Rapport d'information n° 658 (2009-2010) de MM. Josselin de ROHAN et Daniel REINER , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 9 juillet 2010


N° 658

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 juillet 2010

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur la coopération bilatérale de défense entre la France et le Royaume-Uni ,

Par MM. Josselin de ROHAN et Daniel REINER,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Josselin de Rohan , président ; MM. Jacques Blanc, Didier Boulaud, Jean-Louis Carrère, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Jean François-Poncet, Robert Hue, Joseph Kergueris , vice-présidents ; Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet , secrétaires ; MM. Jean-Etienne Antoinette, Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Jean-Pierre Bel, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Didier Borotra, Michel Boutant, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Mme Michelle Demessine, M. André Dulait, Mmes Bernadette Dupont, Josette Durrieu, MM. Jean Faure, Jean-Paul Fournier, Mme Gisèle Gautier, M. Jacques Gautier, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Laufoaulu, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Rachel Mazuir, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean Milhau, Charles Pasqua, Philippe Paul, Xavier Pintat, Bernard Piras, Christian Poncelet, Yves Pozzo di Borgo, Jean-Pierre Raffarin, Daniel Reiner, Roger Romani, Mme Catherine Tasca.

INTRODUCTION

« La diplomatie sans armes ressemble à de la musique sans instruments »

Frédéric le Grand

Mesdames, Messieurs,

Depuis le sommet franco-britannique de Saint Malo du 4 décembre 1998, les deux pays se veulent le moteur de l'Europe de la défense. Le constat qui avait été fait il y a 12 ans demeure valable : « L'Europe a besoin de forces armées renforcées, capables de faire face rapidement aux nouveaux risques et s'appuyant sur une base industrielle et technologique de défense compétitive et forte. »

Les mesures de restrictions budgétaires annoncées tant en France qu'au Royaume-Uni pour contribuer à l'indispensable redressement des finances publiques n'épargnent pas les budgets de défense.

Dans un contexte financier contraint, la recherche de la rationalisation des dépenses, le partage des coûts et la mutualisation des efforts s'imposent comme une nécessité pour préserver les capacités de défense présentes et à venir.

Alors que nous assistons à un effort de réarmement général dans le monde, seule l'Europe diminue ses budgets militaires, alors même que la consolidation d'une Europe de la défense est la condition même de l'influence de l'Union dans le monde. Au sein de l'Union européenne, la France et le Royaume Uni sont les deux seuls pays à maintenir un effort de défense significatif. Les deux pays ont, de plus, de fortes similitudes en termes d'engagement international, d'industrie de défense, de part du PIB consacrée aux forces armées.

Cette situation ne peut qu'inciter nos deux pays à rechercher toutes les synergies possibles et à développer nos coopérations sur une base bilatérale non exclusive du reste de coopérations élargies à d'autres pays le cas échéant.

Le Royaume-Uni est engagé dans une revue stratégique de sa politique de défense dont les premières conclusions devraient être présentées à compter du mois d'octobre prochain. Le présent rapport entend apporter sa contribution à la réflexion en cours.

Les choix de coopération qui seront faits ne sont pas seulement des choix techniques et financiers. Ils sont stratégiques et politiques. C'est la raison pour laquelle le Parlement se doit de suivre l'évolution de ces négociations et la mise en oeuvre des décisions qui seront prises. Un groupe de travail des quatre commissions chargées de la défense aux Communes, à la Chambre des Lords, à l'Assemblée nationale et au Sénat pourrait être constitué à cette fin.

I. UNE RÉFLEXION GLOBALE SUR L'AVENIR DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES DU ROYAUME-UNI

Comme l'a fait la France en 2008-2009 avec le Livre blanc sur la sécurité et la défense et la loi de programmation militaire 2009-2014, le Royaume-Uni s'est engagé -à la veille d'élections législatives décisives- dans une réflexion globale sur l'avenir de sa défense et de ses forces armées. Cette réflexion est marquée par la publication récente (février 2010) de deux documents importants : un Livre vert intitulé « Adaptability and Partnership: Issues for the Strategic Defence Review » et un document sur la réforme de la stratégie d'acquisitions en matière de défense intitulé « the defense strategy for acquisition reform ».

Ces deux documents sont présentés comme des éléments destinés à lancer la réflexion sur la future Revue stratégique de défense (SDR), qui est en cours d'élaboration par le nouveau Gouvernement issu des urnes et qui devrait être présenté fin 2010. Il s'agit de mettre à jour la revue stratégique précédente qui datait de 1998. Plus qu'un simple exercice d'actualisation, c'est une remise à plat globale qui devra définir les menaces et en déduire le format des forces et les besoins. Elle s'inscrit dans un contexte budgétaire extrêmement contraint qui relance de facto , comme en France, l'hypothèse de programmes mutualisés. C'est dans ce contexte que votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a décidé de se rapprocher des autorités britanniques pour évaluer l'opportunité et les perspectives de coopération bilatérales, ou multilatérales, renforcées.

A. LE LIVRE VERT ET LA COOPÉRATION FRANCE-ROYAUME-UNI EN MATIÈRE DE DÉFENSE

Le Livre vert présente les grandes orientations de la défense retenue par le Gouvernement britannique en matière de défense. Ce Livre vert et la future revue de défense s'inscrivent dans un contexte triplement contraint :

• Militairement : les forces militaires britanniques ont été employées au-delà de leur contrat opérationnel sur une très longue période. 1 ( * ) Le CEMA anglais, le général Sir Jock Stirrup a mis en avant, lors d'une interview à la BBC,  la « tension » que subissent les forces britanniques : « Ce que nous faisons, nous pouvons le faire pour une courte période. Mais nous ne pouvons pas continuer de le faire, ad infinitum. Nous faisons plus que nos structures de ressources le permettent dans le long terme . »

• Financièrement : la crise économique et financière qui touche la Grande-Bretagne (le Trésor devra emprunter £178 milliards soit 12,6 % du PIB pour l'exercice 2009-2010. La dette totale, qui représente plus de 60 % du PIB), aura nécessairement un impact sur le budget de la défense ;

• Politiquement : les élections législatives ont conduit à un changement politique inédit en Grande Bretagne avec la coalition du Parti conservateur et du Parti libéral.

Compte tenu de cet environnement, le nouveau Gouvernement est confronté à des changements et à des choix difficiles.

Le Livre vert, présenté par M. Bob Ainsworth , ministre de la défense du Gouvernement Brown, est un document qui fait l'objet d'un relatif consensus puisque sa préparation a été précédée de nombreuses consultations, principalement avec des experts, des think-tanks, les partis d'opposition (conservateurs et libéraux) et l'ensemble du Gouvernement britannique. Il n'a pas pour objet d'apporter des réponses -qui sont renvoyées à la Revue de défense- mais de poser des questions pour alimenter le débat.

Les menaces qui sont identifiées dans ce document : le terrorisme, les états hostiles, les états fragiles et en déliquescence, le crime international, les catastrophes naturelles, mais également les cybermenaces, sont identiques à celles du Livre Blanc français. Le rôle mondial du Royaume-Uni y est réaffirmé, même si les conditions de l'usage de la force armée ont changé et s'inscrivent dans une approche globale où la défense, la diplomatie et le développement vont de pair. De même, le continuum sécurité défense est-il souligné.

Bien qu'il ne comporte pas de recommandations, il assure que, pour relever les défis, le ministère de la défense et les forces armées doivent accélérer le processus de réforme dans le sens d'une plus grande adaptabilité --flexibilité des processus, des personnels et des équipements, condition du succès pour répondre de manière adéquate aux menaces potentielles-. Il souligne également la nécessité d'améliorer la capacité à opérer en partenariat tant au niveau du Gouvernement qu'au niveau international. Flexibilité et partenariat sont donc les deux axes du Livre vert.

1. Flexibilité

Compte tenu de l'incertitude des menaces, du coût des opérations et des équipements, le Royaume-Uni ne pourra pas développer des capacités permettant de répondre à chaque éventualité. Pour que la défense soit toujours capable de proposer des options aux décideurs politiques, il faut opérer de manière différente et disposer d'un outil plus adaptable. Ainsi, le Livre vert propose-t-il :

• de procéder à une revue complète du processus de planification en simplifiant les liens entre les objectifs stratégiques et les structures de forces afin d'augmenter la capacité de changer rapidement ;

• de continuer à rendre les forces plus flexibles car, bien souvent, elles continueront à opérer en dehors de leur mission traditionnelle ;

• de réviser le processus décisionnel actuel pour qu'il reflète pleinement les besoins opérationnels. Les responsabilités du Chief of Joint Operations pourraient être renforcées.

Le Livre vert confirme que la stratégie en matière de défense doit être intégrée dans une stratégie de sécurité britannique globale et interministérielle. Le Livre vert aborde aussi la question de l'importance de la technologie. À ce titre, la cyber sécurité et l'espace sont mentionnés ? en évoquant, dans ces domaines, l'importance des coopérations.

Pour répondre aux crises et aux menaces multiformes, le Livre vert envisage deux hypothèses d'intervention. Pour une intervention d'une durée limitée, dans un cadre international, deux groupes navals, dont un centré autour d'un porte-avions, une division blindée et trois groupes expéditionnaires aériens seraient envisagés. Des moyens plus limités : un groupe naval, une brigade et un groupe expéditionnaire aérien pourraient être déployés dans le cadre d'une crise de plus longue durée.

Ces hypothèses de format nécessiteront une plus grande flexibilité des forces armées qui reposera sur l'utilisation de technologies plus avancées. Le personnel devra être plus mobile et déployable dans une plus grande mesure. Les effectifs, en particulier civils, et l'encadrement hiérarchique devront vraisemblablement être revus à la baisse de manière sensible.

2. Partenariat

La conjugaison de la multiplication des crises et des restrictions budgétaires inévitables font que le Royaume-Uni ne peut plus continuer à faire tout tout seul. Cette constatation est du reste une évidence partagée par l'ensemble des pays ayant une industrie de défense. A terme, le nombre de programmes de même nature concurrents en Europe (avions de combat, chars, drones, missiles etc....) conduit inexorablement à la disparition de la base industrielle de défense européenne (BIDTE), à une dépendance accrue vis-à-vis des Etats-Unis et à la perte d'indépendance des politiques nationales. La coopération est incontournable pour trois raisons principales :

• elle permet de partager les coûts de développement des matériels militaires,

• elle fait bénéficier d'économies d'échelle sur des productions de série plus importantes ;

• elle crée un espace attractif pour l'industrie et les PME de défense afin qu'elles puissent bénéficier de conditions assurant leur pérennité et leur développement.

Le Livre vert britannique indique que:

« L'OTAN reste la pierre angulaire de notre sécurité. Cependant, comme Européens nous devons prendre de plus grandes responsabilités pour assurer notre sécurité ensemble. Une coopération de défense des Européens plus forte offre des opportunités, dont le moindre n'est pas (de permettre) un rôle plus large de la défense dans la résolution des conflits et l'établissement de la paix. Le Royaume-Uni améliorera de façon importante son influence si nous et nos partenaires européens parlent et agissent de concert. Un rôle robuste de l'UE dans la gestion de crises peut renforce l'OTAN. Jouer un rôle leader au coeur de l'Europe peut renforcer nos relations avec les Etats-Unis. »

Il ne s'agit certes pas d'une brusque conversion à l'esprit européen mais sans doute de l'illustration du pragmatisme britannique reconnaissant l'indiscutable bilan positif de l'Union européenne en matière de prévention et de gestion des crises. Cela étant, le rôle de l'Europe est clairement mis en perspective avec le renforcement de l'OTAN et des relations avec les Etats-Unis qui demeurent les deux partenaires fondamentaux du Royaume-Uni en termes de sécurité et de défense.

Les autorités britanniques distinguent trois acteurs majeurs dans le domaine multilatéral.

Le premier est l' OTAN qui, selon les autorités britanniques, a démontré sa capacité d'adaptation au monde de l'après-guerre froide en s'élargissant aux pays d'Europe centrale et orientale et en continuant son processus d'élargissement. Elle a joué un rôle central dans la résolution des crises successives dans les Balkans et joue naturellement un rôle directeur en Afghanistan. La révision de son concept stratégique est l'occasion de s'interroger sur ses objectifs et son rôle est de s'assurer que l'Alliance reste pertinente pour faire face aux nouveaux défis.

Le second acteur est l' Union européenne . Son action est toutefois présentée principalement comme venant compléter les efforts de l'OTAN en matière de sécurité dans la gestion des crises. Son action autonome est néanmoins reconnue : « Dans les opérations de stabilisation en Bosnie et en Afrique, dans la lutte contre la piraterie et dans une vaste gamme de missions civiles, de la Géorgie à l'Indonésie (Aceh), l'Union européenne a fait la démonstration qu'elle peut jouer un rôle important pour la promotion de notre sécurité. La mise en oeuvre du Traité de Lisbonne offre l'occasion de faire avancer notre objectif de développement de capacités civiles et militaires plus efficaces dans le cadre d'une approche civilo-militaire intégrée. »

Le rôle de l'ONU , « plus importante que jamais », est considéré comme étant essentiel pour gérer les changements de l'environnement de sécurité mondial.

