Deuxième table ronde
-
Fonctionnement du service public de l'éducation :
du cloisonnement au partenariat

Mme Marie-Caroline Missir . - Cette deuxième table ronde est consacrée à la question de la place des partenaires de l'éducation que sont les collectivités territoriales. Pour en fixer le cadre, je rappelle deux éléments importants dans l'actualité récente :

- l'association des Régions de France (ARF) a récemment réclamé la compétence Régions, alors que pendant l'acte II de la décentralisation, le transfert de cette compétence avait suscité des hésitations. La question de l'acte III de la décentralisation se pose assez régulièrement ;

- est également souvent évoquée la convention tripartite, répondant à une volonté de faire plus travailler ensemble rectorats, collectivités et ministère. Cette convention est-elle possible ? C'est la question que nous allons aborder.

Monsieur Dubois, je vous invite à présenter l'expérience menée dans votre communauté de communes d'Ailly-le-Haut-Clocher.

M. Daniel Dubois, président de la communauté de communes d'Ailly-le-Haut-Clocher (Somme), sénateur et membre de la mission . - Je suis président de la communauté de communes d'Ailly-le-Haut-Clocher, regroupant vingt communes rurales et comptant huit mille habitants, à proximité de la Baie de Somme. Je ne sais si notre communauté a innové, mais elle a volontairement restructuré, grâce à une démarche politique majeure. Nous ne voulions pas voir nos écoles fermer les unes après les autres, ni passer à côté de la pédagogie numérique, ou subir le « turnover » des enseignants dans les petites écoles. La collectivité, quasiment unanimement, a décidé de dépenser plus pour l'école, afin d'accorder aux enfants de son territoire, avec des écoles et des équipements comparables, les mêmes chances que celles des jeunes en milieu urbain. L'évaluation de la situation dans les treize écoles de notre territoire avait fait apparaître des écarts considérables, allant de 6 à 86 euros par habitant selon les écoles.

Le travail communautaire visait à :

- construire de nouvelles écoles pour apporter de meilleures conditions matérielles ;

- garantir l'équité de traitement ;

- favoriser le travail en équipe dans l'école ;

- optimiser le lien école-collège ;

- stabiliser l'équipe enseignante ;

- mettre en place un projet éducatif.

Le projet s'est déroulé sur sept ans ; les débats ont même démarré en 2003, les premières avancées concrètes datant de 2005. La communauté de commune a pris la compétence en 2007. A la suite d'un débat long et complexe, nous avons finalement construit trois écoles en remplacement des treize existantes, pour accueillir environ 750 élèves. Elles ont ouvert en septembre 2010. De haute qualité environnementale, toutes ces écoles sont connectées à Internet en très haut débit et sont équipées de tableaux blancs interactifs, d'espaces numériques de travail, de classes mobiles de trente ordinateurs et d'un cyber-centre médiathèque ouvert aux parents à certaines plages horaires, favorisant ainsi le décloisonnement. Bien entendu, des solutions périscolaires adaptées ont également été mises en oeuvre.

La parentalité est engagée et le politique est un partenaire. C'est ainsi qu'il doit être pris en compte par l'éducation nationale.

L'école d'Ailly-le-Haut-Clocher, située à proximité immédiate du collège, de deux salles de sport et d'une salle culturelle, compte trois cents élèves répartis dans douze classes. Celle de Pont-Rémy comprend huit classes et la commune a construit un petit gymnase à côté. Enfin, celle de Saint-Riquier, au pied de l'abbatiale, compte dix classes.

Au total, le projet a coûté dix millions d'euros. La collectivité a engagé 1,5 million d'euros sur ses fonds propres et a emprunté 1,5 million d'euros. Nous avons bénéficié de l'aide de partenaires : le conseil général, la région, l'État et l'Europe se sont tous engagés à nos côtés.

Les élus se sont beaucoup investis. Plus de trois cents réunions ont eu lieu sur le territoire. Nous avons travaillé en partenariat avec l'éducation nationale. Nous considérons que le décloisonnement est cependant encore insuffisant. C'est pourquoi nous nous engageons aujourd'hui dans une convention culturelle avec le conseil général, afin que trois actions culturelles soient menées dans nos écoles. Nous nous engageons également avec lui sur une expérimentation.

