Rapport d'information sur colloque n° 435 (2005-2006) de M. Jean-Paul EMORINE , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 28 juin 2006

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N° 435

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Annexe au procès-verbal de la séance du 28 juin 2006

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques (1) sur les entreprises et les jeunes diplômés,

Par M. Jean-Paul EMORINE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Paul Emorine, président ; MM. Jean-Marc Pastor, Gérard César, Bernard Piras, Gérard Cornu, Marcel Deneux, Pierre Herisson, vice-présidents ; MM. Gérard Le Cam, François Fortassin, Dominique Braye, Bernard Dussaut, Christian Gaudin, Jean Pépin, Bruno Sido, secrétaires ; MM. Jean-Paul Alduy, Pierre André, Gérard Bailly, René Beaumont, Michel Bécot, Jean-Pierre Bel, Joël Billard, Michel Billout, Claude Biwer, Jean Bizet, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Jean-Pierre Caffet, Yves Coquelle, Roland Courteau, Philippe Darniche, Gérard Delfau, Mme Michelle Demessine, M.  Jean Desessard, Mme Evelyne Didier, MM. Philippe Dominati, Michel Doublet, Daniel Dubois, André Ferrand, Alain Fouché, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Adrien Giraud, Mme Adeline Gousseau, MM. Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Odette Herviaux, MM. Michel Houel, Benoît Huré, Mmes Sandrine Hurel, Bariza Khiari, M. Yves Krattinger, Mme Elisabeth Lamure, MM. Jean-François Le Grand, André Lejeune, Philippe Leroy, Claude Lise, Daniel Marsin, Jean-Claude Merceron, Dominique Mortemousque, Jackie Pierre, Rémy Pointereau, Ladislas Poniatowski, Daniel Raoul, Paul Raoult, Daniel Reiner, Thierry Repentin, Bruno Retailleau, Charles Revet, Henri Revol, Roland Ries, Claude Saunier, Daniel Soulage, Michel Teston, Yannick Texier, Pierre-Yvon Trémel, Jean-Pierre Vial.

Entreprises.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le chômage des jeunes est un mal français endémique auquel le gouvernement a décidé de s'attaquer en priorité : le taux de chômage des 15-24 ans est de 22,8 % dans notre pays contre 11,7 % en Allemagne et 10,9 % en Grande-Bretagne. Ce que les autres pays européens ont réussi pour leurs jeunes, nous pouvons et devons le réussir pour les nôtres.

Pour remporter cette bataille, le gouvernement multiplie les initiatives : ouverture des filières d'apprentissage dès l'âge de 15 ans, nouveau contrat de qualification jeunes, création du contrat d'insertion des jeunes dans la vie sociale (CIVIS), encadrement plus strict du régime des stages en entreprises...

Au-delà de ces nouveaux outils, si adaptés soient-ils, on observe encore une véritable inadéquation entre la formation initiale des jeunes diplômés et les offres des entreprises sur le marché du travail. Si elle porte parfois sur les savoirs et les compétences, cette inadéquation concerne aussi les savoir faire. Semblant résulter d'un fort cloisonnement entre l'université et le monde du travail, elle explique la longue attente entre l'acquisition du diplôme et l'insertion durable dans l'entreprise, ainsi que la diversité des étapes, souvent laborieuses, de l'entrée sur le marché du travail.

Or, la jeunesse étudiante a récemment exprimé ses attentes à l'égard du monde du travail, et démontré qu'elles étaient exigeantes. A l'inverse, les employeurs connaissent des difficultés de tout ordre pour recruter des collaborateurs qualifiés répondant à leurs besoins. Aussi paraît-il important de susciter des occasions d'échanges, d'analyses, de propositions ou de demandes entre étudiants, jeunes professionnels, enseignants, responsables syndicaux et patrons, notamment de grandes entreprises. Pour, ensemble, identifier les problèmes, analyser et tirer profit des réussites, décloisonner les expériences et multiplier les propositions.

C'est dans cet esprit que la commission des affaires économiques a souhaité organiser un colloque consacré au thème des « Entreprises et Jeunes diplômés » , en présence de M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes.

Cette rencontre entre les principaux intéressés a été organisée au Sénat le mardi 6 juin 2006. Elle a été l'occasion d'un débat enrichissant au cours duquel chacun a formulé ses attentes, développé ses idées, discuté des bonnes pratiques et des meilleurs moyens d'en favoriser la diffusion...

Le Sénat est le lieu du débat : il le démontre dans son activité quotidienne et ce colloque, très intéressant et fructueux, en a été l'un des témoignages. C'est pourquoi la commission des affaires économiques a décidé, par le présent rapport d'information, de rendre publics les actes de cette journée de travail.

OUVERTURE DU COLLOQUE - JEAN-PAUL EMORINE, SÉNATEUR DE SAÔNE-ET-LOIRE, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

Messieurs les Présidents,

Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie pour votre présence à cette rencontre. Votre nombre témoigne que l'initiative prise en décembre dernier par la commission des affaires économiques, d'organiser ce colloque sur le thème de l'entreprise et des jeunes diplômés, répond à une forte attente.

Il est en effet un mal profond qui ronge notre société : le chômage des jeunes, et notamment celui des jeunes diplômés. Cette situation est inacceptable car, au-delà de l'inefficacité économique, elle suscite un gâchis humain qui affecte la confiance que la jeunesse doit avoir en l'avenir pour progresser.

Avec le CPE, le Gouvernement avait tenté de proposer quelque chose d'innovant pour lutter contre ce mal. Cet outil n'a pas été compris par ceux auxquels il s'adressait. Comme vous le savez, le Sénat a contribué à résoudre la crise et une solution de nature à calmer les passions a été retenue.

Bien sûr, nous ne pouvons que nous en féliciter. Mais le problème n'a pas disparu avec le retour des étudiants dans les universités, loin s'en faut ! Les différentes enquêtes publiées récemment en témoignent, qu'il s'agisse de celles de l'INSEE ou, tout récemment, de la Conférence des Grandes Écoles : 15 à 20 % des diplômés sont toujours en recherche d'un emploi un an après la fin de leurs études supérieures.

Le constat est là : aujourd'hui, il y a encore une véritable inadéquation entre la formation initiale des jeunes diplômés et les offres des entreprises sur le marché du travail. Cette inadéquation, elle porte parfois sur les savoirs et les compétences, mais elle concerne aussi les savoir faire.

Semblant résulter d'un fort cloisonnement entre l'université et le monde du travail, elle explique la longue attente entre l'acquisition du diplôme et l'insertion durable dans l'entreprise, ainsi que la diversité des étapes, souvent laborieuses, de l'entrée sur le marché du travail. Les spécialistes et les praticiens du monde universitaire le savent : ils ont été nombreux, ces derniers mois, à le dire et à l'écrire, qui dans des articles de presse, qui dans des ouvrages, parfois décapants, et je pense notamment à celui, tout récent, de Jean-Robert Pitte, Président de l'université Paris-Sorbonne.

Pourtant, des outils existent pour faciliter le passage, outils qui, notamment, imbriquent le temps d'études et le temps en entreprise : apprentissage, formation en alternance, stages en cours de scolarité. Mais ces modalités sont-elles suffisamment développées ? Sont-elles pertinentes pour toutes les filières ? Ne peut-on mieux les promouvoir ?

Quant aux formes du contrat de travail lui-même, sont-elles adaptées ? Ne devrait-on pas les calibrer, voire imaginer un dispositif nouveau, par exemple pour faciliter le recrutement par les entreprises de futurs diplômés en leur permettant de poursuivre leurs études ? Certaines entreprises en expriment le souhait.

Notre réflexion doit bien entendu s'inscrire dans le nouveau contexte de l'emploi qui se dessine pour les jeunes diplômés aujourd'hui. Quel est-il ? Pour ma part, il m'apparaît marqué par trois facteurs économiques et trois évolutions politiques et sociales.

Les facteurs économiques tout d'abord. Ce sont à mon sens :

1. Le renouvellement démographique lié au départ en retraite des générations du baby boom. Il va susciter une sorte d'appel d'air de jeunes collaborateurs dans les entreprises.

2. Les bouleversements structurels du marché du travail que portent en eux les phénomènes de mondialisation et de tertiarisation des processus de production, mais aussi le « chamboulement » de la notion traditionnelle de carrière, qui emporte de nouvelles exigences pour les jeunes diplômés : mobilité professionnelle et géographique, parfois internationalisation, adaptabilité permanente...

3. Dernier facteur économique et non le moindre : la logique de formation tout au long de la vie, qui doit maintenant être intégrée par les jeunes comme par les entreprises.

Tout cela est à envisager dans une perspective politique et sociale plus large :

- la réhabilitation de l'apprentissage, mais surtout de manière plus globale de la voie professionnelle (alternance et enseignement professionnel) parallèlement à la filière générale ;

- l'importance fondamentale des jeunes pour notre société : les entreprises, notre pays, l'Europe, ont un besoin vital des jeunes... ;

- l'investissement du Gouvernement sur le sujet : apprentissage, contrat de professionnalisation, contrat d'insertion dans la vie sociale (le CIVIS), parcours d'accès à la vie active (le PAVA), plan banlieue...

Ces questions, nous avons voulu que les principaux intéressés, les chefs d'entreprises, les directeurs des ressources humaines, les étudiants, les universitaires, les représentants syndicaux, en débattent eux-mêmes, autour du ministre et des parlementaires. Qu'ils formulent leurs attentes. Qu'ils développent leurs idées. Qu'ils discutent des bonnes pratiques et des meilleurs moyens d'en favoriser la diffusion...

Pour cela, avec le Ministre Gérard Larcher, que je remercie pour sa participation, avec mes collègues Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles et Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, nous avons jugé opportun d'organiser notre rencontre sur l'emploi des jeunes diplômés en deux temps.

D'une part, susciter un premier débat autour de l'offre et de la demande, pour aborder sans tabou les questions relatives aux filières, à leur adéquation aux débouchés professionnels, au rapprochement des mondes de l'enseignement supérieur et de l'entreprise...

D'autre part, au cours d'une seconde table ronde, évoquer les outils de l'insertion, voir comment améliorer ceux qui existent, assurer le développement de ceux qui fonctionnent bien, mais aussi ouvrir, pourquoi pas ?, des voies sur des mécanismes nouveaux...

Avec le ministre, comme avec mes collègues sénateurs, dont je salue la présence, nous attendons beaucoup de cette après-midi de travail, que nous espérons fructueuse. Car on parle beaucoup de déficit : déficit budgétaire, déficit commercial, déficit de confiance. Mais le pire de tout, ce serait un déficit de lucidité, d'idées et de volonté. Or, nous sommes certains que la lucidité est possible, et que les idées et la volonté existent : encore faut-il les faire émerger par le débat.

Le Sénat est le lieu du débat : il le démontre dans son activité quotidienne, et ce colloque en est l'un des témoignages.

Mais, pour être utile, il me semble important qu'au-delà des participants, il atteigne directement celles et ceux auquel il s'adresse au premier chef. Aussi, j'ai souhaité que Public Sénat en assure la diffusion sur la Chaîne Parlementaire et, surtout, que le site Internet du Sénat offre aux internautes, outre les documents essentiels parus récemment sur le sujet, les enregistrements du colloque en vidéo à la demande ainsi que les actes du colloque.

Évidemment, le Sénat n'est pas le seul lieu du débat. Il en existe d'autres, mais il en est un particulièrement important en la matière : c'est le grand débat national université/Emploi engagé le mois dernier par le Gouvernement. Monsieur le Recteur Hetzel, qui préside la commission nationale, a bien voulu venir nous faire le point de ses travaux, et je l'en remercie. Qu'il sache qu'il pourra reprendre tout ce qui sera dit et échangé aujourd'hui dans cette salle !

C'est pourquoi je vous invite maintenant, Mesdames et Messieurs, à libérer votre parole, vos analyses et votre imagination, en vous remerciant une nouvelle fois d'avoir bien voulu, par votre présence, assurer l'intérêt de nos travaux.

Jean-Claude LEWANDOWSKI, rédacteur en chef des Echos Sup

Je voudrais remercier l'ensemble des participants et des intervenants pour leur présence.

Chacune des deux tables rondes sera ouverte par l'exposé introductif d'un expert : Louis Chauvel présentera la première et Florence Lefresne la seconde.

Lors de chacune de ces tables, des « grands témoins » réagiront par rapport au témoignage, développeront une idée ou proposeront un plan d'action, tandis qu'au premier rang de la salle, des « grands intervenants » leur poseront des questions. Enfin, les participants présents dans la salle pourront faire part de leurs remarques aux témoins qui seront intervenus.

Nous devons avoir pour objectif de réfléchir ensemble au problème que peut constituer l'insertion professionnelle des jeunes diplômés. Nous pouvons donc aborder maintenant la première des tables rondes, celle ouverte par Louis Chauvel, Professeur à Sciences-Po-Paris et chercheur associé à l'Observatoire français de conjoncture économique (OFCE).

TABLE RONDE N° 1 - L'EMPLOI DES JEUNES DIPLÔMÉS : L'OFFRE ET LA DEMANDE

La table ronde est présidée par :

Jean-Paul EMORINE , sénateur de Saône-et-Loire, président de la commission des affaires économiques, et Jacques VALADE , sénateur de la Gironde, président de la commission des affaires culturelles.

Le débat est ouvert par :

Louis CHAUVEL , professeur à Sciences-Po-Paris, chercheur associé à l'Observatoire français de conjoncture économique (OFCE).