À côté de cette approche multilatérale, le Royaume-Uni a deux partenariats fondamentaux.

Le premier est bien évidemment celui avec les États-Unis , fondé sur des valeurs communes et des intérêts qui persisteront au XXI e siècle au bénéfice mutuel des deux alliés. Le Livre vert souligne les bénéfices de la coopération en matière de nucléaire, de renseignement, de sciences et de technologie ainsi que dans le domaine des équipements. Il indique que la relation privilégiée entre les deux pays renforce l'efficacité de leur action pour lutter contre le terrorisme, la prolifération et le crime organisé, dans un monde globalisé où l'influence strictement nationale est plus limitée qu'auparavant. Les États-Unis demeurent, et demeureront donc, l'allié principal au niveau mondial.

Le même rôle d'allié principal, mais au niveau européen, est octroyé à la France dont le retour dans les structures militaires intégrées de l'OTAN offre la possibilité d'une plus grande coopération avec « un partenaire clé pour une grande variété d'activités de défense ».

B. LA STRATÉGIE POUR LA RÉFORME DE L'ACQUISITION : UNE OUVERTURE IMPLICITE POUR LA COOPÉRATION FRANCO-BRITANNIQUE

Le ministre pour la réforme de l'acquisition, Lord Drayson, a présenté, en janvier 2010, la stratégie du ministère de la défense en la matière qui vient compléter l'exercice mené au sein du Livre vert. Cette stratégie fait suite au rapport indépendant de M. Bernard Gray (octobre 2010).

Le constat porté par le rapport Gray est que « le ministère de la défense conduit un programme d'acquisition en surchauffe systématique avec trop de commandes d'équipements de différents types pour un trop large éventail de taches et un trop haut niveau de spécifications. Ce programme est hors de portée de toute projection budgétaire. »

Le rapport révèle un déficit cumulé de financement estimé entre £6 milliards et £36 milliards sur les programmes envisagés et un retard d'au moins cinq années dans les délais de livraison des équipements. Selon ce rapport, le ministère britannique de la défense ne disposerait que de la moitié des budgets annuels nécessaires pour mener à bien tous les projets lancés. Ce désastre financier avait été dénoncé par la Cour des comptes britannique ainsi que par la commission de la défense de la Chambre des communes. Selon ces rapports la responsabilité du client final (les différentes armées), une politique industrielle erratique et l'incompétence des services d'acquisition avaient déjà été dénoncées.

Rapport du National audit office (NAO)

15 décembre 2009

Ce rapport annuel de l'organisme de contrôle des finances publiques britanniques porte sur 15 programmes d'armement majeurs en phase de réalisation. Les données financières présentées sont celles arrêtées au 31 mars 2009, fin de l'année fiscale britannique.

Il relève l'instabilité et le sous-financement chronique du plan d'équipement. Avec un budget stable en volume (prenant en compte une inflation de 2,7 % par an), le déficit du plan d'équipement à 10 ans s'élèverait à 6 milliards de livres sur 10 ans. Avec un budget constant en valeur, sans correction de l'effet de l'inflation, il se monterait à 36 milliards de livres.

Le coût total des 15 projets examinés est de 60 milliards de livres, en augmentation de 1,2 milliard de livres par rapport à l'année précédente (2007-2008) et de 4,5 milliards par rapport aux coûts annoncés au moment de leur lancement (plus 8 %).

Les difficultés rencontrées sur l'A400M (+ 653 millions de livres, soit une augmentation de 25 %) et les décisions prises fin 2008 par le ministère de la défense (MOD) pour dégager des marges de manoeuvre financières sur la période 2009-2013 ont lourdement pesé sur ce bilan. Concernant le porte-avions CVF, si le décalage de livraison a permis d'économiser 450 millions de livres sur les quatre premières années, il aura accru le devis final du programme de 674 millions de livres, qui s'établit désormais à 5 milliards de livres.

De même, les décisions prises sur le sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) Astute (1) (mise en service retardée de neuf mois des bâtiments 1 à 4 et report du début de la construction des bâtiments 5 à 7) auront dégagé 139 millions de livres sur la période de 2009-2013 mais elles auront contribué à alourdir de 400 millions de livres le coût global du programme. Le devis pour quatre sous-marins s'établit désormais à 5,5 milliards de livres. De surcroît, selon le NAO, ces décisions engendreront un trou capacitaire entre 2015 et 2021.

Le programme d'avion de combat Typhoon (Eurofighter) est mentionné pour la première fois depuis 2004 après la négociation de la tranche 3A (18 milliards de livres).

Le retard moyen des 14 plus grands projets est de plus de deux ans. Ce retard est davantage la résultante de décisions budgétaires que de difficultés techniques comme cela a été le cas par le passé. Le programme américain ne s'étant pas encore engagé sur une date de mise en service, le retard du JSF n'est pas pris en compte par le rapport du NAO.

Le NAO met en garde le ministère de la défense sur l'impact capacitaire de décisions purement budgétaires. Outre les SNA, il s'interroge sur l'impact de la réduction de 23 % du nombre d'hélicoptères Lynx Wilcat (de 8162), ou encore des Merlin MK2 qui ne permettra plus d'assurer la protection simultanée de plus d'un groupe aéronaval.

(1) Plus gros sous-marins de ce type en Europe, les Astute mesurent 97 mètres de long pour un déplacement de 7 00 tonnes en plongée. Capables d'atteindre la vitesse de 29 noeuds et d'opérer durant 90 jours, ils embarqueront 25 armes, avec panachage de torpilles Spearfish, de missiles antinavire Sub Harpoon et de missiles de croisière Tomahawk. Le HMS Astute, premier d'une nouvelle série d'au moins quatre unités (Astute, Ambush, Artful et Audacious) a effectué sa première plongée le 18 février 2010. (source Mer et Marine)

Comme le souligne M. Bruno Carré, chercheur associé à l'IRIS, « l'inadéquation des moyens aux fins va nécessiter une énième réforme, des coupes sombres dans certains grands programmes et susciter un regain d'intérêt pour des collaborations aux contours parfaitement déterminés et qui rendent certains projets abordables et livrables rapidement. Là encore la France a un rôle à jouer . »

La stratégie pour la réforme de l'acquisition est sous-tendue par trois grands objectifs qui sont du reste très voisins de ceux retenus en France :

• assurer la soutenabilité du plan d'équipement, son adéquation et son adaptabilité aux priorités stratégiques du moment ;

• améliorer la compétence des équipes, en priorité dans le domaine de l'estimation des coûts, le management des risques et le processus de décision ;

• renforcer la relation avec l'industrie (en cherchant notamment à prendre en compte au plus tôt les critères d'exportabilité dans les programmes d'armement).

Elle reconnaît explicitement qu'au-delà des coûts, performances et délais, il est nécessaire d'évaluer les retombées de la coopération internationale en matière de défense qui doivent être correctement prises en compte dans la décision finale d'acquisition. 2 ( * )

II. UNE NOUVELLE OPPORTUNITÉ POUR RENFORCER LA COOPÉRATION ET LE PARTENARIAT ENTRE LA FRANCE ET LA GRANDE-BRETAGNE

Douze ans après Saint-Malo, cette période d'intense réflexion constitue une nouvelle opportunité pour renforcer la coopération franco-britannique en matière de défense. Les orientations du Livre vert comme de la réforme de l'acquisition ouvrent des perspectives de renforcement du partenariat entre les deux pays. Toutefois, si les raisons objectives de coopérer existent, les différences d'approches « philosophique » et pratique entre les deux pays constituent également des freins non négligeables.

A. UNE FORTE LOGIQUE DE COOPÉRATION

1. Des responsabilités, des ambitions, des engagements internationaux, budgétaires et militaires de même niveau

La France et le Royaume-Uni, membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, entendent tous deux jouer un rôle mondial appuyé par leur puissance économique, leur réseau diplomatique et leurs forces armées.

Comme le montre la déclaration conjointe sur la sécurité et la défense adoptée à l'issue du dernier sommet franco-britannique du 6 juillet 2009, les deux pays ont une très grande concordance de vues sur tous les dossiers majeurs (Afghanistan, lutte contre le terrorisme, soutien au Pakistan, lutte contre la piraterie, Kosovo, Proche-Orient, Iran, RDC, Géorgie....). La même concordance de vues existe s'agissant de la réforme de l'OTAN comme de celle de l'ONU, en particulier du Conseil de sécurité. Les deux pays réaffirment leurs engagements sur les principes de l'OSCE et partagent les mêmes analyses sur la mise en place du SEAE. 3 ( * )

Dans le domaine nucléaire, les deux puissances partagent les mêmes analyses sur le rôle de la dissuasion et ont travaillé étroitement sur la préparation de la conférence de New York d'examen du Traité de non-prolifération (TNP) qui a concrétisé la recherche commune de progrès importants sur les trois piliers que sont l'utilisation pacifique de l'atome, le désarmement et la non-prolifération. L'envoi tardif des instructions de la délégation britannique à la conférence d'examen tient à la mise en place du nouveau gouvernement mais ne signifie pas que les mêmes analyses n'aient pas été partagées.

La participation pleine et entière de la France à l'OTAN a fait tomber un certain nombre de barrières et de préventions qui étaient prêtées à notre pays. La France, participant pleinement, n'est plus accusée d'avoir un « agenda caché ». Elle a toutefois clairement affiché son objectif de développement parallèle et de complémentarité entre l'Union européenne et l'Alliance atlantique. S'il fait tomber des soupçons, le retour de la France dans l'OTAN et le rapprochement avec les États-Unis font perdre au Royaume-Uni une partie de son statut d'interlocuteur privilégié. Sa politique pourrait évoluer dans la mesure où l'administration Obama affiche clairement son intérêt pour la complémentarité entre les deux organisations.

À l'ONU, les convergences d'intérêt entre les deux pays sont manifestes. Ils sont à l'origine d'environ 80 % des textes adoptés par le Conseil de sécurité. Ils partagent un intérêt commun : celui de préserver leur statut de membre permanent tant vis-à-vis des autres membres que vis-à-vis de l'Union européenne.

Ces convergences politiques font a priori des deux pays des partenaires naturels.

De plus, la France et le Royaume-Uni fournissent un effort de défense comparable en termes de pourcentage de PIB consacré à la défense.

2008

FRANCE

ROYAUME UNI

AED à 26

Budget d'investissement de défense (dont R&D, dont R&T)

9,5 milliards d'euros

10,9 milliards d'euros

41,857 milliards d'euros

Budget de défense réalisé 2008

45,8 milliards d'euros

42 milliards d'euros

200 milliards d'euros

R&T de défense

835 millions d'euros

649 millions d'euros

2,479 milliards d'euros

Source AED

La conjugaison de leurs efforts représente 40,69 % de l'effort européen en matière de budget de défense et 68 % en matière de R&D, 44,23 % des dépenses en capital et 25 % des effectifs de l'Europe à 27.

Les deux pays entretiennent chacun environ 12 à 13 000 hommes en opérations extérieures, et ce, pour la France, hors des forces pré-positionnées et des forces de souveraineté. Dans le cadre des opérations extérieures, la France et le Royaume-Uni ont arrêté, lors du dernier sommet franco-britannique de juillet 2009, des procédures de « soutien mutuel outre-mer », permettant à l'un des pays d'utiliser des installations dans les bases de son partenaire, si nécessaire.

Source : site du ministère de la défense

2. Une coopération ancienne et une gouvernance efficace

Le Sommet de Saint-Malo de décembre 1998 a constitué un jalon majeur en affirmant l'engagement partagé de la France et du Royaume-Uni à travailler ensemble pour renforcer la capacité européenne de défense, pour contribuer à la paix et à la sécurité internationales et pour répondre aux menaces en termes de sécurité auxquelles les deux nations font face ensemble. C'est dans cet esprit du sommet de 1998 que le groupe de haut niveau (High Level Working Group, HLWG) a été institué, à l'occasion du sommet bilatéral de juin 2006. Le communiqué stipulait :

« ... nous souhaitons que la coopération entre nos deux pays nous aident à maintenir sur nos territoires les technologies essentielles pour notre souveraineté ... nous décidons d'instituer un groupe de haut niveau, dont les membres sont issus de l'administration et de l'industrie des deux pays, pour examiner les moyens de développer et d'améliorer la coopération existante en matière de recherche et de défense ».

La relation bilatérale franco-britannique a évolué suivant quatre grandes périodes :

- 1998-2001 : sommet de Saint-Malo et dispositions post 11 septembre

Le Sommet de St Malo, qui a réuni le Président Chirac et le Premier ministre Blair est souvent décrit comme le point de départ de la politique européenne de sécurité et de défense. Il a donné lieu à une déclaration commune appelant à l'établissement de moyens militaires « autonomes » et « crédibles » pour l'Union Européenne. Les attentats du 11 septembre ont entraîné la signature d'accords entre la France et le Royaume-Uni délimitant les zones, la classification et les règles d'engagement à appliquer en cas d'intervention sur un aéronef civil.

- 2001-2003 : pré-Irak

Durant cette phase, les discussions entre Londres et Washington se sont intensifiées sur la préparation d'un engagement en Irak. La décision de Paris de ne pas participer a entraîné des difficultés dans la coopération bilatérale et un refroidissement dans les relations.

