Rapport d'information n° 723 (2013-2014) de MM. Jean-Claude PEYRONNET , Christian CAMBON , André DULAIT et Jean-Claude REQUIER , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 15 juillet 2014

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N° 723

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 juillet 2014

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1), par le groupe de travail sur la France face à l' émergence de l'Asie du Sud-Est ,

Par MM. Jean-Claude PEYRONNET, Christian CAMBON, André DULAIT et Jean-Claude REQUIER,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Louis Carrère , président ; MM. Christian Cambon, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Mme Josette Durrieu, MM. Jacques Gautier, Robert Hue, Jean-Claude Peyronnet, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Daniel Reiner , vice-présidents ; Mmes Leila Aïchi, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Gilbert Roger, André Trillard , secrétaires ; MM. Pierre André, Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Pierre Bernard-Reymond, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Pierre Charon, Marcel-Pierre Cléach, Mme Hélène Conway-Mouret, MM. Raymond Couderc, Jean-Pierre Demerliat, Mme Michelle Demessine, MM. André Dulait, Hubert Falco, Jean-Paul Fournier, Pierre Frogier, Jacques Gillot, Mme Éliane Giraud, M. Gaëtan Gorce, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Gournac, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Gérard Larcher, Robert Laufoaulu, Jeanny Lorgeoux, Rachel Mazuir, Christian Namy, Alain Néri, Jean-Marc Pastor, Philippe Paul, Bernard Piras, Christian Poncelet, Roland Povinelli, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Claude Requier, Richard Tuheiava .

« La France, elle aussi, a engagé un « pivot ». Non par effet de mode mais parce que la France veut être présente là où se construit le monde de demain. Or, l'Asie-Pacifique sera de façon évidente au coeur du XXIème siècle. »

Laurent FABIUS, siège de l'ASEAN, août 2013

PROPOSITIONS : 3 PRIORITÉS ET UNE « FEUILLE DE ROUTE » À 2 ANS POUR REPRENDRE PIED EN ASIE DU SUD-EST

1ÈRE PRIORITÉ : DÉFINIR UNE STRATÉGIE PILOTÉE À HAUT NIVEAU, S'APPUYANT SUR 3 ÉTATS-PIVOTS ET MISANT SUR L'ASEAN

La priorité (sud-est) asiatique de notre politique étrangère doit être mieux affirmée, pilotée au plus haut niveau et surtout mieux concrétisée (équipe ou « task force » interministérielle, représentant spécial, redéploiement des moyens diplomatiques, consolidation de la présence militaire). Il faut sortir de l'incantation et se libérer de la dictature des moyens (nous n'aurions « plus les moyens » d'avoir une politique asiatique), par redéploiement, car nos intérêts stratégiques sont directement en jeu dans cette Asie soi-disant lointaine.

En priorité, 3 États (Malaisie, Indonésie et Singapour) doivent concentrer l'attention et permettre de nous focaliser davantage sur les potentialités du monde malais, au rapide décollage. Ces pays sont courtisés et la France, « sortie des radars » en Indonésie notamment, doit rattraper son retard dans un pays à taille de géant qui avance très rapidement.

Il faut miser sur l'ASEAN : l'analyse suivant laquelle l'ASEAN, institution souple, faiblement intégrée, ne nécessiterait pas de suivi particulier, manque de vision. Un renforcement de notre présence y est indispensable (diplomate à plein temps sur place).

2ÈME PRIORITÉ : FAIRE DE LA DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE LE FER DE LANCE DE NOTRE PIVOT

Faire de « l'économie bleue », à côté de « l'économie verte » et de l'offre en infrastructures un des fers de lance de l'offre économique française. Mobiliser les PME du secteur maritime sur les marchés du sud-est asiatique. Avoir une stratégie « bleue » globale en Indonésie, État archipélagique.

Adapter notre offre (chasser « en meute », proposer financements et formation).

Optimiser les retombées économiques de 20 ans d'aide au développement dans la région : en Asie du Sud-Est, intégrer encore plus systématiquement les éventuels marchés en préparation dans l'examen de tout projet d'aide au développement.

Attirer les investissements sud-est asiatiques en France, en particulier les fonds souverains (Singapour : développer, dans le discours sur l'attractivité française, un argumentaire spécifique pour vaincre la règle implicite des « 7 heures d'avion »).

3ÈME PRIORITÉ : S'ENGAGER POUR LA SÉCURITÉ EN ASIE DU SUD-EST

Élargir la coopération en matière de sécurité : développer la coopération avec nos alliés les plus proches en matière de lutte anti-terroriste, participer aux initiatives régionales contre les catastrophes naturelles, accélérer le rythme des échanges d'officiers, des exercices et des escales sur le plan militaire. Intégrer des enceintes de dialogue stratégique ( think tanks , ReCAAP, ADMM +...) et maintenir des moyens militaires crédibles dans la zone à l'appui de notre candidature.

FEUILLE DE ROUTE CONCRÈTE À METTRE EN oeUVRE :

À 6 MOIS

Régler au plus vite de façon pragmatique la question de la traduction française du traité ReCAAP pour permettre une adhésion de la France à cet organisme de lutte contre la piraterie.

Lancer un audit global des différents programmes de personnalités d'avenir concernant l'Asie du Sud-Est (programmes d'échanges de la défense, « Pipa 1 ( * ) » du ministère des affaires étrangères, éventuels réseaux du ministère de l'économie et des finances...). Viser la centralisation des contacts dans une base de données unique et mise à jour, et le développement d'outils d'animation du réseau au niveau de chaque poste diplomatique, dans la durée.

Poursuivre les efforts d'explication au sujet de l'étiquetage obligatoire des produits alimentaires contenant de l'huile de palme pour aplanir cet « irritant «  (Malaisie, Indonésie).

Fixer une feuille de route ambitieuse au représentant spécial « ASEAN » et constituer une équipe (« task force ») interministérielle pour bâtir une stratégie commerciale globale « ASEAN communauté 2015 », comportant un volet de « portage » des PME par les groupes.

Au plan international, lancer un événement (« Sommet ? ») sur la sécurité maritime, voire sur la liberté de navigation, thème potentiellement fédérateur des nations du sud-est asiatique, que la France, grande nation maritime et membre permanent du Conseil de sécurité, a toute légitimité à porter.

À UN AN

Faire du rattrapage de nos positions économiques en Indonésie une priorité n°1 de la diplomatie économique (150 entreprises françaises, contre 450 dans les années 1990).

Proposer à la Malaisie, qui présidera l'ASEAN en 2015, la conclusion d'un partenariat stratégique, à l'instar de ceux qui nous lient déjà à Singapour, à l'Indonésie et au Vietnam, incluant un volet politique, économique, de défense et de coopération culturelle.

Viser le développement des investissements Singapouriens en France (y compris fonds souverains) en s'attaquant notamment à la limitation des « 7 heures d'avion ».

Maintenir le rythme des visites officielles dans la région, en prévoyant si possible une visite du ministre de la défense en Malaisie et une visite du Président de la République aux Philippines, au Vietnam et, une fois le nouveau président élu, en Indonésie. Pérenniser la présence annuelle du ministre de la défense au dialogue Shangri-La de Singapour et réfléchir à la présence d'une délégation de parlementaires des commissions chargées de la défense des deux assemblées à cette occasion.

Relancer le processus de signature par la France du protocole additionnel au traité de Bangkok du 15 décembre 1995 sur la création d'une zone exempte d'armes nucléaires en Asie du sud-est (traité SEANWFZ).

Renforcer même modestement la coopération de défense en rehaussant le niveau de priorité de l'Asie du Sud-est en termes de coopération de défense, et viser un pourcentage de 15% à 20% des coopérants et des crédits de la DCSD (direction de la coopération de défense et de sécurité du ministère des affaires étrangères) dévolus à l'Asie du Sud-Est à compter de 2015.

Répondre favorablement à la demande indonésienne de mise à disposition d'un professeur de Français auprès du centre militaire des langues, pour créer un vivier de francophones qui permettra d'amorcer réellement les échanges d'officiers, et continuer d'accéder aux demandes de formation de la sous-marinade malaisienne.

Pérenniser notre présence au sein de l'IFC de Singapour, en maintenant le poste d'officier français inséré. Se servir de ce poste pour crédibiliser notre démarche d'adhésion à ReCAAP et à l'ADMM+.

Définir à échéance 2015 (« communauté ASEAN ») une stratégie spécifique pour répondre au besoin de « connectivité », incluant des financements (partenariats public privé ?), de la formation autour des projets d'infrastructure, voire un positionnement de nos entreprises comme sous-contractants. Développer la « chasse en meute » des entreprises françaises et le portage des PME par les groupes.

À DEUX ANS

Avoir un diplomate à plein temps auprès de l'ASEAN. Consolider notre dispositif régional de coopération et renforcer notre présence auprès du secrétariat de l'ASEAN pour « s'installer dans le paysage », par exemple via le soutien à l'intégration régionale. Poursuivre le rééquilibrage de nos moyens diplomatiques vers l'Asie, en ciblant plus spécialement l'Indonésie.

Crédibiliser dans les 2 années qui viennent, par une série de petits gestes concrets, la politique d'influence menée par le ministère de la défense pour conforter notre souhait d'adhérer à l'ADMM + (visite du ministre de la défense en Malaisie, adhésion effective à ReCAAP, actions concrètes sur des thématiques importantes pour les pays de la zone : sécurité maritime, lutte contre la piraterie, océanographie, cybersécurité, gestion des catastrophes naturelles, lutte contre le terrorisme..).

Assurer une présence de la Marine Nationale régulière et visible en Asie du Sud-Est, en privilégiant notamment, outre les missions des Frégates de surveillance, le déploiement de bâtiments modernes, puissants et visibles. Prévoir des escales de bâtiments de « premier rang » (BPC, voire SNA) dans la région.

Appliquer aux pays de l'ASEAN la même priorité « visas » que pour la Chine ; accélérer le renforcement homéopathique des effectifs « visas » dans ces pays où le risque migratoire est faible et où les touristes sont nombreux et à hauts revenus.

Appuyer les ambitions internationales de la Malaisie et de l'Indonésie. Même si, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, la France ne peut se prononcer officiellement sur les candidatures dans cette enceinte, il va de soi que, s'agissant de deux partenaires importants, l'élection de la Malaisie et de l'Indonésie comme membres non permanents ne peut qu'être envisagée que positivement. Votre commission souhaite que tout soit mis en oeuvre, le cas échéant et le moment venu, pour une collaboration la plus étroite et fructueuse possible au sein du Conseil de sécurité avec des pays qui ont une convergence de vues avec notre politique étrangères (potentiellement sur le climat, notamment).

AVANT-PROPOS

Personne ne doute aujourd'hui que l'Asie est déjà la principale aire d'expansion économique et sera, demain, le nouveau centre économique du monde.

Moteur de la croissance mondiale, c'est donc dans l'espace asiatique que se joue, au fond, la reprise de notre croissance économique dans les années à venir. De notre capacité à profiter du basculement économique du monde vers l'ère Asie-Pacifique dépend, largement, notre prospérité future, et donc la préservation de notre modèle social.

Au sein de cet ensemble asiatique, qu'il est un peu artificiel de scinder en sous-régions, l'Asie du Sud-Est 2 ( * ) attire pourtant particulièrement l'attention. Trop longtemps délaissée au profit des géants (Inde, Chine, Japon) qui focalisent toute l'attention -et les moyens ?-, elle présente en effet des caractéristiques singulières qui justifient que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées lui consacre une attention particulière.

Zone de prospérité économique, terre d'opportunités pour nos entreprises, pays où nous avons des liens politiques et militaires forts et anciens, champ où s'exercent les grandes forces géopolitiques à l'oeuvre dans le monde contemporain, l'Asie du Sud-Est mérite aujourd'hui de remonter, sans doute à côté de l'Afrique et de la Méditerranée, d'ailleurs, dans la liste de nos centres d'intérêts prioritaires. Il existe un « moment », une opportunité offerte à l'Europe et à la France, dans cette région. L'amaigrissement continu de nos moyens diplomatiques et militaires ne doit pas nous empêcher de saisir cette « chance ». La volonté politique doit nous permettre d'y renforcer notre influence et notre présence.

C'est le double but de ce rapport d'information : sensibiliser aux opportunités que présente le sud-est asiatique, proposer une « feuille de route » d'objectifs concrets pour y renforcer, sur tous les plans (politique, économique, stratégique...) l'influence française.

L'heure est venue de reprendre pied en Asie du Sud-Est.

CHAPITRE 1ER : L'ASIE DU SUD-EST EN ÉMERGENCE, UN ENJEU MAJEUR

I. UNE AIRE AU SUCCÈS ÉCONOMIQUE RETENTISSANT, BIENTÔT COMPARABLE EN TAILLE AU MARCHÉ EUROPÉEN

A. UNE FORMIDABLE CROISSANCE ÉCONOMIQUE RÉSISTANTE À LA CRISE

1. L'Asie du sud-est, quatrième puissance économique mondiale

Agrégées, les 10 économies d'Asie du Sud-Est 3 ( * ) représentent la 4 ème puissance économique mondiale.

L'Asie du Sud-Est est un marché de 640 millions d'habitants. La population en âge de travailler devrait progresser de près de 30 millions, soit davantage que la Chine, d'ici 2020.

Si on le compare avec la France, l'ASEAN représentait 30% du PIB français à la fin des années 1980, 70% en 2010, et devrait le dépasser à l'horizon 2020.

Alors que l'Asie comptait pour moins de 20% du produit intérieur brut mondial en 1980, elle devrait devenir d'ici 2030 le principal foyer de création de richesses, d'innovation scientifique et technique et représenter plus du tiers du produit intérieur brut mondial.

In « La France et la sécurité en Asie Pacifique », ministère de la défense, avril 2014

Sa croissance économique pharaonique semble ne pas devoir s'arrêter. À côté de Singapour qu'on compare souvent à une petite Suisse en Asie, ou de la Malaisie qui a pour objectif de figurer en 2020 dans la catégorie des pays à hauts revenus, l'Indonésie, avec ses 240 millions d'habitants, fait figure de « Chine en devenir », susceptible de supplanter les économies européennes dans quelques dizaines d'années.

Lors de leur mission à Jakarta, vos rapporteurs ont mesuré l'effet, sur place, d'un classement international plaçant l'Indonésie au 10 ème rang mondial en matière d'économie (elle est habituellement classée au 16 ème rang). Porté par une forte demande intérieure, cet archipel de 17 000 îles, déjà membre du G20, talonnerait ainsi bientôt l'Italie, la France...

Le stock d'investissements français dans l'Asean est d'ailleurs déjà supérieur aujourd'hui à celui que les entreprises françaises ont en Chine.

Bien sûr, ce développement est loin d'être uniforme dans une région particulièrement fragmentée.

L'ASEAN est composée de 10 pays ayant des différences de développement marquées : trois « pays moins avancés » (PMA) (Birmanie, Cambodge, Laos), deux pays dont le PIB par habitant se situe entre 1 000 et 3 000 dollars (Vietnam, Philippines), deux pays à revenu intermédiaire (Thaïlande et Malaisie) et deux pays à hauts revenus (Singapour et Brunei). Enfin l'Indonésie, avec un PIB par habitant moyen égal à 3 500 dollars, rejoint les pays à revenu intermédiaire.

Malgré l'hétérogénéité de ses membres, l'ASEAN constitue pourtant indéniablement la « troisième force » de développement asiatique et son PIB 4 ( * ) devrait doubler d'ici 2020 pour atteindre 4 500 milliards de dollars (FMI). Il est actuellement équivalent à 2 500 milliards de dollars et le PIB par habitant atteint quasiment 4 000 dollars.

La croissance moyenne est de 6% depuis cinq ans.

Toutefois, pour 2014, la Banque asiatique de développement a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour la majorité des pays d'Asie du Sud-Est, avec une croissance moyenne dans la région s'établissant à seulement 5% (contre 5,3% prévus en octobre dernier). Les prévisions concernant la Thaïlande connaissent la plus forte correction, la croissance étant révisée à 2,9% (contre 4,9% selon les estimations d'octobre dernier). À rebours de cette tendance régionale, les prévisions de croissance des Philippines, de Singapour et du Vietnam ont été revues à la hausse, à respectivement 6,4%, 3,9% et 5,9%.

PRÉVISIONS DE CROISSANCE DU PIB ET DE L'INFLATION

(Banque asiatique de développement)

2014

2015

Croissance

Inflation

Croissance

Inflation

Avril 2014

Oct. 2013

Avril 2014

Oct. 2013

Avril 2014

Avril 2014

Asie du Sud-Est

5,0

4,3

5,4

4,0

Indonésie

5,7

5,7

6,0

4,8

Malaisie

5,1

3,2

5,0

3,5

Philippines

6,4

4,3

6,7

4,0

Singapour

3,9

3,0

4,1

3,9

Thaïlande

2,9

2,4

4,5

2,6

Vietnam

5,6

6,2

5,8

6,6

(sources : Asian Development Outlook, avril 2014).

Les exportations sont en hausse de près de 7% et les importations de 7%. Les investissements directs étrangers, en forte croissance, atteignent 110 milliards de dollars.

Source : « Panorama ASEAN 2014 », direction générale du Trésor, service économique régional de Singapour

2. Des économies résistantes à la crise

L'impact de la crise économique européenne sur les économies d'Asie du Sud-Est a été finalement assez limité. Là où les économies asiatiques étaient emportées lors des précédentes crises, notamment la crise dite « asiatique » de 1997, qui avait vu s'effondrer en quelques mois les monnaies et les systèmes bancaires de tous les petits « tigres » de la région, les pays de l'ASEAN sont sortis presque indemnes de la crise financière de 2008.

La théorie de plus en plus répandue est donc celle d'un « découplage » entre le cycle des affaires en Asie et les économies occidentales, protégeant ainsi la région des perturbations de la croissance dans le reste du monde.

Les facteurs explicatifs sont nombreux : l'enrichissement progressif de la Chine et de ses voisins, ou encore la montée en puissance de la consommation comme facteur endogène de croissance y figurent en bonne place.

3. Une montée en gamme technologique nécessaire et continue

Le succès économique de cette zone repose entre autres sur une constante montée en gamme technologique.

Ainsi la Malaisie par exemple a-t-elle élaboré un nouveau modèle économique basé sur les technologies de pointe et le savoir, apportant des garanties solides aux investisseurs et partenaires étrangers.

L'Asie (en général) est devenue la première puissance mondiale en matière de dépôts de brevets internationaux depuis 2010. Avec 78 800 brevets internationaux déposés en 2012, elle dépasse nettement l'Europe (57 904) ou l'Amérique du Nord (53 955). Mais ce résultat tient à l'émergence de trois grandes puissances innovantes, qui sont en premier lieu le Japon (43 660 brevets), la Chine (18627) et la Corée (11 848). Toutefois, s'agissant de l'innovation, l'ASEAN se positionne encore très loin derrière la Chine et l'Inde en matière de dépôts de brevets et de dépenses de recherche et développement relativement au PIB. Singapour est le premier avec 2,2% de son PIB consacré à la recherche, contre 0,63% pour la Malaisie et 0,07% pour l'Indonésie.

Parmi les 50 entreprises déposant le plus de brevets internationaux au monde, le leader mondial est le chinois ZTE, devant Panasonic, Sharp et Huawei. Au total, 27 entreprises asiatiques figurent dans ce palmarès, qui comprend par ailleurs 5 groupes allemands et un seul français (Alcatel Lucent).

L'Asie du Sud-Est a collectivement déposé 1 115 brevets internationaux en 2012. Si l'on analyse cette performance par pays, Singapour fait à elle seule près des 2/3 des dépôts de la région, avec 710 brevets internationaux, devant la Malaisie (292), les autres pays de l'ASEAN ayant une présence que l'on peut qualifier de « symbolique ».

B. DES TRANSFORMATIONS STRUCTURELLES PORTEUSES D'AVENIR

1. Une amélioration continue des indicateurs de développement humain

Comme le mesurent les derniers indicateurs de la Banque asiatique de développement 5 ( * ) , l'extrême pauvreté a très significativement reculé dans la région et le niveau global de revenus ne cesse d'augmenter. Les indicateurs de développement humain sont en progression rapide et constante.

INDICATEURS DE DÉVELOPPEMENT HUMAIN EN ASIE DU SUD-EST

Source : Banque asiatique de développement

2. Un environnement toujours plus favorable à l'investissement malgré de très fortes disparités

D'importants freins subsistent encore toutefois au développement en Asie du Sud-Est, qui nécessitent des réformes de structure importantes . L'OCDE en dresse périodiquement la liste 6 ( * ) , pays par pays. De l'accès à l'éducation à la performance du financement bancaire de l'économie, de la gestion des catastrophes naturelles à la question de la productivité agricole, la liste est longue. Seuls Singapour, et, dans une moindre mesure, la Malaisie, font figure d'exception.

RÉFORMES DE STRUCTURES NÉCESSAIRES EN ASIE DU SUD-EST D'APRÈS L'OCDE

Pays

Thèmes ciblés

Concentration des politiques

Brunei

Développement du capital humain

Améliorer le développement du secteur privé vers plus de diversité, pour dépasser l'économie des hydrocarbures

Développement du secteur privé

Légiférer et mettre en place une politique de la concurrence

Innovation

Améliorer les résultats de l'éducation tertiaire

Indonésie

Éducation

Élargir l'accès à l'éducation, en particulier pour les ménages à bas revenus

Gestion des désastres

Renforcer la gestion des catastrophes naturelles et protéger les infrastructures

Réforme de la sécurité sociale

Accélérer la réforme du système de retraite pour améliorer la transparence et la qualité

Malaisie

Éducation

Améliorer la qualité de l'éducation

Développement des PME

Améliorer la productivité des PME

Fiscalité

Élargir l'assiette fiscale et améliorer l'administration fiscale et la participation à l'impôt

Philippines

Pauvreté

Créer plus d'emplois pour une réduction durable de la pauvreté

Développement du capital humain

Réduire la vulnérabilité aux aléas naturels en construisant des capacités de gestion et de réduction des risques de catastrophes

Gouvernance

Améliorer la productivité agricole et les infrastructures de transport à Mindanao

Singapour

Utilisation des terres

Optimiser l'utilisation des terres et leur allocation en l'intégrant dans une stratégie de croissance verte

Développement des PME

Élever la productivité des PME grâce à des programmes d'assistance coordonnés

Éducation

Renforcer la formation continue pour améliorer la flexibilité du marché du travail

Thaïlande

Éducation

Rehausser le capital humain en améliorant les cursus d'État et en enseignant de manière standardisée

Agriculture

Améliorer la productivité agricole grâce à la modernisation et l'éducation

Croissance verte

Améliorer la coordination institutionnelle et parvenir à une croissance verte

Cambodge

Agriculture

Améliorer la productivité de l'agriculture, en particulier la production de riz

Secteur financier

Améliorer le réseau prudentiel et de supervision

Tourisme

Développer les infrastructures de transport pour accélérer le développement rural

Laos

Pauvreté

Réduire la pauvreté grâce à une croissance inclusive

Gestion des ressources naturelles

Améliorer la gestion nationale des ressources, en particulier minières, pour s'assurer de leur durabilité

Infrastructures

Développer les infrastructures de transport pour accélérer le développement rural

Birmanie

Développement du secteur privé

Créer un environnement propice à l'entreprenariat

Développement des ressources humaines

Rehausser le niveau d'éducation et anticiper les demandes futures de travail qualifié

Développement du secteur financier

Créer un système financier stable et efficace

Vietnam

Développement du capital humain

Augmenter l'accès à l'éducation et renforcer les modules d'enseignement et de formation techniques

Développement du secteur privé

Faciliter l'accès au crédit et réduire les couts de transport pour développer le secteur privé

Développement du secteur financier

Restructurer le système financier pour rehausser l'effectivité de la politique monétaire

Source : OCDE, Economic outlook for Southeast Asia , 2014/ traduction libre

Sur le plan économique , les pays de l'ASEAN vont devoir relever un certain nombre de défis, au cours des prochaines années, à commencer par le risque de volatilité des marchés de capitaux dans un contexte de resserrement de la politique monétaire américaine (fin du « quantitative easing »), en particulier pour ceux qui sont confrontés à un déficit de leur balance courante (Indonésie et Thaïlande).

Ensuite, la réorientation du modèle économique chinois et le ralentissement de la croissance qui en résulte (7,7% en moyenne au cours des cinq prochaines années, contre 10,5% entre 2000-2007), pourraient affaiblir la dynamique de croissance des pays de l'ASEAN, pour qui la Chine est un partenaire commercial de premier ordre.

En outre, l'intégration croissante au sein de l'économie mondiale peut conduire à creuser les écarts de développement économique et social entre les pays les plus riches et les plus pauvres de l'ASEAN. Le projet de communauté économique 2015 revêt, dans ce cadre, une importance déterminante.

Enfin, les pays de la région doivent, pour assurer une croissance soutenable, entreprendre les réformes nécessaires , notamment en matière de compétitivité et de gouvernance, de manière à éviter ce qu'on appelle l'écueil de la « trappe à revenus moyens ». Les économistes 7 ( * ) ont ainsi diagnostiqué l'existence de ce risque à demeurer piégé dans la zone des revenus intermédiaires pour les économies de l'ASEAN, mettant en cause leur capacité de rattrapage, à terme, des pays occidentaux, en comparaison notamment de leurs grands voisins comme le Japon ou la Corée.

Dans ce contexte, la plupart des économistes soulignent l'importance de mettre en place -comme l'ont fait la Corée dans les années 1990 ou Singapour, plus récemment- des politiques de soutien de l'innovation et de l'investissement dans la recherche et développement , ainsi qu'un cadre plus favorable aux investissements étrangers (souvent vecteurs d'innovation).

La compétitivité des États de la région (hors Singapour) a longtemps reposé sur la compétitivité prix , fondée sur la faiblesse relative des coûts du travail. Avec l'inexorable montée des salaires, la question de la compétitivité hors coût se pose. Qualité de l'éducation, priorité à l'innovation, sont des leviers identifiés, au même titre que le développement des infrastructures, pour la poursuite de l'augmentation du niveau de vie dans ces pays.

Singapour fournit à elle seule la moitié des exportations de services de l'ASEAN. Sa part dans les exportations de services représente 10 fois son poids dans l'économie mondiale en termes de PIB. 8 ( * )

En matière d'innovation , à Singapour, les priorités concernent les technologies pour l'eau et l'environnement, les sciences biomédicales, les médias digitaux et interactifs (IDM) et les sciences de l'ingénierie, incluant l'électronique, les nouveaux matériaux, les sciences chimiques. En Malaisie, l'effort de recherche se concentre sur les technologies de l'information, l'automobile, l'aérospatial, les biotechnologies, l'agrobiologie, et les matériaux composites.

Par ailleurs, l'engagement du secteur privé , via des partenariats public-privé ou des politiques fiscales et des mécanismes de financement en faveur des PME, est jugé indispensable pour permettre aux économies de l'ASEAN d'atteindre leur plein potentiel. Cette question est particulièrement posée dans des pays comme le Vietnam, par exemple.

Mais ne nous y trompons pas : à moyen terme le rattrapage économique est inscrit dans les évolutions actuelles . Il devrait s'opérer, suivant les pays et les scénarios, entre 2020 et 2050.

Selon les projections de l'OCDE, les six pays les plus avancés de l'ASEAN (ASEAN-6) devraient être en mesure, s'ils continuent à ce rythme, de rejoindre le groupe des pays asiatiques à hauts revenus (auquel appartiennent déjà le Japon, la Corée et Singapour), au cours des prochaines décennies : Malaisie en 2020, Thaïlande en 2030, Indonésie en 2040, Philippines en 2050 et 2060 pour le Vietnam.

La réforme bancaire au Vietnam est un bon exemple de la nécessité (et de la difficulté) des réformes de structure.

Le secteur bancaire vietnamien est grevé par un niveau élevé de créances douteuses, qui non seulement fragilise le secteur mais contribue à un grippage du crédit, aux effets dévastateurs sur une économie dont le financement est principalement bancaire.

Le problème a atteint une telle ampleur que le système bancaire n'est plus à même de jouer son rôle de financement de l'économie.

Sur place, les acteurs économiques décrivent le système bancaire comme proche de la faillite, avec un niveau de dettes toxiques estimé (les bilans bancaires ne sont pas publiés) autour de 20%. Ces dettes toxiques sont le produit de prêts accordés aux sociétés d'Etat pour financer des investissements parfois hasardeux. Certains analystes font valoir que, par une certaine « endogamie » du système, le pouvoir politique et économique vietnamien souffrent de conflits d'intérêts permanents entre responsables du parti, dirigeants d'entreprise et banquiers.

Même si la réforme du secteur bancaire est en route, elle parait encore insuffisante 9 ( * ) . Sur place, vos rapporteurs ont constaté que le mécanisme de défaisance mis en place par la banque centrale vietnamienne, qui apparaît comme complexe et sous-capitalisé, peine à convaincre.

Les 3 axes de la réforme bancaire sont les suivants :

1) Endiguer le problème, en interdisant aux banques les plus fragiles d'offrir de nouvelles lignes de crédit.

2) Restructurer le système bancaire, notamment les banques les plus fragiles, sur lesquelles la Banque d'Etat dispose de prérogatives étendues en matière de restructuration, et qui pourront être reprises en totalité par des investisseurs étrangers.

3) Assainir les créances via la mise en place d'une société de défaisance, la VAMC, qui rachète les « mauvaises dettes », les hébergeant le temps que les banques fassent monter leurs provisions à un niveau adéquat.

Les entretiens à Ho Chi Minh ville et Hanoi de vos rapporteurs avec la communauté d'affaires française ont montré le chemin qui restait à parcourir pour un véritable assainissement, qui permette au secteur bancaire de jouer pleinement son rôle de financement de l'économie.

3. Une économie tirée par l'émergence d'une classe moyenne consumériste

Vos rapporteurs ont été frappés lors de leur mission en Asie du Sud-Est par les signes patents de la montée en puissance d'une classe moyenne consumériste nombreuse.

Cette montée est réelle et rapide. En 2011, la consommation privée dans « l'ASEAN - 5 » (les 5 principaux pays de l'ASEAN) représentait 55% du PIB global de ces pays, tandis que cette consommation ne représentait que 34% du PIB chinois et 56% du PIB indien.

POIDS ET PART DE LA CONSOMMATION PRIVÉE DANS LE PIB

Comparaison de la consommation privée en 2011

En milliards de dollars

En % du PIB

ASEAN-6

1128

54,6%

Chine

2510

34,4%

Inde

945

56.4%

Source : CEIC, cité par le service économique régional de Singapour dans « Horizon ASEAN », novembre 2012

En 2000, la classe « moyenne » (personnes vivant avec plus de 2 dollars par jour) était estimée à 38% de la population de ces cinq Etats. 10 ans plus tard, elle en représentait 60%. Par exemple, l'Indonésie est marquée par une forte consommation intérieure, portée par une démographie dynamique et l'émergence d'une classe moyenne aisée. Aux Philippines, l'économie est directement tirée par la consommation des ménages et le développement des services.

PROGRESSION DES « CLASSES MOYENNES » PAR PAYS
(PLUS DE 2 DOLLARS PAR JOUR)

Source : Direction générale du Trésor, « La progression des classes moyennes, facteur d'attractivité pour la région », Service économique régional de Singapour, août 2012, http://www.tresor.economie.gouv.fr/File/377424

Globalement, en 20 ans, le PIB moyen par habitant a triplé dans la zone, tandis que la consommation privée quadruplait.

À ce rythme de croissance, la taille du marché sud-est asiatique pourrait atteindre 1 600 milliards de dollars 10 ( * ) en 2015.

C'est proportionnellement plus que la Chine et l'Inde. En valeur absolue, si les « classes moyennes » sont moins nombreuses dans l'ASEAN qu'en Chine, leur nombre est comparable à celui de l'Inde, pourtant deux fois et demie plus peuplée. En prolongeant la tendance, la classe moyenne devrait compter 416 millions de personnes en 2015.

Rien qu'en Indonésie , la consommation a augmenté en moyenne de 15% par an au cours des cinq dernières années. Les projections économiques tablent sur l'émergence d'une classe moyenne de 45 millions de personnes aujourd'hui, 85 millions en 2020 et 135 millions en 2030 .

Naturellement il faut garder à l'esprit deux éléments :

. D'une part, la définition de la « classe moyenne » est sujette à caution, dans la mesure où le seuil d'entrée retenu dans les calculs internationaux (2 dollars par jour) est bas, et mesure plus le seuil de la sortie de la pauvreté que celui de l'accession à une réelle capacité de consommation ;

. Ensuite, les situations sont très diverses d'un pays à l'autre. En Malaisie et en Thaïlande, par exemple, l'émergence des classes moyennes consuméristes est une réalité massive. Dans d'autres pays comme les Philippines ou le Vietnam, et même en Indonésie, ce statut est loin d'être tout à fait universel. Ainsi, l'écart de consommation moyen est de un à dix entre la Malaisie (dépenses mensuelles d'un ménage : 680 dollars) et le Vietnam (niveau mensuel moyen des dépenses d'un ménage : 60 dollars).

Si l'on s'en tient à une définition plus restreinte des « classes moyennes », centrée sur les classes moyennes supérieures (de 10 à 20 dollars par jour) à aisées (plus de 20 dollars par jour), on observe une croissance encore plus rapide. Ces tranches représentent, en Malaisie et en Thaïlande, respectivement 17% et 4% de la population pour les classes moyennes supérieures et 13% et 3% pour les classes aisées. La proportion est moindre en Indonésie, avec des classes moyennes supérieures et aisées de 8,2% et 1,9% de la population totale, mais en nombre de consommateurs, leurs poids est significatif (respectivement 19,7 et 4,5 millions de personnes).

ÉVALUATION DES CLASSES MOYENNES SUPÉRIEURES ET DES CLASSES
AISÉES PAR PAYS
(DERNIÈRES DONNÉES DISPONIBLES : 2009)

Source : Direction générale du Trésor, « La progression des classes moyennes, facteur d'attractivité pour la région », Service économique régional de Singapour, août 2012, http://www.tresor.economie.gouv.fr/File/377424

Si l'on réduit encore le champ d'étude pour n'analyser que les seuls ménages ayant les moyens d'acheter une voiture, la « classe moyenne » de l'ASEAN ainsi définie atteindrait 100 millions de personnes 11 ( * ) , dont la moitié en Indonésie.

En Indonésie, 60 millions de personnes, soit un quart de la population, prennent régulièrement l'avion chaque année. D'après McKinsey qui, dans un récent rapport, place à 200 dollars de dépenses mensuelles le seuil de la « classe moyenne », cette notion couvre 45 millions de personnes aujourd'hui rien qu'en Indonésie, qui seront 135 millions de personnes en 2030 (plus forte hausse du monde, après la Chine et l'Inde). Le Boston Consulting Group dénombre quant à lui 74 millions de « middle class and affluent consumers » en Indonésie, soit 30% de la population, qui devraient devenir 141 millions en 2020.

Quel que soit l'outil de mesure, les chiffres montrent un phénomène massif.

« Partageant un appétit de consommer, les ménages de la classe moyenne sont les véritables gagnants de la mondialisation. En effet, la libéralisation des échanges a allégé les impôts qui pesaient sur leurs achats de biens durables, la libéralisation financière a amélioré les revenus de leur épargne tandis que l'ouverture a creusé l'écart entre leurs revenus et ceux des classes moins éduquées », analyse ainsi 12 ( * ) M Jean-Raphael Chaponnière, économiste entendu par vos rapporteurs.

Aux « Galeries Lafayette » à Jakarta, le panier moyen d'achat est de 100 euros 13 ( * ) .

Cela n'empêche pas des inégalités criantes et des poches de grande pauvreté qui côtoient parfois la richesse la plus insolente. Le cas des Philippines est souvent cité, ainsi que celui, désormais, de l'Indonésie.

D'ailleurs les politiques sociales tentent, timidement encore, de favoriser une répartition plus égalitaire des revenus. La Malaisie a ainsi adopté un salaire minimum, l'Indonésie un système de sécurité sociale, et des hausses de salaires sont observées dans plusieurs pays.

Même s'il est donc encore trop tôt pour faire de la classe moyenne consumériste le principal moteur d'une croissance qui serait totalement endogène, on voit bien les évolutions qui se dessinent.

Bien que vulnérable à un retournement de conjoncture, bien qu'inégalement observée entre les différents pays, bien que touchant parfois une petite frange de la population, cette tendance est bel et bien une tendance de fond.

Elle s'accompagne tout naturellement d'une diversification de la consommation.

La part des dépenses qui augmente la plus vite est la part « hors subsistance » : santé, éducation, loisirs, télécommunications. Ainsi la part de l'alimentaire n'est plus que de 20% dans les dépenses des ménages en Malaisie et 35% en Thaïlande.

4. Un potentiel démographique qui représente aussi un défi

L'Asie est jeune ; sa population croît rapidement et des pays comme l'Indonésie, le Vietnam ou les Philippines sont ou seront demain des géants démographiques, avec, suivant certaines projections, respectivement près de 400, 100 et 200 millions d'habitants en 2050.

ÉVOLUTION DE LA POPULATION EN ASIE DU SUD EST

Source : Banque asiatique de développement, www.adb.org/statistics

Dans plusieurs États -notamment aux Philippines, en Indonésie et au Vietnam- la croissance démographique va continuer d'être vive dans les décennies à venir, puisque l'Indonésie pourrait compter jusqu'à 370 millions d'habitants en 2050, les Philippines 180 millions et le Vietnam plus de 100 millions.

SCÉNARIOS D'ÉVOLUTION DE LA POPULATION EN ASIE DU SUD EST

Population 2009

Population 2050

Age médian

bas

moyen

haut

2010

2050

Indonésie

241

277

321

370

27

38

Philippines

93

136

157

181

22

31

Vietnam

89

90

104

120

28

46

Thaïlande

66

54

62

71

35

51

Myanmar

51

50

58

68

27

40

Cambodge

14

19

22

25

Malaisie

28

36

42

48

Source : Présentation de M. J R Chaponnière aux membres de la commission

Source : ONU world population prospects 2012, cité par le service économique régional (SER) de Singapour

La question est surtout centrale aux Philippines , qui a un taux de croissance démographique parmi les plus élevés du monde, et qui conserve une proportion importante de sa population en situation de pauvreté (33% de la population vit sous le seuil de pauvreté), population qui plus est particulièrement exposée aux catastrophes naturelles.

5. Une priorité à l'éducation et à l'économie de la connaissance inégalement partagée

Comparée à l'Asie du Nord-Est, l'Asie du Sud-Est a globalement sous-investi dans l'éducation et le capital humain . Même si ce décalage, qui reste l'un des principaux défis à relever, demeure important, cette tendance se retourne progressivement. C'est un des principaux enjeux du rattrapage économique des pays d'Asie du Sud-Est.

L'éducation devrait clairement devenir la priorité des nouveaux entrants dans la globalisation que sont le Cambodge, le Laos, la Birmanie ou le Vietnam. L'accès à l'éducation supérieure est un enjeu dans les pays où il n'est pas encore universel comme l'Indonésie, les Philippines, la Thaïlande ou Brunei. 14 ( * )

Singapour , pôle d'excellence en matière scientifique, est naturellement en tête au sein de la région, avec les deux tiers de sa population ayant atteint un niveau d'études supérieures et un tiers du budget consacré aux dépenses d'éducation. Deux des trois universités singapouriennes figurent chaque année en bonne place dans les classements mondiaux.

La cité Etat -référence mondiale en la matière- cherche en permanence à promouvoir un environnement propice à l'innovation, basé sur la qualité des infrastructures et la présence de nombreux chercheurs internationaux, auxquels les laboratoires singapouriens offrent des conditions de travail avantageuses. La recherche privée est très active. Quant aux autorités, elles ont une stratégie de création d'un « hub » de connaissances, à rayonnement international, en particulier dans les secteurs des technologies de l'information et de la recherche biomédicale.

Le nombre de chercheurs à Singapour a crû de 50% depuis 2000, atteignant le chiffre record de 6 173 chercheurs pour un million d'habitants 15 ( * ) .

En Malaisie , les autorités ont affiché dès les années 1990 la volonté d'une économie qui soit basée sur le savoir. Les dépenses pour le développement de l'enseignement supérieur atteignaient 19% 16 ( * ) du total des dépenses d'éducation en 2009 (soit près de 6% du PIB). Le taux de scolarisation dans le supérieur est passé de 26% en 2000 à 40% en 2010. Le nombre de brevets déposés y est élevé : 10 brevets déposés pour 1 million d'habitants.

MALAISIE : PRIORITÉ À L'INNOVATION

Depuis 20 ans, recherche et innovation sont prioritaires dans les plans quinquennaux malaisiens. Les autorités souhaitent en effet bâtir une économie de la connaissance pour permettre au pays de sortir de la trappe à revenus intermédiaires et rejoindre les économies à hauts revenus d'ici 2020.

En 2010, le gouvernement a dévoilé son « nouveau modèle économique » fondé sur la recherche de gains de productivité. Ce programme, qui s'inscrit dans les 10 ème et 11 ème plans (2011-2020), est concrétisé par le « Programme de transformation économique ». Les projets du 10 ème plan font une large part aux nouvelles technologies et à l'innovation. Le lancement du 10 ème Plan a vu les créations de l'Unité Spéciale Innovation (UNIK), chargée de concevoir une stratégie nationale de l'innovation et de commercialiser les résultats de la recherche publique. Autre maillon essentiel du dispositif public, créé en 1994, le Malaysian Industry Government Group for High Technology (MIGHT) rassemble des acteurs de la recherche et des industries de pointe et est chargé d'évaluer les programmes de compensations industrielles. Le pays est doté de nombreuses structures de recherche (20 universités et 27 instituts de recherche publics, un bon nombre d'universités privées dont certaines étrangères) et de valorisation.

On constate naturellement de fortes disparités au sein de la région. Ainsi les Philippines , le Vietnam ou l' Indonésie par exemple, ne fournissent pas le même effort en matière d'innovation et d'éducation supérieure. La part du PIB consacrée à la recherche n'y dépasse pas 0,2%.

C. LE CoeUR DU COMMERCE GLOBALISÉ

1. L'Asie des isthmes et des détroits depuis toujours une région névralgique...

L'Asie du Sud-Est est stratégiquement située, entre deux océans (Pacifique et Indien) et deux continents (Asie et Océanie), entre l'Inde et la Chine, maîtrisant les voies de communication entre l'Asie et le Moyen-Orient, entre la mer de Chine et les Amériques.

La « ligne de vie » du commerce mondial transite par l'Asie du Sud-Est.

On estime que 40 à 50% du commerce mondial passe par le détroit de Malacca. Il en va ainsi non seulement des navires de commerce mais aussi des voies aériennes, des câbles sous-marins, ou des ports, qui sont tous posés sur cet axe maritime stratégique.

On a pu mesurer la dépendance de l'économie française à cette « veine jugulaire » du commerce mondial après le tsunami japonais : faute de pièces détachées, l'industrie automobile française était à l'arrêt. On imagine quelles seraient les conséquences d'un éventuel blocage du détroit de Malacca...

LE DÉTROIT DE MALACCA AU CoeUR DU TRAFIC MONDIAL DE MARCHANDISES

Source : Marine nationale, revue « Cols bleus »

2. ... dont la « maritimisation » du monde renforce encore la centralité

La rapidité de la croissance du trafic de porte-conteneurs (visible sur le graphique ci-après, qui montre la croissance du trafic de conteneurs), qui caractérise le phénomène désormais bien connu de « maritimisation » des économies, ne fait que renforcer cette prévalence géostratégique séculaire de l'Asie des isthmes et des détroits.

Source : Review of maritime transport, CNUCED, 2013

Les grands ports d'Asie du Sud-Est , situés stratégiquement sur les lignes du commerce mondial, sont d'ailleurs parvenus à relancer leur activité immédiatement après la crise de 2008 et la brève chute du trafic de porte-conteneurs en 2009. Ils se hissent aujourd'hui aux premiers rangs mondiaux. C'est le cas de Singapour, Bangkok ou Manille, tous en phase d'expansion, mais aussi de ports tels que Port Klang (Kuala Lumpur), Tanjung Pelepas et Tanjung Priok (Jakarta) qui ont augmenté leur transport de fret de plus de 50% entre 2006 et 2011 17 ( * ) .

De nouveaux investissements dans le port de Singapour vont encore venir accroître une activité déjà extrêmement soutenue, qui fait de la cité-Etat un hub régional. Le pays a investi 2,3 milliards d'euros (en 2012) pour développer le terminal de Pasir Panjang, qui portera la capacité du port de 35 à 50 millions d'EVP (équivalent vingt pieds, l'unité de mesure des conteneurs) d'ici 2020 18 ( * ) .

Source : Le Marin, http://www.nxtbook.fr/lemarin/lemarin/HSECOTABBORD/index.php

3. L'émergence chinoise accentue le poids de cette région carrefour
a) Le fort dynamisme du commerce avec la Chine

L'émergence économique de la Chine est naturellement un autre puissant facteur de transformation régionale.

Le commerce Chine-ASEAN a fortement augmenté au cours de la dernière décennie (il a été multiplié par 50 en 10 ans 19 ( * ) ), et devrait dépasser les volumes d'échanges ASEAN-UE et ASEAN-Etats-Unis d'ici 2015.

À partir de l'adhésion de la Chine à l'OMC en 2001, la géographie du commerce des Etats de l'ASEAN s'est en effet complètement modifiée. La Chine est devenue progressivement le premier débouché et le premier fournisseur de l'ASEAN, devant le Japon : aujourd'hui le commerce sino-ASEAN (425 milliards de dollars) est deux fois plus élevé que le commerce nippo-ASEAN (240 milliards de dollars).

Cette évolution a complètement modifié la perception de l'émergence chinoise par les pays d'Asie du Sud-Est. En 1998, en refusant la dévaluation compétitive du Yuan et en venant financièrement à l'aide de l'ASEAN, la Chine est en effet apparue comme un partenaire fiable et crédible 20 ( * ) . Dans le même ordre d'idées, la relative résistance de la demande chinoise lors de la crise de 2008 a renforcé la résilience économique de l'ASEAN.

La zone de libre-échange Chine-ASEAN (ou CAFTA ), qui a vu le jour le 1 er janvier 2010, est la première au monde par sa population (elle rassemble près de 2 milliards de consommateurs) et la troisième par son PIB (après l'Union Européenne et la zone de libre-échange nord-américaine ou NAFTA ). Cette zone de libre-échange a naturellement créé un climat favorable à la croissance des investissements chinois dans la région (en particulier au Vietnam, en Thaïlande et à Singapour).

A l'occasion du sommet ASEAN -Chine de 2013, le Ministre des Affaires étrangères chinois a d'ailleurs proposé de rehausser l'ambition de la coopération, proposant notamment la signature d'un traité de bon voisinage, d'amitié et de coopération, le renforcement des échanges en matière de sécurité non-traditionnelle (lutte contre les catastrophes naturelles, la criminalité transfrontalière, la cybersécurité), la montée en puissance de la zone de libre-échange pour atteindre 1 000 milliards de dollars d'échanges en 2020, et la construction d'une « route de la soie maritime » du 21 ème siècle.

b) La montée inexorable des investissements directs asiatiques

Ce sont traditionnellement les grands voisins du Nord-Est asiatique industriel qui ont alimenté le flux massif d'investissements directs étrangers dans les pays de l'ASEAN. Ainsi par exemple, au Vietnam, les deux tiers des investissements directs étrangers sont le fait du Japon, premier investisseur historiquement, de Taïwan et de Singapour. Les investissements des grands « Chaebols » coréens montent aussi en puissance, puisque Samsung représente à lui seul désormais 20% des exportations totales vietnamiennes.

Mais ce sont les investissements directs chinois qui ont tendance à croître le plus rapidement : l'ASEAN en capte une part de plus en plus importante.

Au sein de l'Asie, l'ASEAN concentre désormais 54% du total asiatique, et un stock de 41,4 milliards de dollars d'investissements chinois fin 2013 21 ( * ) .

Prédominante en flux, la Chine n'est pour l'instant qu'un « petit investisseur » en stock dans l'ASEAN, qui ne représente que 3,8% du stock d'investissements étrangers dans la région fin 2012. Mais le mouvement s'accélère : les trois quarts de ces investissements ont été réalisés depuis 2010, avec un maximum de 13 milliards de dollars en 2011, suivi par 8,2 milliards de dollars en 2012.

L'Indonésie constitue la première cible de ces investissements, devant Singapour et la Malaisie. Toutefois, rapportés à la taille des économies concernées, c'est au Laos, au Cambodge, en Birmanie et à Brunei que les investissements chinois pèsent le plus lourd.

Certains des projets chinois auront une dimension structurante pour l'économie des pays concernés, tels que le projet de liaison ferroviaire à grande vitesse devant relier à long terme Kunming dans le Yunnan jusqu'à Singapour, en passant par le Laos, la Thaïlande, et la Malaisie .

Les investissements massifs des acteurs chinois dans la production d'énergie en Indonésie, au Laos et en Birmanie conditionnent pour partie la montée en puissance attendue de la production électrique dans ces pays, en même temps qu'elle sécurise l'accès chinois aux sources d'approvisionnement énergétique. La politique chinoise de zones industrielles touche notamment la Malaisie, avec le parc industriel et le port de Kuantan.

Certains de ces investissements ont soulevé des polémiques, telles le centre de commerce de gros du groupe Ashima à Bangkok, ou le projet immobilier de Thatluang à Vientiane (conditions d'expropriation des villageois et conséquences environnementales). L'arrêt du projet de barrage hydraulique de Myitsone en Birmanie, est à souligner, de même que les questions posées par l'attribution de la mine de cuivre de Monywa (suspicion de lien avec les contrats d'armement, accusations de corruption...) 22 ( * ) .

L'investissement chinois au Laos , par exemple, a ainsi pris depuis 2013 la première place (803 millions de dollars en flux, 5 milliards de dollars en stock), dépassant ceux du Vietnam (4,5) et de la Thaïlande (4,3) dans ce pays. Il est concentré sur l'exploitation au profit de l'économie chinoise de ressources naturelles : cultures commerciales (hévéa, canne à sucre, café), bois, minerais et production d'électricité, ce qui équilibre la balance commerciale, les importations laotiennes de machines-outils et matériaux de construction allant croissant. L'investissement porte également de manière croissante sur l'immobilier et les services (casinos, centres commerciaux et hôtels). La forte concentration d'investissements chinois dans les provinces du Nord ne pourra qu'être confortée par la récente mise en service du pont de Houayxai, dernier tronçon d'une voie routière de 1 800 km entre Bangkok et Kunmin à travers le Nord-Ouest du Laos.

Capitaux et acteurs proviennent majoritairement du Yunnan et du Guangxi, mais on observe des mouvements plus amples avec pour origines le Hunan, le Xinkjang, Macau et Hong Kong. Les accords bilatéraux permettent aux ressortissants des deux pays de traverser la frontière avec des formalités simplifiées, ce qui se traduit concrètement par une quasi exemption de taxes.

« Au total, l'investissement chinois est en train de devenir une composante importante du développement économique de la région, avec une capacité de montée en puissance et de diversification qui reste énorme. Le processus d'ajustement à cette nouvelle réalité est en cours : la crainte d'une «satellisation» est perceptible dans les petits pays, la volonté de rééquilibrage est manifeste en Birmanie, mais dans l'ensemble ce sont les opportunités offertes par cette envolée des investissements chinois qui concentrent l'attention des responsables politiques et des acteurs économiques », résume une récente analyse de la Direction du Trésor sur les investissements chinois dans l'ASEAN.

LES INVESTISSEMENTS CHINOIS DANS LE SECTEUR ÉNERGÉTIQUE EN ASEAN

Comme en Afrique ou en Amérique Latine, l'accès à l'énergie et aux ressources minières ainsi que la production d'énergie sont une des motivations centrales de ces investissements et représentent 69% du stock d'investissements directs chinois en Asean (sans compter la présence chinoise massive dans les projets hydrauliques en Birmanie et au Laos qui n'est pas reflétée convenablement dans les statistiques). Le mouvement avait commencé à Singapour en 2008 avec le rachat de Tuas Power par le groupe Huaneng pour 3 milliards de dollars, suivi en 2009 par celui du raffineur Singapore Petroleum par Petrochina pour 2,2 milliards de dollars.

En Indonésie, CNOOC s'alliait au canadien Husky Energy en 2008 pour l'exploitation d'un champ gazier off-shore, suivi par Pétrochina en 2009, allié à Chevron pour un projet gazier offshore de 6 milliards de dollars à Kalimantan Est. Plus récemment Sinopec décidait d'investir 850 millions de dollars dans la réalisation d'une vaste unité de stockage pétrolier pouvant contenir 16 millions de barils de pétrole à Batam, en face de Jurong Island où Pétrochina exploite un terminal de dimension équivalente.

Le raffinage suscite de vastes projets à Brunei, où le Zhejiang Hengyi Group investit 2,5 milliards de dollars en 2011 dans la réalisation d'une raffinerie et d'un cracker catalytique ayant une capacité de production de 135 000 barils par jour, projet qui constitue l'un des principaux axes de diversification de l'économie du Sultanat. Un autre projet de Sinopec financé par l'Eximbank au Cambodge (1,7 milliard de dollars) porte sur une raffinerie d'une capacité de 5 millions de tonnes.

Sur le front minier , les investisseurs chinois se concentrent sur le nickel en Indonésie avec une prise de participation (celle de CNRH, China Nickel Resources Holding, au capital de Yiwan Mining à hauteur de 80% pour 270 millions de dollars) et trois projets : CNRH à Kalimantan sud (1,8 milliard de dollars), Dafeng Port pour la création d'une fonderie de ferronickel à Sulawesi Sud (600 millions de dollars) où Jilin Jien Nickel développe un vaste projet de minerai de nickel (6 milliards de dollars). L'accès au nickel suscite également des investissements en Birmanie, avec notamment la mine de Tagaung Taung exploitée par CNMC et Taiyuan Iron and Steel.

Dans l'aluminium , Chinalco investit 1,6 Md USD dans une fonderie d'aluminium de 370 000 tonnes/an dans l'Etat de Sarawak à Bornéo, en partenariat avec un acteur malaisien. Le cuivre suscite des investissements en Birmanie (Norinco) et aux Philippines (China Metallurgical Group), tandis que les projets dans le charbon se concentrent sur l'Indonésie et le Vietnam.

( Source : Note du service économique régional de Singapour, direction du Trésor, avril 2014)

4. Une part croissante dans les flux financiers mondiaux : une capitalisation boursière multipliée par 5 en 10 ans

L'Asie du Sud-Est a une part croissante dans les flux financiers mondiaux. La fragilité des places boursières à l'égard de l'extérieur, parfaitement démontrée par la crise dite « asiatique » de 1997, et les « cracks » boursiers de novembre 2008 et octobre 2011, notamment, n'ont pas entamé une tendance de fond : celle de l'apport croissant de marchés boursiers particulièrement dynamiques au financement de l'économie sud-asiatique .

D'après une étude récente 23 ( * ) , le montant des fonds levés sur les bourses des 5 principaux pays de l'ASEAN atteignait 25 milliards de dollars en 2011, contre 13,6 milliards de dollars en 2006 et 5,4 milliards de dollars en 2001, soit une multiplication de la capitalisation boursière par 5 en 10 ans.

Cet accroissement du financement direct des entreprises par le recours aux marchés boursiers est nettement supérieur dans la quasi-totalité de l'ASEAN-5 (les 5 pays les plus développés de l'ASEAN) à celui constaté mondialement. Singapour , parmi les premières places financières mondiales et pays dans lequel cette évolution du financement est la plus ancienne, atteint ainsi un taux d'accroissement annuel des fonds levés de 25,2 % entre 2001 et 2011, soit un rythme huit fois supérieur à celui d'une place mature telle que le New York Stock Exchange (3,2%).

Plus récente en Indonésie et en Malaisie , cette tendance est aussi plus marquée : la croissance annuelle moyenne du montant levé sur les marchés de capitaux atteint ainsi 30% dans la première et 21,5% dans la seconde. La progression aux Philippines est particulièrement rapide (+38%), bien que le montant enregistré en 2011 (2,5 milliards de dollars) soit encore sous-proportionné à la taille de cette économie et à ses besoins de financement.

D. UNE ZONE DE RESSOURCES NATURELLES CONVOITÉES

L'Asie du Sud-Est est une région riche en ressources naturelles . Ainsi la Thaïlande, premier pays producteur de riz, produit le tiers du caoutchouc mondial ; l'Indonésie est leader mondial de la production d'huile de palme et de charbon. Brunei produit 160 000 barils de pétrole par jour.

DES RESSOURCES NATURELLES ABONDANTES

Pétrole et gaz : Brunei (160 000 barils/jour), Birmanie, Indonésie, Malaisie

Hydro-électricité : Laos, Vietnam

Charbon : Indonésie (leader mondial), Birmanie, Laos, Vietnam

Pierres semi-précieuses : Birmanie (jade)

Bois : Indonésie, Birmanie, Malaisie

Caoutchouc : Thaïlande (1/3 de la production mondiale), Indonésie

Huile de palme : Indonésie (leader mondial), Malaisie

Riz : Thaïlande (leader mondial), Vietnam

1. Des ressources halieutiques menacées dans une zone sous pression alimentaire

La mer de Chine méridionale représente 3,5 millions de km 2 . Ses richesses halieutiques nourrissent les trois quarts des populations riveraines de la Chine du sud, de Taiwan, du Vietnam, des Philippines, de Brunei et de la Malaisie, notamment.

La dégradation de la ressource en poisson y constitue une menace, à terme, pour la sécurité alimentaire.

En Asie, en effet, plus d'un milliard de personnes dépendent des produits de la mer comme principale source en protéines animales. Dans les 30 années à venir, on estime globalement à plus de 6,3 milliards le nombre de personnes susceptibles de venir s'installer dans les zones côtières déjà très densément peuplées, dont une bonne part en Asie. Les conséquences sur la ressource en poisson, (« protéine du pauvre » ), de cette augmentation de la demande et de la surpêche qui en découle sont dramatiques. Déjà en 2004, la FAO 24 ( * ) estimait qu'en Asie Pacifique, sur les 25 dernières années, la quantité de poissons disponible a diminué de 6 à 33 pour cent.

Outre la surpêche, liée à la densification du peuplement, l'Asie du Sud-Est figure parmi les régions menacées par les techniques « destructrices » telles la pêche au cyanure ou à la dynamite.

LA « PÊCHE DESTRUCTRICE » EN ASIE DU SUD-EST 25 ( * )

La pêche au cyanure est une technique populaire pour capturer les poissons de récif vivants pour le marché des aquariums et des restaurants.

Elle est très répandue en Asie du Sud-Est. Le cyanure est injecté dans les trous des coraux et dans les crevasses où les animaux se réfugient. Le produit les paralysant, ils deviennent des proies faciles pour les pêcheurs. Cependant, le cyanure empoisonne les récifs et est extrêmement nocif pour les polypes de coraux et les autres organismes de ce fragile écosystème. De plus, moins de la moitié des poissons ainsi capturés survivent assez longtemps pour être vendus sur le marché. La pêche au cyanure s'étend des récifs décimés et dévastés des Philippines - où on estime que 65 tonnes de cyanure sont déversées chaque année - à des récifs isolés à l'Est de l'Indonésie et d'autres pays de l'ouest du Pacifique.

