(3) Lutter efficacement contre les inégalités

A l'occasion des débats sur les établissements situés en éducation prioritaire, l'attention de votre mission a été attirée à plusieurs reprises sur l'évolution de la lutte contre les inégalités scolaires, politique qui tend à se confondre avec la lutte contre la difficulté scolaire ou la politique de renouvellement des élites.

Ainsi, pour Mme Agnès Van Zanten, « la problématique de renouvellement des élites est tout à fait différente de celle consistant à lutter contre les inégalités d'éducation . Aux États-Unis notamment, nous avons assisté à un grand mouvement de renouvellement des élites, grâce aux politiques d'affirmative action, et ce alors même que la situation des élèves noirs dans les lycées les plus défavorisés n'a fait que se dégrader au fil des ans.

« De fait, il est beaucoup plus facile de travailler avec un petit groupe d'élèves très motivés et bien encadrés, issus de milieux sociaux pas nécessairement très défavorisés, plutôt que de s'attaquer aux difficultés du plus grand nombre . A cet égard, les enseignants très militants que j'ai connus dans les ZEP dans les années 1980 sont aujourd'hui ceux qui enseignent dans les lycées partenaires de Sciences Po ou qui participent activement à toutes ces expériences plus ciblées et dont le retour sur investissement est plus directement visible. Pour intéressantes qu'elles soient, toutes ces expériences n'en sont pas moins problématiques dans la mesure où elles ont tendance à se substituer à une réelle politique de lutte contre les inégalités. »

La transformation de la lutte contre les inégalités scolaires a également été abordée par M. Jean Yves Rochex, sociologue enseignant à l'université Paris VIII, qui estime que cette dernière se dilue dans la lutte contre l'échec scolaire :

« Une remarque préliminaire : la permanence du vocable utilisé - politique d'éducation prioritaire - masque une forte discontinuité de l'objet. Celui-ci est marqué par des relances gouvernementales, qui sont autant d'extensions successives de son périmètre.(...) En France comme en Europe, on lui assigne désormais pour objectif la « promotion » des « potentiels » individuels avec un référentiel psychologisant, et non plus la lutte contre les inégalités sociales fondée sur une analyse sociologique - courant auquel j'appartiens - comme à ses débuts dans les années 1981 à 1983. »

« L'extension démesurée de la carte des ZEP a abouti non seulement à une dilution de l'effort mais aussi à une modification du projet initial. Le sigle de ZEP est désormais uniquement associé à la politique de lutte contre l'échec scolaire ; leurs concepteurs poursuivaient un autre but : transformer les territoires les plus en difficulté, ceux où les missions mêmes du service public étaient menacées, en des laboratoires du changement social où l'on inventerait d'autres manières de faire afin de réussir la démocratisation du système scolaire. Fait significatif, on ne parle plus de production d'inégalités à l'école, mais de politique ZEP. » 51 ( * )

Votre mission s'inquiète de ces analyses au regard des conclusions de l'enquête PISA , évoquées dans l'introduction du présent rapport, qui constatent l'accroissement des inégalités scolaires et indiquent que l'échec scolaire en France s'explique essentiellement par l'environnement socio-économique de l'enfant : à cet égard, la perte du référentiel sociologique au profit du référentiel psychologisant n'est pas satisfaisante. Il serait donc souhaitable que la politique de l'éducation prioritaire se recentre sur l'objectif de réduction des inégalités , ce qui justifie les propositions ci-dessus présentées par votre rapporteur de faire de l'affectation en éducation prioritaire une mission particulière.


* 51 Audition du 7 juin 2011 de M. Jean-Yves ROCHEX

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