III. RESTRUCTURER L'OFFRE SCOLAIRE EN DÉVELOPPANT LES RÉSEAUX D'ÉTABLISSEMENT

A. CONFORTER LA LOGIQUE DE RÉSEAU INITIÉE DANS L'ÉDUCATION PRIORITAIRE

1. Pérenniser les Réseaux « ambition réussite » (RAR)

Une fois réaffirmée la responsabilité pédagogique essentielle des établissements au sens générique et précisée son articulation avec les rôles dévolus à l'administration centrale, au recteur et aux corps d'inspection, reste à en tirer les conséquences sur leur structure interne. Votre mission considère qu'à bien des égards, l'organisation actuelle des établissements gêne l'accomplissement de leur mission pédagogique. Des problèmes lancinants et abondamment documentés, comme les effets dans le premier degré de l'absence de personnalité morale des écoles et des lacunes du statut de directeur, n'ont pas encore trouvé de solutions opérationnelles, malgré des initiatives éparses du Gouvernement ou de parlementaires. De même, la césure entre l'école et le collège a souvent été dénoncée car rédhibitoire pour assurer la progressivité des apprentissages et/ou répondre utilement aux difficultés scolaires.

Votre mission plaide ainsi pour la mise en place de réseaux d'établissements réalisant dans des bassins de recrutement et de formation une intégration verticale, entre niveaux d'enseignement différents, et horizontale, à un même niveau d'enseignement . Votre rapporteur est convaincu qu'il s'agit là d'un des éléments essentiels permettant de répondre de façon adéquate à des défis aussi divers que la fluidification des parcours des élèves et le lissage des ruptures pédagogiques, la vivification des écoles rurales et la réussite de l'éducation prioritaire. M. Luc Chatel, ministre de l'Éducation nationale, en a convenu : « les établissements doivent être mis en réseau, comme c'est déjà le cas pour l'éducation prioritaire avec les Réseaux ambition réussite (RAR). Le réseau est horizontal lorsque, dans un même lieu, on associe les établissements scolaires qui, à eux tous, proposent une offre de formation complète, avec des enseignements d'exploration en seconde, des options, etc. [...] Mais le réseau peut aussi être vertical : je pense aux réseaux d'acteurs pour la réussite éducative (RARE), qui associent lycées, collèges et écoles, mais aussi à « l'école du socle » 52 ( * ) .

C'est d'ailleurs l'éducation prioritaire qui peut servir de modèle à l'ensemble de l'Éducation nationale en ce domaine , puisque depuis sa relance officielle en 2006, elle a renforcé sa logique de réseau grâce à la constitution des Réseaux « ambition réussite » (RAR) et des Réseaux de réussite scolaire (RRS). La circulaire qui détaille la mise en oeuvre de cette relance le précise : « Le réseau structure la nouvelle organisation de l'éducation prioritaire . Piloté localement par un comité exécutif, il fédère les établissements scolaires et ses partenaires autour d'un projet formalisé par un contrat passé avec les autorités académiques, afin d'assurer la réussite scolaire de tous les élèves. Pour l'ensemble de l'éducation prioritaire, il convient qu'un collège devienne l'unité de référence du réseau qu'il crée avec les écoles élémentaires et maternelles d'où proviennent ses élèves. (...) Pour faciliter le travail en concertation dans les réseaux de l'éducation prioritaire, des « comités exécutifs » seront créés , avant le 1er mai 2006 pour les réseaux « ambition réussite » et d'ici la rentrée 2007 pour l'ensemble de l'éducation prioritaire. Chaque comité exécutif est constitué du principal de collège, du principal-adjoint et de tous les directeurs des écoles élémentaires et maternelles rattachées. L'IEN (inspecteur de l'éducation nationale) de la circonscription peut également faire partie de cette structure qui se substitue progressivement à toutes les instances de l'éducation prioritaire en devenant, dès à présent, l'instance de pilotage local de la politique mise en oeuvre dans le réseau « ambition réussite », et à terme, dans l'ensemble des réseaux de l'éducation prioritaire. (...) 53 ( * ) »