La pêche à l'explosif existe probablement depuis des siècles et est aujourd'hui en expansion. Les explosions peuvent produire de grands cratères, dévastant 10 à 20 m 2 de fond marin. Elles tuent non seulement les poissons visés, mais aussi toute la faune et la flore environnantes, l'explosion ne discriminant ni la taille ni l'espèce. Les explosifs et matériaux de bases comme les pesticides et le sucre sont bon marché et sont facilement disponibles. Les explosifs commerciaux sont souvent obtenus à partir de l'industrie minière ou de construction. Dans de nombreuses régions, il suffit aux pêcheurs d'extraire les explosifs d'anciennes munitions provenant de conflits passés ou présents. Ailleurs, les pêcheurs se les procurent par le biais du trafic d'arme illégal.

Les « accrochages » fréquents de navires de pêche dans les zones de pêche en mer de Chine du Sud montrent d'ailleurs la vivacité de la problématique de l'accès aux ressources halieutiques et de leur préservation.

2. Des richesses géologiques et minières dans un contexte d'accroissement des besoins énergétiques
a) Une région d'exploitation pétrolière et minière de longue date

D'après une étude économique récente 26 ( * ) , l'ASEAN représente désormais plus de 10% des échanges de minerais dans le monde , avec des échanges multipliés par 10 entre 2000 et 2010 , passant de 4,1 à 43,1 milliards de dollars. La région est désormais le troisième fournisseur de la Chine, laquelle consomme 40% de la production mondiale de minerais. Cette réussite spectaculaire repose en majeure partie sur l'Indonésie, qui concentre désormais 9% des ventes de minerais dans le monde.

Après la croissance déjà exceptionnelle de ces dernières années, les experts attendent dans les années à venir des taux de croissance record dans le secteur minier, en particulier en Indonésie et aux Philippines. La région dispose en effet d'un potentiel considérable grâce à des réserves abondantes encore inexploitées d'or, de charbon et de nickel, situées en Indonésie, aux Philippines, mais aussi au Vietnam et dans les pays moins développés, comme le Cambodge, le Laos et la Birmanie, laquelle est parfois qualifiée de « mine d'or » par la Banque asiatique de Développement. On ne compte pas moins de 117 projets miniers aujourd'hui au sein de l'ASEAN.

LE SECTEUR MINIER DANS L'ASEAN, UN GISEMENT DE CROISSANCE 27 ( * )

Le dynamisme de la croissance dans les pays de l'ASEAN va tirer le secteur minier dans l'ASEAN dans les années à venir, notamment sous l'effet de la demande chinoise, qui consomme 40% des minerais industriels dans le monde. Courant 2012, la région comptait 117 projets miniers 28 ( * ) , tous minerais confondus : 40 projets miniers d'extraction d'or et d'argent, de cuivre et d'or (20 projets), de charbon et de nickel (17 projets respectivement). La croissance la plus forte concerne l'extraction de minerai industriel (cuivre, nickel, étain...).

La région dispose encore de nombreuses réserves inexploitées, notamment en Indonésie et aux Philippines .

L'Indonésie disposerait ainsi de réserves d'or équivalentes à celles des États-Unis, mais qui sont deux fois moins exploitées. Le chiffre d'affaires global de l'industrie minière va tripler entre 2009 et 2016, pour passer de 57 à 143 milliards de dollars. La production de charbon « dope » l'activité, ainsi que celle du nickel, avec des prévisions de croissance annuelle de 10% pour ces deux secteurs.

Les Philippines sont considérées comme le 5 ème pays le plus riche en minerais au monde ; le 3 ème pour les ressources en or, riche en nickel et en cuivre. Le chiffre d'affaires global du secteur minier devrait quadrupler, passant de 2 à 8 milliards de dollars entre 2009 et 2016.

b) Les possibles ressources en hydrocarbures en Mer de Chine méridionale, facteur de mise sous tension

Même si les études divergent en la matière, certains voient dans la mer de Chine du Sud un véritable petit « Koweit » sous-marin, qui pourrait receler jusqu'à 213 milliards de barils de pétrole , soit 80% des réserves en or noir de l'Arabie Saoudite 29 ( * ) , et 25 000 milliards de mètres cubes de réserves de gaz. Une étude chinoise, d'où proviendraient ces chiffres 30 ( * ) , souligne que ces réserves seraient à même de couvrir les besoins énergétiques chinois pendant 50 ans....

D'autres estimations font état de « seulement » 11 milliards de barils de pétrole et 190 milliards de mètres cubes de gaz...

Il est d'ailleurs frappant que les récents incidents entre le Vietnam et la Chine en mer de Chine du Sud aient été déclenchés par des mouvements d'une plate-forme chinoise d'exploration pétrolière (la plate-forme HD 981), installée au large de Danang, non loin des côtes vietnamiennes 31 ( * ) .

Ces tensions s'inscrivent dans le cadre d'une course effrénée à l'appropriation des ressources naturelles pour sécuriser l'apport en énergie nécessaire au maintien de la croissance.

3. Des ressources agricoles et sylvicoles sous pression
a) L'exemple de la forêt indonésienne

D'une superficie de 240 millions d'hectares, soit 17% du couvert forestier mondial, la forêt tropicale humide indonésienne est le troisième bassin forestier au monde. « Poumon vert » de la planète, elle représente une des grandes richesses de l'archipel indonésien, à la fois pour sa diversité biologique, sa contribution à l'équilibre éco-systémique planétaire et les activités économiques qui en dépendent.

Même si elle reste l'une des plus étendues du monde, la forêt indonésienne a beaucoup reculé au cours des cinq dernières décennies , notamment pour répondre aux besoins de l'industrie papetière, puis sous l'effet de l'expansion de la culture du palmier à huile . Cette situation est préoccupante sur le plan environnemental .

Entre 1990 et 2000, l'Indonésie aurait perdu approximativement 1,3 million d'hectares de forêts par an (FAO, 2001), soit 20% de ses forêts en vingt ans, ce qui place désormais le pays en position de 8 ème émetteur mondial de gaz à effet de serre.

Pour schématiser, on peut considérer que la forêt indonésienne recule de l'équivalent d'un terrain de tennis chaque minute, et de la surface de Manhattan chaque mois 32 ( * ) .

La prise de conscience de ce problème est désormais bien réelle, comme le souligne d'ailleurs un récent rapport du Sénat 33 ( * ) : « La politique du gouvernement indonésien concernant les forêts a évolué au cours des dernières décennies. Pendant longtemps, les autorités se sont surtout préoccupées de valoriser la ressource forestière, qui paraissait inépuisable. Peu à peu, la prise de conscience des enjeux écologiques a fini par s'imposer grâce au rôle des différentes ONG qui ont attiré l'attention sur les dégâts causés à la forêt indonésienne. »

Le Gouvernement indonésien, qui a d'ambitieux objectifs de réduction des gaz à effet de serre, a décrété un moratoire , en 2011, sur l'attribution de concessions dans les forêts primaires, qui a été reconduit en 2013. Selon la FAO, l'exploitation des forêts serait ainsi passée de 1 914 000 hectares par an entre 1990 et 2000 à 498 000 hectares par an de 2000 à 2010.

Le rapport précité du Sénat concluait ainsi : « La forêt indonésienne a connu un fort recul, lié d'abord à la production de pâte à papier puis aux plantations de palmiers à huile. Mais il faut savoir reconnaître le ralentissement de la déforestation, la forte volonté de l'Indonésie et de son ministère des forêts, dont témoignent le moratoire, et la prise de conscience par les industriels de la nécessité d'un développement vraiment durable et de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Le développement durable passe par l'utilisation de bois de plantations, qu'il faut donc, par cohérence, pouvoir certifier, et par la protection des forêts naturelles qui doivent être préservées dans leur biodiversité. ».

En Indonésie, les feux de forêts sont récurrents en saison sèche sur les îles de Sumatra et de Bornéo. En 1997, les incendies, aggravés par le phénomène du Nino, particulièrement marqué cette année-là, avaient détruit près de 100 000 km² de forêt et, pendant des mois, envoyé leurs fumées ( haze ) à Singapour et en Malaisie. En juin 2013, les incendies de forêts dans la province de Riau, sur l'île de Sumatra, ont pris des proportions telles que les conséquences sur la qualité de l'air dans la province elle-même, mais aussi à Singapour et en Malaisie péninsulaire, ont entraîné des réactions de la part des voisins de l'Indonésie.

Certains ont à cette occasion pointé du doigt à la fois les pratiques traditionnelles de nettoyage des terrains pour la mise en culture (écobuage) mais aussi les agissements de certaines entreprises de production d'huile de palme, pour lesquelles il est plus économique de brûler des plantations qui ne produisent plus ou des forêts secondaires dont les bois ne sont guère exploitables commercialement, plutôt que de les défricher par des moyens mécaniques.

b) L'huile de palme

L'Indonésie et la Malaisie figurent notamment au rang des principaux pays producteurs et exportateurs d'huile de palme.

La croissance de ce marché est continue : en Indonésie par exemple, la production totale s'établit à 27 millions de tonnes, pour une surface totale de 10 millions d'hectares de palmiers à huile (dont 8 millions d'hectares sont effectivement en production). Près de 20 millions de tonnes sont destinées à l'exportation, le marché domestique ne représentant que 7 millions de tonnes. Les principaux marchés d'exportation de l'Indonésie sont l'Inde (6,1 millions de tonnes), l'Union européenne (4 millions de tonnes) et la Chine (2,7 millions de tonnes).

Avec ces chiffres, l'Indonésie ravit désormais la place de premier exportateur mondial d'huile de palme à la Malaisie (18,1 millions de tonnes en 2013).

L'Indonésie s'oriente de manière croissante vers son marché domestique, à travers la production de biocarburant à partir de l'huile de palme (incitations financières accrues, augmentation du taux d'incorporation obligatoire de 7,5% à 10% dans le bio-diesel), ce qui lui permet à la fois de limiter ses importations de carburants fossiles et de soutenir le cours de l'huile de palme.

Cette tendance, conjuguée à la hausse des exportations, explique que, malgré les contraintes règlementaires croissantes (moratoire sur la déforestation, limitation de la taille des plantations,...), les surfaces cultivées et le niveau de production devraient continuer à croître dans les années à venir. L'objectif officiel est de parvenir à un niveau de 40 millions de tonnes en 2020.

Parallèlement, la production intègre de plus en plus le respect de critères de qualité pour arriver à une production durable d'huile de palme . L'Indonésie se positionne, au sein des différents pays importateurs, sur ce segment, particulièrement important pour des marchés tels que celui de l'Union européenne, là où la Chine et l'Inde demeurent, à ce stade, relativement indifférentes au caractère durable ou pas de l'huile de palme qu'elles importent.

LE PROCESSUS DE CERTIFICATION DE L'HUILE DE PALME EN INDONÉSIE

L'Indonésie a lancé en 2011 un système national de certification durable de la production d'huile de palme (Indonesian Sustainable Palm Oil - ISPO). Cette initiative fait suite au désengagement de l'Indonésie du système de certification international Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO). Le système de certification ISPO est obligatoire, avec un objectif officiel (ambitieux) de 100% d'entreprises certifiées ISPO d'ici le 31 décembre 2014.

Parallèlement, les grandes entreprises productrices ou utilisatrices d'huile de palme (telles que Wilmar ou Unilever par exemple), déjà certifiées, ont accompli d'énormes progrès au cours des dernières années, et d'ores et déjà au-delà des exigences de la certification. En effet, elles ont pris, de manière indépendante, des engagements complémentaires en matière de production durable, nécessaires pour offrir des garanties fortes sur les questions de déforestation et de biodiversité.

E. UN POIDS ÉCONOMIQUE DEMAIN COMPARABLE À CELUI DE L'UNION EUROPÉENNE

1. Des émergents qui pèsent de plus en plus lourd
a) Singapour : un « hub » mondial pour son port, sa place financière, son rôle régional et sa place dans l'économie de la connaissance

Plateforme commerciale mondiale, Singapour est une économie très ouverte (les échanges représentent 2,8 fois le PIB 34 ( * ) ) caractérisée par le poids des réexportations (la moitié des exportations totales).

Ses échanges sont en apparence très ancrés en Asie, qui représente les 2/3 de ses exportations, mais le pays n'en reste pas moins toujours dépendant de la demande finale des pays de l'OCDE (qui représentent aussi un tiers de ses débouchés directs).

L'économie repose sur trois piliers : l'industrie manufacturière et la construction (23,6% du PIB), les activités de commerce , de logistique et de communication (26,8% du PIB) et les activités financières et les services aux entreprises (24,8% du PIB). Ils sont soutenus par un système financier moderne (3 ème marché mondial du change et 1 ère place financière d'ASEAN), une dynamique commerciale étroitement liée à la fonction prééminente du port (2 ème mondial derrière Shanghai en termes de transbordement de containeurs) et un cadre réglementaire exemplaire.

La cité-Etat a ainsi été classée au 1 er rang mondial par la Banque mondiale pour la facilité à faire des affaires et serait le 5 ème pays le moins corrompu selon Transparency International. Singapour a été de nouveau distingué en septembre 2013 comme le 2 ème pays le plus compétitif au monde par le World Economic Forum .

Dans un contexte de démographie vieillissante et de plein emploi (taux de chômage de 1,8% au 4 ème trimestre 2012), les autorités ont de nouveau réitéré, par la publication d'un « Livre blanc », la priorité donnée au rehaussement de la productivité du travail, avec un objectif de croissance annuelle de cet indicateur de 2% à 3% d'ici 2020, contre 1% par an sur la décennie écoulée. Elles souhaitent de plus renforcer le niveau de qualification de l'ensemble de la population active, internationaliser le tissu entrepreneurial local et confirmer le rôle de « hub » international de la cité-Etat.

Outre la réaffirmation des orientations stratégiques de sa politique économique (création de valeur fondée sur une expansion à l'extérieur des frontières, en particulier en Asie, positionnement comme pôle d'excellence pour les services financiers et non financiers), Singapour parie aussi sur une montée en gamme de son secteur manufacturier et sur une diversification de son tissu économique . D'importants investissements ont lieu dans les secteurs pharmaceutique, chimique ou biomédical, avec des efforts importants en recherche et développement (2,3% du PIB en 2011) et ressources humaines.

Acteur influent en Asie, Singapour joue un rôle actif au sein de l'ASEAN, mais s'inscrit aussi dans une perspective mondiale en adoptant un rôle de médiateur. Fervent partisan du système commercial multilatéral à travers des enceintes mondiales (OMC) ou régionales (ASEAN, APEC), Singapour conduit une ambitieuse politique de négociation d'accords bilatéraux et régionaux de libre échange (18 accords de libre-échange signés). Singapour a ainsi signé un accord de libre-échange avec l'Union européenne conférant aux entreprises de cette dernière d'importantes concessions en matière d'abolition des barrières non tarifaires, de protection des droits de propriété intellectuelle et des appellations géographiques et d'ouverture des marchés publics. Singapour participe également activement aux négociations pour le Trans-Pacific Partnership avec les Etats-Unis ainsi qu'à plusieurs négociations multilatérales avec le Japon et l'Inde (sur le volet services et investissements) et a engagé des négociations pour des accords de libre-échange avec le Canada, le Mexique, l'Ukraine et le Pakistan.

b) L'Indonésie, un géant en devenir

Géant de la région, l'Indonésie est, sur le plan démographique, le quatrième Etat le plus peuplé du monde, et le premier pour l'importance de sa population musulmane.

L'économie indonésienne est en plein essor : on compare souvent l'Indonésie à une « mini Chine », façon de signifier à la fois sa taille et la rapidité et l'ampleur de son émergence sur le plan économique.

Après un relatif fléchissement en 2009, qui a eu des effets négatifs sur l'emploi et la lutte contre la pauvreté, la croissance a repris pour s'établir à 6,5% en 2011 et 6,2% en 2012.

Classée au 16 ème rang mondial avec un PIB de 906 milliards de dollars, l'économie indonésienne est tirée par sa demande intérieure, qui représente 60% du PIB. Outre ce principal moteur de la croissance, les exportations et l'investissement y participent désormais pour une plus grande part.

Les exportations indonésiennes continuent d'augmenter, à 201,5 milliards de dollars (elles ont doublé depuis 2006), quoique moins rapidement. Le pays dispose de considérables ressources agricoles (huile de palme, caoutchouc naturel, cacao, café), énergétiques et minières (pétrole, gaz naturel liquéfié). Les matières premières représentent près de la moitié des exportations, portées par la demande des pays émergents. Viennent ensuite les produits de l'industrie manufacturière (biens intermédiaires et biens de consommation). L'Indonésie réalise près de 20% de ses exportations avec les pays de l'ASEAN et 10% avec l'Union européenne.

Les importations augmentent également (176,1 milliards de dollars) et l'excédent commercial est en hausse, à 25,4 milliards de dollars. Le premier poste d'importation, les hydrocarbures, a connu en 2011 une très forte augmentation (+47%, à 40,1 milliards de dollars), alimentée en particulier par l'existence de subventions au prix des carburants (19% des dépenses du budget national en 2011). Les importations de produits manufacturés (appareils électriques, optique, produits métalliques) et de matériels de transport viennent ensuite. Les pays de l'ASEAN représentent environ 33% des importations indonésiennes, l'Union européenne 7%.

Un vaste programme de développement des infrastructures a été décidé par les autorités, qui comptent sur l'apport, indispensable, des investisseurs privés. L'Indonésie s'est vue accorder l'« investment grade » à la fin 2011, reconnaissance des progrès réalisés, même si subsistent de réels problèmes de gouvernance : l'Indonésie est classée au 129 e rang (sur 183) pour la « Facilité à faire des affaires » et au 100 e rang (sur 183) par Transparency International , s'agissant de la corruption, en dépit de la volonté réaffirmée du gouvernement de faire de la lutte contre ce phénomène une priorité.

Une centaine d'entreprises françaises (150) sont implantées en Indonésie, pour la plupart de grands groupes (Total, Alstom, Schneider Electric, France Télécom, Aventis, Suez, Lafarge...). Des implantations plus récentes sont à noter dans le tourisme (Accor), l'agro-alimentaire (Danone), la chimie (Air Liquide), ou les assurances (AXA).

Si le contexte en Indonésie est très attractif compte tenu du fort potentiel de cette économie en plein décollage, on constate une tendance au protectionnisme, ou au « nationalisme » économique, potentiel frein au développement des sociétés étrangères, particulièrement dans le secteur des matières premières et de l'énergie .

L'Indonésie, compte tenu de son fort potentiel, figure parmi les toutes premières priorités pour notre diplomatie économique.

UN COMMERCE FRANCO-INDONÉSIEN EN HAUSSE DE 20%

En 2012 et sur les premiers mois de 2013, les relations économiques franco-indonésiennes s'améliorent, bien qu'elles restent encore marginales dans le paysage économique des deux pays. Nos échanges commerciaux avec l'Indonésie progressent favorablement, montrant une réduction du déficit commercial à 401 millions d'euros, son niveau de 2009, grâce à une forte progression de nos exportations (+28%) et à un léger affaissement des importations de près de 3%. Les ventes d'Airbus sont le principal moteur de cette croissance, les aéronefs et engins spatiaux représentant 42% de nos flux vers l'archipel. L'Indonésie est notre 44 ème client sur l'ensemble des transactions 2012 et devient notre 42 ème fournisseur d'après les données de la douane française. Si nos investissements directs diminuent en flux, ils restent positifs et alimentent le stock d'investissement français, 3 ème européen en 2011.

D'après les douanes françaises, les échanges commerciaux avec l'Indonésie progressent favorablement sur les trois premiers trimestres 2013, bénéficiant du dynamisme des ventes du secteur « matériel de transport » qui progressent de 282% (613 millions d'euros, soit 52% du commerce total). Les exportations françaises totales vers l'Archipel s'accroissent de 78,5% (1,181 milliard d'euros) à l'inverse des importations qui ralentissent de 10,6%, permettant à notre déficit commercial vis-à-vis de l'Indonésie de se réduire.

Le secteur des produits industriels (hors biens d'équipement) connait un ralentissement, (-3,1%) portant à 239,7 millions d'euros les revenus d'exportation du secteur (soit 20% du total). Au second poste des exportations françaises après les aéronefs, les produits chimiques, parfums et cosmétiques souffrent d'une baisse de 6%, atteignant 92,5 millions d'euros. Dans la même catégorie, les exportations de la filière bois, papiers, cartons (principalement de la pâte à papier) vers l'Indonésie progresse de 4,6% (56 millions d'euros). En hausse de 30% les produits pharmaceutiques s'exportent bien.

En progression depuis 2009, les exportations de biens d'équipement profitent davantage de cette dynamique (+30%), représentant 17% des ventes à destination de l'Archipel. Nos exportations de produits informatiques et biens d'équipements électriques se portent bien (respectivement à +65,5% et +9,8%) et celles de machines industrielles et agricoles progressent de 31,3% avec 106 millions d'euros, soit la moitié de nos exportations de biens d'équipement sur les trois premiers trimestres.

Les produits issus de l'industrie agro-alimentaire française se maintiennent (+0,2%) à 89,6 millions d'euros et demeurent au 3 ème poste d'exportation vers l'Archipel (7,6% du total). Principale composante de ce secteur, les exports de produits laitiers et fromages souffrent davantage du ralentissement de la croissance indonésienne avec 40 millions d'euros de revenus (-8%).

Source : Direction générale du Trésor, service économique régional de Singapour

c) La Malaisie, un partenaire de plus en plus central

Comme le montre la récente visite du président Obama, la Malaisie est un pays de plus en plus courtisé pour sa stabilité politique, sa situation économique saine et dynamique, et la clarté de sa vision à moyen terme pour son développement et celui de la région.

La Malaisie est un partenaire privilégié de la France au sein de l'ASEAN, et ce depuis de nombreuses années. La relation politique, ancienne et profonde, est nourrie par des contacts réguliers au plus haut niveau et de fréquentes visites ministérielles, dont celle du Premier ministre français en juillet 2013.

Le contexte économique y est très favorable : croissance de 5,6% en 2012, faible inflation, plein emploi, déficit budgétaire maîtrisé, excédent commercial maintenu bien qu'en diminution, endettement faible et bonne résilience à la crise mondiale sont les ingrédients du succès économique malaisien.

Nos relations commerciales avec la Malaisie sont dynamiques, et la coopération en matière de défense et de sécurité est très étroite.

Les échanges franco-malaisiens ont atteint en 2012 un niveau record de 5,3 milliards d'euros , en augmentation de 24,6% par rapport à 2011 (exportations françaises de 3 milliards d'euros et importations de 2,3 milliards d'euros), confirmant la Malaisie comme deuxième partenaire commercial de la France au sein de l'ASEAN, après Singapour (et avant la Thaïlande). La balance commerciale est devenue pour la première fois excédentaire au bénéfice de la France (737 millions d'euros), et devrait le rester pour les années à venir. Les chiffres officiels malaisiens donnent une part de marché française de 2,15% en 2012 (contre 1,4% en 2011). En 2012, la France était le 13 e fournisseur de la Malaisie (deuxième européen), et son 19 e client.

La progression de nos exportations est avant tout le reflet de l'intérêt des grands groupes français pour le marché malaisien (EADS, ST Microelectronics, PSA) et de celui de la Malaisie pour notre matériel aéronautique et spatial et pour les produits électroniques.

La présence française s'est accrue au cours des dernières années : près de 260 entreprises sont aujourd'hui installées dans le pays et la communauté française dépasse les 3 000 personnes .

La perspective de la conclusion prochaine d'un accord de libre-échange avec l'Union européenne devrait renforcer davantage ces relations, améliorer l'accès de nos entreprises au marché malaisien et diversifier nos échanges.

2. Une dynamique forte d'intégration régionale : la lente et sûre émergence de l'ASEAN
a) La progressive montée en puissance d'une organisation souple à vocation essentiellement économique
(1) Une organisation souple, de plus en plus visible

Créée en 1967, dans le contexte des indépendances et de la guerre froide, l'Association des Nations du Sud-Est asiatique (ASEAN) s'est progressivement élargie, pour regrouper aujourd'hui dix États membres : aux cinq fondateurs (Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande) sont venu s'ajouter le Brunei (1984), le Vietnam (1995), la Birmanie et le Laos (1997) ainsi que le Cambodge (1999). Timor-Est est candidat.

Après avoir marqué le pas au tournant des années 2000, suite à la crise financière « asiatique » et aux difficultés d'un élargissement à des pays moins avancés économiquement, la dynamique d'intégration régionale a été relancée en 2008 avec l'adoption d'une charte qui renforce les mécanismes institutionnels de l'ASEAN, et d'une feuille de route pour l'établissement d'une « Communauté de l'ASEAN » en 2015, fondée sur trois piliers : communauté politique et de sécurité, communauté économique, et communauté socioculturelle.

Si l'on ne peut comparer l'intégration au sein de l'ASEAN -institution souple à caractère intergouvernemental- à celle qui est réalisée par exemple au sein de l'Union européenne, il faut toutefois se garder de sous-estimer le potentiel d'entraînement de ce processus régional.

(2) Des difficultés à réaliser la « communauté ASEAN 2015 » qui ne doivent pas masquer une réelle montée en puissance de l'organisation

Alors que le projet de « communauté ASEAN » est en apparence ambitieux, les progrès réels dans l'intégration économique régionale restent relativement modestes, compte tenu des engagements limités des Etats membres, des difficultés pratiques de mise en oeuvre ainsi que, sans doute, des influences extérieures, qui sont des facteurs de divergence entre les membres de l'ASEAN.

L'objectif de la communauté ASEAN 2015 est de créer un marché unique, sur le modèle européen. En pratique, il demeure relativement lointain puisque si la libéralisation tarifaire devrait être achevée d'ici 2015 (voire 2018 pour les pays moins avancés), les engagements pris pour la levée des obstacles non tarifaires sont plus flous et sans calendrier précis, et ceux concernant la libéralisation des services sont modestes. Un travail d'harmonisation réglementaire et de facilitation des échanges est toutefois engagé.

Les Etats membres qui ont des systèmes économiques et politiques divers et de grands écarts de développement, sont en réalité faiblement intégrés (25% de commerce inter-régional seulement) et peinent à définir des positions communes. Le mode de prise de décision au sein de l'association nécessite un consensus, les avancées ne se font donc que sur le plus petit dénominateur commun.

Vos rapporteurs ont pu le constater à Jakarta : le Secrétariat général de l'ASEAN demeure une petite structure, qui s'appuie avant tout sur les ressources, variables, des pays en présidence. Les travaux et les avancées de l'association sont donc largement tributaires des moyens et de l'ambition du pays assurant la présidence. Les processus sont intergouvernementaux. Le Secrétariat de l'ASEAN, sans pouvoirs propres et dont le rôle ne peut être comparé ni à celui du secrétariat du Conseil Européen ni à la Commission européenne, a pour seules missions de " faciliter et suivre les progrès dans la mise en place des accords et décisions de l'ASEAN ", d'élaborer les documents préparatoires pour les sommets et rencontres ministérielles, d'assurer le suivi des réunions et de l'organisation, en liaison avec les secrétariats nationaux.

La mise en oeuvre des engagements pris dans le cadre du projet de Communauté Économique de l'ASEAN est donc progressive : la date de formation de la Communauté a été repoussée à la fin 2015, date qui a été présentée à vos rapporteurs par le secrétariat général de l'ASEAN comme une « étape » dans un « processus ».

Le libre-échange devrait être quasi général d'ici 5 ans entre les pays membres de l'organisation. Mais il ne s'appuie ni sur une union douanière (pas de tarif extérieur commun), ni sur une harmonisation des normes et des procédures, ce qui limite l'intégration des marchés au sein de l'ASEAN. Il reste difficile d'exporter vers un pays de l'ASEAN à partir d'un autre pays (par exemple, dans le cas de Peugeot, de la Malaisie vers la Thaïlande) en raison de barrières non tarifaires, qui reflètent des choix de politique industrielle à l'échelle nationale 35 ( * ) .

Toutefois, sur le moyen terme, la montée en puissance de l'ASEAN, sa « centralité » croissante, ne font guère de doute. Le mouvement initié avec la « communauté ASEAN » sera forcément une étape significative dans l'intégration régionale, et le point de départ d'un processus plus inclusif accélérant le rattrapage des Etats les moins avancés de la région.

b) Un agenda affiché d'union plus politique, entravé par des moyens restreints et des convergences de vues variables

Organisme souple, intergouvernemental, fonctionnant par consensus.... Faut-il pour autant sous-estimer la capacité de l'ASEAN à fédérer, un jour, comme l'ambition en est affichée, les 10 États membres dans une vision commune, plus politique, de leur avenir ? Pour reprendre une terminologie connue, l'ASEAN, géant économique en devenir, sera-t-il toujours aussi -en tant qu'organisation- un nain politique ?

Les avis divergent sur la question. L'impuissance politique de l'ASEAN trouve de nombreuses illustrations, qui vont de l'absence de réponse coordonnée lors du typhon philippin ou lors de la catastrophe du vol MH 370 à l'impossibilité de publier un communiqué commun lors du sommet de l'ASEAN de juillet 2012 sous présidence cambodgienne (soumise à l'influence chinoise sur la question de la mer de Chine du Sud)...

Le pilier politique et de sécurité est certainement le moins avancé des trois piliers de la « feuille de route » pour la communauté ASEAN 2015. Les pays membres disposent de systèmes politiques, économiques, sociaux et culturels -et d'alliés régionaux- très divers et beaucoup de travail reste à accomplir pour obtenir une politique extérieure commune, d'autant plus qu'aucun des pays concernés ne serait prêt à consentir d'éventuels abandons de souveraineté.

Pour autant, force est de constater que l'ASEAN devient progressivement un élément important de l'architecture de sécurité régionale : le dialogue de sécurité s'est, de facto, plus ou moins structuré autour d'elle.

Il existe une volonté de renforcement institutionnel puisqu'un conseil coordinateur ( Asean Coordinating Council - ACC ) a été mis en place, qui regroupe les ministres des Affaires étrangères des Etats-membres et se réunit au moins deux fois par an.

De la même façon, l'ADMM ( Asean defence ministers meeting ), établi en 2006, qui réunit les ministres de la défense des 10 Etats membres, est progressivement devenu un forum central pour discuter des questions de sécurité dans la sous-région.

3. Une intégration économique croissante : le « bol de nouilles » asiatique
a) Des économies de plus en plus intégrées dans des filières de production verticales

L'intégration économique régionale va croissant.

L'ASEAN profite en effet de la croissance économique de la zone Asie Pacifique en se trouvant intégrée dans les filières de production des grandes firmes multinationales, en particulier asiatiques. En outre, elle constitue, pour l'économie d'Asie de l'Est, une source importante de matières premières (en particulier pour la Corée et le Japon).

L'Asie est ainsi le lieu où se développe de la façon la plus spectaculaire le commerce « sud-sud ». Par rapport à l'Afrique ou à l'Amérique, la part des exportations réalisées vers des pays du sud y est très largement prépondérante : 74%, contre 6% en Afrique et 10% en Amérique du Sud 36 ( * ) .

Cette réalité résulte notamment du modèle de production asiatique et des stratégies des unités de production (japonaises, chinoises, coréennes...) délocalisées à l'étranger. L'accroissement des échanges commerciaux intra-asiatiques s'est accompagnée d'une montée en puissance des produits intermédiaires, et notamment des pièces détachées et des composants 37 ( * ) . Dans les années 1990, les biens intermédiaires expliquent les 3/5 èmes de la croissance du commerce inter-asiatique. Cette interdépendance découle de l'organisation d'un commerce intra-branches vertical (et non pas horizontal comme en Europe), facilement réalisable dans des industries telles que les composants électroniques ou la mécanique de précision.

Après le Japon, la Chine a alimenté la montée en puissance de ce commerce intra-asiatique , en étant bien souvent le dernier maillon du processus de production et la porte de sortie des productions asiatiques vers le reste du monde. Certains économistes analysent d'ailleurs la relation économique entre la Chine et le reste de l'Asie de l'est comme une complémentarité (et non une compétition) dans la mesure où elle importe relativement plus de chez ses voisins immédiats -proportionnellement plus de pièces détachées d'ailleurs que de produits finis-, pour exporter vers le reste du monde -principalement des produits finis-.

Si le taux d'intégration des échanges entre pays de l'ASEAN est passé de 15% à 25% en 20 ans , sur la période récente, la dynamique des échanges avec les autres pays asiatiques (Chine en particulier) est donc restée plus forte que la dynamique interne. L'entrée en vigueur de l'accord de libre-échange entre la Chine et l'ASEAN, le 1 er janvier 2010, n'a pu qu'accélérer ce mouvement.

b) Le poids des diasporas chinoises a partout un fort effet intégrateur

Le poids économique de la diaspora chinoise en Asie du Sud-Est est une réalité aussi ancienne qu'incontournable. Sans parler de Singapour , de la Thaïlande ou de la Malaisie , qui se distinguent par la présence d'une forte communauté d'origine chinoise, son rôle est très actif même dans tous les pays.

Ainsi, d'après une récente étude, les Indonésiens d'origine chinoise qui représentent environ 5 à 6 millions de personnes, soit environ 3% de la population, qui se distinguent par leur origine ethnique, mais également par leur religion (bouddhiste ou chrétienne en grande majorité), sont particulièrement présents dans le commerce et les affaires.

Les Indonésiens d'origine chinoise contrôleraient environ 70% de l'économie indonésienne alors qu'ils ne forment qu'une très petite minorité de la population ; ainsi, le classement Forbes des 40 plus grandes fortunes d'Indonésie fait apparaître que 34 d'entre elles sont détenues par des Sino-indonésiens.

Cette situation de prédominance s'explique par des facteurs historiques liés en grande partie aux relations établies par les Sino-indonésiens avec les élites au pouvoir, à leur focalisation sur les activités économiques (en raison notamment de leur exclusion traditionnelle des carrières publiques), à des réseaux flexibles et transnationaux ainsi qu'à des facteurs culturels. Si les Chinois d'Indonésie se sentent aujourd'hui en grande majorité Indonésiens et s'engagent de plus en plus dans la vie publique, cette minorité, certes diverse, reste dotée d'une identité forte et de pratiques toujours spécifiques

II. UN ESPACE ÉCLATÉ, UNE RÉGION SOUS TENSIONS

A. UNE AIRE ÉCLATÉE, COINCÉE ENTRE LES GÉANTS DE L'ASIE

1. Une forte diversité, linguistique, culturelle et religieuse

Tous les experts entendus ont insisté sur l'absence d'uniformité au sein du sud-est asiatique et sur l'extrême diversité des langues, des religions, des ethnies, des cultures, des histoires.

« Marqueterie » civilisationnelle 38 ( * ) , ethnique et religieuse, l'Asie du Sud-Est a longtemps souffert d'un problème de définition.

D'ailleurs il est révélateur que la langue de travail commune au sein de l'ASEAN soit l'anglais : « Sur le plan linguistique, les langues austro-asiatiques dominent l'ensemble continental, très imbriquées les unes aux autres et écrites dans trois systèmes différents, chacun restant illisible pour les autres (birman, indien dans le bassin du Mékong et romanisé au Vietnam) ; et les langues de la famille austronésienne composent l'ensemble insulaire, le malais pour l'essentiel. Aucune langue n'est ainsi en mesure de s'imposer. Les langues chinoises, celles des diasporas, omniprésentes, et anglaise, officiellement utilisée à Singapour et aux Philippines, dominent donc sur le plan international 39 ( * ) ».

Les exemples abondent 40 ( * ) pour illustrer cette diversité dans une région où toutes les religions sont présentes : dans le royaume Thaïlandais, majoritairement bouddhiste, deux années officielles sont inscrites au calendrier, l'année en cours et l'année du calendrier bouddhique (avec 543 ans de différence). Dans le monde malais, islamisé, la référence est également faite par rapport à l'Hégire... Sur un calendrier vietnamien figureront, en plus du jour et du mois « international », les références du calendrier lunaire traditionnel, comme dans les pays de culture sinisée. Le « nouvel an » n'est pas fêté à la même date dans toute la région : ainsi le « Têt » Vietnamien, fête mobile considérée comme la fête du printemps, ne coïncide pas avec le nouvel an de ses voisins bouddhistes la Thaïlande (qui fête Song Kran ) ou le Laos (qui fête Pi Mai ), mi-avril, fête de l'eau. Non plus qu'avec Pâques, fête chrétienne fêtée par exemple aux Philippines... Alors que dans le monde malais, c'est la fin du Ramadan qui est le moment important.

La notion d'Asie du Sud-Est n'a d'ailleurs pas toujours eu le même contenu.

Dans années 1960 41 ( * ) , l'Asie du Sud-Est était assimilée à l'Asie du Sud, dans une logique de sous-développement, de décolonisation. Puis, dans les années 1970, avec le décollage économique, l'Asie du Sud-Est est un vocable qui a englobé jusqu'à la Corée du Sud. Aujourd'hui, ce vocable regroupe les 10 pays de l'ASEAN.

L'Asie du Sud-Est est parfois, suivant la formule ancienne du géographe Elysée Reclus, comparée à un « Angle », rassemblant l'Indochine continentale et un ensemble archipélagique, l'Insulinde, ensemble disparate lui-même coincé entre deux géants, Chine et Inde.

Cette diversité est aussi économique, politique, voire géostratégique : même après la fin de la guerre froide qui a profondément divisé cette région, aujourd'hui le Laos et le Cambodge sont traditionnellement des alliés de la Chine et les Philippines et la Thaïlande sont plutôt ceux des Etats-Unis.

2. Une course au leadership régional

Une certaine émulation-rivalité existe, aussi, entre les différents Etats membres de l'ASEAN. À cet égard on peut citer les relations, proches mais aussi parfois assez ambivalentes, entre Singapour et la Malaise. Ou encore la place centrale, pour ne pas dire dominante, que veulent jouer, au sein de l'organisation, tout à la fois l'Indonésie, la Malaisie, Singapour ou la Thaïlande...

Bien que partenaires, les pays de l'ASEAN sont aussi des concurrents sur le plan économique . Sans même parler des disparités de développement entre des pays comme le Laos ou le Cambodge et Singapour, on peut s'interroger sur l'effet qu'aura le renforcement de la puissance économique indonésienne sur l'équilibre d'ensemble.

B. UNE ZONE DE VIVES TENSIONS INTER ET INFRA-ÉTATIQUES

1. Des litiges frontaliers anciens, d'une particulière acuité
a) La délimitation des frontières terrestres et maritimes : le cas des revendications en mer de Chine méridionale

Les frontières terrestres et maritimes font encore aujourd'hui l'objet de litiges entre divers États : l'exemple du contentieux territorial entre le Cambodge et la Thaïlande autour du temple de Preah Vihear est ainsi tristement célèbre. Mais ce n'est pas un cas isolé dans la mesure où existent des litiges divers entre la Malaisie et la Thaïlande, la Malaisie et l'Indonésie 42 ( * ) , les Philippines et la Malaisie, la Malaisie et Brunei, notamment....

La question des frontières maritimes en Mer de Chine du Sud s'est tendue ces dernières années.

Après la seconde guerre mondiale et la décolonisation, les îles et récifs de la mer de Chine du sud ont été évacués par les puissances qui les occupaient. Dans les années 70, les États riverains se sont de plus en plus intéressés à ces îles et ont commencé à les occuper, donnant parfois lieu à des affrontements armés (la Chine expulsant les troupes du sud-Vietnam des Paracels en 1974, des combats opposant Chinois et Vietnamiens à Johnson Reef en 1978).

Outre les revendications de souveraineté (et les eaux territoriales qui s'attachent à la souveraineté terrestre), c'est le droit d'instituer une zone économique exclusive, dans laquelle l'État côtier dispose notamment d'un droit d'exploitation du sous-sol, qui a peu à peu donné une importance toute particulière à ces récifs.

La perspective de l'existence de ressources en hydrocarbures, ou tout simplement les ressources halieutiques actuelles, dans un contexte de pression alimentaire croissante, attisent les tensions en mer de Chine du Sud.

Ces zones maritimes disputées assurent en outre un accès stratégique à la haute mer -en particulier pour les SNLE chinois, vers les eaux profondes-. Elles permettent enfin de sécuriser les axes d'approvisionnement majeurs puisqu'y transitent les principales routes commerciales mondiales et l'approvisionnement en énergie de l'Asie du Nord-Est (Chine, Japon).

« Bordée d'États riverains qui en revendiquent la souveraineté, la mer de Chine occupe une place centrale sur l'échiquier géostratégique régional. Dans ce contexte propice aux tensions, l'annexion d'îlots disséminés, inhabités et souvent inhabitables, devient un acte stratégique . 43 ( * ) »

La compétition pour la maîtrise des mers, partout un enjeu, accentue les tentatives d'appropriation des mers par les États riverains.

Les enjeux en mer de Chine du Sud ont une dimension à la fois politique, économique et stratégique.

LES ENJEUX EN MER DE CHINE DU SUD

Il s'agit d'une voie de passage très importante pour le commerce international et notamment pour l'approvisionnement en hydrocarbures des pays de l'Asie du Nord-Est (Japon, Corée, Taïwan qui sont totalement dépourvus de ressources propres en gaz et en pétrole). Cette voie est par ailleurs très vulnérable en raison de l'étroitesse des différents détroits.

Les enjeux territoriaux sur les îles et les récifs ne sont pas négligeables car la souveraineté sur les terres permet de revendiquer une juridiction sur les eaux (et en particulier la zone économique exclusive dans laquelle l'état riverain a le monopole de l'exploitation du sous-sol).

La mer de Chine du sud recèle des réserves de gaz et de pétrole dont la majeure partie se trouve dans des zones contestées. Ses ressources halieutiques en font en outre une source d'alimentation importante pour les populations habitant dans les pays riverains.

Enfin, certains observateurs font observer que la mer de Chine est devenue un enjeu stratégique pour les sous-marins chinois , notamment ceux basés sur l'île de Hainan, et qui doivent nécessairement la traverser pour rejoindre, les eaux plus profondes et les fosses océaniques.

De fait, depuis quelques années les tensions montent et les accrochages se multiplient. Au-delà des territoires ou eaux à la souveraineté traditionnellement contestée car revendiqués par plusieurs États riverains, la « ligne en neuf traits » ou ligne « en langue de boeuf » délimitant les revendications de la Chine au titre de ses droits « historiques » en Mer de Chine du Sud sont venus bouleverser un équilibre géopolitique déjà fragile.

Dans la vision stratégique chinoise, ces eaux qui bordent le 1 er chapelet d'îles au large des côtes chinoises seraient en réalité perçues comme des eaux « intérieures ».

La Chine prétend exercer des « droits historiques » (sans plus de précision) sur 80% des eaux de la Mer de Chine du Sud, là où les autres États riverains, (Vietnam, Philippines, Malaisie, Brunei, voire Indonésie) revendiquent une souveraineté sur des îles ou îlots ou ont instauré une zone économique exclusive. En ne précisant pas le contenu exact de ses revendications et en pratiquant une politique du fait accompli, la Chine est suspectée notamment par ses voisins de vouloir remettre en cause indirectement le principe de la liberté de navigation.

Une analyse de la stratégie chinoise :
Une stratégie globale d'appropriation de la Mer de Chine du Sud ?

« Selon les écoles, la Chine présente la « langue de boeuf » : soit comme une mer historique , concept qui n'a pas cours dans la Convention des nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) 44 ( * ) ; soit comme une mer territoriale , ce qui se décline du fait que Pékin entend le tracé en neuf traits comme constituant la ligne médiane qui sépare équitablement ce qu'il estime être ses territoires insulaires des côtes des autres états riverains ; soit en dernière limite comme une zone économique exclusive (ZEE). Dans ce dernier cas, la règle qui s'applique en termes de droit de la mer est celui de la liberté de la navigation, y compris celui de la liberté d'y conduire des exercices navals, l'État souverain sur cette ZEE ayant ses droits limités, en vertu de la CNUDM, à l'exclusivité de l'exploitation économique, de la recherche scientifique, du développement durable et de l'action de l'État en mer 45 ( * ) liée à cela. Or en matière de liberté de la navigation, la Chine entend appliquer à ses ZEE, donc en dernière limite à la « langue de boeuf », les mêmes règles qu'elle impose à la navigation étrangère dans ses eaux territoriales. L'article 17 de la CNUDM stipule que tout navire étranger, sous diverses réserves exprimées dans les articles 18 et 19 qui suivent, jouit du droit de « passage inoffensif » dans les eaux territoriales d'un État tiers. Or la Chine, au même titre que le Vietnam, l'Indonésie et la Malaisie d'ailleurs, a émis des réserves à ce propos en exigeant que tout navire étranger, notamment militaire , obtienne au préalable l'autorisation de Pékin avant de traverser ses eaux territoriales.

« C'est donc au travers de (...) la « langue de boeuf » (...), que la Chine entend sanctuariser cet espace marin à son seul profit. Les actions qu'elle conduit pour forcer la validation de la souveraineté chinoise sur cet ensemble sont multiples.

« C'est ainsi que, entre 2001 et 2011, les marines américaines, australienne et indienne font, en diverses occasions, l'objet de quelque dix harcèlements au total, parfois très graves, soit en authentique ZEE chinoise, soit aussi dans la « langue de boeuf » .

« Depuis 2006 les Chinois harcèlent aussi et surtout les compagnies pétrolières étrangères en contrat avec les compagnies pétrolières nationales vietnamienne, philippine, malaysienne pour qu'elles cessent leurs activités avec ces dernières, au motif que les lots explorés ou exploités se situent dans la « langue de boeuf » , en territoire maritime revendiqué sous souveraineté chinoise.

« Les Chinois ont commencé depuis longtemps leurs patrouilles maritimes dans la « langue de boeuf » et ont entrepris une très forte montée en puissance de tels moyens : garde-côtes, agence de surveillance maritime, administration de sécurité maritime, commandement des garde-pêche, administration générale des douanes. Le raisonnement est que, puisque la « langue de boeuf » ressortit de la souveraineté chinoise, ce n'est pas l'armée qui doit y agir mais les moyens nationaux de police maritime. (...) Dans l'hypothèse d'un incident armé entre une unité navale régionale ou étrangère avec l'une de ces unités chinoises de patrouille maritime, l'agresseur ne serait pas le Chinois mais l'autre, puisque ce dernier aurait utilisé un moyen de guerre pour s'opposer à un moyen civil, qui plus est en secteur maritime prétendument sous souveraineté chinoise. »

Source : Les mers de Chine dans la relation Chine - Etats-Unis, Général Daniel Schaeffer, Octobre 2013, in «Barack Obama et le nouveau monde» de la revue Outre terre

Source : Ministère des affaires étrangères

Source : Didier Ortolland, Jean-Pierre Pirat, Atlas géopolitique des espaces maritimes, 2010, carte réalisée par le CERI et l'Atelier de cartographie de Sciences Po, 2010

Aujourd'hui, les tensions en mer de Chine du sud (dénommée « mer de l'Est » au Vietnam et « mer occidentale » aux Philippines) sont telles que les risques de dérapage sont permanents.

L'escalade a été continue ces dernières années. Après la publication de la fameuse carte avec la « ligne en 9 traits » sur tous les passeports chinois, qui s'appuie sur son occupation de l'archipel des Paracels (pris au sud-Vietnam en 1974) et sur sa revendication sur la totalité de l'archipel des Spratleys (occupées par Taiwan, le Vietnam, les Philippines, la Malaisie), un nouveau seuil a été franchi en 2012 lorsque la Chine a créé une zone administrative dédiée à la mer de Chine de sud, s'étendant au sud jusqu'aux rivages de Malaisie et de Brunei. Début 2014, la province de Hainan a en effet indiqué que tous les bateaux de pêche croisant dans cette zone de plus de 2 millions de km 2 devaient se déclarer préalablement auprès de son administration et se procurer une autorisation expresse auprès des autorités chinoises compétentes. Depuis, les pêcheurs, vietnamiens notamment, y sont régulièrement « contrôlés » et verbalisés par des navires officiels chinois (marine, police maritime, agence océanique). Cette initiative a suscité de vives réactions de la part des voisins de la Chine.

La proclamation chinoise récente d'une zone d'identification aérienne (ADIZ) en mer de Chine de l'Est a également fait monter la pression, compte tenu de la crainte d'une « contagion » et d'une reproduction de cette démarche de la part des Etats riverains de la mer de Chine du Sud.

Les Philippines ont entamé contre la Chine une procédure devant le tribunal international du droit de la mer sur la validité juridique de ses revendications au regard de la Convention sur le droit de la mer (démarche réfutée par la partie chinoise). Le Vietnam , quant à lui, a vivement protesté à la suite de l'installation, début mai 2014, d'une plateforme chinoise d'exploration pétrolière dans sa zone économique exclusive, et d'accrochages entre navires chinois et vietnamiens à cette occasion.

La situation est donc assez tendue. Le « code de conduite », actuellement en négociation, pour gérer les incidents, tarde à aboutir.

b) Des irritants périodiques entre États

Périodiquement, des « irritants » peuvent refaire surface, mettant à jour les divisons parfois anciennes entre États membres de l'ASEAN.

Ainsi en est-il par exemple d'une décision récente des autorités indonésiennes (mal ressentie côté singapourien) d'attribuer à une frégate le nom de deux "héros" indonésiens qui se sont illustrés en détruisant, en mars 1965, un bâtiment situé en plein centre-ville de Singapour. L'attentat avait causé la mort de trois ressortissants singapouriens et fait plusieurs dizaines de blessés. Arrêtés, Osman Haji Mohamed Ali et Harun Said, deux membres des forces spéciales indonésiennes infiltrés à Singapour, avaient été exécutés à Singapour en 1968.

2. L'affirmation progressive de la Chine et le doute sur ses intentions stratégiques

Le développement indéniable des capacités économiques et militaires chinoises est naturellement la toile de fond de toutes les évolutions régionales en Asie du Sud-Est.

La modernisation de sa marine, l'installation d'une base navale chinoise à Hainan et la première sortie du porte-avion chinois le Liaoning en mer de Chine du Sud à l'hiver 2013, couplées à la stratégie d'affirmation dans des eaux disputées, décrite ci-dessus, autour de la fameuse « ligne en neuf traits » ou « ligne en langue de boeuf », sont dans tous les esprits.

L'émergence chinoise donne lieu à des interprétations contradictoires, relayant d'ailleurs des discours (l'émergence « pacifique » de la Chine) et des faits (les revendications maritimes et territoriales, la pratique du fait accompli, la volonté de créer des contentieux sur des zones jusqu'à présent non disputées....) qui se contredisent.

Beaucoup soulignent que le doute sur les intentions stratégiques de la Chine est un facteur d'instabilité, créant un climat d'incertitude. Mettant en avant le fait que la montée du nationalisme chinois est un facteur de cohésion nationale, certains analystes discernent dans la stratégie chinoise une volonté de « déni d'accès » ou « stratégie d'anti-accès », utilisant subtilement, dans une politique du fait accompli, des moyens non militaires (océanographie, administration des pêches) qui permettent d'obtenir la victoire sans « combattre ».

Il n'entre pas dans l'objet de ce rapport de disserter sur le caractère pacifique ou non de l'émergence chinoise. L'émergence chinoise est, pour notre analyse, tout simplement un fait à prendre en compte.

En particulier, l'émergence navale chinoise est un vecteur d'affirmation et de défense très nette des « intérêts » chinois dans la région.

3. La montée des nationalismes

Partout en Asie du Sud-Est, la montée des nationalismes est perceptible.

Les réactions vietnamiennes à l'établissement récent d'une plate-forme chinoise en sont un bon exemple. Vos rapporteurs ont pu mesurer la virulence des réactions populaires vietnamiennes, en dépit d'une volonté de désescalade et de modération du gouvernement vietnamien, lors de leur mission au Vietnam début mai.

L'installation de cette plateforme pétrolière chinoise a été un véritable électrochoc. Début mai, le sujet était à la une de toute la presse et de toutes les conversations. La session de l'Assemblée nationale a ouvert sa première journée sur un débat -fermé- consacré à la relation avec la Chine. La population, toutes catégories sociales et âges confondus, se montrait particulièrement sensible à ce qui était ressenti comme une "provocation" de la Chine, et une violation du droit international, dans une zone considérée comme une composante du territoire vietnamien. La presse, les réseaux sociaux et les blogs étaient totalement mobilisés sur cet enjeu.

La destruction de centaines d'entreprises chinoises (ou assimilées à des entreprises chinoises, comme les sociétés taïwanaises et singapouriennes, soit entre 400 à 700 entreprises affectées) le 14 mai dernier est révélatrice.

L'opinion publique vietnamienne reste marquée par l'incident : une militante du l'Eglise Bouddhiste Unifiée du Vietnam, Lê Th? Tuy?t Mai , s'est ainsi immolée par le feu le 23 mai devant le Palais de la Réunification, à Ho Chi Minh Ville, " pour manifester sa colère contre les agissements chinois en mer ".

Lors de son 24 ème sommet en Birmanie, qui présidait l'ASEAN pour la première fois, les dix ont adopté, le 11 mai 2014, une déclaration commune faisant état de leurs préoccupations face à la situation en Mer de Chine et montrant leur volonté de faire front commun contre le puissant voisin - une position qui n'avait pu être obtenue en 2012 - mais on ignore encore les effets concrets que pourra avoir cette unité affichée quant à la volonté chinoise d'adopter un code de conduite. Ni, surtout, quant au contenu concret de ce code.

4. Une militarisation croissante de la région : vers une « course aux armements ? »

Depuis 2000, les dépenses militaires et les importations d'équipements militaires tels que sous-marins ou avions de combat ont cru très significativement en Asie du Sud-Est.

Deux analyses prévalent en général pour expliquer cette situation. La première voit dans cette région le théâtre d'une véritable course aux armements, alimentée par la montée en puissance chinoise et le « pivot » américain. La deuxième met en avant un simple phénomène de « rattrapage » pour des économies en forte croissance améliorant leurs niveaux de développement et souhaitant affermir leur souveraineté sur leurs espaces maritimes, voire un « simple » phénomène de concurrence pour le leadership régional.

« L'intensité de la course aux armements en Asie est d'abord le reflet des antagonismes qui divisent ce continent. À cet égard, on ne peut complètement exclure que la combinaison de conflits persistants de souveraineté, de dépenses militaires en forte croissance et de nationalismes fasse peser un risque d'instabilité sur l'Asie, risque qui serait aggravé si la croissance économique, qui a fait de cette région un moteur de l'économie mondiale, venait à ralentir brutalement. »

Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale français, 2013

a) Un considérable effort d'équipement partagé par l'ensemble des Etats de la zone

Partout en Asie du Sud-Est, les budgets de défense augmentent. L'Asie du Sud-Est totalisait en 2013 le quart des projets navals mondiaux et 40% des projets de sous-marins.

Source : Hellendorf Bruno, « Dépenses et transferts militaires en Asie du Sud Est : une modernisation qui pose question », note d'analyse du GRIP, 12 juin 2013, Bruxelles

Pour autant, la situation de départ est très contrastée, entre des armées modernes, bien équipées et bien entraînées (Singapour) et des forces n'ayant pas le même niveau ni de formation ni d'équipement.

DÉPENSES MILITAIRES EN ASIE DU SUD-EST (2012)

Il existe donc un fort différentiel 46 ( * ) entre les « cinq grands », à savoir Singapour, l'Indonésie, la Thaïlande, la Malaisie et le Vietnam, qui représentent ensemble 90% des dépenses militaires d'Asie du Sud-Est en 2012, et les autres pays (Philippines, Brunei, Cambodge, Timor-Leste, ainsi que Birmanie et Laos pour lesquels les données sont soit manquantes, soit incertaines).

Alors que Singapour, plus gros dépensier militaire de la région, consacrait près de 10 milliards de dollars à sa défense en 2012 (soit presque autant que les Pays-Bas), le Laos dépensait près de 500 fois moins, soit 18,7 millions de dollars en 2011.

Pays

Dépenses (millions de dollars US courants)

Classement mondial

Pourcentage du PIB

Classement mondial

Singapour

9 722

22

3,60 %

16

Indonésie

6 866

26

0,80 %

119

Thaïlande

5 387

35

1,50 %

70

Malaisie

4 697

40

1,50 %

69

Vietnam

3 363

48

2,40 %

36

Philippines

2 977

51

1,20 %

87

Brunei

411

87

2,40 %

35

Cambodge

217

103

1,60 %

65

Timor Leste

37,7

126

0,70 %

125

Laos

18,7 (2011)

132 (2011)

0,20 % (2011)

136 (2011)

Source : SIPRI military expenditure database, cité dans Hellendorf Bruno, « Dépenses et transferts militaires en Asie du Sud Est : une modernisation qui pose question », note d'analyse du GRIP, 12 juin 2013, Bruxelles

En termes relatifs, les dépenses militaires de Singapour atteignent 3,6% de son produit intérieur brut lorsque Vientiane n'y consacre que 0,2%. Entre ces deux extrêmes se situent de nombreux autres cas de figure.

L'Indonésie , par exemple, dont les dépenses militaires, en forte hausse, ont récemment atteint la deuxième place au niveau sous-régional (6,8 milliards de dollars en 2012), ne consacre encore que très peu de ressources à son armée en termes relatifs (0,8% du PIB). La hausse spectaculaire des dépenses militaires dans l'archipel s'inscrit dans une logique de contrôle des vastes espaces notamment maritimes : Jakarta ne dispose aujourd'hui que de 150 navires (dont un grand nombre obsolètes) pour patrouiller dans 5,8 millions de km 2 et faire face à de nombreuses catastrophes naturelles...

b) Une véritable « course aux sous-marins », au service de stratégies « d'anti accès »

L'acquisition de sous-marins s'inscrit dans une logique de projection et d'affirmation de sa souveraineté. Le sous-marin est aussi un outil adapté à la défense des routes maritimes et des côtes ; il s'intègre parfaitement dans le cadre des nouvelles stratégies dites « anti accès » , visant à sanctuariser des zones en dissuadant un ennemi d'y pénétrer 47 ( * ) . « Combinant une grande discrétion avec une forte létalité, il fait planer une menace omniprésente sur une large zone : il est donc parfaitement adapté à la guerre asymétrique ».

La quasi-totalité des Etats d'Asie du Sud-Est est aujourd'hui engagée dans la constitution de sous-marinades.

La « course aux sous-marins en Asie du Sud-Est »

les « cinq grands » ainsi que les Philippines ont, soit développé leurs capacités sous-marines, soit fait état d'une volonté politique allant dans ce sens, rejoignant ainsi une tendance plus large incluant l'Inde, le Pakistan, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, Taiwan et l'Australie, tous engagés dans des programmes de renforcement de leurs flottes sous-marines.

Singapour a acheté quatre sous-marins suédois de classe Challenger (précédemment Sjöormen ) en 1995 et 1997, avant de monter en gamme avec l'achat en 2009 de deux sous-marins allemands de classe Archer .

La Malaisie a de son côté acquis deux sous-marins français de classe Scorpène, en 2002. L'Indonésie dispose d'anciens Type-209 allemands, et s'est engagée en 2012 à acheter trois sous-marins sud-coréens de classe Chang Bogo (une version améliorée par Daewoo du Type-209). Un objectif de 12 unités avait même été évoqué à Jakarta, et le vice-ministre de la Défense a indiqué que son pays voulait développer son propre sous-marin à partir de 2014.