- 2003-2007 : Irak et Afghanistan

Cette période a vu la poursuite d'un engagement britannique important en Irak et la montée en puissance de celui-ci en Afghanistan. La France participe, dans un cadre OTAN, aux opérations en Afghanistan, ce qui contribue à une amélioration des relations.

- 2007-2010 : réchauffement des relations

L'arrivée simultanée au pouvoir du Président Sarkozy et du Premier ministre Brown, la visite d'Etat à Londres du Président de la République, l'étroite association des Britanniques dans la PFUE et la pleine participation de la France dans l'OTAN ont contribué à lever les derniers obstacles et à rétablir une relation de confiance entre les deux pays. La récente visite du Président de la République au Royaume-Uni, les 12 et 13 mars 2010, a pleinement confirmé ces orientations tant auprès du Gouvernement que du leader de l'opposition, M. Cameron.

Le HLWG a pleinement joué son rôle de catalyseur de la coopération franco-britannique comme le montre l'avancement des actions issues des sommets franco-britanniques de 2008 et 2009. En novembre 2009, le secrétaire d'Etat aux équipements de Défense (Quentin Davies) et le DGA ont signé le mandat du High Level Working Group, confirmant 4 ( * ) le HLWG comme organe central du développement de la coopération en matière d'armement. Le mandat incite à développer la coopération au sein de groupes étatiques à tous les niveaux. Il précise que le HLWG rend compte aux sommets franco-britanniques et doit être informé des impacts industriels identifiés par les groupes capacitaires, R&T...

3. Les relations entre les trois armées sont excellentes

La coopération bilatérale Air s'inscrit dans le cadre de la lettre d'intention (LoI) signée par les ministres de la défense français et britannique en mars 2007, qui formalise les relations entre l'armée de l'air française et la « Royal Air Force » (RAF). Elle souligne le besoin de coopération entre les deux armées de l'air qui, par leurs missions, leurs moyens, leurs activités et leurs structures, sont très proches. Afin de concrétiser cette LoI, une directive d'objectifs de coopération est signée annuellement par les chefs d'état-major. La plus récente a été signée le 22 février 2010. Ce document définit le processus de coopération, dresse la liste des autorités militaires françaises et britanniques impliquées, affecte des objectifs ainsi que des actions à conduire aux officiers généraux désignés. Dix domaines de coopération sont identifiés dans la directive d'objectifs actuelle dont six seront mis en exergue en 2010 : opérations, plans, transformation, préparation opérationnelle, logistique et ressources humaines.

La coopération navale franco-britannique s'appuie depuis 1996 sur une structure de 12 groupes de travail, également dans le cadre d'une Letter of intent (LoI signée en 1996 et modifiée en 2003). Les contacts sont très réguliers 5 ( * ) , notamment dans le domaine des opérations. Les CEMM respectifs ont fixé comme objectif la réécriture de la LoI pour 2011, avec le souci d'adapter la relation aux conditions actuelles après 15 années d'existence de cette structure. La Royal Navy connaît une situation difficile aujourd'hui, compte tenu du poids des opérations menées en Afghanistan et en Irak et des contraintes budgétaires, que ce soit dans le domaine du maintien de compétences ou le développement capacitaire. Les capacités de projection de puissance du Royaume-Uni sont ainsi fragilisées. Cela a conduit à accroître les échanges respectifs entre états-majors. Un axe d'effort souhaité est la préparation des Jeux Olympiques de 2012 à Londres . Dans le domaine de la sécurité maritime, il est nécessaire de s'y préparer dès aujourd'hui et d'inciter nos partenaires britanniques à y intensifier leur collaboration.

Compte tenu des nombreuses similitudes, en termes de formats, d'ambitions et de préoccupations, les relations entretenues entre les armées de Terre française et britannique sont étroites, pragmatiques et résolument tournées vers l'opérationnel . La volonté partagée est que les échanges débouchent sur des actions concrètes. Le futur exercice commun Flandres, qui se déroulera en 2011, est ainsi un objectif majeur, qui permettra d'aller vers une plus grande interopérabilité entre nos forces. Cette coopération est dorénavant suivie par un comité de pilotage, structuré en quatre groupes de travail permanents. Au niveau stratégique , nous n'avons pas de projet emblématique d'armement 6 ( * ) . De plus, bien que nos nations soient toutes les deux présentes sur le théâtre afghan, nous ne sommes pas dans la même zone , ce qui ne facilite ni les échanges ni la coopération opérationnelle.

Ainsi, en complément du sommet annuel franco-britannique, les deux pays échangent surtout au sein des organisations internationales que sont l'OTAN et l'UE. Les positions françaises et britanniques convergent sur la nécessité de lier la rédaction du nouveau concept stratégique à une réforme des structures civiles et militaires de l'OTAN . Cependant, l'approche britannique lie exclusivement cette réforme à la relation entre l'UE et l'OTAN. L'idée de doter les deux organisations de mécanismes et de structures communs de planification de défense et de conduite des opérations ne correspond pas à notre perception du positionnement des deux organisations, qui repose plutôt sur chacune des organisations de gestion des crises auxquelles nous participons.

La décision de Londres d'assurer le commandement de l'opération Atalanta, première opération maritime autonome de la PESD, ne doit cependant pas être interprétée comme le signe de l'évolution des Britanniques en matière d'Europe de la défense . En effet, Londres n'engage pratiquement pas de moyens et ses bâtiments participent à l'opération de lutte contre la piraterie pilotée par l'OTAN. Cette situation devrait évoluer puisqu'il est question qu'une frégate britannique participe à Atalanta.

Cela étant, comme l'indique le Livre vert, les initiatives prises dans le cadre de l'UE ont pour principale valeur de renforcer l'OTAN et la relations avec les Etats-Unis.

4. Deux industries de défense majeures 7 ( * )

Grâce à ses investissements, la France possède aujourd'hui une industrie importante et performante, au deuxième rang en Europe, juste derrière le Royaume-Uni. Le chiffre d'affaires « défense » est de l'ordre de 15 milliards d'euros, dont le tiers environ est réalisé à l'exportation, la France se plaçant au quatrième rang mondial des exportateurs.

Les prises de commandes à l'export sont en très nette progression pour la France, passant de 6,57 milliards d'euros en 2008 à 8,15 milliards en 2009 et à 10,5 milliards en 2010 (estimations). Cette bonne progression est de nature à réduire l'écart entre les deux pays puisque jusqu'à présent le Royaume Uni se caractérise par une excellente performance à l'export.

L'industrie de défense au Royaume-Uni génère un chiffre d'affaires « défense » de l'ordre de 20 milliards d'euros. Les points forts de l'industrie britannique se retrouvent dans les secteurs aéronautique et terrestre, des missiles, de l'électronique de défense et, dans une moindre mesure, de l'armement naval. Il est, en revanche, moins présent dans le secteur spatial, exception faite du domaine des télécommunications militaires.

On estime à environ 4 000 le nombre de PME impliquées dans les programmes d'armement, dont 1 500 technologiques. Quant aux plus grandes entreprises françaises de défense, leurs performances financières et leur rentabilité se situent dans la moyenne sur le plan mondial.

Le sommet franco-britannique du 6 juillet 2009 a souligné l'importance de cette coopération industrielle sans pour autant annoncer d'initiatives compte tenu des incertitudes liées à la crise économique et financière et aux décisions que le Royaume Uni sera amené à prendre dans le cadre de la revue de défense à venir.

Déclaration franco-britannique de défense et sécurité (Évian, 6 juillet 2009)

« La France et le Royaume-Uni sont les deux Etats d'Europe qui consacrent le plus d'investissements à la défense. Nous continuerons à élargir et approfondir notre coopération industrielle de défense, notamment dans le cadre de l'Agence européenne de défense et du Plan de développement des capacités de l'Union européenne.

...................................

Il est dans notre intérêt commun et conforme à notre intérêt stratégique de soutenir et de développer les capacités industrielles et technologiques de l'Europe. Les activités de recherche et de technologies (R&T) sont essentielles et la France et le Royaume-Uni jouent un rôle moteur en Europe en investissant dans ce domaine.

...................................

Nous réaffirmons notre soutien total au groupe de travail franco-britannique de haut niveau chargé des acquisitions en matière de défense. Ce groupe constitue l'instance appropriée pour proposer des projets communs et des solutions innovantes et pour favoriser le dialogue en vue de développer les capacités de défense. Il s'attache également à étudier selon quelles modalités nous pouvons faciliter les activités industrielles bilatérales, tant de part et d'autre de la Manche que, dans un cadre plus large, des entreprises actives, à la fois en France et au Royaume-Uni, en apportant davantage de souplesse et de coordination à nos systèmes nationaux de délivrance de licences d'exportation. »

Le marché mondial de l'armement, évalué à 300 milliards d'euros, est largement dominé par l'industrie américaine, qui détient à elle seule plus de 50 % de parts du marché.

L'activité industrielle de défense en Europe représente aujourd'hui un chiffre d'affaires total d'environ 55 milliards d'euros. Elle est concentrée, à 90 %, sur six pays : Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni et Suède.

Quatre groupes européens (BAE Systems, EADS, Finmeccanica, Thalès) figurent parmi les quinze premiers mondiaux, les onze autres étant américains. Ils ont atteint la taille, la surface financière, la compétitivité et les capacités leur permettant d'assumer la responsabilité de projets complexes.

Sur les dix premiers groupes européens, quatre sont français (Thalès, DCNS, Safran, Dassault Aviation), auxquels s'ajoute EADS, dont la composante française est importante.

B. DES FREINS INDISCUTABLES ET UN BILAN CONTRASTÉ DE LA COOPÉRATION FRANCO-BRITANNIQUE DE DÉFENSE

Douze ans après le sommet de Saint-Malo, l'objectif de disposer, au sein de l'Union européenne, d'une « capacité autonome d'action, appuyée sur des forces militaires crédibles et sur des moyens européens pré-identifiés » n'a pas été totalement atteint.

Jusqu'à aujourd'hui, les objectifs britanniques s'inscrivent dans un contexte eurosceptique que les récentes élections législatives ne peuvent que conforter. La réflexion de défense au Royaume-Uni s'articule toujours fondamentalement autour de l'Alliance atlantique et de la relation avec les États-Unis dont il entend conserver le leadership. L'action de la politique britannique au sein de l'Union européenne a souvent été celle d'une instrumentalisation au profit de ses objectifs (être au coeur de l'Europe pour être l'interlocuteur incontournable des États-Unis). Au contraire, la politique française a toujours tendu à la création d'un projet de construction européenne dans tous domaines et, en l'occurrence, dans celui de la défense.

De ce point de vue, l'attitude des deux gouvernements vis-à-vis de l'Agence européenne de défense (AED) est exemplaire. Avant les élections britanniques, certains responsables conservateurs avaient même envisagé que leur pays quitte l'AED. Si cette perspective semble s'éloigner, la participation du Royaume-Uni à l'agence et à ses programmes reste encore très limitée. Pour les Britanniques, l'agence est un forum de discussion mais ne peut devenir l'instrument d'acquisition multilatérale d'armement qui reste un attribut de sa souveraineté. La France est au contraire très engagée dans la plupart des programmes.

La contrainte opérationnelle très forte à laquelle est confrontée l'armée britannique conduit à des choix de court terme au détriment du moyen et long terme. Lors des entretiens que vos rapporteurs ont eus, notamment avec le chef d'état-major britannique, il apparaît clairement que la priorité absolue est constituée par le théâtre afghan au détriment de toute autre considération.

La difficulté est donc, dans ce contexte, d'établir les bases d'une coopération de moyen long terme qui suppose une cohérence des stratégies, des financements pérennes et des analyses partagées sur le besoin capacitaire.

Au-delà des convergences politiques profondes à l'OTAN et à l'ONU- et compte tenu de la « relation spéciale », qui constituent un véritable socle pour le rapprochement entre nos deux pays, l'objectif premier d'une coopération renforcée est principalement centré sur la possibilité de développer des programmes communs dans un contexte économique, financier et budgétaire extraordinairement difficile. En l'absence de cette coopération, les deux pays prendraient le risque d'une dégradation de leurs capacités militaires et donc de la diminution sensible de leur influence mondiale. De plus, la perpétuation de la situation de concurrence frontale et des duplications des matériels conduirait inévitablement à la disparition programmée de la base de défense des deux pays principalement au profit de l'industrie américaine. Cette perspective est d'autant plus vraisemblable que la crise économique en Europe conduit à la baisse des budgets militaires en obligeant les industriels à miser sur le développement des exportations dans un contexte, hors Europe, de réarmement mondial.