Interviennent comme grands témoins :

- Eric BERTIER , associé de Pricewaterhouse Coopers en charge des ressources humaines, président du groupe de travail « Promesse des entreprises » du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) ;

- Jean-François MARTINS , président de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) ;

- Stéphane ROUSSEL , directeur général des ressources humaines de SFR ;

- Bernard VAN CRAEYNEST , président de la Confédération française de l'encadrement CGC (CFE-CGC) ;

- Geoffroy ROUX DE BEZIEUX , président de The PhoneHouse, président de CroissancePlus.

Interviennent comme grands questionneurs :

- François FAYOL , secrétaire général de la Confédération française des travailleurs-Cadres (CFDT-Cadres) ;

- Daniel LAMAR , directeur général de l'Association pour faciliter l'insertion professionnelle des jeunes (AFIJ) ;

- Sophie TALNEAU , auteur de « On vous rappellera » ;

- Olivier VIAL , président de l'Union nationale inter-universitaire (UNI).

Les débats sont animés par Jean-Claude LEWANDOWSKI , rédacteur en chef des Echos Sup.

I. INTRODUCTION

Louis CHAUVEL, professeur à Sciences-Po-Paris, chercheur associé à l'OFCE

La France conçoit trop souvent la jeunesse comme un problème et non comme une richesse qu'il convient de valoriser. À ce titre, elle fait figure d'exception, même si elle se rapproche, de ce point de vue, de certains pays du sud de l'Europe comme les pays latins. Tout d'abord, des problèmes politiques en sont la cause. Au cours des douze derniers mois, nous avons connu diverses difficultés à l'occasion des lois Fillon, du problème des banlieues et du CPE. Les dernières échéances électorales (notamment le référendum de 2005 sur la constitution européenne) ont révélé que les jeunes sont désormais majoritairement anti-européens, ce qui n'était pas le cas quelques années auparavant. Comment expliquer que les jeunes (à travers des mouvements comme Génération Précaire) et en particulier les jeunes diplômés se considèrent comme le maillon fragile de la société française ? Je développerai ces thématiques en trois points principaux. Après avoir rappelé quelques éléments de diagnostic, je m'attacherai aux causes de l'entrée tardive des jeunes dans le marché du travail. Enfin, je m'efforcerai en conclusion de souligner les quelques prises de conscience que nous devons opérer face à ce problème qui dure depuis plus de 25 ans.

Tout d'abord, nous pouvons distinguer plusieurs faits marquants qui caractérisent le marché du travail. En particulier, le problème de l'insertion des jeunes n'est pas nouveau. Cela fait plus de 25 ans que le taux de chômage des jeunes Français, dans les 24 mois qui suivent la fin de leurs études, avoisine les 25 %. En 1972, ce taux n'était que de 6 %. Dans les années 1960-1970, il était fréquent de choisir son employeur à la sortie de ses études plutôt que le contraire.

Par rapport à nos voisins, notre pays est marqué par l'intégration difficile des jeunes diplômés dans le monde du travail, et ce depuis les années 1983-1985. Au cours de la même période, cette évolution s'est accompagnée d'une inégalité croissante des salaires entre les actifs trentenaires et quinquagénaires. Alors que l'écart de rémunération entre les deux classes d'âge atteignait 15 % dans les années 1960-1970, il est de 40 % de nos jours. Les trentenaires ont donc perdu 25 points de salaire comparativement aux quinquagénaires. D'autres indicateurs montrent des évolutions similaires. En 1984, une année de salaire d'un jeune de trente ans permettait d'acheter 9 mètres carrés de logement, contre 4 mètres carrés actuellement.

Ces évolutions sont symptomatiques du malaise français, caractérisé par une remise en cause des progrès qui avaient marqué la société pendant les Trente Glorieuses.

Par exemple, notre pays ne croit plus aux diplômes pour assurer le progrès de la génération qui suit. Depuis 1985, le nombre moyen d'années d'études a augmenté de trois ans, alors que le taux de chômage à la sortie des études est le même qu'au milieu des années 1980. Ainsi, les nouvelles générations ont plus de diplômes, mais elles ne parviennent pas à acquérir une situation stable dans le monde de l'entreprise. Il en est de même dans le domaine politique. L'âge des députés était est de 52,5 ans en 1997 et il a encore augmenté de 4 ans en 2002. Ce constat soulève la question de la place politique des jeunes, et, plus largement, de leur place dans la société française.

Sur cette question, comment se situe la France par rapport à ses voisins européens ? D'après le sociologue danois Gosta Esping-Andersen, il existe trois grands modèles d'intégration des jeunes et de fonctionnement social de l'État-Providence dans les pays développés :  le modèle des pays de type anglo-saxon et libéral ; celui des pays de type nordique et germanique ; celui des pays latins.

Les pays anglo-saxons et nordiques sont caractérisés par la capacité des jeunes à rentrer précocement dans le monde du travail sans que la poursuite ultérieure de leurs cursus ne soit remise en cause, simplement parce qu'il existe de véritables conditions de financement d'études diplômantes. C'est pourquoi deux catégories de jeunes coexistent au sein des universités de ces pays : de jeunes étudiants précoces ayant parcouru l'ensemble des échelons sans avoir eu d'expérience du monde du travail, et d'autres, disposant d'une expérience professionnelle. Par exemple, l'ancien Chancelier Gerhard Schröder est passé par le système d'enseignement professionnel avant de s'orienter vers la politique.

Les causes de l'inefficacité française dans ce domaine sont révélées par cette comparaison internationale : nous avons mis les jeunes et les seniors à l'écart du monde du travail pour réserver ce dernier à une classe d'âge extrêmement réduite, de 30 à 55 ans, voire de 40 à 49 ans. Ainsi, ce paradoxe veut que l'on est vieux de plus en plus jeune, et jeune de plus en plus vieux. Le système français a rendu les jeunes employables tout en les incitant à poursuivre tard leurs études. La responsabilité de ce paradoxe contre-productif repose sur l'ensemble des acteurs politiques, sociaux, managériaux et culturels de la société. Nous devons tous réfléchir sur les causes qui expliquent l'absence de rencontre entre le monde universitaire et le monde de l'entreprise. Lorsque j'ai commencé à écrire, il y a dix ans, mon ouvrage « Le destin des générations, structures sociales en France au XX ème siècle », je n'aurais pas cru que le taux de chômage des jeunes à la sortie d'études resterait le même dix ans plus tard.

Quels sont nos leviers d'action pour remédier à ce problème ? Je n'ai malheureusement pas le temps d'esquisser toutes mes pistes de réflexion et je m'en tiendrai à la principale. Je crois simplement que le monde syndical, le monde de l'entreprise, le monde de l'université et le monde politique ont préféré se refermer sur eux-mêmes plutôt que de constituer un ensemble de passerelles, comme cela existe dans d'autres pays, notamment dans l'Europe nordique. Tant que nous ne prendrons pas ce type de mesures, la situation ne s'améliorera pas. Je rappelle qu'Helmut Kohl, en 1986, voyant augmenter le chômage des jeunes Allemands, a exigé du patronat la création de 100.000 places d'apprentis. Non seulement le patronat allemand a accepté cette mesure, mais il l'a mise en pratique.

Jacques VALADE, sénateur de la Gironde, président de la commission des affaires culturelles

Je voudrais réagir aux propos de Monsieur Chauvel sur la responsabilité du monde politique. Je souhaite tout d'abord rappeler que la commission que je préside s'occupe non seulement des questions culturelles, mais aussi d'éducation et d'enseignement supérieur. Au titre de notre fonction législative, nous avons la responsabilité de définir un cadre normatif qui permette de répondre aux problèmes de l'éducation.

Je crois qu'une des déficiences du système de formation supérieure français tient à sa faible mobilité, elle-même due à une certaine inertie du système universitaire. On constate, en effet, une inadéquation entre l'appareil de formation et la réalité concrète, qui suscite l'incompréhension.

Je vous rappelle que la formation supérieure en France est duale. Tout d'abord, les grandes écoles constituent une voie royale pour ceux qui ont eu le talent ou la chance d'y entrer, mais cette voie repose sur la sélection des candidats. De son côté, l'Université est caractérisée par le libre accès des étudiants et l'évolution des disciplines qu'on y étudie se heurte à une très grande inertie, car elle est déterminée par des choix de politique intérieure autant que par les dirigeants de ces universités. De plus, il ne peut y avoir d'enseignement supérieur de qualité sans une recherche de haut niveau. Ces différences entre nos deux systèmes de formation nous conduisent à nous demander quel est le lieu le plus approprié pour mener la recherche de haut niveau en France. Doit-elle intervenir dans les grandes écoles, qui bénéficient souvent des meilleurs éléments, ou bien à l'Université ?

En second lieu, je voudrais rappeler que le Parlement a récemment été amené à examiner deux textes : la loi Fillon sur l'avenir de l'école, issue en partie des travaux de la commission Thélot, et la loi de programme pour la recherche. Cette dernière devrait apporter des changements fondamentaux dans le domaine de la recherche et les mesures qu'elle comporte rejoignent les propos de Monsieur Chauvel. Nous avons constaté que les disciplines enseignées à l'Université sont dispensées dans des unités trop repliées sur elles-mêmes, qu'il y a en France des maîtres universitaires incontestables et incontestés, mais qui vivent dans des structures qui ne sont plus toujours adaptées aux circonstances et à l'évolution des besoins de la société et des entreprises. Cette loi permettra que voie le jour une Université rassemblée, qui pourrait se doter d'objectifs propres et bénéficier d'une autonomie inédite, entraînant ainsi une professionnalisation des études. Voici brièvement ce que je voulais dire en tant que président de la commission des Affaires culturelles.

II. INTERVENTION DES GRANDS TÉMOINS

Jean-Claude LEWANDOWSKI

Nous avons réuni cinq grands témoins. Trois représentent le monde de l'entreprise et deux le monde syndical. J'invite Éric Bertier à prendre la parole en premier. Vous êtes à la fois associé de Pricewaterhouse Coopers en charge des ressources humaines et président du groupe de travail « Promesse des Entreprises » du MEDEF. À ce double titre, comment analysez-vous les attentes des jeunes ?

Éric BERTIER, associé de Pricewaterhouse Coopers en charge des ressources humaines et président du groupe de travail « Promesse des Entreprises » du MEDEF

Avec 22 % de jeunes chômeurs, la France compte parmi les mauvais élèves européens, ce qui traduit un malaise réel. Néanmoins, les jeunes gens de cette génération ne sont pas déprimés : la dernière enquête IFOP-Medef montre que 83 % d'entre eux pensent que la réussite dans la vie passe par le travail et 73 % sont impatients de travailler.

Mon expérience au sein de Pricewaterhouse Coopers m'a permis de mieux comprendre leurs attentes. Notre groupe est un cabinet de conseil de 3.800 personnes et nous recrutons chaque année en moyenne 500 jeunes diplômés, 200 profils expérimentés et 350 stagiaires. Pour pourvoir ces postes, nous recevons chaque année 16.000 candidatures, principalement d'étudiants de niveau Bac+5 issus de grandes écoles ou de grandes universités. Pour autant, il n'est pas facile d'attirer ces candidats car nous devons faire face à la concurrence d'autres cabinets et de grandes entreprises. Pour cela, nous organisons chaque année un tour de France des grandes écoles. Cette année, nous avons visité 20 campus en faisant intervenir 400 personnes. Cela n'est pas toujours suffisant car, dans nos métiers, les jeunes postulants sont en position de choisir leur premier employeur.

Une étude publiée par la Conférence des grandes écoles fait état de plusieurs évolutions récentes concernant l'insertion des jeunes diplômés. En premier lieu, le taux d'emploi net des jeunes issus des écoles d'ingénieurs avoisine 79 % cette année, contre 72 % l'année dernière. Certes, les élèves issus des grandes écoles connaissent généralement une insertion professionnelle plus facile que ceux issus de l'université, mais je crois que tous les étudiants ont des attentes similaires.

A ce titre, je souhaiterais souligner les conclusions des récents travaux de la commission dont je fais partie. En premier lieu, ces études font apparaître que les jeunes sont en quête de sincérité et d'honnêteté dans le monde du travail. Ils ne veulent pas accepter docilement les oukases d'un patron. Au contraire, ils réclament des explications sur la conduite et les objectifs de l'entreprise. Je ressens également ces attentes au cours des entretiens que je fais passer chez Pricewaterhouse Coopers. Ce besoin apparaît également en amont, au moment de l'orientation. Il faut que les jeunes sachent exactement les débouchés qui s'offrent à la sortie d'une filière.

Leur deuxième attente principale concerne l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée. La dernière enquête montre que les jeunes préfèrent entrer à 51 % dans le monde de l'entreprise contre 34 % dans celui de la fonction publique et 15 % dans le monde associatif. Cependant, ils ne veulent pas pour autant sacrifier leur vie privée, et ce, quel que soit le secteur concerné. Les jeunes ont envie de s'épanouir en dehors du travail et nous devons intégrer cet élément dans nos politiques de recrutement.

Enfin, dans les dernières enquêtes, les jeunes ont exprimé leur refus de la précarité, ce qui rejoint ce que nous avions pu constater lors des manifestations contre le CPE. Là aussi, nous devons trouver des solutions pour répondre à ces attentes. Chaque année, Price Waterhouse Coopers parvient à transformer environ 50 % des conventions de stages en CDI. Certes, cela n'est pas possible pour tout le secteur privé, mais nous devons pouvoir concilier flexibilité et sécurité. Il faut rapprocher les nécessités de l'entreprise avec les aspirations légitimes des jeunes. Malgré ces difficultés, je suis assez optimiste pour les jeunes dans la mesure où le contexte économique marque une certaine reprise, en lien avec le départ à la retraite de la génération du « papy-boom ». De plus, les évènements récents ont démontré la capacité des jeunes à se faire entendre. À nous de savoir les écouter et de trouver des solutions. Nous avons en effet besoin de ces jeunes pour nous développer et ils ont besoin de nous pour trouver un emploi.