La Thaïlande a quant à elle l'ambition de s'équiper de sous-marins depuis plusieurs décennies et s'est successivement intéressée à des sous-marins japonais (elle en a acquis quatre en 1936), à une conception nationale, à des engins russes de classe Amur , chinois de classe Song , ou encore des coréens de classe Chang Bogo . La marine donne aujourd'hui priorité à l'achat de frégates. Les Philippines ont également mentionné l'idée d'un achat de sous-marin.

Le Vietnam , qui pourrait encore avoir deux sous-marins de type Yugo , a de son côté commandé six sous-marins de classe Varshavyanka à la Russie, similaires à certains appareils vendus par Moscou à Pékin depuis 1994.

Source : Hellendorf Bruno, « Dépenses et transferts militaires en Asie du Sud Est : une modernisation qui pose question », note d'analyse du GRIP, 12 juin 2013, Bruxelles

c) La montée en puissance de la marine chinoise : un élément de contexte prégnant

La Chine a également sensiblement augmenté son budget de défense, qui est passé de 37 milliards de dollars en 2000 à 130 milliards de dollars en 2013 (1,8% du PIB), soit une augmentation de 13% par an sur ces 15 dernières années. Ces chiffres, certes encore loin des 550 milliards de dollars américains consacrés à la défense chaque année (4% du PIB), n'en font pas moins état d'un accroissement rapide et significatif .

Premier exportateur mondial désormais, la Chine 48 ( * ) se soucie particulièrement de la vulnérabilité de ses flux maritimes , qui doivent, pour la plus grosse part, franchir un détroit (le détroit de Malacca) qu'elle ne maîtrise absolument pas. C'est le « dilemme de Malacca » : le développement chinois dépend de l'extérieur et les côtes chinoises sont la principale ouverture permanente vers le monde extérieur. Le détroit de Malacca est de fait le centre de gravité du développement économique chinois et donc de sa stabilité sociale et politique.

L'accès aux ressources naturelles est un deuxième impératif vital pour l'économie chinoise, en particulier à l'énergie et aux matières premières mais aussi aux ressources alimentaires (dont le poisson, mais aussi les matières premières agricoles, notamment en provenance des terres arables achetées ou louées en Afrique).

L'importance stratégique de la mer de Chine se comprend dans la configuration suivant laquelle les côtes chinoises sont bordées par des chaînes d'îles qui, de l'archipel japonais aux Philippines, ne sont pas maîtrisées par la Chine : dans cette approche stratégique, il s'agit de se libérer d'un « carcan ».

Bien que la Chine ait 18 000 km de côtes et plus de 6 500 îles, pour avoir accès à la haute mer, ses navires doivent traverser les zones économiques exclusives, voire les eaux territoriales, de ses voisins : elle ne dispose que de 3,8 millions de km 2 d'eaux territoriales et de zone économique exclusive, au 10 è rang mondial, alors qu'elle a la 3 ème surface terrestre.

La situation chinoise est en quelque sorte l'inverse de la situation française, qui, avec une superficie terrestre classée au 42 ème rang mondial, a la deuxième zone économique exclusive mondiale. « Le rapport entre le domaine maritime et la superficie terrestre est de 17,2 pour la France, 1,2 pour les Etats-Unis et seulement 0,4 pour la Chine », précise ainsi une récente étude sur le sujet 49 ( * ) .

En 2010, la Mer de Chine méridionale a été élevée au rang « d'intérêt vital » par les dirigeants chinois.

Dans le « Livre blanc » chinois d'avril 2013, le chapitre 4 contient des développements sur « la sauvegarde des droits et intérêts maritimes », qui décrit la Chine comme une « puissance maritime ».

Tous les experts entendus par votre commission sont convaincus que la Chine est déjà, ou sera d'ici peu, une très grande puissance maritime militaire.

Le rapport du Sénat sur la « Maritimisation » en 2011 50 ( * ) l'affirmait déjà : « La Chine a déjà sécurisé une partie de ses voies maritimes d'approvisionnements en constituant une chaîne de ports, parfois baptisée « le collier de perle chinois » comportant notamment des bases, en Birmanie, au Pakistan, au Bengladesh, au Sri Lanka et au Mozambique.

« L'objectif poursuivi à travers la revendication des archipels est, pour la Chine, d'accroître son espace maritime le long de la côte en incluant Taiwan de manière à pouvoir rejoindre la haute mer et accéder aux grands fonds océaniques du Pacifique sans devoir passer par les zones maritimes de ses voisins. L'objectif final de la Chine est de maîtriser des espaces maritimes jusqu'à une ligne partant du Japon, allant jusqu'aux Philippines en longeant les Mariannes et de diluer sa dissuasion dans les grands fonds océaniques du Pacifique. »

La marine chinoise a changé de dimension : elle cherche à acquérir la maîtrise d'outils de projection et de puissance, comme le porte-avion et le sous-marin. De côtière elle devient hauturière, avec des frégates de plus en plus puissantes, pouvant aller loin, emporter un armement puissant et durer à la mer.

De fait, la montée en puissance de la marine chinoise est tout à fait spectaculaire. La Chine a développé ces dernières années une base de sous-marins sur l'ile de Hainan, débuté les essais en mer de son premier porte-avions, mis en service de nouveaux navires de combat, comme les destroyers de type-052D par exemple, effectué d'importantes avancées en termes de missiles, de navires de ravitaillement, d'alerte aérienne avancée, d'avions de combats...

LA MARINE CHINOISE

En 2012, avec 919 280 tonnes, la marine chinoise occupe le troisième rang mondial et est en passe de détrôner la Russie. La marine de guerre chinoise a un effectif de 255 000 hommes, dont 25 000 dans l'aéronavale, 28 000 dans la défense côtière et 8 000 dans le corps des fusiliers marins.

Acheté à l'Ukraine en 2000, l'ex porte-avions russe Varyag, rebaptisé Liaoning, a été admis au service actif le 25 septembre 2012.

Les forces sous-marines chinoises comportent 3 SNLE, un sous-marin classique lanceur d'engins, 6 SNA et 56 sous-marins classiques.

Source : « Ambitions des puissances maritimes émergentes », « La puissance maritime chinoise »

La Chine dispose également de 3 bâtiments de transports de chalands de débarquement, 9 bâtiments anti-aériens, 19 destroyers lance-missiles, 49 frégates lance-missiles, 100 patrouilleurs de haute mer, (militaires ou civils), 96 bâtiments de débarquement, 220 bâtiments de combat littoral.

L'aéronautique chinoise comprend : 700 aéronefs dont 36 bombardiers, 500 chasseurs-bombardiers, 8 avions de patrouille maritime.

Source : « Enjeux maritimes 2014 », les flottes de combat dans le monde en 2013

Certes, au-delà des tonnages et des technologies, les compétences, tout aussi importantes sinon plus, ne peuvent se façonner que dans le temps long.

Mettre en oeuvre une marine océanique, capable de se projeter loin et longtemps en autonomie ne suppose pas seulement des moyens considérables mais également, mais surtout, des savoir-faire spécifiques, un entraînement et une qualification des équipages que les grandes nations maritimes ont mis plusieurs décennies à acquérir.

C. DES MÉCANISMES DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS INTROUVABLES

1. Une volonté affichée d'intégration régionale, y compris en matière de sécurité
a) De nombreux forums et organisations régionales

L'Asie se distingue des autres régions par la multiplicité de ses organisations intergouvernementales, de taille modeste et qui coexistent, sans qu'aucune ne domine les autres : aucune organisation régionale ne rassemble tous les États. Certains auteurs 51 ( * ) parlent même de « course à l'adhésion », où les États de la région se livreraient une compétition pour déterminer qui doit devenir membre de quelle organisation ou de quel groupe : à travers elle, s'expriment des conceptions rivales de l'identité, du rôle de la région et de sa place dans la société internationale.

Plusieurs experts ont fait état d'un « ASEAN way », sorte de « méthode ASEAN » pour le règlement des différends, basé sur la recherche d'une influence qui conduit les États-membres de l'ASEAN à créer des forums de dialogue où ils cherchent à gérer les conflits potentiels. Ce processus d'interaction régionale, base sur la discrétion, l'absence de formalisme et la construction du consensus cherche aussi à éviter la confrontation. Ainsi, l'ASEAN éviterait les procédures formelles pour chercher, dans le dialogue, le règlement pacifique des conflits.

De fait, nombre de structures informelles et peu structurées existent en Asie du Sud-Est ; aucune d'elle n'a vocation aujourd'hui à prendre réellement en charge la sécurité collective.

Le forum régional de l'ASEAN (ARF), créé en 1994, est la réunion annuelle des ministres des affaires étrangères de l'ASEAN et de leurs « partenaires de dialogue » et compte 27 membres. (10 État de l'ASEAN, Timor Est, Chine, Corée, Japon, Mongolie, Papouasie-Nouvelle Guinée, Australie, Nouvelle-Zélande, Bangladesh, Inde, Sri Lanka, Pakistan, États-Unis, Canada, Russie et Union européenne). Cette structure dans laquelle l'UE est représentée se réunit à un niveau ministériel. Elle n'est toutefois pas parvenue à s'exprimer sur des sujets tels que la liberté de navigation dans la zone.

Le Sommet de l'Asie de l'Est (EAS, créé en 2005), enceinte de dialogue stratégique, politique et économique, réunit les chefs d'Etat et de gouvernement d'Asie orientale.

Les ministres de la défense de l'ASEAN se réunissent en format ADMM ( ASEAN defence ministers meeting ) depuis 2006, instance élargie aux plus hauts cadres militaires qui permet de créer un cadre de coopération. Depuis 2010, l'ADMM+, élargi aux partenaires de dialogue de l'ASEAN, dispose d'expertises dans 5 domaines : contre-terrorisme, sécurité maritime, médecine militaire, assistance humanitaire et missions pour la paix.

Le Shangri-la dialogue , forum informel organisé par l'IISS 52 ( * ) , rassemble chaque année plus nombreux des représentants ministériels et des experts sur les questions de sécurité en Asie. Le ministre de la défense français y a participé pour la première fois en 2012, puis en 2013 et 2014.

D'autres enceintes plus ou moins élargies existent comme par exemple l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS, regroupant notamment la Chine et la Russie) ou encore les pourparlers à six qui concernent plutôt l'Asie du Nord-Est et le nucléaire nord-coréen.

b) Des tentatives pour aboutir à un règlement pacifique des différents : la question du « code de conduite »

Force est de constater que les États-membres de l'ASEAN oscillent entre cohésion et division face à la Chine, partenaire stratégique et commercial majeur. Certains experts voient d'ailleurs l'ASEAN évoluer entre « balkanisation » et « finlandisation » face à l'émergence chinoise.....

Ainsi en juillet 2012, comme cela a déjà été dit, le sommet ministériel de l'ASEAN (sous présidence cambodgienne) n'avait pu aboutir à une déclaration commune des ministres dans la mesure où le contenu de la déclaration n'avait pas recueilli l'accord des participants : le Vietnam et les Philippines, notamment, auraient souhaité une mention du différend avec la Chine en mer de Chine du Sud 53 ( * ) . Il faut remarquer qu'il en a été différemment au 24 ème sommet en mai 2014, où l'ASEAN a exprimé sa « préoccupation » ( deep concern ) face à cette situation.

Des dissensions de fond existent en effet tant sur la nature de la menace (attitude plus ou moins compréhensive face à l'affirmation de la Chine dans la région, volonté d'engager la Chine plutôt que de l'affronter) et sur le degré d'implication dans les litiges concernés. L'Indonésie, par exemple, ou Singapour, qui n'ont pas de contentieux de souveraineté direct avec la Chine, souhaitent remplir un rôle de médiateur.

Une déclaration dite « Declaration on the Conduct of Parties in the South China Sea » (DOC) a été adoptée à Phnom Penh en novembre 2002 entre l'ASEAN et la Chine, et le dialogue en vue d'un « Code of Conduct (CoC) in the South China Sea » reste ouvert.

En juillet 2011, à l'occasion d'une rencontre ministérielle entre la Chine et les dix, un texte commun portant sur la mise en oeuvre de la déclaration de 2002, avec notamment des exercices communs, a été adopté par les deux parties. À l'issue du sommet Chine-ASEAN qui s'est tenu en octobre 2013 au Brunei, Pékin a confirmé sa disposition à aborder cette question en acceptant de mener avec l'ASEAN (dans un cadre multilatéral, donc, et non pas bilatéral), des « consultations officielles » sur la question du code de conduite. La teneur de ces consultations demeure toutefois confidentielle.

Le ministre de la défense français Jean-Yves le Drian estimait ainsi lors du 12 ème Shangri-La dialogue en 2012 que « Les risques de conflits entre Etats n'ont pas disparu, notamment dans cette région où des contentieux géopolitiques, parfois anciens, nourrissent des tensions ou des conflits. De nombreux pays ont augmenté leurs dépenses de défense et modernisé leurs forces armées, alors même que l'architecture régionale de sécurité peine à se mettre en place. Dans les années à venir, les mers d'Asie vont voir la présence de très nombreux bâtiments militaires, notamment des sous-marins. Il faut d'ores et déjà travailler à mettre en place des mesures de confiance nécessaires. »

De fait, tant le rythme que, surtout, le contenu de ce code restent aujourd'hui assez peu transparents. Nombre d'observateurs jugent qu'il débouchera au mieux sur des mesures de confiance et des processus de gestion des incidents tendant à éviter l'escalade autour d'une « escarmouche », mais ne permettra pas le traitement au fond des revendications concurrentes en Mer de Chine du Sud.

c) L'introuvable « architecture de sécurité » en Asie du Sud-Est

En juin 2009, l'ASEAN a adopté un document intitulé « ASEAN Political-Security Community Blueprint », ou APSC, qui fixe des objectifs en termes d'approfondissement du dialogue de sécurité, dans le cadre de la mise en place de la communauté ASEAN.

Communauté politique et de sécurité en ASEAN : les objectifs

1. développer la coopération politique entre les Etats de la région (promouvoir la connaissance des Etats-membres de l'ASEAN, faciliter l'échange d'informations entre Etats-membres, promouvoir les Droits de l'Homme, développer la coopération de l'ASEAN avec d'autres entités, combattre la corruption, renforcer les systèmes juridiques des Etats-membres, promouvoir une bonne gouvernance, promouvoir la démocratie, promouvoir la paix dans la région) ;

2. définir des normes et les faire partager (mettre l'ASEAN en conformité avec sa Charte, renforcer la coopération multilatérale dans le cadre de plusieurs traités et instances internationales : TAC, SEANWFZ, ASEAN maritime cooperation , etc.) ;

3. mettre en oeuvre des mesures de prévention des conflits et de renforcement de la confiance (promouvoir la transparence des politiques de défense, établir un cadre institutionnel pour renforcer l'ARF, maintenir l'intégrité et la souveraineté des membres de l'ASEAN, promouvoir des normes renforçant la coopération entre Etats-membres de l'ASEAN sur les questions de sécurité) ;

4. développer des procédures de résolution des conflits (renforcer les activités de recherche sur la paix et la résolution des conflits, promouvoir la coopération pour la paix et la stabilité de la région) ;

5. assurer la paix après un conflit (renforcer les capacités d'assistance humanitaire de l'ASEAN, mettre en oeuvre des capacités d'intervention dans les zones post-conflits, développer la coopération dans les domaines de la réconciliation et de la paix) ;

6. développer les outils de sécurité non-traditionnelle (renforcer la coopération dans le domaine de la sécurité non-traditionnelle, en particulier pour lutter contre le crime organisé et l'ensemble des problèmes transfrontaliers, intensifier la lutte contre le terrorisme en accélérant la procédure de ratification de la Convention de l'ASEAN sur le contre-terrorisme, renforcer la coopération sur la gestion des catastrophes naturelles et l'aide d'urgence) ;

7. répondre efficacement et rapidement aux crises et aux situations d'urgence ;

8. faire de l'Asie du Sud-Est une région dynamique et attentive à l'environnement mondial (renforcer le rôle central de la coopération régionale, promouvoir les liens avec des parties tierces, renforcer la coopération et la consultation sur les questions multilatérales).

Source : ASEAN Political-SecurityCommunity Blueprint, 2009

Malgré ces objectifs très généraux et ambitieux, déclinés parfois en actions concrètes, il est clair que l'ASEAN n'a pas vocation à devenir, et ne sera jamais, l' « OTAN » de l'Asie du Sud-Est.

2. Un succès (relatif ?) : la lutte contre la piraterie

S'il est un domaine dans lequel les états d'Asie du Sud-Est ont su se coordonner et atteindre une certaine efficacité, c'est celui de la lutte contre la piraterie dans le détroit de Malacca.

Historiquement infesté de pirates, le détroit de Malacca a attiré l'attention et fait émerger une réelle inquiétude quant aux atteintes à la liberté et la sécurité de navigation au début des années 2000. L'année 2000 a été la pire année rencontrée par les compagnies maritimes et équipages opérant en Asie du Sud-Est, avec pas moins de 75 attaques dans le détroit de Malacca et 119 ailleurs au large de l'Indonésie 54 ( * ) .

Le nombre d'attaques diminua ensuite dans les années suivantes tout en restant à un niveau suffisamment préoccupant pour pousser les Etats côtiers à s'organiser et à prendre des mesures destinées à rétablir la réputation de la région et apaiser les craintes.

ÉVOLUTION DU NOMBRE D'ACTES DE PIRATERIE

Actes de piraterie

2003

2005

2007

2009

2010

2011

2012

2013

Total mondial

445

276

263

410

445

439

297

264

Somalie et Golfe d'Aden

21

45

44

196

192

197

62

13

Indonésie

151

98

53

15

40

46

81

106

Détroit de Malacca

28

38

7

2

2

1

2

1

Détroit de Singapour

2

8

3

9

3

11

6

9

Source : audition de M Éric Frécon, données ICC International maritime bureau IMB 2013

Deux structures de coopération multilatérale destinées à partager l'information d'intérêt maritime ont été inaugurées au début des années 2000 : l'Information Sharing Centre (ISC) et l'Information Fusion Centre (IFC).

L'ISC a été établi par l'accord de coopération régionale sur la lutte contre la piraterie et le brigandage maritime en Asie (Regional Cooperation reement on Combating Piracy and Armed Robbery against Ships in Asia, ReCAAP), premier accord intergouvernemental traitant de la piraterie en Asie. Son but est d'améliorer la coopération multilatérale entre 16 Etats régionaux. Finalisé le 11 novembre 2004 à Tokyo (Japon), il est entré en vigueur le 4 septembre 2006.

L'IFC a quant à lui été inauguré le 27 avril 2009. Basé à Singapour, il est intégré au centre de commandement et de contrôle de la base navale de Changi.

Sa mission dépasse l'analyse des seuls actes de piraterie et brigandage en mer et embrasse la problématique plus générale de la sécurité maritime. Son ambition est de collecter, fusionner et analyser l'information d'intérêt maritime afin de renforcer les capacités d'analyse précoce et d'améliorer l'identification des menaces potentielles.

D. UNE PRESSION SUR L'ENVIRONNEMENT SANS PRÉCÉDENT

1. Le « revers » écologique du développement

Les émissions de gaz carbonique liées à l'énergie dans l'ASEAN ont, d'après une étude récente, triplé entre 1990 et 2011, et devraient encore doubler d'ici 2035, malgré une augmentation d'un tiers de l'efficacité énergétique. Elles représentent aujourd'hui 3,7% des émissions mondiales, (6,1% en 2035), alors que 8,6% de la population mondiale vit en Asie du Sud Est.

Source : « Horizon ASEAN » n°9, mai 2014, Service économique régional de Singapour, Direction générale du Trésor

a) Le poids des industries au charbon dans la production d'énergie

D'importants projets au charbon se développent dans toute la région, en prévision d'une forte demande, en ASEAN mais aussi au niveau mondial dans les années à venir. Le charbon devrait devenir le premier combustible en ASEAN d'ici 2030 (l'Agence internationale de l'Énergie prévoit que la part de charbon dans la production d'électricité devrait y passer à 50% d'ici 2030 contre 27% il y a cinq ans) 55 ( * ) . Outre l'Indonésie, leader mondial, le Vietnam, qui produit 12% du minerai de charbon de la région, développe 6 mines de charbon anthracite dans la province de Quang Ninh, dont la production sera essentiellement destinée au Japon, à la Chine, à la Thaïlande et à l'Europe.

Vos rapporteurs ont pu visiter la mine de charbon de la société Vinacomin à Halong (sur les rives de la fameuse baie du même nom !), d'une capacité de 110 millions de m 3 de charbon, dont l'exploitation à ciel ouvert est prévue pour durer encore 30 ans (100 ans pour l'exploitation au total). Les conséquences environnementales sont lourdes, surtout si l'on prend en compte le trafic maritime engendré par cette activité extractive, qui traverse littéralement les eaux de ce site classé au patrimoine mondial de l'humanité, et le projet d'extension du port de Cai Lan.

Ces menaces ont conduit le Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO à faire part de préoccupations lors de ses récents rapports 56 ( * ) sur la baie d'Halong. L'AFD finance d'ailleurs la remise en état et la végétalisation de terils sur ce site, pour limiter les conséquences négatives des écoulements dans les eaux de la baie.

En Indonésie , de nouveaux projets sont également en cours, dont le projet d'exploitation de la mine Haju (Kalimantan Est), qui prévoit un début de production en 2016.

Dans une région urbaine à 44% 57 ( * ) , à 55% d'ici 2020, qui s'industrialise et accroit sa consommation d'énergies fossiles, il faut s'attendre à une croissance importante des émissions de gaz à effet de serre en l'absence de mesures fortes pour contrer cette tendance naturelle.

La demande en énergie a été multipliée par 2,5 depuis 1990 (d'après l'agence internationale de l'énergie), pour atteindre aujourd'hui le niveau des 2/3 de la demande indienne.

D'après les prévisions, le rattrapage énergétique devrait essentiellement être centré sur le charbon dans les années à venir.

En effet, les stratégies d'atténuation semblent aujourd'hui insuffisantes pour faire face à la croissance de la demande, tant en matière de passage du charbon au gaz, de développement du nucléaire, ou d'énergies renouvelables, de cogénération ou de stockage de Co2.

L'Indonésie , l'un des 10 pays les plus émetteurs au monde, tire la région et l'on s'attend à un facteur 7 pour ses émissions liées à l'énergie d'ici 2030, passant de 110 à 750 millions de tonnes. Plus gros consommateur et émetteur de la région, l'Indonésie est au premier plan, la faiblesse des coûts de cette ressource abondante qu'est le charbon en faisant l'une des clés de son développement économique et social, avec 80 millions d'habitants toujours sans accès à l'électricité (d'après la Banque mondiale, 2009).

Les émissions globales du Vietnam devraient quant à elles être multipliées par 5, passant de 60 (2011) à 516 millions de tonnes en 2030, celles des Philippines devraient tripler d'ici 2030, passant de 30 (2010) à 90 millions de tonnes...

De la même façon, les perspectives de développement du marché automobile (les voitures pourraient passer de 30 millions en 2005 à près de 80 millions à l'horizon 2030 pour la seule ASEAN-6 -Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande et Vietnam-) laissent augurer d'une importante croissance des émissions de gaz à effet de serre.

b) Des atteintes « traditionnelles » à l'environnement qui perdurent

Parallèlement, les atteintes plus « traditionnelles » à l'environnement perdurent, qu'il s'agisse des combustibles domestiques, de la culture sur brûlis, ou de la pêche à la dynamite...

Comme cela a déjà été dit, l'année 2013 a ainsi été marquée par les feux de forêt qui ont ravagé la province indonésienne de Riau : en un mois, près de 17 000 hectares de forêt sont partis en fumée, atteignant des forêts protégées, des périmètres de préservation de la faune, des plantations industrielles et des sites de production forestière. La fumée (« haze ») a amené les voisins malaisien et singapourien à décréter l'état d'urgence. D'importants moyens ont finalement permis de mettre fin à ces incendies pour lesquels on aurait dénombré plus de 900 foyers, vraisemblablement provoqués par des individus cherchant à dégager des zones de culture (cultures sur brulis).

Une réunion de l'ASEAN en juillet 2013 a ainsi appelé à la coopération régionale et au développement d'un plan de lutte contre la pollution transnationale par la fumée.

2. Des indicateurs préoccupants pour la santé publique

L'Asie en général, et l'Asie du Sud-Est en particulier, est fortement concernée par les problèmes de pollution et de mauvaise qualité de l'air.

Dès le début des années 2000 était mis en valeur le phénomène dit du « nuage brun d'Asie », immense nuage de pollution d'environ 3 000 mètres d'épaisseur, s'étendant sur une surface équivalente à celle des Etats-Unis, recouvrant une grande partie de l'Asie de décembre à avril et s'étendant du nord de l'océan Indien, à l'Inde, au Pakistan et à la plus grande partie de l'Asie du Sud, de l'Asie du Sud-Est et de la Chine.

Depuis, tous les bilans ne cessent de montrer une dégradation accélérée.

Une récente étude de l'Organisation mondiale de la santé 58 ( * ) (OMS) révèle que ce sont les pays à revenu faible ou intermédiaire de l'Asie du Sud-Est et du Pacifique occidental qui ont enregistré la charge la plus lourde liée à la pollution de l'air en 2012, avec un total de 3,3 millions de décès prématurés liés à la pollution intérieure et 2,6 millions de décès prématurés liés à la pollution extérieure 59 ( * ) .

Ces chiffres ont fortement cru (presque doublé) depuis les estimations du début des années 2000 (il est vrai en partie sous l'effet de l'affinage des techniques de mesure).

La qualité externe de l'air, dégradée par les industries polluantes, n'est pas la seule en cause : l'utilisation de foyers ouverts à l'intérieur des habitations pour le chauffage ou la cuisson émet des polluants qui provoquent accidents cardio-vasculaires, maladies cardiaques, bronchopneumopathies, infection des voies respiratoires chez l'enfant et cancer du poumon.

3. L'Asie du Sud-Est, l'une des premières victimes du dérèglement climatique

L'ASEAN est classée 60 ( * ) comme très vulnérable par le panel intergouvernemental sur le changement climatique, marquée par une forte exposition aux risques naturels, à la montée des eaux avec ses 173 000 km de côtes, en particulier au Vietnam, en Thaïlande et aux Philippines, dont le typhon Haiyan a dramatiquement rappelé en novembre 2013 la grande vulnérabilité.

Outre les « catastrophes » naturelles, la désertification et la pollution atmosphérique constituent une menace croissante.

Source : Horizon ASEAN n°9, mai 2014, service économique régional de Singapour, direction générale du Trésor

Cette vulnérabilité a déjà un impact économique, sur le tourisme notamment, qui représente environ 6% du PIB en Malaisie et à Singapour. Le coût des inondations de 2012 en Thaïlande , notamment, avait été estimé à 17 milliards de dollars pour le pays.

Le Cambodge est lui aussi particulièrement exposé.

LES CONSÉQUENCES DU DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE : L'EXEMPLE DU CAMBODGE

Le Cambodge fait face à plusieurs risques liés au dérèglement climatique :

- impact sur la production rizicole (hausse des températures, sécheresse, inondations) pour un pays encore très dépendant de son agriculture : 80% de la production rizicole est irriguée uniquement par les pluies ; le secteur agricole compte pour 40% du PIB et emploie 60% de la population active,

- impact sur la nutrition en raison de l'importance de la pêche dans l'alimentation : 75% des apports en protéine des cambodgiens viennent de la pêche ; le Tonlé Sap est la 4 ème réserve piscicole au monde,

- vulnérabilité sanitaire à travers les maladies infectieuses endémiques (dengue, paludisme),

- faible résilience en raison notamment d'une carence institutionnelle (insuffisante coordination interministérielle),

- impact supplémentaire lié à la faible gouvernance régionale, notamment en matière de gestion commune des ressources (projets de barrages hydrauliques sur le Mékong),

A ces risques s'ajoute la pression créée par le dynamisme démographique du pays, le Cambodge étant le pays le « plus jeune » de l'ASEAN (70% de la population a moins de 30 ans).

Source : ministère des affaires étrangères

De la même façon, le Vietnam est l'un des pays les plus affectés par les conséquences du dérèglement climatique, avec 70% des habitants vivant dans des régions côtières et de basse altitude. Les autorités vietnamiennes ont adopté une stratégie nationale de réponse au changement climatique (2011) ainsi qu'une stratégie nationale de croissance verte (2012).

E. UNE STABLITÉ POLITIQUE INTÉRIEURE À CONSTRUIRE OU À CONSOLIDER

1. L'introuvable issue à la crise politique en Thaïlande

Après des mois de crise entre les « chemises jaunes » et les « chemises rouges », entre le « système Taksin » (Shinawatra) et ses opposants, entre les habitants du Nord, ruraux, et la classe aisée de Bangkok, le coup d'Etat du général Prayuth Chan-Ocha (22 mai 2014) a conduit à l'instauration d'un régime militaire, concentrant l'essentiel des pouvoirs -y compris le pouvoir législatif-, à la dissolution des assemblées élues et à l'instauration d'une loi martiale et d'un couvre-feu dans le pays.

Le général Prayuth Chan-Ocha a annoncé vouloir réformer les institutions thaïlandaises, mais sans préciser les modalités de réalisation de la réforme, comme, dans un second temps, de leur validation. Il en va de même pour la question des élections législatives, renvoyées à une date indéterminée (2015 ?).

La convocation puis la mise en détention de personnalités politiques ou intellectuelles, de même que des manifestants et activistes, soulèvent de nombreuses interrogations, tout comme les restrictions apportées au passage des frontières et à la libre circulation entre la Thaïlande et l'étranger pour plus de 150 personnalités thaïlandaises. La question du respect des droits de l'Homme est naturellement suivie avec la plus grande attention par les autorités françaises.

Ce coup d'État, qui intervient après des mois de troubles à l'ordre public et après la destitution de la Première ministre Yingluck Shinawatra par la Cour constitutionnelle, est le douzième coup d'Etat militaire mené à terme depuis 1932 en Thaïlande.

Il met à jour les fractures de la société Thaïlandaise, fractures entre « l'élite » de la ville et les paysans des campagnes (base électorale traditionnelle, pourtant du parti Phuea Thai), entre riches et pauvres, entre les chemises jaunes et les chemises rouges, mais aussi -mais surtout ?- divorce entre la classe moyenne éduquée, rejointe par les acteurs économiques, et les pratiques politiques de ceux que certains observateurs n'hésitent pas à décrire comme un véritable « clan ».

Pour plusieurs experts entendus par votre commission, cette crise politique pose en filigrane deux grandes questions :

- L'aspiration tant à une réforme profonde dans la répartition du pouvoir et des richesses au sein de la société qu'à un changement des pratiques politiques ;

- La question de la succession monarchique.

2. La transformation économique et sociale du Cambodge

Le Cambodge revient de loin. Après l'« utopie meurtrière » des Khmers Rouges, faisant deux millions de morts (25% de la population du pays), victimes des évacuations forcées, des chantiers de travail, des exécutions et de la famine, et la chute du régime en janvier 1979, à la suite de l'offensive de l'armée vietnamienne, le pays, plongé dans la guerre civile jusqu'en 1989, date du retrait vietnamien, n'en sortira que grâce à un processus de paix soutenu par l'ONU et concrétisé dans les accords de Paris de 1991 , qui entérinent l'objectif de reconstruction et de réconciliation nationale entre les différentes factions impliquées.

La France occupe une place particulière dans sa relation avec le Cambodge, non seulement du fait d'une histoire commune et de la francophonie, mais aussi du rôle joué par la France en faveur du développement du pays suite aux accords de Paris de 1991.

Mais il reste du chemin à parcourir pour enclencher un réel développement économique.

L'agriculture , dépendante des aléas climatiques dans une région tropicale marquée par la mousson, représente toujours le quart (27%) du PIB, et emploie plus de 80% de la population.

Le secteur textile -marqué par des revendications notamment salariales compte tenu des conditions d'emploi des ouvrières- représente quant à lui 15% du PIB et plus de 88% des exportations, soit 4,61 milliards de dollars, ce qui en fait le principal poste d'exportation.

La corruption est jugée endémique par de nombreux experts, et pourrait même constituer un frein majeur au développement, puisque le pays figure au 160 e rang du classement de Transparency International 2013 (perdant 3 places par rapport à 2012). Des mesures ont été prises par le Gouvernement (adoption d'une loi anti-corruption par l'Assemblée nationale en mars 2010, durcissement du Code Pénal, création d'une unité anti-corruption en 2011).

Des facteurs de transformation puissante de la société sont à l'oeuvre. Ainsi en est-il de la jeunesse cambodgienne, connectée et revendicative. « Deux tiers des Cambodgiens ont moins de 30 ans : cette génération montante, en passe de prendre en mains le destin politique, social, économique et même religieux de la société est donc née après le régime Khmer rouge », analyse un récent article 61 ( * ) . Connectée (1,1 million de comptes Facebook ), cette génération porte une revendication collective, qui cible non seulement les salaires de l'industrie textile, mais encore les questions de propriété foncière, ou de préservation des ressources naturelles 62 ( * ) .

Sur le plan économique, le pays continue de progresser (le nombre de personnes sous le seuil de pauvreté serait passé de 53% de la population en 2004 à 18% en 2012 63 ( * ) ), en partie sous l'effet conjugué de la hausse du prix du riz et de la construction d'infrastructures essentielles pour l'exportation. La hausse de la consommation est de 38% entre 2004 et 2012 et aujourd'hui 55% des Cambodgiens ont une moto, 62% un téléphone portable, 63% un téléviseur.

Pour autant, des carences lourdes demeurent : seuls 22% ont accès à l'électricité, et l'indice de développement humain du Cambodge reste encore en dessous de la moyenne régionale. La malnutrition toucherait encore 40% des enfants cambodgiens, et la disparité entre les villes et les campagnes est encore très forte.

3. La « Printemps birman » ou la transition octroyée

La transition politique en Birmanie , depuis l'été 2011, est sans précédent, puisque ce bouleversement majeur est aussi en quelque sorte une transition « octroyée 64 ( * ) » par le pouvoir, sous l'impulsion du Président Thein Sein.

Elle s'est traduite par la libération de prisonniers politiques, la signature d'accords de cessez-le-feu entre le gouvernement et plusieurs groupes ethniques armés, des mesures de libéralisation politique, sociale et économique, l'élection au parlement d'Aung San Suu Kyi et d'une quarantaine de membres de son parti, la LND, lors des législatives partielles d'avril 2012. La première visite d'Aung San Suu Kyi en Europe depuis 24 ans (Oslo, Genève, Dublin, Londres, Oxford, Paris) en juin 2012, pour recevoir son prix Nobel de la paix, en a été le symbole.

En avril 2013, le Conseil des Affaires étrangères de l'Union européenne a décidé de ne pas renouveler les sanctions à l'encontre la Birmanie (à l'exception de l'embargo sur les armes).

Naturellement, ces évolutions positives ne règlent pas les questions lancinantes que sont les droits de l'opposition politique, ceux des minorités ethniques, celle des prisonniers politiques encore en détention et celle des restrictions de l'accès humanitaire, qui demeurent d'importantes sources de préoccupation. Les tensions interethniques et interreligieuses sont vives comme en témoignent les violences croissantes entre bouddhistes et musulmans : initialement cantonnées dans le Kachin, elles gagnent peu à peu du terrain. La situation de l'Arakan est plus que préoccupante.

Le soutien de la France à une transition politique encore marquée par une certaine ambiguïté et qui est appelée, en tout état de cause, à s'approfondir 65 ( * ) (on pense notamment à la révision constitutionnelle , au rôle et au poids de l'armée , encore prégnant, au sein des institutions) se manifeste notamment par le biais de l'aide au développement , l'autorisation ayant été donnée, en mars 2012, pour l'Agence française de développement, d'intervenir en Birmanie dans les domaines de l'agriculture, de l'eau et de l'assainissement, et de la santé. La France a également amplifié son soutien à la société civile birmane.

Certains partenaires sont particulièrement actifs en Birmanie. Ainsi en est-il des États-Unis , sur le plan économique, depuis la levée de l'interdiction des investissements américains en juillet 2012.

4. Le Laos en mutation

Pays peu peuplé (6,6 millions d'habitants) et enclavé, le Laos appartient lui aussi à la catégorie des pays les moins avancés.

Après le renversement de la monarchie en 1975, la République démocratique populaire lao s'est efforcée de bâtir un État centralisé autour d'une idéologie d'inspiration communiste, incarnée par un parti unique : le Parti populaire révolutionnaire lao (PPRL). Durant les premières années du régime, l'ouverture de "camps de rééducation", la mise sous tutelle du clergé bouddhiste, la nationalisation du commerce et le programme de collectivisation agraire ont provoqué la fuite de 10% de la population, dont la majeure partie de l'élite et des classes moyennes.

S'ouvrant progressivement, depuis la fin des années 1980, à l'économie de marché, le Laos reste encore marqué par une politique à régime unique communiste d'obédience marxiste-léniniste, par une certaine défiance vis-à-vis de l'extérieur ainsi que par un certain nombre de rigidités et de lourdeurs administratives.

Porté par le dynamisme économique régional, le Laos est toutefois engagé, depuis 1986, dans un " nouveau mécanisme économique " caractérisé par la mise en place de réformes économiques et par l'ouverture graduelle du pays, qui a adhéré à l'ASEAN en 1997 et à l'OMC en février 2013. Son taux de croissance s'est élevé à plus de 8% en 2013.

Lié économiquement et politiquement au Vietnam (Traité spécial d'amitié et de coopération de 1977) et économiquement à la Thaïlande , avec laquelle il réalise 60% de ses échanges commerciaux, le Laos a des liens économiques forts avec la Chine -notamment le Yunnan- , désormais premier investisseur étranger , (avec un stock de 4 milliards de dollars), notamment dans les infrastructures (projet de chemin de fer Kunming-Vientiane, mise en service du pont de Houayxai, dernier tronçon d'une voie routière moderne de 1800 km entre Bangkok et Kunmin à travers le Nord-Ouest du Laos), l'exploitation de ressources naturelles (hévéa, canne à sucre, café, bois, minerais) et la production d'électricité.

Le bassin hydrographique du Laos ainsi que ses principaux affluents confèrent au pays un statut particulier en lui donnant un potentiel hydro-énergétique exceptionnel (estimé à 23 000 MW), ce qui pourrait faire du Laos la « pile » de l'Asie du Sud-Est, qui plus est avec une énergie renouvelable (il exporte de l'électricité vers les pays voisins, en particulier d'origine hydraulique).

Peu industrialisé, le Laos tente de sortir du statut de pays le moins avancé à l'horizon 2020.

5. Les défis du Vietnam

Le Vietnam « galope » : son PNB a été multiplié par 5 en 15 ans, le revenu par habitants est passé de 400 à 1700 dollars (2400 à Ho Chi Minh Ville), il a désormais intégré la catégorie des pays à revenus intermédiaires.

État à parti unique, le parti communiste vietnamien (PCV), le Vietnam connait depuis plusieurs années des évolutions économiques et sociales accélérées qui n'ont, jusqu'à présent, pas affecté la nature du régime (malgré des débats en son sein entre conservateurs et réformateurs 66 ( * ) ). Le processus décisionnel reste dominé par le Comité central et le Bureau politique du PCV, présent à tous les niveaux tant de l'administration que des écoles, des entreprises, des organisations socio-professionnelles, de l'armée ou de la police. La surveillance des moyens d'expression est encore très étroite, comme le montre notamment la situation des bloggeurs, qui font régulièrement l'objet d'arrestations ou intimidations.

Avec la question de l'évolution du régime, plusieurs défis sont clairement posés :

- le défi de la gouvernance économique : outre le système bancaire, affecté, comme cela a déjà été dit, par des créances douteuses, la gouvernance des entreprises publiques souvent liées au régime est un chantier délicat, de même que la question lancinante de la corruption ;

- le défi social : les inégalités se creusent dans un pays où la croissance économique a surtout profité aux villes et à une fraction de privilégiés. En outre, un niveau de croissance élevé est nécessaire pour garantir le bien-être social dans une société où l'on observe un rapide changement des moeurs et la fin des solidarités traditionnelles ;

- le défi démographique : 56% de la population a moins de 20 ans au Vietnam, qui va connaître une croissance importante de ses villes dans les années à venir et doit absorber chaque année un million de jeunes qui arrivent sur le marché du travail, posant la question à la fois de la création d'emplois et de la qualification des jeunes.

6. Les Philippines, un allié américain sous la pression chinoise

Les Philippines , avec près de 100 millions d'habitants, sont le deuxième Etat de la région par la population, mais la 5 ème économie d'Asie du Sud-Est. Après trois siècles de colonisation espagnole (c'est un des seuls pays d'Asie où le christianisme est la religion majoritaire) et près d'un demi-siècle de tutelle américaine, c'est un processus de démocratisation qui s'est engagé à compter de 1986.

Situées en zone tropicale, les Philippines sont régulièrement victimes de catastrophes naturelles, comme le typhon Haiyan , qui a en particulier frappé la région des Visayas le 8 novembre 2013, a causé de lourdes pertes humaines ainsi que des dommages économiques considérables.

L'économie philippine repose sur des fondamentaux solides : forte croissance (6,5% en 2013), inflation maîtrisée (3,3%), faible déficit budgétaire (moins de 3% du PIB), endettement réduit, population largement anglophone et bon niveau d'éducation.

Les Philippines ont été ainsi désignées en 2013 par la Banque mondiale et le FMI comme « le nouveau tigre asiatique », en raison notamment de sa forte croissance, (en moyenne 5% depuis le début des années 2000, la plus dynamique de l'ASEAN en 2012). Les points forts de l'économie sont les composants électroniques (50% des exportations, pour plus de 20 milliards de dollars et les services délocalisés aux entreprises, 10 milliards de dollars). Le pays est remonté dans les classements des agences de notation, l'indice boursier philippin a connu en 2012 la plus forte progression de l'ASEAN (près de 40%) et le peso s'est apprécié de 6%.

Les Philippines ont de très bonnes positions en matière de chantiers navals (4 e rang au monde), géothermie (2 e producteur au monde) et pour les mines (5 e potentiel mondial).

Toutefois, le pays souffre encore de certains blocages , soulignés par les experts rencontrés par vos rapporteurs, parmi lesquels l'absence de réforme agraire en profondeur et d'une réelle maîtrise de la croissance démographique . L'accroissement de la population est de 1,7% par an. De même, le montant des investissements directs étrangers n'est que de 1 milliard de dollars, ce qui est relativement faible par rapport à certains de ses voisins, tout comme l'est la part de l'industrie dans le PIB, une des plus faibles d'Asie.

La réduction de la pauvreté et des inégalités , deux problèmes sociaux majeurs, se fait lentement. L'investissement public est faible et l'investissement privé est jugé insuffisant par les économistes. L'agriculture est peu productive et peu diversifiée, et le tourisme, bien qu'en croissance rapide, encore sous-développé par rapport au potentiel. Le chômage (7%) et le sous-emploi (12%) figurent donc parmi les plus élevés de l'ASEAN.

Comme l'a montré la récente visite du Président Obama, les Philippines entretiennent des relations privilégiées avec les États-Unis , où réside la plus importante communauté philippine expatriée (près de trois millions de personnes). 400 000 ressortissants américains, dont une majorité de binationaux, résident dans l'archipel.

Les deux pays sont liés par un accord de défense mutuelle en cas d'agression militaire, signé en 1951. Les États-Unis disposaient jusqu'en 1991 de deux bases, à Clark et Subic Bay. La visite de Barack Obama aux Philippines en avril 2014 a ainsi été l'occasion de signer un « Enhanced Defense Cooperation Agreement », permettant d'augmenter les rotations de troupes, de navires et d'avions américains dans des bases philippines, sans toutefois aller jusqu'à la réouverture de bases américaines.

L'aide publique américaine est en très forte hausse depuis quelques années, qu'il s'agisse de l'aide militaire ou de programmes de bonne gouvernance et de renforcement des capacités de l'Etat.

Le Japon est le second partenaire privilégié des Philippines, dont il est à la fois le premier investisseur, le premier fournisseur et le premier client, suivant le modèle de l'intégration verticale : les sociétés d'électronique japonaises expédient aux Philippines des composants et importent au Japon des produits assemblés. Le Japon est également le premier pourvoyeur d'aide publique au développement .

La Corée du Sud est le troisième partenaire régional, assurant le tiers des investissements et le premier contingent touristique.

Les relations avec la Chine , troisième partenaire commercial, sont croissantes mais demeurent marquées par la question récurrente des différends territoriaux en Mer de Chine du Sud (îles Spratleys et Scarborough Shoal en particulier), puisque Manille a demandé en janvier 2013 la constitution d'un tribunal arbitral , se fondant sur les dispositions de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Peut-être plus encore que le Vietnam, les Philippines sont donc souvent présentées comme les plus « en pointe » avec la Chine sur la question des revendications territoriales en Mer de Chine du Sud. Cette position impacte directement la relation avec l'allié américain, soucieux tout à la fois de donner la « réassurance » attendue que de contenir toute escalade potentielle des contentieux territoriaux.

7. L'Indonésie, une année électorale à enjeux pour un « archipel en émergence 67 ( *

Après la " Reformasi ", initiée en 1998 au lendemain de la chute de Suharto, et du rythme soutenu des réformes qui s'en sont suivies, l'Indonésie est entrée dans une période de consolidation démocratique, avec l'élection de l'ancien général Susilo Bambang Yudhoyono à la tête du pays en 2004.

Quatrième pays le plus peuplé du monde, premier pays musulman par la population, jeune démocratie située sur les détroits stratégiques du commerce mondial, membre du G20 et puissance montante que certains qualifient de « mini Chine », l'Indonésie affronte cette année des échéances électorales. Après les élections législatives au printemps, ce sont désormais les élections présidentielles qui dominent le débat politique.

Le Président Yudhoyono finira en octobre 2014 son deuxième mandat et ne pourra plus se représenter. Le climat politique va dans le sens d'un nationalisme croissant, notamment dans le domaine économique, et d'une aspiration à un président capable de mettre effectivement en oeuvre les décisions de l'Etat et de combattre plus efficacement la corruption.

Les priorités d'action du gouvernement (lutte contre la corruption, développement de la politique sociale - santé, éducation, soutien aux défavorisés, renforcement des infrastructures - peinent en effet à être mises en oeuvre et conduisent à un fort sentiment d'immobilisme . Il en va de même pour les réformes annoncées de l'armée, de la justice et de la police.

Les déséquilibres régionaux entre les 17 000 îles qui forment l'archipel sont certes marqués (Java, qui représente 7% du territoire indonésien, compte 57% de la population, 5 des 6 plus grandes villes du pays et produit 58% du PIB indonésien ; Jakarta produit 20% du PIB national), de même que le sous-équipement en infrastructures qui handicape le développement des régions les plus excentrées.

Pour autant, le miracle économique indonésien est là : la croissance annuelle du PIB est supérieure à 6% pour la quatrième année consécutive et la consommation a augmenté en moyenne de 15% par an au cours des cinq dernières années. Les projections économiques tablent sur l'émergence d'une classe moyenne, consommatrice de biens et de services nouveaux, dans les prochaines décennies (45 millions aujourd'hui, 85 millions en 2020 et 135 millions en 2030).

Membre du G20, État moteur de l'ASEAN, pays en pleine expansion économique, optimiste sur son avenir et confiant dans le fait d'être dans les prochaines décennies une des premières économies mondiales (malgré l'ampleur des réformes structurelles à mener), candidate à un siège de membre non-permanent au Conseil de Sécurité des Nations unies en 2019-2020, l'Indonésie a pour ambition de s'affirmer sur la scène internationale.

L'optimisme, qui soutient la forte consommation, moteur de la croissance économique, est palpable dans ce pays jeune confiant dans son avenir : « Le brassage et la concurrence produisent un climat de saine émulation. La multiplicité et la diversité (...) deviennent source d'enrichissement, stimulation, mobilité, compétition ; lucidité, maintien en alerte, éveil, vivacité. Le retour de la confiance se produit quelque part au début du 21è siècle, quand la nouvelle démocratie se stabilise. (...) Au bout du compte, ce sont l'expansion quantitative et la confiance accrue de la classe moyenne qui expliquent et nourrissent l'émergence indonésienne. 68 ( * ) ».

De fait, 66% des Indonésiens pensent qu'ils vivront mieux que leurs parents, et 71% que leurs enfants vivront mieux qu'eux. Le pays se classe au 7 è rang mondial en matière d'optimisme (source : bureau indonésien Ipsos, avril 2013), un tiers pensant que l'économie sera plus robuste dans six mois.

8. Le sultanat de Brunei, entre hydrocarbures et radicalisation

Le sultanat du Brunei vit sous le régime de la monarchie absolue. Le sultan, Haji Hassanal Bolkiah, est à la fois chef de l'Etat, Premier ministre, ministre des Finances et ministre de la Défense. L'un de ses frères, le prince Mohamed Bolkiah, détient le portefeuille des Affaires étrangères et du Commerce.

Avec quelque 38 800 dollars de PIB par habitant, le sultanat de Brunei est quatre fois plus riche que son voisin malaisien (mais est derrière Singapour), grâce à ses hydrocarbures, qui représentent les 2/3 de son PIB et 95% de ses exportations.

La croissance restera pour longtemps accrochée aux hydrocarbures puisque le plan directeur à vingt ans (2010-2030) du gouvernement prévoit que la part de la filière hydrocarbures au sens large (y compris les industries aval) devrait passer de 60% du PIB en 2010 à 70% du PIB en 2030 69 ( * ) .

Ce plan promeut une volonté de « brunéiser » la main d'oeuvre qui se heurte, pour les emplois d'ingénieurs notamment, à la pénurie de main d'oeuvre locale suffisamment formée (ingénieurs, cadres techniques), et ce d'autant plus qu'on constate une certaine « fuite des cerveaux » notamment vers l'Australie 70 ( * ) .

Parallèlement, un certain raidissement du régime est constaté : en témoigne l'obligation de l'enseignement religieux introduit en 2012 ou encore la récente application de la charia en matière pénale (2014, cf. supra). Le système du MIB ( Malayi Islam Beraya ) qui vise à promouvoir l'identité malaise, musulmane et monarchique du Brunei, est, de fait, de plus en plus prégnant.

Aux dires des experts entendus par votre commission, la dérive « islamiste » du régime se fait chaque année plus manifeste, verrouillant progressivement un système politique et religieux déjà marqué par l'absolutisme.

9. Singapour à la croisée des chemins

Démocratie parlementaire, Singapour s'est hissée en trois décennies au rang de pays développé, caractérisé par une grande stabilité politique : Lee Hsien Loong, le fils du fondateur du Singapour moderne Lee Kuan Yew, a succédé en 2004 au poste de Premier ministre à Goh Chok Tong, qui avait été l'artisan d'une ouverture très graduelle aux plans politique et social. Le People's Action Party est au pouvoir depuis l'indépendance.

Les autorités tentent désormais de concilier les nouvelles attentes de la population - notamment en matière de stabilisation des prix immobiliers, de maîtrise des flux migratoires et d'expansion des fonctions sociales de l'Etat - avec la nécessité de préserver l'attractivité économique de Singapour.

Comme l'ont montré les échanges que vos rapporteurs ont eus avec leurs homologues du Parlement singapourien, la question de la démographie est devenue centrale à Singapour. Le gouvernement a publié un Livre blanc sur la population qui projetait une population de 6,9 millions de personnes en 2030. Étant donné le très faible taux de natalité des Singapouriens -parmi les plus bas du monde autour de 1,2 enfant par femme- cette augmentation ne pouvait se faire qu'en recourant à l'immigration. Sur une population actuelle de 5,4 millions d'habitants, les non-résidents représentent actuellement 1,5 million, contre 1,3 million il y a trois ans, alors que la part des citoyens singapouriens et des résidents permanents reste stable. La publication de ce document a entraîné une introspection nationale sur l'identité singapourienne et l'avenir du modèle singapourien et un durcissement des politiques vis-à-vis des nouveaux immigrants en provenance d'Inde, de Chine, mais aussi des pays occidentaux.

10. La Malaisie, à la recherche de l'équilibre

Le gouvernement malaisien est traditionnellement confronté au problème de l'équilibre entre communautés (ethniques et religieuses). La population malaisienne compte en effet environ 55% de Malais musulmans, 10% de populations « indigènes », qui forment avec les Malais la catégorie des Bumiputra (« fils du sol ») , 26% de Chinois (pour la plupart bouddhistes et chrétiens) et près de 8% d'Indiens (en grande partie hindouistes). Depuis les émeutes antichinoises de mai 1969, les Malais sont les bénéficiaires d'une politique de discrimination positive, inscrite dans la « Nouvelle politique économique » (NEP).

Un débat a été ouvert sur l'opportunité de remettre progressivement en cause cette politique, considérée notamment comme un frein aux investissements étrangers. Le Premier ministre Najib a lancé lors de son accession au pouvoir le concept de « One Malaysia » destiné à rassurer les différentes communautés ethnico-religieuses non malaises (chinoises et indiennes en particulier) et à encourager une dynamique d'unité et d'identité nationale malaisienne.

Au-delà des seuls équilibres entre communautés, les attentes de la société civile sont surtout très fortes en termes socio-économiques .

Recherchant le consensus, le gouvernement de Najib Razak entend poursuivre en douceur et de manière progressive les réformes entreprises. Ayant fait de la modération son maître mot, il cherche à mener une politique équilibrée, avec le souci de ne pas creuser davantage les clivages ethniques, et de poursuivre le développement de la Malaisie pour atteindre l'objectif d'en faire un pays à haut revenu en 2020 .

Sur le plan de la politique étrangère, le pays a fait de la lutte contre l'extrémisme sous toutes ses formes une priorité : il souhaite mettre fin aux violences actuelles entre chiites et sunnites (Syrie, Liban, Irak, Pakistan) et juge nécessaire un développement plus inclusif afin de mieux réguler le rôle politique de l'Islam.

La Malaisie a participé depuis 1960 à 30 opérations de maintien de la paix déployées par l'ONU. La FINUL au Liban constitue la contribution majeure de Kuala Lumpur (832 militaires - un bataillon d'infanterie).

La promotion du « Mouvement Global des Modérés » (lancé par le Premier ministre malaisien à l'occasion de l'assemblée générale des Nations unies en septembre 2010) porte un discours ouvert et conciliant, bien accueilli, dans toutes les grandes enceintes internationales (Nations unies, ASEM, Commonwealth, ASEAN, APEC), avec des retombées positives sur l'image de la Malaisie. Son idée centrale est que la fracture dans le monde actuel n'est pas entre le monde musulman et l'Occident, ni entre les pays développés et ceux en voie de développement, mais entre les modérés et les extrémistes. Concept volontairement large, la "modération" est définie comme l'acceptation, plus que la tolérance, et le respect de la diversité, seuls à même d'assurer compréhension mutuelle et coexistence pacifique.

F. DES QUESTIONS SOCIALES IRRÉSOLUES

1. La question endémique de la corruption

La corruption est un mal endémique en Asie du Sud-Est, que certains enracinent d'ailleurs dans la culture confucéenne de la gratification.

Selon Transparency International , la situation de la corruption s'est dégradée depuis 10 ans en Malaisie et aux Philippines, mais s'est améliorée dans les autres pays de l'ASEAN. Singapour est le pays moins corrompu, tandis que les Philippines et le Vietnam sont les plus corrompus.

Source : Transparency International, graphique du service économique régional de Singapour

Les témoignages recueillis au Vietnam par vos rapporteurs sont à cet égard éloquents : la question de la corruption est omniprésente, elle est vue comme un mal endémique qui freine le développement du pays.

La corruption y fonctionnerait par « effet buvard » : complément de salaire « indispensable » pour les fonctionnaires et titulaires d'autorité, elle contraindrait par contagion chacun à « récupérer » les sommes qu'il a dû lui- même verser à ce titre : « chacun s'emploie en quelque sorte à récupérer l'après-midi ce qu'il a dû payer le matin », entend-on dire. Ceci serait vrai pour tous les actes de la vie courante : pour se faire soigner à l'hôpital, à l'école pour que les enseignants s'occupent de son enfant, pour la moindre démarche administrative....

La sensibilité de l'opinion publique à ce phénomène est croissante et les pouvoirs publics ont entrepris de lutter contre le phénomène.

S'agissant du Groupe d'Action financière ( GAFI ) qui lutte contre le blanchiment de capitaux , l'Indonésie est sur sa liste noire depuis très longtemps, le gouvernement refusant le gel des avoirs terroristes. Ce qu'il a, in fine, accepté en février 2014. Cette action a été reçue avec satisfaction et est considérée comme un véritable pas vers la « sortie » de la liste noire en 2014 ou 2015. Le Laos demeure en zone grise pour le moment. En revanche, les Philippines et le Vietnam sont sortis des listes du GAFI respectivement en juin 2013 et février 2014.

2. Terrorismes, extrémismes, irrédentismes

La région est touchée par le terrorisme et les extrémismes, tandis que, dans cette véritable mosaïque ethnique, se pose avec acuité la question du traitement des minorités.

Certains observateurs pensent que Abu Sayyaf aux Philippines et Jemmah Islamiyah en Indonésie entretiennent des liens avec al-Qaida et sont en mesure de continuer à perpétrer des actes terroristes. Cependant, les efforts pour lutter contre le terrorisme, souvent avec l'appui des États-Unis, semblent avoir considérablement réduit leurs capacités. Les États-Unis entretiennent ainsi par exemple des forces militaires dans l'enceinte de bases philippines, à cette fin notamment.

En Indonésie , il existe des milices extrémistes 71 ( * ) , parmi lesquelles le Front des défenseurs de l'islam, (FPI) dont les actions violentes vont de la fermeture des boîtes de nuit à la persécution des Ahmadis , en passant par l'interdiction du concert de Lady Gaga à Jakarta (juin 2012).

Dans ce pays qui prône la tolérance entre les six religions reconnues par l'État, des incidents mettent régulièrement en lumière la montée de l'intolérance religieuse (problèmes de construction et d'utilisation de lieux de cultes chrétiens comme à Bogor, persécutions contre les Ahmadis ou les Chiites, destruction d'une des deux synagogues encore existantes mais abandonnées, application de la loi contre le blasphème...) dans un pays dont la population très majoritairement musulmane (à 88%) pratique pourtant un islam tolérant et ouvert, et où l'église et la mosquée sont bien souvent, symboliquement, situées à côté l'une de l'autre.

Pour autant, il faut noter que le Parti de la justice et de la prospérité (PKS), représentant la mouvance des Frères musulmans, n'a fait que 6,9% des voix aux législatives d'avril 2014, contre 7,9% en 2014.

Vos rapporteurs ont pu observer par ailleurs une montée du port du voile par les jeunes femmes indonésiennes, dont la signification est discutée. Signe d'une certaine radicalisation religieuse, d'une pression sociale accrue ou simple démarche (surprenante d'un point de vue européen) d' « affirmation vestimentaire » 72 ( * ) des femmes, la question est en débat.

Le sultanat de Brunei a quant à lui décidé, à l'occasion de son 67 ème anniversaire en 2013, d'une entrée en vigueur en 2014 de la charia 73 ( * ) en matière de droit pénal (même si l'application n'en sera, d'après certains experts, dans les faits peut être pas si rigoureuse qu'on pourrait le redouter).

