B. DES ALLIANCES AU-DELÀ DU CADRE RÉGIONAL

En dehors du Proche et Moyen-Orient, l'Iran, peu tourné vers l'Afrique, bénéficie en revanche aujourd'hui, par convergence d'intérêts, de partenariats stratégiques avec la Russie et, à un moindre degré, avec la Chine, ainsi que d'un rayonnement singulier au sein du monde latino-américain.

1. Un partenariat militaire et économique fort avec la Russie

La République islamique partage avec la Russie contemporaine un certain nombre de caractéristiques, en particulier la fierté nationale et une identité forte, volontiers hautaine à l'égard de l'Occident, auquel ces puissances reprochent peu ou prou de les tenir dans un statut international de "paria". L'effondrement de l'URSS ayant épuré les relations russo-iraniennes des divergences idéologiques fondamentales que constituaient, du point de vue de Téhéran, le matérialisme et l'athéisme propres au marxisme-léninisme, les deux États ont noué, depuis un quart de siècle maintenant, un partenariat substantiel. Celui-ci consiste dans une coopération à la fois économique et militaire : sur le premier plan, la Russie occuperait aujourd'hui le rang de septième partenaire de l'Iran ; en ce qui concerne les armes, elle est son premier fournisseur.

Après avoir participé au programme nucléaire mis en oeuvre par les autorités de Téhéran par la fourniture d'équipements et d'experts, aux côtés de ceux qu'envoyaient la Chine et la Corée du Nord, la Russie a fini par rejoindre les États qui ont formé le groupe « P5+1 », négociant la limitation de ce programme à des fins strictement civiles 12 ( * ) . Elle est à présent chargée de coopérer avec l'Iran pour l'adaptation du site de Fordo prévue par l'accord de Vienne, comme on l'a mentionné plus haut, et, espérant sans doute tirer parti de la modération dont elle a fait preuve envers Téhéran dans la négociation de cet accord, entend manifestement vendre au pays les réacteurs civils que produit son groupe industriel Rosatom.

Se conformant aux résolutions du conseil de sécurité des Nations Unies en la matière, en particulier la résolution 1929, précédemment mentionnée ici, du 9 juin 2010, la Russie a suspendu un temps ses ventes d'armes à l'Iran . Elle n'y a cependant pas renoncé , comme on l'a constaté sans ambiguïté tout récemment, au mois d'août dernier, avec la confirmation officielle de la livraison à Téhéran, avant la fin de l'année, de batteries de défense antiaérienne sol-air russes, de type S-300, vendues pour un montant de 800 millions de dollars sur la base d'un accord entre les deux pays signé en 2007.

La Russie ne dissimule d'ailleurs pas son souhait intéressé d'une levée rapide de l'embargo visant le commerce des armes vers l'Iran - alors même que l'accord de Vienne, comme on l'a rappelé, prolonge en principe, pour huit ans, l'interdiction du transfert de biens sensibles pouvant contribuer au programme balistique iranien et, pour cinq ans, les ventes ou transferts de certaines armes lourdes au bénéfice du pays. La production russe paraît en effet correspondre assez bien à ce qui manque aux arsenaux iraniens pour compléter les productions locales et leurs achats à la Chine ou la Corée du Nord (cf. infra ) : blindés, avions de chasse, peut-être hélicoptères et frégates...

L'Iran et la Russie trouvent réciproquement dans leur alliance un vecteur d'opposition aux États-Unis . De la sorte, le soutien apporté par Moscou à Téhéran, notamment au sein des organisations internationales - et par exemple, aujourd'hui, la mise en avant de l'Iran, par la Russie, comme une pièce nécessaire au dispositif de lutte contre Daesh et de règlement de la crise syrienne - semble relever avant tout d'une stratégie dirigée contre l'influence américaine au Proche et au Moyen-Orient et au service des intérêts russes en Asie centrale. Il n'est pas exclu, du reste, que les accords passés par la Russie avec l'Azerbaïdjan et le Kazakhstan en ce qui concerne la mer Caspienne - visant la répartition des eaux territoriales et l'exploitation des ressources énergétiques de celle-ci - puissent donner lieu à des tensions avec l'Iran, dont les intérêts paraissent n'avoir pas été pris au mieux en considération dans la manoeuvre.