Jean-Claude LEWANDOWSKI

Merci. Je laisse maintenant la parole à Jean-François Martins, représentant du syndicat étudiant FAGE, qui souhaiterait intervenir sur les débouchés des filières universitaires.

Jean-François MARTINS, président de la FAGE

Je voudrais remettre en cause quelques fantasmes et stéréotypes sur l'université. J'entends souvent dire que les universitaires ne sont pas adaptés au marché du travail et qu'il faut pallier cette déficience en revenant sur les fondements mêmes du modèle universitaire en instaurant une sélection à l'entrée de l'université. Je souhaite rappeler quelques éléments à propos des filières (essentiellement les sciences humaines) réputées sans débouchés et dire pourquoi elles constituent au contraire de vraies richesses pour les entreprises et pour notre modèle économique et social.

En premier lieu, sélectionner à l'entrée de l'université contredirait nombre d'engagements qu'a pris la France au cours des dernières années. En effet, une telle réforme remettrait en cause notre modèle universitaire fondé sur le libre accès et irait à l'encontre du processus de Lisbonne, qui vise à faire de l'Europe une société du savoir et de la connaissance. Or nous n'atteindrons pas cet objectif en réduisant le nombre de diplômés. De plus, cette mesure contredirait l'objectif de 50 % d'une classe d'âge diplômée de l'enseignement supérieur qui figure dans la loi Fillon. En outre, je ne crois pas que le taux d'échec, universitaire et professionnel, important dans ces filières soit dû au contenu de la formation dispensée, qui s'avère être de grande qualité. En réalité, il me paraît imputable à des problèmes d'orientation en amont desdites études. En effet, l'université est une formation d'excellence dans un grand nombre de disciplines et la seule possible dans certains domaines comme la médecine ou le droit. Nous devons donc améliorer notre capacité à orienter et réorienter les étudiants en échec mais aussi proposer des voies professionnelles rapides à ceux qui souhaitent quitter le système éducatif.

Troisièmement, je considère qu'il serait dangereux pour la France de sacrifier son niveau culturel et social et de renoncer en partie à sa culture humaniste. Enfin, je pense que de nombreux diplômes sont sous-évalués et trop peu considérés par l'ensemble de la société. Contrairement à d'autres pays européens, nous avons trop tendance à retenir pour critère la discipline du diplôme plutôt que son niveau. Dans les pays anglo-saxons, la capacité d'analyse et de traitement d'un problème est certifiée par un diplôme de niveau bac+5 plutôt que par la discipline de la filière.

Deux exemples permettent d'illustrer ce problème. Je suis sûr que le public présent dans cette salle ne serait pas choqué à l'idée de confier à un titulaire d'un Master d'Histoire de l'Art la direction d'un chantier archéologique. Or, si celui-ci est en mesure d'effectuer cette mission, il serait aussi certainement capable de conduire un chantier de BTP, car ces deux activités font appel aux mêmes aptitudes (capacité d'analyse, gestion d'une équipe). Cependant, passer de l'une à l'autre activité est trop souvent difficile, en raison d'une culture disciplinaire encore trop forte dans un grand nombre de professions.

En outre, il y a quelques semaines, les étudiants en STAPS étaient mobilisés pour l'augmentation du nombre de postes ouverts aux concours d'enseignement. À cette occasion, j'ai pu remarquer à de nombreuses reprises qu'ils étaient uniquement considérés comme de futurs professeurs d'EPS. Or les études de STAPS offrent des débouchés vers plus de 25 métiers possibles, non seulement dans l'enseignement du sport mais aussi le tourisme ou l'animation socio-culturelle. De plus, cette filière a un des meilleurs taux d'insertion professionnelle : plus de 80 % des jeunes trouvent un emploi dans les six mois suivant l'obtention de leur diplôme.

Enfin, pour finir sur une pointe d'humour, si l'université avait mis en place un système de sélection à l'entrée, en particulier pour les sciences humaines, Laurence Parisot n'aurait peut-être jamais pu faire des études de sociologie et mener la carrière qu'elle a connue.

Jean-Claude LEWANDOWSKI

Merci pour ce témoignage. Il y a en effet de nombreux problèmes à régler dans les domaines de l'orientation et de la sélection. Le prochain intervenant est de nouveau un représentant du monde de l'entreprise. Il s'agit de Stéphane Roussel, directeur général des ressources humaines de SFR. Sensible au thème de l'insertion professionnelle des jeunes diplômés, vous avez imaginé et créé une formule de tutorat au sein de votre entreprise.

Stéphane ROUSSEL, directeur général des ressources humaines de SFR

Je voudrais d'abord réagir aux propos que j'ai entendus, en essayant de tempérer quelque peu leur optimisme. Je partage l'idée selon laquelle une réforme globale du système de formation est nécessaire, car les mondes de l'éducation et du travail sont hermétiquement séparés dans notre pays. Cette caractéristique n'est d'ailleurs pas propre aux pays latins, mais uniquement spécifique à la France. Les formations (qu'elles soient dispensées en université ou dans les grandes écoles) y sont élaborées à la demande des professeurs et des élèves et non par rapport aux besoins du marché du travail. C'est pour pallier ce manque que les entreprises sont obligées de fortement investir dans la formation. Certes, nous devons préserver notre modèle consistant à donner à chacun une culture générale de haut niveau. Pour autant, nous devons aussi être capables de préparer les étudiants à exercer un emploi. Dès le collège, la formation dispensée insiste sur le savoir, évoque quelque peu le savoir-faire mais très peu le savoir-être. Ainsi, le développement personnel n'est pas considéré comme une matière indispensable pour réussir, de sorte qu'il existe un décalage important entre le monde de l'éducation et le monde du travail. A cet égard, la seule exception dans notre système éducatif est la maternelle, qui est la seule étape où l'on dispense un enseignement global.

Quelles sont les solutions envisageables pour résoudre ces inadéquations ? Selon moi, le problème ne provient pas des étudiants : ceux-ci ont généralement un bon niveau et sont capables d'entrer rapidement dans la vie professionnelle. Nous devons simplement leur enseigner les codes et les règles propres au monde de l'entreprise.

Au sein de SFR, nous avons voulu créer un système de tutorat permettant aux jeunes d'acquérir ces aptitudes. Nous sélectionnons des jeunes issus de zones urbaines sensibles et qui possèdent un niveau Bac+2 et nous les aidons à acquérir un diplôme d'ingénieur en leur trouvant un tuteur parmi les collaborateurs de l'entreprise. Ces parrains insistent surtout sur les codes, les valeurs et les règles propres au monde du travail, qui permettront aux jeunes de trouver un emploi et de s'y maintenir.

Ce système s'est avéré être une réussite. D'une part, de nombreux étudiants ont demandé à être parrainés, car ils sont à la recherche d'un autre enseignement que celui qui est prodigué par l'école. D'autre part, de nombreux employés de notre groupe se sont portés candidats pour être tuteurs, de sorte que nous avons dû augmenter nos capacités d'accueil. Nous pensons que ce modèle peut être étendu à d'autres entreprises. C'est pourquoi nous l'avons présenté au ministre de l'éducation la semaine dernière, qui a exprimé son souhait d'étendre cette mesure.

L'aspect innovant de ce système est que les parrains ne sont pas des étudiants qui ne connaissent pas le monde du travail, mais bien des professionnels de l'entreprise qui peuvent communiquer leur expérience. En outre, c'est un outil simple, peu onéreux à mettre en place, et qui ne nécessite pas de changement de législation. Enfin, je crois que l'entreprise n'est pas la seule à être consciente du problème des jeunes diplômés et à prendre des initiatives : le système éducatif et l'Etat créent également des passerelles entre le monde universitaire et le secteur privé. C'est pourquoi je pense que nous sommes dans la bonne direction pour mettre un terme au problème de l'intégration professionnelle des jeunes.

Jean-Claude LEWANDOWSKI

Combien d'étudiants avez-vous déjà formés par ce dispositif ?

Stéphane ROUSSEL

Cette année, 145 étudiants ont été parrainés par des employés de SFR, et ces partenariats seront reconduits l'année prochaine. Nous estimions à 20 le nombre de collaborateurs qui se porteraient candidats pour être tuteurs, mais, dans les faits, nous avons reçu cinq fois plus d'offres, ce qui nous a permis de parvenir au chiffre de 145 parrainages. En effet, un tuteur peut parfois prendre en charge plusieurs élèves. Malgré tout, il nous est difficile d'étendre ce système au sein de SFR car toutes les offres sont déjà pourvues. C'est pourquoi nous avons présenté ce système à des directeurs des ressources humaines d'autres groupes français, et nous pouvons ainsi nous réjouir que des expériences similaires soient organisées dans d'autres entreprises. En outre, le ministère de l'éducation veut également étendre ce modèle à grande échelle et de façon très pragmatique, sans recourir à une loi.

Jean-Claude LEWANDOWSKI

Bernard Van Craeynest, le président de la CFE-CGC, souhaite intervenir sur les thèmes de l'orientation et de la formation.

Bernard VAN CRAEYNEST, président de la CFE-CGC

Nous oublions trop souvent que le système éducatif n'est qu'un moyen pour amener les jeunes à être des citoyens instruits susceptibles de s'épanouir dans la société et de s'insérer dans le monde de l'entreprise. Pour accomplir ce parcours difficile, les jeunes doivent commencer le plus tôt possible leur apprentissage du monde de l'entreprise, et donc pouvoir être orientés à toutes les étapes de l'adolescence. J'ai moi-même une fille titulaire d'une licence professionnelle. Lorsque s'est posée la question de son parcours universitaire alors qu'elle était en terminale L, nous avons eu des frictions lorsqu'elle a déclaré vouloir s'inscrire en philosophie. Je lui ai demandé de préparer d'abord un diplôme professionnalisant avant de faire ce qu'elle voulait. Elle a donc commencé par un BTS avant de présenter une licence professionnelle.

Cette expérience m'a fait prendre conscience que les aspirations et les utopies des parents ne correspondent pas toujours à ce dont les jeunes aspirent pour leur avenir. C'est pourquoi, au sein de la CFE-CGC, nous voulons mettre en place un « passeport orientation-formation ». Ce système vise à instaurer une rencontre annuelle entre les quatre acteurs de la formation de l'étudiant : le jeune lui-même, pour qu'il exprime ses propres aspirations ; ses enseignants, pour qu'ils fassent part de leurs appréciations sur les aptitudes et les résultats de l'élève ; les parents, pour qu'ils prennent conscience des possibilités qui s'offrent à leur enfant et les professionnels de l'orientation, pour qu'ils donnent leur avis sur les filières envisageables.

Bien évidemment, nous sommes conscients que les besoins des entreprises sont variables et évolutifs. Cependant, j'ai beaucoup apprécié l'exemple de mon voisin sur le diplômé en Histoire de l'Art qui serait capable de passer de la conduite d'un site archéologique à la gestion d'un chantier de BTP. Moyennant un complément de formation technique, ce type de passerelles peut s'envisager pour de nombreux métiers. Il est nécessaire pour cela de développer la formation tout au long de la vie afin que nous puissions nous adapter aux changements des besoins des entreprises. Ce processus doit commencer dès le cursus initial. Par exemple, l'apprentissage des langues et des cultures est important pour tout citoyen salarié, qui sera de plus en plus amené à intervenir à l'étranger dans le cadre de son travail. Connaître les cultures que l'on rencontre permet ainsi d'éviter des déconvenues. Nous devons donc développer des processus de formation dès le collège et tout au long de la vie. `

De plus, je souhaiterais réagir sur les stéréotypes que les Français ont développés vis-à-vis de certains métiers. La France compte de nombreuses professions non délocalisables dans des spécialités qui ne jouissent pas toujours d'une très bonne image de marque. Nous devons nous efforcer d'améliorer cette réputation. À la fin des années 1970, le Secrétaire d'État Lionel Stoléru avait été chargé de revaloriser le travail manuel. Force est de constater que l'image de ces métiers n'a pas beaucoup évolué 25 ans plus tard. Enfin, je remarque que les échanges que nous avons eus montrent que nous avons tous des idées à partager pour que les mondes de l'entreprise et de l'université se rejoignent. Nous ne devons pas en oublier la finalité : faire en sorte que le plus grand nombre d'entre nous puisse trouver un emploi tout au long de sa vie active.

Jean-Claude LEWANDOWSKI

Dernier de nos grands témoins, Geoffroy Roux de Bezieux est président de « The Phone House » et de CroissancePlus, qui réunit les entreprises à fort potentiel de développement. Vous souhaitez intervenir sur l'exception française que constitue « le culte du diplôme ».

Geoffroy ROUX DE BEZIEUX, président de The PhoneHouse, président de CroissancePlus

Mon propos sera quelque peu différent de ce que j'ai entendu jusqu'à présent. Je suis chef d'entreprise et j'embauche entre 800 et 900 jeunes par an. Cependant, à la différence de Price Waterhouse Coopers, ce sont des étudiants de niveau bac, bac pro ou quelquefois bac+2. Nous avons beaucoup de difficulté à recruter car nos métiers sont difficiles. Si nous proposons un salaire modéré (généralement SMIC + 20 %), nous offrons en contrepartie d'importantes perspectives de carrière : nos collaborateurs peuvent gravir rapidement les échelons de l'organisation. Ainsi, notre comité de direction comprend aujourd'hui deux jeunes trentenaires : l'un a commencé comme magasinier à 18 ans, l'autre comme vendeur à 19 ans. Nous jouons donc le rôle d'ascenseur social en contrepartie de notre manque de réputation. Nous ne jugeons ni la formation, ni la qualité du diplôme, ni même la filière, mais les qualités humaines du candidat.