L'APPLICATION DE LA CHARIA À BRUNEI

Les peines prévoient notamment des châtiments corporels (hudud) ou la lapidation et seront appliqués aux contrevenants musulmans de plus de 15 ans dans plusieurs cas :

Délits alimentaires : consommation d'alcool ou de drogue (40 coups de rotin, 80 en cas de récidive, 80 coups et 2 ans de prison en cas de multi récidive) ; vente de nourriture boisson ou tabac pour consommation immédiate dans un lieu public pendant le Ramadan (3 200 dollars d'amende et/ou un an de prison) ;

Délits familiaux ou sexuels : toute femme célibataire quittant ses parents sans motif valable est passible de 800 dollars d'amende et/ou d'un an d'emprisonnement ; l'avortement est puni de 9 600 dollars d'amende et de 3 ans de prison maximum ; l' « intimité étroite » entre personnes de sexe opposé non mariés (sans relations sexuelles) est puni de 80 coups de rotin ; l'adultère est passible de lapidation, de même que l'homosexualité ;

Délits de droit commun : le vol est passible de l'amputation d'une main, puis d'un pied en cas de récidive.

Délits religieux : l'absence de prière le vendredi est passible de 160 dollars d'amende, l'apostasie est passible de mort.

Source : Marie-Sybille de Vienne in « L'Asie du Sud Est 2014 », IRASEC, les Indes galantes, p. 153 et s

En Birmanie , les violences observées dans l'Arakan s'inscrivent dans le contexte d'un demi-siècle d'insurrection musulmane dans ce pays. Les premiers rebelles Mujahids sont apparus dans l'Arakan lors de la deuxième guerre mondiale, à l'occasion d'affrontements entre les bouddhistes soutenus par les Japonais et les musulmans concentrés dans le Nord, soutenus par les Britanniques. Au-delà de la dramatique situation de la minorité musulmane des Rohingyas , on observe une certaine montée des radicalismes, non seulement dans les milieux musulmans, mais aussi bouddhistes, avec des moines militants très actifs, notamment sur les réseaux sociaux.

Si ce mouvement est à resituer dans le contexte plus général des conflits ethniques qui minent ce pays, des phénomènes de radicalisation diffuse sont observés par les ONG dans l'extrême Nord de l'Arakan ainsi que dans les camps de réfugiés de Sittwe, chef-lieu de l'Arakan. Alors que la pratique de l'islam y était jusqu'alors moins rigoriste, le port du voile tend à se généraliser, ainsi que l'interdiction de consommer l'alcool. En matière de soins également, l'accès aux femmes serait plus difficile, de même que les campagnes de prévention. Enfin, elle devient une cause de malnutrition, en raison de nouveaux « dogmes » alimentaires.

La question ethnique est en effet prégnante en Birmanie , véritable mosaïque où existent, malgré les négociations autour d'un cessez-le-feu, des situations insurrectionnelles dans plusieurs parties du pays (notamment en région Kachin , où des exactions contre les civils sont régulièrement rapportées par les associations de défense des droits de l'homme 74 ( * ) ).

Plusieurs mouvements irrédentistes existent dans la région.

Des troubles ont affecté les Moluques et Sulawesi, en Indonésie, sans parler du Timor oriental ou d'Aceh.

Dans la fédération de Malaisie , c'est dans l'État de Sabah situé sur la partie insulaire de la Malaisie (île de Bornéo), qui détient le taux de pauvreté le plus élevé du pays, que des groupes armés sévissent. Dernièrement des rebelles philippins ont occupé un village de l'Est du Sabah (district de Lahad Datu) pour revendiquer l'ensemble de cet État au nom du sultan de Sulu.

Dans le sud thaïlandais , à majorité musulmane, quatre groupes rebelles mènent depuis 2003 des actions séparatistes. En 2013, un processus de négociations a été engagé à Kuala Lumpur entre l'État thaïlandais et le mouvement « Barisan Revolusi Nasional » (BRN) 75 ( * ) .

La région de Mindanao, au sud de l'archipel philippin , a toujours été le théâtre d'affrontements entre populations musulmanes, catholiques et groupes indigènes pour la possession de la terre. Ces rivalités se sont accentuées depuis le début du XX ème siècle, en raison notamment d'un phénomène de migration de populations chrétiennes du nord et du centre de l'archipel vers Mindanao. Les premiers affrontements entre le gouvernement philippin et des groupes indépendantistes musulmans, notamment le Front national de libération moro (MNLF) créé en 1969, ont débuté dans les années soixante-dix, faisant plus de 60 000 victimes entre 1970 et 1976. Les mouvements nationalistes musulmans se sont divisés avec la création en 1977 du Front islamique de libération Moro (MILF) à partir d'une scission du MNLF. Le gouvernement philippin et le Front islamique de Libération Moro (MILF) sont parvenus le 27 mars 2014 à un « accord de paix global sur Mindanao », qui prévoit la création d'une région autonome dans l'Ouest de Mindanao ; le Bangsamaro , objet d'un projet de loi puis d'une ratification référendaire.

Source : Ministère des affaires étrangères

3. La militarisation de l'appareil d'État

La question du poids de l'armée et de son rôle social et institutionnel est dans bien des États centrale.

Ainsi en est-il historiquement non seulement en Birmanie et en Thaïlande, mais aussi au Vietnam, voire en Indonésie, pays qui a pourtant entamé avec succès un tournant démocratique depuis plusieurs décennies. Dans bien des pays, le rôle de l'armée continue d'être sinon prédominant, du moins encore politiquement influent.

En Thaïlande , la junte militaire auteur du coup d'État (cf. ci-dessus) ambitionne de mener un programme de réformes de grande ampleur dans les domaines de la lutte contre la corruption, de la rédaction des textes de loi, du fonctionnement des agences indépendantes et du développement des infrastructures... Il faut noter qu'elle peut paradoxalement s'appuyer sur une série d'études qui font apparaître un certain soutien de la population. En effet, selon plusieurs sondages de l'Université Suan Dusit, 72% des sondés estiment que " la situation est redevenue plus calme " depuis le coup d'État, 50,8% sont " satisfaits " de la gestion de la junte, 49% estiment que la junte " exerce son pouvoir de manière appropriée ". D'autres enquêtes de l'Institut national NIDA indiquent que 41% des personnes interrogées souhaitent que Prayuth Chan-Ocha soit le prochain Premier ministre. Il convient cependant de prendre ces sondages avec précaution compte tenu du contexte (menaces, restrictions à la liberté d'expression, méthodologie incertaine). Parallèlement, répression, convocations et condamnations se poursuivent...

En Birmanie , la question de la place de l'armée (exorbitante dans la Constitution actuelle) est naturellement cruciale pour la future évolution du système politique.

4. Le respect des droits de l'Homme (et de l'enfant) et les entraves à la liberté d'expression politique

Outre la situation très préoccupante des minorités ethniques et des prisonniers politiques en Birmanie , évoquée ci-dessus, la situation des droits de l'Homme demeure préoccupante dans plusieurs États de la région.

Au Vietnam , par exemple, toute dissidence est réprimée par de lourdes peines de prison ou des mesures de privation des droits civiques. Un contrôle s'exerce en particulier sur les média et sur la blogosphère, très active dans ce pays. D'après les ONG 76 ( * ) , 200 prisonniers politiques seraient encore emprisonnés au Vietnam en mai 2014, soit un chiffre record en Asie du Sud-Est. Certaines sources 77 ( * ) font état de près de 2 000 arrestations de bloggeurs et militants pro-démocratie entre janvier et juin 2013. Le pays est classé dans les derniers rangs mondiaux par Reporters sans frontières pour la liberté de la presse.

La question du respect du droit des enfants touche particulièrement l'Asie, notamment dans les pays les moins avancés économiquement.

La région Asie-pacifique compte le plus grand nombre d'enfants astreints au travail : 113,6 millions d'après l'OIT 78 ( * ) , soit en moyenne un enfant sur huit (13,3 % en moyenne dans toute la région).

L'UNICEF fait état des chiffres suivants :

Travail des enfants (2005-2012)

Cambodge

36%

Laos

10%

Vietnam

7%

Source : http://www.unicef.org/eapro/EN-FINAL_FULL_REPORT.pdf

G. UN DÉVELOPPEMENT VERTIGINEUX NON EXEMPT DE DÉSÉQUILIBRES

1. Une dépendance énergétique croissante

Traditionnellement producteurs et importateurs d'énergie, la croissance des besoins énergétiques au sein des pays de l'ASEAN est telle qu'ils feront globalement face à une dépendance énergétique croissante dans les prochaines années. L'ASEAN compterait 170 millions d'habitants (sur 640 millions) sans accès à l'électricité 79 ( * ) . Les besoins en énergies sont immenses et croissants, en particulier compte tenu du rythme élevé de développement.

Source : service économique régional de Singapour, « Énergie : l'ASEAN a mangé son pain blanc », in Horizon ASEAN, mai 2013

Jusqu'à présent 80 ( * ) , l'ASEAN avait su produire suffisamment d'énergie pour satisfaire la demande régionale, malgré un essoufflement de la production pétrolière. Or les estimations prévoient un net renversement de tendance dans les années à venir, car la consommation augmente à un rythme beaucoup plus élevé que la production.

La demande globale en énergie en Asie du Sud-Est a été multipliée par 2,5 depuis 1990 . Elle est aujourd'hui équivalente à 75% de la demande indienne, et contribue fortement au déplacement vers l'Asie du centre de gravité de la demande énergétique. Cette demande devrait augmenter d'environ 80% entre 2011 et 2035, soit deux fois plus vite que la demande mondiale, pour atteindre le niveau de la demande actuelle en énergie du Japon.

En effet, quels que soient les scénarios de prévision, l'accroissement de l'écart entre la consommation et la production dans les années à venir semble inévitable, du fait de l'explosion de la demande.

Or étant donnée la maturation des champs d'hydrocarbures dans beaucoup de pays, l'insécurité énergétique s'accroît. La région est en effet largement dépendante des importations de pétrole, mais aussi à plus long-terme de gaz naturel.

Au regard des anticipations de consommation, la sécurité d'approvisionnement va devenir une priorité criante, à commencer par le pétrole. L'ASEAN est en effet déjà importatrice nette de pétrole , mais sa dépendance devrait selon la banque asiatique de développement passer de 25% en 2011 à 73% en 2030 et 88% en 2050.

Dans le cas du gaz , la situation semble plus favorable du fait de l'augmentation progressive de la production (elle devrait passer de 200 milliards de mètres cube en 2008 à 250 en 2030 et 280 en 2050). Toutefois, la demande devrait progresser beaucoup plus rapidement, entraînant logiquement une forte baisse de la capacité à l'export, et un déficit après 2030.

En ce qui concerne le charbon , comme cela a déjà été dit, il s'agit de la seule ressource dont l'ASEAN devrait rester exportatrice nette (au moins à moyen-terme), ce presqu'uniquement grâce à l'Indonésie. La production devrait augmenter de 75% d'ici 2030, puis de 35% entre 2030 et 2050. 80% du charbon viendra d'Indonésie, le reste du Vietnam et de Thaïlande. Toutefois, la consommation devrait également très fortement augmenter, de 7,7% par an en moyenne d'ici 2030 (d'après l'Agence internationale de l'énergie), soit le taux de croissance le plus élevé des trois hydrocarbures. Cette évolution devrait très largement être due à l'expansion rapide des centrales au charbon pour la production d'électricité, dont les projets sont nombreux et concernent presque l'ensemble des pays (même si leur nombre parait modeste à l'échelle mondiale). Au total, le poids du charbon dans le mix énergétique devrait passer de 16% en 2011 à 28% en 2035. Le charbon fournira alors 58% du combustible pour la production d'électricité.

Selon l'Agence internationale de l'énergie, la croissance de la consommation d'électricité devrait d'ailleurs dépasser celle du PIB dans l'ASEAN, et rendre nécessaire une augmentation de la capacité installée de 40% d'ici 2030.

2. Une urbanisation accélérée qui enfante de tentaculaires mégalopoles
a) L'Asie des mégapoles tentaculaires....

En 2010, 250 millions de personnes dans l'ASEAN, soit 42% du total, vivaient dans des villes. En 2025, cette proportion sera de 50% 81 ( * ) .

Des « mégalopoles » se constituent, gigantesques villes congestionnées au développement parfois aussi accéléré qu'anarchique.

Jakarta , en plein boom, est ainsi une ville de plus de 10 millions d'habitants sans métro, où se côtoient les quartiers d'affaires les plus rutilants et des habitats délabrés, où les égouts sont à ciel ouvert au milieu des quartiers les plus prestigieux, et où l'assainissement collectif, les services publics de base et les transports publics sont encore soit embryonnaires, soit largement insuffisants.

La population de Manille , de près de 12 millions d'habitants, devrait atteindre 16 millions d'habitants en 2025.

4 villes d'Asie du Sud-Est auront entre 10 et 15 millions d'habitants en 2025 : Manille, Jakarta, Bangkok et Ho Chi Minh Ville.

TAUX D'URBANISATION EN 1990, 1995, 2000, 2005 ET 2012

Source : Banque asiatique de développement

POPULATION DES PRINCIPALES VILLES DE L'ASEAN

Chaque jour, l'étalement urbain et la croissance démographique accroissent leur retard en capacités et infrastructures, avec pour conséquence à Bangkok, mais surtout à Manille et Jakarta, des populations en marge, sans accès aux réseaux d'eau et d'assainissement, de transport, et souvent logées dans un habitat précaire. Les questions d'aménagement urbain, de réforme foncière, d'accès au crédit, de construction, sont donc posées avec une acuité toute particulière. Proposer une urbanisation intégrée, avec l'accès pour le plus grand nombre aux services essentiels, est, pour ces gouvernements, un gigantesque défi économique et social.

b) ...coexiste avec un sud-est asiatique encore essentiellement rural

La proportion de la population rurale est pourtant encore très importante, notamment dans certains pays, comme la Birmanie, mais aussi le Vietnam, le Laos, ou les Philippines, qui n'ont pas adopté le modèle de croissance basé sur l'assemblage et l'exportation de produits industriels.

En général, l'agriculture y est peu productive . Au Vietnam par exemple, à l'exception des grands bassins de production agricole comme le delta du Mékong, on observe encore un faible taux de mécanisation. La différence de revenus et de style de vie entre la ville et la campagne y est d'ailleurs encore très marquée.

STRUCTURE DU PIB : LA PART IMPORTANTE DU SECTEUR AGRICOLE

Source : présentation de M. Jean-Raphael Chaponnière devant votre commission

3. Des besoins criants en infrastructures

Partout, le besoin en infrastructures est criant. Au total, les besoins en infrastructures ont été estimés à 1 000 milliards de dollars entre 2010 et 2020, soit plus du quart des besoins asiatiques. 43% des besoins concernent les transports, 36% l'électricité, 15% les technologies de l'information et 6% l'eau.

L'Indonésie se place en premier dans la liste des pays demandeurs avec 39% du total, devant la Malaisie (17%) et la Thaïlande (15%), loin devant les trois pays les moins avancés.

Vos rapporteurs ont pu constater le retard pris par le Vietnam et l'Indonésie en matière de transport urbain.

Ces deux pays ne disposent actuellement d'aucune ligne urbaine moderne. Deux causes principales expliquent ce retard : les problèmes d'organisation administrative et de gouvernance, et le manque de financement.

Certains travaux ont pourtant commencé il y a déjà plusieurs années, mais ceux-ci sont régulièrement arrêtés. Toutefois, il semble que les projets se concrétisent enfin.

La ligne pilote du métro d'Hanoï (ligne 3), financée par l'aide au développement française, a débuté sa construction il y a plusieurs années. La France finance la majeure partie des 1,1 milliard d'euros nécessaires à la construction de ces 12,5 km de métro, qui assureront en principe à partir de 2016 un débit de 200 000 personnes par jour. Les deux premières lignes du métro d'Hô Chi Minh Ville ont débuté leurs constructions respectivement en février 2008 et en août 2010 pour un total de 1,8 milliard d'euros. Le financement est essentiellement international, avec en tête le Japon, qui finance 83% du coût de la ligne 1.

À Jakarta , les problèmes de congestion du trafic constituent aujourd'hui un handicap majeur pour le développement de la ville et du pays. Le plan d'urbanisation a pris du retard, mais la construction de la première ligne, le North-South MRT , commence timidement. La première section du métro devrait ouvrir à partir de 2016 et servir 212 000 passagers par jour. C'est la ville de Jakarta et l'Agence japonaise de coopération internationale (JICA) qui assurent le financement, à hauteur de 3,2 milliards d'euros.

4. Une dynamique économique très inégale suivant les pays : une région fragmentée

Le concept « ASEAN-6 », couramment utilisé, notamment en matière économique, illustre bien les disparités régionales et la difficulté d'englober dans une même analyse des pays au différentiel de développement aussi prononcé que Singapour et la Birmanie, la Malaisie et le Cambodge. Rappelons que le niveau de richesse dans la région varie de 915 dollars par habitant dans le cas de la Birmanie à 53 000 dollars à Singapour ...

Les écarts sont importants et vont respectivement de 1 à 86 (entre le Laos et l'Indonésie) pour le PIB et 1 à 58 (entre la Birmanie et Singapour) pour le PIB par habitant. Les inégalités entre les pays membres de l'ASEAN tendent en outre plutôt à s'accroître qu'à se réduire.

PIB 2013 (milliards de dollars)

Ecart 1 à 86

PIB/habitant (dollars)

Ecart 1 à 58

Source : Panorama économique de l'ASEAN, service économique régional, direction générale du trésor, avril 2014

Ces pays ont en effet des héritages et des structures économiques si disparates qu'il est parfois difficile de parler de dynamique régionale.

DES HÉRITAGES ÉCONOMIQUES TRÈS DISPARATES

PIB par habitant (USD)

% Adultes alphabétisés

Emploi manufacturier
(en milliers)

% population active

Kilowatt-heure par habitant

Trains
(Km/100 km 2 )

Birmanie

396

100

1,00 %

1,4

0,42

Indonésie

840

Très faible

300

0,70 %

10,1

0,30

Malaisie

1 559

38 %

126

6,30 %

132,2

0,42

Philippines

1 070

Faible

78

0,70 %

41,0

0,30

Thailande

817

Faible

na

na

4,3

0,64

Vietnam

658

Faible

120

0,70 %

6,7

0,79

Japon

1 921

Elevé

3 800

7,80 %

438,0

7,27

Source : présentation de M. Jean-Raphael Chaponniere aux membres de la mission

5. La pauvreté et l'accès à l'éducation : des défis encore prégnants dans les États les moins avancés

La question de la pauvreté est encore criante dans certains pays comme le Laos, les Philippines, le Cambodge, le Vietnam ou la Birmanie.

PART DE LA POPULATION VIVANT SOUS LE SEUIL DE LA PAUVRETÉ EN 2012 (EN %)

Source : PNUD

Aux Philippines , par exemple, près du tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté. Le secteur agricole, peu productif, occupe près de 40% de la population active, mais contribue à moins de 15% du PIB. Le taux d'investissement est faible (15% du PIB), et les flux d'investissements directs étrangers sont maigres en comparaison des pays voisins (2% du PIB), en raison notamment d'un climat relativement moins favorable aux affaires.

L'accès à l'éducation est aussi un enjeu dans certains pays. Le graphique ci-dessous, qui mesure les années d'éducation, à la fois en France mais aussi dans plusieurs pays de la région Asie, montre la faiblesse du nombre d'années de scolarisation dans certains pays comme le Vietnam ou même l'Indonésie, à la fois pour la cohorte des 20-24 ans et pour l'ensemble de la population :

ANNÉES D'ÉDUCATION CUMULÉES

Source : Présentation de M. Jean-Raphaël Chaponnière aux membres de la mission

Ainsi par exemple, en Indonésie , l'accès au supérieur n'est pas universel et la qualité du système d'éducation supérieure n'est pas au même niveau que dans certains autres États de la région. Un classement australien 82 ( * ) qui mesure la « qualité » de l'enseignement supérieur en intégrant tant les ressources qui y sont consacrées (% du PIB, dépenses par étudiant), que son environnement (proportion d'enseignants...) -sa « connectivité » (proportion d'étudiants internationaux) ou sa « production » (nombre de publications, présence dans les classements internationaux) classe l'Indonésie au 50 ème rang, derrière la plupart de ses grands voisins.

« QUALITÉ » DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

Pays

Classement sur 7

Classement sur 50

Singapour

1

9

Corée

2

24

Malaisie

3

27

Chine

4

42

Thaïlande

5

47

Inde

6

49

Indonésie

7

50

6. La montée des inégalités sociales et la question criante de la redistribution sociale
a) Le creusement continu des inégalités et l'émergence de super-privilégiés

La croissance économique spectaculaire des pays asiatiques a permis sur les dernières années un net recul de la pauvreté absolue.

Dans une ASEAN qui réussit globalement à réduire la pauvreté globale, avec l'élévation des niveaux de vie, la croissance s'accompagne pourtant d'un creusement des inégalités .

L'ASEAN a désormais une classe très fortunée qu'on estime 83 ( * ) à 40 millions de personnes. Dans le classement Forbes 2012, trois Thaïlandais 84 ( * ) se positionnent dans les 200 premières fortunes mondiales.

Lors de leur mission en Indonésie et au Vietnam, vos rapporteurs ont pu observer l'émergence de cette classe de « super privilégiés » qui consomme des produits de luxe et explique le succès des marques automobiles très haut de gamme. On trouve désormais dans le centre de Hanoï les mêmes enseignes qu'avenue Montaigne. En Indonésie, le nombre de millionnaires explose, tandis qu'à Singapour, un ménage sur cinq est millionnaire : c'est la plus forte proportion mondiale.

Mesuré par l'indice de Gini (qui évalue la dispersion des revenus sur une échelle de 0 à 1, où 0 représente une distribution égalitaire parfaite (tous les revenus sont égaux), et 1 correspond à la plus grande inégalité (un individu ou un ménage perçoit la totalité des revenus)), les pays de l'ASEAN affichent un indice de Gini proche ou supérieur à 0,4 , valeur qui correspond au seuil des sociétés fortement inégalitaires 85 ( * ) . Il s'établit ainsi à 0,39 en Indonésie, à 0,473 à Singapour, et à 0,536 en Thaïlande.

Dans les pays de l'ASEAN, le décile le plus riche totalise plus de 30% de la consommation nationale, alors que le décile le plus pauvre en occupe moins de 4%. Le rapport entre les dépenses des premier et dernier quintile est de à 20 à 1 en Indonésie (pour un écart de 9 à 1 en moyenne pour les pays de l'OCDE).

Les signes de l'émergence d'une classe de « super riches »

En Indonésie , on appelle les « Ibu Ibu » (littéralement, « Madame Madame ») des consommatrices très fortunées, issues de la classe des « nouveaux riches » indonésiens, en général oisives, qui cherchent des marques ou produits exclusifs et sont fortement consommatrices de produits de luxe. Leur panier d'achat peut atteindre 100 000 euros (en une seule fois). Un traitement spécial est réservé à ce type de clientèle dans les centres commerciaux ( lounge d'accueil...), parfois en partenariat avec des établissements bancaires.

Au Vietnam , le succès des écoles internationales privées d'inspiration anglo-saxonne (du type American school, British international school) ou australienne ne se dément pas, en dépit de droits de scolarité extrêmement élevés (de l'ordre de 5000 euros par trimestre et par enfant). La liste d'attente pour entrer dans ce type d'établissement est longue.

Plusieurs Thaïlandais figurent dans le classement des plus grosses fortunes du magasin américain Forbes.

b) La question de la redistribution sociale : l'exemple de la crise du secteur du textile au Cambodge

La question de la redistribution sociale est posée par exemple au Cambodge, avec la crise des salaires dans le secteur textile.

Sous la poussée des hausses de salaires en Chine notamment, la montée en puissance de l'industrie de la confection, délocalisée vers le Cambodge principalement (ainsi que vers le Vietnam), a été si rapide, au cours des dernières années, qu'elle est devenue dans ce pays le premier moteur de la croissance économique.

En hausse de près de 20% par rapport à 2012 86 ( * ) , la valeur des exportations de vêtements et chaussures cambodgiennes s'est ainsi élevée en 2013 à 5,4 milliards de dollars, plus du tiers du PIB, exportés aux 4/5 èmes vers l'Union européenne et l'Amérique du Nord. Son poids dans la production nationale est désormais plus important que ceux du secteur agricole et du tourisme, les deux autres moteurs de l'économie cambodgienne.

Le secteur textile, au sens large, emploie directement 600 000 personnes, en majorité des jeunes femmes âgées de moins de 25 ans, généralement hébergées dans des dortoirs situés sur les lieux de production, et qui restituent les 2/3 de leurs salaires à leurs familles, lesquelles résident, le plus souvent, en dehors des centres urbains.

Face aux conditions salariales très basses, les mouvements sociaux se sont multipliés, les grèves récentes ayant entraîné la perte de 825 000 journées de travail depuis juillet 2013, contraignant les fournisseurs à payer des pénalités et poussant certaines marques à délocaliser à nouveau, vers le Vietnam ou la Birmanie. Les affrontements entre grévistes et forces de l'ordre ont monté en intensité, l'épisode le plus violent, en janvier 2014, ayant provoqué la mort de 5 manifestants, tués par les unités de police chargées de « protéger » un site de production coréen. Une vingtaine de responsables syndicaux sont, depuis cette date, incarcérés à Phnom Penh. Jugée arbitraire par les syndicats et l'opposition, cette détention constitue d'ailleurs l'un des principaux motifs des grèves des derniers mois.

Même si elle ne prend pas les mêmes proportions qu'au Bengladesh, la sécurité des employés est, à côté des salaires, un autre sujet de revendication. Les conditions de travail -chaleur, prise en charge des accidents- sont jugées insuffisantes dans 15% des sites de production, (en majorité gérés par des investisseurs chinois), car ne respectant pas les règles de salubrité les plus élémentaires.

Mais c'est la question des salaires qui cristallise le plus les mécontentements. Les autorités cambodgiennes ont relevé le niveau du « salaire minimum textile » de 68 à 100 dollars par mois. En pratique, le revenu mensuel d'une ouvrière du textile avoisinerait, en moyenne, les 200 dollars, en tenant compte des avantages en nature, des heures supplémentaires et des jours fériés travaillés, alors que les syndicats du secteur évaluent à 160 dollars mensuels le minimum nécessaire pour vivre à Phnom Penh et exigent que le salaire de base soit relevé à ce niveau. Ils contestent l'évaluation officielle de l'inflation (4,5% en 2013), estimant que les dépenses réelles des ménages (alimentation, habillement, énergie, santé) ont progressé de 14% en 2013.

Au total, les coûts de la main d'oeuvre ne compteraient que pour 12% des coûts de fabrication textile, reflet des faibles niveaux de rémunération dans ce pays.

7. Des flux de migrants engendrés par les différentiels de développement

Avec 11,6 millions de migrants 87 ( * ) en 2010 (5,4% du total mondial), les pays de l'ASEAN sont caractérisés par des flux migratoires relativement dynamiques.

Même si l'on est encore loin de ce qui s'observe à la frontière américano-mexicaine, les différences de structures productives et l'hétérogénéité des niveaux de développement et de revenus expliquent que près d'un tiers des flux migratoires soit des flux intra-régionaux.

Deux types de flux migratoires apparaissent : d'une part, la densité des flux entre la Malaisie et Singapour s'explique en partie par leurs besoins respectifs en main-d'oeuvre qualifiée , ces deux pays étant l'un pour l'autre la première destination des travailleurs migrants.

D'autre part, Singapour, la Malaisie et la Thaïlande ont également des besoins importants en main-d`oeuvre non qualifiée dans certains secteurs (agriculture, travaux domestiques, construction) et les Philippines et le Vietnam sont des exportateurs nets de travailleurs (respectivement 4,3 millions et 2,2 millions de personnes en 2010). Ces deux pays bénéficient à ce titre de transferts de fonds des travailleurs migrants particulièrement dynamiques et largement supérieurs à la moyenne régionale (représentant 10,3% du PIB aux Philippines et 7% au Vietnam). Ces transferts sont ainsi la source de financement extérieur la plus importante pour ces pays, devant les investissements étrangers entrants et l'aide publique au développement. Ces flux peuvent alors contribuer directement à leur développement économique, en augmentant le revenu disponible des ménages et les investissements productifs et en capital humain.

La question du traitement des travailleurs étrangers émerge dans le débat public : ainsi la grève des chauffeurs de bus à Singapour en novembre 2012 a-t-elle révélé le malaise de ces populations migrantes qui perçoivent des salaires peu élevés. Le gouvernement singapourien a ainsi été amené à réviser la grille des salaires. Il faut noter que le Premier ministre Lee Hsien Loong a lui-même baissé son salaire de 36% (qui serait d'1,4 million d'euros annuels, soit 4 fois plus que le salaire du Président américain 88 ( * ) ).

Le sujet des violations des droits des travailleurs étrangers ou illégaux est également une préoccupation. À Jakarta, vos rapporteurs se sont entretenus avec des représentants de think tanks sur la question préoccupante des abus commis sur des travailleuses indonésiennes dans d'autres pays de la région et dans les États du Golfe.

Le nombre de personnes employées en tant que personnel de maison est estimé 89 ( * ) à 4 millions en Indonésie, 1,7 million aux Philippines, 300 000 en Malaisie, pour la plupart indonésiennes comme à Singapour (200 000). Ce secteur « invisible » assurerait 5% de l'emploi urbain. Certaines personnes sont en situation de grande dépendance ou de quasi-esclavage et les violations même graves de leurs droits donnent rarement lieu à des poursuites pénales.

8. La gangrène des trafics

L'Asie du Sud-Est n'est pas qu'un eldorado économique en phase de rattrapage sur l'Occident. C'est aussi, depuis des siècles bien souvent, une région où abondent les trafics.

Piraterie, trafics de migrants, de stupéfiants, de papiers d'identité, de sable, d'espèces animales et végétales, d'objets de contrefaçon... les experts s'accordent pour reconnaitre l'importance du phénomène et mettre en lumière la diversité et la complexité des trafics dans la région, ainsi que des routes qui servent à leur développement -concentrées, dans l'Asie du Sud Est continentale, autour de dizaines de points nodaux transfrontaliers 90 ( * ) .

Ces routes permettent aux contrefaçons chinoises, à l'héroïne et à la métamphétamine birmanes, et aux armes d'origine cambodgienne, d'alimenter l'Asie du Sud-Est et au-delà.

Rien qu'en Birmanie , deuxième producteur mondial (derrière l'Afghanistan), les champs de pavot, dont la culture est en progression constante, représenteraient plus de 50 000 hectares et concerneraient plus de 300 000 paysans 91 ( * ) , à l'Est du pays, près de la frontière laotienne et thaïlandaise, et dans le Kachin.

Au-delà de la seule culture, on observe en outre une diversification de la production de drogues , non seulement de l'héroïne, dérivée de la production de l'opium, mais aussi de drogues de synthèse comme les métamphétamines. En Birmanie , ces drogues seraient surtout fabriquées dans l'état Shan, dans de petits laboratoires mobiles et isolés, et ensuite acheminées vers le Yunnan et la Thaïlande. Ce trafic serait lié à celui du trafic d'armes qui sévit dans les zones où existent des rébellions armées.

SURFACES PLANTÉES EN OPIUM (HECTARES)

Source : ONUDC http://www.unodc.org/unodc/secured/wdr/wdr2013/World_Drug_Report_2013.pdf

Les contrefaçons de médicaments sont principalement vietnamiennes et chinoises. La traite des personnes se fait entre la Chine et la Birmanie, mais aussi entre la Birmanie et la Thaïlande, entre le Cambodge, la Thaïlande et le Vietnam, entre la Chine et le Vietnam 92 ( * ) . Elle concerne non seulement la prostitution mais aussi les enfants mendiants (enfants cambodgiens dans les rues en Thaïlande par exemple), les employés de maison, ouvriers du bâtiment et ouvriers agricoles birmans « quasi-esclaves 93 ( * ) » en Thaïlande.

D'après certaines estimations 94 ( * ) , sur les 20,9 millions de travailleurs « forcés » dans le monde, l'Asie serait la région la plus touchée avec 4,5 millions d'individus recensés (68% de travailleurs « forcés » et 22% de travailleurs « sexuels »). Le nombre de condamnations au sein de l'ASEAN pour ce type de faits se serait limité à 7 700 condamnations en 2012.

La situation de la Thaïlande au regard de la traite des êtres humains est tristement connue et vient d'être à nouveau épinglée par le rapport 2014 sur la traite des êtres humains ( Trafficking in persons Report 2014 ) du département d'État américain, qui dénonce la Thaïlande comme étant « un pays d'origine, de destination et de transit pour les hommes, femmes et enfants soumis au travail forcé et à l'exploitation sexuelle ». Les victimes de ce trafic d'êtres humains dans le royaume, que le rapport estime à des dizaines de milliers au minimum, sont majoritairement des travailleurs migrants illégaux provenant des pays voisins, mais pas seulement, obligés de travailler et exploités principalement dans les industries de la filière pêche, dans le secteur du textile et comme personnels domestiques, ainsi que dans le commerce local et international du sexe.

Les efforts des autorités thaïlandaises pour lutter contre ce fléau se sont concrétisés en 2013 par des enquêtes menées dans 674 cas de trafic d'êtres humains, soit une hausse de 83% par rapport à 2012, conduisant à la condamnation de 225 trafiquants. Le problème semble toutefois loin d'être endigué.

La Birmanie qui détient la plus grande réserve mondiale de teck, est le principal exportateur de bois et le principal fournisseur d'un trafic souvent illégal, suivi par le Cambodge. Le braconnage généralisé se ferait en direction du marché chinois, pour fournir les pharmacies traditionnelles ou pour les gibiers (cerfs) vers les autres pays d'Asie du Sud-Est.

Source : P.-A. Chouvy (CNRS-Prodig) www.geopium.org

La contrefaçon documentaire (liée en particulier à l'immigration clandestine) est également développée, notamment en Thaïlande : acquisition délictueuse de passeports, achat de billets d'avion via de fausses références bancaires, usurpations d'identité auraient été pratiqués 95 ( * ) à partir de la Thaïlande pour deux passagers dans le cas de l'avion de la compagnie Malaysian Airlines MH370. La fraude documentaire revêt deux formes : contrefaçon complète, avec fabrication intégrale de faux, ou falsification de documents authentiques par modification de certains éléments (noms...). Elle est utilisée dans le cadre des différents trafics (drogue, médicaments, animaux, main d'oeuvre étrangère), et du blanchiment d'argent.

L'immigration clandestine passe en grande partie par la Thaïlande puis, comme porte de sortie, par le Vietnam, le Laos, le Cambodge, la Malaisie ou l'Indonésie. Les réseaux de trafiquants iraniens prennent en main l'immigration de ressortissants venus d'Asie de l'Ouest (Iran, Irak, Syrie), tandis que le flux de clandestins de la zone Afghanistan-Pakistan est contrôlé par les Pakistanais. Des milliers de migrants essaient chaque année de rejoindre l'Australie ou le Canada, voire l'Europe, par ce biais. Ces réseaux semblent particulièrement bien implantés en Thaïlande. Le flux des touristes (23 millions par an) offrant des occasions nombreuses de vol de passeport. La question de la gestion de l'immigration illégale est d'ailleurs un « irritant » entre l'Indonésie et son voisin australien.

CHAPITRE 2 : DANS UNE ASIE DU SUD-EST COURTISÉE, AU CENTRE DES RIVALITÉS MONDIALES, LA FRANCE PEINE À EXISTER

I. UNE RÉGION TOTALEMENT INTÉGRÉE À LA MONDIALISATION, OÙ RIVALISENT LES PUISSANCES, AU CoeUR DU BASCULEMENT GÉOPOLITIQUE DU MONDE

A. DES ÉCONOMIES OUVERTES QUI MULTIPLIENT LES ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE

1. Des économies particulièrement ouvertes, une insertion de plus en plus complète dans les flux d'échange mondiaux

L'Asie du Sud-est est de plus en plus intégrée à l'économie mondialisée . Cinq pays de l'ASEAN ont des échanges extérieurs qui représentent plus de 100 % du PIB (Singapour, Malaisie, Thaïlande, Vietnam et Cambodge 96 ( * ) ). Le pays le moins internationalisé commercialement, l'Indonésie, a un ratio commerce extérieur sur PIB qui dépasse cependant les 40 %, c'est-à-dire proche du ratio français 97 ( * ) .

Source : Panorama économique de l'ASEAN, service économique régional de Singapour, direction générale du Trésor, avril 2014

2. Des accords de libre-échange qui se multiplient

Pour autant, les obstacles aux échanges et les problèmes d'accès au marché pour les produits étrangers sont encore nombreux, même s'ils sont considérés dans l'ensemble moins élevés au sein de l'ASEAN qu'en Chine ou en Inde.

À des droits de douane encore parfois très élevés (qui entravent par exemple l'exportation de produits alimentaires ou d'automobiles), se rajoutent des obstacles non tarifaires aux échanges.

LES OBSTACLES NON TARIFAIRES AUX ÉCHANGES

L'accès aux marchés demeure un sujet de préoccupation. S'agissant des règles de l'OMC, l'Indonésie, les Philippines et la Malaisie, la Thaïlande et le Vietnam ont multiplié les mesures de sauvegardes et imposé des entraves au commerce (mise en place de réglementations, mesures ou normes techniques et sanitaires (SPS) pouvant être assimilés à des obstacles non tarifaires au commerce (OTC) et recouvrant parfois une dimension discriminatoire (exigences halal, limites de radioactivité, réglementations sur les alcools, contraintes d'étiquetage). L'Union Européenne a déjà demandé des consultations à l'OMC.

L'exemple de l'exportation des produits agroalimentaires est parlant. De nombreux obstacles au marché (droits de douane, taxes intérieures, licences d'importation, obstacles sanitaires) limitent la progression des vins et spiritueux et la diversification de nos ventes vers les productions animales et végétales.

Prenons l'exemple de l'exportation de viande française 98 ( * ) : à une quasi-absence de réglementation sanitaire et phytosanitaire jusqu'en 2006, se sont substituées des exigences techniques et administratives complexes, imposées par les autorités de nos destinations préférentielles (Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande et Vietnam). L'allègement des procédures à Singapour depuis 2011 demeure l'exception, alors qu'Indonésie et Malaisie ajoutent des exigences halal, dont l'absence de transparence amène les professionnels à repenser leur volonté d'exportation de viande (hors porc) vers ces pays.

Depuis 2009, le long et complexe processus d'agrément des établissements progresse et devrait, en 2014, porter ses fruits, en particulier aux Philippines, en Thaïlande, au Vietnam (boeuf) et en Malaisie (porc).

Lever ces obstacles tarifaires et non tarifaires est tout l'enjeu des accords de libre-échange en cours de négociation. De fait, la région est prise d'une sorte de « frénésie » des accords de libre-échange, véritable « course » aux accords de libre-échange.

a) Les accords intra-asiatiques et le projet d'accord avec la Chine

D'après la Banque asiatique de développement 99 ( * ) , on dénombre des dizaines d'accord de libre-échange en Asie du Sud Est. Tous les membres de l'ASEAN sans exception se sont en effet engagés dans un processus de plus en plus large d'accords, incluant les membres de l'ASEAN eux-mêmes, leurs partenaires de l'ASEAN + 3 (Chine, Japon et Corée), l'Australie, la Nouvelle Zélande et l'Inde.

ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE CONCLUS PAR LES PAYS D'ASIE DU SUD EST

Brunei (18 Accords)

Cambodge (12 Accords)

Indonésie (22 Accords)

Laos (14 Accords)

Malaisie (27 Accords)

Birmanie (13 Accords)

Philippines (16 Accords)

Singapour (38 Accords)

Thaïlande (29 Accords)

Vietnam (19 Accords)

Source : Banque asiatique de développement

La multiplication des accords a certes ouvert des débouchés nouveaux pour les entreprises, mais a aussi créé un environnement règlementaire complexe où s'enchevêtrent normes, règles et procédures douanières non homogènes. Ce biais, lié à la multiplication des accords, conduit paradoxalement à une augmentation des coûts de transaction.

Certains de ces pays sont également engagés dans des négociations de libre-échanges régionaux, avec le RCEP ( Regional Comprehensive Economic Partnership ). Les négociations au sein de l' « ASEAN+3 » (ASEAN, Japon, Chine, Corée du Sud), puis leur prolongement en 2012 au sein du RCEP, visent à créer la plus importante zone de libre-échange au monde en termes de population : un marché de plus de 3,4 milliards de consommateurs, avec un PIB cumulé avoisinant 21 000 milliards de dollars (29% du PIB mondial). Ce projet de partenariat régional regroupant 16 pays (ASEAN, Chine, Corée du Sud, Japon, Australie, Nouvelle-Zélande, Inde) devrait permettre de renforcer l'émergence d'un grand marché asiatique dont la logique de fonctionnement ne serait plus celle de l'atelier du monde, mais une logique de développement nettement plus autonome.

La zone de libre-échange Chine - ASEAN (ou CAFTA), qui a vu le jour le 1 er janvier 2010, est la première au monde pour sa population (1,9 milliard de consommateurs) et la 3 ème pour son PIB (après l'UE et l'accord de libre-échange nord-américain, le NAFTA). Le volume d'échanges couvert a été multiplié par 37 en 20 ans (à 400 milliards de dollars), et il croit chaque année de 20% 100 ( * ) .

Les dirigeants chinois, -le Président Xi Jinping en octobre au sommet de l'APEC, en particulier- défendent désormais la conclusion d'un traité de libre-échange élargi, ou « Accord de libre-échange Asie Pacifique » (FTAAP) qui, bien que présenté comme complémentaire du partenariat trans-pacifique (TPP) négocié autour des Etats-Unis (incluant 12 pays mais excluant la Chine), est généralement analysé comme une proposition plutôt concurrente, ou à tout le moins une critique implicite de la proposition défendue par les Etats-Unis.

b) L'initiative américaine de partenariat transatlantique

La stratégie du « pivot » américain vers l'Asie a aussi un volet commercial. Les Etats-Unis disposent d'un accord de libre-échange avec quasiment tous les pays de l' « ASEAN-6 », dont Singapour qui bénéficie d'un accord élargi, intégrant une libéralisation partielle des services financiers. Les États-Unis ont rejoint en 2010 les négociations du Trans-Pacific Partneurship, TPP 101 ( * ) , accord « de nouvelle génération », incluant des États au PIB cumulé de 29 000 milliards de dollars et se distinguant par une couverture élargie des sujets traités (29 chapitres de négociation), incluant des clauses relatives à la propriété intellectuelle, à la protection de l'environnement, au droit du travail et au règlement des différends.

Mais ce champ ambitieux de négociation n'est pas sans poser de problèmes, compte tenu de la diversité des situations notamment au sein de l'ASEAN. L'objectif de Singapour est de parvenir à une libéralisation des services, tout en portant une attention particulière aux modalités d'ouverture des marchés publics (la cité-État est caractérisée par un nombre important de sociétés liées à l'État et financées par son fonds souverain Temasek ). La Malaisie est, quant à elle, préoccupée par l'accès au marché américain pour ses produits agricoles, le Vietnam pour ses productions textiles. Les questions de droit du travail et de propriété intellectuelle soulèvent aussi des difficultés, en particulier pour la Malaisie. En outre, les pays de la région sont également très réticents à prendre des engagements contraignants dans le domaine social, qui viendraient entraver la conduite de leur politique intérieure, ce qui ne facilitera pas la négociation du volet « travail ». La même question se pose sur le volet environnement.

c) Les accords de libre-échange négociés avec l'Union européenne

À l'origine, l'Union européenne envisageait un accord de libre-échange interrégional avec les pays de l'ASEAN. Un mandat avait été confié en ce sens par le Conseil à la Commission européenne en avril 2007.

En 2009, suite à des difficultés résultant notamment de la trop grande hétérogénéité de la zone, la Commission a proposé de poursuivre sur des bases bilatérales les négociations.

Depuis, plusieurs négociations tendant à la conclusion d'accords de libre-échange ont été soit conclues (16 décembre 2012 avec Singapour ) soit entamées (avec la Malaisie le 5 octobre 2010, avec le Vietnam le 26 juin 2012 et avec la Thaïlande le 27 mai 2013).

Premier accord négocié avec un pays de la zone, l'accord avec Singapour doit être complété par un volet sur les investissements pour être finalisé, qui intègre des dispositions relatives à la transparence, aux mécanismes de règlement des litiges, et aux normes de protection des investissements.

L'intérêt de l'accord, au-delà de l'accès au marché singapourien qu'il confère, est aussi, pour les entreprises européennes, d'harmoniser leur traitement avec celui appliqué à leurs concurrentes étrangères dans différents secteurs clés des services (en vertu de la clause de « la Nation la plus favorisée », garantissant à des pays tiers des avantages commerciaux égaux à ceux dont bénéficie la nation la plus favorisée). Pour l'Union Européenne, cet accord constitue aussi une référence, sur laquelle s'appuyer afin d'améliorer l'accès aux autres marchés de l'ASEAN.

L'état des négociations des accords de coopération et de libre-échange entre l'Union européenne et l'ASEAN

(source : ministère des affaires étrangères, mars 2014)

Pays

État d'avancement des négociations (accords de partenariat et de coopération APC et accords de libre-échange ALE)

Brunei

1) Accord de partenariat et de coopération : Les négociations ont été lancées officiellement le 26 avril 2012. Le quatrième « round » de négociations s'est tenu à Bandar Seri Begawan les 11 et 12 novembre 2013.

2) Le Brunei souhaite engager des négociations sur un accord bilatéral de libre-échange avec l'Union européenne, mais souhaite également que les négociations reprennent sur un ALE de région à région (UE-ASEAN).

Indonésie

1) Accord de partenariat et de coopération signé en novembre 2009.

2) Les discussions en vue d'un approfondissement de la relation commerciale UE-Indonésie par la négociation d'un Accord de Partenariat Economique Global (APEC) débutent à peine. L'UE et l'Indonésie envisagent d'engager un travail préparatoire afin de définir le champ et le niveau d'ambition de cet accord (document de cadrage préalable à des négociations).

Malaisie

1) Les négociations sur un accord de partenariat et de négociation UE-Malaisie ont débuté fin 2010. Le dernier « round » de négociations s'est déroulé en juillet 2012.

2) Les négociations sur un accord de libre-échange ont débuté en parallèle. Le dernier « round » de négociations s'est déroulé en septembre 2012.

Philippines

1) APC signé le 11 juillet 2012, en marge du forum régional de l'ASEAN à Phnom Penh.

2) ALE : Élaboration en cours d'un document de cadrage pour définir le périmètre. La dernière réunion de hauts fonctionnaires UE-Philippines a eu lieu à Bruxelles le 11 juin 2013.

Singapour

1) Les négociations entre l'Union européenne et Singapour à propos d'un Accord de partenariat et de coopération se sont achevées le 1 er juin 2013.

2) L'Union européenne et Singapour ont paraphé le 20 septembre 2013 une partie de l'accord de libre-échange, le chapitre investissement restant pour sa part toujours pendant.

Thaïlande

1) Négociation de l'accord de partenariat et de coopération lancée en 2004. Le compromis global sur les questions non résolues - Cour pénale internationale, anti-dumping, mesures sanitaires et phytosanitaires, armes de destruction massive - a été conclu le 14 février 2013. La conclusion des négociations a été annoncée pendant la visite de la PM Yingluck Shinawatra à Bruxelles le 6 mars 2013.

2) Négociation de l'accord de libre-échange (ALE) lancées le 6 mars 2013. Première session de négociations à Bruxelles du 27 au 31 mai 2013, deuxième session du 16 au 20 septembre 2013 à Chiang Mai.

Vietnam

1) APC signé le 27 juin 2012, à Bruxelles.

2) ALE : L'UE et le Vietnam ont engagé les négociations le 26 juin 2012. 6 ème session de négociation du 13 au 17 janvier 2014 à Bruxelles.

B. DES PUISSANCES GLOBALES ET RÉGIONALES QUI ÉTENDENT LEUR INFLUENCE, DANS UNE LOGIQUE « BISMARCKIENNE » D'ÉQUILIBRE DES PUISSANCES

1. La Chine, partenaire privilégié « obligé »

Le poids de la Chine en Asie du Sud-Est est sans cesse croissant. Il se manifeste tout d'abord par l'augmentation des échanges commerciaux , dont les chiffres très dynamiques ont déjà été rappelés. Par la place prise, partout, par des communautés chinoises très actives sur le plan commercial. Comme cela a déjà été dit, les investissements chinois à destination des pays de l'ASEAN sont également en croissance rapide depuis 2005.

Poids géostratégique , aussi, désormais bien au-delà de la sphère de ses alliés traditionnels dans la région (Laos, Cambodge, Birmanie), avec la montée en puissance de l'appareil militaire chinois et l'affirmation de ses revendications, notamment maritimes. Partout, la porosité avec l'hinterland chinois ou le flux massif des investissements directs chinois créent des liens de dépendance mutuelle très forts. À tel point que, qualifiant cette relation d'« obligée », certains analystes constatent qu'aucun pays d'Asie du Sud Est n'est disponible pour conduire une réelle politique d'endiguement chinois, et que même aux Philippines, en pointe sur les contentieux de délimitation et de souveraineté maritimes avec la Chine, avec la saisine d'un tribunal arbitral, il existe de fortes communautés chinoises, très bien intégrées, et des liens étroits, par exemple, entre les catholiques chinois et certaines communautés religieuses philippines -comme les assomptionnistes-....

De fait, la Chine a normalisé ses relations avec les pays de l'ASEAN dans les années 1990. Elle a institutionnalisé ses relations à travers divers forums régionaux (ARF, ASEAN+3, ADMM+, ASEM). En 2003, elle a été le premier pays non-ASEAN à signer le Traité d'amitié et de coopération (TAC) de l'ASEAN. La Chine et l'ASEAN ont adopté, en 2003 à Bali, une déclaration commune sur leur partenariat stratégique pour la paix et la prospérité, qui établit 43 mécanismes de travail conjoint, dont 12 au niveau ministériel. En 2010 a été instaurée entre la Chine et l'ASEAN la plus vaste zone de libre-échange du monde , regroupant plus de deux milliards de personnes....

A l'occasion du sommet ASEAN-Chine de 2013, le Ministre des Affaires étrangères chinois a proposé de rehausser l'ambition de cette coopération, proposant notamment la signature d'un traité de bon voisinage, d'amitié et de coopération, le renforcement des échanges en matière de sécurité (lutte contre les catastrophes naturelles, criminalité transfrontalière, cybersécurité), l'approfondissement de la zone de libre-échange pour atteindre 1 000 milliards de dollars d'échanges en 2020, et la construction d'une « route de la soie maritime » du 21 ème siècle.

Dans le champ économique , l'influence chinoise se déploie en s'appuyant sur les entreprises chinoises, bien sûr, mais aussi sur de nombreuses structures associatives, conférences ou foires, et naturellement sur l'aide au développement.

En Birmanie, par exemple, un oléoduc et un gazoduc reliant le port de Sitwe à Kunming, la capitale de la province de Yunnan, ont été construits par la China National Petroleum Corporation (CNPC), qui aurait offert 20 millions de dollars pour la construction de 43 écoles, 2 écoles primaires, 3 hôpitaux, 21 cliniques, un réservoir et un réseau électrique 102 ( * ) .

Les projets d'infrastructures deviennent un élément central pour accéder aux matières premières, et réduire la vulnérabilité chinoise à l'égard des routes internationales telles que le détroit d'Ormuz ou le détroit de Malacca. Ainsi en est-il de la série de ports en eau profonde, qui correspond à la stratégie dite du « collier de perles » dans la mer de Chine méridionale et l'océan Indien - de Sanya (Hainan) à Port-Soudan en passant par le Sri Lanka, le Bangladesh, la Birmanie et le Pakistan-. Bien que le premier usage de ces infrastructures soit certainement commercial, bien des analystes voient dans ces projets la projection d'une éventuelle puissance navale chinoise qui serait capable d'intervenir et assurer la protection des intérêts chinois le long des routes maritimes vitales 103 ( * ) .

L'ASEAN est devenue un partenaire central aux yeux de la Chine , surtout à l'heure d'un ralentissement économique relatif en Chine. On compterait 104 ( * ) 44 diplomates au bureau « ASEAN » du ministère des affaires étrangères chinois. 60 rencontres de niveau ministériel ont eu lieu en 2013 entre la Chine et les pays de l'ASEAN.

Les liens de dépendance mutuelle entre les pays de l'ASEAN et la Chine sont donc très forts et amènent à relativiser quelque peu l'acuité de certains contentieux territoriaux, terrestres ou maritimes : tout se passe comme si personne ne pouvait se permettre de se fâcher avec un si puissant voisin et un partenaire commercial de premier plan...

2. Le retour du Japon, dans une optique de « containement » de l'émergence chinoise ?

Jusqu'en 1990, le Japon était le premier partenaire commercial des pays de l'ASEAN. Cette place revient désormais à la Chine, mais le Japon reste le premier bailleur d'aide internationale, le second investisseur et le second partenaire commercial de l'ASEAN : il y dispose encore d'une position tout à fait centrale et reste le principal facteur d'entraînement économique de la zone.

PART DANS LE COMMERCE AVEC L'ASEAN (EXPORTATIONS)

Source : TAC from IMF data/ ASEAN stats, cités par Sophie Boisseau du Rocher, « The EU's strategic offensive with ASEAN : some room left but no time »

PART DANS LE COMMERCE AVEC L'ASEAN (IMPORTATIONS)

Source : TAC from IMF data/ ASEAN stats, cités par Sophie Boisseau du Rocher, « The EU's strategic offensive with ASEAN : some room left but no time »

Cette position nippone résulte notamment de la réaction des firmes japonaises face à l' endaka , ou réévaluation du Yen, dans la deuxième moitié des années 80 105 ( * ) . Les entreprises japonaises ont alors massivement délocalisé leur fabrication dans les pays de l'ASEAN , réorientant la production de leurs filiales vers l'exportation. C'est cette impulsion japonaise qui a transformé les économies du sud-est asiatique, les modifiant en économies exportatrices de produits manufacturés. Les pays de l'ASEAN sont devenus des tremplins pour l'exportation des produits japonais.

Le Japon a parallèlement toujours été l'un des premiers investisseurs étrangers dans l'ASEAN, y ayant investi 112 milliards de dollars 106 ( * ) . Le montant cumulé de l'investissement japonais est encore aujourd'hui 4 fois plus important que le montant cumulé des investissements chinois (environ 30 milliards de dollars), même si ceux-ci ont un fort taux de croissance.

Les entreprises japonaises restent les principaux acteurs industriels, avec leur présence dans l'électronique, l'automobile, la pétrochimie, principalement vers quatre pays de destination : Singapour, la Thaïlande, l'Indonésie et la Malaisie.

Avec l'émergence de la Chine, et sa montée en puissance dans les échanges de l'ASEAN, le Japon a pris l'initiative de proposer des accords bilatéraux de libre-échange à la plupart des pays de la région (le premier a été signé avec Singapour en 2002). Le Japon s'efforce ainsi d'organiser une plate-forme asiatique de libre-échange, notamment au travers du projet ASEAN + 6 ( Regional Comprehensive Economic Partnership : ASEAN, Japon, Corée, Chine, Inde, Australie et Nouvelle Zélande).

Enfin, l'aide bilatérale japonaise reste massive dans la région et facilite la présence nipponne dans de très nombreux grands projets d'infrastructure (métro de Jakarta, pont Nhât Tân à Hanoi, etc....).

Cet outil s'inscrit pleinement dans la logique de reconquête économique du gouvernement Abe : « Au-delà de la volonté politique de l'exécutif et de l'élargissement des mécanismes qui fournissent prêts et assurances aux entreprises, le renforcement de la collaboration entre secteur public et privé et l'élaboration de solutions intégrées, mêlant non seulement un financement plus large et flexible (prêts privés, publics (JBIC) et dans le cadre de l'aide au développement (JICA), un accompagnement en amont et en aval incluant la fourniture de services, formation et conseils qui accompagne la vente d'infra-structures doit permettre au Japon de regagner de nouveaux marchés face à des concurrents hypercompétitifs . 107 ( * ) ».

La stratégie actuelle de soutien aux exportations d'infrastructures entre dans le cadre de la stratégie de croissance et sur une politique industrielle qui met en avant les atouts technologiques du Japon en matière d'infrastructures logistiques, de croissance verte, et de la lutte contre le réchauffement climatique.

3. L'Inde, potentiel géant de la zone, « regardant vers l'Est »

La politique étrangère indienne est soucieuse de « regarder vers l'Est » ( Look East Policy ). Cette politique, lancée en 1992, avait pris de l'ampleur sous le précédent gouvernement de Manmohan Singh. L'objectif est de rapprocher l'économie indienne des économies de l'ASEAN (ainsi que de partenaires tels que la Corée, le Japon, l'Australie...), notamment par la mise en place d'accords de libre-échange ou de coopération économique. Elle vise par ailleurs à contrebalancer l'influence chinoise en Asie (la Chine étant traditionnellement perçue comme un rival stratégique, allié du Pakistan) en approfondissant les relations de défense avec les pays de l'ASEAN. Cette priorité a notamment été affirmée en novembre 2011, au sommet de Bali, sommet de l'ASEAN et sommet de l'Asie orientale (EAS).

Réciproquement, l'Inde réémergente permet de faire contrepoids , pour les pays de l'ASEAN, à la montée en puissance de la Chine 108 ( * ) . Même si elle est encore loin économiquement derrière son grand voisin, l'Inde a des atouts spécifiques tels que sa démographie (là où la Chine est vieillissante, l'Inde aura 1,5 milliard d'habitants en 2030 et dépassera la Chine), ou encore son modèle démocratique ou sa spécialisation économique dans le domaine des services.

La stratégie de la Birmanie par exemple, -stratégiquement située entre Chine et Inde- et son rapprochement avec l'Inde, est à cet égard éloquente.

4. Les États-Unis, puissance du Pacifique, « pivotant » vers l'Asie

Les États-Unis ont annoncé très clairement leur pivot vers l'Asie, en proclamant dès 2009 le « retour » des États-Unis en Asie, puis par une série de discours et articles en 2010 (dont le fameux discours d'Honolulu dans lequel la secrétaire d'État américaine considérait que « L'histoire du XXI e siècle sera en grande partie rédigée en Asie »), et enfin en formalisant (en 2012) cette politique sur les plans politique, économique et militaire dans leur « Livre blanc 109 ( * ) » : « Si l'armée américaine continue à contribuer à la sécurité à l'échelle mondiale, nous l'orientons en priorité et par nécessité vers la région Asie-Pacifique ».

Ce pivot, ou rééquilibrage, vise tant à favoriser le redressement économique des États-Unis, qu'à lutter contre l'instabilité qui accompagne la montée en puissance de la Chine ou encore à garantir l'accès aux biens communs ( global commons ), à lutter contre les stratégies « d'anti-accès », en défendant notamment la liberté de circulation en mer.