III. UN BILAN MITIGÉ DE LA COOPÉRATION EN MATIÈRE DE PROGRAMME

A. LA FRANCE ET LE ROYAUME-UNI PARTICIPENT, AUX COTÉS D'AUTRES PAYS EUROPÉENS, À DES PROGRAMMES MULTILATÉRAUX DE COOPÉRATION8 ( * )

1. Programmes gérés par l'OCCAr 9 ( * )

La France participe à sept des huit programmes et projets gérés par l'OCCAr. Trois d'entre eux sont en partenariat avec le Royaume Uni :

• programme de radar Cobra, avec l'Allemagne et le Royaume-Uni ;

• programme d'acquisition de munitions pour le système de défense antiaérienne embarqué sur navire PAAMS, avec l'Italie et le Royaume-Uni ;

• programme d'avion de transport A400M, avec le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Espagne, la Belgique, le Luxembourg et la Turquie ;

2. Programmes OTAN

L'OTAN mène des programmes visant à développer et produire des équipements au profit de ses opérations ; ils concernent essentiellement les systèmes d'information et de commandement ainsi que les systèmes destinés à faire interagir des systèmes équipant différentes nations membres dans le contexte d'une opération. Les principaux programmes OTAN auxquels la France participe sont :

• programmes de communications par satellite Satcom OTAN ;

• programme de système de commandement et de contrôle de défense aérienne ACCS ;

• programme de défense contre les missiles balistiques de théâtre ALTBMD ou de territoire ;

• programme de système d'information Bi SC-AIS ( Bi strategic allied information system ) et son pendant en matière de communication NGCS ( NATO global communication system ) ainsi que le programme de systèmes d'information et de commandement déployables de la NRF 10 ( * ) .

3. Autres programmes en coopération

Les autres programmes en coopération auxquels participent la France sont gérés par d'autres structures, en général hébergées par la direction générale pour l'armement française ou un de ses homologues d'un autre pays européens (bureau de programme ad hoc ), ou des organismes spécifiquement créés à cette fin. Les programmes auxquels les deux pays participent sont :

• le lance-roquettes unitaires LRU avec les Etats-Unis, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni ;

• le programme NILE ( new improved link eleven ), également appelé « liaison 22 », en coopération avec l'Allemagne, l'Italie, le Royaume-Uni, le Canada, les Etats-Unis et l'Espagne ;

• le missile de croisière Scalp EG / Storm Shadow avec le Royaume-Uni et l'Italie ;

• le missile d'interception air-air Meteor avec le Royaume-Uni, l'Italie, l'Allemagne, la Suède et l'Espagne.

B. LES PROGRAMMES BILATÉRAUX : UN BILAN TRÈS CONTRASTÉ

1. Le succès du programme Meteor

Le programme Meteor est destiné à équiper les forces armées de la Grande-Bretagne, de l'Allemagne, de l'Italie, de l'Espagne, de la Suède et de la France d'un missile air-air de longue portée aux performances cinématiques nettement supérieures à celles des missiles actuellement en service.

Le missile est conçu pour être utilisé à partir du Rafale, de l'Eurofighter et du JAS 39 Gripen.

Les premières livraisons de missiles sont prévues à l'horizon 2012.

Le programme est piloté par le Royaume-Uni et géré par un bureau de programme international situé au sein de la DE&S ( Defence Equipment & Support ) britannique implantée à Abbey Wood près de Bristol (Royaume-Uni).

2. La coopération en matière d'urgence opération

L'urgence opérationnelle est un mode exceptionnel d'achat d'équipements militaires qui vise à répondre, dans des délais restreints (en moyenne 6 à 12 mois), aux besoins immédiats des unités en opérations. En 2009, la Direction générale de l'armement (DGA) a passé 36 nouveaux contrats en urgence opérationnelle, pour un montant de 260 millions d'euros, et pour des matériels essentiellement destinés aux forces en Afghanistan.

Les ministres de la défense avaient entériné, au sommet franco-britannique de juillet 2009, le principe d'une coopération globale, associant échange de RETEX et d'analyse de la menace sur le théâtre, échanges sur l'analyse des besoins, pouvant aller jusqu'à l'expression commune des besoins, et acquisition des équipements en coopération. Cet accord de principe a été concrétisé par la signature, le 18 février 2010 d'un accord de coopération (MoU) dans le domaine des urgences opérationnelles. Cet accord propose un cadre pour mener en commun des acquisitions en urgence, opérations fondées sur cinq scénarios différents allant de la passation de contrats en commun à la vente d'État à État, en passant par l'aménagement de contrats existants pour inclure les besoins du partenaire. Cet accord a été ratifié pour une durée de cinq années renouvelable.

3. La déclaration d'intention sur les SATCOM

A la suite la signature de la déclaration d'intention au Sommet franco-britannique de juillet 2009, un groupe de travail a été constitué et une étude d'architecture commune devrait être notifiée au premier semestre 2010.

4. Missiles

Le domaine des missiles (hors programme Meteor) est surtout marqué par les avancées réalisées sur les projets de rénovation des missiles de croisière (SSCEP) et de missile antinavire léger (FASGW/ANL), projets initiés au début de l'année 2008.

L'Assessment Phase franco-britannique du FASGW/ANL a été notifiée le 14 août 2009 (entrée en vigueur rétroactive au 1 er avril 2009).

La Concept Phase franco-britannique du SSCEP a été lancée le 20 février 2009 et les travaux sur le MoU et le Statement of Work de la phase suivante (Assessment Phase) sont en cours. Le MoU sur la rénovation Scalp-Storm Shadow devait être préparé pour la fin de l'année, avec l'objectif de passer un contrat au premier trimestre 2010. On peut cependant craindre que les difficultés budgétaires au Royaume-Uni soient de nature à repousser cette échéance.

Sur ces deux projets, le principal enjeu pour 2009-2010 est de maintenir la dynamique de coopération, en s'assurant de la convergence des calendriers et des ressources.

Les enjeux industriels pour le missilier MBDA, entreprise franco-britannique, sont importants. Il importe, en effet, de lui confier des projets structurants qui lui permettent d'assoir sa compétitivité et de résister à la concurrence internationale. Pour les deux pays, l'enjeu est également le maintien de la souveraineté opérationnelle en matière de missiles et celui du niveau de compétences.

5. Drones de combat

Une feuille de route R&T a été réalisée par les Etats et approuvée au sein du groupe de Haut niveau (HLWG) en novembre 2009. Elle sera complétée d'ici février 2010 par des discussions avec l'industrie sur les technologies et sur le financement.

Il est particulièrement important que cette coopération se poursuive également dans deux autres domaines : l'avionique et les moteurs pour drones.

6. Drones MALE

Le projet de drone Mantis, est potentiellement un programme très prometteur. Ce drone MALE, de la classe des cinq tonnes, turbopropulsé, pourrait être puissamment armé. Le programme a été lancé en 2007 et est dirigé par BAE Systems. Un démonstrateur, présenté à Eurosatory, aurait semble-t-il effectué des vols d'essais en Australie.

Cependant, ce projet entre en concurrence directe avec, d'une part, le Predator B américain, largement éprouvé pendant le conflit afghan et qui pourrait être facilement francisé par la société EADS et, d'autre part, avec le projet franco-français de Dassault et Thales, le SDM (système de drone male) sur la base du drone israélien Heron TP. En outre, il se situe dans une classe de drone légèrement inférieure, mais au fond assez proche du projet Thalarion d'EADS propulsé par réacteurs et à vocation stratégique.

Plusieurs interrogations peuvent être faites sur le positionnement du Mantis sur le segment très concurrencé des drones lourds, sur son coût et sur la durée de son développement. On peut également redouter que son existence même ne soit reconsidérée à brève échéance par le ministère de la défense britannique, compte tenu de l'état des finances publiques britanniques.

Dans un contexte budgétaire très contraint, on peut également s'interroger sur le fait de s'orienter sur des solutions plus simples, plus robustes et plus économes, tel le drone Patroler de la société SAGEM (classe une tonne), réalisé en coopération franco-allemande, susceptible, de surcroît, d'être légèrement armés (deux missiles Hellfire) et dont le coût serait sans commune mesure avec le projet Mantis.

IV. DES POSSIBILITÉS EN MATIÈRE DE R&T

Aujourd'hui, la recherche et le développement représentent 10 à 20 % du chiffre d'affaires des dix plus grands groupes de défense présents en France, qui emploient dans leurs bureaux d'études de l'ordre de quelques 20 000 personnes.

La DGA réalise environ 20 % de son effort de recherche et technologie en coopération essentiellement avec ses principaux partenaires européens, notamment les pays du cercle de la Letter of Intent (LoI) 11 ( * ) .

D'un point de vue prospectif, le Plan Stratégique de Recherche & Technologie constitue un cadrage général de l'action de la DGA destiné à anticiper et maîtriser l'évolution des technologies nécessaires et utilisables dans les futurs systèmes de défense et sécurité. Décliné à partir du besoin opérationnel et des grands axes d'orientations décrits dans le PP30 (Plan Prospectif à 30 ans), ce document a pour mission de situer les études amont dans un cadre global afin de traiter les problématiques opérationnelles prévisibles à l'horizon 2012-2025. Il décrit les axes d'effort identifiés pour répondre à ces défis opérationnels et pour exploiter au mieux les évolutions technologiques, ainsi que les axes de coopération envisageables.

La France et le Royaume-Uni, dont la R&T de défense représente pour chacun environ 1/3 de la R&T de défense européenne, ont naturellement développé de nombreuses coopérations.

En 2009, 16 arrangements techniques ont été signés et 80 M€ ont été engagés. Pour 2010, les prévisions sont de 13 arrangements signés et de 50 M€ d'engagement, mais ces montants seront soumis aux aléas des arbitrages budgétaires, de la réorganisation britannique de la R&T et des prochaines élections. Comme l'indique le communiqué du sommet d'Evian, le niveau de la R&T commune entre les deux pays est un indicateur de la santé de la coopération en matière d'armement. Il est particulièrement important de maintenir le volume de cette coopération et de l'inscrire dans la durée en reliant les réflexions capacitaires et programmatiques mais aussi industrielles et contractuelles.

Au niveau multilatéral européen, les coopérations sont conduites au sein de l'Agence européenne de défense (AED) afin de faciliter des programmes ultérieurs d'acquisition européens. C'est au niveau européen que se posent, avec le plus d'acuité, les problèmes de base industrielle et technologique de défense (BITD) et de satisfaction à terme de besoins communs. C'est donc à ce niveau que doivent se mettre en place de véritables stratégies de partage de compétences.

Les coopérations se répartissent sur tout le spectre de la recherche : recherche de base, recherche appliquée et démonstrateurs de technologies mais les plus nombreuses se retrouvent sur les deux derniers segments pour lesquels les technologies sont évaluées puis testées sur des plateformes préfigurant des futurs systèmes.

V. QUELLES MODALITÉS POUR UN RENFORCEMENT DE LA COOPÉRATION FRANCO-BRITANNIQUE EN MATIÈRE DE DÉFENSE ?

A. LA POSITION DU ROYAUME-UNI VIS-À-VIS DE L'EUROPE A ÉVOLUÉ MAIS DEMEURE NÉANMOINS FONDÉE SUR SES POSITIONS TRADITIONNELLES

La position du Royaume-Uni vis-à-vis de l'Europe a évolué . Il est particulièrement révélateur que la question européenne n'ait pas été un enjeu du débat électoral.

Les travaillistes mettent en évidence les bénéfices que le Royaume-Uni retire lorsqu'il se place au centre des instances multilatérales, en particulier au sein de l'Union européenne ou du G20. Les conservateurs, de leur coté, ont pris acte avec pragmatisme de l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne et ont renoncé à provoquer un référendum a posteriori sur la question de l'adhésion du Royaume-Uni. Le nouveau Premier ministre, M. David Cameron, alors candidat, avait reconnu qu'un référendum « n'aurait pas plus d'effet qu'interdire au soleil de se lever le matin ».

Si le principe de réalité s'impose, « la politique extérieure britannique, qu'elle soit menée par les travaillistes ou par les conservateurs demeure fidèle au concept d'une Europe dont l'objectif est avant tout de faciliter les transactions financières, commerciales et industrielles, et donc d'accroitre la richesse de chacun et de l'ensemble. Les Britanniques restent extrêmement réticents à une plus grande intégration et surtout à tout ce qui peut diminuer leur capacité à déterminer leur futur ailleurs qu'à Westminster ». 12 ( * )

Le Livre vert oriente clairement la question de la coopération européenne, et donc de la position du Royaume-Uni vis-à-vis de la PSDC, dans le sens d'une relation toujours plus étroite avec l'OTAN et avec les États-Unis. Il se félicite d'ailleurs des déclarations françaises sur la complémentarité entre les deux organisations. Les conservateurs privilégient le renforcement des capacités européennes de préférence à une évolution des structures qui doit, selon eux, strictement dépendre des besoins constatés. Ils s'opposent clairement à un quartier général permanent à Bruxelles dont ils estiment qu'il doublonnerait avec l'OTAN et sont très réticents à un quelconque développement du rôle de l'Agence européenne de défense (AED).

Ces divergences d'appréciation par rapport à la ligne politique française vis-à-vis de la PSDC et de la construction européenne de la défense sont atténuées par le nouvel atlantisme de la France, son rapprochement avec les Etats-Unis et son plein retour dans les structures intégrées de l'OTAN.

En définitive, la position britannique vis-à-vis de l'Union européenne est empreinte d'un grand pragmatisme.

La « relation spéciale » avec les Etats-Unis

L'affaiblissement de la relation spéciale est un thème récurrent de la relation Etats-Unis-Royaume-Uni. On a pu la qualifier de « Lazare des relations internationales ».

