaires -parcs nationaux, présidents et administrateurs des conseils d'administration, directeurs et personnels des établissements, autres administrations, CNPN, ingénieurs généraux, scientifiques et associations.

Je suis en train de réfléchir à une mission parlementaire sur ce sujet, pour que nous puissions avoir une mission de réflexion générale sur l'évolution de la politique des parcs nationaux français et, plus largement, sur les espaces naturels d'intérêt national. Nous pourrons ainsi définir des choix stratégiques pour l'avenir et nous prendrons des décisions finalisées, après concertation, au printemps 2003.

C'est une année particulièrement emblématique, puisque nous fêterons en 2003, le quarantième anniversaire des parcs de la Vanoise et de Port Crau et le trentième anniversaire du parc des Ecrins. Ce sera l'occasion d'un certain nombre de manifestations qui permettront de redire l'importance des parcs nationaux dans la politique des espaces naturels de notre pays.

Quand je parle des parcs nationaux, on me demande si je souhaite la décentralisation de la procédure vers les régions. Je n'y suis pas favorable, malgré la pression d'un certain nombre d'élus locaux.

Les parcs nationaux sont un outil majeur, un affichage fort dans notre politique internationale de l'environnement. Bien entendu, certaines parties de gestion par convention peuvent être assurées en liaison avec des collectivités territoriales, mais c'est une politique qui reste nationale.

Je me suis déplacée vendredi dernier à Millau, pour les travaux de la fédération des parcs naturels régionaux. J'ai félicité les parcs d'avoir été des précurseurs en matière de développement durable, conciliant développement économique et protection de l'environnement. Ils ont également mis en valeur la dimension sociale d'une gestion sur le terrain profondément décentralisée.

Les parcs naturels régionaux sont aujourd'hui au nombre de 40, mais éprouvent certaines inquiétudes pour l'avenir.

Toutes tendances politiques confondues, deux questions posent problème, celle de l'articulation entre les parcs et les pays-agglomérations. La loi Voynet est ressentie par tous les acteurs de terrain comme une fragilisation des parcs. Il y a là un véritable problème, et je ne doute pas que la réflexion sur la décentralisation permettra de trouver quelques pistes.

L'autre inquiétude porte sur la pérennisation des emplois-jeunes, car les parcs se sont vraiment lancés dans cette politique.

Un quart des emplois totaux des structures de gestion des parcs sont assurés par des emplois-jeunes. Nous regarderons donc avec intérêt les propositions des ministres des affaires sociales et de la fonction publique sur les voies de pérennisation des emplois-jeunes. Nous verrons à ce moment-là comment nous pourrons adapter cette affaire.

Vous avez par ailleurs failli dire, Monsieur le Rapporteur, que la procédure Natura 2000 avait fait l'unanimité contre elle. Je n'ai pas une opinion aussi négative que vous, bien au contraire !

M. Jean-Paul Amoudry - J'ai parlé de ressenti.

Mme Roselyne Bachelot - Certes, il existe des zones conflictuelles -et je les connais- mais, pour piloter moi-même un secteur ample qui va de l'estuaire de la Loire à l'embouchure de la Maine sur plus de 100 kilomètres, je puis vous dire que la situation n'est pas conflictuelle. Les acteurs de terrain se sont au contraire réunis et mettent en place des procédures de protection de l'environnement dans un esprit de dialogue et de concertation.

Natura 2000 n'est pas une procédure de classement mais de labellisation, dans laquelle les acteurs de terrain mettent ce qu'ils ont décidé. Rien ne se fait contre les acteurs de terrain, sauf à dévoyer la procédure !

M. Jacques Blanc - Elle est partout dévoyée, alors !

Mme Roselyne Bachelot - J'ai demandé à Mesdames et à Messieurs les préfets de constituer ou de réunir les commissions départementales pour qu'elles retrouvent leur mission de dialogue et de concertation sans aucune exclusive.