Bien sûr, nous souhaitons une évaluation, dans le cadre d'un réel partenariat avec l'éducation nationale pour poursuivre la démarche engagée. Nous souhaitons qu'elle détermine si les équipements mis en place sont réellement adaptés et émette éventuellement des préconisations. Nous aimerions construire localement un conseil de l'éducation pour porter un regard croisé avec tous les acteurs (parents, conseil général avec ses services sociaux, éducation nationale, élus, caisse d'allocations familiales) sur ce que nous avons mis en oeuvre.

Mme Carla Van Cauwenberghe, inspectrice senior de l'éducation aux Pays-Bas . - Mon collègue et moi-même sommes l'exemple vivant du bon fonctionnement de la coopération entre le service public de l'éducation et le monde scolaire au Pays-Bas.

Notre pays a une longue tradition de libre choix concernant l'éducation ; c'est inscrit dans notre constitution. Les parents choisissent leur école et ont le droit d'en fonder une. Les conseils d'administration des établissements scolaires sont relativement autonomes. Ce contexte implique un système d'enseignement décentralisé : les écoles choisissent leur statut (public ou privé) et établissent leurs programmes d'enseignement. Le financement est public. En revanche, les examens de fin d'études secondaires sont centralisés. Tous les élèves passent en même temps le même examen.

Pour établir plus de transparence dans la qualité de l'éducation, nous avons défini nationalement des niveaux de base à atteindre, qui servent de cadres de référence dans les matières jugées indispensables : l'arithmétique, les mathématiques et la langue maternelle.

Dans les années 90, beaucoup de réformes ont été introduites dans notre système éducatif. Toutes les innovations ne se sont pas traduites par des succès partout. C'est pourquoi une évaluation des réussites et échecs a été lancée par le biais d'une enquête parlementaire. Il en est ressorti la nécessité d'une répartition claire des rôles et responsabilités entre l'État et les établissements scolaires. L'État détermine ce que chaque élève doit avoir appris à la fin d'un cycle, tandis que les établissements scolaires déterminent comment atteindre ces résultats. L'État peut par exemple définir des objectifs ciblés par secteur, un tronc commun, des programmes d'examen, une base de connaissances, des niveaux dans les matières prioritaires ou encore des compétences professionnelles.

Le ministre passe des accords de mise en oeuvre avec les associations employeurs du secteur et détermine des agendas de qualité par secteur avec elles et les organisations de branche.

Au niveau national les responsabilités sont partagées. Chaque année, au Parlement, l'inspecteur général (directeur de l'Inspection nationale) présente et commente le rapport national concernant la situation qualitative du système. Dans chaque secteur (primaire ou secondaire), le ministre présente son agenda stratégique quadriennal concernant l'amélioration de la qualité de l'éducation suivant des critères de performance convenus avec les associations employeurs et les organisations de branche par secteur.

Les responsabilités sont organisées verticalement. Le conseil d'administration de l'établissement scolaire établit un rapport annuel sur les résultats obtenus, sur la base d'un protocole de contrôle établi par le ministère. Le conseil d'ordre approuve ce rapport qui est ensuite présenté au ministère. Ce document est l'un des trois supports utilisés par l'Inspection pour déterminer le niveau de « contrôle qualité annuel ». Ce niveau est la traduction opérationnelle du niveau de confiance que l'État et les citoyens peuvent avoir dans la qualité des prestations éducatives fournies. Le deuxième support utilisé par l'Inspection recense les résultats obtenus par les élèves de chaque section. Enfin, le troisième support est constitué de l'ensemble des signaux émanant de l'activité éducative, captés par l'Inspection.

M. Eugène Bernard, président du conseil d'administration d'un réseau d'établissements aux Pays-Bas (« Ons Middelbaar Onderwijs ») . - Je ne suis pas fonctionnaire, mais responsable d'un groupe d'écoles qui emploie 6 000 personnes et compte environ 60 000 élèves. Notre budget annuel est d'environ un demi-milliard d'euros. Mme Van Cauwenberghe fait partie de l'Inspection et nous travaillons ensemble.

S'agissant tout d'abord du fonctionnement d'une école aux Pays-Bas, je précise que tout notre travail est en faveur des élèves. Un conseil de participation, composé d'employés, de parents et d'élèves, dispose d'un droit de veto dans certains cas. Ses membres sont élus. Nous avons également un conseil d'administration, dont je suis président. Un groupe d'écoles en regroupe une centaine. Enfin, nous sommes sous le contrôle d'un conseil d'ordre. Aucun élément de ce système ne peut opérer en totale autonomie, en raison des interdépendances. Cela crée un équilibre.

