II. UNE RELATION À RESTAURER DURABLEMENT

La diplomatie, le commerce extérieur et le rayonnement culturel de notre pays ont tout à gagner à cultiver à nouveau, résolument, la relation franco-iranienne. La régénération de celle-ci, après la période de crise d'une douzaine d'années que l'accord de Vienne du 14 juillet 2015 tend à clore, ne pourra sans doute être que progressive.

Dans cette optique, le groupe de travail de votre commission propose de poursuivre et prolonger, à court terme, les actions d'ores et déjà engagées aux plans politique et économique, en relançant avec la même détermination notre coopération culturelle et scientifique. À moyen terme, il s'agit de définir les contours de notre ambition en faveur de la restauration de partenariats durables et d'un dialogue dense avec l'Iran.

A. LES ACTIONS À MENER À COURT TERME

1. Poursuivre la reprise d'un dialogue bilatéral apuré de la question nucléaire

On a fait état ci-dessus des signaux concrets de la reprise d'un dialogue diplomatique franco-iranien a priori débarrassé, désormais, de l'"irritant" nucléaire - situation nouvelle que la France a significativement contribué à faire naître, en veillant à la solidité de l'accord de Vienne : visites de ministres français à Téhéran, dont celle du ministre des affaires étrangères, en juillet dernier, deux semaines seulement après cet accord ; entretien constructif, à l'occasion de l'assemblée générale des Nations Unies, en septembre, entre le Président de la République et son homologue iranien, et annonce de la venue de ce dernier, à Paris, pour le mois de novembre prochain.

Il est en effet indispensable de rétablir un dialogue politique continu, au plus haut niveau, entre la France et l'Iran, en vue du règlement des crises du Proche et Moyen-Orient - en Irak, en Syrie, au Liban, en Palestine... Certes, le sens de l'implication du pays sur la scène régionale reste sujet à caution ; le soutien actuel fourni par le régime de Téhéran à celui de Damas, entre autres, l'éloigne des options défendues par la diplomatie française. Néanmoins, compte tenu du poids de l'Iran dans la région, il s'agit pour nous d'un interlocuteur nécessaire, au même titre que les monarchies du Golfe. Centrée sur les enjeux politiques, notamment régionaux, dans un premier temps, ce dialogue stratégique ne peut que faciliter la relance de la coopération franco-iranienne dans tous les domaines , y compris économique et culturel.

De l'avis du groupe de travail de votre commission, la démarche amorcée à cet égard, pour l'heure prometteuse, doit donc être poursuivie au titre d'une priorité de notre politique étrangère . La « feuille de route » commune sur le principe de laquelle les Présidents Hollande et Rohani sont tombés d'accord (cf. supra ), une fois établie, devrait naturellement lui servir de vecteur essentiel. Ce document, pour le groupe de travail, devrait comporter à la fois un volet politique, bien sûr - dont les termes devront être guidés par les objectifs de lutte contre le terrorisme et de règlement des crises régionales -, mais également un volet de coopération économique et un troisième concernant la coopération culturelle.

2. Ne pas manquer le redémarrage des échanges économiques

Depuis la signature de l'accord de Vienne, les visites et annonces de visite en Iran de responsables européens de haut rang se multiplient. Si les enjeux politiques de la reprise d'un dialogue "normalisé" de chaque État avec l'Iran expliquent pour une part cette effervescence diplomatique, il n'est pas douteux que se trouvent également à l'oeuvre des motivations économiques 26 ( * ) ; la concurrence entre Nations est d'ores et déjà forte.

L'Iran, suivant aujourd'hui une démarche de réinsertion dans les échanges économiques et commerciaux internationaux, paraît de fait accueillir très favorablement, de manière générale, l'ensemble des investissements étrangers susceptibles de se présenter. Les responsables politiques, administratifs et économiques avec lesquels le groupe de travail de votre commission a pu dialoguer, en particulier les entrepreneurs qu'il a rencontrés au sein de la chambre de commerce et d'industrie d'Ispahan, ont tous exprimé leur disponibilité, voire leur attente, pour coopérer, dans divers domaines, avec les secteurs privé et public français.

À cet égard, et compte tenu du pragmatisme dont les Iraniens sont coutumiers, on peut raisonnablement penser que nos entreprises ne doivent pas craindre d'être pénalisées en raison des positions diplomatiques défendues par la France au cours de la négociation relative au programme nucléaire de l'Iran. Au contraire, les entreprises françaises ont manifestement la possibilité de jouer l'atout que constitue, pour leur réimplantation dans le pays, la bonne image dont y jouit toujours le nôtre .

Autant que l'attentisme, sans doute convient-il d'éviter l'écueil de la précipitation : les sanctions internationales pesant sur l'Iran, en particulier celles que les États-Unis ont édictées, ne devraient pas être levées, comme on l'a signalé déjà, avant le premier semestre 2016. Dans cette attente, nos entreprises - qu'il convient d'ailleurs de féliciter pour leur dynamisme -, doivent emprunter le chemin, encore un peu étroit, qui leur permettra à la fois, d'un côté, d'intensifier leurs prises de positions sur des marchés à la veille de s'ouvrir et, de l'autre, de s'abstenir de recourir au dollar pour des transactions avec l'Iran et se montrer prudentes dans le choix de leurs partenaires ou cocontractants, compte tenu des personnes physiques ou morales encore listées au titre des sanctions.