J'ai moi-même, sur un plan national, réuni les différents acteurs responsables de Natura 2000 pour leur indiquer qu'il y a maintenant au ministère une cellule d'appui avec un chargé de mission. Après s'être écouté, s'être parlé et avoir défini des objectifs communs, il faut passer des conventions de gestion, parce que cela marche quand on a dressé des actions et que l'on est dans une politique gagnant-gagnant !

Les outils opérationnels de gestion sont le fonds de gestion des milieux naturels créé en 1999 dans le budget de l'Etat et les mesures agri-environnementales dans ou hors contrats territoriaux d'exploitation (CTE), qui relèvent du budget du ministère chargé de l'agriculture.

Je le dis avec beaucoup de franchise : la poursuite du dispositif CTE reformaté est vitale pour Natura 2000 ! Je suis en discussion avec mon collègue de l'agriculture : les procédures CTE ont gravement dérivé dans l'esprit et dans le montant budgétaire, de sorte qu'on a été obligé de remettre 24 millions d'euros au pot dans les mesures budgétaires de milieu d'année, étant donné la faiblesse des financements prévus dans la loi de finances 2002 et les dérapages prévisibles en loi de finances 2003.

Je souhaite toutefois que ces mesures environnementales, qui étaient le coeur de la démarche CTE, soient réaffirmées dans les propositions de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture avec qui j'ai un dialogue suffisamment confiant pour que cette philosophie soit observée.

Il y a des co-financements communautaires spécifiques à Natura 2000 au titre du FEOGA, dans le cadre du plan de développement rural (PDRN), et des co-financements "life-nature" existants.

Nous allons bien sûr défendre l'affectation des moyens nécessaires à la montée en puissance des documents d'objectifs et des contrats à inscrire au budget de l'Etat.

C'est, dans un contexte budgétaire difficile, une des politiques prioritaires de mon ministère.

Dans votre cinquième et dernière question, Monsieur le Rapporteur, vous me demandez si je compte assouplir les conditions d'utilisation des motoneiges, notamment en vue de permettre l'accès des propriétaires à leur bâtiment en période hivernale, ainsi que le transport de clients auprès des restaurants d'altitude.

On est là dans un problème juridique intéressant, puisque le principe d'interdiction d'utilisation des motoneiges, qui est le principe fondateur de la loi, est assorti de deux dérogations : l'utilisation sur des terrains aménagés à cet effet dûment autorisés -sport, pratiques de loisirs- et utilisation professionnelle -exploitation des pistes de ski, ravitaillement d'un restaurant d'altitude ne bénéficiant d'aucune route déneigée, missions de service public, etc., de secours, de sécurité civile, ou d'exercice de la police. Dans le cas d'utilisation professionnelle, aucune procédure d'autorisation n'encadre la circulation de ces engins.

"Merveilleux diront certains ! Voilà la réponse à nos questions !". En fait, les contentieux se sont multipliés et ont deux causes : une interprétation très extensive de l'usage professionnel de ces véhicules par les propriétaires de restaurants d'altitude et, d'autre part, l'absence dans la loi d'une procédure encadrant les autorisations individuelles de circulation, dérogeant au principe général d'interdiction appliqué aux motoneiges.

Il y a eu des jurisprudences successives très restrictives. La dernière décision du 26 mars 2002 de la chambre criminelle de la Cour de cassation "rejette le pourvoi en cassation du procureur général sur une décision de la Cour d'appel de Chambéry".

Il y a eu un revirement partiel car la Cour d'appel de Chambéry avait prononcé la "relaxe d'un particulier du chef d'utilisation à des fins de loisirs d'engins motorisés conçus pour la progression sur neige".

Bien sûr, tout cela n'affecte pas le principe d'interdiction d'utilisation de ces engins à des fins de loisirs.

Suite à une réunion qui s'est tenue avec les services le 7 octobre, la position suivante sera réaffirmée aux préfets avant l'hiver : "utilisation possible des motoneiges sur la voirie non déneigée et interdiction ailleurs en dehors des terrains autorisés et utilisations professionnelles ".