L'État nous indique ce que nous devons faire. A nous de décider comment y parvenir. J'étais surpris par les débats de la première table-ronde : aux Pays-Bas, nous expérimentons de manière simple. En l'absence de résultat, aucun crédit n'est alloué. L'État me contrôle directement. La municipalité est également un partenaire, surtout en matière immobilière. Tous les employeurs appartiennent à une association et nous traitons des conditions de travail avec les syndicats d'employés.

Vous parlez de partenariat quand nous préférons parler de copropriété. Dans mon organisation, les copropriétaires sont les parents et les entreprises. Tous les ans ou tous les deux ans, une convention collective de travail est définie. Elle peut différer d'un groupe d'écoles à un autre. S'il existe une convention collective nationale, des différences sont cependant admises, permettant aux employeurs de se distinguer les uns des autres.

La dotation des moyens est basée sur le nombre d'élèves. Un tarif différentiel est appliqué selon le type d'enseignement (professionnel ou général). La simplicité de ces financements nous permet, connaissant le nombre d'enfants que recevront nos écoles dans les années à venir, d'établir des budgets prévisionnels sur cinq à dix ans.

Dans notre bilan annuel, nous rendons compte des activités d'éducation et des données financières.

Nos cycles d'évaluation concernent les dispositifs mais surtout les résultats car l'important, ce sont les élèves.

Le degré d'autonomie dont nous disposons en tant qu'organisation existe aussi pour les écoles elles-mêmes. Lorsqu'un proviseur a une bonne idée, nous en discutons. Si elle ne présente pas de risque pour les élèves, il peut l'expérimenter. Les résultats de nos expérimentations sont systématiquement publiés.

Mme Marie-Caroline Missir . - Pour poursuivre, je propose aux intervenants de réagir sur ces trois présentations.

M. William Marois, recteur de l'académie de Créteil . - La nation confie trois grandes missions à notre école :

- transmettre les connaissances ;

- préparer l'insertion professionnelle ;

- former des citoyens responsables.

Nous y répondons dans le cadre de partenariats de deux types : liés à une coresponsabilité avec des partenaires, ou à une volonté d'ouverture du système éducatif. Les premiers peuvent s'établir avec les collectivités territoriales, mais également avec les parents. Le partenariat avec les communes date du XIX e siècle et les inspecteurs de l'éducation nationale en ont l'habitude. Plus récemment, il s'est établi avec les collèges et les lycées, dans le cadre des lois de décentralisation. A ce titre, seront par exemple signés le 1er juin prochain les contrats de plan régionaux pour le développement des formations professionnelles, entre les conseils régionaux, les préfets et les autorités académiques. Au-delà de ce que la loi a confié aux collectivités, celles-ci s'engagent dans d'autres dossiers, tel celui de l'information et de la communication. C'est à ce titre que l'association des maires d'Ile-de-France a récemment signé une convention avec l'académie de Créteil pour cadrer le développement de ces technologies dans les écoles.

Plusieurs textes ont par ailleurs permis de redéfinir les relations de l'école avec les parents, au niveau des conseils de classe, d'école ou d'administration, et dans de nombreuses autres instances telles les commissions d'appel ou les comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté.

Les partenariats d'ouverture concernent le monde de l'entreprise et les autres partenaires des politiques éducatives. Avec les entreprises, un partenariat traditionnel est lié à la définition des formations. La réforme du baccalauréat professionnel a ainsi fait l'objet de discussions importantes avec les branches professionnelles au niveau national. Ce partenariat est également important pour les périodes de formation des élèves en entreprise et pour la validation de diplômes. Il peut aller au-delà, par exemple avec le développement de formations sous statut d'apprenti dans les établissements scolaires, la validation des acquis de l'expérience, ou le développement de plateformes de technologie. Enfin, des conventions peuvent être signées avec la justice, la police, la gendarmerie, les mairies, centres sociaux ou conseils généraux, pour sensibiliser les jeunes à diverses thématiques comme la justice ou pour les signalements. Certaines communes et certains conseils généraux se sont en outre récemment engagés sur la prise en charge des jeunes temporairement exclus de leurs établissements.