Cette nouvelle orientation de politique étrangère, très commentée, fait d'ailleurs l'objet d'une étude particulière de votre commission qui étudie, sous l'égide de son président M. Jean-Louis Carrère , les conséquences pour la France et l'Europe de cette réorientation 110 ( * ) .

Elle a été décrite en ces termes devant votre commission par M. Justin Vaïsse, directeur du centre d'analyse, de prévision et de stratégie du ministère des affaires étrangères : « S'agissant du pivot vers l'Asie, même s'il n'est pas massif, même si le transfert de troupes n'est pas très significatif, il faut tout de même mesurer la portée de l'investissement politique américain qui contraste avec celui l'administration Bush. En 2006, lors du sommet de l'APEC, Bush avait voulu faire du terrorisme l'un des points centraux, ce qui était hors-sujet et ce qui montrait une réelle déconnection par rapport aux préoccupations de ces pays. En 2009-2010, Obama réinvestit cette zone : la signature du traité d'amitié et de coopération qui permet aux États-Unis de participer au sommet de l'Asie Orientale (East-Asia Summit), l'envoi d'un diplomate permanent à Djakarta auprès de l'ASEAN, un réinvestissement qui est d'abord politique dans les instances multilatérales avant d'être militaire ou économique avec le fameux TransPacific Partnership.

« De façon plus étroite, si l'on décompose le mouvement du pivot par analogie avec le basket-ball et si on s'intéresse à la partie « se tourner vers » et non plus à la partie « se détourner de », on observe que cela s'est surtout manifesté au cours du premier mandat autour d'Hillary Clinton et de Kurt Campbell et que depuis un an, il ne semble pas y avoir eu de faits nouveaux en ce domaine et l'on a vu les États-Unis moins impliqués. »

À ce jour, cette réorientation se limite concrètement à des déploiements complémentaires de fusiliers marins (marines) en Australie (renforcement des marines (2500) annoncés dans la base militaire de Darwin) et de navires de combat en zone littorale ( Littoral Combat Ships ou LCS) à Singapour (originellement prévus pour être 4, le déploiement actuel se limite à 1). Des facilités d'accès sont accordées aux Philippines , mais bien loin de la situation passée dans ce pays (les bases américaines ont été fermées en 1991).

On estime 111 ( * ) à 325 000 les effectifs militaires et civils américains affectés au PACOM (Commandement américain du Pacifique), dont près de 40 000 au Japon, 28 500 en Corée du Sud, 40 000 à Hawaï et 5 000 à Guam. L' US Navy (Marine), qui dispose déjà de 6 porte-avions nucléaires en Asie 112 ( * ) (sur un total de 11) et de 31 de ses 53 sous-marins dans le Pacifique, opérera le pré-déploiement de 60 % de ses 295 principaux moyens navals dans le Pacifique d'ici 2020 (contre 50 à 55% actuellement), et l' US Air Force (Armée de l'air), qui a assigné à la région Asie-Pacifique 60 % de ses forces basées à l'étranger (60% des 155 F-22 sont déjà basés dans la zone Pacifique), concentrera un pourcentage équivalent de ses capacités spatiales et cyber dans la région.

En parallèle, les États-Unis -qui réduisent drastiquement leurs dépenses militaires 113 ( * ) - poursuivent la planification de nouvelles formes de déploiement, basées sur le pré-positionnement et un nouveau type de rotation des unités, tout en élargissant l'échelle de leurs exercices militaires dans la région, y compris avec les alliés régionaux.

Après une première perception très volontariste et ambitieuse de ce pivot, qui n'a d'ailleurs pas été sans inquiéter les Européens, l'heure est aujourd'hui pour la plupart des analystes à une certaine relativisation du redéploiement militaire américain vers l'Asie.

D'ailleurs, plusieurs entretiens conduits par vos rapporteurs dans la région avec des personnalités officielles ou des think tanks ont conduit à faire prévaloir la vision d'une Amérique rétive à l'engagement et devenue frileuse sur le plan international. Dans cette optique, le « pivot » serait le moyen d'habiller élégamment une série d'initiatives bilatérales et régionales déjà engagées sous les précédentes administrations, et d'ampleur somme toute modeste.

Pour autant, ne nous y trompons pas : l'Asie est sans doute devenue la zone la plus stratégique aux yeux de nombre de décideurs américains.

La récente tournée de Barack Obama en Asie du Sud-Est en avril 2014 (qui intervient il est vrai après l'annulation, pour cause de séquestre budgétaire, de sa précédente visite planifiée en novembre 2013), en dit long à ce sujet. Au-delà de ses traditionnels alliés (Philippines, Thaïlande...), les États-Unis ont clairement mis tant l'Indonésie que la Malaisie au rang de leurs priorités.

Le président américain, premier Président à s'y rendre depuis Lyndon Johnson dans un contexte de guerre froide, est resté trois jours en Malaisie , avec laquelle il a signé un « partenariat complet » englobant tant les relations de défense que l'énergie, l'enseignement ou l'économie.

Aux Philippines , les Américains ont conclu un accord renforcé de coopération dans le domaine de la défense qui, outre le volet humanitaire en réponse aux catastrophes naturelles, accroît la coopération dans les domaines de la sécurité et de la surveillance maritimes, et prévoit, sans les préciser, la possibilité de constructions d'infrastructures. Sans aller jusqu'à la réinstallation de bases américaines permanentes sur le sol philippin (qui pourrait occasionner des réticences en termes de politique intérieure, notamment de la part du Sénat philippin 114 ( * ) ), l'accès et l'installation de moyens américains sont mentionnés, « à l'invitation de l'État philippin ».

N'oublions pas que les États-Unis ont été le premier pays hors ASEAN à accréditer un ambassadeur spécifiquement dédié à l'ASEAN , en 2008. Dès 2010, ils étaient le premier pays extérieur à l'organisation à ouvrir une mission permanente auprès du secrétariat général de l'ASEAN à Jakarta. Partie au traité d'amitié et de coopération (TAC) depuis juillet 2009, ils participent depuis 2011 au sommet de l'Asie de l'Est (EAS), et sont membres depuis 2010 de l'ADMM +, format élargi des réunions des ministres de la défense de l'ASEAN.

5. L'Australie : « More Jakarta, less Geneva »

Outre l'alliance traditionnelle avec les Etats-Unis (le traité ANZUS date de 1951), plusieurs pays figurent au premier rang des priorités affichées par la politique étrangère de l'Australie :

- l' Indonésie , qui a vocation à être le point central de la politique étrangère australienne.

- la Chine , puissance émergente, premier partenaire commercial de l'Australie, citée également comme gros pourvoyeur d'étudiants en Australie.

- le Japon , ami historique de l'Australie, deuxième partenaire commercial (avec un accord bilatéral de libre-échange).

- l' Inde , avec laquelle la relation a été paralysée pendant des années par le refus de l'Australie de vendre de l'uranium à l'Inde -non signataire du TNP-.

- la Corée (là encore, il existe un accord de libre-échange avec Séoul).

- la Thaïlande , pays important avec lequel l'Australie veut renforcer sa relation.

Les pays du sud-est asiatique occupent donc une place croissante dans la politique étrangère australienne.

Bien que récemment refroidies par plusieurs événements (affaire des écoutes téléphoniques du couple présidentiel indonésien par l'Australie, différends sur la gestion de l'immigration illégale), la densité des relations entre l'Indonésie et l'Australie sont significatives de la nouvelle orientation de la politique étrangère australienne, marquée par une priorité à l'environnement proche, qui se résume par la formule : « more Jakarta, less Geneva ».

L'ASEAN constitue de plus en plus un partenaire majeur de l'Australie, dont l'ambassade à Jakarta est la plus fournie en personnel de son réseau. Depuis les attentats de 2002, ayant causé la mort de nombreux ressortissants australiens, la lutte contre le terrorisme constitue un domaine important de la coopération bilatérale, matérialisée par le traité de Lombok, signé en 2006. L'Indonésie est le premier récipiendaire de l'aide bilatérale australienne, destinée à des projets liés en particulier à la santé, l'éducation, le développement rural, la bonne gouvernance et la réponse aux catastrophes naturelles.

Sur le plan économique, un accord de partenariat économique global économique doit compléter l'accord de libre-échange entre l'ASEAN, l'Australie et la Nouvelle-Zélande (AANZFTA), conclu en février 2009 et entré en vigueur en janvier 2012.

6. La Corée du Sud conquérante

Dans un pays où l'État joue traditionnellement un rôle de stratège, après les exportations, ce sont désormais les investissements directs étrangers , dans le cadre de la stratégie de mondialisation (seghiewa), qui font l'objet d'un soutien très actif des pouvoirs publics coréens 115 ( * ) . Le secteur de la construction et de l'ingénierie, ou plus globalement des infrastructures, compte au nombre des activités particulièrement soutenues.

Membre de l' « ASEAN+3 » (ASEAN + Chine Japon et Corée), la Corée du Sud a signé en 2007 un accord de libre-échange avec l'ASEAN, complété par un accord sur les investissements en 2009. La Corée aurait ainsi investi 22 milliards de dollars dans les pays de l'ASEAN depuis la crise asiatique de 1998.

De fait, on assiste à une poussée indéniable des conglomérats coréens, de la culture coréenne, de l'aide au développement coréenne dans cette région du monde.

La réussite des groupes coréens à l'international dans le secteur des infrastructures repose sur un excellent rapport qualité - prix par rapport à la concurrence occidentale (qui s'accompagne d'une relative fermeture à la concurrence étrangère du marché coréen, et donc d'une « protection » sur le marché domestique). En encourageant les exportations de « produits-systèmes » clés en mains (installations industrielles, infrastructures), les autorités coréennes cherchent aussi à atteindre d'autres objectifs, et notamment à sécuriser l'accès aux ressources des pays dans lesquels ces entreprises investissent.

En 2011, parmi les vingt premières entreprises mondiales du secteur de l'ingénierie et de la construction, six étaient coréennes. Les dix premières du secteur en Corée réalisent 90% des contrats remportés à l'export 116 ( * ) . Ces entreprises sont adossées aux grands conglomérats familiaux ( Chaebols ) tels que HYUNDAI et SAMSUNG, et se caractérisent par un rapport qualité - coût et des délais de réalisation très compétitifs, une capacité à présenter des offres clé en main, du design à la construction et incluant le financement. L'essentiel des contrats remportés par ces groupes correspond à des projets clé en main intégrés.

« La vague coréenne souffle sur l'Asie du Sud-Est, nouvel eldorado des chaebols, les géants coréens de l'industrie », affirmait ainsi un quotidien français en novembre 2013 117 ( * ) . « En 2012, la région est devenue la première destination des investissements de la Corée du Sud dans le monde, devant Pékin et désormais son second partenaire commercial avant l'Union européenne (UE) et les États-Unis. ». Commentant la récente visite de la Présidente coréenne au Vietnam et en Indonésie, l'article poursuit : « Ces deux pays sont les cibles prioritaires de l'agressive diplomatie économique de Séoul, avec en ligne de mire des contrats majeurs dans l'énergie. La présidente Park espère vendre des centrales électriques à l'archipel indonésien en plein décollage dans la foulée d'importants contrats militaires, tel le chasseur d'entraînement T50 ou la vente de sous-marins. Depuis 2007, les échanges bilatéraux avec le nouveau géant asiatique ont doublé pour atteindre 30 milliards de dollars . »

De fait, vos rapporteurs ont pu constater la redoutable concurrence que représentent des groupes coréens très agressifs dans des domaines où l'offre française se positionne : énergie, transports, travaux publics, notamment.

Au Vietnam, le poids de SAMSUNG est manifeste : le constructeur, qui dispose de gigantesques usines de plusieurs dizaines de milliers d'employés, pèse pour 20% du total des exportations vietnamiennes.

Le souffle coréen est porté par son « soft power » culturel, illustré par le succès foudroyant de ses séries télévisées et de ses groupes de musique (la K pop ), dans toute l'Asie du Sud-Est, tandis que son « miracle économique » exerce une attirance certaine sur les élites de la région.

7. La Russie à la recherche de son pivot asiatique

Héritage de la guerre froide, temps où le containment du communisme s'appliquait aux « dominos » du sud-est asiatique, la Russie dispose d'alliés anciens en Asie du Sud-est, notamment le Vietnam, à qui elle fournit traditionnellement des équipements militaires.

Au-delà de ces liens, la Russie, à la recherche d'une stature nouvelle sur la scène internationale, a elle aussi entamé une politique d'ouverture à l'Est. La récente visite de Vladimir Poutine à Shanghai et la signature du contrat gazier avec Gazprom peuvent s'analyser tant sous l'angle économique que sous l'angle géostratégique.

C. L'ASIE DU SUD-EST, LIEU ET EMBLÈME D'UNE REDISTRIBUTION ÉCONOMIQUE ET GÉOPOLITIQUE DE LA PUISSANCE

1. L'inversion spectaculaire de la relation de dépendance économique qui matérialise « l'émergence » des pays du sud

La relation de dépendance économique entre l'Europe et l'Asie du Sud-Est s'est spectaculairement inversée ces dernières années.

À l'origine, les pays émergents d'Asie 118 ( * ) ont fondé leur croissance sur les débouchés offerts à leurs exportateurs par la demande occidentale, et les flux financiers des pays développés pour leur développement économique. Cette réalité historique est en train de changer en profondeur : avec l'affaiblissement de la demande occidentale comme moteur de la croissance asiatique, c'est a contrario, une dépendance croissante qui s'installe vis-à-vis de l'Asie comme débouché pour les exportations européennes (et américaines, d'ailleurs).

D'après nos services économiques 119 ( * ) la part de l'Asie dans les exportations européennes est passée de 2005 à 2011 de moins d'un cinquième à plus du quart. En valeur, le commerce intra-européen reste dominant, mais, en dynamique, l'Asie devient de plus en plus incontournable comme débouché pour l'économie européenne.

La « dépendance » de l'Asie en développement (ASEAN, Inde, Chine) aux flux financiers occidentaux n'est plus non plus ce qu'elle était. La région dispose d'un excédent structurel de sa balance des paiements courants (environ 3% du PIB en 2011) qui en fait un exportateur net de capitaux.

Ainsi, alors que beaucoup de banques européennes se sont retirées des marchés émergents d'Asie en 2011 à la suite de la crise financière et des nouveaux ratios prudentiels (phénomène qualifié de « deleveraging »), cela n'a pas affecté la distribution de crédit dans la région, dans la mesure où les banques japonaises, chinoises ou coréennes ont ainsi pu prendre les places laissées vacantes.

L'INVERSION DU LIEN DE DÉPENDANCE ÉCONOMIQUE :
POIDS RESPECTIF DANS LES EXPORTATIONS ENTRE 2005 ET 2012

2. Un laboratoire des évolutions géopolitiques
a) Théâtre d'un face à face sino-américain, futur « G2 » du monde ?

L'Asie du Sud Est est aussi un véritable laboratoire des évolutions géopolitiques à l'oeuvre dans le monde actuel. Avec l'émergence de la Chine et le pivot américain vers l'Asie, nombre d'analyses ont vu dans le face-à-face sino-américain (par alliés interposés s'agissant notamment de l'ASEAN) le nouveau mode de régulation des relations internationales.

Comme si, après la bi-polarité de la guerre froide, puis la « multipolarité » des années post-chute du mur de Berlin, années analysées aussi comme celles de l'hyperpuissance américaine, c'était désormais un « G2 » du monde, sino-américain, qui devenait le facteur structurant des relations internationales.

Dans cette vision duale, face à une inexorable affirmation chinoise (manifestée notamment par la projection croissante de ses moyens maritimes, militaires ou « civils » en Mer de Chine), les Etats-Unis viseraient à établir une ceinture d'alliances « indo-pacifiques » et à proposer des structures de dialogue alternatives : ainsi le TPP, ou l'ARF, pour « dégonfler » l'importance de l'APEC, dans lequel siège la Chine....

La stratégie des États-Unis en matière de politique étrangère fait l'objet d'un rapport particulièrement fouillé du président de notre commission, Jean-Louis Carrère 120 ( * ) . La relation, complexe, avec la Chine, se partage entre endiguement et engagement. : « Après des hauts et des bas dans les relations avec la Chine, Obama revient à une position assez classique d'équilibre avec la Chine faite à la fois d'endiguement général et d'endiguement atténué et non provocateur afin de ne pas tomber dans un piège de course aux armements », déclarait Justin Vaisse, directeur du centre d'analyse, de prévision et de stratégie du ministère des affaires étrangères 121 ( * ) , dans le cadre de ces travaux.

Ce qui apparaît manifeste, c'est qu'en matière de relations internationales comme ailleurs, l'avenir du monde se joue en Asie.

Cette bipolarité réelle ou supposée ouvre d'ailleurs de nouveaux espaces pour les pays d'Asie du sud Est : il leur devient possible de « faire jouer la concurrence » pour garder leur liberté de mouvement.

« Cette rivalité sino-américaine est aujourd'hui un trait structurant du paysage stratégique d'Asie du Sud-est, dans la mesure où les États de la région trouvent dans cette opposition l'opportunité de diversifier leurs partenariats, conformément à une tradition diplomatique profondément enracinée dans les différentes pensées stratégiques régionales, et de « faire jouer la concurrence » pour conserver leur liberté de mouvement ». 122 ( * )

b) La remise en cause des principes « occidentaux » du droit international : l'exemple du droit de la mer

Le phénomène actuel de « territorialisation » et d'appropriation des détroits et des mers par les États côtiers est désormais bien diagnostiqué.

L'importance stratégique des mers est tirée par un double phénomène :

- la mondialisation, qui est en fait une « maritimisation 123 ( * ) » puisque l'internationalisation des échanges et des processus de production a été permise par l'augmentation très rapide des flux maritimes ;

- l'épuisement des ressources naturelles à terre , qui renforce l'intérêt pour les ressources sous-marines. L'avenir des hydrocarbures, celui de l'éolien, s'écrit ainsi en mer, où sont aussi la plupart des ressources minérales et biologiques, y compris les métaux rares et stratégiques.

La mer est ainsi devenue source de convoitise, base de la richesse future d'un pays et garante de ses ressources naturelles futures, qu'il faut défendre et protéger.

Le régime des zones économiques exclusives et les demandes d'extension de plateau continental dans le cadre prévu par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (Convention de Montego Bay de 1982) actuellement à l'étude montrent toute la concurrence que peuvent se livrer, en la matière, les États. À terme, la superficie des fonds marins sous juridiction nationale pourrait augmenter de près de 40%, au détriment de la zone internationale des fonds marins.

Votre commission, particulièrement consciente de ces enjeux, a d'ailleurs récemment été à l'initiative d'un débat en séance publique au Sénat sur les zones économiques exclusives 124 ( * ) , au cours de laquelle son président déclarait : « Notre pays dispose d'un potentiel considérable de richesses minérales et halieutiques qui lui sera indispensable pour survivre durablement dans la compétition internationale. L'exploitation de ces ressources mais aussi le développement des technologies nécessaires à celle-ci constituent des enjeux économiques importants (...) avec la croissance des menaces, qui profitent également des avancées techniques. Je veux parler de la capacité des navires de pêche à opérer de plus en plus loin de leurs ports d'attache et à surexploiter certaines zones traditionnelles, allant jusqu'à porter atteinte à la diversité biologique. Je veux parler de la capacité de mobiliser des moyens d'exploration - et, peut-être demain, d'exploitation - de ressources minérales ou pétrolières sans autorisation. Je veux parler encore de la capacité des acteurs de la piraterie ou du terrorisme à opérer, demain, contre des installations offshore. »

« À mesure que les richesses de ces zones seront découvertes, les contestations juridiques émanant des États riverains se renforceront ; la multiplication des contentieux pourra retarder le lancement de projets d'exploitation, faute d'une sécurité suffisante en considération du montant des investissements. Notre capacité à garantir la protection des activités dans les ZEE est un enjeu dont l'importance ira croissant au cours des décennies à venir. »

L'appropriation des mers remet progressivement en cause certains principes sur lesquels repose le droit international de la mer, et en particulier, potentiellement, le principe de liberté de circulation .

Elle participe d'une certaine remise en question de « l'ordre international » occidental.

Plusieurs experts entendus pour la préparation de ce rapport estiment ainsi que s'affrontent, en Asie en particulier, deux visions du droit de la mer et la mer de Chine (du Sud et du Nord d'ailleurs) est en quelque sorte le champ privilégié (avec demain, sans doute, l'Arctique) de cet affrontement :

- d'un côté la vision qui a inspiré celle de la convention de Montego Bay et qui, si elle reconnaît les droits des États riverains, repose avant tout sur les grands principes de liberté de circulation en haute mer, droit de passage inoffensif dans les eaux territoriales, etc...,

- une autre vision qu'on pourrait qualifier de « patrimoniale » et qui tend à mettre l'accent sur les droits de l'État côtier et à remettre en cause le principe cardinal du droit de la mer : la liberté de navigation et son corollaire, la primauté du seul État du pavillon.

Les praticiens de la mer citent de multiples exemples d'accrocs plus ou moins insidieuses aux principes internationaux de la Convention de Montego Bay de la part non seulement d'acteurs économiques (pillage halieutique, explorations pétrolières sauvages....) mais aussi de la part de certains États, (contrôles de facto ne correspondant pas à une juridiction reconnue, non reconnaissance des tracés des « lignes de base », ou encore « assimilation » plus ou moins affichée de la ZEE à la mer territoriale, tentatives de délimitation praeter legem d'eaux archipélagiques...), tendant à imposer, par le fait accompli, une autre vision du droit de la mer.

Portée par les pays émergents, relayée dans des revues scientifiques, des colloques, une autre vision du droit international de la mer se diffuse peu à peu, dans une optique plus restrictive, dans laquelle tout ce que le droit international de la mer n'autorise pas est interdit, au rebours de la philosophie de liberté qu'ont construite des siècles de culture maritime « occidentale ».

La lutte contre le « déni d'accès » et l'appropriation progressive des mers sont d'ailleurs au centre de la stratégie militaire américaine en Asie.

Il ne faut pas croire que cet enjeu ne concerne pas la France : une bonne partie des approvisionnements de notre économie transite en mer de Chine. Ensuite, imagine-t-on les répercussions éventuelles de ces évolutions en Méditerranée par exemple, où la découverte de nouveaux gisements hydrocarbures pourrait attiser les convoitises et changer la donne ?

c) Retour à la « realpolitik » et similitudes avec l'Europe de 1914 ?

L'Asie du sud-est symbolise aussi aux yeux de certains experts le retour de la « realpolitik » dans les relations internationales. La vivacité des nationalismes, l'existence de contentieux territoriaux, la course aux armements qui s'y déroule sur fond de rivalité de grandes puissances sont tels que certains n'hésitent pas à faire le parallèle avec l'Europe de 1914, et à comparer la mer de Chine du Sud à une véritable « poudrière ».

La montée en puissance de la Chine est ainsi fréquemment comparée à celle de l'Allemagne de 1914, émergence qui serait déstabilisatrice pour les équilibres régionaux et mondiaux, dans un contexte de déclin relatif de la Grande-Bretagne en 1914, des États-Unis aujourd'hui, de nationalismes virulents (similaires à « l'esprit de 14 ») et de course aux armements.

Bien que cette analyse soit controversée 125 ( * ) , elle n'est pas dénuée de pertinence.

Dans un article : « Le passé de l'Europe est-il le futur de l'Asie ? » de la revue Politique Étrangère , la question est clairement posée : « De troublantes similitudes existent entre l'Asie d'aujourd'hui et l'Europe d'avant 1914. La Chine exige de jouer un rôle à la mesure de ses ambitions, comme l'Allemagne à la fin du XIX e siècle. La puissance dominante, les États- Unis, ne sait pas plus limiter l'expansion de la puissance émergente que la Grande-Bretagne il y a un siècle. Face à l'exacerbation du nationalisme en Asie, les leçons de la Première Guerre mondiale doivent être retenues pour éviter une escalade dangereuse. 126 ( * ) »

II. LA FRANCE ET L'ASIE DU SUD-EST : UNE PRÉSENCE PEU VISIBLE, UNE INFLUENCE MARGINALE

A. D'INDÉNIABLES LIENS ISSUS DE L'HISTOIRE, DE LA GÉOGRAPHIE ET DE LA LANGUE, MAIS QUI VONT S'AMENUISANT

1. Une présence certes continue depuis des siècles
a) Le passé « indochinois » n'est-il qu'un atout ?

La France a été présente en Asie aux temps révolus de la colonisation. Dans l'imaginaire collectif français, la période indochinoise a encore une forte résonance affective, qui témoigne de liens privilégiés vis-à-vis de l'Asie du Sud-est péninsulaire.

Cet attachement parfois un peu « romantique » n'est pas forcément toujours productif, dans une Asie jeune et tournée vers l'avenir plutôt que vers le passé. Elle n'aide pas forcément non plus à prendre lucidement conscience du recul, réel, de l'influence française, notamment économique, dans la région.

Osons le dire, cette perception, côté français, qui s'appuie, certes, sur un tissu de relations très denses au plan culturel et politique qui sont, indéniablement, une vraie force, n'aide pas toujours à gagner des marchés et à prendre la mesure des défis à relever pour réussir une implantation économique.

D'abord parce qu'elle peut heurter, dans des États jeunes comme le Vietnam, et nationalistes, où l'identité nationale s'est souvent bâtie contre la colonisation (sauf en Thaïlande). Ensuite parce qu'elle peut, par un faux sentiment de facilité lié à la proximité culturelle, conduire en particulier les entrepreneurs à mésestimer les difficultés.

Lors de leur mission au Vietnam, vos rapporteurs ont ainsi rencontré des représentants de cabinets d'avocats d'affaires qui les ont alertés sur les risques d'une vision un peu « fantasmée » du Vietnam dans l'imaginaire collectif français.

Ce « tropisme » indochinois d'une France repliée sur son passé ne favorise pas la prise de conscience des opportunités offertes par l'avenir, notamment dans le monde malais (Malaisie et Indonésie).

b) Un rôle politique ancien en Asie

Par le passé, la France a joué un rôle politique important en Asie.

« La France a été autrefois un acteur stratégique de cette région : concurrent de la Grande-Bretagne pendant la période coloniale, en lutte pour préserver sa domination sur l'Indochine et l'unité de son empire entre 1945 et 1954, un moment complice de l'engagement des États-Unis en Indochine pendant la phase de la décolonisation, elle est devenue ensuite le porte-parole de l'opposition à la guerre du Vietnam et de la neutralisation de la région, avant d'encourager l'affirmation d'une identité régionale autonome dans le cadre de la jeune association des nations d'Asie du sud-est. 127 ( * ) ».

De la reconnaissance de la République populaire de Chine (1964) au discours de Phnom Penh (1966), le Général de Gaulle avait forgé dans la région d'image d'une France indépendante. Par la suite, dans les années 1990, les accords de Paris de 1991 sur le Cambodge, mettant fin à la guerre civile, ont illustré le rôle important de notre diplomatie asiatique à l'époque. La visite de François Mitterrand à Hanoï en 1993 -premier chef d'État occidental à faire cette démarche-, prémisse à l'intégration du Vietnam à l'ASEAN et à la normalisation de ses relations avec les États-Unis, était tout aussi visionnaire. L'initiative prise en 1996 par le Président français et le chef du gouvernement singapourien qui donna naissance à l'ASEM, format de dialogue intergouvernemental entre Asiatiques et Européens, est une autre illustration de l'engagement français dans la région et des initiatives dont est capable notre diplomatie. La France a pris l'initiative, avec Singapour, de la création de l' Asia-Europe Meeting (ASEM) en 1996.

LES ENGAGEMENTS POLITIQUES ET DE SÉCURITÉ DE LA FRANCE EN ASIE PACIFIQUE :


• le traité de paix avec le Japon, dit « traité de San Francisco », signé le 8 septembre 1951 ;


• la convention d'armistice en Corée, signée le 27 juillet 1953 ; la France reste membre du Commandement des Nations unies et participe à la Commission militaire d'armistice (UNCMAC) ;


• le traité de sécurité collective en Asie du Sud-Est, dit « traité de Manille », signé le 8 septembre 1954, toujours en vigueur même si son organisation militaire, l'OTASE, a été dissoute en 1977 ;


le traité d'amitié et de coopération en Asie du Sud-Est, dit « traité de Bali », du 24 février 1976, auquel la France a adhéré en janvier 2007.

La France est un membre actif au sein de différents instruments et régimes de non-prolifération (TNP, CIAC, CIAB, MTCR, NSG, Groupe Australie, Arrangement de Wassenaar, Proliferation Security Initiative ) aux côtés notamment de plusieurs pays d'Asie avec lesquels elle collabore étroitement. La France est partie à l'accord FRANZ, signé le 22 décembre 1992 avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, afin de coordonner l'aide civile et militaire apportée aux États insulaires du Pacifique victimes de catastrophes naturelles. Elle fait également partie du QUAD ( Quadrilateral Defence Coordination Group ) - avec les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande - dont l'objectif est de coordonner l'effort de sécurité dans le Pacifique, notamment dans le domaine maritime, en accompagnant les États insulaires vers une gestion saine et durable de leurs ressources naturelles, entre autres halieutiques.

Au titre de ses responsabilités internationales en matière de sécurité, la France a été engagée dans un nombre élevé d'interventions militaires et d'opérations de maintien de la paix en Asie-Pacifique au cours des vingt dernières années, que ce soit :


• au Cambodge (Conférences de Paris en 1991 et participation à la MIPRENUC puis à l'APRONUC) ;


• dans le golfe Arabo-Persique en 1990-1991, en soutien à la protection des pétroliers et à la lutte contre les mines dérivantes ;


• au Timor oriental, dans le cadre de l'INTERFET en 1999-2000 ;


• en apportant un secours important aux pays victimes du tsunami en décembre 2004, notamment grâce à des moyens navals et aéroterrestres déployés sur zone ;


• en Indonésie dans le cadre de la mission de surveillance à Aceh, en 2005, associant des pays de l'Union européenne et de l'ASEAN ;


• en Afghanistan depuis 2001, dans le cadre de l'opération de stabilisation dirigée par l'Otan et en contribuant à la lutte contre le terrorisme ;


• dans le golfe d'Aden et l'océan Indien, en lançant l'initiative au niveau européen de lutte contre la piraterie, dans le cadre de l'opération Atalante lancée en 2008.

In : La France et la sécurité en Asie Pacifique, avril 2014, ministère de la défense

2. La France ultramarine riveraine de l'océan Indien et de l'océan Pacifique : une perception à faire partager

Vos rapporteurs ont pu constater que l'Asie du Sud-Est est souvent jugée, à tort, comme trop éloignée pour impacter nos intérêts. C'est pour lutter contre cette perception, qui touche tant à la géographie qu'à l'idée que nous nous faisons, globalement, de notre zone d'influence, qu'une réflexion inédite a été conduite par le ministère de la défense, en liaison avec le ministère des Affaires étrangères, sur la question de « La France et la sécurité en Asie Pacifique ». Dans ce document officiel, la France s'affirme légitimement comme une puissance de l'océan Indien et du Pacifique.

La France est une puissance de l'océan Indien et du Pacifique

« La France est une puissance riveraine du Pacifique avec ses territoires en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et à Clipperton. Elle est également présente en océan Indien, au sud, avec les îles de Mayotte, de la Réunion, les îles Éparses et les terres australes et antarctiques françaises, mais aussi à l'embouchure de l'océan au nord-ouest, par sa présence militaire permanente aux Émirats arabes unis et à Djibouti. Cette présence, unique parmi les pays européens, confère à la France des responsabilités particulières en matière de défense et de sécurité en Asie-Pacifique. »

Source : la France et la sécurité en Asie-Pacifique, ministère de la défense, 2014

Cette vision « large » de la présence française dans l'espace asiatique ne convainc pas toujours nos partenaires. Il faut savoir le reconnaître : vues d'Asie du Sud-Est, la Nouvelle Calédonie ou la Polynésie sont lointaines et ne semblent pas toujours appartenir au même espace stratégique.

3. La langue : une francophonie dynamique mais résiduelle

Dans une Asie au fort dynamisme démographique, jeune, la langue française, déjà marginale dans le monde malais, a considérablement reculé, depuis l'époque de la colonisation, dans la péninsule indochinoise.

Aujourd'hui, moins de 1% des Vietnamiens parlent français.

Certes, les efforts récemment engagés ont permis de relancer une certaine dynamique et d'avoir aujourd'hui dans ce pays plus de 600 000 locuteurs de langue française. Toutefois, les chiffres globaux restent faibles.

PART DES FRANCOPHONES EN ASIE DU SUD-EST

Pays

Nombre de francophones

Taux de francophones (francophones partiels)

Cambodge

406 400

3%

Laos

173 800

3%

Thaïlande

562 000

0,8%

Vietnam

623 200

0,7%

Source : http://www.francophonie.org/IMG/pdf/1e.pdf

Le cas de la Thaïlande est à souligner puisque culturellement, les élites y pratiquent le français, qu'il s'agisse de la famille royale ou des grands juristes. Cette pratique reste toutefois très limitée numériquement, mais c'est un atout, qu'il faut exploiter notamment dans le cadre des programmes des « personnalités d'avenir ».

4. Des liens forts à tous les niveaux : l'exemple de la coopération décentralisée avec le Vietnam

Témoin de liens anciens et forts avec cette région du monde, la coopération décentralisée 128 ( * ) entre les collectivités territoriales françaises et le Vietnam est particulièrement active depuis les années 1990. Environ 40 collectivités françaises sont présentes dans tout le Vietnam avec plus de 200 projets.

En nombre de projets, c'est la plus importante en Asie, devançant même la Chine.

La coopération décentralisée a débuté dès 1989, avec la mise en place du partenariat entre la Région Ile-de-France et la Ville de Hanoï. À l'origine limitées à de la solidarité internationale, les actions menées ont évolué et s'orientent vers de véritables partenariats dans des domaines tels que le développement économique, le développement durable, la préservation et la valorisation du patrimoine, la santé, la formation et la recherche.

L' « Atlas français de la coopération décentralisée » recense précisément 34 collectivités territoriales françaises (7 conseils régionaux, 6 conseils généraux, 13 villes, 8 intercommunalités) engagés au Vietnam, avec 61 autorités locales vietnamiennes partenaires ; ce sont au total plus de 200 projets qui ont vu le jour depuis les débuts de la coopération décentralisée franco-vietnamienne dans des domaines aussi divers que : urbanisme, santé, culture, francophonie, eau et assainissement, développement rural, patrimoine, environnement, éducation/recherche, formation professionnelle, échanges économiques.

Chaque année, l'aide publique au développement des collectivités territoriales françaises en faveur du Vietnam représente de 2 à 4 millions d'euros. En 2012, il est de 1 784 107 € et concerne principalement les thématiques de l'eau et l'assainissement, l'agriculture, les infrastructures, les transports, le tourisme.

Parmi les projets récents, on peut citer par exemple le financement de la ville de Lyon pour l'éclairage des monuments de Hanoi, la coopération entre la région Aquitaine et Lao Cai dans l'agriculture, la formation et la planification urbaine, ou avec la ville de Brest pour la gestion intégrée de la baie de Halong. La coopération ancienne entre l'Ile de France 129 ( * ) et la ville de Hué notamment va permettre la rénovation du système d'assainissement de la ville fortifiée ou la protection de la citadelle contre les inondations.

L'aide au développement des collectivités territoriales au Vietnam

- Eau et assainissement : de nombreux syndicats des eaux et agences de l'eau sont fortement impliqués (SIAAP, SEDIF, Fensch-Lorraine, Fontoy, Morbihan, Agences de l'eau Seine-Normandie et Loire-Bretagne, ...).

- Education/Enfance : les projets sont axés sur l'éducation inclusive, l'enfance handicapée, les minorités ethniques ou encore la protection de l'enfance privée de famille.

- Développement durable : Brest Métropole appuie Haiphong dans les domaines du changement climatique et de la gestion intégrée des zones côtières, la Région Aquitaine travaille avec Lao Cai sur l'écotourisme, les Régions Rhône-Alpes et Ile-de-France sur l'amélioration des transports urbains et le développement urbain avec Ho Chi Minh-Ville et Hanoi.

- Culture et patrimoine : La Région Poitou-Charentes appuie la province de Thua Thien-Hué dans l'organisation du Festival de Hué. En ce qui concerne la protection du patrimoine, on peut citer la coopération de longue date entre les villes de Toulouse et Hanoi pour la préservation du Vieux Quartier.

- Coopération universitaire : fortement soutenue par les collectivités territoriales par le biais de formations délocalisées ou le financement de bourses d'études. En 2010, l'Université des Sciences et des Technologies de Hanoï (USTH) a ouvert ses portes avec l'appui de l'université de Toulouse.

- La Francophonie est également un axe privilégié de la coopération coopérations décentralisée (Côtes d'Armor). Une dizaine de jumelages d'établissements scolaires sont actifs au niveau secondaire.

Source : Note du Ministère des Affaires étrangères, « La coopération décentralisée entre la France et le Vietnam », septembre 2013

Source : ministère des affaires étrangères, septembre 2013

B. L'ASIE DU SUD-EST EN FRANCE, UNE RÉALITÉ SOUS-ESTIMÉE

1. Le rôle économique de la diaspora vietnamienne

Plus récente et au rôle moins connu que la diaspora chinoise (qui compte, rien qu'en Asie du Sud Est, 30 millions de membres), la diaspora vietnamienne joue un rôle important dans notre pays.

Les « Vietkhieux » , Viet-Namiens résidant à l'extérieur du pays, mentionnés par la Constitution comme une partie intégrante de la Nation, sont estimés à environ 5 millions , répartis dans plus de 100 pays. Outre le demi-million de Vietnamiens établis dans les autres pays du sud-est asiatique, les principaux pôles d'attraction sont l'Amérique du Nord (États-Unis 1,6 million, et Canada 300 000) mais aussi l'Europe occidentale (au premier rang desquels la France avec 300 000 personnes , contre 100 000 en Allemagne), l'Australie (300 000) et, pour des raisons de liens historiques et politiques, les anciens pays du bloc de l''Est.

La particularité de cette diaspora est de bénéficier d'un niveau d'éducation et de qualification professionnelle élevé : au total, près de 400 000 Vietnamiens expatriés ont fait des études supérieures. En France, 40 000 exerceraient une profession supérieure. La diaspora vietnamienne en France compte de nombreux chercheurs, intellectuels, chefs d'entreprise.

Modestes comparés aux chiffres de la diaspora chinoise, les flux financiers liés à la diaspora vietnamienne sont pourtant significatifs, et en constante augmentation : ils étaient estimés en 2004 à un total de plus de 3 milliards de dollars 130 ( * ) , certains estiment aujourd'hui à 10 milliards de dollars 131 ( * ) les transferts annuels en 2014.

Certains ont pu être des opposants au régime (on pense naturellement aux Boat People arrivés en Europe dans des conditions dramatiques), mais d'autres sont, aussi, des relais d'influence. En sens inverse, le Comité d'État pour les Vietnamiens de l'étranger joue un rôle de passerelle, comparable à celui de l'Assemblée des Français de l'étranger. Des consultations des Vietnamiens de l'étranger ont ainsi pu être organisées par les autorités vietnamiennes sur les trains à grande vitesse ou encore sur l'énergie nucléaire.

2. Des liens anciens et profonds : l'exemple du détachement singapourien sur la base aérienne de Cazaux

La France accueille l' école de chasse singapourienne sur la Base Aérienne 120 de Cazaux depuis 1998. Singapour est avec l'Allemagne le seul pays dont une unité stationne en France en permanence ; en 2011, à l'occasion du remplacement des avions d'entraînement de la Republic of Singapore Air Force (RSAF), l'accord sur le statut des forces a été étendu jusqu'en 2035. La relation privilégiée entre nos deux armées de l'air s'approfondit avec des échanges d'instructeurs et d'élèves, la formation des navigateurs opérateurs de systèmes d'armes et le partage du retour d'expérience de la RSAF sur son nouvel avion d'entraînement, en vue d'éclairer le choix français de remplacement des Alphajet.

Vos rapporteurs ont pu s'entretenir à Singapour avec le ministre chargé de la défense de ce sujet, et se féliciter des bénéfices mutuels retirés par cette excellente coopération.

C. DES ATOUTS FRANÇAIS À VALORISER

1. Une coopération au développement active depuis plus de 20 ans en Asie du Sud Est

L'AFD est active depuis plus de 20 ans en Asie du Sud-est dans le domaine de la coopération au développement. Aujourd'hui, sur les 7,3 milliards d'engagements annuels de l'Agence, l'Asie en représente plus d'un milliard, essentiellement en prêts (bonifiés ou non). La priorité est donnée à la croissance verte et solidaire. En 2013, l'AFD a fêté ses vingt ans de présence en Asie, où elle compte désormais 18 pays d'intervention et 9 agences.

RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DES ACTIVITÉS DE L'AFD EN 2013
(PAR ZONE)

Source : rapport annuel 2013 de l'AFD, in Rapport d'information « Avis sur le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD », Jean-Claude Peyronnet et Christian Cambon, jullet 2014

TYPES DE FINANCEMENTS DE L'AFD EN ASIE DU SUD-EST EN 2013

(en millions d'euros)

Source : rapport annuel 2013 de l'AFD

a) Au Vietnam depuis 1994, deuxième bailleur avec 1,5 milliard d'euros d'encours
(1) Un stock d'encours important dans un pays en mutation

L'AFD est présente au Vietnam depuis 1994. Ses engagements cumulés d'aide publique au développement s'y élèvent à 1,5 milliard d'euros , pour 76 projets (dont 28 sont en cours) , faisant de l'État vietnamien l'un des premiers emprunteurs de l'Agence.

AUTORISATIONS ET DÉCAISSEMENTS DE L'AFD AU VIETNAM DEPUIS 2003
(EN MILLIONS D'EUROS)

Compte tenu du niveau déjà élevé du portefeuille de projets, au cours des cinq dernières années, les engagements moyens annuels de l'AFD au Vietnam n'ont été d'environ que de 100 à 130 millions d'euros (car le « plafond » d'encours est atteint). Les principaux secteurs d'intervention sont la lutte contre le changement climatique (43% des engagements de l'AFD au Vietnam sur la période 2006-2012, soit 342,5 millions d'euros), les infrastructures et le développement rural ; l'appui à la modernisation du secteur productif et des politiques publiques.

Ces montants sont considérables : avec 1,8 milliard de dollars sur 20 ans, la France est historiquement le deuxième bailleur bilatéral du Vietnam, après le Japon (au montant d'aide presque dix fois plus important : 19 milliards de dollars d'encours cumulés depuis 1993, 2,2 milliard de dollars d'engagements en 2011). Entre 2007 et octobre 2013, l'AFD a ainsi engagé au Vietnam plus de 664 millions d'euros, sur 37 projets.

L'AFD intervient par des financements déliés, en prêts souverains ou non, avec un niveau de concessionnalité qui a varié au cours du temps : depuis 2011, prenant acte du passage à la catégorie de pays à revenu intermédiaire, l'offre est désormais à des conditions moins concessionnelles pour tous les nouveaux projets. À noter qu'une aide budgétaire directe (20 millions d'euros) est attribuée pour aider le gouvernement vietnamien à l'élaboration de son plan de lutte contre le changement climatique 132 ( * ) .

(2) L'essor inexorable des prêts non souverains

L'essor de la production de crédits non souverains constitue une orientation générale fixée par le Gouvernement et l'AFD, mais il répond aussi, dans un pays comme le Vietnam, à un objectif de maintien d'un niveau d'engagement élevé , ceci compte-tenu des perspectives limitées d'accroissement des fonds propres de l'Agence, dont le niveau détermine sa capacité réglementaire d'engagement au bénéfice d'un même emprunteur.

L'AFD développe donc des opérations en faveur de contreparties «non souveraines» (autres que l'État vietnamien) afin de maintenir son volume d'activité. En 2008, l'AFD a accordé le premier prêt non souverain au Vietnam (100 millions de dollars à Électricité du Vietnam pour le financement d'un barrage hydroélectrique ; contrat remporté par Alstom Hydro). Un second prêt non souverain de 35 millions d'euros a été octroyé en décembre 2013 à la société minière VINACOMIN pour la restauration d'un terril à proximité de la baie d'Halong et la construction de bassins anti-pollution sur un site d'exploitation de bauxite (intérêt de Veolia pour le projet, qui dispose d'un savoir-faire spécifique sur le traitement des boues rouges issues de l'exploitation de la bauxite).

Sur la période 2013-2015, les autorisations annuelles de l'AFD pour des prêts non-souverains pourraient atteindre 110 millions d'euros en moyenne.

Un protocole sur les financements non souverains a été signé en mai 2014, qui permet à l'AFD d'engager l'instruction de quatre nouveaux concours non souverains d'un montant total de 113 millions d'euros . Ces crédits permettront le financement d'investissements souhaités par le gouvernement vietnamien dans des secteurs d'intérêt général essentiels au développement du pays, notamment dans le domaine des infrastructures et du développement urbain , sans accroître l'endettement de l'État.

Cette stratégie devrait permettre de conserver une capacité d'influence française sur les modalités du développement vietnamien et de rester présents dans un contexte de montée en puissance très rapide d'autres bailleurs bilatéraux (Allemagne, Corée notamment) dans ce pays pré-émergent.

Notons que l'aide au développement coréenne est en train de rattraper le montant de l'aide française. L'aide allemande est positionnée de façon très ciblée, sur la formation professionnelle par exemple. L'aide japonaise est liée pour la moitié, au bénéfice des sociétés nippones, notamment pour les grands projets d'infrastructure.

La concurrence est donc rude dans un pays où, bien qu'une cinquantaine de bailleurs bi et multilatéraux soient présents, les besoins en infrastructures sont colossaux.

(3) L'impératif d'intégrer la diplomatie économique

Le Vietnam est devenu en 2010 un pays à revenu intermédiaire . Dans ce contexte, notre aide au développement doit être repensée. Dans un pays à l'essor économique rapide, à la montée de classes moyennes consuméristes, priorité doit être donnée aux secteurs qui, tout en promouvant les objectifs globaux de notre politique d'aide au développement, comme la croissance verte, permettent aussi à des entreprises françaises de se positionner sur des marchés prometteurs.

Il ne s'agit pas de rouvrir le débat ancien sur le caractère lié ou non de l'aide au développement : vos rapporteurs connaissent bien les avantages mais aussi les inconvénients d'un système d'aide « liée », qui n'est d'ailleurs pas celui que met en oeuvre notre pays.

Pour autant, il paraît utile de s'interroger plus systématiquement sur la possibilité pour nos entreprises de se positionner sur les marchés en préparation qui découlent des projets financés par notre aide publique au développement.

Lorsqu'on finance, par exemple, pour plusieurs dizaines de milliers d'euros, un système de digues autour de la ville d'Ho Chi Minh Ville, sur lequel aucune entreprise française n'est en mesure de se positionner, on peut se demander quel est le bénéfice en termes de diplomatie économique pour la France...

Cette orientation, qui figure explicitement dans le contrat d'objectif et de moyens de l'AFD, doit guider l'action de l'agence, en particulier dans un pays à fort potentiel économique comme le Vietnam. Les secteurs traditionnels de notre action, comme le développement rural, n'offrent pas les mêmes débouchés pour nos entreprises : sachons en tirer les conséquences.

Cette stratégie de développement des financements non souverains, en nous permettant de proposer des financements innovants à des contreparties dynamiques (Électricité du Vietnam, VINACOMIN, etc....), doit aussi être l'occasion d'examiner avec une attention toute particulière les secteurs où l'offre française dispose d'une expertise et d'avantages comparatifs .

b) Une action très innovante pour rattraper notre retard en Indonésie

L'AFD n'intervient en Indonésie que depuis 2007, après quelque 10 ans de « vide ». Elle y intervient en prêts peu concessionnels (activité souveraine) ou à condition de marché (activité non souveraine).

Nouvelle entrante sur un secteur déjà très occupé par notamment l'aide publique japonaise, la stratégie de l'AFD y est fortement axée sur la lutte contre le changement climatique et la promotion des investissements « verts » et « bleus » (maritimes).

Les différents bailleurs de fonds, bilatéraux (Japon, Australie, Allemagne..) et multilatéraux (Banque asiatique de développement, Banque Mondiale...), donnent en effet en Indonésie 4 milliards d'euros par an, sous forme de subventions ou de prêts très concessionnels.

Le Japon, avec 1,5 milliard de dollars par an 133 ( * ) , est notamment présent sous forme de prêts pour financer le métro de Jakarta, ou dans le secteur énergétique (centrales au charbon), ou encore pour la pose de câbles sous-marins reliant Java à Sumatra. La coopération australienne dispose d'un encours de 600 millions de dollars par an. L'AFD a, quant à elle, tous instruments confondus, une « cible d'engagements » d'environ 250 millions d'euros par an.

Intervenant à des conditions faiblement concessionnelles, l'aide publique française était au départ perçue comme trop chère par le gouvernement indonésien. En six ans, l'AFD a toutefois réussi à développer un portefeuille de projets axés sur la lutte contre le changement climatique, d'environ 1 milliard d'euros. Elle y développe une approche spécialisée, de « bailleur climatique ».

D'abord portée par le soutien au " Climate Change Program Loan » (CCPL), prêt pour soutenir le programme de lutte contre le dérèglement climatique, aide programme climat « multi bailleurs » de grande envergure tendant à définir les conditions dans lesquelles les objectifs de réduction des gaz à effet de serre de l'Indonésie pourront être atteints (moins 26% d'ici 2020, moins 41% avec l'appui international), l'AFD a ensuite développé un portefeuille de projets, à travers le financement de projets soit de l'État indonésien soit d'entreprises publiques, tels que :

- la rénovation du réseau de distribution électrique de Java et Bali (50 millions d'euros) ;

- la construction d'une ligne de transmission électrique à Kalimantan Ouest (50 millions de dollars ;

- le renforcement des capacités de surveillance en matière de biodiversité marine (30 millions de dollars) ;

- l'amélioration du transport ferroviaire urbain de l'agglomération de Bandung (46 millions de dollars) ;

- le renforcement du réseau de transport électrique de la conurbation de Jakarta (20 millions de dollars) ;

- le financement de projets « sobres en carbone » par la banque publique Mandiri (100 millions de dollars) ;

- les investissements de mini-hydroélectricité financés par la Banque Bukopin (50 millions de dollars)

La stratégie de l'AFD dans les prochaines années s'articule autour de quatre thèmes : promotion de l'efficacité énergétique et des énergies renouvelables, réduction de l'empreinte environnementale des villes, promotion d'une gestion durable des forêts et plantations, et accompagnement de « l'économie bleue », ce qui paraît particulièrement prometteur en termes de diplomatie économique compte tenu de l'ampleur du secteur maritime français.

L'AFD développe en outre des partenariats avec d'autres bailleurs de fonds pour augmenter sa capacité d'intervention et sa visibilité.

Il faut noter que le DFID, ministère britannique en charge de la coopération, a ainsi mis à la disposition de l'AFD une enveloppe de 5 millions de livres de subvention en 2011, puis de 12 millions de livres en 2013 ! Cette coopération est d'autant plus appréciable qu'il s'agit justement de subventions, à fort effet de levier par rapport aux outils financiers dont dispose l'AFD pour intervenir en Indonésie.

Enfin, l'aide au développement sert aussi en Indonésie à promouvoir nos grands objectifs de politique étrangère : l'AFD est en cours d'identification d'un projet de coopération franco-indonésienne en matière de lutte contre le changement climatique pour le sommet de l'ONU sur le climat (New-York - septembre 2014) et pour la préparation de la conférence Paris Climat 2015, qui pourrait être l'exploration de ressources géothermiques et la modélisation des effets des politiques de la lutte contre le dérèglement climatique...

c) Un soutien volontariste à la transition en Birmanie

Signe d'un soutien politique à la transition en cours, l'AFD a été autorisée à intervenir en Birmanie en mars 2012 pour une durée de 4 ans au titre du mandat « pays en sortie de crise » sous forme de subventions (3 millions d'euros par an, soit 12 millions d'euros au total).

Les secteurs d'intervention sont l'agriculture et le développement rural ; l'eau et l'assainissement ; la santé. 3,4 millions d'euros de subventions ont été ainsi attribués en 2013 et, en 2014, la réhabilitation de périmètres irrigués à Mandalay nécessitera 3 millions d'euros.

La Birmanie ayant réglé en partie la question des arriérés de sa dette (janvier 2013) et les dernières sanctions économiques ayant été levées (avril 2013), la question de l'intervention sous forme de prêts est posée pour l'avenir.

d) Une présence plus ou moins ancienne dans les autres pays d'Asie du Sud Est
(1) Cambodge

L'AFD intervient au Cambodge depuis 1993. En février 2012, le Cambodge est devenu éligible aux prêts souverains, suite à l'amélioration de son classement par le FMI du point de vue de la soutenabilité de sa dette. Après deux années d'engagements quasi nuls, l'AFD a pu engager plus de 87 millions d'euros en 2012. L'AFD a récemment achevé un projet de construction d'une usine de traitement d'eau potable à Phnom Penh (16 millions d'euros) et poursuit actuellement son extension et celle de son réseau de distribution (30 millions d'euros). Un projet de création d'un centre de formation professionnelle aux métiers du textile est également en cours d'exécution (2,5 millions d'euros).

(2) Laos

L'AFD intervient au Laos depuis 1993, où une programmation conjointe européenne est en train d'être mise en place. L'AFD est actuellement engagée, notamment aux côtés du PNUD, dans la poursuite du programme de développement rural des provinces montagneuses du Nord du Laos (montant total de 6 millions d'euros).

Au total, l'AFD aura engagé 133 millions d'euros en 20 ans, dans 40 projets , en majorité dans le secteur agricole et des infrastructures.

L'ACTION DE L'AFD AU LAOS

Source : Afd

(3) Philippines

Aux Philippines, l'AFD a ouvert une représentation en 2010, sous couvert de l'ambassade de France, et intervient dans l'appui à la décentralisation (230 millions d'euros d'engagements).

L'appui aux collectivités locales, dans un archipel constitué de plus de 7 000 îles, comprenant au total plus de 40 000 collectivités locales, marqué par de fortes disparités régionales, est un enjeu majeur dans la mesure où les collectivités locales philippines disposent d'un nombre important de compétences déléguées dans les domaines sociaux, du traitement des eaux et des déchets et de l'environnement.

Les autres domaines d'intervention sont les transports urbains, l'emploi, et l'économie verte : 5 projets de prêts souverains identifiés et en cours d'instruction représentent un potentiel d'engagements de 200 à 400 millions d'euros. L'objectif annuel est de 100 millions d'euros de prêts . Les discussions avec le gouvernement philippin sont en cours pour l'obtention d'un accord d'établissement officiel.

(4) Thaïlande

Présente en Thaïlande depuis octobre 2004, l'AFD concentre son action sur le climat, la biodiversité, et le développement d'une gouvernance responsable. Elle intervient dans le secteur de l'énergie et de l'environnement. Le contexte politique thaïlandais est un des éléments qui explique que certains projets soient en suspens, comme celui envisagé au printemps 2013 pour que l'AFD puisse s'impliquer aux côtés de la Banque asiatique de développement pour contribuer au financement de projets ferroviaires annoncés par le gouvernement thaïlandais.

Si ces projets ferroviaires devaient se concrétiser, ils devraient donner lieu à une vigilance toute particulière dans une optique non seulement d'aide au développement mais aussi de diplomatie économique.

2. Un tissu de partenariats issus tant de l'histoire que de priorités stratégiques

Vos rapporteurs se sont rendus dans les trois pays avec lesquels la France a signé un partenariat stratégique : Singapour , le Vietnam , l'Indonésie .

Ils ont pu y constater que le contenu de ces partenariats et la densité de nos relations étaient, en pratique, extrêmement variables. Pour caricaturer, on pourrait dire que, si le partenariat avec Singapour vient couronner des années de relations denses et fructueuses à tous les niveaux (économique, politique, militaire, scientifique...), le partenariat avec l'Indonésie, conçu comme un geste politique fort pour impulser un « rattrapage », serait plutôt un pari sur l'avenir ou bien plutôt un outil pour développer une relation encore en devenir. Celui avec le Vietnam viendrait plus, dans cette analyse, couronner un passé commun et des liens historiques et culturels forts qu'une relation économique.

Parallèlement, une délégation de votre commission se rendait en Malaisie à l'occasion d'un salon d'armement, le salon DSA, et avait à cette occasion un certain nombre d'entretiens avec les responsables politiques de ce pays avec lequel nous n'avons pas de partenariat stratégique.

La cohérence de cet ensemble de partenariats n'est pas immédiate. Ainsi, comment expliquer que, malgré la densité et l'ancienneté du dialogue économique et politique avec la Malaisie, notre pays n'ait pas encore formalisé ses relations avec ce pays dans un document de ce type ?

3. Un réseau de coopération scientifique actif dans plusieurs pays

Dans plusieurs pays de la région, la France développe une coopération scientifique active, avec la présence du CNRS, de l'Institut français de recherche à l'étranger (IFRE), de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), du centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), de l'École française d'Extrême-Orient (EFEO), de l'Institut de recherche sur l'Asie du Sud-Est contemporaine (IRASEC), ou de la Délégation régionale de coopération pour l'ASEAN (DREG)...

Sur le plan culturel, la France dispose d'un réseau de l'Institut français, d'alliances françaises, et de plusieurs lycées français.

L'INSEAD a récemment redéployé le centre de gravité de ses activités vers Singapour, et l'ESSEC et l'EDHEC ont ouvert un campus à Singapour.

Réciproquement, les étudiants vietnamiens (6 000) sont les étudiants asiatiques les plus nombreux en France après les Chinois (35 000).

4. Une position solide en matière de défense

« La France participe par sa coopération de défense à la sécurité de plusieurs pays de la région, notamment l'Indonésie, la Malaisie, le Viêt-Nam et Singapour. Elle consolide son engagement politique à travers une présence active, le développement de partenariats stratégiques et l'intensification de ses réseaux de coopération.

« Avec Singapour, qui est notre premier partenaire commercial en Asie du Sud-Est et notre troisième en Asie (après la Chine et le Japon), elle conduit un dialogue politique régulier et une coopération de défense et de sécurité très étroite. »

Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013

a) La France fournit des équipements militaires

L'exportation est devenue la condition de la survie de notre industrie de défense. Entre 30 et 50% de ces exportations se font en Asie.

En 2012, la moitié des 2,3 milliards d'euros d'exports d'armements s'est ainsi réalisée sur ce continent.

Alors que l'Inde occupe les premières places de nos préoccupations asiatiques, l'Asie du Sud-est a en réalité une place tout aussi centrale.

Le matériel français offre en effet à ces pays une vraie alternative, bien souvent pour sortir d'une relation trop dépendante avec un allié traditionnel (qu'il s'agisse des États-Unis ou de la Russie), ou pour accélérer une modernisation engagée en accédant à des standards de technologie plus élevés.

(1) Une relation bilatérale de défense ancienne et nourrie avec Singapour et la Malaisie

Comme l'indique le « Livre blanc sur la défense et la sécurité nationales », avec Singapour , la France conduit un dialogue politique régulier et une coopération de défense et de sécurité très étroite.

La coopération de défense occupe en effet une place centrale dans la relation bilatérale, la sécurité étant une priorité pour la cité-État, qui y consacre le quart de son budget (7,9 milliards d'euros pour l'année fiscale 2012, par rapport à 2011 il augmente de 4,3%) 134 ( * ) .