2. Un partenariat militaire mais surtout commercial avec la Chine

Autre pays ayant en commun avec l'Iran, notamment, une identité nationale aussi puissante qu'assumée comme telle, la Chine s'est quasiment montrée un partenaire de la première heure pour la République islamique. Elle a en effet offert à celle-ci, très tôt dans son histoire, une coopération en matière d' armement , en particulier avec la vente et le transfert de technologies dans le domaine des missiles anti-navals. Dans les années 1990 et 2000, le régime de Pékin a en outre soutenu, comme la Russie et la Corée du Nord, le développement du programme nucléaire de Téhéran, avant de mettre fin à cette coopération sous la pression des États-Unis et de se joindre, comme la Russie, au groupe « P5+1 ». Alors qu'à présent les autorités chinoises ont fait le choix d'un rapprochement avec ces derniers et, le cas échéant, se joignent à la communauté internationale pour condamner les essais nucléaires nord-coréens, il serait sans doute difficile pour elles de tenir une autre ligne envers l'Iran.

Au demeurant, on peut gager que les orientations de la diplomatie chinoise sont guidées, là comme ailleurs, par le plus grand pragmatisme. Ainsi, on observera que Pékin a besoin de se concilier, par ses positions sur le nucléaire iranien, Israël, qui lui offre la faculté d'acheter massivement des armes de haute technologie. Inversement, le relatif soutien accordé par la Chine à la République islamique lui permet de disposer d'un levier potentiel dans sa rivalité avec les États-Unis pour le leadership mondial.

Les relations sino-iraniennes se sont surtout développées, à la faveur du contexte des décisions d'embargo économique prises contre l'Iran à partir de 2006-2007, en matière commerciale : la Chine représente aujourd'hui le principal partenaire commercial de l'Iran , avec un flux d'échange de l'ordre de 30 milliards de dollars par an. Pékin, de la sorte, achète 18 % de ses importations de pétrole à Téhéran et commande, tous biens confondus, près du quart des exportations iraniennes.

Notons que l'Asie, d'une façon générale, constitue un important partenaire commercial pour le pays : l'Inde achète environ 12 % des exportations iraniennes ; la Corée du Sud et le Japon, chacun, environ 7 %. Au plan de la vente d'armes, cependant, seuls la Chine et la Corée du Nord approvisionnent Téhéran, du reste dans une proportion nettement moindre que ne le fait la Russie.

3. Des coopérations peut-être avant tout symboliques en Amérique latine

Pour achever de dresser le panorama des alliances de l'Iran, il convient de noter que la République islamique est parvenue à nouer, malgré l'éloignement à tout le moins géographique, un certain nombre de relations privilégiées sur le continent sud-américain et dans les Caraïbes. Le régime de Téhéran partage en effet l'antiaméricanisme des États en cause. L'Iran, en 2007, a d'ailleurs obtenu le statut d'observateur de « l'Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique » (ALBA).

Ainsi, dès le début des années 1980, le régime issu de la révolution de 1979 s'est rapproché de Cuba et du Nicaragua , auxquels il a consenti divers prêts et aides au développement. Avec le Nicaragua du Président Daniel Ortega à partir de 2007, mais aussi avec la Bolivie du Président Evo Morales depuis 2006, de nombreux accords de coopération ont été signés, en matière économique essentiellement. Cependant, tout au long de la décennie 2000, c'est le Venezuela qui a fait figure de partenaire sud-américain le plus proche de l'Iran : le Président Hugo Chavez et le régime des mollahs ont conclu un nombre important d'accords de coopération, dans les domaines industriel, agricole ou énergétique, et ont mutuellement soutenu leurs revendications sur la scène internationale et dans les enceintes multilatérales. Les autorités du Brésil , qui paraissent avoir pris leurs distances, désormais, avec Téhéran, n'en ont pas moins constamment défendu le droit de celui-ci à accéder au nucléaire civil.

Ces relations, même s'il faut se garder d'en exagérer la portée réelle au-delà du symbole politique qui semble, souvent, la première vocation des accords bilatéraux auxquels elles ont donné lieu, ne doivent cependant pas être tenues pour de simples curiosités de la vie internationale. Reflets d'une politique diplomatique "tous azimuts" destinée à minimiser son isolement international , elles ont en effet permis à l'Iran de trouver un appui supplémentaire à ses revendications, et participent indiscutablement du rayonnement recherché par le régime.

Néanmoins, si les promesses de normalisation de la vie internationale iranienne contenues dans l'accord de Vienne du 14 juillet dernier viennent à se réaliser, il n'est pas assuré que Téhéran soutienne durablement ses efforts diplomatiques dans cette zone du monde.


* 12 Cf. supra , chapitre I er .

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page