2. Le risque d'un certain tropisme vers le « tout résidentiel »

Dans les espaces ruraux, la base résidentielle , principal moteur de l'économie présentielle, représente 62 % du secteur basique (25 % pour les retraites, 20 % issus du tourisme et 17 % des « navetteurs ») contre moins de 50 % en moyenne. La base productive en représente 14 %, la base publique 5 % et la base sanitaire et sociale, 20 % 42 ( * ) .

Si l'on exclut les territoires dont la base productive est constituée d'activités dynamiques et fortement ancrées, plusieurs considérations plaident localement pour renforcer la base résidentielle , considérations susceptibles de maintenir, sinon de reléguer le développement de la base productive parmi les objectifs de second rang :


la forte incidence de la base résidentielle, en raison de sa prépondérance, sur le développement local

Son effet d'entraînement sur la vie locale est particulièrement sensible dans les campagnes. Les nombreuses communes rurales dont la dynamique démographique est faible ou négative sont naturellement enclines, pour préserver leurs commerces ou leurs services (et particulièrement, parmi les services publics, leur école), à chercher en toute priorité le renforcement de leur base résidentielle...

Caroline Larmagnac, conseillère en charge de la dynamique des territoires à la DATAR, rappelle que « l'économie présentielle est très intéressante pour les territoires, puisque cent habitants présents créent en moyenne vingt emplois, ce ratio tendant même à augmenter », même si « l'emploi présentiel est souvent précaire » ;


• une moindre sensibilité de la base résidentielle aux fluctuations macro-économiques

La base productive est directement exposée 43 ( * ) aux aléas économiques, à l'inverse de la base résidentielle. En outre, dans un contexte de crise économique, il devient beaucoup moins facile de susciter la création d'entreprises, et beaucoup plus aisé d'attirer des ménages repoussés hors de certaines zones urbaines par le coût du logement (même si ce contexte est, en revanche, favorable à la délocalisation d'entreprises en provenance des villes) ;


• certains effets d'éviction du développement de la base résidentielle sur la base productive

Des phénomènes de pression foncière ou de lutte contre les nuisances peuvent conduire à une situation où la base résidentielle phagocyte progressivement la base productive. Caroline Larmagnac le souligne, « une certaine concurrence est possible entre les activités productives et les usages résidentiels, notamment en ce qui concerne l'utilisation de la ressource foncière. La coexistence des deux types d'activités est aussi parfois à l'origine de conflits, pas toujours simples à gérer dans les territoires ruraux, avec un degré décroissant d'acceptabilité par les populations résidentes et touristiques des externalités négatives des activités productives (bruit, risques, trafic de poids lourds, etc...) ».

Le jeu de la taxe professionnelle - qui procure aux collectivités accueillant des entreprises, en particulier les communes, des marges financières mobilisables pour se rendre plus attractives auprès des populations - fait normalement contrepoids. Mais à l'échelle des communes, en raison de la réforme de la taxe professionnelle, cette force de rappel tendrait à décliner 44 ( * ) ; Yannick Imbert, directeur des mutations et du développement économique à la DATAR, déplore ainsi « son évolution dans le sens d'une moindre incitation des communes à y favoriser l'implantation d'entreprises ».

Ces considérations incitent les zones rurales dont l'économie n'est pas ancrée sur une base productive solide à « miser » sur la base résidentielle dans le « mix » de leur secteur basique. Magali Talendier observe qu'« au niveau local, les stratégies se multiplient pour accompagner exclusivement la croissance de l'économie résidentielle ».

Dans les travaux précités, elle cherche à déterminer quels sont les appariements de revenus basiques les plus favorables au développement local. Ses recherches la conduisent à estimer qu'en effet, « l'économie résidentielle joue un rôle décisif dans la revitalisation rurale.

Plus précisément, « c'est l'attractivité auprès des retraités et des touristes qui semble porteuse du dynamisme de l'emploi local et des revenus.

« En effet, les bassins résidentiels mais à caractère plus périurbain semblent souffrir du syndrome de la cité dortoir. La population croît rapidement, mais le développement escompté est limité par les évasions de consommation. Retenons également qu'une large partie des espaces ruraux sont encore fortement marqués par les activités de production « génériques ».

« L'emploi industriel y est, certes, en moindre recul qu'en moyenne en France, mais ces bassins semblent tout de même en délicate posture. Enfin, les territoires misant sur une production peut-être plus spécifique, assise sur des produits territorialement « marketés », semblent « s'en sortir » d'autant mieux qu'ils bénéficient des effets de levier du tourisme ».

Pourtant, force est d'admettre que l'accompagnement exclusif de l'économie résidentielle « en période de crise économique comme nous le vivons est certes compréhensible, mais extrêmement dangereux ». Que peut-il, en effet, advenir d'un pays qui chercherait de toute part à cultiver son attractivité résidentielle en négligeant la production ?


* 42 Voir le compte rendu de l'audition de Magali Talandier en annexe du rapport.

* 43 Voir « La crise et nos territoires : premiers impacts », Les notes territoriales de l'AdCF, octobre 2010.

* 44 La contribution économique territoriale (CET) a remplacé depuis 2010 la taxe professionnelle (TP), qui était l'imposition économique des collectivités territoriales depuis 1975.

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