N° 850

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 septembre 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission d'information (1) sur l' inventaire et le devenir des matériaux et composants des téléphones mobiles ,

Par Mme Marie-Christine BLANDIN,

Sénatrice.

(1) Cette mission d'information est composée de : M. Jean-François Longeot , président ; Mme Marie-Christine Blandin , rapporteure, Mme Delphine Bataille, M. Patrick Chaize, Mme Évelyne Didier, MM. Didier Mandelli, Jean-Yves Roux, Raymond Vall, vice-présidents ; M. Jérôme Bignon, Mme Annick Billon, M. Jean-Pierre Bosino, Mme Corinne Bouchoux, MM. Roland Courteau, Alain Duran, François Grosdidier, Patrick Masclet, Pierre Médevielle, Mme Colette Mélot, M. Gérard Miquel, Mme Patricia Morhet-Richaud, MM. Cyril Pellevat, Rémy Pointereau, Mme Catherine Procaccia, M. Daniel Raoul, Mme Nelly Tocqueville, M. André Trillard.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Environ 24 millions de téléphones portables sont vendus en France chaque année, un chiffre stable depuis 2012. 92 % des foyers français ont au moins un téléphone portable et un foyer possède en moyenne 2,4 appareils. Le taux d'équipement atteint près de 110 %.

Comme l'illustrent ces chiffres, le téléphone portable est le produit phare de la société de consommation actuelle . Cet équipement est devenu indispensable, plus encore depuis l'apparition et le développement des smartphones , qui en ont fait l'outil du quotidien par excellence . Avec son téléphone portable, on prend des photos, on lit les journaux, on consulte ses mails, on envoie des SMS, on se connecte sur les réseaux sociaux, on passe des commandes, on écoute de la musique... Téléphoner semble parfois être devenu une fonction accessoire.

Pour autant, connaît-on vraiment cet équipement ? Que contient un téléphone portable ? Que deviennent le téléphone portable usagé, ses matériaux et composants ?

Ces questions centrales, qui n'ont pas donné lieu à ce jour à des travaux spécifiques, ont justifié la constitution de la présente mission d'information, relative à l'inventaire et au devenir des matériaux et composants des téléphones portables.

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Constituée à la demande du groupe écologiste dans le cadre de son droit de tirage annuel, conformément à l'article 6 bis, du Règlement du Sénat, votre mission s'est constituée le 29 juin 2016 et a commencé ses travaux le 6 juillet .

La Conférence des présidents ayant fixé au 30 septembre la date butoir pour qu'elle rende son rapport, votre mission a mené ses travaux à un rythme particulièrement soutenu.

Elle a effectué plus d'une vingtaine d'auditions , entendant un large panel d'organismes et de personnalités , représentant l'ensemble des acteurs concernés par son champ d'investigation. Ont ainsi été entendus par la mission : le ministère de l'écologie, de l'environnement et de la mer, l'Agence pour l'environnement et la maîtrise de l'énergie (Ademe), les éco-organismes actifs dans le domaine des déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE), la fédération des opérateurs de téléphonie 1 ( * ) , des chercheurs, des dirigeants d'entreprises de recyclage des métaux contenus dans les DEEE, des associations d'élus actives dans le domaine des déchets, des associations de protection de l'environnement...

Par ailleurs, la mission a effectué deux déplacements . Le 31 août, une délégation de votre mission s'est rendue sur le site des Ateliers du Bocage , au Pin (Deux-Sèvres), membres d'Emmaüs, qui collectent et valorisent les DEEE, dont les déchets issus des téléphones portables, dans une démarche d'économie sociale et solidaire. Le 1 er septembre, une autre délégation s'est rendue sur le site de l'entreprise Umicore , situé à Hoboken, près d'Anvers (Belgique), afin de découvrir l'activité d'un des principaux groupes mondiaux actifs en matière de recyclage et de technologie des matériaux, notamment les métaux issus des DEEE.

Au terme de ses travaux, votre mission a adopté le présent rapport, qui a une vocation tant pédagogique que prospective .

Elle a abouti en effet à des constats forts , s'appuyant sur les données et éléments précis collectés au gré des auditions, des déplacements ou des réponses aux questionnaires transmis par votre rapporteure. Elle a dégagé par ailleurs des orientations consensuelles qui se déclinent en propositions concrètes couvrant l'ensemble du cycle de vie des téléphones portables : leur fabrication, leur utilisation, la collecte des équipements usagés et leur valorisation.

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• S'agissant de la composition des téléphones portables , votre mission souligne que la fabrication de ces équipements ignore largement les enjeux environnementaux .

Le manque de connaissances sur la composition exacte des téléphones portables est apparu flagrant au cours des auditions, alors même que leur composition fait de ces équipements une véritable « mine urbaine » . Par exemple, si on ne s'intéresse qu'à l'or, une tonne de cartes électroniques peut contenir en moyenne 200 grammes d'or, tandis que la concentration d'une très bonne mine est évaluée à 5 grammes par tonne de minerai.