Elle repose sur 4 piliers historiques qui se sont plus ou moins affaiblis ou qui s'adaptent au contexte du moment :

• La relation étroite entre les leaders et les sociétés civiles ;

• La disponibilité du Royaume-Uni à être le « deputy sheriff » des Etats-Unis et d'obtenir en contrepartie un « policy access » ;

• La coopération scientifique, essentiellement dans le domaine nucléaire ;

• La coopération en matière de renseignements.

Deux éléments ont contribué récemment à s'interroger sur la qualité de cette relation : une prise de conscience que l'engagement sans faille du Royaume-Uni n'est pas toujours payé de retour en termes de participation à la décision et le retour complet de la France dans les structures de l'OTAN qui a permis de rehausser le niveau des relations directes entre la France et les Etats-Unis.

Le passage de l'unilatéralisme de Président Bush au multilatéralisme pragmatique du Président Obama possède cependant une constante : avec des objectifs différents pour les deux administrations, la « relation spéciale » se nourrit de la capacité du Royaume-Uni de peser dans les débats internes à l'Europe .

C'est dans ce sens que va M. Chris Patten quand il développe une analyse originale de ce que devrait être la position européenne (et donc britannique) vis-à-vis des Etats-Unis :

• « politiquement l'Europe n'est qu'un poids mouche. Notre propre conscience de l'inadéquation politique de l'Europe s'est renforcée avec l'implosion de l'URSS et le démembrement de la Yougoslavie...

• Le fâcheux unilatéralisme du président Bush a permis à l'Europe en tant que telle d'éviter de prendre des engagements internationaux responsables......

• nous devrions oser croire que ce qui répond le mieux aux intérêts européens est sans doute également ce qui est le plus profitable à notre relation avec les Etats-Unis...

• L'Europe n'est pas et ne deviendra pas une superpuissance ni un super-Etat. Mais là où un problème empoisonne son environnement dans notre proximité immédiate, nous devrions avoir une politique qui ne se résume pas à attendre de nous déclarer d'accord avec celle que les Etats-Unis estiment devoir mener».

Source : Le Monde 23 mars 2010 « Pour un multilatéralisme efficace »

En dépit d'une prise de conscience plus vive de leur position de « junior partner », due aux relations entre les deux pays en Irak, la « relation spéciale » avec les États-Unis demeure la pierre angulaire et reste indispensable dans les domaines du renseignement, du nucléaire, de l'armement, des investissements etc.... Elle n'a jamais été véritablement remise en cause et demeure la constante de la politique étrangère et de défense du Royaume-Uni.

A ces fondamentaux de la politique étrangère et de défense du Royaume-Uni, la crise économique et financière a également contribué à une prise de conscience pragmatique et réaliste que la Grande-Bretagne doit développer ses partenariats et « partager le fardeau » avec ses alliés, car il est évident qu'elle ne peut plus assumer seule l'ensemble des charges qui pèsent sur ses armées et sur son budget. Ce point de vue rencontre exactement la même analyse en France bien que - mutatis mutandis - la situation des finances publiques y soit plus favorable qu'au Royaume-Uni. Cette constatation ouvre la voie à un renforcement de la coopération bilatérale entre les deux pays.

À cet égard, la position prise par Sir Malcolm Rifkind, ancien ministre des affaires étrangères et de la défense de Margaret Thatcher, mérite attention. Il indique qu'en dehors des Etats-Unis, seules la Grande Bretagne et la France ont les moyens de déployer des forces militaires crédibles dans le monde. La Russie, la Chine ou l'Inde qui ont des forces plus nombreuses ne disposent pas de la technologie, de la logistique et d'une expérience comparables pour mener des opérations de combats dans des environnements divers. Il reconnaît que la Grande-Bretagne ne peut plus s'offrir le luxe d'une dissuasion nucléaire, de porte-avions, d'avions de combat ultra sophistiqués, etc. Il recommande donc une collaboration renforcée avec la France et une spécialisation capacitaire des quelques Etats membres qui détiennent une vraie capacité militaire, selon leurs besoins propres et leurs spécificités. Pour Sir Rifkind « une nouvelle entente cordiale est nécessaire, 100 ans après la première ». 13 ( * )

Enfin, l'intégration industrielle et le développement sans intervention étatique -libéralisme et libre jeu des forces du marché obligent- et les rapprochements entre les groupes industriels ne peuvent qu'être encouragés et souhaités.

Si le Royaume-Uni paraît souhaiter une plus grande coopération avec la France c'est non seulement parce que, en matière de défense, seuls ces deux pays, en Europe, ont les mêmes engagements internationaux et consacrent les mêmes moyens au service de politiques étrangère et de sécurité voisines, mais c'est également parce que l'expérience des coopérations multilatérales vécue par le Royaume-Uni -en particulier celle de l'A400M- l'a convaincu de l'inefficacité de cette méthode. En particulier, le principe du juste retour conduit à un partage des responsabilités industrielles qui repose sur des équilibres politiques et non sur les compétences, le savoir-faire et l'existence d'une base industrielle nationales.

B. RENFORCER LA COOPÉRATION SANS ABANDONNER SES CONVICTIONS

La construction de l'Europe de la défense est un axe essentiel de la politique européenne de la France. La présidence française de l'Union européenne au 1 er semestre 2009 en a du reste fait un thème central. Cet engagement demeure, mais il est évident que l'objectif poursuivi n'est pas un but en soi, de nature idéologique. A cet égard, nous partageons les approches du Livre vert britannique :

• La coopération des Européens en matière de défense offre des opportunités, en particulier pour le maintien de la paix et la résolution des conflits dans le monde ;

• L'influence de chacun des pays membres et de l'ensemble de l'Europe ne peut qu'être renforcée par une action commune et une concertation sur les grandes questions relatives à la sécurité et à la défense ;

• La défense européenne ne se situe pas en concurrence, voire en opposition, mais en complémentarité avec l'OTAN et avec les Etats-Unis.

La coopération bilatérale privilégiée, avec un partenaire dont tout nous rapproche, n'exclut pas la poursuite d'une coopération multilatérale dont les avantages sont évidents et à laquelle la Grande-Bretagne participe déjà, que ce soit au niveau de l'Organisation de coopération conjointe pour l'armement, ou OCCAR, créée en 1996, de l'accord-cadre LoI (lettre d'intention) entre les six principaux pays producteurs d'armement européens, mis en place en 2000, ou, plus modestement, de l'Agence européenne de défense (AED), créée en 2004, et bien sûr de l'OTAN.

En tout état de cause, le bilatéral pur trouvera ses limites dans les capacités financières des deux Etats à partager seuls le fardeau. Par contre, les règles de juste retour, non justifiées par l'existence de capacités industrielles et de compétences avérées, doivent être, sinon totalement proscrites, du moins très limitées.

En définitive, au pragmatisme de l'approche britannique doit répondre un égal pragmatisme de la France.

En matière de construction européenne, notre approche de la PSDC est déterminée par les besoins et non par des considérations de développements institutionnels. Toute autre affirmation serait d'ordre idéologique. Le Traité de Lisbonne est entré en vigueur et n'est plus contesté, ni menacé d'un référendum par les conservateurs britanniques. Nous pouvons sans reniement partager l'approche du Royaume-Uni selon laquelle ce sont les besoins en capacités qui détermineront, ou non, l'adaptation des structures.

Cette approche n'exclut ni la mise en place des mécanismes prévus par le Traité de Lisbonne, ni leur utilisation, le cas échéant.

Le fait que nous pensions qu'un OHQ permanent est nécessaire et qu'il n'est, en aucune façon, un doublon de ce qui existe à l'OTAN, ne constitue pas un préalable.

Il en va de même pour l'AED dont la France souhaite sans ambiguïté le renforcement du rôle. Les réticences des conservateurs envers l'AED posent néanmoins la question de la transition entre le groupe des pays de la LoI 14 ( * ) du 27 juillet 2000 et l'agence. En effet, il est prévu par la LoI que certaines activités (génération des projets de R&T, harmonisation des besoins militaires) soient progressivement reprises par l'AED. La revitalisation de son action a fait l'objet d'un rapport approuvé par les six ministres de la défense en 2007, ce qui amène logiquement la LoI à concentrer sa réflexion sur les initiatives relatives à la consolidation de la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne et sur les projets nourrissant les travaux et les études de l'Agence européenne de défense.

De même, le renforcement de la coopération bilatérale entre les deux pays ne s'effectue pas au détriment de nos autres partenaires en particulier de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Espagne.

VI. QUELLES PISTES POUR LA COOPÉRATION RENFORCÉE ENTRE LA FRANCE ET LE ROYAUME-UNI ?

A. DES ACTIONS DE FOND

Trois actions de fond sont nécessaires pour construire un socle de coopération franco-britannique qui aboutisse à une véritable interdépendance mutuelle :

• l'harmonisation des besoins militaires,

• la R&T,

• et la politique de rationalisation industrielle permettant d'avoir une véritable base de défense commune.

L'un des domaines de coopération les plus importants entre les deux pays est l' harmonisation des besoins militaires qui conditionnera la rationalisation de l'industrie de défense franco-britannique et, au-delà, européenne. Les états-majors, avec la DGA, ont naturellement un rôle central à jouer pour définir ces besoins. Cette harmonisation des besoins est sans doute l'action de réflexion la plus importante à mener pour permettre une coopération à long terme.

La seconde action constitutive d'un socle de coopération est bien évidemment la R&T . Dans l'idéal, la coopération de R&T s'appuie sur une stratégie conjointement établie entre les nations et pourrait tendre vers la mise en place d'interdépendances technologiques mutuelles en vue d'une BITD optimale.

La France et le Royaume-Uni doivent favoriser les synergies entre la recherche civile et la recherche de défense et de sécurité . En effet, 60 % de la recherche financée par la défense ont des retombées dans le secteur civil, contre 20 % seulement en sens inverse.

Enfin, les deux Etats, qui jouent un rôle central du fait de la commande publique dans le secteur de l'armement, doivent créer un cadre de rapprochement des entreprises du secteur qui entraîne une dynamique d'intégration. Il s'agit sans doute de l'un des aspects les plus délicats du fait des liens transatlantiques entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis et de la part considérable de l'exportation ainsi que du chiffre d'affaires réalisé avec ce grand partenaire. Il est néanmoins évident qu'à terme ce mouvement de définition en commun des besoins, de R&T commune doit entrainer un rapprochement industriel et l'application d'une certaine « préférence » dans les commandes.

B. DES COOPÉRATIONS ET DES ACTIONS IMMÉDIATES

S'agissant du domaine industriel, une action générale doit être menée. En effet, comme le soulignait déjà le Livre blanc : « le développement des synergies entre les groupes dépend également de l'évolution des réglementations nationales et européennes : une entreprise de défense établie dans plusieurs Etats membres doit pouvoir fonctionner comme une entreprise implantée sur le territoire d'un seul Etat. Or, la réglementation impose aujourd'hui qu'une entreprise de défense européenne obtienne une autorisation d'exportation pour transférer un équipement de défense d'un État membre à un autre, ce qui freine considérablement l'intégration des entreprises.

L'amélioration des conditions de circulation des produits de défense entre pays européens concernés est donc indispensable. La France est favorable à l'institution de mécanismes de licences générales ou globales pour les industriels européens. Elle souhaite la mise en place, à terme, d'un espace européen de libre-échange des équipements de défense entre les pays disposant de procédures de contrôle comparables et proposera cet objectif à tous ses partenaires.»

Une action commune franco-britannique dans ce sens serait susceptible d'accélérer ces négociations indispensables.

En matière de R&T, le Plan Stratégique de Recherche & Technologie définit de manière extrêmement complète les domaines possibles de coopération par système d'armes.

Au sein de ce catalogue de la coopération européenne ou franco-britannique potentielle, on soulignera un domaine particulier : celui des démonstrateurs 15 ( * ) pour lesquels il existe encore trop peu de coopérations, à l'exception du programme nEUROn. Or, ce sont des outils extrêmement structurants pour la construction de la BITD européenne et qui représentent des enjeux financiers importants.

Par ailleurs, les deux gouvernements se sont engagés, lors du sommet d'Evian, à « augmenter en 2010 les investissements consacrés à la R&T ».

C. RENFORCER LE RÔLE DE SUIVI DES COMMISSIONS DE LA DÉFENSE

La coopération France-Royaume-Uni est un élément fondamental et indispensable de notre souveraineté et de notre indépendance militaire, c'est-à-dire aussi de l'autonomie de notre politique étrangère.

Depuis le sommet de Saint-Malo, en 1996, et l'instauration d'un groupe de haut niveau piloté par le DGA et son homologue britannique, la coopération s'est indiscutablement renforcée. Le souhait actuel des deux pays est de la renforcer de manière pragmatique et de glisser peut-être, de manière pragmatique, de la coopération à l'interdépendance.

Cet approfondissement des relations nécessitent un suivi parlementaire qui permettrait, au niveau des commissions chargées de la défense, de participer, par l'information reçue et analysée, à ce rapprochement indispensable.