Je crois qu'il existe une méfiance réciproque entre les jeunes et les entreprises et ces dernières en sont en grande partie responsables. Dans les années 1970, la majorité des patrons des groupes du CAC 40 n'étaient pas ou peu diplômés. Ainsi, le directeur de la filiale de l'Oréal pour laquelle je travaillais, avait commencé par être représentant commercial après la guerre. Néanmoins, la crise économique a conduit les directions des ressources humaines des grands groupes à prendre moins de risques. Le diplôme est donc devenu une forme de réassurance, ce qui est positif pour ceux qui sortent de grandes écoles (seulement 5 % des étudiants), mais qui peut aussi conduire à une sclérose des classes dirigeantes. Aujourd'hui, tous les grands responsables de L'Oréal ont fait leurs études à HEC, Centrale, l'Essec ou Polytechnique. Cette homogénéité de l'origine universitaire des dirigeants d'entreprise n'a pas son équivalent dans le monde. Nous sommes le seul pays où l'on se présente encore comme polytechnicien à 55 ans. Aux Etats-Unis, il importe peu de savoir dans quelle université une personne a étudié il y a 20 ou 30 ans. Au contraire, il s'agit de savoir ce qu'elle a accompli au cours de son parcours professionnel. De même, dans les pays anglo-saxons, on juge un candidat sur sa capacité à raisonner et non sur la matière qu'il a étudiée.

Cependant, les étudiants sont aussi responsables de cette inadéquation avec le monde de l'entreprise. J'ai par exemple été très frappé des propos d'un étudiant à l'issue d'un débat télévisé sur le CPE : « Je n'ai pas fait quatre ou cinq ans d'études pour finir avec un CDD dans un centre d'appel ». Cette remarque sous-entend qu'une longue formation donne obligatoirement droit à un poste de cadre supérieur. Dans la pratique, cela n'est pas vrai car les entreprises jugent les qualités humaines et non la formation.

Je ne crois pas à une formation au métier qui permette d'adapter en permanence les compétences des employés, mais plutôt à une formation générale qui puisse servir tout au long de la vie. En contrepartie, les jeunes doivent accepter de faire leurs preuves pendant les premières années de leur vie en entreprise. En échange, l'entreprise doit leur offrir des perspectives de carrière satisfaisantes. Tel est mon point de vue sur la question de l'inadéquation entre le monde universitaire et le monde de l'entreprise, mais je souligne qu'il est partagé par nombre de mes collègues d'entreprise en croissance, qui sont confrontés aux mêmes difficultés de recrutement.

Enfin, je voudrais intervenir sur le concept de déclassement d'un métier ou d'une activité. Je ne crois pas que travailler dans un centre d'appel ou un magasin revient à être déclassé : cela dépend de la perspective de carrière qu'offre l'entreprise. Si le chef d'entreprise sait donner de vraies chances à ceux qu'il recrute, alors il existe une véritable équité entre l'employé et l'employeur. Si ce dernier les maintient à un poste subalterne au motif qu'ils n'ont pas fait de grande école, alors il y a là un vrai déclassement.

III. DÉBATS

Jean-Claude LEWANDOWSKI

Merci pour ce témoignage. Chacun de nos grands témoins s'est exprimé et a proposé des solutions pour faciliter l'accès des jeunes diplômés à l'emploi, pour encourager leur insertion et pour qu'ils aient une image différente de l'entreprise. Nous allons maintenant donner la parole à nos grands questionneurs pour qu'ils puissent interroger les grands témoins. Il s'agit de François Fayol, secrétaire général de la CFDT-Cadres, Daniel Lamar, directeur général de l'AFIJ (Association pour Faciliter l'Insertion professionnelle des Jeunes), Sophie Talneau, auteur d'un récent ouvrage intitulé « On vous rappellera » , et enfin Olivier Vial, président du syndicat étudiant UNI.

Daniel LAMAR, directeur général de l'AFIJ (Association pour Faciliter l'Insertion professionnelle des Jeunes)

Je souhaite revenir sur quelques éléments qui n'ont pas été pris en compte lors du débat. L'association que je préside assure le suivi de 250.000 jeunes par an à la recherche d'un emploi. Depuis le début de la discussion, nous évoquons le taux de 22 % ou 23 % de jeunes à la recherche d'un emploi durant les deux ans qui suivent leur fin d'études. Ce chiffre est contestable et doit être revu à la hausse pour donner une image fidèle de la réalité. En effet, seulement un jeune sur quatre sortant de l'enseignement supérieur s'inscrit à l'ANPE, qui est chargée de publier les statistiques sur le chômage. De plus, les intervenants, dans leur ensemble, ont salué le niveau d'étude obtenu par les classes les plus jeunes de notre société. Cependant, ce niveau ne prend pas en compte le nombre important d'étudiants en situation d'échec universitaire qui touche tous les cycles de formation, et qui met en péril leurs chances d'accéder à un emploi.

En outre, les intervenants ont peu abordé la thématique des discriminations sociales, sexistes, raciales ou liées à un handicap, et qui touchent de nombreux jeunes. Il n'y a pas d'égalité des chances en matière de recherche d'emploi. Au contraire, il existe de fortes disparités entre un étudiant issu d'une grande école, qui peut passer plusieurs mois à chercher un emploi afin de trouver le meilleur salaire, et le reste des jeunes diplômés. Par ailleurs, au sujet de la problématique de l'orientation, je crois que l'important n'est pas de déterminer quel est l'organe qui serait le mieux à même de la mettre en oeuvre (service public, privé ou structures associatives), mais bien de savoir si l'on est capable de la mettre en oeuvre. En effet, nous ne savons pas à l'heure actuelle si un type de formation en particulier permet de déboucher sur un métier spécifique. Par exemple, nous ignorons quel parcours ont suivi les jeunes qui sont devenus responsables des ressources humaines ou experts-comptables. Ce manque d'information nous empêche, à l'heure actuelle, de mettre en place une politique d'orientation. Quelles solutions proposez-vous pour répondre à ces problèmes ?

Jean-Claude LEWANDOWSKI

Le grand service national de l'orientation, qui a été récemment annoncé par le Gouvernement et par le Premier ministre, devrait apporter des éléments de réponse sur cette question. Je passe la parole à Stéphane Roussel.

Stéphane ROUSSEL

En tant que directeur des ressources humaines, je ne crois pas très utile d'instaurer une telle « traçabilité » des diplômes. Comme l'a souligné Geoffroy Roux de Bezieux, les formations importent moins que l'apport concret de l'employé à l'entreprise. Le seul facteur qui influe sur la carrière d'un employé est sa contribution et sa production au développement de l'entreprise. Au sujet de la discrimination, nous avons mis en place des outils efficaces, comme des exercices de simulation ou « assessment center ». Dès lors que les plans de recrutement et de carrière sont fondés sur les aptitudes et les compétences, il est inutile de recourir aux CV anonymes. Plus nous sommes rigoureux pour évaluer la personne et non sa formation antérieure, moins nous sommes discriminants. Plus nous nous focalisons sur l'individu et ses qualités humaines, plus nous pouvons l'accompagner intelligemment au sein de l'entreprise. Ainsi, je ne crois pas utile d'élaborer des parcours-types allant de la formation à la vie professionnelle. La vie en entreprise est faite d'aventures, de hasards, de telle sorte que des parcours très différents peuvent aboutir à un métier similaire. De plus, les étudiants que nous devons orienter n'ont pas la maturité nécessaire pour décider à 18 ans le type de métier qu'ils souhaitent exercer plus tard.

Daniel LAMAR

Je pense que ma question a été mal comprise. Il s'agit moins d'élaborer des parcours typiques que de proposer aux étudiants une information précise sur les types de jeunes que vous embauchez, de sorte qu'ils puissent savoir quels sont les types de débouchés possibles pour chaque filière. Aujourd'hui, votre société publie-t-elle sur son site Internet le profil de jeunes qu'elle recrute ?

Stéphane ROUSSEL

En effet, en montrant les personnes recrutées, on pourrait mettre en évidence que plusieurs types de formation peuvent aboutir au même poste.

Geoffroy ROUX DE BEZIEUX

Ce type d'informations pourrait également montrer que nous ne faisons pas de discrimination à l'embauche. L'entreprise que je dirige recrute 800 à 900 jeunes par an, dont plus d'un tiers de personnes immigrées. Cependant, je n'ai pas le droit de publier cette information sous peine de sanctions pénales.

Éric BERTIER

De même, chez Pricewaterhouse Coopers, nous ne pouvons communiquer sur l'origine de nos employés car nous risquons des poursuites judiciaires. En revanche, nous publions régulièrement des indications sur la formation des jeunes diplômés que nous recrutons : 60 % viennent des écoles de commerce, 20 % d'écoles d'ingénieurs et 20 % de l'université.

François FAYOL, secrétaire général de la CFDT-Cadres

Je voudrais souligner que l'entreprise recherche trop souvent des profils parfaitement adaptés aux postes offerts et non des compétences larges, génériques et transposables. Deux exemples permettent d'illustrer mon propos.

Tout d'abord, une jeune femme de 28 ans, docteur en biologie (bac+8) et trois ans d'expérience à l'INSERM s'est récemment vue refuser un poste au motif qu'elle n'avait pas fait de formation complémentaire, et ce sans qu'on lui indique le type de compétence que l'entreprise recherchait. Ensuite, en France, il est extrêmement rare que des jeunes de niveau bac+4 ou bac+5 ayant fait des études littéraires ou en langues trouvent leur place dans l'entreprise. Seul le professorat leur est ouvert. En Angleterre, seulement 5 % de ces jeunes diplômés en sciences humaines deviennent enseignants : les autres font carrière dans l'entreprise ou au sein de l'administration.

La CFDT-Cadres estime qu'il appartient à l'entreprise d'assurer une insertion professionnelle de qualité du jeune diplômé grâce au premier emploi ou par le biais d'une formation qualifiante postérieure à son embauche. C'est aussi une idée soutenue par Monsieur Proglio, et il a mis en oeuvre dans son entreprise des mesures allant dans ce sens. J'aimerais connaître le sentiment des responsables d'entreprise présents à cette table au sujet de la responsabilité de l'entreprise.

Éric BERTIER

Prenons l'exemple d'un expert-comptable. Il est aujourd'hui difficile en France de faire des études courtes d'expert-comptable. Ainsi, nous ne pouvons pas suivre l'exemple de nos collègues anglais, qui embauchent des étudiants n'ayant aucune formation financière, à condition que ceux-ci passent leur diplôme en trois ans. Les jeunes passent donc les trois premières années à travailler et à étudier. En France, cette alternance n'est pas possible car les études d'expert-comptable sont très longues. Si l'on veut offrir aux jeunes la possibilité de s'orienter avec l'entreprise, il faut que les cursus soient adaptés.

Jean-François MARTINS

Il est primordial de s'intéresser à la question de la responsabilité de l'entreprise. Nous avons trop tendance à imputer au système éducatif la responsabilité du manque d'insertion des jeunes. Depuis quinze ans, l'université a su se réformer pour offrir des filières professionnalisantes, avec la création des IUT, IUP et des Masters Pro. La formation relève aussi de la responsabilité de l'entreprise, car la formation initiale doit préparer à un métier et non à une entreprise spécifique.

Sophie TALNEAU, auteur de « On vous rappellera »

Je voudrais poser une question relative à une adéquation entre l'offre et la demande. Nous savons tous que certains jeunes étudient dans des filières offrant peu de débouchés, et que, parallèlement, de nombreux postes ne sont pas pourvus dans les entreprises. Ce constat est valable autant pour les universités que pour les grandes écoles. Dans le cadre de mon cursus en école de commerce, je me suis spécialisée, comme nombre d'autres étudiants, en marketing. Cependant, beaucoup d'entre nous se sont retrouvés à vendre des couches Pampers plutôt qu'à exercer une fonction en lien avec notre formation. C'est une réalité difficile à accepter quand on a fait de longues études. Dès lors, pourquoi ne pas mettre en place des quotas, sur le modèle des numerus clausus de la faculté de médecine ? Cela suppose de lancer des programmes de prospection pour évaluer les besoins futurs des entreprises dans cinq, dix ou quinze ans.

Geoffroy ROUX DE BEZIEUX

Je ne sais pas si le fait de vendre des couches Pampers constitue ou non une activité déshonorante, mais je crois que ce type de remarque est symptomatique du malentendu entre les entreprises et les étudiants. Il faut que ces derniers acceptent de recommencer à apprendre dès lors qu'ils intègrent une entreprise. Or, faire de la vente fait partie de tout apprentissage dans l'entreprise. J'ai moi-même commencé comme représentant chez L'Oréal, bien que je n'avais pas une passion particulière pour ce métier. Reste qu'il faut accepter que cet apprentissage fasse partie du cursus. Cela n'est possible que si le jeune peut gravir les échelons hiérarchiques de l'entreprise.

Le problème vient aussi du fait que les étudiants français font de plus longues études que leurs voisins européens. Je suis toujours étonné de voir des élèves d'école de commerce étudier des cas de stratégie très pointus, et ce alors que tous vont commencer leur expérience professionnelle par des tâches subalternes peu en lien avec ce qu'ils étudient, comme cela est le cas en Angleterre ou aux Etats-Unis. Les étudiants ne savent pas que, malgré leur diplôme, ils vont devoir poursuivre leur apprentissage en entreprise. Dès lors, il n'est pas nécessaire de faire de très longues études, mais il faut au contraire multiplier les stages et les expériences en entreprise.