Le ministère de l'équipement réfléchit d'ailleurs à la suppression du salage sur les voies peu fréquentées, ce qui réduirait les impacts néfastes du sel sur l'environnement.

Il conviendra également d'alerter les préfets sur les questions de sécurité et de police qui leur incombent.

Voilà où j'en suis de mes propositions sur les motoneiges.

Vous m'avez également posé des questions sur les grands prédateurs. Souhaitez-vous que j'y réponde ?

M. Jacques Blanc - En Ariège en particulier, nous avons tous été frappés par l'accueil des bergers, qui étaient dans une situation de rupture totale face au comportement des ours slovènes, qui n'est pas le même que celui des ours pyrénéens.

Mme Roselyne Bachelot - Ils ont été correctement dédommagés ?

M. Jacques Blanc - Ce n'est pas le problème. Ils en ont assez.

M. Jean-Paul Amoudry - Il s'agit de la dignité du travail du berger.

M. Jacques Blanc - Si on ne fait rien, il y aura une rébellion des bergers et de ceux qui les accompagnent.

M. Auguste Cazalet - Le dédommagement, c'est une chose, mais il y a aussi le manque à gagner. On ne refait pas un troupeau quand il est décimé ! Il faut deux ou trois ans avant de le reconstituer.

Et puis, il y a aussi l'amour du berger pour ses bêtes. Il faut les voir pleurer quand leurs bêtes sont tuées ! Ce sont des bêtes qu'ils connaissent, avec lesquelles ils gagnent leur vie. C'est ce que les gens ne comprennent pas. C'est un problème sentimental et un problème économique.

Mme Roselyne Bachelot - L'extinction des ours me semblent programmée dans le massif pyrénéen, côté français. C'est inévitable ! Il n'y a plus que quelques individus et on peut dire que la réintroduction des ours slovènes, qui est une opération qui apparaît comme positive sur le plan technique et scientifique, se heurte a des réticences que vous avez très bien soulignées sur le plan local, de la part des élus et des socio-professionnels, ce que je comprends très bien.

Je souhaite travailler dans la concertation et la transparence, afin d'aboutir si possible à la réconciliation autour de la présence de l'ours.

Veut-on supprimer l'ours totalement ? C'est la question. On peut être sur cette ligne. Etant donné la faiblesse de la population des ursidés, on n'est pas devant une prolifération mais plutôt devant une raréfaction avérée de l'ours dans les Pyrénées.

Au-delà de la mise en place de structures de concertation, j'ai demandé au préfet de région de me faire des propositions constructives dans les jours qui viennent pour essayer de réconcilier les parties autour d'une présence minimale de l'ours, que je ne garantis d'ailleurs pas du tout. C'est plutôt ce qui nous guette. La question sera peut-être alors réglée de la façon la plus catastrophique possible.

Pour ce qui est du loup, la situation est finalement du même style. La population est évidemment plus importante, puisqu'il y en a actuellement une trentaine sur le massif alpin français. Toutefois, là non plus, malgré une certaine presse qui a l'air de le penser, les meutes de loups ne prolifèrent pas partout dans le massif alpin ! Quatre meutes sont réparties entre les Alpes maritimes et le Queyras et on trouve des individus isolés dans les massifs des monts du Vercors et de Belledonne.

Là aussi, c'est une question de compatibilité entre le retour du loup et l'activité pastorale. Diverses mesures ont été mises en place. Le ministère de l'écologie prend à sa charge le suivi scientifique par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), la protection des troupeaux et l'indemnisation des dégâts.

La situation n'est pas satisfaisante. Les coûts sont très importants et la contestation demeure. Une commission d'enquête parlementaire est créée. Le travail interministériel doit certainement pouvoir être amélioré.