Le partenariat est irréversible et indispensable. Le dialogue et le respect mutuel des partenaires sont garants de son bon fonctionnement.

M. Pierre Moya, inspecteur d'académie, directeur des services départementaux de l'éducation nationale du Val-de-Marne . - Au niveau des établissements scolaires, nous sommes très largement sollicités par de nombreux acteurs souhaitant intervenir pendant le temps scolaire. Or nous devons rester vigilants pour ne pas risquer de pénaliser le temps de classe, quel que soit l'intérêt de ces interventions. En effet, notre premier engagement à l'égard des parents et des élèves consiste à garantir le temps d'apprentissage. Nous devons toujours nous demander en quoi une intervention va faciliter l'acte pédagogique et donc améliorer la performance de nos élèves. J'ai dirigé un collège. En mettant bout à bout l'ensemble des interventions qui nous étaient proposées, j'avais calculé que le temps de classe aurait été diminué d'un tiers.

Enfin, nous sommes fortement sollicités par les communes dans le cadre du développement des outils informatiques. Cela se passe dans un esprit de dialogue, les communes nous demandant de les aider à investir de façon pertinente, en évitant les effets « gadget ».

Mme Marie-Caroline Missir . - Jean Monié, vous avez mis en place un partenariat original que je vous laisse présenter.

M. Jean Monié, premier-adjoint, mairie de Scionzier . - S'associent à cette présentation Mme Chabrier et M. Cédric Mayol, directeur de l'école élémentaire située sur la commune.

En acceptant de participer à cette table ronde, je n'envisage que de témoigner d'une expérience locale pouvant éventuellement enrichir le débat. Je suis adjoint délégué aux affaires sociales et scolaires à Scionzier, qui compte sept mille habitants et a connu une progression démographique de 15 % en dix ans. La commune compte 20 % de logements sociaux sur un parc de 2 400 logements et connaît un taux de chômage de 7 à 10 %. 23 % de la population est étrangère. 1 400 élèves sont scolarisés dans cet établissement scolaire des premier et second degrés.

Depuis 1995, la commune a orienté son action en faveur de l'enfant et de son éducation, soutenant sans réserve tous les acteurs qui y contribuent. La programmation pluriannuelle des investissements s'est donc vite polarisée autour de la réhabilitation des groupes scolaires et de la construction de crèches. Entre 1998 à 2001, nous avons créé un nouveau groupe scolaire avec restauration et centre de loisirs, pour environ 3,5 millions d'euros. La période 2002-2010 a été consacrée à la réhabilitation d'un groupe élémentaire pour 12 millions d'euros.

Un projet d'une telle envergure n'était concevable et viable qu'à deux conditions :

- un apport budgétaire hors norme ;

- la mise en oeuvre d'une concertation avec le corps enseignant, les parents d'élèves, le personnel communal et l'ensemble des acteurs de l'éducation scolaire et périscolaire.

La stabilité des personnels et des équipes politiques, mais également des praticiens municipaux a conforté les échanges et permis une meilleure connaissance et une compréhension plus aisée de l'autre. L'évolution de la méthodologie adoptée avec le traitement des problématiques sociales impulsées par la politique de la Ville a conféré à ce partenariat une rare richesse. La transcription au secteur éducatif n'en a été que plus aisée, permettant l'essor du programme de réussite éducative. L'enfant, son éducation et son environnement, nécessitent donc une prise en charge globale des problématiques sociales, familiales et éducatives. La réponse ne peut que tendre vers la pluridisciplinarité et suggérer des partenariats multiples.

Ainsi, sur cette commune, le secteur social réunit le Centre communal d'action sociale (CCAS), les assistants sociaux, le conseil général, les associations caritatives et familiales. Le volet logement mise sur une coordination systématique avec le principal bailleur social, pour réaliser une politique de peuplement concertée et garantir la mixité sociale. Le volet éducatif privilégie un dialogue constant avec les enseignants, leur hiérarchie et les associations de parents d'élèves. L'emploi et l'orientation ont réuni en un lieu unique les permanences de Pôle emploi, la mission locale pour les jeunes et la Maison de l'emploi. Chacun de ces ensembles partenariaux est à même de dialoguer avec tout ou partie d'un autre ensemble, à tout instant, grâce à l'interface communale. L'éducation nationale peut par exemple interpeler le CCAS sur la situation financière d'une famille. L'information est alors immédiatement relayée à l'assistante sociale, voire au bailleur, pour que soient mises en place des solutions rapides et pérennes.

