B. UNE GOUVERNANCE INTERCOMMUNALE DÉCEVANTE

1. Le désordre intercommunal en Île-de-France

Les avocats de l'intercommunalité à fiscalité propre mettent en exergue un « consensus intercommunal national » né en 1992 et renforcé en 1999 qui conduit à faire que près de 90 % des 36 777 communes françaises et 86 % de la population sont maintenant regroupés dans des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre.

Ces mêmes avocats soulignent que l'Île-de-France fait exception, mais qu'elle cherche aujourd'hui à rattraper son retard par rapport au reste du territoire. Or, que constate-t-on ? La grande couronne connaît un développement intercommunal proche de celui du reste de la France tandis que la petite couronne semble prendre le train en marche.

Personne pourtant parmi les défenseurs de l'intercommunalité n'offre la moindre explication pour ce décalage. L'explication de ce phénomène est pourtant simple : l'intercommunalité à fiscalité propre n'est pas une solution pour la petite couronne, dans la mesure où ce territoire est un territoire de forte densification où les communes ont toutes déjà atteint la taille démographique et économique critique qui leur permet de pourvoir aux besoins de leur population sans avoir à envisager de s'unir à d'autres communes pour ce faire. Quand elles le font, on constate la plupart du temps qu'il s'agit d'une intercommunalité artificielle sur un périmètre sans pertinence. Ce type d'intercommunalité relève souvent de la commodité politique ou de la simple aubaine en vue de percevoir davantage de DGF.

Dans son rapport annuel sur l'intercommunalité en 2004, le ministère de l'Intérieur ne dit pas autre chose quand ses services écrivent pour souligner les progrès de l'intercommunalité en région Île-de-France : « Cette progression est d'autant plus remarquable que la définition de périmètres pertinents reste difficile en petite couronne, compte tenu de la densité du foncier bâti et du fait de la pertinence de grands syndicats en charge des principaux services publics (eau, assainissement, ordures ménagères...) ». C'est reconnaître clairement que l'intercommunalité n'était en rien une urgente nécessité dans la petite couronne.

En 2006, 103 EPCI à fiscalité propre maillent le territoire de l'Île-de-France et ces 103 EPCI regroupent 47,1 % de la population. On remarque que le Val-d'Oise est intercommunalisé à hauteur de 87 % de sa population, la Seine-et-Marne à hauteur de 79 %, l'Essonne à hauteur de 78 % et les Yvelines à hauteur de 60 % tandis que les départements de la petite couronne affichent des pourcentages nettement moindres : 51 % pour les Hauts-de-Seine, 45 % pour le Val-de-Marne et 26 % pour la Seine-Saint-Denis. Par ailleurs, l'intercommunalité francilienne est caractérisée par une forte intégration fiscale puisque les EPCI à taxe professionnelle unique (TPU) regroupent 84,83 % de la population intercommunalisée. Enfin, il faut savoir que 417 communes en Île-de-France (soit 52,9 % de la population) n'appartiennent pas à un EPCI à fiscalité propre.

On peut donc conclure que l'intercommunalité francilienne progresse et par extrapolation du rythme de cette progression, parvenir à l'idée qu'il s'agit d'un mouvement désordonné, certes, mais continu voire inexorable et que la zone dense pourrait un jour prochain être entièrement couverte. Cependant, à ce stade, l'intercommunalité dans la petite couronne n'est pas rationalisée : premièrement, elle présente un caractère aléatoire (et pas seulement lorsqu'un EPCI est créé avec seulement deux communes membres désireuses de capter de la DGF ou d'échapper aux obligations du FSRIF) ; deuxièmement, les périmètres ne sont pas pertinents ; troisièmement, les services intercommunaux doublonnent ceux des communes déjà très bien dotées. Cette situation peu satisfaisante n'empêche en rien les plus optimistes parmi les acteurs locaux de soutenir que l'organisation intercommunale actuelle, pour imparfaite qu'elle soit, est une étape dans l'amélioration de la gouvernance de la région métropole et que, le moment venu, on procèdera à la rationalisation des périmètres et des compétences.

Il convient toutefois de rappeler que la rationalisation de l'intercommunalité à fiscalité propre doit conduire naturellement à un affaiblissement des pouvoirs communaux et des pouvoirs départementaux . Or, votre rapporteur reste convaincu que la commune doit rester l'échelon de proximité et qu'il convient en Île-de-France, et plus particulièrement dans la petite couronne, de mettre un terme à l'intercommunalité à fiscalité propre.

En effet, la petite couronne a vocation à entrer dans le périmètre d'un Grand Paris dont la gouvernance constituerait l'échelon intermédiaire entre la commune, d'une part, et la région et l'État, d'autre part. Il faut garder à l'esprit que la gouvernance de l'Île-de-France a longtemps été marquée par la double influence de l'État et de la « banlieue rouge ». L'État favorisait le polycentrisme s'incarnant plus particulièrement dans les villes nouvelles, tandis que les élus de la « banlieue rouge » militaient pour conserver leurs pouvoirs et renforcer l'arc Est de la petite couronne. Il apparaît clairement que l'intercommunalité à fiscalité propre a été utilisée dans le même esprit dans l'Est de la petite couronne.