Ce groupe, qui serait constitué de représentants des commissions de la Chambre des communes, de l'Assemblée nationale, de la Chambre des Lords et du Sénat, sous la présidence de leurs présidents, serait l'interlocuteur du groupe de haut niveau dont il est question d'élever le rang de représentation au niveau ministériel. Il se réunirait alternativement en France et en Grande-Bretagne, notamment au moment des sommets franco-britanniques.

COMPTE RENDU DES ENTRETIENS - Londres 16 février 2010

1. Entretien avec M. Alex Dorian, CEO THALES UK

M. Alex Dorian a tout d'abord rappelé le caractère apolitique de la société Thalès qui entretient des contacts étroits avec le gouvernement travailliste actuellement en poste ainsi qu'avec le shadow cabinet : MM. Liam Fox (shadow defense secretary) et Gerald Howard (shadow defense minister).

En matière de coopération franco-britannique dans le domaine de la défense, la situation a considérablement évolué depuis 10 ans. À un quasi-refus d'une industrie dominée par Bae, le succès de MBDA a montré que les deux gouvernements pouvaient accepter un degré de dépendance mutuelle en matière de missiles. De son côté, Thalès a montré l'exemple d'une coopération industrielle réussie entre les deux pays qui a contribué à renforcer les capacités mutuelles sans intervention des gouvernements (exemple des sonars pour frégates de type 23).

La création, en 2006, du groupe de haut niveau présidé par le DGA et son homologue et au sein duquel Thalès est représenté par son président, M. Vigneron, est un excellent véhicule de dialogue, en particulier pour la R&T.

Au niveau politique, le parti conservateur comme le parti travailliste sont favorables au développement d'une coopération bilatérale franco-britannique. Il en va de même pour les libéraux qui pourraient être une force d'appoint aux conservateurs pour former un gouvernement et une majorité parlementaire.

Les difficultés budgétaires au Royaume-Uni ne permettent pas d'espérer un budget ambitieux en matière de défense alors même que les engagements sont supérieurs aux budgets et que la guerre en Afghanistan pèse d'un poids très lourd, même si elle est directement financée par le Trésor. Les autorités britanniques ont lancé un exercice de « défense review », équivalent au Livre blanc français, dont les orientations seront déterminées par les choix de politique étrangère et non par le budget. Cependant M. Liam Fox, s'il sanctuarise la dissuasion, n'exclut aucune remise en cause, que ce soit pour les OPEX ou pour les programmes concernant les trois armées. Il existe une prise de conscience très claire que la Grande-Bretagne ne peut plus tout faire toute seule, qu'il faut faire des choix, et que la dynamique est européenne. Il n'y a en Europe que deux pays qui dépensent suffisamment en recherche et technologie, en équipement et dont les forces armées soient comparables : la France et le Royaume-Uni.

La coopération en Europe ne peut se faire qu'avec la France, qui est définie, dans cet espace géographique, comme le partenaire stratégique au même titre que les Etats-Unis sont le partenaire stratégique au niveau mondial.

Pour Liam Fox, les trois conditions de cette coopération seront : une mutuelle dépendance, un budget suffisant entre les deux pays et le fait de combattre ensemble. Cette volonté de coopération avec la France se manifeste au plus haut niveau politique mais connaît des résistances au fur et à mesure où l'on descend dans la hiérarchie, en particulier au ministère chargé des achats.

S'agissant de la R&T, l'industrie britannique est confrontée à une baisse de 25 % de son montant en 2010 par rapport à 2009. Le budget de R&T n'atteindra que 400 millions de Livres sterling en 2010. Il est vital de renverser la tendance. La coopération franco-britannique a été redynamisée ces dernières années grâce au groupe de haut niveau. Les résultats obtenus en R&T (avec près de 80 M€ engagés en 2009 mais seulement 50 millions en 2010) sont un signe de la confiance des équipes de programmes.

Il convient de trouver des projets, comme par exemple en matière de sonars, où le groupe Thalès a des grandes capacités dans les deux pays. Jusqu'à présent les choses étaient dupliquées en particulier en matière de sous-marins nucléaires. La cause de cette duplication tient à l'accord passé entre les États-Unis et la Grande-Bretagne dans les années 50 qui a permis de réaliser d'importantes économies sur les sous-marins nucléaires notamment en matière de propulsion dont la technologie est d'origine américaine. On peut donc toujours craindre une interdiction américaine de travailler avec la France. C'est ce qui s'est passé pour la coopération entre DCNS et Bae. Toutefois, l'amélioration des relations entre la France et les États-Unis depuis l'arrivée à la présidence de la République de Nicolas Sarkozy crée un climat favorable.

Liam Fox n'a aucune objection d'un point de vue financier à acheter sur étagère aux Etats-Unis mais est également sensible aux signaux de prudence de l'industrie qui l'engage à préserver une capacité souveraine. On peut relever que le document stratégique sur l'espace, publié par le ministère de la défense, souligne la nécessité pour le Royaume-Uni de se doter d'une capacité de surveillance de l'espace indépendante des Etats-Unis. L'option française peut donc permettre de ne pas être totalement dépendants des Etats-Unis.

Le Royaume-Uni souhaite partager le fardeau de la défense avec ses partenaires en Europe. Différentes réflexions sont en cours, comme par exemple la spécialisation de la défense entre les Européens selon les régions, sur la projection de force expéditionnaire en profitant des marines d'autres pays ou sur des économies en matière d'aviation.

S'agissant de la coopération en matière de drones, M. Alain Dorian a rappelé que le programme Watchkeeper avait été remporté par la société Thalès-UK et qu'il représentait un marché d'un milliard d'euros, dont 75 % sont consacrés aux différents systèmes (communication, senseurs) nécessaires à la reconnaissance, et 25 % à la plateforme elle-même. Cette répartition privilégiant le « logiciel » sur le « matériel » résulte d'une volonté affichée par Thalès de valoriser l'électronique, qui constitue son domaine d'excellence. Une coopération avec la France serait possible dans ce domaine mais elle se heurte à des rivalités entre l'armée de terre et l'armée de l'air, les premiers craignant que les seconds ne prennent le contrôle puisque ces drones décollent d'une piste. Ces obstacles existent également entre les deux armées au Royaume-Uni, l'armée de terre ne voulant pas armer un drone dont la fonction est principalement d'observation et non de combat.

Le drone Hermes 450 du constructeur aéronautique israélien Elbit Systems, qui a servi de base au système Watchkeeper, est en service en Afghanistan depuis deux ans. Il est opéré par des techniciens de Thalès. Une nouvelle version sera lancée fin 2010 début 2011.

Une coopération entre la France et le Royaume-Uni serait très productive pour les drones de future génération. Le choix doit néanmoins être fait entre une coopération avec le Royaume-Uni ou avec l'Allemagne. La France est très engagée avec EADS sur le projet Advance UAV. M. Alain Dorian a souligné que si la France se dotait de Watchkeeper elle disposerait de drones tactique dont l'utilisation permettrait de renforcer les connaissances et de créer une doctrine d'emploi car ces drones change la vision du commandement. Ils peuvent être utilisés à haute altitude de manière invisible ou à basse altitude de manière à avoir un effet dissuasif sur l'adversaire.

M. Josselin de Rohan a indiqué que, dans l'intérêt des contribuables et dans un contexte de restrictions budgétaires qui impliquent des choix, il proposerait la création d'un groupe de réflexions et d'échanges parlementaires, parallèle au groupe de haut niveau, afin de suivre les questions de coopération en matière de défense entre les deux pays.

2. Entretien avec M. Gerald Howarth MP, Shadow Defence Minister, Parti Conservateur

La dernière Defense review qui date de 1998, doit être réexaminée en fonction de ce que sera le nouvel ordre mondial. Ce document spécifiait que le Royaume-Uni devait être prêt pour mener des opérations de moyenne et basse intensité et pour diriger des opérations simultanées ce qui impliquait le maintien de capacités expéditionnaires. Un accord politique bipartisan existe pour procéder à un réexamen stratégique. Si le parti conservateur remporte les élections, cette revue sera engagée sur la base d'une définition des lignes de force de la politique étrangère du Royaume-Uni. Si celui-ci veut demeurer un acteur important au niveau mondial, ce qui est la conviction des responsables du parti conservateur, des décisions difficiles seront à prendre. Il s'agira également de définir les nouvelles menaces auxquelles le Royaume-Uni doit faire face : sécurité de l'espace, cyber défense, sécurité énergétique et alimentaire, etc. De l'analyse de ces menaces seront tirées les structures nécessaires et les équipements adéquats. L'objectif est de conclure cette revue dans un délai très bref, d'ici la fin de l'année 2010. Dans un cadre économique très difficile (200 milliards d'euros de dette) il conviendra de définir des priorités après avoir répertorié les menaces.

S'agissant de la guerre en Afghanistan, il est impératif de prendre rapidement des décisions. Le plan proposé et mis en oeuvre par le général MacChrystal est la façon la plus logique d'avancer bien qu'il soit très difficile aujourd'hui d'en évaluer les résultats. Il s'agit de protéger les populations, de leur rendre des conditions de vie normales et de leur montrer le bénéfice qu'il n'y a à ne pas soutenir les talibans. Cette opération, menée par l'OTAN, suppose une empreinte militaire plus importante et une plus grande participation des autres pays. M. Howarth s'est montré sceptique sur l'objectif de former 134 000 soldats de l'armée nationale afghane d'ici la fin 2010.

L'OTAN, pierre angulaire de la sécurité collective, doit se transformer. Les pays qui ne contribuent pas aux opérations par l'envoi de troupes doivent contribuer financièrement. Citant les interventions de M. Liam Fox sur l'OTAN et son financement ainsi que sur les relations avec la sécurité européenne, M. Howarth a partagé les analyses du président de Rohan et de M. Reiner sur la suppression d'un certain nombre de quartiers généraux inutiles. S'agissant de la sécurité européenne le parti conservateur est partisan de relations bilatérales entre le Royaume-Uni et les autres Européens.

M. Howarth a manifesté son scepticisme sur la PSDC. Le parti conservateur n'est pas en faveur d'une Europe politique. Le fonctionnement de l'Eurogroupe peut, au contraire, être un modèle.

Les Etats-Unis restent l'allié principal dans le monde et la France l'allié principal en Europe. Les deux pays consacrent le même pourcentage de leur PIB à la défense, ce sont deux puissances nucléaires et les relations entre leurs armées sont excellentes. En matière de défense le principe pourrait être de « payer et combattre ». Certains pays comme l'Estonie, le Danemark ou les Pays-Bas ont fait un travail remarquable en Afghanistan. Cependant la coopération en matière de programmes n'a pas connu beaucoup de succès car trop de nations étaient impliquées. En matière industrielle, il convient d'être pragmatique et de ne pas être trop ambitieux. Si MBDA a bien marché c'est grâce aux industriels et aux synergies, non pas grâce aux politiques.

S'agissant de la gouvernance de la coopération de défense entre les deux pays, le parti conservateur souhaite renforcer le groupe de travail de haut niveau pour qu'il fonctionne au niveau ministériel.

Interrogé par M. Daniel Reiner sur l'Agence européenne de défense (AED), M. Howarth a souligné sa faible réactivité au niveau industriel. La relation bilatérale entre la France et le Royaume-Uni est préférable d'autant que 70 % de la R&T européenne relève de ces deux pays et qu'il convient de ne pas donner un « ticket d'entrée » aux autres. L'exemple de l'Euro Fighter a conduit à une répartition permettant de donner du travail aux Allemands alors que le Royaume-Uni était la première nation en capacités. Le résultat a été un avion très coûteux et trop long à développer.

À la question d'une plus forte implication de l'Allemagne dans les projets de défense, M. Howarth a rappelé que la reconstruction de ce pays avait été permise par le parapluie nucléaire américain. Tout en comprenant les raisons constitutionnelles et psychologiques de la retenue allemande, il a souhaité un plus fort engagement de ce pays, en soulignant que, s'il existait de bonnes relations entre la France et la Grande-Bretagne, les autres pays suivraient rapidement.

La coopération entre les deux pays fonctionnera sur des avancées concrètes. Il ne s'agit pas de faire de grandes déclarations politiques mais de définir des problèmes où la France et le Royaume-Uni ont des intérêts communs (exemple le Scalp) et d'avancer de manière très concrète.

Interrogé par M. Daniel Reiner sur l'A400M, M. Howarth a rappelé son opposition personnelle à l'origine du projet bien que la décision d'acheter 25 avions ait été prise en 1996 par un gouvernement conservateur. La principale erreur a été de prendre l'option de la construction ex nihilo du moteur. La RAF ne veut pas de cet avion et souhaite disposer de C17 et de C130. Cependant l'A400M est très important en matière de conservation des compétences notamment pour les ailes composites qui sont construites au Royaume-Uni. Pour l'avenir, face à la concurrence internationale, on ne peut se permettre la répétition de ce genre d'erreur. Si un nouveau programme militaire est défini, il faut décider qui est le mieux à même de le développer.

Quoi qu'il en soit, la « défense review » examinera cette question parmi d'autres et sans exclusive. À l'exception du programme de remplacement du Trident, tout le reste sera mis à plat. Les stratégies industrielles doivent définir les programmes qui permettent de rester au plus haut niveau technologique.