Afin d'aider ces entreprises face à la concurrence, le groupe de travail de votre commission recommande de prolonger l'effort d'appui engagé par l'État . Les avancées signalées plus haut - la récente ouverture d'un bureau de Business France à Téhéran, le renforcement du service économique de notre ambassade, la mise en place d'une commission mixte bilatérale, de même que l'offre de soutien adressée par notre pays au gouvernement iranien, s'il souhaite adhérer à l'OMC comme il en a exprimé l'intention, ce qui inscrirait le commerce de l'Iran dans un cadre multilatéral -, vont dans le bon sens. En complément, sur le modèle des « représentants spéciaux » mis en place par le ministère des affaires étrangères et du développement international, la désignation d'un représentant spécial pour l'Iran , personnalité à l'expertise reconnue, pourrait utilement favoriser la relation économique franco-iranienne.

Il s'agit globalement de promouvoir des partenariats de long terme , en exploitant au mieux le cadre légal international et iranien existant et en positionnant nos entreprises -y compris les petites et moyennes entreprises- dans leurs secteurs d'excellence . Parmi ces derniers, le savoir-faire français en matière de tourisme paraît tout particulièrement capable de réalisations importantes en Iran ; le groupe de travail, à cet égard, recommande une coopération entre les services français et iraniens chargés du développement touristique.

La coopération décentralisée paraît en outre à développer , entre régions françaises et régions iraniennes, afin de maximiser les circonstances favorables à nos intérêts. Quelques expériences de rapprochement entre chambres du commerce et de l'industrie des deux pays ont déjà été menées ; elles doivent être encouragées. Dans ce dessein, la chambre franco-iranienne de commerce et d'industrie, fondée en 1996 et comptant aujourd'hui environ 350 membres, dont une vingtaine d'entreprises françaises (les autres sont des entreprises iraniennes, souvent partenaires de sociétés françaises), devrait pouvoir être mobilisée.

En résumé, la prochaine « feuille de route » franco-iranienne , ci-dessus mentionnée, pourrait ainsi utilement comporter, dans son volet économique, les projets concrets suivants :

- soutien de l'expertise française, à l'Iran, pour la restauration des circuits de financement bancaires des investissements du pays et dans le pays ;

- appui de conseil à l'amélioration par l'Iran de son environnement des affaires (droit, fiscalité, lutte contre la corruption) ;

- accompagnement technique de la candidature iranienne, si elle se confirme, à l'OMC ;

- coopération entre les services français et iraniens chargés du développement touristique ;

- plan de jumelages entre chambres du commerce et de l'industrie iraniennes et françaises.

3. Relancer la coopération culturelle et scientifique

À brève échéance encore, le groupe de travail appelle à relancer, autant que notre commerce avec l'Iran, nos échanges culturels et scientifiques avec le pays . Dans ce domaine comme en matière économique - et peut-être plus encore dans ce domaine qu'en matière économique -, la qualité de l'image conservée par la France auprès des Iraniens constitue en effet un capital que nous devons faire fructifier.

Une telle politique d'influence paraît pouvoir trouver ses catalyseurs dans le Centre de langue française de Téhéran , qui joue de facto le rôle d'un institut culturel français et dont l'activité reflète un réel "désir de France" chez la jeunesse de la capitale iranienne, et dans l' Institut français de recherche en Iran , au niveau universitaire ; mais aussi dans la coopération internationale mise en oeuvre par nos grands musées, dont celui du Louvre. Cette politique, il est vrai, ne pourra se déployer qu'avec l'assentiment des autorités iraniennes ; mais la normalisation des liens politico-diplomatiques entre nos pays devrait faciliter le processus. En outre, si la reprise d'échanges économiques se déroule comme prévu, le retour en Iran d'une expatriation professionnelle française requerra, à Téhéran, l'extension des capacités d'accueil de l' école française .

Il convient parallèlement de promouvoir un plus large accueil en France, chaque année, d'étudiants iraniens , dans des filières scientifiques en particulier.

Suivant ces voeux, la « feuille de route » franco-iranienne à venir devrait notamment prévoir :

- d'un côté, le soutien de l'Iran au ré-essor de nos établissements culturels à Téhéran, notamment, en ce qui concerne l'IFRI, la facilitation de la reprise des missions de chercheurs français dans le pays et la relance des fouilles archéologiques menées en commun, et un projet d'extension des capacités d'accueil de l'école française ;

- de l'autre côté, un engagement quantifié de la France à augmenter le nombre d'étudiants iraniens qu'elle accueille ;

- enfin, un projet de coopération entre musées français et iraniens (prêts d'oeuvres et expositions croisées).

Dans le même temps, un renouveau de l'iranologie française doit être encouragé. En effet, comme plusieurs des experts auditionnés par le groupe de travail en ont apporté le témoignage, le relatif affaiblissement actuel des études iraniennes en France ne semble pas seulement résulter des récentes difficultés d'accès des chercheurs concernés à l'objet même de leurs études, mais aussi d'un désinvestissement à cet égard de la part des établissements de recherche et d'enseignement supérieur. Le ministère de tutelle devrait donc inciter ces derniers à renouer avec le développement de ce qui fut un des secteurs les plus prestigieux et fertiles de la recherche universitaire française.


* 26 On observera ainsi que le premier dirigeant occidental qui se soit rendu à Téhéran, après la signature de l'accord de Vienne, dès le 20 juillet 2015, fut M. Singmar Gabriel, vice-chancelier et ministre de l'économie de la République fédérale d'Allemagne.

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