Sa position stratégique à l'embouchure du détroit de Malacca en fait un partenaire militaire et industriel privilégié dans une zone traditionnellement sous influence américaine.

Nos relations dans le domaine de la défense sont excellentes, stimulées depuis 1998 par quatre comités interarmées et des relations directes entre les états-majors.

Les deux derniers ministres de la Défense français se sont ainsi rendus à Singapour respectivement en février 2012 pour le salon aéronautique et en juin 2012, juin 2013 et juin 2014 pour le Dialogue Shangri-La , sur les questions régionales de sécurité.

L'armée de l'air et la marine nationale participent régulièrement à des exercices conjoints. Comme cela a déjà été dit, depuis 1999, un escadron singapourien est stationné de façon permanente en France à Cazaux (Gironde) pour la formation initiale des pilotes. Le porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle a effectué une première escale à Singapour en mai 2002, peu après la première escale d'un bâtiment nucléaire français, le sous-marin La Perle , en 2001. Les bâtiments français ont fait deux escales à Singapour en 2011 ( Mistral et Vendémiaire ) et deux en 2012. En juin 2013, la base navale de Changi a accueilli les bâtiments de la campagne Jeanne d'Arc : le BPC Tonnerre et la frégate anti-sous-marine Georges Leygues .

La France a affecté un officier de liaison auprès de l'information fusion center (IFC) de la marine singapourienne depuis la création de ce centre clé dédié à la sécurité maritime régionale en 2009, avec lequel vos rapporteurs ont eu l'occasion de pouvoir s'entretenir.

Information fusion center de Singapour (IFC)

Basé à Singapour, l'IFC a pour objectif de devenir le centre régional de référence en Asie du Sud-Est dans le domaine de la sécurité maritime . Centre multinational créé en 2009, il rassemble aujourd'hui l'ensemble des pays de la zone et développe des échanges avec plus de 30 pays dans le monde.

L'IFC réalise un travail collaboratif en regroupant une majorité d'officiers de liaisons étrangers (16 pays : Australie, Brunei, Cambodge, France, Inde, Indonésie, Japon, Malaisie, Myanmar, Nouvelle-Zélande, Pérou, Philippines, Thaïlande, Royaume-Uni , États-Unis et Vietnam) autour de marins singapouriens. Outre l'échange régulier d'information et l'élaboration d'une situation tactique quotidienne, un travail de recherche, de vérification et d'analyse des évènements est effectué.

La France a un officier de liaison inséré en permanence au sein de l'IFC.

Sur la période 2008-2012, Singapour est le 5 ème plus grand importateur d'armes au monde ; la France est son deuxième fournisseur, après les États-Unis, et Singapour est notre 2 ème partenaire bilatéral de recherche en technologie de défense. Le programme de construction de 6 frégates furtives, commencé en 2000, s'est déroulé à la satisfaction des deux parties, la dernière ayant été admise au service actif à Singapour en janvier 2009.

En 2013, Singapour a à nouveau été le deuxième pays pour l'exportation d'armement français, dans un contexte très compétitif, avec des marchés importants comme, par exemple, les ravitailleurs MRTT 135 ( * ) ou le système de défense aérienne Aster 30 . Singapour est en outre une vitrine technologique, avec un processus d'acquisition empreint d'une grande rigueur et d'une très haute exigence technologique.

Les récentes déconvenues sur la vente de sous-marins (remportée par les Allemands) ne doivent pas faire oublier les acquis et le potentiel d'une relation exceptionnelle .

La France est aussi le premier fournisseur d'équipements militaires en Malaisie. Grâce notamment aux liens personnels au niveau politique 136 ( * ) , la Malaisie est aujourd'hui un partenaire de premier plan de la France pour les achats d'armement.

La Malaisie est le 5 ème client mondial de la France sur la période 2002-2011 ; elle a dépensé 30% de son budget d'armement et de défense auprès de la France ces 10 dernières années.

Outre des sous-marins, des frégates, des avions de transport militaire A400M, la Malaisie pourrait se doter de sous-marins supplémentaires, d'avions de combat et d'hélicoptères dans les années à venir.

En Malaisie, la moitié des équipements militaires sont français, ce qui correspond à un choix non seulement technologique mais aussi politique, de souveraineté nationale et d'indépendance. Partenaire stratégique « de fait » (un partenariat de défense lie toutefois nos deux pays depuis 1993), la Malaisie est au premier plan pour la France en Asie du Sud-Est

La Malaisie a ainsi acheté des sous-marins, des hélicoptères , des frégates, 4 avions de transport militaire A400M, et, outre le renforcement de ses capacités hélicoptères et sous-marins, pourrait également acquérir des hélicoptères, des avions de combat, ainsi que des missiles ou des équipements d'artillerie.

(2) Des besoins en équipement militaires partout dans la région

Nombre de pays de la région, dotés d'outils de défense vieillissants, ont engagé d'importants programmes de modernisation.

En Indonésie , en 2012 les entreprises françaises ont renforcé une implantation naissante en remportant plus de 800 millions de dollars de contrats, là où par le passé les « bonnes années » ne voyaient se réaliser que quelques dizaines de millions d'euros de contrats tout au plus.

Pour autant c'est un marché concurrentiel et difficile, comme le montre l'échec en 2011 des sous-marins français face à un concurrent coréen.

Pour soutenir nos entreprises sur un marché très concurrentiel et très prometteur et qui sera sans doute, à moyen terme, l'un des plus importants d'Asie du Sud-est, il est impératif de relever le niveau des contacts institutionnels dans le domaine de la défense et de l'armement, qui sont longtemps restés à l'étiage.

Au Vietnam , marché prometteur également, bien que traditionnellement acheteur de matériel russe, des séminaires pour les PME de défense françaises ont été organisés cette année.

Aux Philippines , où l'achat d'équipement militaire est traditionnellement américain, une prochaine loi de programmation militaire pourrait permettre, à moyen terme, à de nouveaux entrants de se positionner.

b) Des moyens militaires français -comptés- présents en Asie

Même si elle n'a rien de comparable avec la présence militaire américaine (7 ème flotte), la France est l'un des rares pays européens à disposer d' une présence militaire en Asie , avec environ 2 500 militaires et personnels civils de la défense regroupés au sein des Forces armées en Nouvelle-Calédonie (FANC) et les forces armées en Polynésie française (FAPF).

La présence militaire française en Asie-Pacifique

Avec plus de 2 500 militaires et civils de la défense présents dans le Pacifique, les Forces armées en Nouvelle-Calédonie (FANC) et celles en Polynésie française (FAPF) veillent à la protection et à la sécurité des territoires français, au contrôle des zones économiques exclusives et à l'action de l'État en mer. Grâce notamment à 2 frégates de surveillance, 3 patrouilleurs, 4 avions de surveillance maritime, 4 avions de transport tactique et une demi-douzaine d'hélicoptères, elles participent aux opérations de secours aux populations, à la lutte contre les trafics, à la protection de l'environnement et aux activités de coopération régionale dans le domaine maritime.

Source : « la France et la sécurité en Asie Pacifique », avril 2014, ministère de la défense

Il convient également de prendre en compte une moyenne de 700 marins servant en permanence dans l'océan Indien à bord des bâtiments de combat de la marine nationale, qu'il s'agisse des frégates engagées dans la lutte contre la piraterie (opération Atalante de l'Union européenne), de lutte contre le terrorisme (opération Enduring Freedom de l'OTAN) ou encore des déplacements occasionnels du groupe aéronaval, composé autour du porte-avions Charles de Gaulle, d'un groupe amphibie conduit par un bâtiment de projection et de commandement (BPC) ou encore d'un groupe de guerre des mines.

Enfin, la France entretient en Asie du Sud-Est un réseau diplomatico-militaire composé de 5 attachés de défense résidents (Indonésie, Malaisie, Singapour, Thaïlande, Vietnam), un expert protection civile à vocation régionale à Singapour et 4 attachés de sécurité intérieure (Indonésie, Singapour, Thaïlande, Laos). Comme cela a déjà été dit, un officier français est aussi présent au sein du Centre de partage d'informations sur la sécurité maritime basé à Singapour.

Ces moyens militaires sont comptés et ne permettent pas à la France d'être toujours présente sur tous les fronts et en particulier en Asie du Sud-Est : en témoigne par exemple la relative modestie de la réponse apportée par la France lors du récent typhon aux Philippines.

c) Des coopérations anciennes dans le secteur de la défense

Partout en Asie du Sud-Est la France entretient un réseau de coopération de défense plus ou moins approfondi, comme le récapitule le tableau ci-dessous :

Liste informative des activités entreprises en matière de défense
en Asie du Sud-Est par la France

Dialogue sécurité

Accords de sécurité

Projets de sécurité financés par la France dans le pays

Attachés de défense résidents

Autres dispositifs en matière de défense

Birmanie

N/A

N/A

N/A

Non-résident

(Bangkok)

N/A

Brunei

Comité de travail conjoint (JDWC, Joint Defence Working Committee)

Accord intergouvernemental de coopération de défense signé le 25 février 1999.

N/A

Non-résident

(Singapour)

N/A

Cambodge

N/A

Accord intergouvernemental relatif à la coopération militaire technique signé le 25 février 1994.

Convention de coopération triennale 2012-2014, signée le 11 octobre 2011.

Formation des forces armées cambodgiennes (francophonie et OMP).

Formation de la police et de la gendarmerie.

Projet régional Mékong (lutte contre trafics illicites et médicaments contrefaits).

Non-résident

(Hanoi)

Stages à l'école de guerre (un officier) au cours d'état-major.

Indonésie

IFDD (Indonesia France Defense Dialogue) : dialogue stratégique, coopération militaire, équipements de défense

1 ère session avril 2013

Partenariat stratégique (2011)

Arrangement technique dans le domaine de la coopération de défense instaurant un dialogue, février 2012.

N/A

Oui

Stages école de guerre, école application officiers, école d'état-major, IHEDN

Laos

N/A

N/A

N/A

Non-résident

(Hanoi)

N/A

Dialogue sécurité

Accords de sécurité

Projets de sécurité financés par la France dans le pays

Attachés de défense résidents

Autres dispositifs en matière de défense

Malaisie

Haut Comité de Défense

Groupe interarmées avec trois dialogues EM (Air, Terre, Mer).

Accord intergouvernemental relatif à la coopération dans le domaine de la Défense (11 juin 1993).

Affectation de deux professeurs au sein de l'Université de défense et d'un intervenant.

Oui

Stages à l'école de guerre et à l'école d'application des officiers de marine

Philippines

Comité conjoint de coopération dans le domaine de la défense, avec trois volets : Formation, Vente d'équipements, Transferts de technologie avec assistance technique. Dernière réunion en 2003.

Arrangement relatif à la coopération dans le domaine de la défense (1994).

Arrangement relatif aux échanges d'informations entre les chefs d'état-major de la Marine (29 septembre 1999).

N/A

Non-résident

(Kuala Lumpur)

Formation des élites et participation aux sessions régionales de l'IHEDN (SIAMO et SIASE)

Singapour

Comité mixte constitué par:

- quatre comités interarmées (réunion d'état-major annuelle)

- un dialogue stratégique (DAS)

- un comité armement (DGA)

Partenariat stratégique

Accord intergouvernemental relatif à la coopération de défense et au statut de leurs forces (21 octobre 1998, entrée en vigueur 22 mai 2003).

Un poste d'expert permanent à vocation régionale (protection civile)

Oui

Formation (formation à l'école de Guerre, aux EESM de Saint-Cyr et dans les écoles spécialisées).

Participation aux séminaires de l'IHEDN.

Echanges entre les écoles de Saint-Cyr Coëtquidan et ses homologues.

Délocalisation de l'école de pilote de chasse en France en 1998, basée à Cazaux.

Thaïlande

Réunion d'état-major tous les 18 mois.

Comité de défense franco-thaïlandais

Accord intergouvernemental instaurant un mécanisme de dialogue et de coopération (février 2013).

Formation de militaires thaïlandais en France.

Oui

N/A

Dialogue sécurité

Accords de sécurité

Projets de sécurité financés par la France dans le pays

Attachés de défense résidents

Autres dispositifs en matière de défense

Vietnam

Comité conjoint de défense (Haut Comité de Défense) établi en 2010 présidé par le vice-ministre de la Défense vietnamien et le sous-chef d'état-major relations internationales de l'état-major des armées. Il comprend trois sous-comités : questions politico-militaires, coopération militaire, équipements de défense.

Partenariat stratégique signé en septembre 2013

Arrangement relatif aux relations dans le domaine de la défense, signé en juillet 1997.

Arrangement technique relatif à la coopération dans le domaine de la défense, signé en novembre 2009.

Formation d'élèves officiers au Vietnam

Oui

Coopération structurelle, élèves officiers à Saint-Cyr en 2013

Source : Gouvernement

D. UNE PRÉSENCE FRANÇAISE À « ÉCLIPSES »

1. Une priorité théorique à l'Asie depuis les années 1990
a) Sur le papier, une priorité de politique étrangère continue depuis 1993

Dès 1993, l'Asie est affichée comme une priorité de la politique étrangère française, ou plus précisément comme sa « nouvelle frontière » 137 ( * ) . Dès cette époque, les outils s'appuient sur la conclusion de grands partenariats, sur un dialogue Europe-Asie (l'ASEM), faisant pendant à l'APEC (où sont présents les Américains et les Chinois) et sur le choix du dialogue (« engagement constructif ») plutôt que de la confrontation en matière de droits de l'homme (avec la Chine, mais pas seulement).

Le nombre de visites de haut niveau est toutefois resté relativement rare et n'a concerné que les plus grands pays, au détriment de ceux de l'ASEAN : « si l'Asie a reçu une attention nouvelle, elle demeure au second plan du quotidien des responsables politiques », analyse un article sur la politique asiatique de la France au tournant des années 2000 138 ( * ) . « Malgré le volontarisme officiel, l'Asie reste donc, en France comme ailleurs en Europe, un enjeu de deuxième ordre (...). Il suffit de relire les discours généraux de politique étrangère française, y compris ceux du Président : l'Asie y est traitée le plus souvent après l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient, comme illustration de la recherche d'un monde multipolaire ».

Le « Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France 2008-2020 » 139 ( * ) , en 2008, avait parfaitement diagnostiqué le déplacement du centre de gravité économique et stratégique du monde vers l'Asie, et préconisé (déjà !) un redéploiement des moyens de la diplomatie française vers cette région.

« Au sein de l'Union européenne, l'allègement du réseau consulaire doit être poursuivi, afin de redéployer des moyens vers les zones prioritaires comme l'Asie. (...) Il apparait nécessaire de réviser la carte scolaire [des établissements d'enseignement français à l'étranger, NDLR] en fonction de l'évolution des communautés françaises à l'étranger, surtout en Asie . (...) Tous les réseaux publics français à l'étranger doivent évoluer, en fonction des priorités de notre action internationale. De ce point de vue, l'importance croissante de l'Asie et la nécessité d'une réactivité accrue aux situations de crise justifient la poursuite de la reconfiguration de notre réseau . ».

Le « Livre blanc sur la défense et la sécurité nationales » de 2008 faisait le même constat : « À l'horizon 2025, l'Asie sera devenue l'un des pôles majeurs de la vie internationale ». Pour autant, la zone géographique prioritaire définie pour la France, l'« Arc de crise », ne permettait d'envisager en Asie que « des actions de présence et de coopération dans cette direction à partir de l'Océan Indien ».

Le « Livre blanc sur la défense et la sécurité nationales » de 2013, évoque largement les enjeux de la zone Asie-Pacifique, laquelle « joue un rôle déterminant dans la mondialisation » et qui constitue aujourd'hui « le principal foyer de croissance du monde, mais aussi l'une des régions où les risques de tensions et de conflits sont les plus élevés ».

Il affirme que la France ne s'estime pas « directement menacée » par le contexte géostratégique en Asie, mais est « très directement concernée à de multiples titres » : « une crise majeure en Asie aurait des conséquences économiques, commerciales et financières très sérieuses pour l'Europe ».

Dans son discours à l'ASEAN en août 2013, Laurent Fabius, premier ministre des affaires étrangères français à se rendre au siège de l'organisation, a mis en valeur en des termes très forts la centralité de l'Asie pour la politique étrangère française : « La France, elle aussi, a engagé un « pivot ». Non par effet de mode mais parce que la France veut être présente là où se construit le monde de demain. Or, l'Asie-Pacifique sera de façon évidente au coeur du XXI ème siècle. Et aussi parce que la France, elle-même, appartient à l'espace Asie-Océanie, par son histoire, par le fait qu'un million de Français au moins sont originaires d'Asie, et par ses territoires du Pacifique où vivent plus d'un demi-million de mes concitoyens.

« Ce « pivot » français n'est pas principalement militaire, comme pourrait l'être le pivot américain, même si la France est présente dans la région (...). Notre « pivot » est davantage diplomatique. Le nouveau gouvernement français a fait du développement de nos liens avec l'ensemble de l'Asie une priorité. »

On le voit, les déclarations et discours officiels ne manquent pas.

b) Dans les faits, des tropismes essentiellement européen et africain qui laissent peu de place au continent asiatique

Or dès le départ, le décalage entre le volontarisme des discours et la réalité des moyens alloués à l'Asie du Sud-Est est une constante, qui ne va pas se démentir par la suite.

Dès la fin des années 1990 certains observateurs 140 ( * ) notent déjà que la priorité affichée pour l'Asie ne se traduit pas dans les moyens dévolus à l'appareil diplomatique :

- La direction Asie et Océanie du ministère des affaires étrangères reste stable en effectifs ;

- L'aide publique au développement consacrée à l'Asie diminue même relativement au cours des années 1990 (dans l'ensemble de l'aide publique bilatérale) ;

- Le ministère de l'économie est avant tout focalisé sur la gestion de la crise financière asiatique ;

- Le ministère de la défense développe en revanche une coopération étroite avec plusieurs pays de la région.

Aujourd'hui encore, malgré la prise de conscience du glissement inexorable du centre de gravité mondial vers l'Asie, et l'effort de rééquilibrage des moyens annoncé -et entamé- par les gouvernements successifs, le poids de l'héritage est encore prédominant dans l'allocation des moyens des différents ministères concernés :

NOMBRE D'IMPLANTATIONS PAR ZONE GÉOGRAPHIQUE
DES PRINCIPAUX RÉSEAUX MINISTÉRIELS

Source : Mission d'évaluation de l'organisation et du pilotage des réseaux à l'étranger, mission IGF-IGA, novembre 2013

Le constat est bien connu : la présence française à l'étranger résulte plus du passé qu'elle ne permet de faire face à l'avenir. Tous les rapports officiels depuis 10 ans ont diagnostiqué une présence relativement plus importante dans les grandes capitales, en Europe et en Afrique que dans les zones émergentes.

Depuis la RGPP en passant par les récentes évaluations de l'action publique, les plans ministériels se sont succédés, avec le même objectif de rééquilibrage, notamment vers l'Asie en émergence , autour d'outils différents mais ayant tous le même but : adapter le réseau diplomatique aux enjeux du monde actuel.

Cet effort, entrepris, n'a pas encore été mené à son terme.

2. Une attention des plus hautes autorités de l'État qui a varié au cours du temps
a) Après des décennies d'absence, un soudain regain d'intérêt qui se manifeste par une avalanche de visites officielles

Il serait faux de dire que l'Asie en général, l'Asie du Sud-est en particulier, a été absente des préoccupations de politique étrangère de la France au cours des décennies passées. Schématiquement, on pourrait dire qu'après la période De Gaulle qui a posé les actes fondateurs (reconnaissance de la Chine, discours de Phnom Penh..), la période du Président Mitterrand visionnaire (visite au Vietnam en 1993, accords de Paris sur le Cambodge), la période du Président Chirac marquée par le poids donné à l'Asie (on pense notamment à la Malaisie et au Japon) et le rééquilibrage de la présidence Sarkozy en faveur des grands BRICS asiatiques (Inde et Indonésie), la priorité asiatique est aujourd'hui sans exclusive.

De fait, tous les observateurs soulignent le retour en forces des visites officielles françaises dans la région, après des années d'absence.

Deux ans après leur entrée en fonction, le Président de la république et le Premier ministre français auront eu l'occasion d'un entretien avec l'ensemble des dirigeants de la région.

Ainsi, après l'Afghanistan, le premier déplacement du Président de la République nouvellement élu en 2012 a été effectué au Laos à l'occasion du Sommet Europe-Asie (novembre 2012). Par ce déplacement, le Président de la République a voulu marquer son attachement aux relations avec l'Asie ainsi qu'aux relations entre l'UE et l'Asie.

Le Premier ministre s'est quant à lui rendu à Singapour et aux Philippines (octobre 2012), au Cambodge et en Thaïlande (février 2013), ainsi qu'en Malaisie (juillet 2013).

Les visites du Ministre des affaires étrangères et de la Ministre déléguée au commerce extérieur ont également été nombreuses ces dernières années, sans parler du ministre de la défense, qui s'est rendu au Shangri-La dialogue à Singapour tous les ans depuis 2012, ce qu'aucun ministre de la défense n'avait fait jusqu'alors. Il faut souligner en particulier que le ministre des affaires étrangères français s'est symboliquement rendu, pour la première fois, au siège de l'ASEAN, à Jakarta, en août 2013.

La France a reçu les Présidents de la République de Birmanie, en juillet 2013 et du Laos en octobre 2013. Les Premiers Ministres de Thaïlande, du Vietnam, et de Singapour ont également effectué des visites en France respectivement en juillet 2012, septembre 2013 et octobre 2013.

Ainsi en quelques mois, et depuis 2011 à vrai dire, le nombre de visites officielles françaises s'est subitement accéléré.

Tous les interlocuteurs sur place ont souligné l'importance de ces visites officielles, pour entretenir la relation bilatérale, non seulement sur le plan politique mais aussi en matière économique ou militaire.

Par le passé, nous avons d'ailleurs commis des maladresses, ou raté des occasions, il faut savoir le reconnaitre. Ainsi, en 2011, alors que la France présidait le G8 et l'Indonésie, membre du G20, l'ASEAN, une visite présidentielle en Indonésie aurait été bienvenue. Elle n'a pu avoir lieu, ce qui est d'autant plus regrettable qu'aucun Président de la République français ne s'était rendu en Indonésie depuis 1986 et que le président indonésien Yudhoyono s'était rendu à Paris précédemment (à noter que le Premier ministre s'est rendu en Indonésie, les 30 juin et 1 er juillet 2011, occasion de la signature du partenariat stratégique avec ce pays). Il faut noter que la chancelière allemande s'est rendue 3 fois en Indonésie en 5 ans .

De la même façon, on peut déplorer que tous les présidents philippins élus se soient rendus en visite officielle en France, sans réciproque jusqu'à présent, ce qui est naturellement ressenti par l'opinion publique de ce pays. Cette lacune sera sans doute bientôt comblée.

b) Un déficit global de présence dans les cercles qui comptent : de la difficulté d'intégrer la logique de « l'influence »

En Asie du Sud-Est, il nous faut intégrer la logique de l'influence . Sur le mode américain (ou chinois ?), il faut savoir bâtir patiemment une stratégie des petits pas, pragmatique, par la participation régulière à toutes sortes d'enceintes de dialogue qui nous permettent d'être présents et de nous installer dans le paysage.

C'est aussi la dictature des moyens qui nous l'impose : il faut faire mieux avec autant, voire avec moins de moyens, et donc chercher des effets de levier, des multiplicateurs de présence.

C'est dans ce contexte qu'il convient d'avoir une logique de réseaux, de forums, d'échanges, qui peuvent d'ailleurs tant être le fait d'officiels que de think tanks, sur le mode anglosaxon.

L'exemple typique est naturellement le Shangi-La dialogue organisé chaque année fin mai à Singapour, lieu d'échanges incontournables sur la sécurité régionale.

C'est cette logique nouvelle, un peu au rebours de notre approche diplomatique traditionnelle, qu'il nous faut intégrer.

3. Une présence de nos entreprises encore affectée par les conséquences de la crise asiatique de 1997

La « ruée » vers les petits tigres asiatiques d'entreprises françaises dans les années 1990 s'est parfois traduite par de cinglants échecs.

« L'Indonésie revient de loin : en 1998 elle était au bord du gouffre, aspirée par la crise financière asiatique qui entraînait un recul de son PIB de 13%. On la comparait alors à un « trou noir » menacé de « balkanisation » 141 ( * ) ».

Plusieurs acteurs économiques l'ont confirmé sur place à vos rapporteurs : la France a perdu des places dans l'ASEAN avec la crise asiatique de 1997, les entreprises françaises ayant, suivant les terminologies employées, « plié bagage » ou « déserté ». De fait, dans des pays comme l'Indonésie par exemple, notre pays, bien que présent avec certains grands groupes (Total, Danone, Alstom, Gdf Suez, Accor, Eads...), n'a pas su capitaliser sur sa présence historiquement forte dans les années 1990.

Alors qu'on comptait 450 entreprises françaises présentes en Indonésie en 1990, elles sont désormais seulement 150. La communauté française (inscrits au registre) en Indonésie est de seulement 4000 personnes (contre 15 000 à Singapour, 7 000 au Vietnam).

Aujourd'hui encore, les stocks d'investissements et d'implantations d'entreprises n'ont pas retrouvé leur niveau d'il y a 20 ans.

En Indonésie, la Banque de France évalue le stock d'investissement français en à 2,2 milliards d'euros en 2012. Toutefois en proportion, la part de l'Indonésie stagne à 0,2% de nos investissements totaux dans le monde. En 2011, la France n'est que le 3 ème investisseur européen en stock (derrière les Pays-Bas et le Royaume-Uni). Alors que dans le même temps l'Indonésie ne cesse de progresser, à la 17 ème place (en 2012) des pays d'accueil de l'investissement direct mondial, cité comme la 4 ème destination privilégiée pour leurs investissements 2013-2015 par les entreprises interrogées par la CNUCED dans son rapport annuel sur l'investissement 2013.

STOCKS D'INVESTISSEMENTS DÉTENUS PAR LA FRANCE EN 2010

4. Des parts de marché insuffisantes, une offre industrielle en recherche de positionnement
a) Une part de marché de 1,5% qui justifie pleinement l'objectif d'un doublement des échanges en 5 ans

Les échanges commerciaux ne sont pas à la hauteur du potentiel et de la qualité des relations politiques entre la France et l'ASEAN.

La part de marché française globale, autour de 1,5 % dans les pays de l'ASEAN, est insuffisante. Sans parler des 1% de part de marché au Vietnam, par exemple.

Dans les années 1990, la France était dans les 3 premiers partenaires commerciaux du Vietnam. Vingt ans après, elle n'est même plus dans les 25 premiers rangs, et souffre de 2 milliards d'euros de déficit commercial. Au Vietnam aujourd'hui, les concurrents de la France sont coréens, chinois, allemands, italiens....

L'objectif du Gouvernement de dynamiser les relations commerciales et de positionner davantage les entreprises françaises sur ce marché prometteur est donc largement partagé par votre commission.

b) Des problèmes d'offre

Vos rapporteurs ont eu l'occasion d'aborder la question des délocalisations avec la communauté d'affaire française au Vietnam . Il va de soi que les différentiels de coût de la main d'oeuvre, notamment, ont alimenté l'hémorragie des emplois industriels en France et la délocalisation des productions vers des pays à bas coût, comme la Chine hier, le Vietnam aujourd'hui, l'Éthiopie demain peut-être.

Sur ce point, plusieurs témoignages d'entrepreneurs français au Vietnam ont fait valoir que la délocalisation partielle de la production permettait bien souvent de conserver les emplois à plus forte valeur ajoutée en France : design, conception, produits haut de gamme.

L'Euro fort est aussi un élément qui a été fréquemment cité, naturellement. Ainsi on observe que certains groupes européens réorganisent leur chaîne de production et « sortent » progressivement de la zone euro, pour des raisons de compétitivité-coût.

Les problèmes de positionnement de l'offre industrielle française ont également été mis en avant pour expliquer la maigreur des parts de marché : problèmes de compétitivité coût, notamment, mais pas seulement. Le fait que les entreprises allemandes vendaient des machines-outils, là où l'offre française n'apparaît pas aussi bien positionnée sur ces marchés en forte croissance dans l'Asie émergente, joue aussi.

L'analyse de notre commerce extérieur en Indonésie révèle ces difficultés de positionnement de notre offre industrielle par rapport à nos voisins européens.

Dans ce pays, nos exportations sont concentrées à l'excès sur l'aéronautique. Les autres exportations, principalement composées de biens d'équipement, sont allemandes et non françaises. Depuis 2005, entre 21% et 29% des exportations totales de l'Union européenne entrent dans cette catégorie, atteignant 2,5 milliards d'euros en 2013. Or, plus de 40% de ces biens proviennent d'Allemagne , de loin de premier exportateur européen de biens d'équipement (avec 1 milliard d'euros de biens d'équipement exportés) Il s'agit principalement des biens d'équipement ménagers (type gros électro-ménager, lave-vaisselle, etc.) et industriels (type machines de lavage, séchage, remplissage, embouteillage pour l'industrie ; machines de transformation du caoutchouc et du plastique notamment). Les exportations de biens d'équipement électriques représentent 8,5% du commerce germanique vers l'Archipel en 2013, soit 267 millions d'euros.

Au deuxième rang des exportateurs de biens d'équipement, l'Italie cumule 24,6% des biens importés de l'Union européenne. Les biens d'équipement industriels sont la première exportation de l'Italie. C'est la catégorie « machines de lavage, séchage, remplissage, embouteillage pour l'industrie » qui constitue la première exportation italienne avec 9,4% suivi de « robinetterie, valves, et autres pièces pour tuyaux et chaudières » avec 4,2%.

Loin derrière, se trouvent le Royaume-Uni , la France et les Pays-Bas qui totalisent respectivement 7,8%, 5,7% et 5,2% des exportations de biens d'équipement de l'Union Européenne... Ces chiffres résument les difficultés de positionnement de l'offre industrielle française.

E. UNE EUROPE EN MAL D'ATTRACTIVITÉ, PERÇUE COMME UNE PUISSANCE UNIQUEMENT COMMERCIALE

1. En dépit d'instances de dialogue UE-ASEAN...

La Commission européenne a été le premier acteur international à établir des relations informelles avec l'ASEAN dès 1972. Elle est devenue un partenaire de dialogue en 1977. UE et ASEAN sont liées par un accord de coopération depuis 1980, une déclaration pour un partenariat renforcé en 2007, et un plan d'action renouvelé en avril 2012.

Une réunion dite « de dialogue » se réunit deux fois par an au niveau des ministres des affaires étrangères.

A cela s'ajoute l'initiative au départ franco-singapourienne de Sommet Europe-Asie (ASEM), dont le premier s'est réuni à Bangkok en 1996, avec pour objet d'approfondir le dialogue économique, politique et culturel.

Un organe permanent a en outre été créé, il y a quinze ans : la Fondation Asie-Europe (ASEF), dont le siège est à Singapour, pour développer des échanges culturels et humains entre les sociétés civiles des Pays-membres d'Europe et d'Asie.

Les outils de dialogue existent donc sur le plan institutionnel. Pour autant, vos rapporteurs ont pu ressentir, lors de leur mission en Asie du Sud-est, un certain manque d'attractivité de l'Europe, perçue comme affaiblie par la gestion de ses difficultés économiques et monétaires.

2. ...L'UE manque de visibilité, d'attractivité, et parait cantonnée au strict registre commercial
a) Une vision de l'Europe empreinte de doutes

C'est un fait : nos interlocuteurs asiatiques, ivres de leur croissance économique pharaonique, de leur jeunesse et de leur dynamisme, portent parfois sur l'Europe un regard dubitatif. L'Union est parfois perçue comme une puissance sur le déclin, empêtrée dans son chômage de masse et la gestion de ses crises budgétaire et économique.

C'est un fait que l'Europe a perdu du terrain en Asie du Sud-est : du fait du dynamisme des partenaires asiatiques, l'Union européenne qui était le premier partenaire commercial est désormais reléguée à la troisième place et est susceptible de descendre encore dans ce classement.

La proximité historique et culturelle s'efface peu à peu avec les nouvelles générations.

b) Un tropisme essentiellement commercial

L'Union européenne est avant tout identifiée comme une puissance commerciale.

C'est un fait : aujourd'hui les relations entre l'UE et l'ASEAN demeurent avant tout centrées sur l'économie .

L'UE représente aujourd'hui le troisième partenaire commercial de l'ASEAN (derrière la Chine et le Japon) et l'ASEAN est le quatrième partenaire commercial de l'UE. Si, en valeur, les échanges sont en progression (les échanges ont atteint 181 milliards d'euros en 2012), la part de l'UE dans les échanges avec l'ASEAN est toutefois en diminution ces dernières années, au profit de la Chine. L'UE reste cependant, avec 25 % des investissements directs, le premier investisseur étranger dans la région.

L'Union européenne en tant que telle est perçue comme politiquement absente en Asie du Sud Est. Ainsi, malgré la création en 1996 de l'ASEM, format de dialogue entre l'UE et l'Asie du Sud Est, l'Europe n'apparaît pas comme un acteur identifié en matière de sécurité, bien qu'elle ait signé en juillet 2012 le traité d'amitié et de coopération en Asie du Sud Est (TAC).

L'Union européenne, si elle est considérée comme « un partenaire de dialogue » dans l'ASEAN Regional Forum (ARF), n'est pas encore véritablement perçue comme un acteur stratégique important dans cette région.

3. Des États membres de l'UE en concurrence directe sur le plan économique

En outre, les États-Membres sont concurrents dans cette région (comme ailleurs) sur le plan économique.

L'exemple de l'Allemagne revient le plus souvent : lors de leur mission au Vietnam, vos rapporteurs ont ainsi pu constater l'étendue du soutien des pouvoirs publics allemands à la dynamisation du flux d'affaires avec ce pays. Ainsi par exemple, en face du Consulat général de France à Ho Chi Minh ville (où existe certes une antenne d'Ubifrance, mais où il n'y a plus de services économiques, ceux-ci ayant été regroupés et redimensionnés à Hanoi), une « Maison de l'Allemagne » se construit, bâtiment imposant de plusieurs étages qui devrait, selon les premières informations recueillies, rassembler tant des services de nature diplomatiques et commerciaux que des entreprises... La chancelière allemande a d'ailleurs effectué plusieurs visites dans la région (tout comme en Chine d'ailleurs), signe de la mobilisation très forte sur cet enjeu asiatique.

Il faut noter également que, d'après nos informations et dans le cadre d'une coopération remportée par appel d'offre, les Allemands sont les seuls européens à disposer, dans les locaux du secrétariat général de l'ASEAN, d'une présence physique permanente de plusieurs personnes . Les diplomates français accrédités auprès de l'ASEAN ne s'y rendent quant à eux qu'épisodiquement...

III. LA FRANCE EST-ELLE EN TRAIN DE RATER UN TOURNANT STRATÉGIQUE EN ASIE DU SUD EST ?

A. DANS LE NOUVEAU CONTEXTE ÉCONOMIQUE, IL EXISTE UN IMPÉRATIF ASIATIQUE POUR LA FRANCE

1. Une priorité pour la diplomatie économique
a) Un enjeu dont la prise de conscience est désormais partagée

Dans cette région du monde en forte croissance, où la mondialisation s'est traduite par une « asiatisation » des économies, la globalisation s'est globalement faite à notre relatif détriment. Nous sommes loin de tirer tous les bénéfices du décollage du Sud-est asiatique.

Sans parler de nos traditionnels concurrents nord-américains ou européens, aujourd'hui, dans cette région, nos concurrents sont bien souvent des entreprises de Corée du Sud, du Japon, de Chine.

Compte tenu des potentialités de croissance et des nouveaux besoins de consommation, d'équipements et d'infrastructures, l'ASEAN doit être une priorité centrale de notre diplomatie économique.

Le gouvernement français en est désormais bien conscient. Parmi les 47 pays prioritaires pour les exportations françaises, on trouve 6 pays d'Asie du sud-est. L'Asie du Sud-est représente 20% de nos exportations.

Lors des visites officielles qui se sont succédées ces derniers mois, les ministres n'ont pas manqué de faire du volet économique une priorité de leurs déplacements.

L'Asie du Sud-est n'échappe pas au diagnostic général porté sur l'appareil exportateur français. Au-delà du contexte général, des objectifs spécifiques ont toutefois été fixés pour cette région prometteuse.

Car l'Asie n'attendra pas la France. Le 21 e siècle est, déjà, le siècle de l'Asie.

Vos rapporteurs sont convaincus qu'il y a là un enjeu vital pour préserver notre modèle de développement. Il nous faut de la croissance pour permettre sa sauvegarde : nous jouons une partie de notre reprise en Asie ; y sortir des radars par un échec commercial serait un cauchemar durable sur le plan économique.

Réciproquement, notre pays peut être un moteur pour « tirer » l'Asie du sud-est vers des modèles de croissance plus respectueux de l'environnement. Enfin,  les pays de l'ASEAN (Singapour, la Thaïlande, la Malaisie et l'Indonésie, principalement) sont encore des investisseurs modestes en France mais ils sont considérés comme étant « à fort potentiel ». Ils méritent donc toute notre attention. Une cinquantaine de groupes de l'ASEAN sont déjà implantés en France et y emploient 2 300 personnes. Il y a là aussi un fort gisement pour développer l'emploi, en particulier industriel, sur notre territoire.

PNB DE L'ASEAN COMPARÉ AUX AUTRES PUISSANCES ASIATIQUES

(Source: The Institute of Southest Asian Studies)

b) L'accession progressive aux standards de consommation occidentaux : l'exemple de l'automobile

La montée en puissance d'une classe moyenne consumériste a déjà été décrite ci-dessus. Inutile de revenir dessus.

Pour illustrer les potentialités offertes aux entreprises françaises, l'exemple de l'automobile est particulièrement frappant. Aujourd'hui on trouve très peu de voitures françaises en Asie du Sud-Est. La domination japonaise (et coréenne) est frappante, et seules les automobiles allemandes rivalisent, sur les segments haut de gamme.

Douzième producteur mondial, la Thaïlande concentre la production automobile, suivie de l'Indonésie et de la Malaisie. En 2010, la Thaïlande a produit 1,65 million de véhicules 142 ( * ) , soit la moitié de la production totale de la région. En développant très tôt une politique d'attractivité et d'accueil des plus grands constructeurs mondiaux, le pays a réussi à faire de l'automobile un secteur clé de son économie, représentant 12% de son PIB et 9% de ses exportations en 2010. Les constructeurs se recentrent actuellement sur l'Indonésie , attirés par une main d'oeuvre peu coûteuse, un marché prometteur de 240 millions d'habitants et une politique fiscale attractive.

La chaîne de production automobile est dominée par les constructeurs japonais qui, i mplantés dès la fin des années 60, représentent aujourd'hui 70% de la production et 84% de parts de marché. Leur stratégie se concentre principalement sur la Thaïlande comme base d'exportation, mais aussi sur l'Indonésie, en particulier s'agissant des usines à forte capacité de production.

La présence des constructeurs européens reste très faible, et celle de la France, encore marginale (avec une petite exception pour Peugeot en Malaisie 143 ( * ) ).

L'intérêt marqué des pays de l'ASEAN pour le développement d'une filière de véhicules propres, notamment électriques, offre pourtant l'occasion de dynamiser la présence française et de permettre à nos groupes de prendre leur place face à la concurrence asiatique, sur des marchés au très fort dynamisme.

Car les opportunités dans la région sont considérables , en raison tant de la croissance démographique que de l'accroissement significatif des revenus par habitant. L'Indonésie est naturellement l'un des pays les plus prometteurs, pour le secteur automobile comme pour d'autres secteurs. La croissance mondiale de l'industrie automobile repose depuis 2010 sur la région Asie-Pacifique et il faudra sans doute compter d'ici quelques années avec la Thaïlande, l'Indonésie et la Malaisie, qui devraient rejoindre le peloton de tête des pays producteurs, derrière la Chine et l'Inde.

Pour ne prendre que l'exemple du marché automobile indonésien, premier marché automobile de l'ASEAN avec 1,1 million de voitures vendues par an , le taux d'équipement n'est que de 36 voitures pour 1 000 habitants, inférieur à ceux de la Chine, du Brésil et de la Russie. La marge de progression est vertigineuse .

En matière de distribution , la plupart les classes moyennes aisées indonésiennes qui dépensent entre 200 et 300 dollars par mois continue à se déplacer en moto et à faire ses courses dans des points de vente traditionnels, faute d'accès à un grand centre de consommation (le taux de pénétration des hyper et supermarchés demeure limité, ne touchant qu'un tiers de la classe moyenne). Là encore, le potentiel est important.

c) 1000 milliards de dollars de besoins en infrastructures

Les besoins en infrastructures dans cette région sont immenses, évalués à 1000 milliards de dollars .

(1) Le secteur ferroviaire en plein essor

Avec près de 20 000 kilomètres de voie ferrée à réhabiliter ou à construire , pour un montant estimé à près de 160 milliards de dollars , l'ASEAN représente un marché potentiel colossal 144 ( * ) . Face à la position dominante de la Chine, qui bénéficie d'une capacité de financement considérable, la présence des entreprises françaises doit se renforcer. Le rail constitue un domaine d'excellence français, que nos entreprises sont en mesure de valoriser à la fois sur le marché de la grande vitesse, et sur les marchés plus modestes de réhabilitation qui fleurissent dans la région, à condition de se montrer compétitives face à leurs concurrents, notamment en termes de financements. Le rôle de l'ingénierie doit être particulièrement valorisé, son influence sur les spécifications techniques étant déterminante pour positionner l'offre française. Son rôle de levier à l'export dans un secteur très concurrentiel, sera essentiel, tout particulièrement sur le marché de la grande vitesse.

La Malaisie et la Thaïlande sont particulièrement en pointe dans l'effort de modernisation de leur réseau ferroviaire. La Malaisie double l'électrification de sa ligne ouest, pour un coût total de 4 milliards d'euros, outre la ligne à grande vitesse entre Kuala Lumpur et Singapour .

Comme cela a déjà été dit, en Thaïlande on dénombre plus de 30 projets ferroviaires, pour un total de 33 milliards d'euros d'ici 2020, dont 4 000 km de réhabilitation de voies et la construction de 4 lignes à grande vitesse sur 2 500 km, rayonnant à partir de Bangkok.

L'EXEMPLE DU RAIL

L'ASEAN dispose d'un réseau ferroviaire étendu mais datant globalement de l'époque coloniale. Faute d'entretien, ce réseau accuse toutefois, à l'exception de la Malaisie, un retard alarmant. Sous-exploité à la fois pour le transport de passagers et le fret, le rail constitue ainsi l'un des volets de la politique de connectivité régionale portée, encore timidement cependant, par l'ASEAN. Dans ce contexte, si les entreprises françaises occupent des positions limitées, dans un environnement très concurrentiel dominé par la Chine, des opportunités restent à saisir.

Le rythme des projets reste encore modeste malgré des efforts d'identification des besoins. Des travaux d'électrification, de doublement des voies ou de lignes de fret sont en cours dans la plupart des pays. Les projets de grande vitesse, poussés par la Chine, semblent peu réalistes à l'exception du projet de ligne Kuala Lumpur/Singapour, annoncé pour 2020, et du programme lancé par la Thaïlande (ligne reliant Bangkok à Rayong en particulier). La rentabilité d'investissements aussi lourds (en moyenne, 10 à 15 millions d'euros/km) constitue une interrogation majeure dans des pays émergents, le coût de l'investissement imposant un trafic suffisant et une tarification élevée, ou subventionnée. Si la plupart des pays évoquent des projets de grande vitesse, les perspectives restent donc encore limitées. Les projets moins coûteux de réhabilitation et de modernisation sont privilégiés afin de disposer d'un réseau régional de transport ferroviaire fonctionnel, multimodal et ouvert, notamment vers le principal partenaire commercial de la région, la Chine.

Source : Service économique régional de Singapour, Direction générale du Trésor

(2) Une croissance vive des besoins aéroportuaires

La quasi-totalité des pays de la région ont des projets aéroportuaires de grande ampleur.

L'Indonésie est très prometteuse, avec des projets aéroportuaires estimés à plus de 8 milliards de dollars. Premier aéroport de la région, 9 ème mondial avec 57,7 millions de passagers en 2012, Jakarta a distancé Singapour et Bangkok grâce à sa spectaculaire croissance, de 80% depuis 2008. L'aéroport de Jakarta a ainsi quadruplé son nombre de passagers annuels entre 2001 et 2011.

Le marché philippin offre également des opportunités avec 15 projets, pour la plupart en partenariat public privé (PPP), pour plus de 8 milliards de dollars, comparable au marché thaïlandais, qui totalise plus de 7 milliards de dollars de projets, incluant les extensions des aéroports de Bangkok et Phuket. Le Vietnam poursuit son projet phare de Long Thanh, estimé à 7 milliards de dollars, sur un marché global de près de 13 milliards de dollars. Après son terminal 4, opérationnel dès 2017, Singapour lancera en 2014 son projet de terminal 5 (Changi 2), estimé à plus de 4 milliards de dollars, afin de doubler sa capacité à l'horizon 2020 (de 66 à 135 millions de passagers).

LA CROISSANCE DU SECTEUR AÉROPORTUAIRE 145 ( * )

Dans ce contexte de très forte croissance des projets aéroportuaires, les positions françaises sont bonnes dans le secteur des équipements de gestion du trafic aérien, mais peinent à décoller dans l'ingénierie et la construction.

D'après nos services économiques, les entreprises françaises ont en effet parfois du mal à se positionner : « Après une percée en Indonésie pour la réalisation d'études pour l'aéroport de Jakarta, les études pour son terminal 3 ont été remportées par la Corée, redoutable concurrent dans le paysage asiatique. Le projet d'extension de Bangkok Suvarnabhumi a été attribué à la concurrence en avril 2013. Aujourd'hui, le projet de Changi 2 pourrait permettre à l'ingénierie française de se positionner. Les Philippines représentent également un potentiel intéressant avec plusieurs projets, dont celui de Clark, destiné à désengorger l'aéroport Naia, sur lequel l'offre française pourrait se positionner. Sur le volet de l'exploitation, seul Vinci Concessions dispose aujourd'hui d'une solide implantation au Cambodge où Cambodia Airports (détenu à 70% par le groupe) exploite 3 aéroports. Le groupe suit de près le projet de Long Thanh au Vietnam 146 ( * ) . ».

(3) Le premier marché aéronautique mondial pour les 20 ans à venir

En Asie-Pacifique (au sens large), premier marché aéronautique mondial, on estime entre 11 000 et 13 000 147 ( * ) le nombre d'avions qui seront commandés dans les 20 prochaines années , soit un doublement de la flotte. C'est cinq fois plus que le Moyen-Orient sur la même période.

NOMBRE DE COMMANDES D'AVIONS PASSAGERS ESTIMÉ D'ICI 20 ANS

Source : Airbus

Le secteur aéronautique représente 40% de nos exportations en ASEAN, où le secteur aérien est en plein essor. Elle représente 30% du carnet de commande d'ATR qui a encore conforté sa position dominante en 2013 (98% du marché sur son segment). En 2013, 243 Airbus ont été vendus en Indonésie. C'est aussi le premier fournisseur en Malaisie. L'Asie-pacifique représente 30% du carnet de commandes de l'A350, part qui est encore appelée à croître dans les prochaines années.

(4) Des projets de métro pour répondre à des besoins colossaux

Depuis 1984 (Manille) trois capitales du sud-est asiatique ont ouvert un métro : Singapour, Kuala Lumpur, Bangkok, soit 17 lignes pour 600 km de voies. Plusieurs projets sont en cours, comme les métros de Hanoi, Ho Chi Minh ville, Jakarta. 13 nouvelles lignes sont annoncées dans la région pour un total de 200 km de voies supplémentaires .

Les métros sont financés par les bailleurs de l'aide au développement, en particulier le Japon, mais aussi, comme cela a déjà été dit, la France (ligne 3 du métro de Hanoi pour laquelle l'AFD finance 110 millions d'euros sous forme de prêts).

d) L'économie maritime dans des États maritimes et archipélagiques

S'il est un domaine dans lequel les potentialités économiques sont grandes, c'est celui de l'économie maritime . Le secteur maritime français représente aujourd'hui 310 000 emplois directs hors tourisme, 52 milliards d'euros en valeur de production 148 ( * ) . Qu'il s'agisse de construction navale, d'industrie offshore, de recherche scientifique, d'armement, d'assurance, des professions du droit maritime, notre pays a des entreprises très bien placées dans un secteur qui représente 1 100 milliards d'euros de volume d'affaires annuel, et qui croît de 10% tous les 10 ans. 150 milliards d'euros de chiffre d'affaires sont réalisés dans des secteurs qui n'existaient pas il y a 10 ans... Combien de secteurs économiques peuvent se targuer d'une telle perspective ? L'objectif -ambitieux- du Gouvernement 149 ( * ) serait d'ailleurs de conquérir 10% de nouveaux marchés d'ici 2020, ce qui dégagerait un chiffre d'affaires de 50 millions d'euros.

L'Asie du Sud-est, tournée vers la mer avec des États archipélagiques tels que l'Indonésie, par exemple, est naturellement une cible importante en matière d'économie maritime.

La Malaisie et l'Indonésie, notamment, disposent par exemple d'un potentiel élevé pour les énergies renouvelables marines. Ce secteur est très porteur pour l'industrie française : énergie hydrolienne, éolien offshore, énergie houlomotrice, énergie thermique des mers...

2. Des objectifs fixés et des moyens mobilisés pour accroitre la présence commerciale française

Face à toutes ces opportunités, les parts de marché françaises sont insuffisantes, même si en partie expliquées par les contraintes d'accès aux marchés.

En 2013, la France a réalisé un excédent commercial bilatéral de 2 milliards d'euros avec cette région, contre des déficits de 96 millions d'euros en 2012 et 2,4 millions d'euros en 2011. Notre pays enregistre pour la première fois depuis 10 ans un excédent commercial avec l'Indonésie (51 millions d'euros) et ses excédents avec Singapour et la Malaisie restent élevés à respectivement 2,3 milliards d'euros et 647 millions d'euros. Le déficit avec le Vietnam reste toutefois préoccupant (2 milliards d'euros).

Des objectifs spécifiques de diplomatie économique ont donc été fixés pour l'Asie du Sud-Est et de nombreuses actions sont mises en oeuvre pour les atteindre.

LES OUTILS DE DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE MIS EN oeUVRE EN ASIE DU SUD-EST

Tous les outils financiers sont mobilisés pour accompagner les entreprises et identifier les nouveaux créneaux porteurs ou les secteurs où l'excellence française peut être valorisée.

- Un accent a été mis sur l'accompagnement des entreprises par des financements (Fasep (Fonds d'étude et d'Aide au Secteur Privé), RPE (réserve pays émergents), AFD, Coface). En 2012-2013, 17 projets se sont vus accorder des financements Fasep notamment au Laos, aux Philippines, en Birmanie et en Indonésie et 7 de la RPE (Indonésie, Philippines mais surtout Vietnam) dans les secteurs des transports, de l'énergie et de l'environnement. Ces projets sont destinés à créer un effet de levier pour d'autres projets dans la région.

L' AFD s'est positionnée pour financer 11 projets, toujours dans ces secteurs notamment au Vietnam et en Thaïlande. Des synergies sont recherchées pour que nos entreprises bénéficient également de financements multilatéraux.

La garantie Coface est ouverte sans condition sur la majorité de la zone de l'ASEAN. Seuls le Laos et le Cambodge restent ouverts sous conditions restrictives.

La conclusion d'un accord de réduction de la dette birmane au Club de Paris s'est accompagnée de la levée de la plupart des sanctions de l'UE. La Politique d'assurance-crédit de la Coface a été modifiée pour 2014 et les exportations des sociétés françaises vers ce pays peuvent bénéficier de la garantie souveraine de la Coface.

L'engagement de la Coface dans la zone est confirmé dans la mesure où elle vient d'identifier 10 pays émergents qui talonnent les BRICS. Parmi ces pays figurent l'Indonésie et les Philippines.

Ubifrance organise de nombreux évènements dans la zone (7 en 2014) au bénéfice des PME ainsi que des colloques ou séminaires en France. À ce titre, le dernier colloque intitulé « Cap sur l'Asie du Sud-Est » s'est déroulé au Sénat le 3 avril.

Source : Entretien avec la direction générale du Trésor

Des priorités fortes ont été déterminées au regard des enjeux propres à la zone ou à chaque pays notamment dans la perspective du grand marché de l'ASEAN (communauté 2015).

Outre les transports et l'énergie, dans lesquels une implantation sur place est la plupart du temps nécessaire, la santé, l'agriculture et l'agroalimentaire ont été privilégiés.

La démographie, le manque de structures médicales et de système de soins ainsi que l'émergence d'une classe moyenne sont des facteurs clefs expliquant la croissance des besoins dans le secteur de la santé, qui constitue un secteur de pointe de la France.

Dans l'agriculture et l'agroalimentaire, les opportunités doivent être exploitées au regard des besoins d'assurer la sécurité alimentaire dans la plupart des pays (génétique, machines agricoles), de la nécessité d'accroître la valeur ajoutée des biens agricoles exportés (appui à la création d'une industrie de transformation), et de l'émergence d'une classe moyenne (biens agro-alimentaires, gastronomie, vins et spiritueux).

3. Des intérêts stratégiques très directs
a) Des communautés françaises en Asie désormais aussi nombreuses qu'en Afrique de l'Ouest

Suivant la dynamique de la croissance économique, la communauté française installée en Asie du Sud-est a fortement progressé ces dernières années.

Nos compatriotes sont de plus en plus nombreux à s'établir dans la région, attirés par sa réussite économique et les opportunités qu'elle offre. Près de 44.000 Français sont inscrits au registre mondial des Français établis hors de France dans la région ( environ 60.000 si on prend en compte les non-inscrits). Ils sont notamment 10.000 inscrits à Singapour (pour 15 000 au total), 9.900 inscrits en Thaïlande et 6.300 inscrits au Vietnam.

La communauté française compte ainsi parmi les plus importantes communautés expatriées non-asiatiques de la région.

À cela s'ajoutent les 1,2 millions de Français qui se rendent en Asie du Sud-est chaque année, pour affaires ou tourisme.

Lors de leur déplacement en Asie du Sud-est, vos rapporteurs ont notamment pu rencontrer la communauté française de Singapour : 15 000 Français, en général jeunes. On note un léger changement de profil : alors qu'autrefois on ne trouvait que le profil « expatrié », on remarque que désormais certains jeunes Français viennent à Singapour soit dans des conditions moins favorables qu'auparavant (en contrat de droit local, phénomène qualifié de « depackaging »), soit directement pour chercher du travail, du fait des conditions économiques en France, sans bénéficier forcément des avantages offerts jusque-là. Certains, compte tenu de son coût, choisiraient même parfois de ne pas prendre de couverture sociale....

Au Vietnam , s'installent désormais non seulement des retraités, mais aussi des entrepreneurs venus se « refaire » après un échec en France, profils qu'on ne rencontrait pas il y a encore quelques années....

b) Un stock d'investissements équivalent à celui détenu en Chine

Les relations françaises avec l'ASEAN se caractérisent également par des investissements directs.

L'ASEAN est la troisième destination des investissements français en Asie avec, en 2011, un stock de près de 12 milliards d'euros 150 ( * ) , derrière le Japon et le monde chinois. Singapour est le premier pays récepteur d'investissements directs français au sein de l'ASEAN, avec près de la moitié du total, devant l'Indonésie et la Thaïlande.

Les implantations françaises montent aussi en puissance pour fournir les marchés locaux et répondre aux besoins d'infrastructures.

Selon le dernier calcul de la direction générale du Trésor, le nombre de filiales françaises (chiffre relatif aux implantations non disponible) est égal à 1 360, dont 475 à Singapour.

C'est un chiffre comparable à notre présence en Chine où nous avons 1 500 filiales recensées (2 200 implantions).

c) Une dépendance directe vis-à-vis du trafic maritime

Intégrée au commerce mondial, la France est dépendante de ses approvisionnements maritimes. Quelques jours après le tsunami et l'accident nucléaire de Fukushima, les entreprises automobiles françaises ont d'ailleurs été très directement impactées par les ruptures d'approvisionnement en provenance de l'archipel nippon, signe de cette dépendance bien réelle.

Car l'essor de la « conteneurisation » a profondément transformé le commerce mondial ces dix dernières années.

La France dépend de ses approvisionnements maritimes à la fois pour ses importations (hydrocarbures, minerais, composants industriels, produits finis), mais aussi pour ses exportations (céréales, produits agricoles, produits manufacturés).

Le trafic de conteneurs à destination ou en provenance de la France a doublé de 2000 à 2010, passant de 2500 à 4900 navires et de 5 à 14 millions d'EVP (équivalent 20 pieds, unité de mesure des conteneurs).

Consciente de cet enjeu, la délégation aux affaires stratégiques du ministère de la défense a commandé en 2012 une étude 151 ( * ) sur la vulnérabilité de la France aux flux maritimes, qui met en valeur l'importance majeure de la route maritime traversant l'Asie du Sud-Est (2/3 de nos approvisionnements y transitent) et qui tente de mesurer les conséquences éventuelles d'une crise en mer de Chine méridionale (parmi d'autres scénarii tels que des frappes occidentales sur l'Iran ou encore la déstabilisation d'un État dans le Golfe de Guinée, par exemple).

Dans ce scénario, dont la probabilité de survenue est jugée moyenne, les flux maritimes seraient fortement perturbés en mer de Chine (voire rendus impossibles, pour un temps du moins). La France, dont les deux tiers du trafic conteneurisé total traversent la mer de Chine , serait directement impactée :

- Paralysie des secteurs industriels tels que l'automobile, l'informatique, par pénurie de composants, et mise au chômage technique partiel ou total d'une partie importante des personnels durant la phase aigüe de la crise, puis fonctionnement au ralenti ;

- Arrêt brutal de l'approvisionnement en certains biens de consommation, vidant les commerces pendant une période plus ou moins longue (compte tenu de l'absence de route de substitution aussi satisfaisante) et entraînant des tensions inflationnistes.

d) Une clé de la préservation des ressources de nos espaces maritimes outre-mer

C'est aussi dans l'Océan indien et dans l'Océan Pacifique que se joue la lutte pour la préservation des ressources de nos espaces maritimes outre-mer . Avec ses outre-mer, la France bénéficie de la deuxième zone exclusive mondiale, riche de 11 millions de km2. L'enjeu est d'assurer la protection de ces espaces mais aussi d'être en mesure de faire fructifier leur potentiel économique.

Il s'agit des ressources halieutiques, avec les perspectives de pression alimentaire accrue dans les prochaines années, mais aussi de l'exploitation industrielle des ressources de notre zone économique exclusive (énergies marine, éolien off shore , exploitation du sous-sol marin etc....), particulièrement prometteuse.

Pour cela naturellement, il faut être présent. Pour affermir notre souveraineté sur ces espaces, il faut être capable de s'y montrer.

Faute de quoi, compte-tenu de la pression sur les ressources, en particulier halieutiques, d'autres les accapareront. En particulier, une « descente » vers le sud Pacifique des navires de pêche de certaines nations asiatiques n'est pas à exclure.