Ce que je veux, c'est développer le pastoralisme. La question est surtout celle de la situation financière d'une filière dont les difficultés ne sont pas liées au loup, tant s'en faut !

Je rejoins là ce que vous dites. Je crois que le loup et l'ours seraient beaucoup mieux acceptés si ces professions étaient florissantes, gagnaient bien leur vie et n'étaient pas confrontées à des conditions économiques extrêmement difficiles.

Il faut développer un pastoralisme capable de supporter une présence maîtrisée du loup. Les moyens financiers qui ont été engagés par le ministère depuis 3 ans avec l'aide de la Commission européenne représentent, pour le loup, plus de 3 millions d'euros, dont largement plus de la moitié a été affectée à l'amélioration de l'activité pastorale. Ils ne sont pas donnés pour maintenir le loup, mais pour maintenir le pastoralisme en montagne !

La cohabitation n'est pas acquise. Un nouveau programme pluriannuel d'actions doit être conçu et négocié. Je souhaite une concertation approfondie avec les associations de protection de la nature, la profession agricole, les élus locaux, les parlementaires, bien entendu en basant tout cela sur une expertise scientifique à ne jamais négliger.

La tâche est extrêmement complexe et il faut vraiment que le principe qui nous guide soit celui de la réconciliation -si c'est possible.

M. Auguste Cazalet - On commence aussi à avoir un problème avec les vautours qui, maintenant, s'attaquent aux veaux qui viennent de naître !

Je connais bien le problème. Tout gamin, j'amenais les troupeaux en montagne. Les vautours ont toujours été des bêtes sacrées pour les paysans et pour les bergers. Quand on s'amusait, gamins, à jeter un caillou ou un bâton à un vautour, on prenait une paire de claques, parce que le vautour, c'est le nettoyeur des montagnes.

On a conservé les vautours. Dans ma vallée, on a créé la maison du vautour. Auparavant, on ne voyait jamais de vautours chez nous. Maintenant, on en voit. On a fait des aires de nourrissage dans le cadre du parc national et, cette année, les paysans ne peuvent plus laisser les vaches vêler dehors parce que les vautours sont affamés. On ne les nourrit plus !

On a modifié le système naturel à vouloir trop bien faire. Je prie Dieu qu'il n'y ait jamais un enfant qui se fasse attraper ! Là aussi, l'inquiétude et la fronde s'installent.

Mme Roselyne Bachelot - Vous souhaitez donc que l'on tue les vautours ?

M. Auguste Cazalet - Non, mais je crois qu'on a voulu trop bien faire !

Mme Roselyne Bachelot - Quelles mesures préconisez-vous ?

M. Auguste Cazalet - C'est une perte pour l'agriculteur !

Mme Roselyne Bachelot - Je croyais que vous ne vouliez pas de dédommagements, mais une politique plus en amont. Que pourrait-on faire ?

M. Auguste Cazalet - Je ne sais pas. Il va peut-être falloir en détruire. On fait des battues aux biches et aux chevreuils parce qu'ils font trop de dégâts. Jusqu'à l'âge de 30 ans, je n'avais jamais vu de chevreuil ou de biche. Maintenant, il y en a partout !

Dans ma commune, on a planté 40 hectares de forêt : il a fallu trousser tous les plans. Ce sont des bêtes qui détruisent l'écosystème ! On veut trop en faire !

M. Jean-Paul Emin - J'avais trois questions marginales, dont l'une sur la constructibilité.

Dans les zones de montage, on trouve un environnement protégé, mais aussi des activités touristiques et industrielles, voire industrieuses, de petites activités qui permettent de garder des gens sur les territoires.

Dans le massif du Jura, on se rend compte aujourd'hui que, pour des raisons de centralisation excessive, le ministère de l'environnement a signé des conventions avec des fédérations industrielles -je pense notamment à celle de la plasturgie- et établi une circulaire pour la constructibilité de bâtiments dans le cadre de mesures de sécurité. On voit bien que ces mesures ont été pensées à Paris : on applique à un petit bâtiment de 100 à 200 m 2 pratiquement les mêmes règles de distance que pour des bâtiments industriels !