Le ministère de l'Éducation nationale a rendu public, en janvier 2011, le bilan national des Réseaux « ambition réussite » qui avait été effectué au cours de l'année 2010. Si la plus-value apportée par les actions du réseau à la réussite des élèves, en particulier du point de vue des acquis scolaires, reste encore mal évaluée, le rapport indique que la politique de réseau a intensifié le travail en équipe au sein du collège et entre les écoles et le collège . A cet égard, les collaborations inter-degrés permettraient de mieux penser et organiser le cursus scolaire des élèves, notamment leur entrée en sixième . Par ailleurs, les comités exécutifs des réseaux apparaissent comme de véritables instances d'échanges et de débats dont la dynamique pourrait toutefois être améliorée, si les liens avec les autres dispositifs institutionnels, tels que le conseil pédagogique du collège, étaient renforcés.

« Si d'une façon générale la politique RAR influe de façon positive sur les pratiques pédagogiques, force est de constater que les enseignants ne sont pas tous investis dans cette dynamique, certains restant très en retrait. Le travail d'équipe nécessite d'opérer des changements profonds dans ses pratiques, sa vision du métier. Ces changements de culture professionnelle sont probablement plus longs à mettre en oeuvre pour les enseignants du collège, en raison de la prédominance des disciplines et du clivage traditionnel entre pédagogie et vie scolaire dans le second degré. » 54 ( * )

La réflexion sur la difficulté scolaire, qui constitue un axe majeur du travail d'équipe en RAR, a permis aux équipes d'établir un diagnostic plus fin des acquis des élèves, de mieux identifier leurs besoins et de proposer des prises en charge plus pertinentes. « La dimension plus collective du travail enseignant en RAR conduit, de façon paradoxale, à une plus grande individualisation des parcours d'apprentissage des élèves, le plus souvent dans le cadre de petits groupes d'apprentissage. Cette dynamique à l'oeuvre dans les RAR permet parfois d'initier un changement de logique dans la gestion des difficultés scolaires avec le passage d'une logique de la remédiation à celle de l'anticipation des difficultés d'apprentissage . » 55 ( * )

La mission s'inquiète toutefois de l'évolution annoncée des Réseaux « ambition réussite » (RAR) qui ont vocation, aux termes de la circulaire relative à la préparation de la rentrée 2011 56 ( * ) , à être intégrés dans le programme Éclair, ce dernier étant lui-même la nouvelle appellation du programme Clair : « À la rentrée 2011, le programme Clair , expérimenté dans 105 EPLE en 2010-2011, est élargi au premier degré et devient le programme Éclair » : « écoles, collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite ». Il a pour objectif la réussite de chaque élève et la réduction des écarts dans les résultats. La liste nationale établie pour la rentrée 2011 concernera en priorité les établissements ayant expérimenté le programme en 2010-2011, les réseaux « ambition réussite » et, le cas échéant, quelques établissements proposés par les recteurs. L'ensemble des collèges concernés par le programme s'organisera en réseaux avec les écoles élémentaires et maternelles de leur secteur et dont la liste sera également arrêtée à partir des propositions des recteurs. »

Si la circulaire mentionne bien la nécessité pour ces établissements de s'organiser en réseaux, elle reste toutefois elliptique sur ces derniers. Or, le programme Clair ne comportant initialement aucune référence au travail en réseau 57 ( * ) , il serait regrettable que, sous couvert d'une énième relance de l'éducation prioritaire, la politique de réseau renforcée en 2006 ne soit plus une priorité ou qu'elle conduise, compte tenu de la modification de la cartographie de l'éducation prioritaire, à désorganiser ce qui vient à peine d'être réalisé.

A l'occasion de son déplacement en Suisse le 28 mars 2011, la mission a été favorablement impressionnée par la politique mise en oeuvre dans le canton de Genève dans ce domaine.

