B. DES DIFFÉRENCES EN PARTIE SUJETTES À L'EFFET DE CONVENTIONS STATISTIQUES

Les comparaisons portant sur la spécialisation structurelle de la France et de l'Allemagne s'appuient sur des données dont la signification doit être précisée.

1. Des constats axés sur le seul territoire et sur les seules entreprises

Les données, à partir desquelles on conclut à la déformation des structures productives des deux pays, sont issues de la comptabilité nationale et sont ainsi territoriales par leur nature.

Autrement dit, elles décrivent l'activité économique des résidents sur le territoire national quelle que soit la nationalité de ces résidents et négligent toutes les activités productives des « nationaux » effectuées hors du territoire national. La production d'une firme étrangère sur le territoire français est intégrée à la valeur ajoutée du pays mais celle d'une entreprise française à l'étranger ne l'est pas.

Cette conception territoriale de l'activité économique n'est évidemment pas arbitraire ; elle se trouve justifiée par la volonté de décrire les résultats de l'emploi des facteurs de production disponibles sur le territoire national.

Toutefois, la dimension principalement territoriale de la comptabilité nationale mériterait d'être complétée par une approche centrée sur les acteurs tout particulièrement dans un contexte économique caractérisé par la grande mobilité géographique d'au moins l'un des facteurs de production concerné - le capital 11 ( * ) .

En effet, la négligence par la comptabilité nationale des logiques d'acteurs pose problème si l'on accorde quelque poids à l'influence que peut exercer l'identité des acteurs économiques. Dans un environnement de coïncidence entre l'origine nationale des moyens de production et leur déploiement territorial, cette négligence est sans effet. Ce n'est plus le cas quand ces données ne se recouvrent pas. Dans une telle hypothèse, il devient contestable d'apprécier la nature de la spécialisation d'un pays à partir des productions finales réalisées sur son territoire. En outre, le potentiel industriel des nations n'est pas nécessairement réductible à l'activité de leurs sociétés.

Au total, deux corrections visant à élargir le point de vue doivent être effectuées pour mieux mesurer la spécialisation d'un pays :

En premier lieu, il paraît réducteur d'apprécier les avantages comparatifs d'un pays à travers les seuls résultats des entreprises qui y sont localisées . Dans une telle approche, toutes les productions, marchandes ou non, autres que celles des entreprises qui peuvent pourtant constituer les éléments essentiels de spécialisation d'un pays (par exemple, l'existence de centres de recherches indépendants des entreprises n'est pas appréhendée dans les approches de la spécialisation reposant sur les seules statistiques d'entreprises) sont considérées comme non significatives.

En bref, s'il peut être justifié de poursuivre un objectif de meilleure adéquation entre les uns et les autres, les avantages comparatifs d'un pays ne se résument pas à ceux que révèle la structure de la production de ses entreprises.

En second lieu, on doit remarquer que l'analyse économique réalisée à partir de données territorialisées ne donne pas des résultats nécessairement homogènes avec ceux d'une analyse conduite à partir des acteurs dans un contexte où ceux-ci inscrivent leurs activités dans une dimension de plus en plus internationale.

Ainsi, la « désindustrialisation » de la France pourrait ne pas devoir être appréciée de façon identique à partir des données de la comptabilité nationale et des données d'entreprises.

De la même manière, on verra que la capacité des résidents d'un pays à s'imposer dans l'économie mondialisée n'admet pas le même jugement selon qu'on se limite à l'analyse des flux d'importations et d'exportations, ou qu'on étend le point de vue en consolidant les activités internationales des entreprises réalisées à partir du territoire et à l'extérieur de celui-ci.

Dans le contexte de globalisation qui caractérise l'économie contemporaine, il existe de plus en plus une discordance entre les données territoriales et les activités des acteurs nationaux.

La présence des entreprises françaises dans le monde s'est renforcée. On a pu recenser plus de 30 000 implantations françaises en 2006, après plus de 28 000 en 2004 (+ 7 %). Ces implantations emploient 6 millions de salariés à travers le monde (5,5 millions en 2004), soit une progression du même ordre que celle du nombre d'implantations (+ 9 %).

Le chiffre d'affaires associé aux implantations étrangères en 2006 était de l'ordre de 850 milliards d'euros, donnée qu'on peut comparer avec le PIB français qui était alors de 1 798 milliards d'euros.

Répartition sectorielle des implantations françaises en 2006

L'industrie représente environ 39 % de ces implantations, soit une proportion minoritaire, face à des services qui concentrent 56 % des implantations à l'étranger, mais supérieure à celle de la valeur ajoutée industrielle dans le PIB français 12 ( * ) .

Le graphique ci-dessous confirme le phénomène d'internationalisation des entreprises qui est particulièrement net pour les entreprises du CAC 40.

PART DU CHIFFRE D'AFFAIRES RÉALISÉ À L'ÉTRANGER
PAR LES GRANDS GROUPES COTÉS FRANÇAIS ET ÉTRANGERS DE 1990 À 2006 (EN %)

Source : CAS. Horizons stratégiques n° 7. Janvier-Mars 2008. La rentabilité des entreprises en France selon leur taille et leur potentialité de croissance, par Bertille Delaveau et Roland du Tertre.

De 45 % en 1990, la part du chiffre d'affaires réalisé à l'étranger par ces entreprises est passée à 60 % en 2006. Cette tendance est également à l'oeuvre pour les entreprises regroupées dans le SBF-250 mais avec moins d'ampleur. Enfin, on relève l'écart existant sur ce point avec les entreprises allemandes du DAX 30 non financier.

On ne peut pas déduire de ces données d'informations précises permettant de réviser les potentiels industriels des deux pays. Cependant, elles invitent à nuancer le diagnostic courant d'un décrochage industriel de la France par rapport à l'Allemagne d'autant plus que les limites statistiques généralement utilisées à cet effet recouvrent d'autres biais statistiques qui peuvent eux aussi réduire la capacité des données communément utilisées à établir des constats solides en ce domaine.


* 11 Cette mobilité rend plus que jamais nécessaire de prendre avec précaution les résultats qualifiés de structurels dont la réversibilité est de plus en plus probable.

* 12 Toutefois, la répartition des implantations ici présentée porte sur le nombre des implantations et non sur le chiffre d'affaires des différents secteurs (et encore moins sur leur valeur ajoutée). Par ailleurs, les estimations du chiffre d'affaires réalisé à partir des implantations à l'étranger sont extensives du fait de la nature du critère de rattachement à la France des dites implantations qui est assez peu exigeant.

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