On impose à des gens qui travaillent une palette de plastiques par jour pour mouler des petits articles destinés à être vendus comme souvenir, de construire à 10 m de leur maison ! Ce sont des règles logiques, mais qui n'ont pas d'application réelle pour ces petites activités. Il y a un problème de seuil qui n'a pas été pensé dans les circulaires de votre prédécesseur.

Le second sujet que je voudrais aborder concerne les motoneiges. Vous avez évoqué des recommandations aux préfets et avez utilisé le mot de "voirie". Dans votre esprit, la voirie va-t-elle jusqu'aux chemins ruraux ?

Enfin, ma dernière question a trait à la décentralisation. On s'est tous occupé, dans nos secteurs, à divers moments, de contrats de rivière. Lorsqu'on a passé toutes les étapes de la procédure, on va plancher devant une commission au ministère de l'environnement. Ceci me paraît adapté et bien fondé pour des rivières comme la Loire, mais on a des contrats de rivière, avec des volets qualitatifs et quantitatifs, dans des zones de moyenne montagne pour de toutes petites rivières. Or, on entend quand même, étant donné les risques de crues torrentielles, avoir des dossiers solides pour préserver l'avenir.

Cela me paraît disproportionné d'aller plancher au ministère de l'environnement devant des gens qui n'ont jamais mis le bout des pieds dans notre région, qui sont sûrs de leur théorie, et nous sommes nous, dans ce contexte, un peu des paysans devant des grands savants !

Ces commissions me paraissent donc pouvoir faire l'objet d'une éventuelle décentralisation au plan régional !

M. Jean-Pierre Vial - Deux observations, Madame la Ministre, sur un aspect réglementaire des parcs naturels et à propos de Natura 2000.

Les parcs naturels se trouvent exclus, de par la loi, des procédures de pays. Or, les limites des territoires ne s'arrêtent pas, comme par enchantement, à des limites administratives. Aujourd'hui, on a énormément de difficultés à faire vivre ces parcs avec les territoires qui les entourent, et qui les chevauchent souvent.

Je suis président d'un syndicat mixte dont la limite est sur le parc de Chartreuse, qui concerne de surcroît mon canton. J'ai mis en place une procédure de pays pour 55 communes ; la procédure se trouve actuellement neutralisée parce qu'elle ne peut prendre en compte les communes de mon canton qui sont dans le parc, un parc ne pouvant être impliqué dans une procédure de pays !

Voilà 6 cantons et 65 communes qui sont tous d'accord pour faire un seul et même territoire. On veut faire un programme Leader considéré comme exemplaire pour réaliser ce maillage du territoire, et on est bloqué depuis un an et demi parce que les procédures ne permettent pas de prendre en compte des communes qui se trouvent impliquées dans un parc !

Une certaine souplesse est nécessaire à la mise en oeuvre des procédures, alors qu'aujourd'hui, ce sont les textes qui valent.

Concernant Natura 2000, vous dites, Madame la Ministre, que la procédure n'a pas d'aspect législatif, réglementaire ou normatif. Malheureusement, ce n'est pas le cas dans la pratique.

On a d'ailleurs un exemple avec les ZNIEFF (zones naturelles d'intérêt écologique faunistique et floristique) qui n'ont pas, de par la loi, de conséquences réglementaires. Il n'empêche que lorsque vous avez un territoire en ZNIEFF et que vous avez une procédure engagée par une association d'environnement, deux fois sur trois, les tribunaux gèlent le territoire comme si l'on était dans le cadre d'une procédure normée.

C'est si vrai pour ce qui est de Natura 2000, qu'en Alsace, les territoires classés en zone AOC qui se sont vu superposer des zones Natura 2000 n'ont pu se développer comme ils le souhaitaient.