L'héritage laissé par le gouvernement travailliste est dramatique. Le déficit est cinq fois supérieur à celui de la France et vingt fois supérieur à celui hérité du gouvernement Thatcher.

À la suggestion faite par le président de Rohan de créer un groupe parlementaire de suivi des politiques de coopération en matière de défense, M. Howarth a indiqué qu'il était ouvert à cette suggestion et qu'il en référerait à M. Liam Fox.

3. Entretien ave Mr Tom McKane, DG Strategy (ministère de la défense)

La publication du Livre vert est une étape qui conduit à la revue de défense. Ce Livre définit le contexte international avec, en particulier, la prégnance de plus en plus grande de la mondialisation, le changement climatique et l'Asie comme carrefour mondial des questions de sécurité. Ces différents aspects impactent directement les intérêts du Royaume-Uni. Ce serait une erreur d'interpréter le Livre vert comme un éloignement par le Royaume-Uni du multilatéralisme.

De manière délibérée, le Livre vert pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses, dans l'attente des décisions qui seront prises par un nouveau gouvernement. Les travaillistes indiquent que la revue de défense sera fondée sur le Livre vert et les mises à jour de la stratégie nationale de sécurité définie à l'été 2009. De leur côté, les conservateurs annoncent une nouvelle stratégie de sécurité dès le lendemain des élections et l'incorporation de la revue de défense dans un exercice plus large de remise à plat. De plus, M. Cameron s'est engagé à présenter un nouveau budget dans les 50 jours suivant l'élection.

Dans ce contexte, le ministère de la défense travaille dans l'hypothèse de présenter la revue de défense à la fin de l'année 2010, ce qui est un véritable défi puisque l'examen de la précédente revue de défense avait pris plus d'un an. Le changement de parti politique au pouvoir va certainement exercer une influence mais, au final, les conclusions ne seront pas très différentes qu'elles soient présentées par les travaillistes ou par les conservateurs.

La première priorité est de confirmer l'engagement du Royaume-Uni en Afghanistan pour les trois à quatre prochaines années. En décembre le ministère de la défense a annoncé l'affectation de ressources pour assurer cet engagement.

Le point de départ de la revue de défense sera de déterminer les objectifs de politique étrangère du Royaume-Uni et d'en tirer les hypothèses de planification révisée. Il faudra par exemple décider de la structure des forces armées qui sera déterminante pour les théâtres d'opérations (quels effectifs, quelle vitesse de rotation des personnels, etc.). L'une des grandes questions du Livre vert est de savoir si l'Afghanistan constitue l'avenir des opérations de stabilisation, ce qui entraînerait vers un choix de guerres hybrides. Ou bien le monde est-il plus incertain, ce qui conduirait à une structure plus équilibrée des forces armées. Cela étant, on ne peut préjuger des décisions qui seront prises dans la revue de défense. Le ministère de la défense a annoncé en décembre 2009 des réductions drastiques sur les programmes. La question du point jusqu'où on peut aller doit être étudié avec attention. L'un des grands défis à relever tient à l'engagement pris par le gouvernement actuel de publier un plan décennal pour l'achat d'équipements militaires après et en concordance avec la revue de défense. La faisabilité de ce plan devra être vérifiée d'ici la fin 2010. Sa planification sera très difficile.

Dans une situation budgétaire très difficile le ministère de la défense va plaider pour le maintien de l'effort consacré à la défense en termes de pourcentage du PIB. Des travaux sont lancés pour voir dans quelle mesure il est possible de réaliser des économies en termes de personnel, de nombre de bases, de terrains ou d'immeubles.

L'une des autres grandes questions que se posent les planificateurs en termes d'équipements est celle de la défense antimissiles. En ce qui concerne les missiles destroyer 45 (Aster) et les radars, le Royaume-Uni souhaite des discussions avec la France sur les différentes options disponibles. La revue de défense devra étudier la question des missiles balistiques. M. McKane, répondant à une question de M. Josselin de Rohan, a indiqué que le Royaume-Uni ne participait pas à part entière au projet OTAN en matière de défense antimissiles et que, comme la France, il convenait de ne pas payer deux fois par rapport à l'effort fait en matière de dissuasion nucléaire.

La cyber sécurité sera un autre élément fondamental. Les questions de cryptologie sont un domaine très important qui doit être approfondi dans la ligne de la stratégie gouvernementale.

En matière de renseignement, M. Josselin de Rohan a rappelé les dispositions du Livre blanc français qui met en exergue la fonction anticipation et le continuum sécurité-défense. Il a été procédé à une réforme du SGDN, devenu le SGDSN, à la création d'une commission spéciale pour le renseignement et à la nomination d'un coordinateur du renseignement auprès du président de la République.

M. McKane a indiqué qu'au Royaume-Uni il existait un comité conjoint sur le renseignement et que la fonction anticipation était effectivement centrale pour comprendre les menaces futures. La structure actuelle pourrait être modifiée par les conservateurs avec la création d'un nouveau « conseil de sécurité nationale » et une accentuation mise sur la sécurité intérieure. La question du continuum sécurité-défense est également étudiée puisqu'il est évident qu'aujourd'hui on ne peut plus séparer la sécurité nationale intérieure et la sécurité extérieure. Un autre mécanisme a été introduit en 2009 par la création d'une unité intergouvernementale sur la sécurité dont le but est de traiter les menaces immédiates.

Répondant à M. Daniel Reiner, M. Kane a indiqué qu'en matière de dissuasion le Livre vert a réaffirmé la politique de décembre 2006 qui affirmait que la dissuasion nucléaire est une partie constitutive de la politique de défense, même si le Royaume-Uni a pris position pour un désarmement à long terme. Le ministère de la défense vient de confirmer que la dissuasion nucléaire sera exclue de la revue de défense, et donc sanctuarisée. En matière de désarmement, M. Josselin de Rohan a indiqué que la France attendait de la Russie et les Etats-Unis les mêmes efforts de transparence que ceux effectués par la France et le Royaume-Uni. Il s'est montré opposé à la position de l'Allemagne qui prône le désarmement mais qui a toujours bénéficié du bouclier nucléaire américain.

En conclusion, M. McKane a souhaité que soit poursuivie les excellentes relations entre la France et le Royaume-Uni.

4. Entretien avec le Air Chief Marshal Sir Graham Eric Stirrup, chief of the Defence Staff

Le général Stirrup a tout d'abord abordé la question de l'Afghanistan en soulignant que le vrai défi reste toujours la politique à tous les niveaux : national, district, province, village. Le rôle des militaires est de créer un espace de sécurité pour une solution politique. Le bilan de l'action de l'armée britannique dans les provinces dont elle a la responsabilité depuis trois ans est positif. L'accroissement des effectifs en cours peut permettre de faire la différence mais la finalité est de trouver une solution politique.

À ces signes encourageants s'opposent la crédibilité des élections présidentielles et des élections législatives à venir et la décision du président Karzai de retirer la représentation d'experts étrangers de la commission électorale indépendante.

Les opérations actuelles dans le sud de l'Afghanistan sont marquées par l'implication du ministère de la défense et du ministère de l'intérieur ainsi que les gouverneurs des provinces et des responsables du district afghans. C'est un changement considérable qui montre que les signes de gouvernance émergent bien que le chemin soit encore long à parcourir. Il reste beaucoup à faire en matière de formation de l'armée nationale afghane et de la police et pour l'établissement d'un véritable État de droit. L'efficacité de l'ANA s'est beaucoup améliorée. Des opérations militaires sont menées en partenariat.

S'agissant du Pakistan il existe d'excellentes relations avec les militaires et, en particulier, avec le chef d'état-major de l'armée de terre, le général Kayani. Il est clair que les Pakistanais n'agiront que s'ils sont persuadés que c'est dans leur intérêt. La priorité du général Kayani reste néanmoins le maintien de la réputation de l'armée vis-à-vis de la population. Les opérations menées en 2009 dans la vallée de Swat constituent un véritable tournant. La rupture de l'accord passé avec les talibans a fait bouger l'opinion publique et a permis le déclenchement des opérations militaires. Dans la mesure où, au Pakistan, c'est l'opinion publique qui compte, il convient que les alliés travaillent sur cette question. Il est inutile de faire pression sur l'armée et le gouvernement pakistanais s'ils ne sont pas persuadés que c'est dans leur intérêt. Sinon ils ne feront que le minimum. L'important c'est ce que doit faire le Pakistan pour lui-même. Le Pakistan ne peut être considéré comme un problème sous le seul angle afghan. Le Pakistan est le problème en soi même s'il convient de gérer l'ensemble Afghanistan-Pakistan. Le Pakistan reste très soupçonneux vis-à-vis de la communauté internationale sur son engagement en Afghanistan. Le départ des forces de la coalition amènerait le retour des talibans. Le problème n'est plus aujourd'hui celui d'Al Qaïda qui a subi beaucoup de dommages dans les zones tribales. Il est celui des talibans pachtounes et du réseau Haqqani.

De plus, l'armée pakistanaise demeure dominée par la question de la profondeur stratégique et du conflit potentiel avec l'Inde. L'ISI a changé son point de vue sur les talibans. Il y a un accord général au sein des forces armées pour réduire l'influence des talibans mais certainement pas pour les démanteler car il existe toujours une solution de précaution dominée par la question du Cachemire. Des signes de décrispation apparaissent aujourd'hui entre les deux pays mais il y a peu de probabilité d'amélioration dans les deux à trois années à venir. Il existe beaucoup de soupçons, dont certains sont justifiés, sur la politique indienne en Afghanistan et au Baloutchistan. Les mêmes préventions existent du côté indien sur le soutien pakistanais aux mouvements terroristes. Les efforts pour rapprocher les deux pays sont un effort de long terme qui exige un changement fondamental des comportements. Ce changement s'est déjà produit en Inde qui est une démocratie qui fonctionne et dont le développement crée des opportunités pour les individus. Le cas du Pakistan est naturellement différent avec une classe politique dominée par la corruption, ce qui n'était pas le cas du général Musharaf.

À l'objectif du début du retrait des forces de la coalition fixé par le président Obama en 2011, les talibans répondent en citant l'adage selon lequel l'Occident a la montre, eux ont le temps. L'objectif est bien évidemment de remettre les rênes aux Afghans eux-mêmes mais le rythme du retrait dépendra de la situation sur le terrain. Néanmoins, il est important de comprendre que les talibans ont besoin que la coalition abandonne rapidement car ils sont dans une situation précaire.

Abordant la question de la réforme de l'OTAN, le général Stirrup s'est montré pessimiste car toutes les tentatives précédentes ont échoué sur l'autel des intérêts nationaux. La structure est évidemment beaucoup trop lourde. Le Royaume-Uni a décidé d'arrêter d'envoyer des gens pour occuper des sièges inutiles et de concentrer l'envoi de personnel là où ils peuvent faire la différence. La question du déficit de 680 millions de dollars est une question politique et non militaire.

La coopération entre la France et le Royaume-Uni est excellente dans le domaine militaire. Le problème provient plutôt des obstacles politiques et de questions « théologiques » : le Royaume-Uni a toujours souhaité développer les capacités, mais la France, qui partage cet objectif, donne l'impression que ce développement est vu comme un symbole de l'unité européenne.

La crise économique et financière a exacerbé les problèmes budgétaires. Quel que soit le prochain gouvernement, il faudra s'attaquer au déficit structurel et ceci entraînera une baisse des dépenses publiques. Le budget de la défense ne sera pas épargné, ce qui conduira à des choix difficiles. S'agissant des opérations extérieures en Afghanistan leur financement est assuré hors du budget de la défense par le Trésor mais les restrictions budgétaires auront naturellement des conséquences sur les achats. Cela étant, les programmes qui sont lancés arriveront à échéance alors que l'armée britannique et la coalition occidentale se seront retirées d'Afghanistan.

Le général Stirrup a indiqué que la décision prise sur l'A400M n'avait jamais été considérée comme une bonne décision. Mais qu'une fois qu'elle avait été prise les forces armées britanniques seraient satisfaites à condition que les avions soient livrés à échéance prévue. Les forces aériennes ont besoin de cet avion pour le transport stratégique qui est fragilisé comme en France.

En conclusion, le général Stirrup a souligné l'importance de la relation militaire avec la France même si des difficultés persisteront sur la question de l'Union européenne. Du point de vue des militaires il est possible de faire plus et mieux.

5. Entretien avec Mme Gloria Craig, director international Security Policy, M. Stephen French, direction international Acquisition Policy et M. Sandy Johnston, Assistant Head of NATO and Europe Policy (Ministère de la défense)

Interrogée sur les réflexions en cours sur le concept stratégique de l'OTAN, Mme Gloria Craig a rappelé que le groupe d'experts réunis autour de Madeleine Albright avait pour vocation de verser des idées au débat et de faire rapport au secrétaire général de l'OTAN. M. Rasmussen a clairement indiqué que le projet de concept serait rédigé sous sa responsabilité à compter de l'été 2010. L'objectif est d'aboutir à un document court de cinq ou six pages explicitant les missions de l'OTAN.