Le Réseau d'enseignement prioritaire (REP) du canton de Genève

La politique de la ville ne fait pas l'objet dans le canton de Genève d'un traitement véritablement distinct, bénéficiant d'un service à part entière et de dispositifs absolument propres. Il s'agit d'une mission transversale assumée par le département de l'instruction publique (DIP) parce qu'elle s'appuie en particulier sur une politique d'enseignement prioritaire, ciblée sur le primaire et engagée depuis la rentrée 2006. Le canton et les communes se sont engagés parallèlement au développement du REP à travailler sur l'amélioration du logement et du cadre de vie.

Le REP du canton de Genève - la même politique est suivie dans le canton de Vaud mais, dans ce second cas, la liste des établissements en REP n'est pas rendue publique afin d'éviter la stigmatisation et la fuite des élèves - comprend 17 établissements primaires sur 89, soit 19 % de la population scolaire en primaire. Il ne répond pas à une logique de zonage. Pour entrer dans un REP, un établissement doit se caractériser par une proportion d'élèves appartenant à des milieux défavorisés supérieure à 55 % de la population scolaire de l'établissement. Lorsque l'établissement est proche du seuil, on examine le taux d'enfants allophones (globalement plus de 40 % des élèves de Genève).

Mais, l'inscription dans un REP n'est pas du ressort unilatéral de la DIP : il s'agit d'une possibilité proposée à l'établissement. La validation de l'entrée dans le REP dépend, en dernier ressort, de l'engagement volontaire de l'ensemble de l'équipe d'enseignants à demeurer dans l'établissement pour au moins trois ans. Le canton conditionne donc l'allocation de ressources supplémentaires à la stabilité de l'équipe pédagogique.

Les ressources supplémentaires allouées aux écoles faisant partie du REP leur permettent de bénéficier d'un meilleur taux d'encadrement (1 enseignant pour 15 élèves, contre 1 enseignant pour 18 élèves dans les autres établissements) et d'un moindre nombre moyen d'élèves par classe (18,5 contre 20,75 élèves dans les classes des écoles hors REP). Un accent particulier est mis sur l'apprentissage de la langue française pour favoriser l'intégration des allophones. Enfin, un éducateur spécialisé est nommé dans chaque école du REP. En collaboration avec les enseignants, ce dernier sert d'interface entre les familles et l'école. Il est chargé de favoriser l'installation d'un climat scolaire propice à l'apprentissage et d'apporter un soutien éducatif aux familles ; il agit donc à la fois dans l'école et en-dehors, notamment en soutien des services sociaux.

Les résultats du REP sur les performances scolaires sont difficiles à évaluer dans la mesure où le dispositif est tout récent et l'échantillon réduit. Il semble néanmoins que la fonction d'éducateur spécialisé soit bien accueillie à la fois par les familles et les écoles et contribue à l'amélioration du climat scolaire. Le canton réfléchit à l'extension du dispositif à l'enseignement secondaire.

2. Le développement de réseaux efficaces est-il compatible avec l'assouplissement de la carte scolaire ?

La mission souligne qu'il peut y avoir une contradiction entre le développement des réseaux, qu'elle prône, et la nouvelle dynamique des aires d'attraction des établissements scolaires depuis l'assouplissement de la carte scolaire. Le travail des réseaux nécessite de la stabilité ; or la carte scolaire n'est plus une garantie de stabilité de la population scolaire, notamment pour les établissements situés en zone d'éducation prioritaire.