Un partenariat direct consiste en la mise à disposition de l'école élémentaire de deux agents municipaux ; un poste d'assistant d'éducation apporte aux enseignants un soutien en informatique, lors de sorties pédagogiques ou assure une mission de surveillance. Un partenariat indirect est assuré par deux éducateurs territoriaux des activités physiques et sportives (ETAPS) en mairie, qui interviennent à l'école pour des modules sportifs. Une formatrice FLE (Français langue étrangère) est également mise à disposition du collège dans le cadre d'actions concernant les primo arrivants et le soutien socio linguistique aux mères de famille.

Le « coup de pouce » du programme de réussite éducative (PRE) à l'école est le soutien de la politique sociale de notre commune. S'il disparaît, tout le système risque de s'effondrer. Pour vingt-cinq familles identifiées en difficultés dans le cadre du PRE., le budget accordé par les services de l'État avoisine 100 000 euros, alors que la commune finance à hauteur de 60 000 euros.

Je remercie l'éducation nationale pour le maintien de la classe-passerelle à l'école maternelle du Crozet.

M. Jean-Jacques Hazan, président de la fédération des conseils de parents d'élèves des écoles publiques (FCPE) . - Pour faire réussir les élèves, nous devons considérer que notre fonctionnement éducatif actuel est insuffisant. En effet, nous sommes loin de mener 85 % d'une classe d'âge au baccalauréat ou 50 % d'une autre à bac plus trois. Quant aux sorties du système éducatif sans qualifications, elles existent toujours. Nous devons organiser les convergences entre les différents acteurs publics pour atteindre ces objectifs.

Un récent rapport de l'OCDE montre que plus les collectivités interviennent dans la petite enfance, plus l'égalité entre hommes et femmes au travail est effective, et que plus la scolarisation est précoce, meilleurs sont les résultats. Nous devrions donc sans doute investir plus dans la petite enfance, et donc dans les écoles maternelles. Or, depuis de nombreuses années, alors que les dépenses publiques dédiées à la petite enfance ont largement augmenté, le service rendu s'est réduit. En effet, alors que les municipalités créaient de nombreuses places en crèches ces dernières années, le nombre de classes en écoles maternelles s'est tellement réduit que l'accueil est devenu très insuffisant.

En termes de sectorisation, nous savions qu'à Paris, l'absence de sectorisation au niveau des lycées avait entraîné une hiérarchisation des établissements. Malgré cela, la carte scolaire a été ouverte sans réflexion avec les collectivités territoriales, à qui il est maintenant demandé de mieux mailler le territoire en fermant des établissements ou en les regroupant, sachant que 200 000 élèves supplémentaires sont attendus dans les collèges d'ici quatre ans.

Il est nécessaire, pour un partenariat bien compris, que les projets et les moyens afférents soient stabilisés et ne soient pas sans cesse remis en cause. Lorsqu'il est question de regroupements d'établissements, il faut des regroupements physiques. La réflexion doit avoir lieu d'abord au niveau du territoire et en impliquant les familles, alors qu'aujourd'hui, tout est prédéterminé par les postes à l'éducation nationale.

Les collectivités territoriales investissent massivement dans l'école depuis plusieurs années et sont allées bien au-delà de leurs prérogatives. En 1990, elles contribuaient pour un peu moins de 15 % à la dépense d'éducation, contre plus de 25 % aujourd'hui, en raison du désengagement de l'État. Elles ne doivent pas être considérées que comme des payeurs ou des organismes se contentant d'appliquer des lois telles que le service minimum d'accueil.

Sur les questions relatives au bien-être à l'école, une coopération est nécessaire. Elle peut porter par exemple sur le mal de dos, qui coûte très cher en termes de santé publique. Les cartables des enfants restent très lourds. Une collaboration est possible à ce titre avec les collectivités territoriales qui pourraient par exemple inviter des kinésithérapeutes à présenter les bonnes postures. Se pose aussi une question de mobilier.