Bernard VAN CRAEYNEST

Il y a deux aspects dans votre question. Tout d'abord, il faut rappeler que le numerus clausus dans les universités n'existe pas seulement pour les études médicales, mais aussi pour d'autres filières, même si ce n'est pas officiel. Si la sélection des étudiants n'est pas faite à l'entrée, elle a lieu très rapidement puisque seul un certain nombre d'étudiants sont admis en seconde année. Malheureusement, le nombre final de diplômés ne dépend pas du nombre d'emplois à la sortie, mais plus souvent des moyens de l'université, véritable parent pauvre du système éducatif en général.

En outre, il est difficile d'adapter les formations et les places disponibles dans les filières en fonction du nombre d'emplois disponibles à la sortie, car celui-ci est difficile à quantifier en raison de l'évolution des besoins de l'entreprise. Ainsi, en 1989-1990, un rapport établi par un universitaire prévoyait qu'il y aurait une pénurie d'ingénieurs dans les prochaines années.

On a même imaginé augmenter sensiblement les promotions à Polytechnique et dans toutes les grandes écoles. C'est ainsi qu'a été mise en place la filière dite « ingénieur 2000 ». Ainsi, on est allé dans les entreprises chercher des BTS, des DUT, des techniciens supérieurs agents de maîtrise bac+2 pour leur proposer de les réinsérer dans un parcours de formation complémentaire de trois ans pour leur faire atteindre le niveau d'ingénieur. La première promotion « ingénieur 2000 » n'était pas encore sortie que l'on s'apercevait s'être totalement trompés dans l'analyse et n'avoir pas besoin d'autant d'ingénieurs qu'on l'avait imaginé. Cela illustre la difficulté de trouver une adéquation entre l'offre et la demande.

Jean-François MARTINS

Je souhaiterais rappeler pourquoi il n'y a pas de quota ou de numerus clausus dans les autres filières que celles qui conduisent aux professions dites réglementées. Premièrement, notre modèle universitaire a une portée culturelle et humaniste plus qu'une portée utilitariste. On ne peut donc pas mettre le système universitaire français uniquement dans une logique de production. Cela serait très inquiétant pour la conscience collective de notre pays.

Deuxièmement, il est impossible d'établir des besoins chiffrés dans les différentes professions. Sur quelle zone devrions-nous baser ces estimations ? Serait-ce le bassin d'emploi régional ? C'est impossible dans la mesure où les universités ont des ambitions nationales voire internationales. La prospective est impossible dans la mesure où le milieu évolue vite.

Troisièmement, il n'existe pas de filière « bouchée » à mon sens. En effet, toutes les filières conduisent à un socle commun de capacité à apprendre, de capacité d'analyse, etc.

Quatrièmement, les processus de requalification et de formation tout au long de la vie doivent permettre de réévaluer son parcours, et son projet.

Olivier VIAL, président de l'UNI

La question de la méconnaissance du monde de l'université et du monde de l'entreprise est souvent abordée comme un des freins principaux à l'insertion professionnelle des jeunes. Pour rapprocher l'université et l'entreprise, l'université a également son rôle à jouer. A cet égard, des portes s'ouvrent. En particulier, il serait souhaitable de continuer de lever la frontière trop étanche entre le statut d'étudiant et le statut de salarié. De plus en plus d'étudiants travaillent pendant leurs études et de plus en plus de salariés se forment en formation continue. Grâce à cela, nous devons faire en sorte que le travail pendant les études soit valorisé par les entreprises. Nous devons également valoriser les stages au plan pédagogique, mais on ne le valorise pas dans les études. Par ailleurs, l'université doit devenir un acteur de la formation continue. La formation continue est un des meilleurs moyens de rapprocher l'université et le monde de l'entreprise.

De la salle

Comment la formation peut-elle préparer à la vie active, à l'insertion dans le premier emploi et à l'évolution dans la carrière ? Les jeunes aspirent à la mobilité professionnelle. En effet, ils savent qu'ils n'occuperont pas le même emploi toute leur vie. En outre, les métiers en tant que tels seront amenés à évoluer. Cela soulève la question de l'adaptation du système de formation pour permettre aux jeunes de réussir ce parcours professionnel. De notre point de vue, il faut un socle commun de compétences et de culture générale, qui permette cette adaptation. Mais il faut également prendre en compte la question des compétences transversales, ou « transposables », qui ne sont pas du tout transmises par l'université aujourd'hui.

Stéphane ROUSSEL

En tant que DRH, je prêche pour l'école buissonnière à partir d'un certain niveau de savoir. Le CV est plus valorisé si vous êtes actif dans une association, qui ressemble plus à la « vraie vie » que les études ou un tour du monde. Quand nous recrutons des personnes pour des métiers proches du client, nous constatons une carence. Or les fonctions proches du client sont dévalorisées. Pourtant, ces fonctions sont les plus formatrices : elles permettront ensuite de réussir dans tous les autres postes de l'entreprise ; les postes sont disponibles ; et enfin, ces métiers sont bien rémunérés. Il faudrait donc que des personnes de l'entreprise puissent entrer dans le circuit pédagogique pour apporter quelque chose de différent. En tout cas, l'allongement des études n'est pas un critère de recrutement. Quand les gens sont prêts, il faut qu'ils se jettent à l'eau.

De la salle

Quel est l'avenir de la dualité entre l'université et les grandes écoles ?

Jean-François MARTINS

La première spécificité du système universitaire français par rapport à ses collègues européens n'est pas tant qu'il concurrence le système des grandes écoles que son sous-financement. La première spécificité de l'enseignement supérieur français est que l'Etat français investit plus pour un lycéen que pour un étudiant. Cette situation est unique dans le monde. Si demain les universités étaient financées à la même hauteur que les grandes écoles, cette concurrence entre les deux systèmes n'existeraient quasiment plus.

En outre, il faut préciser que seule l'université forme à certains métiers : santé, droit, psychologie et sciences humaines. Par ailleurs, certaines universités forment des diplômés plus performants aujourd'hui que certaines grandes écoles, par exemple dans le domaine du commerce et des métiers d'ingénieur. La dualité est avant tout financière.

Jean-Claude LEWANDOWSKI

Je vous remercie. Je vous propose de clore cette table ronde.

Pour faire la transition avec la seconde table ronde, je vous propose un exposé de Patrick Hetzel, qui est recteur de l'académie de Limoges et président de la Commission du débat national université - emploi.

INTERVENTION DE PATRICK HETZEL, RECTEUR DE L'ACADÉMIE DE LIMOGES, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DU DÉBAT NATIONAL UNIVERSITÉ - EMPLOI

Je remercie Messieurs les présidents de commission de m'avoir invité à m'exprimer. C'est l'occasion de collecter un maximum d'informations. Les échanges qui ont déjà eu lieu sont intéressants pour les travaux de la Commission du débat national université - emploi. Je me bornerai à rappeler certains éléments de cadrage ayant trait à cette commission.

La Commission du débat national université - emploi a été installée en Sorbonne fin avril par Monsieur le Premier ministre en présence de plusieurs autres ministres. Cette commission est composée d'une quinzaine de membres et de deux rapporteurs. Elle a pour objectif de consulter et de recueillir un certain nombre d'avis d'organisations représentatives du monde universitaire (comme la Conférence des présidents d'université) ou du monde étudiant, du monde syndical et du monde professionnel. La commission a d'ores et déjà procédé à un grand nombre d'auditions.

Parallèlement au travail de la commission, les débats ont été lancés dans les académies du territoire français à l'initiative des recteurs. Dans les jours qui viennent, nous récupérerons les synthèses académiques sur ces débats. Ces débats se sont déroulés dans de bonnes conditions. Ils ont permis d'échanger avec les parties prenantes, ce qui était nécessaire après la période que nous venons de traverser.

L'objectif que nous nous fixons est de créer du lien entre l'université et le monde de l'emploi. Il faut que ces deux univers, qui parfois s'ignorent, se rapprochent. Même si ces deux univers peuvent parfois s'ignorer, nous pouvons malgré tout préciser qu'un certain nombre d'initiatives ont été prises pour rapprocher ces deux mondes. Tout ce qui peut être fait pour les rapprocher davantage est cependant intéressant.

Nous rendrons un bilan d'étape prochainement. Nous le présenterons à Monsieur le ministre de l'éducation nationale et de la recherche et au ministre délégué. Dans un temps un peu plus lointain, en automne, la commission rendra son rapport définitif. Il va de soi que l'objectif du travail que nous cherchons à effectuer pour la mi-juin est de nous focaliser sur un certain nombre de mesures susceptibles d'être mises en oeuvre dès l'automne.

Le rapport rendu au mois d'octobre touchera au moyen et au long terme. Il réfléchira à la manière dont les cursus peuvent être professionnalisés. En tout cas, il est important de ne pas superposer les formations dites professionnelles (comme les licences professionnelles) et les formations professionnalisantes. Il conviendra en effet de s'intéresser aux formations généralistes pour tenter d'y intégrer des éléments de professionnalisation.

TABLE RONDE N° 2 - LES OUTILS D'INSERTION : FACILITER LEUR DÉVELOPPEMENT

La table ronde est présidée par :

Jean-Paul EMORINE , sénateur de Saône-et-Loire, président de la commission des affaires économiques, et Nicolas ABOUT , sénateur des Yvelines, président de la commission des affaires sociales.

Le débat est ouvert par :

Florence LEFRESNE , économiste, membre du groupe emploi de l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES).

Interviennent comme grands témoins :

- Christian LURSON , directeur des ressources humaines de SODEXHO France ;

- Charlotte DUDA , directeur des ressources humaines de Stream International, présidente de l'Association nationale des directeurs et cadres de la fonction personnel (ANDCP) ;

- Mansour ZOBERI , directeur de la politique de la ville, de la solidarité et de l'égalité des chances à la direction des ressources humaines de Casino ;

- Jean-Claude BOURRELIER , président-directeur général de Bricorama.

Interviennent comme grands questionneurs :

- Jean-Georges RAYNAUD , directeur des ressources humaines de la holding Pernod Ricard ;

- Bruno JULLIARD , président de l'Union nationale des étudiants de France (UNEF) ;

- Bérengère PAGÈS , directrice des relations avec les entreprises du groupe HEC.

Les débats sont animés par Jean-Claude LEWANDOWSKI , rédacteur en chef des Echos Sup.

I. INTRODUCTION

Nicolas ABOUT, sénateur des Yvelines, président de la commission des affaires sociales

Les débats de la première table ronde me font penser que l'intégration des jeunes diplômés dans l'entreprise est assez comparable à ce que les économistes ont appelé le « triangle magique » de la politique conjoncturelle. Le premier sommet serait la conjoncture économique, le deuxième l'acquisition des savoirs nécessaires à la compréhension globale du monde auquel les jeunes professionnels auront à s'intégrer et à s'adapter sans cesse, le troisième serait l'acquisition au cours des études de savoirs spécifiques liés à l'emploi et préparant l'emploi.

L'articulation entre l'université et l'entreprise pose des problèmes complexes sous les auspices de la conjoncture, qui est souveraine en matière d'emploi, mais pas en matière d'éducation. Nous allons à présent aborder les mêmes questions de fond, dans la perspective des politiques sociales. Nous nous interrogerons en particulier sur le devenir des dispositifs de formation en alternance, qui offrent des solutions concrètes et efficaces à ceux que le système éducatif traditionnel n'a pas porté jusqu'au seuil de l'entreprise.

Nous examinions la façon dont l'université doit se tourner vers l'entreprise. Voyons maintenant la façon dont l'entreprise peut relayer l'université. Je pense d'abord aux possibilités croissantes d'acquérir un diplôme universitaire dans le cadre de l'apprentissage. Nos débats devraient nous permettre de faire un point concret sur le rôle et les perspectives de l'apprentissage en la matière. De très nombreuses universités et grandes écoles ouvrent la possibilité d'acquérir un diplôme d'ingénieur, un DESS ou un mastère par cette voie.

Un autre indice de la montée en puissance de l'apprentissage comme filière de formation réside dans le fait que les diplômes de l'enseignement supérieur ont représenté en 2003 environ 13 % des formations préparées en apprentissage, contre 6 % en 1994. Quels sont aujourd'hui les débouchés de cette voie d'accès à l'entreprise ?

Nous allons aussi entendre parler de la validation des acquis de l'expérience. Où en est-on de ces formules que la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 a entendu relancer ? Quel est leur rôle dans la dialectique du diplôme et de l'entrée dans l'emploi ? Des dispositifs tels que le soutien à l'emploi des jeunes en entreprise ou le contrat d'insertion à la vie sociale intéressaient, il y a peu de temps, les jeunes diplômés de façon plus marginale, puisqu'ils visaient les jeunes peu ou pas qualifiés.

Mais la loi du 12 avril 2006 sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise a élargi le bénéfice de ces dispositifs aux jeunes disposant d'une formation plus élevée que ce qui était prévu initialement dans la mesure où ces jeunes ont des difficultés à trouver un emploi.

Dans la même optique, la loi du 12 avril a supprimé les conditions de formation limitant précédemment le champ d'application du CIVIS. Quelles sont, dans ces conditions, les perspectives ainsi ouvertes aux jeunes diplômés ? Nous évoquerons aussi les contrats en alternance, sachant que les jeunes directement issus du système scolaire sont de plus en plus nombreux à signer un contrat de ce type. Ils ont représenté près de 15 % des entrées en 2004, soit un point de plus qu'en 2003.