Sur le principe, ces procédures sont tout à fait intéressantes, puisqu'elles sont censées constituer une démarche d'aménagement des orientations. Le problème réside dans le fait que, lorsque ces procédures sont engagées, elles constituent une épée de Damoclès au-dessus de la tête des élus. En effet, les tribunaux ne considèrent pas que l'on est dans une procédure d'accompagnement, mais dans une procédure qui a des effets juridiques.

M. Jacques Blanc - Natura 2000 est une procédure franco-française. Il suffit d'affirmer la volonté de respecter ce que souhaite l'ensemble des acteurs, de leur garantir que, pour sauver une chauve-souris, on n'empêchera pas telle ou telle activité, que l'agriculture, avec des mesures agri-environnementales reconnues, ne sera pas bloquée, pour que l'on change complètement d'état d'esprit.

En France, il y a quelques endroits où cela a marché -on l'a vu à Gap- mais c'est un problème de réglementation franco-française.

Mme Roselyne Bachelot - On a la même chose avec la notion de dérangement par les chasseurs. Le texte est clair : la chasse ne peut être considérée comme un facteur de dérangement si l'on est dans les procédures autorisées. L'affaire est donc réglée, et les chasseurs n'ont pas à avoir peur de la procédure Natura 2000 !

S'agissant des autres questions, je vérifierai avec mon collègue de l'équipement, mais je crois que la voirie comprend bien les chemins ruraux.

Par ailleurs, les contrats de rivière me paraissent constituer une excellente piste pour la décentralisation. Vous avez raison : faire remonter l'examen d'un contrat de rivière devant le Conseil national de protection de la nature me paraît tout à fait disproportionné !

Vous avez d'excellentes observations s'agissant de l'exclusion des parcs naturels des pays.

M. Jacques Blanc - Supprimons la loi Voynet sur les pays ! Laissons-les faire ce qu'ils veulent !

Mme Roselyne Bachelot - Cela pose bien des difficultés. On verra. Ma mission, ce matin, n'est pas de lancer le débat sur ce sujet. Il est peut-être un peu complexe.

Je voudrais revenir sur la question de l'Alsace. Il est vrai que l'on a interdit une extension de vignoble AOC du fait de la présence d'une pelouse à orchidées qui était menacée. La procédure Natura 2000 avait en effet fait figurer dans son cahier des charges le fait qu'elle protégeait les pelouses à orchidées. Le but était tout à fait louable.

Un mot sur les grands prédateurs. Dans le cadre d'un autre dossier -celui de la chasse- j'ai souhaité créer un observatoire de la faune sauvage qui soit un lieu de dialogue et de concertation pour suivre l'évolution des espèces sauvages et des espaces.

Vous l'avez fort bien signalé, Monsieur Cazalet, tout cela évolue terriblement. Des espèces qui étaient menacées prolifèrent ; d'autres, qui ne posaient pas de problèmes, disparaissent tout d'un coup...

M. Auguste Cazalet - Cela a toujours existé !

Mme Roselyne Bachelot - Oui, mais les choses connaissent quand même une certaine accélération.

Les changements climatiques dérèglent les migrations des oiseaux. Leurs capteurs, qui déclenchent les phénomènes migratoires, sont gravement perturbés par l'accélération des changements climatiques. Il faut suivre ces choses-là en temps réel ; c'est pourquoi j'ai voulu créer cet observatoire, pour sortir du conflit par l'expertise, instituer une chasse et un pastoralisme durables, et faire en sorte que des activités, qu'elles soient de loisirs ou économiques, puissent être transmises à nos enfants et petits-enfants.

L'observatoire de la faune sauvage constituera un outil où des problématiques comme celle du loup et de l'ours pourront trouver des bases d'expertises scientifiques sur lesquelles nous pourrons nous unir et sortir des phantasmes et des a priori, d'un côté comme de l'autre !