Enfin, il serait temps que l'éducation nationale fasse ce que les parlementaires ont suggéré en se concertant véritablement avec les collectivités territoriales. Comment décloisonner ? Les parents ne sont pas des partenaires mais des membres à part entière de la communauté éducative. Ils sont co-éducateurs mais il ne s'agit pas de leur demander de faire la même chose que les enseignants. La sous-traitance des devoirs aux familles est une mauvaise chose. Il faut réfléchir avec eux et leur donner les moyens de faire, chez eux, un travail complémentaire à celui de l'école.

Il existe d'autres complémentarités. Je salue la réflexion menée aujourd'hui entre l'éducation nationale et les politiques. Il peut exister des partenariats avec les quartiers. Dans les collèges, il existe des difficultés de passerelles entre la vie dans le collège et en dehors. Cela génère de nombreuses peurs. Le rapport entre un collège et la population de son quartier est primordial ; il faut une plus grande porosité entre les deux.

Par ailleurs, si la répartition entre les heures « postes » et les heures supplémentaires était meilleure pour améliorer les remplacements, sans doute n'aurions-nous pas besoin de partenariat avec Pôle emploi.

Pour que les partenariats fonctionnent, il ne faut pas oublier qu'ils se gèrent avec des humains. C'est pourquoi il faut redévelopper une vraie formation des enseignants. Enfin, il existe une colonne vertébrale nécessaire pour la mise en cohérence des projets axés sur la réussite de tous les élèves : les inspecteurs de circonscription, trop peu souvent évoqués.

Mme Marie-Caroline Missir . - Jean-Yves Rocca, comment vivez-vous les partenariats et le décloisonnement ?

M. Jean-Yves Rocca, secrétaire général du Syndicat des personnels administratifs (UNSA) de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur .- Selon la loi du 13 août 2004, « l'éducation est un service national dont l'organisation et le fonctionnement sont assumés par l'État, sous réserve des compétences attribuées par le présent code de l'éducation aux collectivités territoriales pour les associer au développement de ce service public » . Cette définition rejoint les interrogations du recteur de Grenoble ce matin. Passer au partenariat, c'est sortir du discours et contractualiser sur trois niveaux : État/collectivités, État/établissements et collectivités/établissements. Cette organisation n'a de sens que pour atteindre les objectifs pédagogiques fixés. Selon une étude publiée par le Conseil d'État en août 2010, l'établissement public dispose d'une plasticité certaine pour répondre à des objectifs différents. Si l'établissement est l'unité de base de notre service public, pour répondre aux objectifs fixés par la Nation, il faut construire son autonomie en mettant en place une gouvernance en son sein. Il a fallu attendre le vingt-cinquième anniversaire de l'établissement public local d'enseignement (EPLE) pour déboucher sur un concept qui n'existait pas : une équipe de direction avec un chef d'établissement entouré de cadres dont un cadre administratif, qui est l'interlocuteur des comités de rattachement. L'intendant n'est pas seulement un agent chef. Il est le cadre administratif qui seconde le chef d'établissement dans toutes les tâches administratives et financières.

Mme Marie-Caroline Missir . - Pour conclure, la directrice de l'IFRAP va nous apporter son regard sur les débats que nous venons d'avoir.

Mme Agnès Verdier-Molinié, présidente de l'Institut français pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (IFRAP) . - La fondation IFRAP a pour mission d'évaluer les politiques publiques. Sa vision est très extérieure car elle ne bénéficie que de financements privés. Je vais vous faire part d'une recherche que nous sommes en train de réaliser, susceptible d'ouvrir quelques perspectives dans ce débat.

Notre étude vise à comparer les dépenses annuelles agrégées de l'État, des collectivités territoriales, des parents et des entreprises, par élève, entre les secteurs public et privé en France. Ce type d'étude n'a jamais été mené auparavant. Elle se base notamment sur les chiffres RERS (Repères et Références Statistiques) disponibles au ministère.

Nous partons du postulat que les résultats obtenus par le public et le privé sont comparables. Dans le premier degré, le secteur public dépense en moyenne 5 469 euros par an et par élève, alors que le privé n'en dépense que 3 443. Il conviendra, par la suite de l'étude, d'analyser les causes de cet écart de 2 026 euros. Dans le second degré, la dépense globale collective se monte en moyenne à 9 989 euros dans le public et à 7 201 euros dans le privé. Cet écart de 2 788 euros nous paraît considérable et il me semble nécessaire de mettre en place des indicateurs beaucoup plus fins dans la LOLF (loi d'orientation des finances publiques) pour analyser le coût des élèves dans le public et le privé. Si les quatre milliards d'euros de dépenses d'administration ne sont pas compris dans ces coûts, les dépenses d'investissement le sont.