Le contrat de professionnalisation, unique contrat en alternance depuis novembre 2004, monte doucement en puissance, avec 1.400 contrats enregistrés en 2004. Quel bilan peut-on faire de ce dispositif à l'heure actuelle ?

Enfin, nous aurons peut-être l'occasion d'aborder des questions plus controversées. Par exemple, le régime juridique du contrat de travail a-t-il une influence sensible sur l'embauche des jeunes diplômés ? Une flexibilité accrue est-elle susceptible d'accompagner ou de contrarier les mouvements de la conjoncture dans un sens favorable à l'embauche ? Le contrat de travail peut-il évoluer pour devenir un véritable outil d'intégration dans l'entreprise ? Les éléments du débat sont encore mal fixés. Rappelons-nous les controverses de ces derniers mois. Quels auraient été les effets du CPE sur la précarité qu'il était destiné à combattre ?

De mon côté, je suis persuadé que le CPE, une fois défait de ses éléments les plus difficiles à expliquer à la jeunesse, aurait intéressé un nombre de jeunes diplômés de l'enseignement supérieur disposant de formations déconnectées des exigences de marché. Je suis tenté, en pensant à ces jeunes, de poser aux grands témoins réunis à cette table une question subsidiaire. Peut-on imaginer en faveur de ces jeunes un outil spécifique ? Faut-il imaginer un nouvel instrument ?

Je vous remercie de votre attention.

Florence LEFRESNE, économiste, membre du groupe emploi de l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES)

Nous aurions pu fêter l'année dernière les 30 ans de la politique publique de l'emploi. En effet, les premiers stages Granet dataient de 1975. Le premier pacte national pour l'emploi de 1977, sous le gouvernement de Raymond Barre. Depuis une trentaine d'années, nous avons assisté à un empilement de dispositifs se succédant au gré des alternances politiques, ou s'ajoutant au gré des conjonctures économiques, offrant à leurs usagers, les jeunes, assez peu de lisibilité.

Ces dispositifs concernent actuellement un million de jeunes, une classe d'âge étant constituée d'environ 850.000 personnes. Ils ont massivement contribué à la reconstruction des parcours d'insertion des nouvelles générations. En effet, la moitié d'une classe d'âge dans les cinq ans suivant la sortie du système éducatif aura affaire à une mesure de la politique de l'emploi. Les contrats subventionnés par l'Etat représentent actuellement près de 40 % de l'emploi des moins de 26 ans. Ainsi, dans un régime économique de type libéral, nous assistons à une institutionnalisation très forte des parcours d'accès à l'emploi.

L'hétérogénéité qui marque ces dispositifs se révèle à travers la diversité des modalités de recours pour les employeurs, à travers la variété des conditions faites aux jeunes, etc. Quels sont les éléments permanents de ces dispositifs ? Quels sont les différents registres sur lesquels jouent les politiques d'insertion ? Quel bilan peut-on en tirer ?

Les politiques d'insertion jouent d'abord sur le registre de l'allégement de cotisations sociales pour les employeurs du secteur marchand. Les établissements de moins de vingt salariés sont les principaux utilisateurs des mesures. Au sein de ce premier groupe, il faut distinguer les dispositifs reposant sur une exonération simple de charges sociales des dispositifs incluant une dimension de formation, comme les dispositifs en alternance.

Le second registre de l'action publique repose sur les créations dans le secteur non-marchand. Les TUC ont donné naissance au contrat emploi-solidarité au début des années 1990. Puis, une inflexion s'est opérée en 1997 avec la création des emplois nouveaux services, qui misaient sur une professionnalisation assez forte de ces emplois. Il s'agissait de faire émerger et de professionnaliser de nouveaux types de métiers dans le secteur non-marchand. Avec les emplois jeunes nouveaux services, l'horizon temporel des contrats a été allongé à cinq ans. En outre, la définition des parcours était beaucoup plus qualifiante. En outre, l'alternance de 2002 a mis fin à ces contrats. La loi de cohésion sociale a prévu un Contrat d'accompagnement dans l'emploi. Nous connaissons bien la fonction de traitement social important que remplit ce type de dispositif, les employeurs du secteur non-marchand étant en position de jouer un rôle contracyclique.

Le troisième registre concerne l'accompagnement des jeunes en difficultés, après notamment le rapport Schwartz de 1982, qui a donné naissance à tout le réseau français des missions locales et des PAIO. Ce rapport préconisait un traitement global de l'insertion, c'est-à-dire un traitement qui associait un traitement professionnel à l'insertion sociale. L'idée de construction de parcours individualisé sur une durée suffisamment longue a été reprise à travers le dispositif TRACE (Trajectoire d'accès à l'emploi), issu de la loi contre les exclusions de 1998, qui, par la suite, a été remplacé par le contrat civique qui en reprend les principaux traits. A ces dispositifs d'accompagnement se sont ajoutés des dispositifs nouveaux, issus des plans d'urgence de l'été dernier.

Nous pouvons tirer quatre principales leçons de cette politique.

Premièrement, tous ces dispositifs, dont nous avons vu l'importance en termes de budget public, n'ont pas réellement réussi à réduire le chômage des jeunes, qui reste deux fois plus élevé que celui du reste de la population. A ce sujet, il faut dire que le taux de chômage relatif des jeunes est comparable à peu près dans tous les pays d'Europe. Par exemple, l'apprentissage en Allemagne ne préserve plus - loin s'en faut - du chômage. Alors que l'Allemagne présentait un taux de chômage des jeunes, inférieur au taux de chômage moyen, la situation s'est inversée depuis cinq ou six ans.

Deuxièmement, ces mesures corrigent très peu la sélection du marché du travail. Par exemple, les contrats d'alternance ont de très bons résultats en termes d'accès à l'emploi. Cependant, il faut souligner que 65 % des jeunes accédant au contrat de qualification (actuellement refondu dans le contrat de professionnalisation) ont déjà un niveau post-bac. Autrement dit sont évincés de fait les jeunes sans diplôme (qui sont 150.000 chaque année, soit 20 % des sortants du système éducatif). Ces derniers bénéficient d'autres mesures, comme les mesures du secteur non-marchand ou les parcours d'accompagnement de CIVIS, qui présentent de bien moins bons résultats en termes d'accès à l'emploi. C'est pourquoi -je crois- beaucoup de jeunes et d'observateurs se sont déclarés très sceptiques quand on leur a affirmé que le CPE s'adressait avant tout aux personnes non-qualifiées. Sans ciblage explicite sur une catégorie vulnérable, les entreprises auraient été tentées de recruter prioritairement les publics déjà diplômés.

Troisièmement, notre politique publique d'insertion est caractérisée par une faiblesse des négociations. Par exemple, les contrats jeunes en entreprise (rebaptisés Soutien à l'emploi des jeunes) visent l'accès à un CDI pour un public infra-bac ou un public de bacheliers présentant des difficultés caractérisées de chômage. Or on ne joue que sur le registre de l'incitation financière, par une exonération totale de charges sur deux ans, puis de 50 % sur la troisième année. A cet égard, il faut rappeler que nous accumulons chaque année 15 milliards d'euros d'exonération de charges pour favoriser l'emploi des jeunes. La Cour des Comptes attend des évaluations sérieuses sur ces exonérations. Pour ma part, je pense que le fait de jouer sur ce régime unique de l'incitation fiscale ne donne que très peu de marges de manoeuvre aux responsables de la politique publique. Pourquoi l'Etat ne se donne-t-il pas davantage les moyens de négocier avec les employeurs le contenu même de l'emploi confié aux jeunes ? Par exemple, en Suède ou au Danemark, ce contenu est étroitement négocié avec les partenaires sociaux, ce qui permet, d'une part, d'éviter les effets d'aubaine et, d'autre part, d'inscrire ces premières expériences de travail dans des parcours ascendants.

Quatrièmement, il faut souligner que la politique de l'emploi a été le formidable laboratoire de la transformation des normes de l'emploi. Les jeunes ont une position particulière sur le marché du travail. Par leur position d'entrants sur ce marché, ils constituent une plaque sensible des transformations. Ils ont été la principale cible de l'emploi temporaire. Un tiers des moins de 29 ans est en CDD (et 40 % dans le secteur non-marchand). Certes, avec l'âge, la proportion de salariés dans ce type de contrat diminue mais le dernier bilan Formation-Emploi de l'INSEE montre que chaque génération occupe finalement moins d'emplois stables que la précédente.

En somme, les jeunes sont les têtes de pont des transformations structurelles à l'oeuvre sur le marché du travail. Il faut prendre très au sérieux le bilan de ce formidable laboratoire que constituent les politiques publiques d'emploi et faire un certain nombre de préconisations.

Premièrement, il ne faut pas confiner la jeunesse dans des statuts précaires, qui ne résolvent en rien la question du chômage. La première cause d'entrée en chômage en France est la fin d'emploi précaire.

Deuxièmement, il faut élargir la politique de l'emploi qui ne doit pas rester la prérogative exclusive de l'Etat. Elle doit faire de l'emploi des jeunes et de l'emploi dans son ensemble un enjeu de grand débat national en France, qui engage l'ensemble des acteurs concernés, au premier rang desquels les partenaires sociaux.

Troisièmement, je crois que le statut de l'emploi est à réinventer : se former tout au long de la vie, changer d'employeur, changer de métier, se consacrer éventuellement pour un temps à la vie familiale ou à la vie associative et politique. Tout cela conditionne l'efficacité même de notre appareil productif. Cela nécessite également d'inventer de nouveaux statuts et de nouveaux droits pour les salariés.

Je vous remercie.

II. INTERVENTION DES GRANDS TÉMOINS

Christian LURSON, directeur des ressources humaines de SODEXHO France

SODEXHO emploie 30.000 personnes en France. Nous recrutons environ 3.000 personnes par an pour faire face à la croissance. Une politique sociale de l'entreprise ne se décrète pas. Elle s'organise. Il faut savoir en prendre les moyens. SODEXHO a toujours privilégié l'emploi des jeunes. Nous avons donc quelque expérience sur le sujet. C'est aussi de la responsabilité de l'entreprise d'aller au contact, et notamment de l'Education nationale. C'est de la responsabilité de l'entreprise d'expliquer aux étudiants ce qu'est une entreprise et ce que sont ses métiers. Pour ce faire, nous avons créé, au sein de la direction des ressources humaines, un poste de responsable des relations écoles dont la mission est double : expliquer quels sont nos métiers et créer des partenariats avec des établissements d'enseignement afin d'accueillir des jeunes en stage, en alternance ou dans le cadre d'un premier emploi.

Par ailleurs, SODEXHO a signé une convention avec l'Education nationale. Nous accueillons des professeurs en stage pour leur montrer le monde de l'entreprise. C'est une passerelle de construire des ponts avec les écoles.

Ensuite, le jeune doit être en capacité d'exprimer un projet professionnel à un moment dans sa vie. En face, l'entreprise fait une promesse et doit tenir son engagement, notamment au moment de l'embauche. Pour cela, l'entreprise doit se donner les moyens pour suivre les jeunes durant les premiers mois de vie active. Ainsi, nous avons mis en place un dispositif de tutorat. Nous avons formé 300 personnes dans l'entreprise au tutorat pour accompagner les gens entrant dans l'entreprise et les personnes en période de professionnalisation.

Enfin, pendant la période d'emploi, il existe deux dispositifs : la VAE et le droit individuel à la formation. Ces deux dispositifs sont des dispositifs privilégiés. Somme toute, l'apprentissage est, à mon sens, le moyen privilégié pour réunir le monde de l'éducation et de l'entreprise. Nous sommes pour notre part fervents partisans et acteurs dans le domaine de l'apprentissage dans notre entreprise. C'est le moyen pour permettre au jeune de confronter ses connaissances à la réalité de l'entreprise.

Charlotte DUDA, directeur des ressources humaines de Stream International, présidente de l'Association nationale des directeurs et cadres de la fonction personnel (ANDCP)

Il est très difficile de généraliser sur les jeunes ou sur l'entreprise. Les jeunes représentent des réalités très différentes. Ainsi, il faut examiner les filières de diplômes individuellement. En effet, les situations sont très différentes. De même, les entreprises diffèrent beaucoup entre elles. Ainsi, la SODEXHO n'a rien à voir avec une entreprise artisanale.

Le taux de chômage des jeunes est particulièrement perturbant. Mais nous sommes dans un entre-deux qui risque de se renverser. En effet, avec le papy-boom, la donne risque de changer « brutalement ». Les jeunes fantasment parfois des évolutions professionnelles qui n'ont pas grand-chose à voir avec ce que peuvent proposer les entreprises. C'est donc aux entreprises d'aller vers les écoles le plus tôt possible. C'est pourquoi nous proposons d'engager des réflexions sur l'animation des bassins d'emploi. Il est nécessaire de créer des coopérations et des ponts entre les univers. Nous préconisons des stages non seulement pour les étudiants, mais également pour les enseignants. Si ces stages peuvent être reconnus comme du temps professionnel et compter pour les points retraite (au moins partiellement), cela nous semblerait véritablement formidable. Il faut créer des ponts entre les divers univers. Je suis DRH depuis 15 ans. J'ai passé la moitié de ma carrière dans le secteur social, dans le domaine de la réinsertion. Or depuis 15 ans, personne n'est venu frapper à ma porte pour me proposer d'insérer qui que ce soit. Il y a donc des liens à bâtir entre les différents univers.

Par ailleurs, l'inégalité des jeunes devant le chômage soulève la question des discriminations. Heureusement, nous sommes dans un monde économique marqué par un fort développement des emplois de service, pour lesquels la référence du diplôme n'est plus suffisante. Nous avons évoqué les habiletés, les tests, l'importance du comportemental, etc. Il serait donc souhaitable que des passerelles soient jetées entre les ANPE et les universités ainsi que les centres de formation pour transposer les savoir-faire acquis tout au long de la vie professionnelle dans un wording présentant ces savoir-faire.

