C. QUELS CONTRÔLES ?

La libération des échanges agroalimentaires suppose une conciliation entre deux principes qui ne sont nécessairement ni antagonistes ni complémentaires : la libre circulation des marchandises et la protection sanitaire .

Mais suivant que l'application des contrôles privilégie l'un ou l'autre de ces principes, la sécurité alimentaire sera plus ou moins bien assurée dans le cadre de l'organisation du commerce mondial.

Or, l' actuelle tendance du commerce mondial ne semble pas privilégier la sécurité alimentaire, tant en matière de normes que pour la pratique des contrôles exercés à l'entrée de l'Union européenne .

1. Le cadre normatif de la mondialisation alimentaire

Les normes dans le domaine de la sûreté des aliments reposent, en matière mondiale, sur le Codex alimentaire.

Cette commission, fondée en 1962, par un accord entre l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et l'Organisation mondiale de la santé (OMS), édicte 62 ( * ) de nombreuses normes agroalimentaires.

Nombre des 220 normes et des 40 codes élaborés depuis la création de la Commission portent sur des sujets de sécurité alimentaire : contaminants et additifs, résidus de pesticides et risques microbiologiques.

Ces règles ont pour but commun de protéger la santé des consommateurs et d'assurer une concurrence agroalimentaire loyale.

Cet appareil normatif est doublement articulé avec l'organisation du commerce mondial :

- le Codex lui-même établit qu'un pays peut prendre toute mesure d'interdiction en s'appuyant sur ses dispositions 63 ( * ) . Il sert ainsi de référence pour l'accord (OTC) sur la concurrence loyale conçue au sein de l'OMC ;

- l'accord sanitaire et phytosanitaire dit SPS, entré en vigueur en 1995, sert de base aux décisions de l'OMC en ce sens que, pour y déroger, il est nécessaire de fournir une justification scientifique.

Ce dispositif est en grande partie satisfaisant pour autant que les États accordent une attention soutenue aux normes adoptées.

Mais il pêche par deux aspects :

- la longueur d'édiction des normes (cinq à dix ans) fait que la normalisation alimentaire mondiale peut être en retard sur les progrès technologiques. Elle peut conduire à un retard dans la prise en considération des nouveaux risques.

- les dérogations au Codex doivent reposer sur une analyse scientifique des risques, donc sur un système de preuves scientifiques qui ne se concilie pas toujours avec la mise en oeuvre du principe de précaution dont la mise en oeuvre à l'échelon européen est, pourtant, prudente (proportionnelle, non discriminatoire, provisoire et révisable).

2. Les contrôles à l'entrée dans l'Union européenne

a) Les cadres de définition

Il existe 20 points d'entrée de nourriture aux Etats-Unis et 286 en Europe (sans oublier les 50 nouveaux points d'entrée dans les nouveaux États membres). Cette différence est déjà un signal d'alerte. La philosophie des contrôles en Europe semble être différente de celle qui anime l'administration américaine.

Le contrôle des produits alimentaires à l'entrée de l'Union européenne est, prioritairement, conçu aux fins de faciliter les flux commerciaux.

Il repose sur trois composantes :

- l'agrément des pays exportateurs par l'Union,

- les inspections de l'Office européen alimentaire et vétérinaire dans les pays agréés. Ces inspections portent sur les laboratoires de contrôle vétérinaire dans ces pays ; ces normes donnent lieu à des agréments qui peuvent être retirés ;

- le contrôle aux frontières : celui-ci s'effectue dans les postes d'inspection aux frontières et porte sur :

- le contrôle documentaire des origines et, le cas échéant, des agréments,

- le contrôle documentaire de l'identité des produits,

- et, beaucoup plus rarement , le contrôle des produits en laboratoire .

En cas d'alerte communautaire, des contrôles renforcés sur certains produits sont effectués, comme dans le cas précité de présence de résidus d'antibiotiques dans la volaille.

Dans le contexte de la mondialisation, la question se pose de savoir si ce dispositif, qui privilégie la fluidité de la logistique des échanges, ne le fait pas de façon excessive au détriment de la sécurité alimentaire.

En premier lieu, son architecture repose sur la délégation en cascade des contrôles vers l'amont .

A ce titre, l'agrément de pays étrangers, ou de laboratoires de surveillance sanitaire situés dans ces pays étrangers, suppose que ces pays pratiquent le même niveau de contrôle et le même niveau de transparence des accidents de sécurité alimentaire que les pays de l'Union européenne.

Le déclenchement et la gestion de la récente crise de grippe aviaire en Asie permettent d'en douter.

Ensuite, le contrôle et l'agrément portent sur des produits finaux et non pas sur les consommations intermédiaires dont on a vu qu'elles représentaient un risque important .

Relevons qu'à l'échelon européen l'Office alimentaire et vétérinaire de Dublin n'a que 96 inspecteurs à sa disposition et qu'en 2002 64 ( * ) , sur 186 inspections, 57 % ont été effectuées dans les Etats membres, 27 % chez les nouveaux adhérents et seulement 16 % dans des pays tiers .

b) La pratique du contrôle

La définition d'un cadre de contrôle ne suffit pas, il faut l'appliquer.

Une audition des responsables du poste d'inspection à la frontière du principal port européen, Rotterdam, a eu lieu. Cette équipe administrative est chargée d'agréer la circulation de 35.000 lots de plusieurs tonnes de produits alimentaires dans l'Union européenne ainsi que celle de 30.000 lots alimentaires en transit par l'Union européenne. La visite sur site et l'audition ont permis d'établir que :

- la durée moyenne de contrôle est de 30 minutes et porte essentiellement sur l' examen des documents d'importation et le contrôle de la concordance des produits ( identification, étiquetage ),

- le contrôle physique est rare et ne peut porter que sur l'examen matériel des produits animaux (couleur, odeur),

- un contrôle en laboratoire n'est effectué que sur 300 lots, soit 1 pour 100 des lots alimentaires,

- il n'existe pas de contrôle des consommations intermédiaires,

- et qu' en fonction des garanties présentées par les pays d'origine (même s'il s'agit de réexportation), les inspections sont considérablement accélérées .

Compte tenu de cette description de la pratique des contrôles dans un pays très développé, on peut légitimement s'interroger sur la réalité future de ceux-ci, aux frontières, entre les ex-pays de la CEI et les nouveaux membres de l'Union européenne .

C'est aussi l'avis de l'Office alimentaire et vétérinaire européen qui a inspecté en 2002 les postes d'inspection à la frontière des nouveaux adhérents et qui a estimé que leurs installations de contrôle des importations - et par suite d'entrée des produits alimentaires dans l'Union européenne - ne pouvaient assurer un niveau de contrôle comparable à celui pratiqué dans les pays membres. Or, ce niveau de contrôle au sein de l'Europe des 15 n'est lui-même probablement pas suffisant.

* 62 Les décisions sont prises à la majorité simple après recherche d'un consensus entre les 165 membres (il faut de cinq à dix ans pour édicter une norme).

* 63 Et aussi sur celles de l'Organisation internationale des épizooties.

* 64 Le contribuable et le citoyen français regretteront que le dernier rapport de cet Office, disponible sur site Internet dans notre langue, date de 2001. La transparence de l'action de la Commission ne s'adresse apparemment qu'aux locuteurs d'une des trois langues officielles de l'Union...