La comparaison globale hors investissement n'a pas pu être établie. Elle l'a en revanche été au niveau des départements, comme nous le verrons ensuite.

Des comparaisons par région ont également été effectuées, sans pouvoir distinguer fonctionnement et investissement. Nous avons du mal à comprendre comment se décide le niveau de dépense. Alors que certaines régions comme le Limousin dépensent plus de 4 000 euros par élève et par an dans le public, le coût est inférieur à 700 euros dans le privé. Nous ne comprenons pas comment se font les choix politiques menant à de telles disparités par région, par élève et par an, et entre le public et le privé. Il nous semble que si le système est très centralisé par certains aspects, il existe des normes de dépenses totalement laxistes, laissées à la discrétion des décideurs locaux. Aux Pays-Bas, il existe un tarif par élève ; je souhaiterais savoir s'il est normalisé.

Enfin, au niveau des départements, si nous sommes parvenus à isoler les dépenses de fonctionnement, nous n'avons en revanche pas pu comparer les secteurs public et privé. D'un département à l'autre, les dépenses de fonctionnement sont très hétérogènes. Par exemple, le Cher a dépensé 1 478 euros annuels par élève en 2008 alors que le Loir-et-Cher n'a dépensé que 375 euros.

Il faut s'interroger sur la décentralisation, la France étant le pays le plus centralisé dans sa gestion de l'éducation. Mais dans le dernier rapport de l'OCDE, il est rappelé que la décentralisation a sans doute occasionné des pertes d'économies d'échelle. Par exemple, avoir donné aux régions la responsabilité des lycées et aux départements celle des collèges a probablement augmenté les dépenses publiques quand les deux établissements sont situés sur un même site géographique, en raison de problèmes de coordination entre ces deux collectivités. La clause générale de compétence mérite d'être questionnée pour parvenir à une gestion plus efficiente, dans le contexte difficile de la France en matière de dépenses publiques.

Il nous faut comprendre pourquoi un élève du privé peut être amené jusqu'au bac avec des dépenses tellement moindres que celles du public.

En conclusion, ne serait-il pas possible de s'inspirer de bonnes pratiques du privé ? La règle des 80/20, selon laquelle 80 % des moyens sont alloués au public et 20 % au privé ne devrait-elle pas être redéfinie ? Ne serait-il pas possible d'envisager la gestion de collèges ou de lycées en délégation de service public ? Se pose enfin la question de la transparence. Les écarts de dépenses entre le public et le privé mériteraient un examen de la Cour des comptes car nous ne savons pas les expliquer.

Mme Marie-Caroline Missir . - Avez-vous présenté cette étude au ministère ? Quel est son devenir ?

Mme Agnès Verdier-Molinié . - Il existe des échanges officieux avec le ministère. L'étude n'est pas totalement terminée. Il faut se poser la question de l'efficience de nos dépenses.

Mme Marie-Caroline Missir . - La question finale est : l'éducation restera-t-elle nationale ? Vous pointez des questions essentielles. Nous sommes très intéressés par le devenir de cette étude.

La parole est donnée au public.

Mme Béatrice Chesnel, présidente de l'Union nationale des associations autonomes de parents d'élèves (UNAAPE) . - Il a souvent été question de partenariats entre rectorats, collectivités et ministère, parfois avec les parents. M. Dubois a présenté un partenariat dans lequel les parents étaient intégrés dès l'origine du projet, ce qui est une excellente façon de les amener à accepter une nouveauté. De nombreux projets aboutiraient à des résultats beaucoup plus positifs si les parents étaient mieux associés dès le départ.

Le coût d'un enfant dans l'enseignement ne doit pas être déterminé selon qu'il s'agit du public ou du privé, mais en fonction de l'objectif à long terme de l'éducation de nos enfants. C'est un investissement national que nous consacrons à l'éducation de nos enfants, qui sont les adultes de demain et feront fonctionner le pays. En tant que parent, je suis profondément choquée d'entendre parler de coût par enfant. Nos enfants ne sont pas des marchandises.