M. Jacques Blanc - Cela peut être utile.

Pour en revenir aux ours, l'attitude vis-à-vis de ces plantigrades est totalement différente suivant qu'il s'agit d'ours pyrénéens, pour lesquels on a trouvé un modus vivendi, ou d'ours slovènes, qui se multiplient et jettent un désarroi total en Ariège. J'ai été très impressionné par l'ampleur du phénomène dans cette région. Peut-être faut-il aussi prendre en compte l'adaptabilité sur le terrain de ces ours venus de Slovénie. On peut peut-être en tirer des leçons.

On parlait des cervidés et des forêts. Dans le parc national des Cévennes, aujourd'hui, les cervidés détruisent la forêt. Le parc a même été condamné à verser une amende très importante à un propriétaire forestier. Si l'on n'organise pas des battues à l'intérieur même du parc pour diminuer le nombre d'animaux, on dépasse le seuil de tolérance. Je crois qu'il faut retrouver le sens des équilibres.

En montagne, ce sens des équilibres est indispensable. On le voit avec Natura 2000 : là où l'Etat a laissé faire les élus et où on a appliqué intelligemment le programme, cela a marché. Là où, par contre, on a interdit telle ou telle chose, cela a bloqué.

C'est pareil pour ce qui est des pays et des parcs. Les parcs régionaux doivent pouvoir tenir compte de leurs propres réalités. Si, au lieu d'enfermer des pays dans des structures d'établissements publics, on leur laisse -comme c'était le cas dans la loi Pasqua- une liberté plus grande, on n'assistera pas à des conflits artificiels.

Aujourd'hui, on est bloqué par les règles. Je suis bien entendu d'accord pour que les parc nationaux restent sous la compétence nationale ; par contre, il faut modifier les conseils d'administration et les pouvoirs, pour éviter qu'un directeur de parc national puisse former un recours contre un permis de construire. Ce n'est pas pensable pour la crédibilité de l'Etat -même si cela s'est arrangé !

Il faut revoir le fonctionnement même des parcs nationaux -mais je ne crois pas que l'on demande de transfert de compétences.

En outre, certains parcs nationaux sont habités, d'autres non. Parc national et équilibre de la montagne peuvent jouer un rôle de réconciliation majeur dans la protection et le développement. C'est ce qu'il faudrait proposer : la réconciliation entre protection de l'environnement et développement !

Si les zones de montagne se désertifient, elles vont perdre leur âme et leur paysage va se modifier. Le pastoralisme, par exemple, est indispensable.

M. Jean-Paul Amoudry - Je voudrais poser deux questions à Madame la ministre. Nous n'attendons pas de réponse immédiate, mais une réponse écrite serait la bienvenue, voire des pistes de travail pour l'avenir.

La première question est très simple : à partir du moment où les motoneiges seraient autorisées sur les voies non-déneigées, envisagez-vous l'immatriculation de ces véhicules ?

Mme Roselyne Bachelot - Je le note.

M. Jean-Paul Amoudry - La seconde question tient à l'urbanisme et à la juxtaposition des lois littoral et montagne aux abords des lacs.

L'application rigoureuse des règles des 100 ou des 300 m peut aboutir -s'agissant notamment de la règle des 300 m- à des aberrations.

En effet, en obligeant quelqu'un à se positionner à 300 m d'un plan d'eau, on va lui permettre de créer son établissement sur une arrête de montagne, en saillie, ce qui ne sera pas forcément très esthétique, alors que, dans une niche, une crique ou autre chose, le bâtiment serait davantage dissimulé.

Serait-il possible, dans le cadre d'expériences locales, avec études d'impact et précautions préalables, d'avoir une moyenne et non l'application arithmétique, géométrique, de la règle de 300 m, qui aboutit assez souvent à des choses aberrantes et difficilement explicables à l'opinion publique ?

On pourrait ainsi avoir une modulation, descendre à 200 m et, en compensation, aller à 400 m, selon le relief.

