II. L'ESTONIE : UN ACCORD AVEC UBER POUR LA DÉCLARATION AUTOMATIQUE DES REVENUS DES CHAUFFEURS

A. « L'ÉTAT-PLATEFORME » ET LA PLATEFORME : UN PARTENARIAT LOGIQUE ET RÉUSSI

En octobre 2015 103 ( * ) , l'administration fiscale estonienne (le comité estonien des impôts et des douanes, ou ETCB) et la société Uber ont annoncé avoir passé un accord en vue de la mise en place d'un système informatique permettant la transmission automatisée des données relatives aux revenus des chauffeurs, sur la base du volontariat ( opt in ).

Cette initiative doit être comprise dans le contexte de la légalisation, en novembre 2015, des services de transport de personnes par des particuliers , proposés par des plateformes telles que Lyft , Uber et Taxify . Ces services, dès lors qu'ils ont lieu à titre onéreux, ont été interdits en France par la loi « Thévenoud » du 1 er octobre 2014 (cf. supra ), comme dans d'autres pays européens.

La légalisation des services de transport entre particuliers Estonie

Un marché concurrentiel où les acteurs utilisent déjà les applications mobiles

L'Estonie, pays de 1,3 million d'habitants, compte aujourd'hui plus de 4 000 taxis dont 2 300 à Tallinn. Si l'on dénombre environ 1 taxi pour 1 158 habitants en France, ce même ratio est de 1 pour 325 en Estonie. Les chauffeurs de taxis estoniens doivent respecter les mêmes obligations que leurs homologues français et européens (compteur, normes de sécurité). Mais à la différence de la situation française, il n'existe pas de restriction quantitative au nombre de taxis et le coût des licences reste faible.

Aujourd'hui, environ 40 % des clients en Estonie font appel à un taxi en utilisant une application mobile, au premier rang d'entre elles, l'application estonienne Taxify . Créée en 2013, cette application est devenue en seize mois leader du marché en Estonie. Présente à ce jour dans neuf pays (Finlande, pays baltes, Biélorussie, Pologne, République Tchèque, Pays-Bas, Serbie), elle compte plus de 500 000 clients en Europe et un taux de croissance de 10 % à 20 % chaque mois. Ce sont ainsi plus de 2,2 millions de réservations qui ont été effectuées sur cette plateforme en Estonie en 2015.

Si 37 % des chauffeurs de taxi sont aujourd'hui inscrits sur la seule application Taxify, l'entreprise explique qu'elle ne peut plus se passer de l'apport de main d'oeuvre constitué par les chauffeurs non-professionnels . À certaines heures de la journée, notamment entre 22 heures et 2 heures du matin, la demande excède largement l'offre. Taxify explique compter plus de 1 000 chauffeurs particuliers sur les trois pays baltes, travaillant en moyenne sept heures par semaine. Si ces chauffeurs ne doivent pas respecter les mêmes obligations légales que les taxis, les plateformes les obligent à appliquer une charte de qualité (pas de casier judiciaire, maîtrise de la langue estonienne, trois ans de permis, formation au service, véhicule de moins de dix ans).

Selon Taxify, la note moyenne attribuée par les clients à ces chauffeurs non-professionnels s'élève à 4,88 sur 5. Ainsi, seulement 0,5 % de ces chauffeurs ont été bloqués par la plateforme pour non-respect de la charte de qualité, contre 34 % des taxis professionnels.

Nouveau statut juridique et déclaration de revenus par internet

Le projet de loi sur les services de transport entre particuliers vise à adapter le cadre juridique existant au développement de ce nouveau secteur. En l'état, il reconnaît aux chauffeurs qui n'exercent pas cette activité à titre principal le statut de « micro-entreprise ». De plus, il permet à ces derniers de déclarer leurs revenus à l'administration fiscale via internet . (...)

Selon Mark Helm, directeur du comité, la déclaration de ces revenus devra se faire sur une base volontaire. Le paiement volontaire des impôts lui paraît clé dans la régulation de ces activités de services proposés par les particuliers (plus largement que dans le seul secteur des transports). Selon lui, les citoyens estoniens ont démontré par le passé leur respect des règles fiscales, ce qui permettrait de limiter les contrôles. Il propose à terme de rendre cette plateforme de déclaration de revenus développée par l'Estonie à disposition de tous les chauffeurs non-professionnels quel que soit leur pays de résidence, l'Estonie se chargeant ensuite de transmettre les informations à chaque État concerné .

Source : direction générale du Trésor (service économique de Tallinn)

Premier État membre de l'Union européenne à avoir légalisé les services de transport à titre onéreux entre particuliers, l'Estonie est donc, d'après la direction générale du Trésor, « en train de se doter du système de taxation le plus performant réalisé jusqu'à présent dans ce domaine . Grâce à son environnement juridique et administratif souple, elle est parvenue en quelques mois à créer un système d'échange automatique de données avec Uber, qui permet d'intégrer les revenus des chauffeurs dans leurs déclarations d'impôts ».

Le système est spécialement conçu pour les modèles économiques de l'économie collaborative : il permet aux plateformes, intermédiaires de mise en relation et de paiement, de transmettre les données pertinentes à l'administration fiscale, comme le font déjà les employeurs et les banques , en vue d'alimenter la déclaration pré-remplie des contribuables . Jusqu'à maintenant, le système ne permettait pas la prise en compte - et donc, dans une certaine mesure, la taxation - des revenus d'activité des travailleurs indépendants et des particuliers non-salariés.

Le module présenté ci-dessous a donc vocation à s'intégrer dans le système d'information national de taxes et d'impôts .

Le fonctionnement du système de transmission automatique des revenus en Estonie

L'exemple d' Uber

Le système s'organise ainsi :

1) La compagnie, l'auto-entrepreneur ou la personne physique gagne un revenu par l'intermédiaire d'un tiers ;

2) Sur une base volontaire , le client donne l'autorisation au tiers de transmettre les données le concernant à l'ETCB ;

3) L'acteur tiers transmet les données via le module budgétaire fourni par l'ETCB ;

4) Le contribuable peut ajouter les coûts additionnels de son activité manuellement ou via des partenaires intégrés (banques, assurances...) ;

5) Le module budgétaire calcule les montants dus de TVA et d'impôt sur le revenu et génère les déclarations finales en prenant en compte les autres sources de revenus. Il contient également d'autres fonctionnalités : enregistrement au registre des sociétés et enregistrement de la TVA.

Source : direction générale du Trésor (service économique de Tallinn), et comité estonien des impôts et des douanes (ETCB)

Après quelques mois de développement, le premier échange a été réalisé avec succès en janvier 2016 , et l'administration fiscale estonienne juge les résultats très encourageants.

Compte tenu de ce succès, l'Estonie envisage d'ouvrir le système à l'ensemble des plateformes collaboratives, peut-être dès la fin de l'année 2017 . D'après les informations dont dispose le groupe de travail, l'ETCB a d'ores et déjà entamé des discussions avec Taxify (principal concurrent d' Uber ), avec Postpal (gestion du processus de livraison dans le cadre du e-commerce) ou encore avec Autolevi , (location de voitures entre particuliers, à l'instar de Drivy ou Ouicar en France).


* 103 http://www.emta.ee/eng/etcb-and-uber-collaborate-seeking-solutions-development-sharing-economy