C'est ce qu'affirme l'Amiral Anne Cullerre, commandant des zones maritimes de Polynésie française et de l'océan Pacifique (ALPACI) dans un article récent 152 ( * ) qui aborde la question de la zone économique exclusive (ZEE) de la Polynésie, qui s'étend sur près de 5 millions de km². « Cette ZEE (...) est particulièrement riche en ressources halieutiques. Si ces ressources sont actuellement sous-exploitées (...) elles ne manquent pas d'attirer des flottilles asiatiques présentes en nombre aux abords de notre ZEE (...). Si nous ne maintenons pas cette surveillance (...) ces ressources vont diminuer et ne profiteront pas aux intéressés. Quant aux fonds sous-marins de la ZEE, les études menées par l'Ifremer ont révélé qu'ils recéleraient a priori de nombreuses ressources d'importance stratégique. Les campagnes n'ont cependant encore pas permis de mesurer, ni d'évaluer la totalité des ressources exploitables. Les réflexions portent dès lors sur un horizon plus lointain, de l'ordre de 20 à 30 ans, mais rapportés à l'échelle du temps, c'est déjà demain. La ZEE de Polynésie Française est pour le moment protégée du pillage, grâce à la présence des moyens aéronavals hauturiers. »

Qu'en sera-t-il demain, compte tenu des perspectives de réduction de la flotte de la marine nationale outre-mer ?

C'est une problématique que votre commission a déjà souvent abordée dans le cadre notamment de la révision du Livre blanc sur la défense nationale et de la loi de programmation militaire.

Compte tenu des réductions de format et des étalements de programmes en matière de renouvellement de la flotte de bâtiments de la marine nationale, la présence de l'État en mer et tout particulièrement Outre-mer est un sujet de préoccupation. Le chef d'état-major de la marine, l'Amiral Rogel, a fait part à votre commission d'inquiétudes sur la capacité à assurer une présence outre-mer dans les années à venir. « Nous sommes d'ores et déjà confrontés à une réduction temporaire de capacités. Le Livre blanc a prévu que le nombre de frégates de surveillance, qui sont nos principales capacités de haute-mer dans ces régions, soit maintenu. Nous disposons de 6 bâtiments : 2 à la Réunion, 2 dans les Antilles, 1 en Nouvelle-Calédonie et un dans le Pacifique. (...) La question se pose du remplacement des patrouilleurs P400 qui devront être prolongés, en liaison avec le programme BATSIMAR de patrouilleurs qui a déjà été repoussé une fois . »

De fait, un trou capacitaire semble inévitable à compter de 2017.

« Pour la Nouvelle-Calédonie, pour maintenir un niveau de présence minimal, nous aurons une frégate de surveillance, un patrouilleur P400, et un B2M 153 ( * ) pour compenser -en 2018 seulement- le retrait du service actif du BATRAL 154 ( * ) . Avec ces moyens, nous pouvons mener des opérations de lutte antidrogue, d'interception de bâtiments de pêche illicite et de surveillance de notre zone économique exclusive. Mais nous ne pouvons pas tout faire ! Un mot sur le programme BATSIMAR : les patrouilleurs P400, qui ont un âge avancé, devront être prolongés du fait du décalage de 2014 à 2024 de la livraison du premier exemplaire. C'est un facteur de risque, je ne vous le cache pas. », précisait le chef d'état-major de la Marine lors de son audition devant votre commission en novembre 2013.

Cette réflexion plus globale dépasse le strict cadre de ce rapport d'information. Elle doit toutefois être gardée en mémoire.

e) Des soutiens potentiels pour notre politique étrangère
(1) L'Indonésie, « zéro ennemis et des millions d'amis », attachée au multilatéralisme et engagée dans le maintien de la paix

Les pays d'Asie du Sud-est peuvent également être de précieux alliés de notre politique étrangère.

Vos rapporteurs ont constaté en Indonésie la disponibilité et l'ouverture de ce grand pays musulman sur des questions comme le conflit israélo-palestinien (malgré l'inexistence de relations diplomatiques avec Israël) ou encore sur la question de la participation aux opérations de maintien de la paix ou des négociations sur le climat.

Attachée au respect du cadre multilatéral et du système des Nations Unies, l'Indonésie, démocratie stable se veut capable d'aider à la résolution des crises internationales. Pratiquant un islam modéré, elle peut servir de pont entre les cultures et les religions.

Comme vos rapporteurs ont pu le constater lors de la visite du grand centre de formation aux opérations de maintien de la paix de Sentul, l'Indonésie, qui déploie actuellement 1700 casques bleus au service de 8 opérations de maintien de la paix, notamment avec la FINUL au Liban , a de grandes ambitions en la matière. Au total, depuis 1957, ce sont près de 30 000 Indonésiens qui auront été déployés sous casque bleu. L'Indonésie entend se hisser bientôt parmi les dix plus grands États contributeurs.

ZONES DE DÉPLOIEMENT DES 1700 CASQUES BLEUS INDONÉSIENS

Source : Peace Keeping Center de Sentul

(2) Les négociations sur le climat : des émergents prêts à s'engager

Les pays de l'ASEAN sont des acteurs clefs pour parvenir à l'adoption d'un accord ambitieux et applicable à tous lors de la conférence climat à Paris en 2015.

Alors qu'ils s'inscrivent dans la mouvance des pays émergents qui ne sont pas soumis aux mêmes engagements que les pays développés, certains pays sont prêts à s'engager et pourraient s'avérer des alliés décisifs.

Lors des négociations internationales sur le climat, les pays de l'ASEAN s'expriment en leur nom, et à travers le « groupe des 77 » (parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques adoptée en 1992 et au protocole de Kyoto de 1997, ces pays n'ont pas d'engagement de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, contrairement aux pays développés).

Les pays émergents mettent en avant la responsabilité historique des pays développés dans le dérèglement actuel et l'importance de bien prendre en compte les responsabilités communes mais différenciés des différentes parties. Très vulnérables toutefois aux effets du dérèglement climatique, ces pays demandent des moyens de mise en oeuvre (financements, transferts de technologie, renforcement des capacités) pour parvenir à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre et à s'adapter aux impacts.

Toutefois, leurs positions diffèrent parfois, en fonction de leurs priorités nationales : ainsi plusieurs états de l'ASEAN pourraient-ils être prêts à s'engager.

La conférence de Paris vise à permettre de limiter l'augmentation moyenne de la température mondiale en-dessous de deux degrés par rapport à l'ère pré-industrielle, pour tenir compte des conseils scientifiques du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).

L'Indonésie, cela a déjà été dit, a perdu plus de 20% de ses forêts ces vingt dernières années, ce qui en fait désormais le 8 ème émetteur mondial de gaz à effet de serre. Le pays s'avère particulièrement vulnérable aux perturbations climatiques (montée des eaux, dépérissement des forêts, sécheresse dans sa partie orientale).

Il s'agit du premier pays émergent à s'être engagé avant Copenhague sur un objectif chiffré unilatéral de déviation de -26% de ses émissions en 2020 par rapport à la courbe tendancielle -- 87% de cet objectif devant provenir de la réduction de la déforestation --, et de -41% en cas de soutien financier international. L'organisation de la conférence annuelle des Nations unies sur le climat à Bali en 2007 a en effet déclenché une prise de conscience nationale sur l'importance de l'enjeu environnemental. L'Indonésie est en voie de tenir son objectif unilatéral puisque le chiffre de 20% aurait déjà été atteint.

Contrairement à d'autres États-membres de l'ASEAN, l'Indonésie tient un discours positif et participe au Dialogue de Carthagène qui rassemble les pays les plus progressistes de la négociation. Elle souhaite aboutir en 2015 à un accord juridiquement contraignant compatible avec l'objectif des 2°C. Cet accord devra faire une juste place à l'adaptation au changement climatique et à la lutte contre la déforestation.

La Malaisie a intégré le changement climatique dans ses politiques publiques et a pris des engagements forts de réduction de son intensité carbone (- 40% d'ici 2020 par rapport à 2005), sous réserve de transferts de technologies et de financements de la part des pays développés. Elle insiste sur la responsabilité de ces derniers, tant sur l'atténuation que sur le financement de la lutte contre le dérèglement climatique dans les pays en développement. La question sensible de la déforestation est également une de ses priorités. En mai 2012, la Malaisie a rejoint le groupe des Like-Minded Developing Countries on Climate Change (LMDC) au moment de sa création. Ce groupe de pays (comprenant aussi la Chine, l'Arabie Saoudite et d'autres producteurs d'hydrocarbures) affirme notamment que les pays développés n'assument pas leurs responsabilités en demandant des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre aux pays en développement. Il s'agit d'un groupe de pays auquel une grande attention doit être accordée afin d'éviter un blocage des négociations.

Les Philippines ont également rejoint le groupe des Like-Minded Developing Countries on Climate Change (LMDC) au moment de sa création. Particulièrement vulnérables aux catastrophes naturelles et ne bénéficiant pas de l'attention et des financements apportés aux petits États insulaires en développement, Manille souligne le besoin que les pays développés adoptent des objectifs de réduction d'émissions plus ambitieux. Les Philippines jouent un rôle clef dans les négociations sur les questions de financement de la lutte contre le changement climatique.

Singapour est un acteur central dans les négociations climatiques, comme l'ont montré les accords de Cancún de 2010 qui ont permis la création du Fonds vert pour le climat. Le pays fait également figure de contributeur important à la réussite des conférences de Durban (2011) et de Doha (2012). Il est par ailleurs membre de l' Alliance des petits États insulaires (AOSIS) qui, compte tenu des effets dévastateurs de la montée des eaux du fait du changement climatique, revêt un poids politique de premier plan dans la négociation multilatérale.

Au niveau national, Singapour a développé une stratégie nationale de lutte contre le changement climatique au service de sa croissance économique et fixe un objectif de diminution des émissions de gaz à effet de serre de 7 à 11% d'ici 2020 par rapport aux niveaux d'émissions de 2005, puis de stabilisation après 2020 .

(3) Des États actifs dans la lutte contre la prolifération nucléaire

L'Indonésie a fait de la non-prolifération l'un des thèmes de sa diplomatie. En 1970, l'Indonésie a signé le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), puis l'a ratifié en 1979. En 1999, elle est devenue le premier État de l'ASEAN à signer un protocole additionnel avec l'AIEA. Enfin, en février 2012, le pays a déposé son instrument de ratification du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE).

Pendant sa présidence de l'ASEAN, en 2011, l'Indonésie n'a pas ménagé ses efforts pour faciliter la signature du protocole additionnel au traité de Bangkok créant une zone exempte d'armes nucléaires en Asie du Sud-Est, entré en vigueur en 1997.

B. L'ASEAN EST UN PARTENAIRE ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE À LA « MESURE » ET À LA « PORTÉE » DE LA FRANCE, À NE PAS SOUS-ESTIMER

1. Globalement, une région excédentaire en 2013 pour le commerce extérieur français

Les échanges commerciaux entre la France et l'ASEAN sont globalement excédentaires, ce qui mérite d'être relevé. Globalement, l'excédent français sur la zone est de 2 milliards d'euros en 2013 . Même si historiquement, nos échanges sont déficitaires, en moyenne de 1,7 milliard d'euros sur la période 2003-2012.

Au total, les échanges commerciaux entre la France et l'ASEAN se sont élevés en 2013 à 26,7 milliards d'euros (hors matériel militaire).

Les exportations françaises, 14,3 milliards d'euros en 2013 (+1,9%) croissent en moyenne de 11% depuis 2003 (et de 22% en moyenne en matière aéronautique). La part de l'aéronautique est essentielle puisqu'en 2012 par exemple, année exceptionnelle à cet égard, les exportations aéronautiques vers Singapour ou la Malaisie ont pu représenter des montants de respectivement 2 et 1,4 milliard d'euros.

Aux excédents commerciaux traditionnellement dégagés vis-à-vis de Singapour (2,3 milliards d'euros en 2013), des Philippines (1 milliard d'euros), de la Birmanie (28 millions d'euros) et de Brunei (9 millions d'euros) s'ajoutent désormais la Malaisie (647 millions d'euros), la Thaïlande (217 millions d'euros) et le Laos (12,5 millions d'euros). Le solde commercial vis-à-vis de l'Indonésie est très légèrement excédentaire (51 millions d'euros) tandis que le déficit à l'égard du Vietnam est stable (à 2,1 milliards d'euros).

SOLDE COMMERCIAL PAR PAYS (MILLIONS D'EUROS)

2012

2013

évolution

Singapour

1 292

2 318

ASEAN

-96

1 995

Philippines

506

1 031

Malaisie

726

647

Thaïlande

-29

217

Indonésie

-403

51

Myanmar

13

28

Laos

17

12,5

Brunei

11,7

9,4

Cambodge

-143

-234

Vietnam

-2 088

-2 084

Source : Entretien avec la Direction générale du Trésor

2. Politiquement, un partenaire désormais incontournable
a) Une priorité conforme à l'échelle verticale de la puissance : le ciblage diplomatique sur les « proto émergents »

Cela a déjà été dit, notre diplomatie, reflet d'un pays qui se veut « un grand parlant à des grands » a traditionnellement sous-estimé les pays d'Asie du Sud-Est, au profit, dans la région, de l'Inde, de la Chine et du Japon.

Peu intégrée, sujette à des jeux de puissance et à des influences extérieures l'Asie du Sud-Est a donc été longtemps négligée.

Cette tendance est en train de se retourner de façon spectaculaire.

La diplomatie française a affirmé en 2012 avec conviction et talent son nouveau ciblage sur les « néo-émergents », ou « proto-émergents ».

Laurent Fabius déclarait ainsi lors de la Conférence des ambassadeurs en 2012 : « Au-delà des pays émergents de première ligne qui connaissent des taux de croissance élevés, nous accorderons une attention forte aux « nouveaux émergents » d'Amérique latine, d'Asie, d'Afrique et du Moyen-Orient. Il s'agit notamment de l'Afrique du Sud, de l'Indonésie , du Viêt-Nam , de la Colombie, du Mexique, de la Turquie et de quelques autres, de l'Australie d'une autre façon - je ne dresse pas de palmarès -, qui sont en train de rejoindre « la classe moyenne mondiale » et constituent autant de perspectives et de marchés nouveaux. »

Ce ciblage est pertinent ; il a le mérite d'ouvrir de nouvelles opportunités et de s'adapter à une certaine nouvelle échelle de la puissance, puissance économique mais aussi démographique. La Malaisie et la France, par exemple, sont « comparables » en termes de puissance démographique.

Pour autant, ces pays ont trop tendance à être vus aujourd'hui comme de nouveaux eldorados : après les avoir longtemps ignorés, il convient de ne pas sous-estimer aujourd'hui tant la concurrence auprès d'États particulièrement courtisés que la difficulté à y faire des affaires.

b) Un jeu désormais plus ouvert dans le cadre de la « nouvelle politique des blocs »

La « nouvelle bipolarité » du monde entre la Chine et les États-Unis décrite ci-dessus, supposée ou réelle, a en tous cas ouvert un espace nouveau pour un pays indépendant comme la France, « allié mais non aligné », suivant la formule consacrée.

Pour les États qui cherchent un équilibre dynamique entre leurs différents jeux d'alliances, un partenariat avec la France permet de sortir du face à face qui gouverne le monde.

N'y a-t-il pas aujourd'hui par exemple une opportunité au Vietnam, dans le cadre d'un rejet populaire des investissements chinois ?

Pour toutes ces raisons, il y a un « moment » à saisir pour notre pays pour reprendre pied en Asie du Sud-Est.

CHAPITRE 3 : COMMENT REPRENDRE PIED EN ASIE DU SUD-EST ?

I. UN PILOTAGE STRATÉGIQUE MIEUX AFFIRMÉ DE NOS OBJECTIFS EST INDISPENSABLE

A. DÉFINIR UNE STRATÉGIE COHÉRENTE ET AMBITIEUSE

1. Affirmer une stratégie et définir un pilotage de haut niveau
a) Affirmer à haut niveau la priorité (sud-est) asiatique

Les discours officiels n'ont cessé d'affirmer l'Asie comme une priorité de notre politique étrangère. Mais est-ce vraiment le cas ? Savons-nous vraiment ce que nous voulons en Asie du Sud-Est ? Avons-nous une stratégie, des objectifs, une « feuille de route » ?

En outre, comme cela a déjà été dit, les m oyens n'ont pas toujours suivi.

Au total, cette région, a longtemps été, il faut le redire, négligée. Le Livre blanc de 2013, malgré l'importance des questions stratégiques dans la région, ne lui consacre d'ailleurs que quelques maigres paragraphes.

L'Asie dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013

« Comme ses partenaires européens, la France n'est pas directement menacée par les conflits potentiels entre puissances asiatiques mais elle n'en est pas moins très directement concernée à de multiples titres. Membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et de la Commission d'armistice militaire du Commandement des Nations unies en Corée (UNCMAC), elle est une puissance présente dans l'océan Indien et le Pacifique. Elle est également l'alliée des États-Unis qui jouent un rôle central en matière de sécurité dans cette partie stratégique du monde. Ses entreprises et ses ressortissants sont en nombre croissant dans la région et sa prospérité est désormais inséparable de celle de l'Asie-Pacifique. »

Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013

Un document du ministère de la défense, paru en avril 2014 « La France et la sécurité en Asie Pacifique », est venu remédier en partie à ce déficit d'affirmation politique de notre présence stratégique en Asie.

On peut d'ailleurs s'interroger sur la démarche, certes bienvenue mais inédite, et qui peut apparaitre comme un « exercice de rattrapage » post Livre-Blanc, piloté par le ministère de la défense, et qui n'a pas fait l'objet d'une présentation à un niveau politique, mais simplement administratif. 155 ( * )

Pour autant, peut-on affirmer que l'Asie a aujourd'hui toute sa place dans notre politique étrangère ? Est-on capable de voir les enjeux qui s'y déroulent, au-delà du seul horizon de la diplomatie économique ?

Une idée sous-jacente est que nous n'aurions plus les moyens de conduire une politique ambitieuse en Asie du Sud-est ; tout au plus pourrions-nous nous contenter d'une réallocation des moyens de nos zones historiques de présence vers la Chine et l'Inde. Mais aller plus loin serait trop difficile. À l'heure de la réduction du réseau diplomatique, des réductions de capacités militaires, il nous faudrait nous concentrer sur nos approches les plus immédiates. La gestion des crises sahélienne et centrafricaine absorbe en outre nos moyens (la France aura consacré plus d'un milliard d'euros à ses opérations militaires extérieures en 2012 et 2013).

C'est oublier que notre avenir se joue en Asie : avenir économique mais aussi stratégique, car c'est là que les principes de l' « ordre international », comme la liberté de circulation en mer, sont aujourd'hui remis en cause.

Certes, l'Asie est un tout qu'on ne peut fragmenter, mais il faut éviter que les trois géants, l'Inde, la Chine et le Japon, « ne nous cachent le reste de l'Asie 156 ( * ) ».

Le vide sur notre stratégie en direction du sud-est asiatique doit être comblé, avec une vision partagée de nos intérêts mutuels, susceptible de fédérer l'action des différentes administrations.

Ce vide a en effet un coût d'opportunité, à l'heure où l'ASEAN « galope » et où nos concurrents s'y pressent.

Sans vision partagée de la présence de la France en Asie du Sud-Est, il est difficile d'invoquer un cap et a fortiori de convaincre nos interlocuteurs qu'il s'agit pour la France de partenariats réellement stratégiques.

Il est aujourd'hui paradoxal que la France soit un des seuls « grands » pays à ne pas avoir formalisé clairement son pivot asiatique.

Les Américains ont défini leur balancement asiatique, quel qu'en soit le rythme réel. Les Allemands ont clairement investi la zone où ils sont très présents. La France, elle, peine à aller au-delà de l'affichage.

De fait, le fil conducteur de nos actions semble avant tout budgétaire : tenter un redéploiement à l'heure des restrictions de budget et d'effectifs, revient, en fait, à « sauver les meubles » dans cette région de plus en plus centrale, ce qui ne peut tenir lieu de stratégie.

Il faut nous remobiliser sur l'enjeu du sud-est asiatique : la nomination d'un représentant spécial, la création d'une « task force » interministérielle peuvent être des instruments au service d'une stratégie qui doit être définie et suivie au plus haut niveau.

D'ailleurs, le Gouvernement a annoncé, le 25 juin dernier, la nomination de M. Philippe VARIN comme représentant spécial pour l'ASEAN. Votre commission salue cette initiative qui va dans le bon sens.

La priorité (sud-est) asiatique de notre politique étrangère doit être mieux affirmée, pilotée au plus haut niveau et surtout mieux concrétisée (« task force » interministérielle, représentant spécial, redéploiement des moyens diplomatiques, consolidation de la présence militaire). Il faut sortir de l'incantation et se libérer de la dictature des moyens (nous n'aurions « plus les moyens » d'avoir une politique asiatique), par redéploiement, car nos intérêts stratégiques sont directement en jeu dans cette Asie soi-disant lointaine.

Proposition : pour mobiliser sur l'enjeu du sud-est asiatique, un événement international pourrait être proposé par la France, par exemple en marge d'une prochaine Assemblée générale des Nations unies.

La question de la sécurité maritime ou de la liberté de circulation maritime pourrait être un thème fédérateur des Nations du sud-est asiatique. Elle serait l'occasion pour la France, grande nation maritime, de mettre en avant ses savoir-faire et son mode d'organisation particulier (action de l'État en mer).

Cette question pourrait être au préalable débattue lors de la prochaine Conférence des Ambassadeurs (consacrée à « Une diplomatie globale ») puis portée par une stratégie interministérielle associant étroitement les ministères des affaires étrangères et de la défense.

b) Mettre en oeuvre une stratégie interministérielle d'influence

Plusieurs experts entendus par votre commission ont mis en avant deux facteurs d'amélioration possible pour accroître notre influence en Asie du Sud-Est (comme d'ailleurs vraisemblablement dans d'autres régions du monde) :

- d'abord donner une dimension plus interministérielle à notre action. Certes, la politique vis-à-vis de l'Asie est suivie par la cellule diplomatique de la Présidence de la République ainsi que par le conseiller diplomatique du Premier ministre, qui sont à même d'impulser une dimension transversale. Dans les faits, les administrations travaillent largement en « silots » : si des réunions interministérielles sont organisées périodiquement (voire des groupes de travail conjoints), la logique de la transversalité ne semble pas encore très intégrée.

Sur la question de l'opportunité de conclure un partenariat stratégique avec la Malaisie, par exemple, on perçoit une divergence d'analyse entre les différentes administrations.

Cette situation n'est pas très satisfaisante. Un pilotage politique mieux affirmé permettrait sans doute d'unifier notre action et de la rendre plus transversale ;

- ensuite, compte tenu de l'importance de « l'influence » et des relations interpersonnelles dans cette région du monde, plusieurs ont souhaité une meilleure gestion des divers programmes de bourses et d'invitation des personnalités d'avenir.

Une réflexion spécifique semble opportune sur à la fois le ciblage des invités (priorité « économique » et « défense » à réaffirmer compte tenu du contexte) et aussi - et surtout ?- au suivi dans la durée (relances, entretien du réseau, animation dans le temps long....).

De la même façon, l'animation et le suivi par nos postes diplomatiques des réseaux d'anciens élèves des écoles françaises ou des anciens étudiants en France sont perfectibles (c'est un euphémisme), de l'aveu même de nos diplomates.

Faute d'outil, faute de stratégie, ce levier d'influence n'est pas optimisé aujourd'hui.

Un recensement interministériel devrait être entrepris, pour une définition plus stratégique des cibles et la mise en oeuvre d'un suivi du réseau dans la durée, avec des outils appropriés.

Proposition : Lancer une étude sur les différents programmes de personnalités d'avenir (programmes de la défense, « Pipa 157 ( * ) » du ministère des affaires étrangères, réseaux du ministère de l'économie et des finances...). Viser la centralisation des contacts dans une base de données unique et mise à jour et le développement d'outils d'animation du réseau au niveau de chaque poste diplomatique, et dans la durée.

2. S'appuyer sur des États-pivots prioritaires

Dans la mise en oeuvre de sa stratégie, la France doit s'appuyer plus clairement sur trois États pivots qui doivent faire l'objet d'une attention prioritaire : l'Indonésie , la Malaisie et Singapour .

a) Indonésie : Un potentiel économique et stratégique à (re)considérer

L'Indonésie, grande démocratie, présente un immense potentiel. Nous y sommes quasiment « sortis des radars ». Ce pays doit être une priorité absolue, non seulement sur le plan économique, mais aussi politique et stratégique.

Le solde commercial français avec l'Indonésie est très fluctuant, car dépendant notamment des ventes aéronautiques (50 % de nos échanges au 1 er semestre 2013). En tendance, la France, déjà peu présente économiquement dans l'archipel, perd en outre des parts de marché, y compris vis-à-vis de certains partenaires européens.

Avec 150 entreprises seulement, la présence française est portée par les grands groupes qui prennent seuls le risque de la durée et de l'investissement en ressources humaines. À titre de comparaison, le nombre d'entreprises coréennes en Indonésie est de 1200.

Dans un contexte de concurrence très vive des entreprises asiatiques (Chine, Japon, Corée) et européennes (Allemagne, Pays Bas), les problèmes de compétitivité « coût » et « hors coût » du tissu économique français se font sentir.

Notre pays n'est pas aujourd'hui en mesure de tirer tout le profit possible du potentiel de développement indonésien .

Une de nos premières faiblesses serait notre méconnaissance de l'Indonésie, de son modèle politique, de sa culture, de ses projets et de ses circuits de financement, ainsi qu'une trop forte concentration sur les marchés publics, qui sont lents à se concrétiser.

Une mobilisation particulière de tous les acteurs publics est aujourd'hui engagée autour de l'enjeu de la présence économique française en Indonésie, formalisée dans un plan d'action spécifique interministériel, qui inclut notamment un volet de communication et de promotion en France du potentiel indonésien, malgré les difficultés, connues, de ce marché (environnement règlementaire instable, obstacles non tarifaires, procédures administratives complexes, corruption).

Un premier « guide des affaires » a notamment été réalisé par Ubifrance, et les secteurs les plus prometteurs (énergie, tourisme, transport...) ont fait l'objet de fiches par marchés et filières à destination des entreprises françaises.

Les opportunités sont là : lors de leur séjour à Jakarta, vos rapporteurs ont appris que l'enseigne Ikea allait bientôt ouvrir ses 3 premiers magasins simultanément en Indonésie. On entend dire que la seule limitation de son chiffre d'affaires sera la capacité d'accueil de ses parkings....

Sur le plan diplomatique et stratégique , l'Indonésie est un allié potentiel pour les négociations sur le climat, en même temps qu'un facteur d'équilibre régional (voir au-delà) par la médiation que peut exercer sa politique étrangère, notamment vis-à-vis du monde musulman. C'est aussi un état archipélagique tourné vers la mer et l'un des principaux clients potentiels pour les industries françaises d'armement...

« L'Indonésie est un partenaire incontournable pour la France. Les relations entre les deux pays ne sont pas encore à la hauteur de leur potentiel », déclarait ainsi Laurent Fabius, août 2013, au siège de l'ASEAN.

De fait, quand l'Indonésie achète des aéronefs, elle en commande plus de 200, et fait travailler 5 000 employés d'Airbus pendant 10 ans 158 ( * ) . Quand elle se dotera de nouveaux sous-marins, elle les achètera par douzaine.

Il faut savoir regarder avec lucidité les opportunités offertes.

Proposition : faire de l'Indonésie une priorité n° 1 de la diplomatie économique.

b) La Malaisie : une relation à consolider par la conclusion d'un partenariat stratégique

La Malaisie est un pays courtisé (États-Unis, Japon, Grande-Bretagne, notamment....), tant pour sa stabilité politique, que pour sa situation économique saine et dynamique, et la clarté de sa vision à moyen terme pour son développement et celui de la région.

Le contexte économique y est favorable, avec une croissance de 5,6% en 2012, une faible inflation, un taux de chômage de plein emploi, un déficit budgétaire maîtrisé, un excédent commercial maintenu bien qu'en diminution, un endettement faible et une bonne résilience à la crise mondiale.

La Malaisie est notre second partenaire commercial dans l'ASEAN, avec un excédent commercial, le 16 ème excédent de la France en 2012, ce pour la première fois depuis près de 20 ans, qui devrait se maintenir, voire se renforcer dans les prochaines années compte tenu des contrats en cours.

L'accord de libre-échange en négociation entre la Malaisie et l'Union européenne, en cours de négociation, devrait permettre, une fois conclu, de renforcer encore notre présence économique.

65% de nos exportations relèvent encore du secteur aéronautique : cette fragilité montre aussi qu'il existe un potentiel de diversification de nos relations économiques : dépasser les grands contrats pour promouvoir un engagement de nos PME, diversifier les secteurs en profitant notamment des opportunités dans le secteur ferroviaire (liaison Singapour-Kuala Lumpur et futures tranches du MRT (My Rapid Transit), métro lourd), dans le nucléaire civil, l'énergie...

Vos rapporteurs constatent un décalage entre le niveau de nos relations économiques et notre investissement politique.

La visite du Premier ministre français en juillet 2012 (acceptée par nos partenaires en plein Ramadan, il faut le relever) était en effet la première visite de très haut niveau depuis celle de Pierre Mauroy en décembre 1982 et du Président Jacques Chirac en  2003.

Pourtant, nouvellement élu en 2009, le Premier ministre Najib Razak avait quant à lui choisi la France comme première étape de son périple européen en 2009.

Il faut être conscient de ce que la poursuite des bonnes performances françaises en matière d'armement est aussi conditionnée par la qualité de notre relation politique bilatérale. Il est illusoire de penser que les marchés relatifs aux avions de combat ou aux hélicoptères par exemple peuvent se dispenser d'un soutien politique fort, ne serait-ce que parce que l'aspect « formation des pilotes » y sera tout à fait déterminant.

Pour cela, il nous faudra aussi savoir aplanir les « irritants » susceptibles de nous causer de grands torts commerciaux, tels l'huile de palme par exemple.

La relation doit être approfondie et mieux structurée : la conclusion d'un partenariat stratégique peut être un bon effet de levier.

Proposition : proposer à la Malaisie, qui présidera l'ASEAN en 2015, la conclusion d'un partenariat stratégique, incluant un volet politique, économique, de défense et de coopération culturelle. Programmer à court terme une visite du ministre de la défense dans ce pays.

c) Singapour : Une excellente relation, à conforter

L'excellence à tous points de vue de notre relation avec Singapour (économie -avec 600 entreprises françaises et 10 milliards d'euros d'échanges annuels-, défense, politique, culture, sciences.....) ne doit pas nous conduire à nous « endormir » sur nos lauriers.

Vos rapporteurs ont en particulier mesuré, à l'occasion de leurs entretiens officiels avec leurs homologues singapouriens, la nécessité d'y expliquer la stratégie économique française.

Un point à améliorer reste d'attirer plus les investissements singapouriens en France, qu'il s'agisse des entreprises privées, publiques, ou des fonds souverains.

Proposition (cf. ci-dessous) : au-delà de l'indispensable effort d'attractivité du territoire national pour les investissements, vaincre la règle psychologique des « 7 heures d'avion » pour attirer les investissements singapouriens en France, notamment les fonds souverains.

B. DÉCLINER NOTRE AMBITION STRATÉGIQUE AVEC PATIENCE ET DANS LA DURÉE

1. Miser sur l'ASEAN

Certes, la construction de l'ASEAN n'est en rien un processus comparable à celui de la construction européenne, comme cela a déjà été dit. Processus souple, non contraignant, reposant sur une organisation aux modestes moyens, cette intégration régionale n'en est pas moins devenue, progressivement, de plus en plus centrale.

L'ASEAN constitue de fait l'un des piliers de l'équilibre régional et contribue de facto à la stabilité du continent. L'adhésion de la France au Traité d'amitié et de coopération (TAC, texte fondateur de 1977 visant à promouvoir la stabilité régionale), en 2007, a su témoigner, dès cette date, de notre intérêt pour cette dynamique régionale.

Il nous faut continuer de marquer notre soutien à un processus qui ne peut que se consolider à l'avenir. Comme le font remarquer certains experts, l'émergence de la Chine est un « ciment » qui ne peut que lier de plus en plus étroitement les 10 États membres, au fur et à mesure du rattrapage économique, déjà enclenché, entre eux, et qui ne peut que se renforcer avec la « communauté ASEAN 2015 ».

Au-delà du seul aspect commercial, déjà décisif en soi, il n'est pas utile de rappeler l'intérêt qu'il y a à appuyer la constitution d'une architecture de sécurité collective, qui s'organise aujourd'hui de facto autour de l'ASEAN, même si l'organisation ne sera jamais ni l'OTAN de l'Asie du Sud-Est (alliance militaire régionale centrée sur la défense collective) ni l'UE (approche globale intégrée avec des abandons de souveraineté).

Lorsqu'on interroge les représentants du ministère des affaires étrangères sur cette question, ils jugent en général « prématuré » de renforcer notre présence auprès de l'organisation.

Notre dispositif actuel est jugé suffisant, bien qu'étant très modeste : notre ambassadeur en Indonésie est accrédité auprès de l'ASEAN et ne s'y rend en pratique qu'occasionnellement, compte tenu notamment de sa charge de travail et de la difficulté de circulation à Jakarta. D'autres diplomates de l'ambassade s'y rendent régulièrement, notamment le conseiller de coopération régionale, mais personne n'y est présent à plein temps. La France n'y est pas « installée » dans le paysage, contrairement à l'Allemagne.

Lors de leur mission en Indonésie, vos rapporteurs ont pu s'entretenir avec le Secrétaire général adjoint de l'association ; ce genre d'occasions n'est pas si fréquent pour nos diplomates, alors même qu'il s'agit d'une « petite » organisation, de 300 personnes environ.

L'ASEAN tient aujourd'hui plus de 1000 réunions par an. Le Japon a ouvert il y a déjà trois ans une représentation permanente exclusivement dédiée à l'ASEAN, forte aujourd'hui de 13 personnes à temps plein. Les Allemands, par le biais de la coopération, et pour le compte de l'Union européenne 159 ( * ) , disposent de 6 personnels à temps plein dans les locaux du secrétariat de l'ASEAN 160 ( * ) ...

Typologie des principales représentations européennes à l'ASEAN

Allemagne

Depuis 2005, Berlin veut intensifier ses relations avec l'ASEAN. Six experts de l'agence de coopération allemande, le GIZ, mettent en oeuvre un programme de coopération (70 millions d'euros en 2 ans) de renforcement institutionnel et soutien à l'intégration économique de l'ASEAN.

En outre, une personne à l'ambassade à Jakarta suit à plein temps la coopération allemande avec l'ASEAN (poste créé en 2012).

Royaume-Uni

Le Royaume-Uni est très actif dans les sphères économiques (UK-ASEAN Business Council...) et présent auprès du secrétariat de l'ASEAN sur les thématiques des droits de l'homme. A l'ambassade, une personne dédiée suit à plein temps l'ASEAN , en particulier le volet politique et les développements institutionnels.

France

La France est moins présente que l'Allemagne ou le Royaume-Uni. Son ambassadeur en Indonésie est accrédité auprès de l'ASEAN depuis 2009. La délégation régionale de coopération pour l'ASEAN (DREG) a pour objectif de promouvoir la coopération avec l'ASEAN, en coordination avec les 10 ambassades de la zone.

Source : Asia center, Observatoire de l'Asie du Sud-Est, étude quadrimestrielle n°1, mars 2014

La France a elle aussi mis en place récemment un dispositif de coopération à l'échelle régionale, avec un conseiller régional (DREG) positionné à Jakarta, à proximité du secrétariat de l'ASEAN, assisté par un volontaire international.

Son budget est modeste (500 000 €) et lui permet de mener quelques actions ponctuelles, avec un positionnement de « niche » par rapport aux moyens japonais ou allemands, telles que :

- Un séminaire sur l'expertise française pour les villes durables ;

- Un séminaire sur le climat ;

- Un séminaire sur la problématique de la « connectivité »,

- Des cycles de formation des fonctionnaires de l'ASEAN,

- De la coopération audiovisuelle ;

- Un projet « santé »...

Il semble important de faire monter ce dispositif en puissance plutôt que de le remettre en cause avant même de lui avoir laissé le temps de produire tous ses résultats.

Votre commission estime qu'il faut miser sur l'ASEAN, résolument. Cet engagement ne pourra que payer sur le moyen terme. Le biais de la coopération et du soutien à l'intégration régionale (une révision de la charte de l'ASEAN est en préparation) peut être un bon point d'entrée. Cette stratégie ne sera d'ailleurs pas facile à mettre en oeuvre : la France n'est pas en tant que telle partenaire de dialogue (contrairement à l'UE), et elle n'est pas « attendue ».

Proposition : avoir un diplomate à plein temps accrédité auprès de l'ASEAN. Consolider notre dispositif régional de coopération et renforcer notre présence auprès du secrétariat de l'ASEAN pour « s'installer dans le paysage », par exemple via le soutien à l'intégration régionale.

2. Pérenniser le flux des visites officielles et intégrer l'importance de la « diplomatie des sommets »

Lorsque Laurent Fabius s'est rendu au siège de l'ASEAN en août 2013, aucun ministre des affaires étrangères ne s'était rendu en Indonésie depuis 17 ans (même si le Premier ministre François Fillon avait fait une visite officielle dans ce pays à l'été 2011).

Certes, le Président de la République et le Premier ministre auront, ces deux dernières années, vu l'intégralité des dirigeants asiatiques.

Mais cette mobilisation, récente, ne doit pas faiblir, et des visites de haut niveau doivent être programmées dans les mois à venir, en particulier du Président de la République (Philippines, si possible Indonésie et Vietnam) et du ministre de la défense (Malaisie).

La présence du ministre de la défense au Shangri-La dialogue est une excellente initiative, à pérenniser. Une délégation de parlementaires des commissions chargées de la défense des deux assemblées pourrait d'ailleurs l'y accompagner, pour approfondir le dialogue au niveau parlementaire.

Nos partenaires du sud-est asiatique sont particulièrement sensibles à la qualité des relations bilatérales et y compris interpersonnelles.

Proposition : maintenir le rythme des visites officielles dans la région, en prévoyant si possible une visite du ministre de la défense en Malaisie et une visite du Président de la République aux Philippines et, une fois le nouveau président élu, en Indonésie.

Pérenniser la présence annuelle du ministre de la défense au Shangi-La de Singapour et réfléchir à la présence d'une délégation de parlementaires des commissions chargées de la défense des deux assemblées à cette occasion.

II. UNE MEILLEURE UTILISATION DE NOS MOYENS -CONTRAINTS- PERMETTRAIT D'ACCROITRE NOTRE INFLUENCE

1. Optimiser les moyens consacrés à la région
a) Poursuivre le trop timide redéploiement de nos moyens diplomatiques vers l'Asie émergente

Le ministère des Affaires étrangères a engagé depuis plusieurs années un adaptation des réseaux diplomatique et consulaire, afin d'accompagner les changements politiques, stratégiques et économiques du monde contemporain et de mieux « coller » aux nouvelles destinations des communautés françaises expatriées.

Ce redéploiement se fait de plus en plus à moyens constants, voire décroissants, ce qui freine forcément les nécessaires évolutions : elles sont plus douloureuses.

Il s'agit, à moyens contraints, de passer d'un réseau « d'héritage » à un réseau « d'avenir ».

Entre 2013 et 2015, le ministère des Affaires redéployera ainsi 300 emplois , de toutes catégories, en fonction des priorités politiques et économiques. Cette réorientation exige en contrepartie une diminution de la présence dans des zones historiquement mieux dotées , notamment l'Europe, l'Afrique et l'Amérique du Nord.

Ces décisions viennent amplifier un mouvement déjà amorcé puisque les effectifs du réseau diplomatique ont diminué de manière continue depuis 2008 dans les grands postes des zones « d'héritage » (Afrique subsaharienne - 14%, Europe occidentale -10%).

Source : ministère des affaires étrangères

Certains font en effet observer que le basculement géographique du réseau diplomatique français est lent et encore largement inabouti. Ainsi, dans un récent référé 161 ( * ) , la Cour des Comptes remarque-t-elle que malgré un réel effort, puisque les deux tiers des « petits » postes ont vu leur effectifs baisser depuis 2007, les effectifs de plusieurs « grandes » ambassades d'exception comme Londres ou Washington ont peu diminué, contrairement à la volonté exprimée . Le redéploiement ne serait, d'après la Cour des Comptes, que très relatif, les zones Afrique et océan Indien (-14%) et Europe (-10%) connaissant certes une plus forte réduction que la zone Asie (-1%), et la présence dans les pays émergents progressant (+11% en Chine, +14% en Inde mais -6% au Brésil), mais ces évolutions étant toutefois restées inférieures aux objectifs fixés en 2006 (+1 500 emplois dans les émergents pour tous les réseaux du ministère).

De fait, seuls deux pays d'Asie figurent (enfin !) désormais parmi nos dix plus gros postes diplomatiques à l'étranger.

LES DIX PREMIERS PAYS D'IMPLANTATION DES AGENTS DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (TOUS PROGRAMMES CONFONDUS)

Effectif en ETP

États-Unis

412

Maroc

334

Chine

301

Algérie

284

Sénégal

231

Allemagne

217

Inde

217

Russie

208

Brésil

196

Madagascar

181

Source : données ministère des affaires étrangères, tableau figurant dans le rapport n°1434 de M. Philippe BAUMEL au nom de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale (2013-2014)

Il y a toutefois deux façons de lire ce tableau : soit se féliciter de ce que la Chine et l'Inde figurent aujourd'hui parmi les dix postes les plus dotés en effectifs du réseau ; soit faire remarquer qu'il y a encore davantage de moyens en personnel au Sénégal qu'en Inde, et quasiment autant à Madagascar qu'au Brésil.... L'Indonésie est quant à elle très loin de figurer dans ce palmarès !

Il faut dire que ce « redéploiement » intervient dans un contexte global de réduction des effectifs très douloureux pour le ministère des affaires étrangères.

Au total, environ 2 000 emplois auront été supprimés sur la période 2006-2013, soit plus de 12 % des effectifs du ministère des affaires étrangères.

Dans le réseau diplomatique, les chancelleries diplomatiques ont pour la plupart été réduites à un format minimum :

- 80% de nos ambassades fonctionnent au format « un ambassadeur + 2 conseillers ou moins ».

- le personnel de soutien des chancelleries diplomatiques a été réduit notamment en privilégiant la polyvalence des agents : dans ? de nos postes, on compte 3 agents titulaires ou moins pour assurer les tâches de secrétariat, archives, documentation et agent ressources.

Ce contexte budgétaire très tendu nécessite une action particulièrement volontariste pour effectuer le rééquilibrage.

Il faut aussi tenir compte du fait qu'au sein de la zone Asie, la priorité est donnée à la Chine et à l'Inde, l'Asie du Sud-est ayant parfois bénéficié d'une attribution des moyens par « reliquat ».

Interrogé par votre commission sur cette question, le ministère des affaires étrangères a considéré que l'Asie du Sud-Est bénéficiait d'un traitement « particulièrement favorable » dans la mesure où « les effectifs [du réseau diplomatique, NDLR] sont globalement préservés » ! En 2014, la zone Asie du Sud-Est « ne contribue qu'à hauteur de 5 suppressions d'ETP (hors suppressions de postes au Brunei, qui passe au format de poste de présence diplomatique à effectifs très réduits) ».

On a du mal à voir en quoi ce traitement « de faveur » consistant à perdre peu de postes permettra de rattraper rapidement notre déficit de présence en Asie. De fait, le raisonnement un peu trop « homothétique » du schéma d'emploi fait la part belle aux situations acquises et freine tout basculement trop prononcé.

L'ÉVOLUTION DES EFFECTIFS DU RÉSEAU DIPLOMATIQUE EN ASIE DU SUD EST

(RÉPONSE DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES AU QUESTIONNAIRE DE VOTRE COMMISSION)

L'évolution des effectifs dans la zone Asie du Sud-Est a été particulièrement favorable au regard du schéma d'emplois du ministère des affaires étrangères dans la mesure où les effectifs sont globalement préservés alors que l'effort du ministère sur les 3 ans a été fixé à 600 suppressions d'emplois (ETP).

La zone a en effet très peu participé à l'effort de réduction d'emplois : partant d'un total de 579.5 ETP répartis dans les 10 pays de la zone au 01/01/2013, des créations de postes supplémentaires ont pu être opérées par redéploiement pour arriver à un total de 585.5 ETP au 01/01/2014.

En 2014, la programmation s'inscrit elle aussi dans cette dynamique de redéploiement d'effectifs vers nos postes des pays émergents de la zone. Ainsi, alors même que le schéma d'emplois 2014 prévoit la suppression de 196 ETP, la zone Asie du Sud-Est ne contribue qu'à hauteur de 5 suppressions d'ETP (hors suppressions de postes au Brunei, qui passe au format de poste de présence diplomatique à effectifs très réduits).

Sur les programmes 105 et 209, 5 créations de postes en Indonésie et 3 créations de postes en Birmanie ont ainsi eu lieu .

En Birmani e, pour accompagner la transition politique, le ministère des affaires étrangères a créé un poste supplémentaire de diplomate (titulaire de catégorie A) ainsi qu'un poste d'attaché de coopération (contractuel) au SCAC. S'y ajoute, cette année, la création d'un poste d'agent de droit local secrétaire du COCAC.

En Indonésie , la section consulaire a été renforcée par la création de deux postes (ADL visas et ADL administration des Français) en 2013. Parallèlement, sur le programme 209, un poste d'expert technique international (ETI) auprès du Secrétariat général de l'ASEAN a été créé en 2013. En 2014, les effectifs du réseau culturel et de coopération en Indonésie seront également complétés de deux créations : un poste d'ETI formation professionnelle et un poste d'attaché de coopération universitaire.

Aux Philippines , deux postes supplémentaires ont été créés au service des visas.

À Singapour où la communauté française expatriée connaît une forte croissance, la section consulaire de l'ambassade a été renforcée dès 2013 par la création d'un poste d'ADL agent consulaire, puis en 2014 avec la création d'un poste de titulaire C. S'y ajoute, parallèlement, sur le programme 209, la création d'un poste d'ETI expert sécurité civile à vocation régionale "Asie du Sud-Est".

Les sections consulaires de nos ambassades en Thaïlande (+1 agent visas) et au Vietnam (+1 VI adoption à Hanoi, +1,5 ADL agents consulaires à Ho-Chi-Minh) ont enfin également été renforcées.

S'agissant du format des chancelleries politiques (diplomates titulaires de catégorie A), les effectifs ont été préservés et même renforcés s'agissant de la Birmanie :

Birmanie : Ambassadeur + 2

Brunei : Ambassadeur seul (sans changement)

Cambodge : Ambassadeur +2

Indonésie : Ambassadeur + 3

Laos : Ambassadeur +1

Malaise : Ambassadeur + 2

Philippines : Ambassadeur + 2

Singapour : Ambassadeur + 2

Thaïlande : Ambassadeur + 3

Vietnam : Ambassadeur + 2

Le réseau diplomatique français en Asie du Sud-Est s'appuie donc, au sein de ces dix postes, sur un total de 29 diplomates titulaires de catégorie A.

On peut ainsi se demander si le format « ambassadeur + 3 » est suffisant dans un pays comme l'Indonésie, 4ème pays le plus peuplé au monde, 16 ème économie mondiale, membre du G20, en pleine croissance économique, siège de l'ASEAN, rassemblant dix économies qui, agrégés, représentent la 4 ème force économique mondiale....

Proposition : poursuivre le timide rééquilibrage de nos moyens diplomatiques vers l'Asie, en ciblant plus spécialement l'Indonésie.

b) Conforter la politique d'influence menée par le ministère de la défense
(1) Crédibiliser notre demande d'adhésion à l'ADMM+

Alors que l'Union européenne participe à l'ASEM et est invitée aux réunions de l'ARF ( ASEAN Régional Forum ) en tant que partenaire de dialogue de l'ASEAN, ni l'UE ni la France ne participent aux enceintes que sont l'ADMM + ( ASEAN Defence ministers meeting , en format élargi) et l'EAS ( East Asia Summit).

Ces enceintes sont pourtant des lieux de dialogue stratégique particulièrement importants en Asie du Sud-Est.

L'ADMM+, créé en 2009, se compose des 10 membres de l'ASEAN et des « partenaires de dialogue » que sont l'Australie , la Chine , les États-Unis , l'Inde , le Japon , la Nouvelle-Zélande la Corée du Sud et la Russie . L'originalité de l'ADMM+ est de réunir les ministres de la défense, les chefs d'état-major et l'administration. Le dialogue porte ainsi sur la sécurité maritime, le contre-terrorisme, l'aide humanitaire, la médecine militaire et les opérations de maintien de la paix. En plus de ces réunions régulières, le dialogue entre les membres de l'ADMM+ se poursuit dans l'année, autour de groupes de travail.

L'ADMM+, en particulier, est un lieu de coopération élargie sur des sujets tels que la sécurité maritime, le contre-terrorisme, l'aide humanitaire, la médecine militaire ou le déminage. Dans ce cadre, non seulement les ministres de la défense, mais aussi les directeurs d'administration, les chefs d'états-majors et leurs adjoints se côtoient. Ce dialogue a abouti, en 2013, à la réalisation d'exercices et entraînements conjoints opérationnels en matière d'assistance humanitaire en cas de crise, ou encore de médecine militaire.

L'intérêt que la France avait de participer à l'ADMM+ a été exprimé au plus haut niveau dès les entretiens à Vientiane en marge du sommet de l'ASEM en 2012, et lors d'une conférence de presse conjointe du Premier ministre avec le Premier ministre vietnamien en septembre 2013.

Lors du Shangri-la dialogue de 2013, Jean-Yves le Drian a publiquement réitéré ce souhait, en présence de la plupart de ses homologues de la région, présents à cette occasion.

Toutefois, il est apparu que Singapour,  notamment, souhaitait d'abord consolider la dynamique au coeur de ces enceintes avant de les élargir. Fin 2013, en réponse à la candidature canadienne, les ministres de l'ADMM ont donc décidé de différer à ce stade toute demande d'élargissement, jugé prématuré.

La leçon à tirer de cette situation est que la France n'est pas attendue : nous devons prouver ce que nous pouvons apporter.

L'enjeu est donc désormais de crédibiliser notre candidature. Nous avons deux ans pour le faire.

Pour cela, il nous faut participer activement au dialogue de sécurité dans la région, manifester notre intérêt, déployer des moyens militaires dans la zone, nourrir la relation politique et diplomatique de haut niveau...

Proposition : crédibiliser dans les 2 années qui viennent notre souhait d'adhérer à l'ADMM + par une série d'actions d'influence tendant à montrer notre détermination et notre valeur ajoutée (visite du ministre de la défense en Malaisie, adhésion effective à ReCAAP), et d'actions de coopération concrète (sécurité maritime, océanographie, lutte contre les catastrophes naturelles...).

(2) Débloquer l'adhésion à RECAAP

Un premier pas pourrait être tout d'abord de finaliser notre adhésion à l'accord de lutte anti-piraterie ReCAAP ( Regional Cooperation Agreement on combating piracy and Armed robbery agains ships in Asia ).

Le ministre de la Défense français a officiellement annoncé lors du dialogue de Shangri-la en 2013 que la France étudiait la possibilité de joindre ce cadre.

Dix-neuf pays en sont membres à ce jour : Australie, Bangladesh, Brunei, Cambodge, Chine, Danemark, Inde, Japon, Corée du Sud, Laos, Birmanie, Pays-Bas, Norvège, Philippines, Singapour, Sri Lanka, Thaïlande, Royaume-Uni et Vietnam.

Il faut donc souligner que les Britanniques, les Néerlandais, ou les Norvégiens ont rejoint ReCAAP, que les Américains ont postulé officiellement, ainsi que l'Union européenne.

Dans ce cadre, l'adhésion française pourrait contribuer à crédibiliser globalement notre engagement stratégique en Asie du Sud-Est et nous permettre d'accroître peu à peu notre influence.

L'adhésion à ReCAAP n'a pas seulement un intérêt compte tenu de l'impossibilité immédiate d'adhérer à l'ADMM+, c'est aussi une démarche qui a son intérêt propre, et qui s'inscrit dans une logique d'ensemble, de long terme, en cohérence avec notre présence au sein de l'IFC à Singapour.

Alors même que les États parties accueilleraient favorablement la demande française, il se trouve que des blocages internes sont apparus côté français qui ont ralenti le processus d'adhésion.

En effet, le texte de l'accord étant rédigé en anglais, des difficultés juridiques ont été mises en avant au regard de l'obligation d'emploi de la langue française.

On se trouve dans la situation bien peu satisfaisante où, après que le gouvernement français a sollicité, et obtenu, de la part de ses partenaires une adhésion à ReCAAP, la France tergiverse et mette en avant des raisons constitutionnelles internes pour ne pas parvenir à finaliser l'adhésion.

Il va de soi que ce genre d'attitude ne va pas contribuer à renforcer notre crédibilité non plus qu'à nous faire apparaître comme des partenaires fiables.

Le Président de votre commission a alerté par courrier dès le mois de janvier les deux ministres concernés (Affaires étrangères et Défense) du blocage de ce dossier, appelant à ne pas interpréter trop étroitement l'impératif linguistique, et à trouver une solution pragmatique.

Dans leur réponse, tous deux ont fait part de l'intérêt qui s'attachait à la recherche d'une solution : « L'adhésion de la France à ReCAAP permettra de renforcer la sécurité dans cette région qui représente un enjeu important pour nos intérêts de défense, tout en consolidant notre présence et notre influence dans les enceintes de sécurité régionale », a ainsi considéré le ministre de la défense, tandis que le ministre des affaires étrangères estimait que « Une telle adhésion permettrait de renforcer notre coopération dans la lutte contre la piraterie (...). Nous recherchons donc une solution ».

Force est de constater que 6 mois plus tard, l'écheveau n'est toujours pas dénoué.... Plusieurs pistes sont toujours en cours d'évaluation, dont deux pourraient fonctionner (faire authentifier une traduction française par l'État dépositaire de l'accord ReCAAP, ou la faire authentifier et reconnaître par tous les membres de ReCAAP comme version officielle faisant foi en langue française).

On ne peut que regretter le retard pris dans le processus d'adhésion, de ce fait.

Difficile de penser que ce genre de tergiversations va rendre crédible la volonté de la France de s'engager stratégiquement en Asie du Sud-Est...

Passer des mois à bâtir -fort intelligemment d'ailleurs- une stratégie d'influence, pour ensuite être incapable soi-même de la mettre en oeuvre, ce n'est naturellement pas le meilleur gage de fiabilité...

Proposition : Régler au plus vite la question de la traduction française du traité institutif pour permettre une adhésion de la France à l'organisme de piraterie ReCAAP.

(3) Relancer le processus de signature du protocole pour une zone sans armes nucléaires en Asie du Sud-Est (SEANWFZ)

Un autre geste fort que nous pourrions faire serait de ratifier le protocole sur la création d'une zone exempte d'armes nucléaires en Asie du sud-est (traité SEANWFZ signé à Bangkok du 15 décembre 1995). La signature du protocole additionnel est ouverte aux Etats dotés de l'arme nucléaire, dont la signature est suspendue toutefois à l'acceptation par les États de l'ASEAN des réserves et déclarations que souhaitent faire les États dotés.

Cette question a notamment été évoquée en août lors de la visite du ministre des affaires étrangères au siège de l'ASEAN, puis à nouveau avec vos rapporteurs par le Secrétaire Général adjoint de l'ASEAN. Vos rapporteurs n'ont pu que répéter notre engagement pour un monde sans menace nucléaire et s'engager à faire le point sur l'avancement du processus.

Lors de leur sommet de mai 2014, les états de l'ASEAN ont rappelé dans une déclaration qu'ils souhaitaient une signature et une ratification rapides du Protocole.

D'après les informations communiquées à votre commission, la France n'entend faire que des réserves « classiques » en pareil cas (notamment liées au droit de légitime défense), similaires à celles faites lors des adhésions aux traités concernant l'Amérique latine (Tlatelolco, 1967), le Pacifique (Rarottonga, 1985) et l'Afrique (Pelindaba, 1997).

Le processus de signature, qui correspond à une demande de nos partenaires, doit donc être relancé.

Proposition : relancer le processus de signature par la France du protocole additionnel au traité de Bangkok du 15 décembre 1995 sur la création d'une zone exempte d'armes nucléaires en Asie du sud-est (traité SEANWFZ).

c) Renforcer même modestement la coopération de défense en Asie du Sud-Est
(1) Des moyens en attrition constante, focalisés sur l'Afrique

Le fait est bien connu : les crédits de coopération de défense, inscrits au budget du ministère des affaires étrangères, supportent depuis plusieurs années des réductions drastiques. Ces crédits d'intervention servent clairement de « variable d'ajustement ». Compte tenu des priorités africaines à financer, dans ce contexte de pénurie, les actions qu'on peut mener en Asie sont, par nature, obérées par la modestie des crédits disponibles...

Or la coopération de défense est un excellent outil pour aider nos partenaires à construire dans la durée leur outil de défense et de réponse aux catastrophes naturelles. Le but est de mettre les pays partenaires en situation de faire face eux-mêmes au terrorisme, à la criminalité organisée, au trafic de stupéfiants, à l'insécurité des flux maritimes....

En organisant et en structurant les forces, en faisant de la planification, les progrès peuvent être considérables, car les capacités en matière de génie, de santé, de transport, de logistique ou encore de transmissions, sont bien souvent présentes, mais éparpillées.

C'est aussi naturellement un outil d'influence (en Asie tout particulièrement) notamment pour les ventes d'armement. L'impact d'un expert placé au bon endroit est considérable rapporté aux crédits budgétaires nécessaires pour le financer.

Les crédits de coopération de sécurité et de défense (30,6 millions d'euros hors titre 2 en 2014) ont à nouveau connu en 2014 une baisse, de 4,3%. Après la baisse drastique qui avait particulièrement affecté ces crédits d'intervention (-40% en 2007-2008), le budget de la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) n'a connu une relative stabilisation qu'entre 2009 et 2011. La décrue a ensuite repris et devrait s'accélérer jusqu'en 2015.

BUDGETS EXÉCUTÉS, TOUS TITRES, EN €

Année

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013 (lfi)

Budget exécuté

106 418 616

97 987 683

95 359 000

95 366 490

91 847 251

91 005 955

90 415 787 162 ( * )

dont

HT2

51 433 285

28 333 284

33 069 640

33 312 819

32 852 975

27 800 601

31 953 742

dont

T2

54 985 331

69 654 399

62 289 360

62 053 671

58 994 276

63 205 354

58 462 045

Source : Ministère des Affaires étrangères, réponse au questionnaire budgétaire du programme 105

Dans ce contexte, l'Asie ne bénéficie que de crédits résiduels par rapport à ceux qui doivent être mobilisés pour financer les priorités africaines, comme le montre le graphique ci-dessous :

Source : DCSD, ministère des affaires étrangères

COOPÉRANTS ET EXPERTS TECHNIQUES FINANCÉS PAR LA DCSD EN ASIE DU SUD EST

Défense

Gendarmerie

Protection civile

Policiers

Cambodge

2

1

1

Malaisie

3

Singapour

1

Vietnam

1

Source : « DCSD, partenaires de sécurité défense, bilan 2013 », juin 2014

La maigreur des effectifs de coopérants en Asie, malgré les forts enjeux économiques, est patente. Sur un volant de quelque 300 coopérants, moins de 10 sont en Asie du Sud-Est, qui figure pourtant parmi les premiers marchés d'armement au monde, et dans lequel un effort de modernisation des outils militaires et de prise en charge collective des enjeux liés aux catastrophes naturelles est entrepris....