Mme Roselyne Bachelot - Monsieur le Rapporteur, je ne répondrai pas à ces questions ce matin. Je les mets bien entendu à l'étude, mais je trouve cette audition très intéressante en ce qu'elle est finalement au coeur de deux problématiques.

La première concerne la décentralisation et la nécessité d'avoir l'échelon pertinent de prise de décisions. Les exemples que vous avez cités au cours de cette audition l'ont bien démontré.

La seconde problématique touche au développement durable. On voit bien, à travers un certain nombre de questions, que le monde et les modes de vie sont en train de changer. L'urbanisation devient massive, les cultures sont en train de disparaître. Les ours attaquent les troupeaux depuis très longtemps ; les vieux bergers racontaient qu'autrefois, dans la vallée d'Aspe, les ours attaquaient même les hommes !

C'était beaucoup plus grave, mais on a changé de culture et on n'accepte plus les mêmes choses qu'hier. C'est la même chose pour les inondations. Je le vois bien, moi qui vis en zone inondable. Autrefois, on vivait avec les inondations, on les acceptait. Maintenant, il y a des congélateurs, des magnétoscopes, des véhicules automobiles. On n'accepte plus le risque naturel, qu'il vienne d'une catastrophe ou de quelques animaux !

Il faut nous adapter aussi à cette demande sociale. Or, on ne peut le faire que par le dialogue, la réconciliation, l'expertise scientifique, les explications. C'est certainement un des sujets les plus importants qu'il m'est donné d'aborder, et j'ai besoin des parlementaires et des élus locaux pour faire remonter l'information, mais aussi pour aborder ensemble cette tâche d'explications. Toute solution radicale qui me sera proposée, d'un côté ou de l'autre, ne me conviendra pas, car de telles mesures créent l'affrontement plus qu'elles ne favorisent la réconciliation.

M. Jacques Blanc - Nous sommes d'accord : nous sommes aussi pour la réconciliation !

Madame la Ministre, nous vous remercions.

L'AVENIR DE LA MONTAGNE :
UN DÉVELOPPEMENT ÉQUILIBRÉ
DANS UN ENVIRONNEMENT PRÉSERVÉ

S'inscrivant dans le cadre de l'« Année des montagnes du monde » décidée par l'Assemblée générale des Nations-Unies, le rapport de la mission commune d'information se fait l'écho des attentes et des réflexions exprimées par l'ensemble des élus locaux et des acteurs de terrain. Il privilégie trois axes de réflexion :

- la nécessaire protection des sites, la prévention des risques naturels mais également la mise en valeur de l'extraordinaire richesse du patrimoine naturel montagnard sont à conduire à travers une logique de gestion concertée et contractualisée entre l'ensemble des partenaires concernés ;

- les enjeux économiques conduisent à encourager une agriculture de qualité, prenant en compte ses services rendus à l'environnement, à définir les conditions d'un nouvel élan du tourisme en montagne et à favoriser des solutions souples et innovantes pour le maintien des activités économiques créatrices d'emplois ;

- les choix en matière d'aménagement du territoire incitent à reconnaître plus de responsabilité aux élus locaux dans la conduite de projets de développement, à exiger davantage de solidarité pour le maintien des services, à prendre davantage en compte les contraintes des collectivités territoriales et à conforter le rôle et les capacités d'initiative des instances de massifs.

Le nouvel élan à donner à la politique de la montagne repose sur l'expérimentation, la recherche et l'expertise. Il s'inscrit dans le mouvement de décentralisation engagé par le Gouvernement. Il appelle enfin à la reconnaissance, au niveau européen, de la spécificité des zones de montagne.

Si les montagnards sont intéressés au premier chef par l'avenir de la montagne, ce défi concerne aussi la société toute entière. Y réfléchir c'est définir ensemble le point d'équilibre entre un développement économique maîtrisé, la préservation de l'environnement et le bien-être des populations.



1 Désormais, le ministère de l'écologie et du développement durable.


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