Il est révélateur que lors de la discussion du projet de loi qui devait devenir la loi Chevènement de 1999, la question fondamentale a été posée : faut-il permettre le développement de l'intercommunalité à fiscalité propre dans la région capitale et plus précisément les EPCI à fiscalité propre franciliens doivent-ils relever du droit commun ? La place de Paris, la montée en puissance de la région, l'absence de villes-centres dans la plupart des départements de banlieue et la présence de puissants syndicats intercommunaux à vocation technique plaidaient pour une réponse négative, mais le législateur a préféré faire relever la région capitale du droit commun pour l'intercommunalité.

Le résultat aujourd'hui est que l'intercommunalité à fiscalité propre apparaît inadaptée aux spécificités de l'Île-de-France. La densité du tissu communal a permis cette particularité malheureuse qui fait de l'Île-de-France la seule région où les villes riches se regroupent avec d'autres villes riches, laissant les villes pauvres se regrouper entre elles.

En outre, comme l'État et les collectivités ont longtemps privilégié les grands syndicats à vocation technique, ceux-ci sont devenus de puissantes institutions, qu'il s'agisse du SEDIF (syndicat des eaux d'Île-de-France), créé en 1923 et regroupant 144 communes, du SIPPEREC (héritier du syndicat des communes de la banlieue de Paris pour l'électricité, SCBPE, créé en 1923), chargé de l'électricité et des télécommunications pour 86 communes autour de Paris, ou du SIGEIF (le syndicat intercommunal pour le gaz et l'électricité en Île-de-France), créé en 1904 et regroupant 172 communes autour de Paris. On peut citer également le SIAAP (syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne), qui a été créé en 1970 et qui réunit les quatre départements de la petite couronne (Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne), auxquels s'ajoutent 180 communes de la grande couronne par convention ; le SIAAP est chargé de la dépollution des eaux sales.

Ces syndicats sont anciens et nombreux et ils couvrent des périmètres larges et pertinents, rendant moins nécessaires de nouvelles formes d'intercommunalité comme celles préconisées par la loi de 1999. En outre, les communes franciliennes, et plus précisément celles de la petite couronne, sont suffisamment peuplées ; elles disposent de services étoffés et efficaces et elles tiennent à conserver leur autonomie. Ces réalités expliquent les débuts difficiles de l'intercommunalité à fiscalité propre dans la petite couronne et le résultat peu convaincant que l'on constate aujourd'hui aussi bien sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif.

Ainsi, les nouveaux EPCI déchargés des compétences techniques classiques, déjà entre les mains des grands syndicats intercommunaux, se tournent vers des projets moins concrets axés sur l'aménagement du territoire et le développement économique et fortement imprégnés d'un esprit de défense des intérêts locaux. Certains EPCI ne sont que stratégiques ; ils méprisent les compétences « utilitaristes » et se conçoivent comme des outils de promotion, de lobbying et de captation de la DGF et des subventions. On est très loin du souci d'une gestion rationalisée, plus loin encore de la perception d'un destin commun avec la métropole.

A ce stade, le développement de l'intercommunalité à fiscalité propre dans la petite couronne n'a en rien contribué à la prise de conscience qu'il fallait créer une métropole parisienne, pas plus qu'il n'a contribué à faire se manifester des périmètres rationnels offrant des jalons à une nouvelle organisation territoriale. Ce développement intercommunal a seulement rappelé, en le soulignant, que les frontières départementales de la petite couronne étaient artificielles puisque les périmètres des EPCI à fiscalité propre les chevauchaient sans vergogne. On a même pu dire que les EPCI « torpillaient » les départements de la petite couronne.

Enfin, même l'ADCF (Assemblée des communautés de France), pourtant très favorable à l'intercommunalité, prend position en faveur d'un statut particulier pour la métropole dans son livre blanc pour 2015 et reconnaît les limites de l'intercommunalité à fiscalité propre quand il s'agit du cas particulier de l'Île-de-France.

Le livre blanc de l'ADCF (Assemblée des communautés de France) préconise un traitement spécifique du coeur de l'Île-de-France (proposition n° 11, p. 4) :

« L'application de la loi du 12 juillet 1999 a montré ses carences pour garantir une structuration optimale de l'intercommunalité dans les régions urbaines les plus complexes et notamment dans le coeur dense de l'Île-de-France. Nombre de critiques adressées à l'intercommunalité trouvent leur origine au sein de la région-capitale et plus particulièrement de sa très vaste agglomération centrale.

De fait, il est souhaitable que les débats qui s'engagent à propos du « Grand Paris » ou dans le cadre de la Conférence métropolitaine permettent de déterminer rapidement les choix d'organisation les plus adéquats pour ce territoire stratégique.

Il sera néanmoins préférable de privilégier des évolutions législatives spécifiques à cette région plutôt que de modifier le droit commun de l'intercommunalité (effets à attendre des dispositions contenues dans plusieurs propositions de loi aujourd'hui déposées) ».

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