On a ici une parfaite illustration du « paradigme du reliquat » appliqué à l'Asie en matière de moyens (= ce qui reste une fois qu'on a attribué les moyens aux autres priorités géographiques).

Comme votre commission l'a déjà affirmé, l'allocation des moyens entre les différentes zones d'action devrait d'ailleurs faire l'objet d'arbitrages assumés à un haut niveau politique : certes, soutenir la constitution d'une architecture de sécurité africaine est une priorité essentielle ; toutefois, les résultats obtenus (on pense notamment à celui des écoles de maintien de la paix en Afrique, dans le contexte de l'effondrement sécuritaire du Mali en 2013) mériteraient d'être évalués, poste à poste, et les arbitrages éventuellement rendus au regard des résultats. C'est la réduction de nos moyens qui l'impose.

Tout au plus peut-on espérer que le « recentrage forcé » qu'est contrainte d'opérer la coopération de sécurité et de défense dans les années à venir pour faire face à la diminution des crédits épargne l'Asie du Sud-Est, déjà à l'étiage.

Proposition : rehausser le niveau de priorité de l'Asie du Sud-Est en termes de coopération de défense, et viser un pourcentage de 15% des coopérants et des crédits de la DCSD dévolus à l'Asie du Sud-Est à partir de 2015.

(2) Répondre à la demande indonésienne et malaisienne de formation

Malgré les opportunités offertes par le développement programmé de l'armée indonésienne, le poids historique de l'armée dans les instances décisionnelles dans ce pays et la proximité de nos vues sur plusieurs dossiers de politique étrangère, force est de constater que les échanges d'officiers entre nos deux pays sont quasiment au point mort.

Après l'étiage de 2011 (un seul stagiaire indonésien en France, à l'École de Guerre), en 2012 deux formations longues ont été suivies, tandis qu'un stage pour sous-officier mécanicien ne pouvait malheureusement pas être honoré par la partie indonésienne. En 2013, une place à l'École d'État-major de l'armée de Terre a été accordée, ainsi qu'une place au Brevet Supérieur d'Hydrographie, sur financement d'un industriel français (chantier naval OCEA) qui, non honorée en 2013 (pour des raisons de formation linguistique), est reconduite en 2014.

Le niveau des échanges entre officiers reste encore clairement insuffisant à l'égard des besoins et des demandes indonésiennes.

Vos rapporteurs ont pu constater à Jakarta qu'il existait un verrou à tout développement de notre coopération en ce domaine : celui de la langue.

Ainsi, la capacité des forces armées indonésiennes à honorer les places proposées dans les écoles de formation françaises dépend tout naturellement de la formation linguistique des personnels désignés, qui doit également être soutenue.

Vos rapporteurs ont ainsi appris que les Britanniques, par exemple, finançaient un professeur d'anglais auprès des forces armées indonésiennes.

De fait, à chaque occasion, notamment lors de la ta tenue en avril 2013 de la première session de l' Indonesian-French Defense Dialogue ( IFDD), mais aussi lors des discussions avec vos rapporteurs, des attentes indonésiennes sont exprimées auprès de la France en matière de formation.

La barrière de la langue limite drastiquement le vivier d'officiers indonésiens pouvant suivre des formations en France.

Sont seules conduites aujourd'hui des actions de formation linguistique d'un nombre réduit d'officiers indonésiens, en amont et immédiatement avant leur départ pour des formations en France ou pour des opérations de maintien de la paix en pays francophone.

La priorité est donc aujourd'hui de mettre en place un cours avancé de français au centre militaire des langues, pour amorcer la « pompe » de la coopération .

Ces officiers auront un jour des positions dans la hiérarchie militaire, dans un pays qui compte, et au sein duquel l'armée a traditionnellement du poids : c'est une action d'influence de long terme, dont l'effet démultiplicateur est potentiellement très important.

Sans parler du fait que les contingents indonésien et français participent ensemble à la FINUL au Liban et que l'Indonésie est susceptible de fournir des contingents aux opérations de maintien de la paix en pays francophones.

De la même façon il importe de poursuivre et amplifier notre effort de formation auprès des sous-mariniers malaisiens. Deux officiers sous-mariniers français sont détachés auprès de la force sous-marine malaisienne, qui reçoit aussi un appui pour la formation et l'entrainement des équipages et de l'industriel DCNS pour l'entretien. Les demandes de nos partenaires malaisiens doivent être considérées en la matière avec la plus grande attention.

Proposition : répondre favorablement à la demande indonésienne de mise à disposition d'un professeur de Français auprès du centre militaire des langues , pour créer un vivier de francophones qui permettra d'amorcer réellement les échanges d'officiers, et répondre favorablement aux demandes complémentaires de formation de la sous-marinade malaisienne.

(3) Pérenniser notre présence au sein de l'IFC

Vos rapporteurs ont pu mesurer à Singapour toute la pertinence de l'insertion d'un officier de liaison français au sein de la structure de fusion de l'information en matière de sécurité maritime (IFC), au sein de la base navale de Changi.

« Cette coopération nous ramène autant d'information qu'une frégate -à des coûts nettement moindres !-», a considéré, sous forme de boutade, un expert entendu par vos rapporteurs.

Par ce moyen, notre connaissance d'une zone en plein essor, où la présence de navires militaires français est très rare, apporte du renseignement et de l'information, de sources ouvertes, de même que, ponctuellement, du renseignement militaire. De la sorte, l'ensemble des acteurs français du monde maritime sont régulièrement informés, voire informés en temps réel sur la situation dans la zone (armateurs, industriels, plaisanciers...).

C'est aussi un positionnement « d'influence » pour la France au sein d'une structure régionale reconnue, qui nous permet de valoriser de la présence française dans la zone Asie-Pacifique et de promouvoir les savoir-faire français (conseil de l'officier inséré français au profit des officiers de liaison des autres nationalités) .

Ce travail se fait aussi en lien avec les entreprises françaises liées au monde maritime présentes ou souhaitant s'implanter dans la région.

Proposition : pérenniser notre présence au sein de l'IFC de Singapour, en maintenant le poste d'officier inséré. Se servir de ce poste pour crédibiliser notre démarche d'adhésion à ReCAAP et à l'ADMM+.

d) Conserver un déploiement naval en Océan indien et intensifier les escales en Asie du Sud-Est

Les escales des bâtiments de la Marine nationale sont de très précieux outils d'influence, fers de lance de la « diplomatie de défense ». D'autres pays l'ont compris mieux que nous. Hélas, nos moyens trop comptés limitent par trop les opportunités d'escales. De fait, elles sont assez rares :

Escales des bâtiments français en Asie du Sud Est (2012 - 2013)

2012

2013

PAYS

PORT

TOTAL

PAYS

PORT

TOTAL

Cambodge

Sihanoukville

1

Brunéi

Brunéi

1

Indonésie

Makassar

1

Indonésie

Balikpapan

1

Rép. de Singapour

Singapour

2

Benoa/Bali

1

Thaïlande

Bangkok

1

Jakarta

1

Vietnam

Ho Chi Minh Ville

1

Malaisie

Port Kelang

3

TOTAL

6

Philippines

Puerto Princesa

1

Rép. de Singapour

Singapour

4

Vietnam

Ho Chi Minh Ville

2

Haïphong

1

TOTAL

15

NB : Dans ce tableau, un bâtiment en escale correspond à une escale. Par exemple, le groupe Jeanne d'Arc, (un BPC et son escorte), comptabilise deux escales à chaque fois.

De la même façon, le livre Blanc de 2013 prévoit des restrictions de cible pour le nombre de bâtiments français, dans le cadre du programme de renouvellement d'une flotte vieillissante, et limite désormais à « une à deux zones maritimes » le nombre de déploiements navals permanents .

Compte tenu de la forte sollicitation des bâtiments de la Marine nationale dans le cadre des engagements opérationnels (Corymbe, Atalante, Méditerranée orientale...) et des restrictions temporaires de capacité induites par l'insuffisance des crédits d'activité, il faudra de plus en plus faire des choix à l'avenir.

La France a dans le Pacifique des moyens permanents, en particulier les frégates de surveillance de Polynésie, de Nouvelle Calédonie et de la Réunion. Ce sont des moyens modestes en regard des enjeux.

Toutefois, la France s'attache à déployer une frégate de surveillance en moyenne deux fois par an dans la région, et à organiser, plus ou moins, une « interaction » par pays riverain et par an. C'est un investissement important au regard des moyens de fonctionnement qui sont désormais ceux de nos armées, puisque le transit consomme à lui seul 15 jours de mer à partir de Nouméa et 20 jours de mer à partir de Papeete.

Mais soyons clairs : les réductions temporaires de capacités, présentes et à venir outremer, rendront ces déploiements, déjà modestes, plus difficiles.

En outre il parait nécessaire que des bâtiments de premier rang se rendent régulièrement dans cette région, comme cela a été le cas pour le BPC Tonnerre et la frégate Georges Leygues . En ce sens, la préservation du potentiel d'activité -sous tension- est un facteur qui conditionne directement notre présence dans la région.

Votre commission tenait dans ce cadre à affirmer l'importance vitale des déploiements en Océan Indien, qui ne doivent pas faire les frais de ces restrictions. Ils sont trop stratégiques. S'imagine-t-on pouvoir vendre, un jour, des BPC à l'Indonésie, ou faire monter en gamme notre coopération opérationnelle de défense avec ce pays, sans jamais y montrer un bâtiment ?

Proposition : Assurer une présence de la Marine Nationale régulière et visible en Asie du Sud-Est, en privilégiant notamment, outre les missions des Frégates de surveillance, le déploiement de bâtiments modernes, puissants et visibles. Prévoir des escales de bâtiments de « premier rang » (BPC, voire SNA) dans la région.

2. Des leviers spécifiques pour accélérer la reconquête économique

La mobilisation sur la diplomatie économique a déjà permis de dégager des pistes d'action pour redresser la balance commerciale française. Certaines sont très globales et dépassent naturellement le cadre du présent rapport d'information, qu'il s'agisse de la question de la structuration de l'offre industrielle française, de la compétitivité prix et hors prix de nos entreprises, de la rationalisation de « l'équipe de France » à l'export...

Pour autant, 4 actions spécifiques à l'Asie du Sud-Est pourraient accélérer cette reconquête économique.

a) Répondre spécifiquement au besoin de « connectivité » de l'ASEAN

Premier enseignement de la mission de vos rapporteurs en Asie du Sud-Est, il nous faut apprendre à répondre au besoin de « connectivité » de l'ASEAN (infrastructures, transports, énergie, assainissement) dans des conditions compétitives, et en particulier :

- Savoir offrir toute une palette de services, du financement à la formation ? pour se distinguer ? dans la mesure où le prix ne nous permet pas toujours de l'emporter ;

- Soit, carrément, se positionner, dans un premier temps au moins, comme des sous-contractants de nos concurrents asiatiques (coréens, japonais...) ;

- « Chasser en meute », technique d'une redoutable efficacité pour nos concurrents.

Proposition : proposer si possible des financements (partenariats public privé ?) voire de la formation autour des projets d'infrastructure, se positionner comme des sous-contractants des entreprises japonaises et coréennes, développer la « chasse en meute » des entreprises françaises.

b) Élargir la coopération sur les enjeux de sécurité

Cela a déjà été largement dit, les questions stratégiques ont une importance toute particulière en Asie du Sud-Est. Dans ce domaine, la France a des atouts, d'autant plus que le doute sur l'effectivité du pivot américain et surtout sur la fermeté des intentions américaines (Syrie, Ukraine, Irak....) mettent en relief la capacité d'engagement souveraine de notre pays (Mali, RCA)...

La France est en pointe dans la lutte anti-terroriste au Sahel dans une région, l'Asie du Sud-Est, confrontée au terrorisme.

Une carte à jouer est celle de la coopération, avec nos alliés les plus proches, dans la lutte contre le terrorisme, compte tenu de la très bonne connaissance par la France de certaines zones (Sahel), même si c'est par nature délicat.

Cette région où nous avons des alliés, interconnectée à la zone Afghanistan-Pakistan, à proximité de la Chine, qui est en pointe sur les enjeux de cyberdéfense, peut naturellement présenter à certains égards des opportunités en la matière.

Enfin, en fonction des moyens disponibles, il peut être intéressant de participer dès l'origine à l'initiative régionale prise par Singapour d'un centre de réponse régional contre les catastrophes naturelles, compte tenu de l'expertise française en la matière.

Proposition : développer la coopération avec nos alliés les plus proches en matière de lutte anti-terroriste, participer aux initiatives régionales contre les catastrophes naturelles.

c) Jouer la carte de « l'économie bleue »

L'économie maritime, ou « bleue » est une autre spécificité française à faire jouer.

Il faut tirer un meilleur parti de cet atout : la France est une puissance militaire dans une région qui s'arme. C'est une grande puissance maritime dans une région archipélagique.

Sans parler de l'exploitation des ressources marines et des fonds marins, les secteurs potentiellement concernés sont vastes, qu'il s'agisse de la transformation des produits de la pêche, de la plaisance, de l'hydro-océanographie ; de la cartographie numérique et de la navigation par satellites ; de la surveillance et du contrôle d'un trafic maritime en expansion ; de la prévention des accidents en mer ; de l'amélioration des réseaux d'alerte et de sauvetage ; du renforcement des capacités d'intervention et de la lutte contre les pollutions et les catastrophes maritimes....

Proposition : faire de « l'économie bleue » un des fers de lance de l'offre économique française. Mobiliser les PME du secteur maritime sur les marchés du sud-est asiatique.

d) Aplanir les « irritants »

Vos rapporteurs ont pu constater lors de divers entretiens l'impact de la question de l'étiquetage des produits alimentaires contenant de l'huile de palme sur nos partenaires, en particulier malaisiens et indonésiens.

En dépit du fait que les nouvelles règles d'étiquetage relatives aux huiles végétales contenues dans les produits alimentaires applicables à la fin de l'année 2014 soient du niveau européen, des pays comme la Malaisie identifient la France comme un foyer de critique de l'huile de palme .

Ainsi, les mentions « sans huile de palme », les campagnes de publicité et les documentaires critiques sur l'huile de palme ou encore la taxe « Nutella » sont régulièrement cités de manière spontanée par les personnes rencontrées. Ces difficultés rencontrées en France leur paraissent plus importantes que dans les autres pays européens et disproportionnées par rapport à l'importance du marché.

Cette situation est particulièrement mal comprise en Indonésie du fait des efforts engagés et des progrès réalisés pour une production durable d'huile de palme. Par ailleurs, les critiques sur le plan nutritionnel, généralement perçues comme non fondées d'un point de vue scientifique, laissent perplexes nos interlocuteurs.

Dans le prolongement des déclarations réalisées par le Premier Ministre à l'occasion de son déplacement en Malaisie fin juillet 2013, vos rapporteurs ont eu l'occasion de rappeler que l'amendement parlementaire français visant à instaurer une taxe additionnelle sur les huiles de palme a été rejeté en novembre 2012. L'étiquetage négatif des produits (« ne contient pas d'huile de palme ») correspond bien uniquement à des initiatives privées.

Nos ambassades dans les pays concernés doivent prolonger cet effort d'explication, en particulier en rappelant que le projet d'affichage de l'impact environnemental des produits suite au Grenelle de l'environnement concerne tous les produits agro-alimentaires et industriels et ne vise pas spécifiquement l'huile de palme, et que le nouveau règlement européen sur l'étiquetage, qui entrera en vigueur fin 2014, prévoit un étiquetage positif précis des constituants, mais ne vise pas à avoir un discours pénalisant pour certains produits en particulier.

Proposition : poursuivre les efforts d'explication au sujet de l'étiquetage obligatoire des produits alimentaires contenant de l'huile de palme pour aplanir cet « irritant ».

3. Intégrer la diplomatie économique dans notre stratégie d'aide au développement

Ne revenons pas sur le débat de la « liaison » de l'aide au développement, qui apparaît à bien des égards comme une fausse bonne idée et qui est exclue par les règles du Centre d'aide au développement (CAD) de l'OCDE.

Remarquons toutefois que la liaison de l'aide est utilisée par nos concurrents notamment asiatiques, bailleurs majoritaires en Asie du Sud-Est.

Cela ne nous dispense pas pour autant d'améliorer le taux de transformation économique, pour les entreprises françaises, de notre aide publique au développement.

Il semblerait au contraire aberrant que 20 ans d'engagement des bailleurs français dans une région à la croissance économique insolente n'ait pas de retombée en France en termes de croissance et d'emplois.

Il faut, en Asie du Sud-Est peut être plus qu'ailleurs, maximiser les synergies entre aide publique au développement française, expertise internationale et diplomatie économique.

À cet égard, les visites de terrain sur les différents projets de l'AFD, notamment au Vietnam , laissent parfois une impression mitigée du point de vue du « rendement économique », notamment pour les projets engagés depuis longtemps (dans ce pays le stock d'encours est de plus de 1,5 milliard d'euros).

S'il semble judicieux de consacrer 100 millions d'euros à la construction de la ligne 3 du métro de Hanoi, on peut regretter toutefois que nos entreprises de BTP ne candidatent pas, ensuite, à certains lots.

De même, il est difficile de remettre en cause l'octroi de 75 millions d'euros sous forme de prêt souverain pour le transport d'électricité (hydroélectricité) du Laos voisin vers le sud du Vietnam, pour faire face aux besoins croissants de la population (permettant, au passage, à Alstom de fournir des équipements de réseau).

L'octroi d'un prêt non souverain à la société Vinacomin, pour 35 millions d'euros, pour le reboisement et la mise en plantation d'un teril dans une exploitation de charbon à 2 km de la baie d'Halong, -sans positionnement possible pour nos entreprises sur ce marché-, répond-il à la même logique d'efficacité économique ?

De même, le projet de protection en aval de la rivière Saigon pour protéger Ho Chi Minh Ville des inondations, avec 11,5 millions d'euros de prêt souverain et une subvention de 350 000 euros au bénéfice du ministère de l'agriculture vietnamien pour « poldériser » et endiguer deux zones, (passages busés, canaux d'irrigation, polders, création de digues...) ouvre-t-il des perspectives à nos entreprises ? Ces marchés de génie civil, sous maitrise d'ouvrage du ministère vietnamien de l'agriculture, ont majoritairement profité à de petites entreprises locales.

De la même façon, un certain tropisme « nordiste » dans la manière dont la France appréhenderait le Vietnam institutionnellement, hérité du passé, nous permet-il de profiter pleinement du développement économique très rapide du Sud Vietnam, autour d'un secteur privé plus développé qu'au Nord, quant à lui dominé par les grandes entreprises d'État ?

Toutes ces questions, légitimes et même indispensables, vos rapporteurs ont pu constater que nos responsables sur place se les posaient.

L'articulation avec la diplomatie économique est, dans ces pays, une ardente obligation.

Elle n'est facilitée ni par le faible montant de nos « tickets » d'aide, du fait notamment des plafonds d'intervention qui ne permettent pas forcément de se positionner sur de très grands projets d'infrastructure, ni par la « concurrence » des autres bailleurs de fonds.

Il faut relever que le changement de catégorie du Vietnam, désormais pays à revenu intermédiaire, en renchérissant de fait la ressource apportée par l'AFD va logiquement accélérer ce basculement vers la recherche de la « rentabilité » économique.

En Indonésie , le positionnement très « pointu » de « bailleur climat » de l'AFD était sans doute un bon point d'entrée pour démarrer, qui a notamment permis d'être présent dans le secteur stratégique de l'énergie, ou de se voir confier la gestion de subventions britanniques du DFID. D'autres pistes semblent aussi prometteuses, comme celle de l'économie bleue, qui doit être un levier compte tenu du potentiel français en la matière. Globalement, le positionnement un peu « de niche » de l'agence dans ce pays mériterait sans doute d'être élargi compte tenu des opportunités économiques.

Dans l'Asie du Sud-Est émergente, la préoccupation économique doit être omniprésente, même en matière d'aide publique au développement.

Proposition : en Asie du Sud-Est, intégrer encore plus systématiquement les débouchés potentiels en termes de diplomatie économique dans l'examen de tout projet d'aide au développement.

4. Promouvoir les investissements directs de l'ASEAN en France

On parle aujourd'hui, à tort, beaucoup plus de la Chine ou du Qatar que de L'ASEAN comme nouvel acteur de l'investissement international 163 ( * ) .

Depuis une douzaine d'années, les entreprises chinoises achètent des actifs énergétiques et miniers, rachètent des entreprises détentrices de technologies, ouvrent des centres de recherche et créent leurs réseaux de distribution dans le monde, avec un flux annuel d'investissement pratiquement multiplié par 100 entre 2000 et 2013. Elles focalisent naturellement l'attention.

Et pourtant, avec 603 milliards de dollars fin 2012 , le stock d'investissements à l'étranger des pays de l'ASEAN reste, selon la CNUCED, supérieur à celui de la Chine , qui se situe à 530 milliards de dollars.

Singapour représente 2/3 de ce stock, avec 401 milliards de dollars, suivi par la Malaisie (120,4 milliards de dollars), la Thaïlande (52,6 milliards de dollars) et l'Indonésie (18,5 milliards de dollars). Historiquement Singapour et la Malaisie ont commencé à devenir des investisseurs significatifs (avec un flux annuel supérieur à 1 milliard de dollars) dès le début des années 1990, rejoints par l'Indonésie en 2004, la Thaïlande en 2007 et le Vietnam en 2012.

Singapour et la Malaisie enregistrent des flux annuels supérieurs à 10 milliards de dollars d'investissement à l'étranger depuis quelques années, la Malaisie étant par ailleurs exportatrice nette d'investissements depuis 2012.

Singapour investit d'abord en Asie (57% du stock total), devant l'Europe (15%, dont 2/3 en Grande Bretagne), l'Amérique Centrale et du Sud, l'Afrique et finalement l'Amérique du Nord qui ne recueille que 2% des investissements singapouriens.

La Malaisie est pour sa part un peu moins centrée sur l'Asie (qui représente 36% de ses investissements des trois dernières années), davantage sur l'Amérique du Nord (19%) et plus faiblement sur l'Europe (8%).

Nombre d'implantations

Nombre d'emplois

Principaux secteurs

Singapour

42

1 651

Hôtellerie, NTIC

Thaïlande

13

1 330

Agroalimentaire, Chimie/Papier

Indonésie

13

647

Pâte à papier

Malaisie

18

91

Hôtellerie, Commerce de gros

Brunei

2

520

Hôtellerie

TOTAL

88

4 239

Source : « Horizon ASEAN » n°9, mai 2014, service économique régional de Singapour, direction générale du Trésor

Comme pour nos produits ou notre langue, la France doit sortir d'une image surannée et réductrice d'une France des parfums, de la haute-couture, et des vins fins, y compris pour attirer sur notre sol de nouveaux investisseurs asiatiques. La France est autre chose que seulement l'eldorado du luxe...

Les investissements thaïlandais en France

La Thaïlande est sans doute le pays le plus dynamique en termes d'investissements industriels en France, avec notamment trois grands acteurs : Thaï Union Frozen , premier producteur mondial de conserves de thon, acquéreur de la marque Petit Navire et disposant d'une usine à Douarnenez avec 350 emplois ; PTT Global Chemical , qui dispose d'un site à Pont-de-Claix racheté au groupe Rhodia et d'un centre de recherche à Saint-Fons en région lyonnaise avec au total plus de 600 salariés ; et Double A , leader de la papeterie, qui s'est porté acquéreur du site d'Alizay dans l'Eure où il produit du papier et bientôt de la pâte à papier pour servir les marchés d'Europe, d'Afrique et du Moyen Orient, avec à terme 250 salariés.

Source : Direction générale du Trésor, étude du service économique régional

À l'occasion de leurs entretiens ministériels à Singapour, vos rapporteurs ont constaté qu'il existe une règle implicite des « 7 heures d'avion » : les entreprises singapouriennes n'investissent pas plus loin, géographiquement, que les États accessibles en 7 heures de vol.

Compte tenu du potentiel d'investissement des entreprises et des fonds souverains de pays comme Singapour, la Malaisie ou l'Indonésie, une offensive particulière doit être menée dans leur direction, pour combattre ce préjugé de l'éloignement.

Proposition : développer, dans le discours sur l'attractivité française pour les investissements privés et les fonds souverains d'Asie du Sud-Est, un argumentaire spécifique pour vaincre la règle implicite des « 7 heures d'avion ».

5. Résoudre la lancinante question des visas

Rien de neuf sous le soleil : la question des visas revient de façon lancinante comme un caillou dans notre chaussure.

Procédures trop longues et trop complexes au regard du faible risque migratoire dans la région, goulot d'étranglement pour un tourisme haut de gamme, effet de ciseau entre la demande qui croit, les procédures qui se complexifient et les moyens qui stagnent ou diminuent, le diagnostic a déjà été désormais clairement posé par toute une série de rapports officiels.

Au Vietnam par exemple, où sont délivrés 10 000 visas « seulement » par an, avec un taux de rejet dans la moyenne, la lourdeur est jugée excessive.

Le renforcement des services des visas dans les pays de l'ASEAN a été opéré à dose homéopathique. Faut-il rappeler que l'activité « visas » est rentable : les sommes collectées paient plus que les salaires des agents qui y sont affectés !

LE RENFORCEMENT « HOMÉOPATHIQUE » DES EFFECTIFS VISAS

L'accroissement de l'activité consulaire dans la zone (explosion du nombre des demandes de visas...) a conduit à la création de postes de titulaires et d'agents de droit local dans les sections consulaires de nos ambassades aux Philippines , en Indonésie , à Singapour , en Thaïlande et au Vietnam .

Mais ces créations ont été gagées par des redéploiements (notamment par des suppressions de postes parmi les effectifs de soutien).

En Indonésie , la section consulaire a été renforcée par la création de deux postes (dont un pour les visas) en 2013. Aux Philippines , deux postes supplémentaires ont été créés au service des visas, et un poste en Thaïlande .

Source : ministère des affaires étrangères, réponse au questionnaire de votre commission

Proposition : appliquer la même priorité à l'ASEAN qu'à la Chine (délivrance accélérée) : y accélérer le renforcement des effectifs « visas » dans ces pays où le risque migratoire est faible et où les touristes sont nombreux et à hauts revenus.

6. Soutenir les ambitions des pays de la région pour apparaître comme un partenaire fiable

Enfin, nous devons apparaître aux yeux de nos partenaires du Sud-Est asiatiques comme fiables dans la durée.

Pour cela nous devons aussi soutenir leurs légitimes ambitions, notamment en matière de politique étrangère.

Membre par le passé à trois reprises du Conseil de Sécurité, l'Indonésie espère être élue pour les années 2019-2020.

La Malaisie est quant à elle candidate à un siège de membre non-permanent du Conseil de Sécurité pour 2015-2016.

Ces deux pays aspirent à avoir une diplomatie globale et à être un facteur d'équilibre.

Proposition : même si, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la France ne peut se prononcer officiellement sur les candidatures dans cette enceinte, il va de soi que, s'agissant de deux partenaires importants, l'élection de la Malaisie et de l'Indonésie comme membres non permanents ne peut qu'être envisagée que très positivement. Votre commission souhaite que tout soit mis en oeuvre, le cas échéant et le moment venu, pour une collaboration la plus étroite et fructueuse possible au sein du Conseil de sécurité .

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent rapport lors de sa séance du 15 juillet 2015, sous la présidence de M. Jean-Louis Carrère, président.

Après l'exposé des rapporteurs, un débat s'est engagé.

M. Jeanny Lorgeoux . - Votre rapport, dont je salue la grande qualité, nous incite à réfléchir au pivotage mondial vers la région Pacifique. La montée de la Chine en mer de Chine méridionale et sa volonté de maîtriser le détroit de Malacca ne nous conduisent-ils pas inéluctablement à des affrontements armés, compte-tenu des rivalités historiques (Chine-Viet Nam notamment) ?

M. Jean-Claude Peyronnet . - Certains analystes font en effet un parallèle avec l'Europe de 1914, qui est inquiétant. En même temps, les États-Unis contrebalancent dans la région l'influence chinoise. La Chine elle-même est très liée sur le plan non seulement économique, mais aussi culturel, avec les diasporas chinoises, aux autres pays d'Asie du Sud-Est.

M. André Dulait . - Aucun de ses voisins n'a les moyens de s'opposer à la Chine, qui ne cherche pas non plus l'affrontement armé, mais la protection de ses intérêts tant économiques que stratégiques, puisqu'elle aspire à permettre l'accès de ses sous-marins aux grandes fosses océaniques via la Mer de Chine méridionale.

M. Christian Cambon . - Nous avons eu au cours de plusieurs entretiens conduits pour la préparation du rapport l'impression que ces questions stratégiques étaient aussi le prétexte à une mobilisation à des fins de politique intérieure. Il ne faut pas sous-estimer cette dimension : le nationalisme est fort, tant en Chine que dans les pays d'Asie du Sud-Est, nous l'avons mesuré lors de notre mission au Vietnam où des émeutes « antichinoises » ont éclaté à la suite de l'installation de la plate-forme d'exploration pétrolière.

M. Jean-Pierre Chevènement . - Gardons-nous surtout d'un tropisme « antichinois », qui serait contraire au sens de l'histoire. La Chine reprend la place qui a été la sienne jusqu'au début du 19 e siècle. Cela ne peut se faire sans quelques secousses... Personne ne veut la guerre, ni la Chine, ni les États-Unis, ni les États de la région. La Chine est une puissance considérable, comme le sera d'ailleurs l'Inde dans quelques années... En Indonésie, la minorité chinoise domine économiquement. C'est une région compliquée, dans laquelle nous devons faire, avant tout, du commerce, et mettre, peut-être, au second plan la géostratégie. La bipolarité entre la Chine et les États-Unis est d'ailleurs sans doute pour nous un moyen de résister à la pression d'un allié, certes, mais qui n'hésite pas à infliger une lourde amende à l'une des principales banques européennes. Avons-nous intérêt à une domination trop intrusive, fût-ce celle d'un allié ? La Chine n'est pas une menace pour la France. Nous devons tâcher de faire fructifier nos relations économiques, et le cas échéant de jouer, en tant que membre permanent du Conseil de Sécurité, un rôle de conseil ou d'intercession. Je crois que les intérêts chinois sont avant tout économiques, et comme vous l'avez dit, stratégiques -vous avez mentionné leurs sous-marins-.

M. Jean-Claude Peyronnet . - C'est tout à fait la tonalité de notre rapport. La Chine développe un commerce très vigoureux avec l'Afrique, et souhaite aussi sécuriser ses flux maritimes.

M. Jean Besson . - Je partage l'analyse de Jean-Pierre Chevènement ; la Chine n'a nul intérêt à la guerre, et se place sur le terrain de la compétition économique. L'influence chinoise est forte en Asie du Sud-Est, ainsi en est-il dans les provinces du Nord de la Birmanie ou encore à Singapour, où 75 % de la population est d'origine chinoise et où l'accord de libre-échange Singapour-Chine conclu en 2008 a eu un effet d'entraînement.

Mme Hélène Conway-Mouret . - Je salue votre analyse et la pertinence de vos propositions. Le manque de visites officielles pendant dix ans a pu être perçu comme du mépris et la visite de Jean-Marc Ayrault dans la région était vraiment bienvenue. Pourquoi proposer un diplomate à plein temps auprès de l'ASEAN, alors que notre ambassadeur à Jakarta y est déjà accrédité ? Quelles sont les difficultés pour trouver un professeur de français ? Les redéploiements dans le réseau diplomatique sont douloureux puisqu'ils se font sous un plafond d'emplois très contraint...

M. Jean-Louis Carrère, président . - Enseigner le français aux militaires indonésiens est un investissement pour l'avenir, car cela permettra d'amorcer des échanges aujourd'hui quasi inexistants. Sur le réseau diplomatique, je puis vous dire, à la suite du rapport que j'avais présenté sur les co-localisations diplomatiques, qu'il est certes douloureux, mais faisable, voire nécessaire.

M. André Trillard . - Je suis très sensible à vos propos relatifs aux droits qui s'attachent aux zones économiques exclusives. Des diplomates vietnamiens nous ont déjà alertés par le passé, notamment sur la section de câbles sous-marins par des navires chinois.

Mme Éliane Giraud . - La priorité donnée au rattrapage de nos positions économiques au Vietnam et en Indonésie me paraît essentielle. Je souhaite une meilleure complémentarité entre l'aide publique au développement de l'État et celle des collectivités territoriales.

M. Gilbert Roger . - Dans un pays centralisé comme le Vietnam, la coopération décentralisée se heurte parfois à des obstacles. J'ai vu des marchés issus de projets aidés par la coopération française attribués à des entreprises allemandes... Au Vietnam, les jeunes générations ont adopté le mode de vie américain : les jeunes ne parlent plus français. Idem pour la coopération hospitalière : il est plus facile pour les médecins vietnamiens d'aller aux Etats-Unis.

Puis la commission adopte le rapport à l'unanimité et autorise sa publication sous forme de rapport d'information.

ENTRETIENS RÉALISÉS POUR LA PRÉPARATION DU RAPPORT

AUDITION EN COMMISSION

Professeur Eric FRÉCON, enseignant-chercheur à l'École navale, Coordinateur de l'Observatoire Asie du Sud-est à Asia Centre, enseignant à l'institut d'études politiques de Paris

AUDITIONS PAR LES RAPPORTEURS
OU PAR LE GROUPE DE TRAVAIL

M. Arnaud d'ANDURAIN , chargé de l'Asie au Centre d'Analyse, de Prévision et de Stratégie du ministère des Affaires étrangères

M. Benoit de TRÉGLODÉ , chef du bureau Asie Pacifique, délégation aux affaires stratégique, ministère de la défense

Professeur Hugues TERTRAIS , Paris 1, Directeur du centre d'histoire de l'Asie contemporaine

M. Christian LECHERVY , conseiller Affaires stratégiques et Asie à la Présidence de la République

Capitaine de vaisseau Christophe PIPOLO , chef du Bureau Asie-Pacifique, Amérique Latine, état-major des armées, relations internationales, division régions, lieutenant-colonel Nadia PIERCY , Commissaire Sébastien MAVEYRAUD , de l'état-major de la marine

Mme Sophie BOISSEAU DU ROCHER , professeur, chercheur associée à Asia centre

M. Jean-Raphael CHAPONNIÈRE , économiste, chercheur associé à Asia Centre

Mme Elizabeth LAURIN , directrice d'Asie et d'Océanie au ministère des affaires étrangères, et M. Didier ORTOLLAND , sous-directeur d'Asie du Sud-Est

Contre-amiral Pascal AUSSEUR , sous-directeur « Asie Pacifique » à la Direction générale de l'armement (DGA), et M. Éric TROTTIN , chef du bureau « Asie du sud-est, Pacifique »

Mme Marie-Cécile TARDIEU-SMITH , sous-directrice, sous-direction des relations économiques bilatérales, Direction Générale du Trésor, ministère de l'Économie et des Finances

M. Benoit GUIDEE , conseiller technique au cabinet du ministre des affaires étrangères

Amiral Bernard ROGEL , chef d'état-major de la marine

ENTRETIENS EN ASIE DU SUD-EST (7-16 MAI 2014)

7 - 11 mai : VIETNAM (Ho Chi Minh Ville et Hanoi)

Thèmes : coopération au développement, enjeux sécuritaires en mer de Chine, diplomatie économique

Mercredi 7 mai

Thèmes

HO CHI MINH VILLE

Entretien avec le Consul général à Ho Chi Minh Ville, Fabrice MAURIES

Questions consulaires, diplomatie économique, soutien aux entreprises françaises

Visite du bureau de l'agence française de développement (AFD)

Aide au développement

Visite du projet AFD de protection contre les inondations de la rivière de Sai Gon - 2 rives à HCM Ville et à Binh Duong,

Aide au développement

Dîner de travail avec les représentants des entreprises françaises

Diplomatie économique

Jeudi 8 mai

HANOI

Visite du projet de transmission d'électricité Pleiku à Cau Bong, financé par l'AFD

Aide au développement

Commémoration de la bataille de Dien Bien Phu avec la communauté française

Diner de travail avec les bénéficiaires des aides de l'AFD (EVN, CCF, MRB, VINACOMIN, MARD....)

Aide au développement

Vendredi 9 mai

HANOI

Entretien avec M. Le Viet Truong, Vice-Président de la Commission de la Défense et de la Sécurité de l'Assemblée nationale

Relations bilatérales, contexte géostratégique régional

Entretien avec M. VO VAN TUAN, sous-chef de l'état-major général, ministère de la défense

Coopération bilatérale de défense, contexte géostratégique régional

Séance de travail avec l'Ambassadeur et les services de l'Ambassade

Diplomatie économique, présence française, relations bilatérales

Déjeuner de travail avec les représentants de la communauté d'affaire française

Diplomatie économique

Samedi 10 mai

Visite du terril de Vinacomin à Halong (réhabilitation d'un site d'extraction de charbon, financement AFD)

Aide au développement

12, 13, 14 mai : INDONESIE (Jakarta)

Thèmes : processus d'intégration de l'ASEAN, diplomatie économique, contenu du partenariat stratégique avec l'Indonésie

Lundi 12 mai

Thèmes

JAKARTA

Petit-déjeuner de travail avec la communauté d'affaires française et les services économiques

Diplomatie économique (dominante : secteur énergétique)

Entretien avec l'Attaché de défense et le Premier Secrétaire

Coopération de  défense  et relations bilatérales

Entretien avec M. DIAN TRIANSYAH DJANI, ministère des affaires étrangères

Relations bilatérales et contexte stratégique régional

Entretien avec M. HASAN KLEIB, ministère des affaires étrangères

Relations bilatérales et contexte stratégique régional

Déjeuner de travail avec l'Ambassadeur du Japon auprès de l'ASEAN (M. Koichi AIBOSHI), le Conseiller économique de l'Ambassade du Japon (M. Atsushi SAITO), le Chef du service de Coopération à la délégation de l'Union Européenne (M. Franck VIAULT)

ASEAN et intégration régionale, les stratégies de représentation auprès de l'ASEAN : une approche comparative

Entretien avec Mme Sophie SALOMON, senior project officer (AFD)

Aide au développement

Entretien avec le général de brigade YNA PETER ALE, directeur de la coopération internationale, Ministère de la Défense

Coopération de défense et contexte stratégique régional

Mardi 13 mai

SENTUL

Visite du centre de formation aux opérations de maintien de la paix de Sentul, réunion de travail avec le commandement du centre de maintien de la paix

Les ambitions indonésiennes en matière de politique étrangère

JAKARTA

Entretien avec le directeur des « Galeries Lafayette » de Jakarta

Diplomatie économique, la montée des classes moyennes consuméristes

Dîner de travail avec André de Bussy, Conseiller régional de coopération

Les missions du service de coopération régionale

Mercredi 14 mai

Entretien avec le vice-amiral Robert Mandigaan, conseiller technique chargé de la mer de Chine du Sud, Institut Lemhanas

La situation en mer de Chine du Sud

Entretien avec le secrétaire général adjoint de l'ASEAN, H E AKP Mochtan, deputy secretary general of ASEAN community

L'intégration régionale, la communauté économique 2015 et les perspectives d'intégration politique

Déjeuner de travail avec des représentants du Habibie Center (think tank)

Géopolitique régionale, tensions en mer de Chine du Sud, rôle des différentes puissances, montée de l'islamisme radical en Asie du Sud Est

15- 16 mai : SINGAPOUR

Thèmes : sécurité régionale, relation bilatérale, diplomatie économique

Jeudi 15 mai

Thèmes

SINGAPOUR

Entretien avec M. Masagos ZULKIFLI, senior minister of state, Ministry of Foreign Affairs

Relations bilatérales et contexte stratégique régional

Entretien avec Dr. Mohamad Maliki Bin Osman, Minister of State For Defence

Coopération bilatérale de défense et contexte stratégique régional

Rencontre avec les députés membres du Government Parliament Committee for Foreign Affairs and Defence, Mr. Lim Biow Chuan et Mr. Zainudin Nordin

Coopération parlementaire, veillissement de la population, problèmes démographiques, dérèglement climatique

Visite de l'Information fusion center (IFC)

Coopération bilatérale de défense, lutte contre la piraterie et sécurité des voies maritimes

Rencontre à la résidence de France avec la communauté française d'affaires

Diplomatie économique

Vendredi 16 mai

Visite du site de THALES - M. Jean-Noel Stock, CEO Thales Singapour

Diplomatie économique, marchés de défense et dans le secteur des transports

Réunion de travail avec les services de l'ambassade

Relations bilatérales de défense et diplomatie économique

Visite de la Chambre de Commerce franco-singapourienne, FCCS, échange avec les représentants des entreprises françaises et avec les représentants d'Ubifrance et des services économiques régionaux

Diplomatie économique


* 1 Programme d'invitation des personnalités d'avenir

* 2 Entendue ici comme les 10 États de l'Association des Nations d'Asie du Sud-Est (Birmanie, Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam)

* 3 L'ASEAN est composée de : Birmanie, Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam.

* 4 Source : entretien avec la Direction générale du Trésor

* 5 Key indicators for Asia and the Pacific 2013

* 6 Voir « Economic outlook for Southeast Asia », 2014, http://www.oecd.org

* 7 Voir notamment l'étude de la banque asiatique de développement : http://www.adb.org/features/middle-income-trap-holds-back-asias-potential-new-tiger-economies-12-things-know

* 8 Source : « Horizon ASEAN », mai 2013, Direction Générale du Trésor, « Échanges de services, l'ASEAN en avance sur la Chine ».

* 9 C'est l'analyse du service économique régional de Singapour, disponible dans « Horizon ASEAN », janvier 2014, dont sont tirées les analyses figurant dans ce paragraphe.

* 10 Calcul du service économique régional de Singapour de la Direction Générale du Trésor (novembre 2012).

* 11 Chiffre cité par JR Chaponnière « La résilience économique de l'ASEAN », l'Asie du Sud Est 2013, IRASEC, les Indes savantes

* 12 Dans « L'Asie du Sud-Est 2013 », IRASEC, les Indes savantes, « la résilience économique de l'ASEAN »

* 13 Source: entretiens à Jakarta

* 14 Sophie Boisseau du Rocher : «  The EU's strategic offensive with ASEAN : Some room left but no time»

* 15 Source : chiffres UNESCO, cités par l'étude précitée du Service économique régional de Singapour sur l'innovation

* 16 Chiffre : « La compétitivité des pays de l'ASEAN-6 », note du service économique régional de Singapour, octobre 2012

* 17 Source : infrastructures de transport : « Un bilan inégal et des besoins considérables », « Horizon ASEAN », étude de la DGT, service économique régional de Singapour, mai 2013

* 18 Service économique régional de Singapour, Direction générale du Trésor, « Infrastructures de transport en ASEAN », mai 2013

* 19 Source : ministère des affaires étrangères, réponse au questionnaire écrit de votre commission

* 20 Analyse développée devant votre commission par M Jean-Raphael Chaponnière

* 21 Les développements qui suivent sont tirés de la note « Investissements chinois en Asean : une vague récente qui prend de l'ampleur », avril 2014

https://www.tresor.economie.gouv.fr/File/401295

* 22 Ibid

* 23 « État des lieux des marchés d'actions en ASEAN-5 », service économique régional de Singapour, août 2012, direction générale du Trésor

* 24 http://www.fao.org/NEWSROOM/fr/news/2004/49367/index.html

* 25 Source : Programme des Nations unies pour l'environnement, PNUE, « La surpêche, principale menace pesant sur l'écologie maritime mondiale »,

http://www.grid.unep.ch/products/3_Reports/ew_overfishing.fr.pdf

* 26 Source : note « Horizon ASEAN », 2013, Service économique régional de Singapour, direction du Trésor

* 27 Source : note de la direction générale du Trésor, service économique régional de Singapour

* 28 Source : Ibid.

* 29 Cette estimation est souvent citée dans la presse, cf. par exemple le journal Le Monde le 20 janvier 2013 « Pékin Manille, un face à face tendu »

* 30 « Great game in the South China Sea », the Hanoist, Asia Times online, 17 avril 2012, cité par François Raillon

* 31 Plus précisément, dans la zone économique exclusive du Vietnam, même si cette localisation dans la ZEE vietnamienne est contestée par certains experts, comme le souligne un article récent de Mme Sophie Boisseau du Rocher, « Chine /ASEAN : Les consultations sur la Mer de Chine sont elles menacées ? »

* 32 Source : entretiens à Jakarta

* 33 Rapport d'information de Mme Catherine Procaccia, http://www.senat.fr/ga/ga108/ga108.pdf

* 34 Données communiquées par le Service économique régional à Singapour

* 35 Source : entretien de vos rapporteurs avec la Direction générale du Trésor

* 36 Source : Jean-François Di Meglio, « Les acteurs asiatiques face à la crise économique des pays occidentaux », in Asie, mondes émergents, 2012-2013

* 37 Analyse développée par Mme Françoise Nicolas, « Intégration économique, vers la fin de l'exception asiatique », in Asie, mondes émergents, 2012-2013

* 38 L'expression est du Professeur Tertrais, entendu par votre commission

* 39 Professeur Hugues Tertrais, « Asie du Sud-Est, lieu de rencontre et de confrontation », in Diplomatie n°9, juin-juillet 2012

* 40 Exemples tirés du même article du professeur Tertrais

* 41 Entretien avec le professeur Tertrais

* 42 Dont certains réglés, il faut le noter, par le droit international

* 43 Source : « les forces armées en Asie du Sud-Est : doctrines et liens civilo-militaires », note de l'Observatoire de l'Asie du Sud-Est, avril 2014

* 44 Seules les baies historiques sont prises en considération dans la CNUDM (article 10, §6)

* 45 Police maritime

* 46 Source : Hellendorf Bruno, « Dépenses et transferts militaires en Asie du Sud Est : une modernisation qui pose question », note d'analyse du GRIP, 12 juin 2013, Bruxelles

* 47 Voir l'article « Le sous-marin en Asie du Sud Est », Yan ROZEC, observatoire de l'Asie du Sud est, juillet 2013, Asia centre

* 48 Source : « Ambitions des puissances maritimes émergentes. Opportunités et risques pour les intérêts français », étude réalisée pour la DAS, www.defense.gouv.fr/das

* 49 Source : Ibid

* 50 « La France face à la nouvelle géopolitique des océans »

* 51 E. Goh et A. Acharya (2007), cités dans Buzan Barry et Despréaux Claire, « Asie : une reconfiguration géopolitique », Politique étrangère, 2012/2 Eté, p. 331-344.

* 52 International Institute for Strategic Studies, institut de recherche basé à Londres

* 53 Sophie Boisseau du Rocher : « Chine/ASEAN, une diplomatie tous azimuts rondement menée, février 2014

* 54 Source : note d'Alexandre Besson pour l'IRIS, http://www.iris-france.org/docs/kfm_docs/docs/2011-04-piraterie-en-asie-du-sud-est-alexandre-besson.pdf

* 55 Chiffres tirés de l'étude de la Direction Générale du Trésor : « le secteur minier, un gisement de croissance pour l'ASEAN », février 2013

* 56 http://whc.unesco.org/fr/soc/1144

* 57 Source : l'ASEAN face au défi climatique, Service Economique Régional, Direction Générale du Trésor

https://www.tresor.economie.gouv.fr/File/401283

* 58 Étude en date de mars 2014, disponible sur :

http://www.who.int/entity/phe/health_topics/outdoorair/databases/en/index.html

* 59 Ces chiffres sont calculés par rapport à une situation où le niveau de pollution serait maintenu en dessous des valeurs-guide de l'OMS

* 60 Source : l'ASEAN face au défi climatique, Direction Générale du Trésor, https://www.tresor.economie.gouv.fr/File/401283

* 61 « Cambodge : la sortie de la transition post Pol Pot », in « L'Asie du Sud est 2014 », IRASEC, p. 167 et s, AY Guillou et F Luco

* 62 Source : Ibid

* 63 D'après une étude de la Banque Mondiale, le nombre de personnes sous le seuil de 1,15 dollars par jour serait passé de 7 à 3 millions de personnes

* 64 D'après le titre d'un article de R Egreteau dans la revue « Etudes », mars 2012

* 65 Voir notamment l'article de R Egreteau : « Réformes et transition en Birmanie : Glasnost sans Pérestroika ? » Mondes émergents, Asie, 2013-2014

* 66 Voir : « Vietnam, une impatience croissante », in « L'Asie du Sud Est 2014 », IRASEC

* 67 Termes d'un article de M. F. Raillon

* 68 « Indonésie, un archipel émergent », F Raillon, académie des sciences morales et politiques

* 69 Source : Marie-Sybille de Vienne in « L'Asie du Sud Est 2013 », IRASEC

* 70 Source : Ibid

* 71 Source : F. Raillon, « Indonésie, un archipel en émergence », juin 2012, communication à l'académie des sciences morales et politiques

* 72 Cette explication a notamment été défendue par des chercheurs du Think tank Habibi center à Jakarta

* 73 Voir l'article de Marie-Sybille de Vienne sur Brunei in « L'Asie du Sud Est 2014 », IRASEC, les Indes galantes, p. 153 et s.

* 74 Voir notamment http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2014/06/09/97001-20140609FILWWW00098-torture-de-civils-dans-l-etat-kachin-en-birmanie.php

* 75 Source : L'Asie du Sud Est 2014, IRASEC, article sur la Thaïlande

* 76 Voir notamment : http://www.fidh.org/en/asia/vietnam/14856-vietnam-free-the-over-200-imprisoned-dissidents

* 77 L'Asie du Sud Est 2014, IRASEC, article sur le Vietnam

* 78 http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---dgreports/---dcomm/documents/publication/wcms_126691.pdf

* 79 Source : entretien de vos rapporteurs avec des représentants de la Direction Générale du Trésor

* 80 « Énergie en Asean : le risque de dépendance s'accroit », mai 2013, service économique régional de Singapour

* 81 « The EU's strategic offensive with ASEAN: Some room left but no time...»,

Sophie Boisseau du Rocher, 8 janvier 2014

* 82 Melbourne institute of applied economic and social research 2013

* 83 Source : Asie, mondes émergents, 2012-2013, article de Mme Sophie Boisseau du Rocher

* 84 Source : Ibid

* 85 Données tirées de l'étude : « État des lieux sur les inégalités au sein de l'ASEAN », service économique régional de Singapour, direction générale du Trésor, avril 2012

* 86 Toutes ces données sont issues de l'étude de la direction générale du Trésor, service économique régional de Singapour, « Industrie de la confection au Cambodge, forces et faiblesses », https://www.tresor.economie.gouv.fr/9561_industrie-de-la-confection-au-cambodge-forces-et-faiblesses

* 87 Étude du service économique régional de Singapour, DGT,

https://www.tresor.economie.gouv.fr/File/390751

* 88 Source : The Economist, « Falling on their wallets », 7 janvier 2012, cité par Jean-Raphael Chaponnière

* 89 Source : Jean-Raphael Chaponnière in « L'Asie du Sud-Est 2013 », IRASEC, les Indes savantes

* 90 Source : article « Trafics en Asie du Sud Est continentale » de, Pierre-Arnaud CHOUVY, « Mondes émergents », 2012-2013, la documentation française

* 91 Source : rapport 2013 de l'ONUDC

* 92 Source : article précité de Pierre-Arnaud CHOUVY

* 93 Source : ibid

* 94 Source : compte-rendu d'un séminaire à Phnom Penh le 6 mars 2014 sur « L'immigration irrégulière et le trafic des êtres humains ».

* 95 Source : presse Thailandaise

* 96 Source : « Horizon ASEAN », étude du service économique régional de Singapour, direction générale du Trésor, août 2011

* 97 Source : ibid

* 98 Données tirées de l'étude du service économique régional de Singapour, in Horizon ASEAN n°8, janvier 2014

* 99 http://www.aric.adb.org/fta-country

* 100 Source : audition de M. Eric Frécon

* 101 Le TPP est une extension d'un accord initialement signé en 2005 par 4 pays d'Asie-Pacifique : Brunei, Chili, Nouvelle-Zélande et Singapour. Cinq autres pays (Australie, Malaisie, Pérou, États-Unis et Vietnam) se sont ensuite associés au partenariat.

* 102 Source : « La nouvelle diplomatie économique asiatique : Chine, Japon, Corée comme exportateurs d'infrastructures », IFRI, mai 2014, F Nicolas, C Pajon, J Seaman

* 103 Source : Ibid

* 104 Source : «Chine Asean, une diplomatie tous azimuts rondement menée », Sophie Boisseau du Rocher, février 2014, IFRI

* 105 Analyse développée par Jean-Raphael Chaponnière lors de son audition devant la commission et dans « L'Asean entre Japon et Chine », L'Asie du Sud-Est 2014, IRASEC

* 106 Source : Jetro, déc 2012, cité par Jean-Raphael Chaponnière

* 107 Source : « La nouvelle diplomatie économique asiatique : Chine, Japon, Corée comme exportateurs d'infrastructures », IFRI, mars 2014, F Nicolas, C Pajon, J Seaman

* 108 Analyse développée par François Raillon dans «Les voies étroites de l'Asie du Sud Est», in Questions internationales n°48

* 109 « Sustaining US global leadership : priorities for 21st century defense », department of defense

* 110 Document à paraitre, consultable ici : http://www.senat.fr/rapports-classes/cretrd.html

* 111 Source : rapport de l'assemblée parlementaire de l'OTAN

* 112 Source : « La nouvelle posture militaire américaine en Asie », Corentin Brustlein, in Politique étrangère 2:2013

* 113 Le chiffre de 1000 milliards de dollars sur 10 ans est le plus couramment évoqué

* 114 En 1991, le Sénat philippin avait rejeté un traité prévoyant le renouvellement des bases militaires américaines, l'armée américaine quittant ses bases de Clark et de Subic Bay.

* 115 Voir l'article précité de l'IFRI : « La nouvelle diplomatie économique asiatique : Chine, Japon, Corée comme exportateurs d'infrastructures », F. Nicolas, C. Pajon, J. Seaman, mai 2014

* 116 Source : Ibid

* 117 http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2013/10/08/20002-20131008ARTFIG00269-la-coree-a-l-assaut-du-vietnam-et-de-l-indonesie.php

* 118 Analyse extraite d' « Horizon ASEAN », février 2013, publication du service économique régional de Singapour, direction générale du Trésor

* 119 ibid

* 120 Consultable ici : http://www.senat.fr/rapports-classes/cretrd.html#INFOR

* 121 Source : audition devant votre commission

* 122 Hellendorf Bruno, « Dépenses et transferts militaires en Asie du Sud Est : une modernisation qui pose question », note d'analyse du GRIP, 12 juin 2013, Bruxelles

* 123 D'après le titre d'un rapport d'information de notre commission : « Maritimisation, la France face à la nouvelle géopolitique des océans », 2011, Sénat, n°674

* 124 http://www.senat.fr/seances/s201406/s20140618/s20140618001.html#par_45

* 125 Voir notamment l'article de Pierre Gosser « Europe 1914-Asie 2014 : une comparaison en débat », Questions internationales, n°68, juillet-août 2014

* 126 Young-Kwan Yoon, « Le passé de l'Europe est-il le futur de l'Asie ? », Politique étrangère, 2014/1 Printemps, p. 173-185. DOI : 10.3917/pe.141.0173

* 127 « La France et l'Asie du Sud-est, de l'Indochine à l'ASEAN », Pierre Journoud, IRSEM

* 128 Source : note du Ministère des Affaires étrangères, « La coopération décentralisée entre la France et le Vietnam », septembre 2013

* 129 Au travers du SIAAP, syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne

* 130 Chiffres 2004

* 131 Source : entretiens à Hanoi

* 132 Source : entretien avec les responsables Asie de l'AFD

* 133 Source : entretien à Jakarta

* 134 Source : ministère des affaires étrangères

* 135 http://www.air-cosmos.com/2014/03/06/20971-singapour-confirme-l-achat-de-l-a330-mrtt

* 136 La bonne qualité de la relation entre le président Chirac et le Premier ministre Mahatir a été fréquemment évoquée au cours des entretiens

* 137 Pour une analyse approfondie de la politique asiatique française dans les années 1990 et 2000, voir : « Un septennat de politique asiatique : quel bilan pour la France ? », Dorient rené In Politiuqe étrangère n°1, 2002, pp. 173-188

* 138 Source : Ibid

* 139 Commission présidée par Alain Juppé et Louis Schweitzer,

http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/2LIVREBLANC_DEF.pdf

* 140 Source : « Un septennat de politique asiatique : quel bilan pour la France ? », Dorient rené In Politique étrangère n°1, 2002, pp. 173-188

* 141 François Raillon, « L'Indonésie, un archipel émergent », communication à l'académie des sciences morales et politiques, juin 2012

* 142 Source : le secteur automobile dans l'ASEAN, Direction générale du trésor, service économique régional de Singapour

* 143 Source : Ibid

* 144 Source : Service économique régional de Singapour, étude sur « L'industrie du rail longue distance en ASEAN »

* 145 Source : étude du service économique régional de Singapour, « l'ASEAN, un marché aéroportuaire en plein envol », Horizon ASEAN n°8, janvier 2014

* 146 Etude du service économique régional de Singapour, in Horizon ASEAN n°8, janvier 2014

* 147 Estimations respectivement Airbus et Boeing

* 148 Chiffres cités par le Premier ministre lors des 9 èmes assises de l'économie maritime et du littoral, le 3 décembre 2013

* 149 Source : ibid.

* 150 Source : entretien avec la Direction générale du Trésor

* 151 « Vulnérabilité de la France face aux flux maritimes », CEIS, disponible en ligne : http://www.defense.gouv.fr/das/reflexion-strategique/etudes-prospectives-et-strategiques/articles-etudes/vulnerabilites-de-la-france-face-aux-flux-maritimes

* 152 « Le Pacifique : un océan stratégique », février 2014, http://www.colsbleus.fr/articles/1321

* 153 Bâtiment multi-mission

* 154 BÂtiment de TRAnsport Léger

* 155 Même si le ministère des affaires étrangères a naturellement été associé à sa rédaction ; c'est le Directeur des Affaires stratégiques du ministère de la défense qui a été chargé de le présenter

* 156 Suivant les termes de Christian Lechervy «  La France, l'Europe et l'Asie-Pacifique » IRSEM, avril 2013

* 157 Programme d'invitation des personnalités d'avenir

* 158 Source : entretien de vos rapporteurs au ministère des affaires étrangères indonésien

* 159 Crédits du FED

* 160 Source : entretiens à Jakarta

* 161 Référé 65 294, février 2013

* 162 Alors que les données 2007 à 2012 correspondent aux consommations (rapport annuel de performance), le budget exécuté 2013 est donné à titre indicatif et correspond à la loi de finances initiale

* 163 Source : « Horizon ASEAN » n°9, mai 2014, service économique régional de Singapour, direction générale du Trésor

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