Il faudrait qu'à chaque diplôme soient précisés les savoir-faire acquis. Je suis catastrophée d'entendre certains dire que les étudiants d'histoire ne savent rien faire et qu'ils n'ont pas de chance d'avoir choisi une filière bouchée. A mon sens, il n'y a pas de filière bouchée. Un jeune étudiant en histoire sait faire des recherches, ce qui est précieux. Il sait rédiger des notes de synthèse. Il sait tirer des conclusions. Il sait identifier des tendances. Il a donc des savoir-faire, qui sont précieux. Cependant, l'entreprise est dans une préoccupation de court terme. Elle a besoin de le rendre opérationnel le plus vite possible tout en cherchant à le fidéliser. Or la fidélisation entre en concurrence avec les jeunes diplômés dans leur entrée dans l'entreprise. C'est pourquoi les formations en alternance fonctionnent si bien et sont si bien adaptées. Par exemple, l'exemple des étudiants de médecine pourrait être étendu à d'autres filières universitaires, ce qui permettrait de réaliser une alternance plus grande entre les études et l'imprégnation dans la vie professionnelle et la vie des entreprises. Il est clair en tout cas que le souci de fidélisation de l'entreprise contribue à privilégier des emplois de début de carrière de jeunes qui ont des cursus universitaires. En effet, nous réalisons en France des orientations qui interviennent beaucoup trop tôt pour être en adéquation avec le marché et avec le goût des uns et des autres. Il est clair que dans nos entreprises, certains bacs+5 ont étudié la biologie, la géographie, etc. Ils débutent au bas des métiers de l'entreprise pour, très vite, évoluer dans des filières de management. Or ces jeunes sont en concurrence avec les jeunes sortant de l'université.

Mansour ZOBERI, directeur de la politique de la ville, de la solidarité et de l'égalité des chances à la direction des ressources humaines de Casino

Le Groupe Casino a trois métiers : la distribution, la restauration et la logistique. Il compte 106.000 salariés en France et 209.000 dans le monde. Nous comptons 75.000 CDI au sein du Groupe Casino. Par ailleurs, le Groupe a embauché 2.000 jeunes en 2005. Nous avions l'année dernière 664 stagiaires dans le Groupe. En outre, nous comptions un grand nombre d'apprentis. L'originalité du Groupe est d'avoir mis en oeuvre une politique de l'insertion depuis 12 ans. En effet, la moitié de notre parc de supermarchés est située dans un site ou dans une zone urbaine sensible.

Sur les 2.000 jeunes qui entrent dans l'entreprise, il y avait en 2005 environ 800 agents de maîtrise, dont 109 personnes d'origine étrangère ou issues de minorités visibles. 10 % de nos apprentis sont également issus de minorités visibles. Cette politique se traduit par un certain nombre d'engagements. Nous avons d'ailleurs conclu un partenariat avec l'Etat sur ces questions. Nous avons également pris des engagements dans une charte édictée en 2001. Nous y écrivons notre engagement de promouvoir l'égalité des chances en luttant contre toutes les discriminations, y compris contre les handicapés. Plutôt que le CV anonyme, nous cherchons à prendre en compte l'aptitude et le comportemental. Ainsi, dans les derniers projets de Casino, nous avons annoncé clairement que nous favorisons l'emploi local et l'emploi des publics prioritaires, et notamment parmi les employés (par une méthode de recrutement par simulation).

Parallèlement à ces engagements sur les publics prioritaires, nous avons également un objectif d'emploi pour les jeunes diplômés. Nous recrutons notamment beaucoup à bac+2. Cela permet de faire fonctionner « l'ascenseur social ». Ainsi, le directeur général de la filière Cafétéria Casino est autodidacte. La progression dans la carrière est égale pour tous. En effet, nous avons mis en place un outil permettant de le constater. Cet outil permet de mesurer la diversité à travers une étude des patronymes (qui a été autorisée par la CNIL). Le diagnostic auquel nous avons abouti (que nous partageons avec l'ensemble des syndicats) est qu'une fois dans l'emploi, il n'y a aucune discrimination dans l'évolution de carrière.

Cette politique est issue d'années de travail, de « micro-actions », de l'accumulation de dispositifs divers (CDI, CDD, contrat de professionnalisation, alternance, etc.). Par ailleurs, nous sommes signataires de la charte d'apprentissage. Nous sommes également, comme 250 autres entreprises, signataires de la charte de la diversité.

Jean-Claude BOURRELIER, président-directeur général de Bricorama

J'aurais souhaité quitter le plus tard possible le monde de l'éducation comme la plupart des auditeurs réunis dans cette salle. Malheureusement, la société n'était pas aussi riche qu'aujourd'hui et des choix étaient faits entre ceux qui avaient droit aux études et ceux qui avaient le devoir de travailler. La société ne « cocoonait » pas ses enfants autant qu'aujourd'hui. Les mondes sont différents.

Je suis entré en apprentissage à 14 ans. Ma famille était pauvre. Mon père était malade. J'ai quitté l'école dans la douleur : le choix du métier n'avait pas tellement d'importance, puisqu'il fallait que je gagne ma vie. L'apprentissage a été une des années les plus difficiles de ma vie. C'est pourquoi je me réjouis des évolutions de l'apprentissage. Mais je garde un tel sentiment d'injustice par rapport à ceux qui allaient à l'école que je me suis battu pendant des années pour que les droits sociaux de ceux qui ont été obligés de travailler jeunes soient les mêmes que ceux qui ont eu la chance de bénéficier d'études longues. J'ai eu des discussions avec Martine Aubry sur la nécessité de l'adaptation des droits des apprentis. Mais la ministre est restée sourde à cette revendication. A mon sens, il aurait fallu établir les mêmes droits à la retraite après 40 ans de travail, quel que soit l'âge que l'on a atteint par la personne entrant en retraite. Je me demande d'ailleurs si une personne qui a travaillé pendant quarante ans dans un métier manuel n'a pas plus droit à sa retraite que celui qui a commencé à travailler dans un poste de responsabilité. Malheureusement, la gauche est restée sourde à cette demande, qui a été mise en oeuvre par la droite. Cela a été une avancée.

Je souhaiterais aller encore plus loin. Il faut que les mêmes droits sociaux soient accordés aux personnes entrées en apprentissage qu'aux personnes ayant fait des études longues. Nous pourrons alors avoir un sentiment de justice. Il faut que la société cesse de distinguer ses enfants en fonction de leur origine sociale. C'est une nécessité. Il faut décloisonner la société. Pour ce faire, les enseignants ne devraient plus être recrutés à la sortie de leurs études. Ils devraient en effet être recrutés après un parcours professionnel. Ceux qui réussissent le mieux dans l'enseignement ont des qualités intellectuelles certaines, puisqu'ils réussissent les concours qu'ils passent. Mais ils n'ont pas forcément les qualités professionnelles nécessaires. Il faudrait que la sélection des enseignants soit moins discriminatoire et qu'elle soit opérée après une expérience professionnelle. Ainsi, les enseignants cesseraient de dispenser à nos enfants des vérités qui n'en sont pas. Ils enseigneraient sans doute que, dans la vie, il faut s'adapter. Il faut que les enseignants cessent de dire que les étudiants n'ont que des droits et pas de devoirs. Vis-à-vis d'une société, on a autant de droits que de devoirs.

Chez Bricorama, nous avons un cadre s'occupant des relations avec les Chinois. Avant les Chinois étaient à notre service. La situation est en train d'évoluer. Dans la mesure où de moins en moins de produits sont manufacturés en France, les Chinois se trouvent de plus en plus en situation de force par rapport à nos pays. Nous devons à présent nous adapter. Nous créerons un bureau en Chine. Nous recruterons trois Chinois, ainsi qu'un stagiaire sortant de l'école qui souhaite faire sa première expérience en Chine. Pour recruter cette personne, nous avons lancé une offre d'emploi sur Internet. La personne la plus adaptée au poste ira en Chine.

III. DÉBATS

Bérengère PAGÈS, directrice des relations avec les entreprises du groupe HEC

On dit toujours que les institutions d'enseignement doivent orienter les étudiants vers des stages. C'est certes important, mais les entreprises doivent également s'impliquer et aller vers les étudiants. En effet, ces derniers ne connaissent pas vraiment les métiers de l'entreprise. L'implication des entreprises est très importante. Mais je souhaiterais vous demander jusqu'où vous pensez que votre rôle doit aller dans les institutions d'enseignement ? Faut-il aller plus loin dans l'adéquation entre les études et l'emploi ? Ou laissez-vous à l'école le soin de former les étudiants pour leur permettre d'avoir des compétences générales leur permettant d'exercer différents métiers au cours de leur existence ?

Charlotte DUDA

Je dirais que l'on demande beaucoup aux entreprises. Or l'entreprise a un impératif d'efficacité. Par conséquent, nous répondons présents quand cela se révèle nécessaire. Cependant, il faut laisser ses responsabilités à chaque univers. Nous devons cohabiter avec l'Education nationale et non pas nous immiscer dans son univers. Nous devons nous comprendre, nous retrouver autour de la table et partager du temps ensemble pour se connaître, de manière à faire tomber le plus grand nombre de barrières possibles. Néanmoins, chacun doit continuer de jouer son rôle dans un partenariat.

Jean-Claude BOURRELIER

Nous ne pouvons pas tout demander à l'entreprise. La fiscalité française est une des plus lourdes du monde. En outre, nous devons avoir une des productivités les plus élevées du monde à cause des amplitudes horaires de nos salariés. Si dans les pays du Nord, la fiscalité est plus élevée qu'en France, au moins, l'administration est efficace. Je veux bien payer des impôts à condition que l'administration fasse un travail efficace. On ne peut pas demander aux entreprises de payer beaucoup d'impôts, de faire face à un temps de travail réduit et de faire le travail de l'administration ! Sinon, on n'y arrivera pas.

Charlotte DUDA

Nous pouvons également ajouter que la coopération avec l'univers de l'école et de l'entreprise devrait commencer très tôt. Certains bassins d'emploi comme la Lorraine ont expérimenté, entre autres, des gestions de projets d'entreprise avec des jeunes des écoles primaires. Nous devrons apprendre à vivre ensemble très tôt et à se connaître. Cela permettra aux enfants de mieux s'orienter et de cesser de fonctionner dans la méfiance et l'opposition.

Jean-Georges RAYNAUD, directeur des ressources humaines de la holding Pernod-Ricard

En ce qui concerne la mobilité internationale, comment peut-on améliorer la mobilité des jeunes à l'étranger ? Avez-vous recours aux VIE (Volontaires internationaux en entreprise) ? Rencontrez-vous des difficultés ? Pernod-Ricard est devenu au cours de ces dernières années un groupe très international, puisque 90 % de notre activité aujourd'hui est réalisée hors de France. Nous avons besoin de jeunes prêts à nous rejoindre pour ensuite partir dans nos différentes filiales à l'étranger. Nous venons de recruter un jeune responsable de la consolidation financière, qui vient de notre filiale de Shanghai. Il a fait un parcours de VIE en Chine après un stage dans une de nos filiales en Europe.

Mansour ZOBERI

Nous avons des effectifs restreints à l'étranger, puisque que notre politique de développement à l'international repose essentiellement sur le co-développement et le partenariat. Ainsi, un faible de nombre de nos cadres est envoyé à l'étranger. L'essentiel des effectifs à l'étranger sont des effectifs locaux. Nous avons environ 200 VIE par an dans l'ensemble du Groupe Casino.

Jean-Claude BOURRELIER

Bricorama n'a pas de directeur général. Le 21 juin, j'annoncerai la nomination d'un directeur général belge. C'est un collaborateur belge qui vient prendre le poste de directeur général en France. En effet, dans une entreprise, il faut faire preuve de pragmatisme. Il faut s'adapter. Il ne faut pas faire de différence entre les différentes nationalités. Je n'ai pas d'autres solutions que de m'adapter et de promouvoir celui qui a la plus grande légitimité vis-à-vis de ses collègues.

Les collaborateurs ayant fait des études longues ne bénéficient pas d'avantages liés aux diplômes. Nous promouvons nos collaborateurs en interne. C'est ainsi que nous les fidélisons. Le recrutement de personnes ayant des diplômes et qui ne seraient pas issues de la base créerait une autre ambiance. Nous mettons plutôt l'accent sur l'adaptation comportementale des personnes à l'entreprise pour leur intégration chez nous.

Bruno JULLIARD, président de l'UNEF

Il faudrait opérer une révolution culturelle dans le domaine des relations entre le monde de la formation et l'entreprise. En effet, au cours des derniers mois, nous avons pu constater l'existence d'une défiance réciproque entre les jeunes et le monde de l'entreprise. Beaucoup de patrons ont décrit les jeunes dans la rue comme une jeunesse décérébrée, qui ne souhaitait pas se jeter à l'eau, etc. A l'inverse, chez les jeunes, l'entreprise n'a pas bonne image. Elle est vue comme abusant de stagiaires non-rémunérés, utilisant le déclassement, n'investissant pas dans le système d'enseignement supérieur, etc.

Considérez-vous que cette vision de l'entreprise soit totalement erronée ? Ou les entreprises doivent-elles faire un effort particulier pour offrir des conditions d'accueil aux jeunes diplômées, qui soient différentes des conditions actuelles ?

Par ailleurs, n'y a-t-il pas un problème de représentation des jeunes diplômés et des jeunes salariés au sein de l'entreprise ? Ils sont peu représentés par les syndicats. Ils ne sont pas du tout représentés par les organisations étudiantes.