M. Laurent Escure, secrétaire national du Syndicat des enseignants - Union nationale des syndicats autonomes (SE-UNSA) . - L'étude qui vient d'être présentée mériterait d'être plus complète et plus sérieuse. Vous annoncez des chiffres qui ne sont pas surprenants. Les écarts de dépenses entre deux régions entre le public et le privé sont normaux, dès lors que les investissements sur le second degré sont soit interdits soit plafonnés à 10 % pour le privé et que les collectivités territoriales respectent cet interdit.

Pour mesurer les performances des élèves par rapport au bac, il conviendrait de tenir compte du « zapping » existant dans le parcours des élèves : souvent, ils sont dans le public en primaire, dans le privé au collège, puis terminent leur scolarité dans des lycées publics. Enfin, le public ne choisit pas ses élèves. Les 20 % d'élèves en très grande difficulté, notamment ceux des zones d'éducation prioritaire, sont dans le public, ainsi que 97 % des élèves en situation de handicap et 97 % des primo-arrivants.

Il serait plus intéressant de comparer les investissements de la Nation pour ses élites, déjà « triées », avec ceux qui sont consacrés aux autres élèves. Ainsi, les dépenses pour les élèves en classes préparatoires sont deux à trois fois supérieures à celles destinées aux élèves en collège ou en école primaire. C'est là que nous devons nous interroger.

M. Yves Winkin, directeur de l'Institut français de l'éducation (IFÉ) et professeur à l'Ecole normale supérieure de Lyon . - L'IFÉ a remplacé l'INRP (Institut national de recherche pédagogique) fin 2010. L'INRP a été intégré dans l'Ecole normale supérieure et nous pouvons ainsi espérer que la recherche bénéficiera à l'enseignement. Pour répondre à la remarque faite sur le côté théologique des sciences de l'éducation, nous avons gardé à l'IFÉ un rapport très proche avec le terrain grâce à une quarantaine d'enseignants détachés et à une douzaine d'enseignants détachés à mi-temps. Nous avons en outre gardé des heures permettant de financer des travaux sur le terrain, avec les enseignants en classe. Cette articulation peut permettre de répondre à des demandes d'évaluation.

M. Jean-Claude Carle, rapporteur . - Je remercie tous nos intervenants, dont la confrontation des points de vue s'est révélée aussi enrichissante que nous l'espérions. Vous serez bien entendu tous invités lors de la présentation, en juin, du rapport de la mission.

Tout au long de ses travaux, la mission a constaté que les résultats ne sont pas à la hauteur de nos attentes et que nous devons relever le défi d'une meilleure efficacité et d'une plus grande équité. Je suis obsédé par un chiffre : un fils d'ouvrier a dix-sept fois moins de chances de préparer une grande école qu'un fils d'enseignant ou de cadre supérieur. Plusieurs pays voisins, tels le Portugal ou la Suisse, sont confrontés au même défi. Pour le relever, nous devons répondre à deux questions majeures :

- jusqu'où aller dans la déconcentration, tant de gestion que pédagogique, en évitant que les rectorats ne deviennent des « mini-rues de Grenelle » ? Nous perdrions alors en cohérence nationale sans pour autant bénéficier des dynamiques locales. Peut-être faudrait il s'inspirer, au niveau des établissements, des exemples portugais, suisse ou hollandais, ces trois pays ayant des systèmes très différents et parfois opposés. Le Portugal s'engage dans la voie de l'autonomie. En Suisse, il existe autant de systèmes éducatifs que de cantons. Il convient de rester vigilant en termes d'autonomie ;

- comment articuler localement les interventions des divers services de l'État et des collectivités territoriales, tous en associant les parents d'élèves et le monde socio-économique ? Il convient de mettre en oeuvre un véritable partenariat entre tous les acteurs pour entrer dans des compétences plus partagées.

Pour terminer, comme l'a conclu la commission Thélot, « notre école va bien pour les enfants qui vont bien ». Notre mission est de faire en sorte que notre école convienne à l'ensemble de nos élèves. Comme l'a dit en ouverture le Président Larcher, il nous faut une école semblable pour tous et respectueuse de la diversité des enfants, des besoins de l'économie locale et des territoires.

Colloque sur le système éducatif et ses acteurs :

de la réglementation à la régulation

Table ronde n° 1

Table ronde n° 2

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page