Les matériaux et composants des téléphones portables soulèvent par ailleurs plusieurs difficultés . Votre mission a rappelé que les conditions d'approvisionnement sont régulièrement critiquées en raison de problèmes éthiques : certains métaux, comme le tantale, sont extraits dans des territoires confrontés à des conflits armés ; certains sous-traitants ne respectent pas quant à eux les normes élémentaires du droit du travail. Votre mission a également souligné que la fabrication des téléphones alimentait un renouveau extractif peu soutenable : nombre de matières premières utilisées sont exposées à des risques d'approvisionnement à plus ou moins long terme. Enfin, des interrogations en matière de toxicité et d'écotoxicité des composants existent, essentiellement lors de la phase éventuelle de recyclage.

Au-delà de la composition même, votre mission a constaté que la conception des téléphones est délibérément défavorable au réemploi et au recyclage : la course à l'innovation et au développement de nouvelles fonctionnalités éclipse l'enjeu de l'écoconception. La meilleure illustration en est la quasi-impossibilité de remplacer les batteries intégrées, pratique en voie de généralisation. Le bilan du dispositif de modulation environnementale des éco-contributions est à ce titre extrêmement faible , en raison du peu de critères de modulation et de montants dérisoires.


• S'agissant de la phase d'utilisation des téléphones portables, votre mission a constaté que l'explosion du marché , rythmé par des évolutions technologiques très fréquentes, est nourrie par l'obsolescence programmée , c'est-à-dire par l'utilisation de techniques variées visant à réduire la durée de vie ou la durée d'utilisation d'un produit. Cette obsolescence peut prendre plusieurs formes : obsolescence logicielle, obstacles à la réparation, obsolescence marketing, subventionnement à l'achat. Les mesures législatives prises récemment restent bien insuffisantes.

La collecte des téléphones portables usagés , à laquelle votre mission s'est beaucoup intéressée, reste largement insuffisante par rapport au gisement disponible : on ne collecte qu'environ 15 % des téléphones portables mis sur le marché et on estime que 100 millions de téléphones « dorment » dans les tiroirs de nos concitoyens. Ce phénomène peut s'expliquer par l'information lacunaire fournie au consommateur, par des freins psychologiques au geste de tri chez le consommateur ou encore par l'absence de contrôle effectif du respect par les opérateurs de leurs obligations de reprise des téléphones usagés.

Cette collecte limitée nuit au réemploi, qui constitue une priorité aux yeux de votre mission, et à l'activité des acteurs du secteur, notamment ceux issus de l'économie sociale et solidaire qu'il convient de soutenir. Elle constitue donc pourtant un gisement d'emplois, aujourd'hui négligé au risque de nourrir certains trafics.


• Enfin, s'agissant du devenir des matériaux et composants des téléphones portables, votre mission a constaté que la majorité du gisement de téléphones usagés échappe à la filière réglementaire et part dans des filières parallèles.

Le marché de l'occasion , qui se développe fortement, se caractérise par un circuit peu transparent . De nombreux interlocuteurs de votre mission ont souligné l'existence d'exportations de lots complets mélangeant déchets et équipements réparables ne respectant pas toujours la réglementation en vigueur. Ces pratiques relèvent pour certaines de stratégies de contournement des règles relatives à l'exportation de déchets liées à la complexe question de la qualification d'une marchandise comme « déchet » ou comme « équipement ».

Votre mission a également relevé que le recyclage des composants et matériaux issus des téléphones portables constitue , sous réserve d'une massification de la collecte des équipements usagés, une opportunité pour créer une filière française d'excellence . La filière du recyclage manque cruellement des infrastructures nécessaires, par exemple, au traitement des cartes électroniques qui sont envoyées notamment en Belgique, sur le site de l'entreprise Umicore. Notre pays dispose pourtant de sites et d'un savoir-faire industriels historiques et il est, par ailleurs, parmi les plus actifs en matière de recherche dans ce domaine, grâce à une coopération efficace entre établissements publics, chercheurs et startups , que votre mission a pu constater au cours de ses travaux.

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Sur la base de ces différents constats, votre mission formule 27 propositions concrètes, consensuelles et ambitieuses , dans cinq directions complémentaires :

- la responsabilisation des fabricants de téléphones portables ;

- la lutte contre l'obsolescence programmée et pour l'augmentation de la durée de vie des téléphones portables ;

- l'augmentation de la collecte de téléphones portables usagés, notamment par le biais d'une meilleure information donnée au consommateur sur le geste de tri ;

- le soutien aux acteurs du réemploi, notamment issus de l'économie sociale et solidaire, et la clarification des circuits des filières parallèles à la filière réglementaire ;

- la définition et la mise en oeuvre d'une stratégie nationale de recyclage des métaux soutenant les projets de recherche et d'unités de traitement.


* 1 Votre mission regrette à cet égard vivement que les opérateurs de téléphonie mobile n'aient pas répondu favorablement à sa demande d'audition et aient préféré se faire représenter par la Fédération française des télécoms (FFT).

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