Globalement parlant le Royaume-Uni approuve complètement la déclaration sur la sécurité de l'alliance rédigée en 2009. Les autorités britanniques souhaitent un document qui trouve un équilibre entre les dispositions de l'article 5 et les missions « expéditionnaires » qui correspondent à deux catégories différentes d'alliés. S'agissant de l'origine des menaces, la question des relations avec la Russie se posera puisqu'un certain nombre de membres de l'OTAN appartenant à l'Europe de l'Est s'inquiètent de la politique menée par ce pays, surtout après la crise avec la Géorgie.

S'agissant de l'élargissement, le Royaume-Uni considère que les pays candidats ont un droit à l'adhésion pour peu qu'ils respectent les critères de celle-ci.

La dissuasion, en particulier la dissuasion nucléaire, mais aussi la dissuasion conventionnelle ou la cyber dissuasion devront être incluses dans le concept stratégique.

L'OTAN dans sa forme actuelle est encore une construction de la guerre froide qui doit être profondément réformée. L'organisation est très mal gérée sur le plan budgétaire, sur les structures et le processus de décision. De ce point de vue, il est très important que la France soit totalement de retour dans l'OTAN puisqu'elle partage cette volonté de réforme. Les Etats-Unis comme la France et l'Allemagne sont en faveur d'une réforme de la structure de commandement. De plus, lors de la réunion informelle des ministres de la défense à Istanbul les 4 et 5 février 2010, le secrétaire d'Etat à la défense, Robert Gates, s'est prononcé de manière très ferme pour la réforme, en particulier pour celle de la gestion financière de l'organisation.

L'avenir et la mise en oeuvre de la PSDC ne fait pas débat au sein de l'opinion publique même si certains conservateurs et certains journaux tabloïds y sont fortement opposés. D'une manière générale les conservateurs ont adopté une rhétorique nuancée pour se laisser une marge de manoeuvre dans l'hypothèse de son arrivée au gouvernement et des décisions difficiles qu'il devra prendre rapidement. Depuis quatre ans l'apport de capacités a montré que la politique de sécurité et de défense européenne pouvait fonctionner. L'exemple de l'opération Atalanta de lutte contre la piraterie a montré que l'Europe a pu agir avec succès avant l'OTAN et une coopération avec d'autres nations comme la Chine ou la Russie, qui participent à la sécurisation des voies maritimes. Atalanta a montré que l'OTAN et l'Union européenne peuvent travailler efficacement ensemble.

M. Sandy Johnston a rappelé les deux niveaux de coopération, renforcée et structurée permanente, que le traité de Lisbonne prévoit pour les pays européens qui souhaitent contribuer à la construction de la PSDC. Pour ces coopérations il convient de fixer des critères. En dépit des réticences d'un certain nombre de petits pays le traité de Lisbonne met à disposition des instruments utiles.

Le Royaume-Uni reste toujours réticent à l'instauration d'un OPQ permanent, constatant que la mise en place d'Etat-majors temporaires est plus économe, budgétairement parlant, qu'une institution permanente qui, de plus, constituerait un doublon avec l'OTAN. Même dans l'hypothèse où cet état-major permanent serait de petite taille à l'origine, il faut tenir compte de la logique de développement de ces organismes qu'il est difficile d'enrayer ou de limiter. Le président de Rohan a rappelé la position française sur ce point et a souligné les limites du système de Berlin +.

Concernant la défense antimissiles et l'OTAN, le Royaume-Uni n'a pas de position à ce stade et souligne les coûts extrêmement importants d'un tel système complet. Une étude est en cours à l'OTAN dont on attend les résultats. M. Josselin de Rohan a rappelé l'impact que pourrait avoir la défense antimissiles sur la dissuasion. En matière de désarmement les États-Unis et la Russie doivent faire preuve de la même transparence que le Royaume-Uni et la France.

Interrogé par M. Daniel Reiner sur la question de l'A400M, M. Stéphane French a indiqué que le ministère de la défense voulait obtenir l'avion qui avait été commandé pour la somme engagée. Le Royaume-Uni se tourne vers la France et l'Allemagne pour s'assurer que le fournisseur tienne sa parole. Le Royaume-Uni ne peut contribuer à n'importe quel coût. La balle est désormais dans le camp d'EADS auquel une proposition a été faite en marge du sommet de l'OTAN. Le ministère de la défense fait face à un besoin opérationnel puisqu'il ne dispose plus d'avions de transport stratégique. L'Afghanistan a en effet tiré sur les capacités et il existe une lacune importante qui devait être comblée par l'A400M. Les vols d'essais qui ont eu lieu ont rassuré sur les capacités de l'avion mais il faut désormais avoir un calendrier et un coût définitif.

6. Entretien avec Mr Julian Miller, Deputy Head Foreign and Defence Policy Secretariat (Cabinet office)

Interrogé sur les perspectives de coopération entre la France et le Royaume-Uni, M. Julian Miller a tout d'abord abordé la question des sonars. Il existait auparavant de petits projets sur cette question mais le potentiel de coopération est peut-être plus important notamment pour les sous-marins. Thalès UK est en effet le point de contact industriel pour les sonars de sous-marins. De son côté, s'agissant des sonars pour les navires de surface qui utilisent les basses fréquences, la France bénéficie peut-être de plus d'expérience. Il existe donc des possibilités d'échanges techniques et tactiques.

D'une manière générale le Royaume-Uni attache beaucoup d'importance au partenariat entre les deux pays qui sont des partenaires clés en matière de défense. Comme l'a confirmé M. Liam Fox, l'importance de la relation ne sera pas affectée par le résultat des élections.

S'agissant de l'avion de combat du futur M. Miller a indiqué qu'il était difficile aujourd'hui de se prononcer sur la façon dont ce programme «Fastjet » sera développé car c'est l'une des questions clés qui sera examiné par la revue de défense après les élections législatives. Des décisions difficiles seront à prendre. Ce qui est certain c'est qu'aujourd'hui on a trop d'avions de combat : EuroFighter, JSF et autres. Si le Royaume-Uni continu à acheter des JSF cela mène à l'horizon 2025-2030. Projeter la réflexion au-delà c'est regarder dans une boule de cristal. Y a-t-il un avenir pour des chasseurs avec pilote ? S'orientera-t-on vers des drones ?

M. Josselin de Rohan a rappelé que si rien n'était fait, la base industrielle en matière d'aéronautique de défense au Royaume-Uni comme en France disparaîtra avec ses conséquences en matière de dépendance technologique, de perte de savoir-faire et naturellement d'emplois. Une vision à long terme est certes nécessaire, puisque la durée de vie de ces appareils est d'une quarantaine d'années mais il faut bien être conscient que les décisions doivent se prendre aujourd'hui.

M. Daniel Reiner a rappelé qu'il existe des possibilités de coopération entre Dassault et Bae sur le drone MALE. M. Miller a indiqué que le Royaume-Uni souhaiterait plus de coopération dans ce domaine.

Sur l'A400M les arguments ont été présentés par EADS pour qu'ils obtiennent plus de fonds. Cependant l'audit réalisé par Price a chiffré à 2 milliards d'euros les surcoûts supplémentaires alors qu'EADS demande 4,5 à 5 milliards d'euros. Ces demandes, pas plus que celles concernant les avances remboursables, ne sont pas agréées par le gouvernement britannique dont l'analyse financière ne montre pas un tel besoin de financement. Le gouvernement souhaite disposer de cet avion de transport stratégique pour combler le manque actuel. M. Miller partage les analyses de M. de Rohan sur les possibilités à l'exportation de cet avion et sur le fait qu'il permettra aux états membres du consortium de ne pas être totalement tributaire des Etats-Unis.

Pour M. Daniel Reiner la même problématique se pose en matière de missiles, qui ne valent que par les avions qui les emportent. MBDA a des choix à faire, en particulier pour rationaliser ses implantations, si aucun plan de charge ne lui est fourni pour les années à venir. Il convient de coordonner les commandes entre les deux pays. M. Miller a rappelé que lorsque le Royaume-Uni est entré dans le programme Météor, c'était en partie pour préserver une base industrielle britannique et consolider la relation en Europe. En matière de satellites, les capacités nationales ont été acquises par partenariat public-privé (PPP) et le Royaume-Uni n'a pas de projets pour aller dans une voie différente aujourd'hui, alors que la capacité anglo-américaine actuelle donne des possibilités en matière de reconnaissance.

Évoquant la question des ravitailleurs et du marché de renouvellement de ces appareils aux Etats-Unis, M. Julian Miller a indiqué que le cabinet britannique s'inquiétait des conditions de cet appel d'offres et faisait pression sur les États-Unis pour qu'ils acceptent un marché équitable. Il a rappelé que le Royaume-Uni était sur le point d'acquérir les mêmes Airbus pour ses propres besoins.

En conclusion, M. Julian Miller a rappelé qu'il était important pour l'Europe de disposer d'une capacité et d'une base industrielle de défense mais qu'il ne fallait pas hésiter non plus à acheter au meilleur coût, ce qui favorise évidemment les États-Unis qui offrent des prix inférieurs comptent tenu des séries et du taux du dollar par rapport à l'euro. Le groupe de haut niveau mis en place depuis 2006 est un bon forum pour réfléchir à cette problématique. Réagissant à la proposition de M. de Rohan de la création d'un groupe de suivi parlementaire, M. Julian Miller a indiqué qu'effectivement celui-ci pourrait être très utile pour favoriser la coopération de défense entre la France et le Royaume-Uni.


* 1 Le Livre blanc de 1998 mettait en avant une stratégie du «go first, go fast, go home» qui s'est heurtée aux réalités des conflits irakien et afghan et à des guerres de contre-insurrection qui impliquent une mobilisation dans la durée.

* 2 Defense strategy for acquisition reform p.20

* 3 Voir le texte de la déclaration conjointe sur la sécurité et la défense (sommet franco-britannique du 6 juillet 2009)

* 4 Voir la déclaration Défense et Sécurité du Sommet franco-britannique de juillet 2009

* 5 Les CEMM se sont rencontrés ainsi cinq fois en 2009 (cadre bilatéral ou multilatéral).

* 6 Les discussions bilatérales pour construire en commun un porte-avions ou un avion de chasse n'ont pas abouti. L'A 400M est réalisé en partenariat avec d'autres pays.

* 7 Les chiffres cités sont des estimations de la part défense des industries française et britannique. Outre le fait qu'un certain nombre d'industriels ne communiquent pas le détail de la composition du CA entre activités militaires et civiles, le périmètre retenu peut être sujet à caution, notamment pour des groupes ayant de fortes implantations aux Etats-Unis du fait de la comptabilisation de l'activité des filiales.

* 8 Source DGA 7-12-2009

* 9 En décembre 1995, la France et l'Allemagne décident de progresser ensemble et mettent en oeuvre de nouveaux principes de coopération, dits de Baden-Baden, dans le cadre d'une structure d'armement franco-allemande. Le Royaume-Uni et l'Italie adhèrent très rapidement à cette démarche. Les quatre Etats créent ensemble, le 12 novembre 1996, l'organisme conjoint de coopération en matière d'armement (OCCAR) dont la vocation principale est la gestion des programmes d'armement. En 1998, ils signent une convention destinée à lui conférer une personnalité juridique. Avec son entrée en vigueur le 28 janvier 2001, l'Occar devient l'organisation conjointe de coopération en matière d'armement. La Belgique y a adhéré en 2003, suivie par l'Espagne en 2005. L'Occar concrétise une nouvelle approche de la coopération européenne en matière d'armement dont l'objet est de pallier les insuffisances des coopérations traditionnelles. A cet effet la convention prévoit de nouveaux principes pour les acquisitions :

• mise en concurrence des fournisseurs des différents Etats membres ;

• extension à la concurrence extra-européenne en cas de réciprocité effective ;

• abandon du juste retour industriel apprécié annuellement et programme par programme ;

• acquisition préférentielle par les Etats membres des équipements au développement desquels ils ont participé dans le cadre de l'Occar.

* 10 NATO Response Force

* 11 France, Allemagne, Italie, Espagne, Suède et Royaume-Uni

* 12 Bruno Carré, chercheur associé à l'Iris « La défense britannique dans la tourmente électorale » 16 octobre 2009

* 13 Source The Times 1 er février 2010 « A pact with France will keep us fighting fit"

* 14 Le 27 juillet 2000, les ministres de la défense de six pays européens (Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni, Suède) ont signé un traité (« Accord-cadre ») en vue de la mise en oeuvre des mesures prévues dans la « lettre d'intention » du 6 juillet 1998, qui visaient à faciliter les restructurations et le fonctionnement de l'industrie européenne en matière d'armement.

Le processus LoI consiste fondamentalement à encourager la concertation des représentants étatiques et le dialogue avec les industriels des six pays. Son cadre restreint permet aux six partenaires d'oeuvrer à la convergence des priorités et des pratiques nationales, ainsi qu'à simplifier et à harmoniser les procédures entre pays dans les domaines indiqués par le traité.

* 15 Un démonstrateur technologique regroupe un ensemble de technologies nouvelles, développées souvent séparément, pour assurer les fonctionnalités techniques clés d'un futur produit. Il permet de définir et de vérifier dans un environnement opérationnel les performances atteignables, et de maîtriser le risque technique et industriel associé.

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