Christian LURSON

Vos propos sur les tensions entre les jeunes et les entreprises sont sans doute, pour partie, vrais.

En tout cas, je crois beaucoup à la valeur du témoignage. Ainsi, quand nous rencontrons des jeunes dans les établissements d'enseignement, nous sommes souvent accompagnés d'un collaborateur de SODEXHO issu de cet établissement. Cela permet de parler de la réalité du travail proposé aux étudiants.

Charlotte DUDA

Tout est vrai. Personne ne ment. Les entreprises ne communiquent pas suffisamment sur leurs bonnes pratiques. Les DRH ne sont pas assez reconnus pour tout le travail que nous réalisons pour mettre en place des politiques de recrutement des jeunes. Néanmoins, il ne faut pas rêver ! Le chômage des jeunes fluctue entre 10 % et 40 %. Il est donc normal que les jeunes soient mécontents et que la difficulté à entrer dans le monde du travail reste une préoccupation majeure. La fragilisation des contrats de travail est également une réalité. Il est normal qu'elle alimente une certaine inquiétude sur le futur. Néanmoins, le papy-boom s'approchant, les auspices sont meilleurs pour le travail des jeunes.

En somme, si l'on entend souvent parler des entreprises « voyous », il faut souligner que nombre d'entreprises mènent des politiques réelles pour promouvoir la diversité.

En outre, il faut préciser que la culture diffère fortement selon les secteurs. Le secteur représenté aujourd'hui à la tribune est surtout celui des services, où nous ne recrutons pas seulement sur diplôme. La diversité fait partie de notre culture d'entreprise. Nous sommes des entreprises internationales, qui ont l'habitude de dresser des ponts entre les différents pays d'Europe et au-delà.

Florence LEFRESNE

La place de la représentation politique des jeunes au sein des entreprises est un véritable enjeu. L'une des clefs de lecture du récent mouvement social contre le CPE et la formidable cohésion des organisations syndicales et des organisations de jeunesse nous permet de comprendre à quel point la syndicalisation de la jeunesse est un des enjeux majeurs pour les syndicats de notre pays, tout comme la syndicalisation est un enjeu pour la jeunesse de ce pays. On voit bien qu'aux moments les plus forts des tensions sociales, le premier qui se retirerait risquerait de perdre pour très longtemps sa crédibilité aux yeux des jeunes. Je crois que toutes les organisations syndicales sont très conscientes de leur vieillissement, qui est accentué par le vieillissement de leurs représentants notamment.

C'est pourquoi j'insistais sur les enjeux énormes de la politique publique de l'emploi comme terrain de négociation sociale. L'insertion a été une des prérogatives essentielles de l'Etat. L'alternance est un contre-exemple dans la mesure où elle est issue d'un accord interprofessionnel. Mais cet accord interprofessionnel est très faible du point de vue de la négociation. En effet, les partenaires sociaux ont négocié très peu de choses. Les syndicats se sont tellement mobilisés sur la question de la précarisation qu'ils ont fermé les yeux sur la question de la politique de l'emploi. Ceci n'est plus une position tenable. La question que vous posez est liée à celle de l'engagement des acteurs sociaux dans la question de l'emploi en général, et notamment à travers la politique de l'emploi.

Charlotte DUDA

Dans nos entreprises, où les moyennes d'age sont peu élevées, nous avons des représentants du personnel et des organisations syndicales qui sont assez jeunes. Cependant, on peut noter que les jeunes ne se pressent pas pour participer aux organisations syndicales. En effet, dans les entreprises comme les nôtres où nous souhaitons engager le dialogue social très en amont pour partager les enjeux, les jeunes comprennent les enjeux. Nous sommes donc capables de co-construire la stratégie de l'entreprise très en amont, pour donner de la visibilité, partager ensemble les difficultés pour trouver des solutions, etc. C'est un changement de mentalité, dont je peux vous dire qu'il porte ses fruits.

Jean-François VASSE, directeur des relations sociales chez Décathlon

Décathlon fait l'essentiel de son chiffre d'affaires pendant les périodes de vacances. Il se trouve que ces périodes sont également celles où les étudiants sont le plus disponibles. Nous travaillons donc beaucoup avec eux. Nous connaissons bien les étudiants. Nous recevons 350.000 CV chaque année. Ces jobs d'été sont très importants pour le financement des études.

Or il me semble que dans le paysage juridique français, il manque un contrat adapté : ni le CDI ni le CDD n'est adapté à ce type de travail. En effet, le recrutement en CDD implique pour nous beaucoup de travail de recrutement, de formation, de gestion administrative, etc. Nous avons donc imaginé un contrat d'étude, qui serait réservé aux étudiants. Il pourrait garantir les étudiants contre la précarité. Un tel contrat, dont il faudrait définir les modalités, offrirait à l'étudiant une visibilité pour le financement de l'ensemble de la durée de ses études. Pour l'entreprise, cela permettrait une fidélisation et un plus grand investissement en termes de formation. Pour l'étudiant, ce serait une véritable formation et ce serait une première vraie expérience dans l'entreprise.

Jean-Claude BOURRELIER

Je vous félicite de cette proposition. Mon fils vient de terminer un stage chez Décathlon la semaine dernière. Vous avez cherché à le recruter. Il a refusé pour poursuivre ses études à La Sorbonne. Mais, en tout cas, Décathlon est une entreprise modèle.

CLÔTURE DU COLLOQUE - GÉRARD LARCHER, MINISTRE DÉLÉGUÉ À L'EMPLOI, AU TRAVAIL ET À L'INSERTION PROFESSIONNELLE DES JEUNES

Monsieur le Président de la commission des affaires économiques, Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs les représentants des partenaires sociaux, Mesdames et Messieurs les responsables d'entreprise, les représentants du monde universitaire et les représentants des étudiants, Mesdames et Messieurs,

En cette journée, je me suis occupé de deux segments spécifiques de notre marché de l'emploi. Ce matin, nous avons présenté le plan seniors, qui est le fruit du travail des partenaires sociaux. Il est né d'une discussion interprofessionnelle et d'un accord interprofessionnel. Il s'inscrit dans la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, fruit de la loi de modernisation sociale. Nous sommes un pays où le taux d'activité des plus de 55 ans est parmi les plus faibles. En effet, pendant longtemps, nous avons fait de l'âge la variable d'ajustement de nos plans sociaux : âge de sortie et âge d'entrée. Et nous avons d'ailleurs prolongé les études ad libitum pour éviter de nous confronter aux réalités du marché de l'emploi.

Qu'on le veuille ou non, le taux d'activité en France est plus faible que chez nos voisins. Le taux de multiplication par rapport au taux de chômage national est très supérieur à celui de l'Allemagne. Les contrats jeunes en entreprises coûtent quelques centaines de millions d'euros. La maîtrise du coût du travail est le fruit du plan de Robien, du plan sur les 35 heures et du plan du Juppé. Elle coûte 19 milliards d'euros d'allégement. Le Conseil d'orientation pour l'emploi travaille sur ce sujet. Mais ceci profite d'abord aux salaires les plus modestes, avec un risque, qui est l'effet de trappe à bas salaires, sur lequel nous devons réfléchir. Aujourd'hui, les contrats jeunes en entreprise, les CIE et les contrats de professionnalisation pour les jeunes ont concerné en 2005 environ 125.000 jeunes de niveau 5 bis et 6, alors que les emplois jeunes concernaient à 75 % d'entre eux des niveaux bac et bac+2 (40 % pour les bac+2). Le public que nous ciblons aujourd'hui rassemble non seulement les jeunes diplômés, mais également ceux qui « galèrent » pour entrer dans l'emploi. Nous devons donc apporter une réponse globale. Voilà pourquoi nous avons mis en place les dispositifs comme les parcours d'accès à la vie active dans l'entreprise.

Notre pays s'est forgé un certain nombre d'outils, et notamment dans la période récente : par exemple, l'accord unanime des partenaires sociaux de septembre 2003 sur le droit individuel à la formation. Il s'agit d'un outil pour demain. Par ailleurs, la validation des acquis de l'expérience, fruit de la loi de modernisation sociale, était encore confidentielle en 2003 (3.000). Son nombre a augmenté à 20.000 en 2004, 60 000 en 2006 et 120.000 en 2007. Il s'agit d'un outil permettant aux personnes qui se formeront tout au long de la vie de valider les acquis de leur expérience. C'est une révolution culturelle. Enfin, le contrat de professionnalisation est aussi le fruit du dialogue avec les partenaires sociaux. C'est également un outil de formation des jeunes et de formation tout au long de la vie, y compris pour les seniors. En somme, nous disposons d'outils pour opérer.

Quelles sont les difficultés ? Tout d'abord, il faut constater une méconnaissance de la part des jeunes diplômés des réalités du marché du travail, de ses règles, de ses modalités d'entrée. Trop nombreux sont les jeunes qui surévaluent l'importance du diplôme au détriment de la motivation, de la connaissance de l'activité et de l'expérience. Il y a, à côté du diplôme, le savoir-faire. A ce premier facteur me semble s'ajouter l'écart entre le diplôme obtenu et le besoin des entreprises. Une étude a été réalisée sur le « taux d'angoisse » des étudiants. Quand le taux d'anxiété était de 7 % pour les étudiants des sciences médicales, il était de 43 % chez les étudiants en sciences humaines. Les étudiants en histoire et en psychologie ont des capacités. Encore faut-il qu'elles se frottent à la dimension de l'expérience et de la professionnalisation. Il y a aussi des écarts entre les diplômes à bac+2 et les diplômes à bac+5. Souvenons-nous que le taux de chômage à la sortie des DUT est inférieur à 5 %. Il faut également souligner la non-représentation de licences et de Masters issus de l'université dans l'univers du recrutement des entreprises.

Enfin, il y a dans trop d'entreprises la crainte de recruter un jeune diplômé. Il faut mutuellement changer de représentations, aussi bien chez les jeunes que dans les entreprises. Certaines représentations ne sont pas construites sur des réalités. Les uns ne sont pas les adversaires des autres. Nous avons la responsabilité, ensemble, de nous apprivoiser. L'apprivoisement passe d'abord par le respect et la reconnaissance. C'est l'inverse de la domestication. C'est un partage d'utilité, ensemble.

Le ministère de l'Education nationale et de l'enseignement supérieur et le ministère du travail ont amélioré le dispositif d'orientation vers des filières en fonction des besoins du marché du travail. Nous prenons en compte les réalités du marché national et les réalités du marché régional. Les Maisons de l'emploi restent à construire ! Les partenaires sociaux doivent utiliser ces Maisons de l'emploi pour mieux analyser les réalités du marché du travail.

En même temps, il faut renforcer la transparence de l'évaluation des débouchés des filières. Il y a un formidable décalage entre les écoles et les universités, entre la formation professionnelle et la formation académique. Il faut se confronter aux réalités.

Par ailleurs, j'ai entendu beaucoup d'alternance. L'alternance du CAP au bac+5 est une grande voie de formation. Aujourd'hui, elle concerne 17 % des jeunes après le bac, soit 63.000 jeunes. Notre objectif est de 100.000.

Notre objectif est un CFA par université. Nous pensons que la filière professionnelle est à l'égal des filières plus classiques.

M'adressant aux entreprises et au président de l'UPA, c'est surtout les PME qui aujourd'hui portent l'alternance. Les PME sont huit fois plus actives que les grandes entreprises. Quand nous demandons aux entreprises d'avoir 1 % de leurs effectifs en formation en alternance en 2006, 2 % en 2007 et 3 % en 2008, nous voulons que les entreprises accueillent des jeunes, ce qui permettrait d'ouvrir 150.000 postes d'ici à la fin de l'année 2008.

Enfin, en ce qui concerne les stages, les stages ne doivent pas constituer un détournement du contrat de travail. Nous avons légiféré sur cette question. Nous sortirons un décret à ce sujet. En effet, nous pensons que le stage s'inscrit dans une expérience, mais aussi dans un cursus pédagogique. Il doit être un élément du cursus permettant ensuite de déboucher sur un véritable contrat de travail. Le stage devrait comprendre les éléments suivants : convention obligatoire, obligation de l'encadrement du stage, évaluation du stage, tutorat.

Pour contribuer à l'insertion, il faut absolument que les universités, à l'instar des grandes écoles et de l'université de Sophia-Antipolis, créent un module de recherche d'emploi et des forums de rencontre entre leurs étudiants et les recruteurs. Les grandes écoles ont su créer des réseaux permettant la rencontre. Les universités devraient procéder de même, à la manière également de Sophia-Antipolis et d'autres. Il faut créer un espace d'insertion professionnelle qui accompagne l'étudiant dans son embauche et dans ses difficultés.

Voilà l'action que nous souhaitons conduire. Il peut vous sembler étrange que ce soit le ministre délégué au travail et à l'emploi qui vienne parler de ces sujets, mais il faut insister sur le fait que nous avons engagé un travail conjoint avec monsieur le ministre de l'Education nationale et de l'enseignement supérieur dans la commission des affaires économiques du Sénat, c'est-à-dire dans un lieu où l'on débat de l'économie, de l'entreprise, de la création d'entreprise. Il est en effet temps que nous abattions les cloisons entre nous, entre les jeunes étudiants et les entreprises. Il faut savoir que dans les dix ans qui viennent, 40 % des entreprises aujourd'hui devront être reprises. Qui en assurera la succession ? A partir de 2010, nous connaîtrons des problèmes liés au baby-boom des années 1945-1950. Cette réalité peut être une chance et une opportunité si nous savons préparer les ressources humaines et si nous parvenons à sortir de schémas anciens.

Je vous remercie.

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