M. Jean Picq, président de chambre à La Cour des comptes, a également constaté 58 ( * ) »- au vu des chiffres fournis par le ministère - « qu'à la suite de l'assouplissement de la carte scolaire, des collèges « Ambition, réussite » avaient vu partir leurs meilleurs élèves, ce qui favorise un processus de « ghettoïsation ». Comme, depuis, il n'y a pas eu d'enquête sur ce point, il serait intéressant que votre mission d'information pose publiquement la question de la carte scolaire et de son assouplissement. » (10 janvier 2011)

Dans son rapport sur l'articulation des dispositifs éducatifs, la Cour des comptes a en effet démontré, en 2009, que « sur les 254 collèges « Ambition réussite », 186 établissements ont perdu des élèves, ce qui s'est traduit par une plus grande concentration dans ces collèges des facteurs d'inégalités contre lesquels doit lutter la politique d'éducation prioritaire (...) et la création de ghettos scolaires » .

Un an auparavant , un rapport des inspections générales du ministère de l'Éducation nationale sur « les nouvelles dispositions de la carte scolaire », remis en octobre 2007 , a rappelé que « les familles renseignées et intéressées par l'assouplissement de la carte scolaire agissent aussi pour échapper à la mixité sociale ». Or, ce rapport a souligné que « ce sont moins les performances du collège et son offre d'enseignement qui sont dissuasives, que son implantation ».

Ces risques de dérive ont alerté le Conseil national des villes, qui, dans son avis du 10 février 2009 relatif à « la mise en oeuvre des mesures de la dynamique Espoir Banlieues relatives à l'éducation », a exprimé des réserves sur les récentes mesures d'assouplissement de la carte scolaire : « Le Conseil exprime ses réserves sur des mesures d'assouplissement de la carte scolaire qui ne seraient pas fortement encadrées par des dispositions volontaristes permettant d'accroître la mixité sociale. Il considère que ces dispositions devraient être plus largement connues et faire l'objet d'une information des collectivités locales intéressées, afin que soit élaboré avec elles un véritable projet éducatif d'ensemble permettant de faire bénéficier ces établissements des ressources des uns et des autres. (...) Il souhaite en outre qu'un premier bilan des nouvelles mesures soit dressé à la fin de la présente année scolaire, notamment dans les quartiers relevant de la politique de la ville, afin de mieux connaître les caractéristiques des établissements qui ont perdu des élèves et de ceux qui ont été les plus demandés, les motivations des familles, l'effet des nouvelles dispositions sur la mixité sociale dans les établissements, les mesures qui ont été prises pour aider les établissements les plus en difficulté. »

Notre collègue Alain Dufaut a d'ailleurs témoigné de la réalité de ces dérives en Avignon, lors de l'audition par la mission de membres de la Cour des comptes, le 11 janvier 2011 : « L'assouplissement de la carte scolaire a eu des effets pervers dans les quartiers sensibles, comme j'ai pu le constater. Il a entraîné un écrémage des meilleurs élèves et une ghettoïsation accrue. »

L'ensemble des conséquences de l'assouplissement de la carte scolaire sont délicates à apprécier. Toutefois, s'agissant des établissements situés en éducation prioritaire, votre mission estime nécessaire de revenir à une carte scolaire stricte permettant la stabilité des réseaux et la mise en place d'actions durables par les équipes pédagogiques . Cette recommandation est cohérente avec les propositions qu'elle formule, par ailleurs, sur la revalorisation des équipes pédagogiques affectées en éducation prioritaire. S'agissant des établissements situés hors éducation prioritaire, votre mission souhaite qu'un bilan précis de l'assouplissement de la carte scolaire soit effectué afin d'évaluer objectivement la pertinence de cette politique au regard des contraintes qu'elle pose en termes de gestion .


* 52 Audition du 26 avril 2011.

* 53 Extrait de la circulaire n° 2006-058 du 30-03-2006 sur les principes et les modalités de l'éducation prioritaire.

* 54 Bilan national des réseaux « Ambition réussite » - juin 2010 - Ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.

* 55 Idem.

* 56 Circulaire n° 2011-071 du 2 mai 2011 relative à la préparation de la rentrée 2011.

* 57 Cf . la circulaire n° 2010-096 du 7 juillet 2010 relative au programme Clair

* 58 Audition du 10 janvier 2011.

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